Version classiqueVersion mobile

Les révoltes du papier timbré, 1675

 | 
Gauthier Aubert

Troisième partie. L’été des fureurs

Chapitre VI. Les folles journées de Rennes

Texte intégral

  • 1 Document aimablement communiqué par Hervé Le Goff.

« L’on me mande que tout Rennes a pris les armes contre Monsieur de Chaune. »
Lettre de M. du Liscoet, à Paris, à Pierre Hamon, à Guingamp, 15 juin 16751.

  • 2 Disons pour faire vite que ces lettres forment un peu le pendant des « codes paysans » pour la par (...)
  • 3 Soit Toudoux, Morel, Duchemin et Cormier de la Courneuve (supra, chapitre III, note 41).
  • 4 BNF, MC 171 bis, fol. 164, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.
  • 5 Exception faite de la lettre adressée par Jonville à Louvois, en date du 29 juin, mais qui a été e (...)

1Nous arrivons à l’épisode clef du cycle rebellionnaire rennais de 1675, le plus problématique aussi. Son importance est en premier lieu la conséquence des événements en eux-mêmes, et en particulier dans ce qui est un retour de flamme assez inattendu. Mais il y a plus. En effet, ce nouvel embrasement rennais est aussi celui d’une formidable densification documentaire, faite en particulier de ce qui nourrit en premier lieu l’analyse politique, ici comme ailleurs : la correspondance. Ainsi, alors que les événements ne dépassent pas, ou peu, en intensité ceux observés en avril, la masse épistolaire qu’ils génèrent est sans commune mesure avec ce qui a pu être observé lors des mois précédents. Durant ce mois de juin, nous connaissons en effet 25 lettres envoyées depuis Rennes à Louvois et à surtout Colbert, contre cinq pour les deux mois précédents, et dix pour le mois suivant. Cette masse documentaire, faite de récits et d’analyses, est d’autant plus importante qu’elle a permis aux historiens travaillant sur le sujet de dégager certains des principaux cadres interprétatifs valant pour l’ensemble du cycle rebellionnaire de l’année, au moins dans son versant urbain-breton2. La révolte serait alors dévoilée dans ses intentions profondes, en même temps que ses meneurs véritables seraient démasqués. Un mot s’impose donc sur les sources. Comme pour les épisodes précédents, nous disposons des scripteurs locaux, réduits à quatre depuis le retrait de La Monneraye3. En revanche, et c’est là la grande différence avec les événements du 18 avril, aucun notable local ne s’est cette fois empressé d’écrire à Louvois ou à Colbert pour raconter ce qu’il a vu ou entendu. Sans doute faut-il nuancer, puisque Chaulnes évoque quelques relations épistolaires qui le salissent4, mais aucune ne nous est parvenue5. Reste que le silence des grands du lieu contraste avec ce que l’on a constaté après le 18 avril. Comment l’expliquer ? En premier lieu probablement car un certain malaise plane sur ces péripéties, dévoilant un jeu complexe et subtil : l’heure n’est plus où, malgré des nuances d’appréciation, chacun pouvait y aller sans trop de retenue de son couplet sur la populace émue puis réduite par les notables locaux zélés. Face à la complexité du dossier, entre déroute de l’autorité et porosité fluctuante des lignes, écrire a pu apparaître comme une opération risquée, et malheur à celui qui apporte de mauvaises nouvelles. Par ailleurs, il est probable que beaucoup, dans les cercles dominant la ville, se censurent, dans la mesure où ils savent sans doute que le duc fait ouvrir les lettres. Enfin, en vertu du principe de subsidiarité, certains peuvent considérer que le gouverneur de la province étant dans les murs, c’est à lui que revient le redoutable – et dangereux – privilège de porter à la connaissance des ministres les soubresauts fâcheux de la vie locale. Car personne n’oublie bien entendu les terribles mises en garde antérieures venues du plus haut de l’État au sujet du nécessaire maintien de l’ordre.

  • 6 Lettres, Gerard Gailly (éd.), Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 741 et 882.
  • 7 BNF, MC 171 bis, fol. 539.

2Ainsi, les seules relations épistolaires que nous ayons émanent de gens extérieurs aux cercles rennais stricto sensu. Il s’agit en premier lieu de personnages que l’on peut considérer comme des collaborateurs du duc, monseigneur du Guémadeuc, évêque de Saint-Malo, et Lavardin, qui, bien qu’à Nantes, a ponctuellement un avis sur les événements qui se déroulent à Rennes. À cet ensemble se rattache la lettre (déjà citée) du commissaire des guerres de Jonville écrite à Nantes le 29 juin, aussi précieuse par la richesse des informations qu’elle contient que problématique en raison du goût pour les médisances de son auteur, mais aussi du caractère parfois – mais pas toujours, on le verra – isolé des informations qu’il délivre. Notons également l’arrivée, dans notre documentation, de la correspondance de la marquise de Sévigné, qui évoque les événements rennais de juin dans une lettre à sa fille du 19 de ce mois, puis dans une autre en date du 16 octobre6. Mais finalement, notre principal observateur est le duc de Chaulnes lui-même. C’est en effet la première fois que celui-ci est présent pendant un épisode séditieux, et il ne se prive pas d’écrire, singulièrement à Colbert, jusqu’à deux fois par jour, des lettres d’ailleurs sensiblement plus longues que celles que l’on a vues jusque là, indice que l’enjeu du décryptage des faits est tout sauf mineur pour lui. Le matériel documentaire légué par Chaulnes est extraordinaire, foisonnant, et forme la substance des récits sur cette séquence chez beaucoup d’historiens, sans que soit vraiment prise en compte la nécessaire critique qu’implique ce type de documents dont les indéniables vertus informatives ne doivent pas occulter ce qu’ils sont fondamentalement : une littérature de combat, engagée au service d’une cause principale qui est la survie politique de son auteur, et si possible son élévation. Il s’agit de plus, pour l’essentiel, chez Chaulnes, d’une écriture qui est déjà de nature historique : le cœur de la crise est probablement à dater, comme on le verra, des 10 et 11 juin, alors que la plupart de ses missives sont écrites à partir du 12. Aussi faut-il prendre en compte le caractère évolutif des interprétations livrées par Chaulnes qui ne cesse de revenir sur les événements de juin, passant sur eux plusieurs couches interprétatives, qui ne sont pas toutes exactement de la même couleur. Enfin, parmi les sources utilisables il faut également compter celles de la répression judiciaire qui, comme on l’a dit, sont connues par les copies partielles faites par le procureur Morel. C’est dire combien, dans l’ensemble, les archives de l’État couvrent de leur manteau les événements. Pour autant, des documents ont probablement disparu, comme peut le rappeler une note du 16 juin, dans la correspondance de Colbert, affirmant que celui-ci a gardé une lettre pour lui7. Que pouvait-il bien y avoir dans cette lettre du 16 juin pour que Colbert la garde ? Etait-elle de Chaulnes ? Contenait-elle quelques secrets d’État partis en poussière, ou plus sûrement en fumée ? En tout cas, cette mention doit nous inciter à la modestie. On aura garde de plus de ne pas oublier qu’entre les obscurs écrits du for privé rédigés par des personnages secondaires et les lettres envoyées par des gens puissants aux maîtres du royaume, les strates intermédiaires nous font ici largement défaut : les registres secrets du parlement et le registre de délibérations de la communauté de ville, en particulier, sont silencieux, au moins dans un premier temps, celui qui correspond au moment même où Chaulnes inonde Colbert de missives.

Calme dans la rue, malaise au palais

  • 8 Arch. mun. Rennes, BB 561.
  • 9 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574.

3Revenons un peu en arrière. Avec le départ du duc de Chaulnes et du marquis de Lavardin pour Nantes, Rennes se retrouve à nouveau face à elle-même. Pendant quelques jours, l’absence de soubresauts signe la victoire de l’autorité, à l’heure où Nantes est soumise à une punition qui doit bon an mal an servir de modèle. Durant la dizaine de jours qui sépare le départ de Chaulnes de son retour, Rennes vit dans un indéniable calme. L’assemblée municipale du 30 mai est ainsi des plus paisibles : on y parle pavés, portes ou encore nettoyage des rues et s’il n’était question du paiement des tambours sollicités pour monter la garde, on en viendrait presque à oublier les récents événements8. Le même sentiment apparaît à la lecture de la prose de Duchemin, qui signale simplement dans son livre domestique la garde faite par sa rue le 23. Mieux, il indique en passant que seule la moitié de sa compagnie a été mobilisée, suite à un ordre du duc de Chaulnes (pourtant absent), ce que Cormier confirme : « on a partagé les compagnies par moitié pour ne pas fatiguer l’habitant ». Tout laisse donc penser que la perspective d’un embrasement semble s’éloigner. Du côté du palais, le calme est manifeste : les registres secrets signalent des assemblées de grand’chambre presque tous les jours, sans qu’affleurent des éléments relatifs à notre sujet9. Notons aussi que les sources rennaises n’évoquent pas les événements nantais, ni guingampais, non sans raison peut-être, comme on va le voir.

  • 10 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 1er VI 1675.
  • 11 Supra, chapitre V.

4La situation n’a donc quasiment pas évolué pendant l’absence du duc. Nulle nouvelle émotion, mais nulle arrestation ou exécution non plus. Le 1er juin, le gouverneur est de retour à Rennes et, recevant les bourgeois, il fait de son action à Nantes un bilan cohérent avec ce que nous pensons savoir : il a, dit-il, rétabli l’autorité du roi, puis travaillé au soulagement des peuples10. Peut-être faut-il aussi comprendre par là, outre une allusion aux accommodements déjà évoqués au sujet des impôts nouveaux, une évocation de la question de l’avancement des troupes, puisque, selon Jonville, les Rennais ont aussi payé pour éviter la soldatesque11.

  • 12 Philippe Hamon, « Quelle(s) capitale(s) pour la Bretagne (XVIe-XVIIe siècle) », dans Jean-Marie Le (...)

5Peut-on, à ce stade, tenter de décrypter les intentions du duc ? La décision de quitter Nantes est cohérente puisque Lavardin y suffit, et a été nommé par le roi pour remplacer Molac. Rennes, de plus, où le duc a laissé sa femme, est surtout le vrai siège de son autorité provinciale, s’accordant parfaitement avec un statut de capitale qui n’est pas contesté12. Être à Rennes, en fait, c’est en premier lieu se placer dans la cabine de pilotage de la Bretagne car c’est d’ici que l’on peut recevoir des informations remontant par les parquets, et donner des ordres en utilisant le levier que constitue le parlement, que le pouvoir royal a associé à l’entreprise de retour à l’ordre.

6Pourtant, à en croire Chaulnes lui-même, les relations avec le parlement viennent de connaître un coup de froid. Le 9 juin, le duc s’en ouvre à Colbert, dans des termes extrêmement précis :

  • 13 Il semble que ce soit une allusion à l’affaire de Guingamp.
  • 14 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

« Je me suis faict une seconde affaire13 avec le parlement, d’avoir faict juger les coupables sans appel, mais j’ay creu debvoir esviter les longueurs ainsy que j’avois faict à Nantes14. »

  • 15 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
  • 16 Jean-Frédéric Schaub, Le Portugal au temps du comte-duc d’Olivares (1621-1640). Le conflit de juri (...)
  • 17 Joël Hautebert, La jurisprudence criminelle de la sénéchaussée présidiale de Nantes, 1551-1750, th (...)
  • 18 Arch. nat., E*1773, fol. 307.
  • 19 SHD, A 1 438, fol. 203, ordonnance royale du 8 V 1675.
  • 20 Arch. nat., E* 1779, fol. 425.

7Le 12, dans une autre lettre adressée au même ministre, il reprend les mêmes éléments, ajoutant que la chose a suscité « mil bruits dans la ville15 ». Nous serions donc ici face à un conflit de juridiction qui, pour classique qu’il puisse être, n’en est pas moins à prendre en compte en tant qu’élément structurant de la culture politique des juristes16. Pourtant, à première vue, le parlement n’a pas grand-chose à y redire. Les faits de rébellion qui ont été jugés à Nantes et à Guingamp ne sont pas susceptibles d’appel. Cependant, comme le note Joël Hautebert dans son étude sur le présidial de Nantes, le parlement de Bretagne ne semble pas avoir accepté facilement que ce siège inférieur puisse juger en dernier ressort, et savait le cas échéant attirer à lui des affaires qui ne lui étaient pas promises17. Il est aussi possible que le mécontentement ait été avivé par le fait que, le 18 avril, le conseil a confié au premier président d’Argouges la connaissance des affaires au sujet du tabac et de l’étain18. Ajoutons de plus, mais on ne sait si ce texte est parvenu jusqu’au palais, que le roi lui-même, dans l’ordre par lequel il lançait les unités de la maréchaussée sur la Bretagne, précisait bien que c’était à ses yeux le parlement de Bretagne qui était chargé d’informer et de faire procès aux coupables des troubles19. De plus, un arrêt du conseil a été pris le 11 mai, qui confiait la connaissance des affaires du papier timbré aux parlements20. Bref, la cour bretonne a pu vivre ces condamnations sans appel comme des atteintes graves à ses prérogatives.

  • 21 BNF, Clairambault 796, fol. 99, lettre de la Coste à Colbert, 4 VI 1675.
  • 22 Bernard Drilleau, La maréchaussée aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse, Rennes 2, 1985, t. 1, p. 19.
  • 23 Ibid., p. 31 ; Pascal Brouillet (dir.), De la maréchaussée à la gendarmerie. Histoire et patrimoin (...)
  • 24 Titre premier, article 12.
  • 25 Christophe Blanquie, « Les prévôts des maréchaux en Languedoc d’Henri IV au règne personnel de Lou (...)
  • 26 Procès verbal des conférences tenues par ordre du roi entre messieurs les commissaires du conseil (...)
  • 27 Xavier Godin, Christiane Plessix-Buisset, « La réception des ordonnances civiles et criminelles pa (...)
  • 28 BNF, MC 171bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

8Le traitement de l’affaire guingampaise a sans doute fortement accentué le mécontentement de la cour rennaise. La répétition, à peu de jours d’intervalle, d’exécutions sans appel sonne comme une marque de mépris difficilement tolérable pour des hauts magistrats qui – à tort ou à raison – n’ont sans doute pas le sentiment d’avoir démérité depuis le début de cette affaire. Les supplices guingampais ont pu, de plus, être d’autant plus mal ressentis que, dans le cas présent, c’est la maréchaussée qui a été sollicitée pour sévir. Cette opération, en effet, a été menée en présence de La Coste, par le lieutenant du grand prévôt de la maréchaussée envoyé sur place par Chaulnes, flanqué des juges et du greffier de la cour royale de Saint-Brieuc21. Il est vrai que, depuis François Ier, la maréchaussée peut condamner à mort sans appel ceux qu’elle capture22 et que les séditions relèvent depuis longtemps (1566) de la compétence de ces fameux « juges bottés23 ». L’ordonnance criminelle est d’ailleurs venue rappeler ces compétences24. Pourtant, l’affaire présente quelques difficultés. La principale est peut-être que les magistrats des parlements n’apprécient guère, c’est peu dire, ce qu’ils estiment être des empiétements menés par des « juges bottés » ne connaissant pas selon eux le droit. Sans remonter à la Fronde25, très récemment, à l’occasion des débats relatifs à la réformation de la justice, le premier président de Lamoignon s’est fait le porte-parole des récriminations des magistrats à l’endroit de la maréchaussée26. Il fut d’ailleurs relayé par le président de Novion, qui n’hésita pas à déclarer que « ce n’etoit pas etablir le repos public que d’etendre le pouvoir des prevots des maréchaux ». Las, l’ordonnance criminelle de 1670 passa outre, et accrut les pouvoirs des maréchaux, mais, à la date et dans la province qui nous intéressent, ce texte fameux n’est pas appliqué, car pas reçu par le parlement27. D’ailleurs, Chaulnes indique bien que l’appel était possible, mais qu’il ne l’a pas voulu pour aller vite en besogne. De fait, c’est bien le duc qui a dépêché l’autorité prévôtale à Guingamp28, et qui, à Nantes, a joué un rôle décisif dans le processus punitif. Certes, on peut se dire que le gouverneur, exposant son action au puissant Colbert, cherche à se montrer sous le meilleur jour possible, mais ceci n’empêche pas que son interprétation soit convaincante. En effet, celle-ci s’inscrit parfaitement dans ce que nous savons de l’axe de sa politique : punir au plus vite pour éviter que les troupes n’arrivent dans son gouvernement et, à défaut, qu’elles y restent le moins possible.

  • 29 John Hurt, « La politique du parlement de Bretagne (1661-1675) », ABPO, 1974, t. 81, p. 105-130.
  • 30 Séverin Canal, Les origines de l’intendance de Bretagne, Paris, Champion, 1911.
  • 31 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 567, reg. sec., 15 IX 1671.

9Derrière tout cela, il y a à l’évidence un enjeu qui, vu du palais du parlement de Bretagne, est capital : la question de la prééminence judiciaire en Bretagne. Il nous manque cruellement une étude qui, à la frontière de l’histoire des institutions et de l’histoire sociale, nous permettrait d’apprécier la place exacte des gouverneurs au sein de la société politique bretonne. Contentons-nous pour l’heure de remarquer qu’en 1670, le parlement refusa, au moment d’enregistrer les lettres patentes faisant de Chaulnes le gouverneur de la Bretagne, les dispositions permettant à celui-ci de surveiller la justice29. La cour lui interdisit aussi d’entrer au palais à sa guise, de l’assembler de son autorité, ou encore d’intervenir dans le domaine commercial. Si l’évocation de ce dernier point nous éloigne de notre sujet, il permet cependant de montrer que le pouvoir monarchique a pu chercher, dans cette province sans intendant, des solutions originales pour faire appliquer sa politique en Bretagne, sans heurter de front des magistrats bretons qui avaient lutté avec succès dans les années 1630 et 1640 contre l’installation d’un tel commissaire30. Face à la volonté du parlement d’encadrer au maximum les pouvoirs du nouveau gouverneur, le pouvoir réagit d’ailleurs sans tarder par des lettres de jussion cassant la décision parlementaire, et interdisant toute délibération sur le sujet. Mais comment ne pas relever que, quelques mois plus tard, le président de Brecquigny, au moment de recevoir le marquis de Lavardin en tant que lieutenant général, se permit de rappeler que « la justice… a besoing du secours des armes pour la seconder et executer ses ordres31 ». En somme, il semble assez probable que ces exécutions sans appel aient ravivé des blessures profondes.

10Ainsi le silence du parlement au sujet des affaires nantaise et guingampaise est-il certainement tout sauf indifférence. L’affaire illustre d’ailleurs les limites de la construction institutionnelle bretonne. Car on remarque que – sous bénéfice d’inventaire et en rappelant que les registres secrets ont disparu – le parlement de Bordeaux ne semble pas s’être ému du fait que de Sève ait procédé à des exécutions à Bergerac, selon une procédure qui rappelle le traitement décidé pour Guingamp. Faute d’intendant – homme de robe avec un pouvoir juridictionnel – il n’y avait, en Bretagne, que deux solutions pour punir les coupables : soit passer par le parlement, avec toute la lenteur qu’impliquait une procédure d’appel, avec à la clef en plus une possible atténuation de la peine ; soit, et c’est ce que fit Chaulnes, contourner la cour dite supérieure en tentant un bricolage pensé dans l’urgence. Aussi la situation qui se dégage entre la fin du mois de mai et le début du mois de juin est-elle pour le moins paradoxale : pour éviter de faire subir aux Bretons le logement des gens de guerre, Chaulnes est contraint de passer outre les prérogatives du parlement, garant des libertés bretonnes ; pour épargner aux Rennais la soldatesque, il choisit de se passer des services du parlement qui fait la fierté de la ville.

  • 32 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

11Il faut dire aussi que le parlement n’agit pas avec toute la célérité souhaitée par le duc de Chaulnes. En effet, la cour a beau avoir dans ses geôles quelques prisonniers, ceux-ci ne sont pas jugés, et encore moins condamnés. Pourquoi ? À nouveau plane sur l’autorité judiciaire le soupçon de quelque complaisance envers les émeutiers. Mais on notera que même Chaulnes ne retient pas cette hypothèse. Selon lui en effet, si le parlement tarde à sévir, c’est en raison d’un état d’esprit « qui est ouvertement à l’impunité par la crainte qu’il a des suites que lui attireroit le chastiment32 ». À cette date, pour Chaulnes, si le parlement est déjà bel et bien le responsable de la résurgence des troubles, ce n’est pas par hostilité aux édits fiscaux, mais par peur du peuple. D’Argouges et ses confrères ont sans doute mal vécu les jets de pierre sur le Champ-Jacquet, l’attaque du rez-dechaussée du palais, les menaces d’incendie de la conciergerie, sans parler d’autres expériences plus anciennes et de ce qu’ils peuvent savoir des horreurs subies par leurs homologues bordelais. Lavardin, d’ailleurs, depuis Nantes, est en accord avec le duc de Chaulnes, écrivant à Colbert le 14 juin, au moment où Rennes connaît de nouveaux troubles :

  • 33 BNF, MC 171 bis, fol. 515, lettre de Lavardin à Colbert, 14 VI 1675.

« Je suis trop bon et trop fidele serviteur du roy et de vous, monsieur, pour vous dissimuler que la lenteur du parlement pour ne pas dire le peu de vigueur et l’inquietude de M. d’Argouges sont les principalles causes de ce qui vient d’arriver à Rennes. Si les supplices avoient suivy les emotions, il est à croire qu’elles n’eussent pas continué33. »

  • 34 BNF, MC 171 bis, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 21 V 1675.

12Et d’enchaîner par un opportun rappel des succès nantais en la matière… Au moins peut-on lui reconnaître le mérite de la cohérence puisque dès le 21 mai, il a indiqué au ministre combien il trouvait le parlement mou34. Ce bon apôtre semble oublier qu’il a été à Rennes du 25 avril au 20 mai, et que, face à la foule qui menaçait le palais après l’affaire du temple de Cleunay, il n’a pas brillé par son jusqu’auboutisme martial. Au contraire, il a mené une habile politique visant en premier lieu à désamorcer la bombe prête à lui exploser dans les mains, et à décréter ensuite qu’il fallait attendre Chaulnes. Ecrits alors qu’il a quitté la capitale de la Bretagne, ses courriers, qui servent d’abord son élévation, peuvent, par ricochet, subtilement et sans que celui-ci soit cité, atteindre le duc. Celui-ci pouvait être jugé en effet par ses lecteurs incapable de mobiliser les énergies judiciaires au service de Sa Majesté. Le duc n’a-t-il pas été présent à Rennes du 2 au 20 mai ? Restent deux choses. La première est que son interprétation croise parfaitement celle du duc quant à la situation d’un parlement dont la prudence semble liée au tempérament de son chef, homme certes dévoué à la cause du roi, mais peu à l’aise dans la tempête. La seconde est la reprise de l’agitation que Lavardin a beau jeu de relier à la mollesse parlementaire en matière de supplice.

Le duc de Chaulnes à Rennes (II) : la déroute de l’autorité

13Malgré le foisonnement documentaire qui caractérise la période qui s’ouvre, ou peut-être à cause de celui-ci, un problème crucial apparaît : l’impossibilité d’établir avec clarté la succession des faits. Les certitudes que nous avons en ce domaine sont les suivantes : le 8 juin, des troupes entrent à Rennes et elles en repartent le 10 ; la situation reste ensuite troublée mais tend progressivement au calme jusqu’au 4 juillet, date à laquelle le duc de Chaulnes part pour la Basse-Bretagne, considérant que la situation est de nouveau stabilisée dans la capitale bretonne. Sur cette trame sommaire se greffent plusieurs événements, ou groupes d’événements, unis par une parenté d’action, que nous nous proposons de traiter successivement sans préjuger de leur exacte succession sur la frise du temps.

L’arrivée des troupes : chronique d’un fiasco

  • 35 Seul Jonville affirme le contraire quant aux bureaux, mais son témoignage est trop isolé pour être (...)

14C’est clairement l’entrée des soldats dans Rennes, alors que la ville est plutôt calme et que les bureaux y sont rétablis35, qui sert de déclencheur au nouvel embrasement. Toutefois, il importe de souligner qu’il n’y avait aucun déterminisme : à Nantes, l’entrée des soldats n’a pas, on l’a vu, relancé de cycle émeutier. Il existe donc bien, comme toujours, des circonstances particulières qui permettent de rendre compte de l’événement.

  • 36 BNF, MC 171 bis, fol. 370, Lavardin à Colbert, 1er VI 1675.
  • 37 110 selon Duchemin.
  • 38 Supra, chapitre V.
  • 39 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.
  • 40 Supra, chapitre V.
  • 41 SHD, A 1 441, fol. 585, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675.
  • 42 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

15Ainsi le duc a-t-il décidé, dès le début du mois de juin, de diriger vers la capitale provinciale trois compagnies du régiment de la Couronne36. Cette décision est en premier lieu la conséquence de ce que les fantassins, malgré ses espoirs et ses manœuvres, ont refusé de rebrousser chemin. Sans doute Chaulnes joue-t-il un jeu serré. En envoyant ces 150 hommes à Rennes37, il épargne en premier lieu un peu Nantes, où la présence de troupes trop nombreuses pouvait conduire à un fâcheux dérapage et en tout cas entretenir du mécontentement, mais là n’est pas sans doute le motif principal. Parmi les éléments qui ont dû peser dans sa prise de décision pourrait figurer l’idée qu’en envoyant trois compagnies à Rennes, Chaulnes aurait tenté de trouver un équilibre entre les exigences royales et les promesses faites aux édiles rennaises. Cent cinquante hommes aguerris, en effet, c’est assez pour tenir la main à la justice et permettre à celle-ci de déployer le spectacle du rétablissement de l’autorité, comme à Nantes, où trois compagnies stationnaient au château au moment de l’exécution de Goulven Salaün. Mais en même temps, cent cinquante hommes, c’est une grosse escouade largement supportable pour une ville de la taille de Rennes, qui pourra se consoler aisément en regardant le traitement infligé à Nantes dans le même temps. Il faut cependant noter que les intentions profondes de Chaulnes ne sont pas évidentes à déceler, non sans lien peut-être avec les paiements occultes et leur dévoilement38. Il est clair que le duc envoie des troupes à Rennes pour satisfaire aux exigences exprimées par le pouvoir royal pour lequel cette opération a une finalité répressive. Mais en même temps, un paradoxe apparaît : pourquoi laisser le gros de la troupe à Nantes, où la répression judiciaire a déjà eu des effets, et n’envoyer que trois compagnies à Rennes, où tout reste à faire en la matière ? On retrouve ici l’hypothèse selon laquelle Chaulnes était désireux de ménager la capitale de son gouvernement. Le fait que Rennes n’ait jamais vu de soldats, ou en tout cas n’en ait pas vu depuis suffisamment longtemps pour que ses habitants estiment qu’ils en sont exemptés ad vitam æternam, a sans doute pesé dans l’appréciation du duc, qui peut craindre quelques réactions négatives. Il n’est pas sans intérêt de noter que, ailleurs, le gouverneur affirme que ces troupes ont surtout pour mission d’assurer une protection aux bureaux et visiblement aussi aux notables. Il souligne d’ailleurs les inquiétudes en la matière du premier président et de Coëtlogon39. Protéger et punir seraient donc les deux intentions du duc, sous-tendues, à le lire, par des demandes émanant d’autres que lui : Louvois, d’Argouges et Coëtlogon. Ceci renverrait bien à l’idée que lui-même serait au bas mot réservé devant cette initiative. L’intarissable Jonville vient apporter un autre élément que nous avons déjà évoqué40 et qui rend plus complexe encore le dossier : en faisant venir des troupes à Rennes, Chaulnes aurait selon lui cherché à démentir par les faits les accusations de pots de vin ; d’après le commissaire, le duc aurait ainsi juste souhaité faire venir les troupes quelques jours dans cette perspective, et n’avait pas l’intention de les voir stationner à Rennes très longtemps41. Cette idée d’une venue à durée limitée conduirait à penser que le duc ne cherchait ni à punir, ni à protéger, mais à se protéger d’accusations. Cependant, le lendemain de l’entrée des troupes, Chaulnes lui-même évoque ces soldats en parlant de « la necessité que je vous avois representée d’avoir icy toujours (nous soulignons) quelques troupes42 ». On ne sait donc ce que le gouverneur avait au fond du cœur. Peut-être, en bon politique, au moment de prendre sa décision, envisageait-il plusieurs options. Les faits qui suivent viennent nous aider à décrypter ses intentions et s’il est difficile de dire s’il comptait ou non effectivement punir – au moins dans l’immédiat –, ce qui semble plus clair, c’est qu’il entendait bien protéger les notables et surtout les bureaux.

  • 43 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 6 VI 1675.
  • 44 Pour la simple raison qu’à chaque homme s’ajoute un animal à entretenir.

16À partir de quand les Rennais savent-ils qu’une fraction de l’armée du roi est en marche vers leur ville ? Alors que l’affaire est décidée vers le 1er juin, les registres municipaux ne mentionnent que le 6 l’arrivée imminente des soldats, mais on est alors déjà dans la phase des préparatifs43, ce qui montre que l’annonce a dû être faite un peu plus tôt. Quelques jours plus tard, revenant sur ces événements, le duc ira jusqu’à affirmer que, apprenant que seules trois compagnies se dirigeaient vers Rennes, il reçut de la ville « 1 000 remerciements », et de se flatter en passant d’avoir épargné aux Rennais la présence des cavaliers de la maréchaussée, jugés sans doute plus lourds à accueillir44. À partir du 6 juin, la nouvelle est donc officielle. On ne sait comment réagissent à cette annonce les huit capitaines miliciens présents ce jour-là à l’hôtel de ville, présents probablement à la maison de ville en raison de la livraison des armes commandées début mai. Venus pour connaître les modalités de perception de matériels renforçant leurs prérogatives, ont-ils l’idée que ces autres soldats allaient les dessaisir ? Rien ne le laisse penser, mais on ne peut l’exclure.

  • 45 Principales sources rapportant les faits survenus à Rennes en juin :
  • 46 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.
  • 47 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.
  • 48 Ce qu’avait bien vu Roland Mousnier, Fureurs paysannes. Les paysans dans les révoltes du XVIIe siè (...)

17C’est le samedi 8 juin que les trois compagnies du régiment de la Couronne font leur entrée. Les sources permettant de comprendre ce qui s’est passé sont nombreuses, et, comme toujours, partiellement concordantes45. Arrivant de Nantes, elles pénètrent, nous disent Toudoux et Duchemin, dans la ville par la porte de Toussaints, c’est-à-dire qu’elles traversent au préalable le faubourg de la Madeleine, soit le quartier du boulanger arrêté le 25 avril et toujours détenu. On peut imaginer l’effet que peut faire sur les habitants cette arrivée à l’emploi de verbes comme « étonner » (Chaulnes46) ou « effrayer » (du Guémadeuc47) utiliser pour décrire le ressenti des Rennais. Selon Duchemin, d’ailleurs, l’entrée est assez spectaculaire, les soldats marchant quatre de front et, surtout, « la mèche allumée par les deux bouts », c’est-à-dire prêts à faire feu. Le récit du notaire, qui alterne l’emploi de l’indicatif et du conditionnel, n’est sur ce point confirmé par aucune autre source, mais on ne s’étonnera peut-être pas de voir que les historiens ont adoré ce détail des mèches allumées cadrant si bien avec l’image autoritaire du règne de Louis le guerrier. Ceci ne veut pas dire que cela ne fut pas, mais, plus simplement que ce détail considéré comme un des éléments emblématiques – car révélateur – de toute cette affaire repose sur bien peu de choses. De là, les soldats sont dirigés vers l’hôtel de ville, ce qui implique de traverser une large partie de la ville, avant d’arriver là où, à tour de rôle, les bourgeois montent la garde depuis plusieurs semaines. Mèche allumée ou pas, cette entrée est tout sauf discrète. Là, selon Chaulnes, ils se mettent « en bataille », et c’est alors que tout bascule, que le patient retour au calme est réduit à néant, qu’un nouveau cycle rebellionnaire s’enclenche. Bel exemple d’un cas où l’État créé du désordre48.

  • 49 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 50 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

18Pourquoi l’hôtel de ville ? Pour y être logés dans le corps de garde, comprend-on sans peine à la lecture des différents scripteurs. La chose est visiblement prévue depuis la veille ou même l’avant-veille, puisque, lors de la délibération municipale du 6 juin, la question du logement des troupes a été déjà envisagée. Même si la municipalité a sans doute été partie prenante de la décision, il est très vraisemblable que le véritable décisionnaire a été Chaulnes. En tout cas, ce dernier soulignera, à l’heure des comptes, que la municipalité savait très bien que les troupes devaient loger là, ayant tout préparé en ce sens « sans qu’il y parut aucune repugnance49 ». La question du choix du lieu peut aider à comprendre les intentions de Chaulnes. Le site occupé par la maison commune présente plusieurs avantages dans une ville dépourvue de château ou de citadelle. Légèrement en hauteur, accolé à un mur de ville et à une tour, proche d’une des principales portes de la cité, l’édifice présente la configuration la moins mauvaise, d’autant que, en s’installant là, les soldats sont juste en face du manoir épiscopal où le duc et la duchesse ont élu domicile. On ne peut évidemment exclure que Chaulnes ait souhaité également, en mettant les troupes à l’hôtel de ville, marquer sa supériorité politique. Cependant, sans l’exclure absolument, l’idée cadre assez mal avec l’image d’un duc qui agit auprès du pouvoir royal pour éviter au maximum que les troupes ne punissent les « bons habitants », dont ceux qui siègent à l’hôtel de ville sont les porte-paroles. En revanche, l’image peut correspondre avec celle d’un duc pour qui la municipalité est un prolongement quasiment naturel de son autorité. En aménageant la maison de ville en caserne, il épargne de surcroît aux habitants le si désagréable et détesté logement des gens de guerre. Mais au-delà, Chaulnes semble avoir cherché à renouer avec son projet du début du mois de mai, qui était de disposer à côté de chez lui de 200 hommes payés et donc dépendants directement de son autorité. C’est d’ailleurs lui-même qui, dans un courrier un peu tardif à Colbert, donnera cette explication, ce qui conduit à penser que son intention était bien de voir se maintenir cette force sur place pendant quelque temps50. Mais là encore, il importe de rester prudent, tant Chaulnes est capable de faire évoluer ses intentions au gré des circonstances. Momentanément ou non, il apparaît en tout cas que, pour le gouverneur, la parenthèse milicienne est achevée, que le temps où la sécurité de la ville était sous-traitée aux bourgeois est révolu. Peut-être Chaulnes se dit-il que ces braves gens vont être bien soulagés de ne plus avoir cette corvée à accomplir. Pourtant, c’est cette tentative de dessaisissement de la milice et de remplacement par des troupes réglées qui est à l’origine du déclenchement du troisième embrasement rennais.

  • 51 Le capitaine en titre est alors un Lorgeril (cf. tableau 10, supra chapitre IV). Il est à noter qu (...)
  • 52 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

19En effet, la compagnie milicienne de garde à l’hôtel de ville refuse de se voir relevée de ses fonctions, semblant ainsi découvrir les intentions du duc, ce qui n’est pas certain. Les sources sont unanimes pour indiquer un refus catégorique des hommes, et en particulier de leur officier, dont Duchemin se plaît à étaler les titres comme pour montrer que c’est un irréprochable (petit) notable qui s’illustre alors : « René Berthou, ecuyer, sieur de Kerouriou, procureur au parlement. » Certains le présentent comme le capitaine de la compagnie de la très parlementaire rue Saint-Georges, mais il n’en est en réalité que le lieutenant ou l’enseigne51. Le fait que Cormier dise que les soldats veulent « s’emparer » du corps de garde renvoie à l’idée que l’arrivée des troupes a été ressentie comme une agression, ce que confirme monseigneur du Guémadeuc52. La suite va dans le même sens. Toudoux rapporte ainsi que les miliciens refusent l’entrée de la maison commune « disant estre capable de la garde » et Duchemin s’étonne de cette arrivée « nonobstant que les compagnies de chaque rue aient toujours fait la garde ». Bref, les bourgeois en armes vivent mal d’être dépossédés de cette fonction qu’ils ont toujours remplie. Sans doute les miliciens rennais sont-ils d’autant plus piqués, touchés dans leur dignité citoyenne, qu’ils viennent de recevoir un important lot d’armes – issues, qui plus est, d’un magasin royal – et que, finalement, la ville est calme, les bureaux ouverts et pas menacés. Cette relève militaire a donc tout de l’affront. Le fait, évidemment, que la scène ait pour cadre l’hôtel de ville ne peut que motiver davantage les bourgeois à refuser les soldats d’y entrer. Le refus est formel. À en croire Duchemin, les gardes bourgeois – pourtant en infériorité numérique mais bien retranchés – maintiennent leur position malgré la médiation du connétable Louvel – un des leurs, ou presque – comme face au duc de Chaulnes, arrivé sur les lieux.

  • 53 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675 ; SHD, A 1 441, fol. 155, lettr (...)
  • 54 BNF, MC 171 bis, fol. 435 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 9 et 15 VI 1675.

20Le second élément qui conduit au basculement est plus directement lié à l’émotion suscitée au sein de la population par cette arrivée de la troupe. La partie, en effet, ne place pas simplement les soldats citoyens face aux soldats professionnels, car la foule s’en mêle. « Toute la ville y vient en foule » relève ainsi Toudoux, un peu seul parmi les scripteurs locaux à évoquer cette intervention que l’on serait enclin à imaginer plutôt populaire. Faut-il pour autant le croire ? Duchemin – polarisé sur le noble face à face martial avec Berthou en figure de quasi-héros – ne semble pas avoir été là – et emploie le conditionnel ; quant au laconisme de Morel et de Cormier, il peut laisser penser qu’il en va de même pour eux. C’est Chaulnes, ainsi que l’impitoyable et bavard Jonville qui viennent apporter d’autres éclairages53. Le duc, qui écrit le lendemain des faits, indique ainsi que les femmes des miliciens, inquiètes pour leur mari, « firent quelque clameur qui n’eut pas de suite » après son intervention sur les lieux. Il ajoute, dans deux lettres, que la rumeur selon laquelle le corps de garde de la mairie allait être attaqué a parcouru la ville54. Jonville, qui a recueilli, à Nantes, le témoignage des officiers commandant le détachement impliqué, est plus direct encore. Nul doute que ses informateurs ont exagéré les méfaits commis par la populace, à la hauteur de l’humiliation subie, comme on va le voir. Disons que leurs exagérations – ou celles de Jonville, qu’il ne faut visiblement pas beaucoup pousser en matière de médisance – compensent les récits de Chaulnes qui, à cette date encore, se veut rassurant et enclin à minorer les faits. Le commissaire des guerres, s’il confirme le gonflement de la foule parallèlement au raidissement des miliciens, ajoute que les gens ont une attitude très hostile, injurient les soldats, non sans une certaine ironie, note-t-il explicitement, rapportant ce propos lancé à la face des militaires : « Est-ce là ces beaux gens de guerre desquels l’on nous avoit tant menacés ! » Des mots, on passe ensuite aux jets de pierres, et les soldats se trouvent ainsi pris entre les miliciens et la population qui, dit Toudoux, ne veut rien moins que les « exterminer ». Le contraste apparaît alors entre cette posture bravache puis offensive, et la peur initiale sucitée par la présence militaire, mais les deux attitudes sont liées. Passées la stupeur liée à cette intrusion dans la ville, et l’inquiétude pour les miliciens retranchés, face à ces soldats qui ne sont au fond pas très nombreux, qui ont peut-être des consignes de ne pas bouger, et dont la mèche n’est sans doute pas allumée, naissent les moqueries, puis, sans doute car les hommes ne bronchent pas, apparaissent les jets de projectiles.

21L’affaire se conclut de manière peu glorieuse pour Chaulnes, par ce qu’il faut bien qualifier de reculade, puisque, coincé entre les miliciens et la foule, le gouverneur préfère temporiser. Les troupes sont réparties entre sa résidence – chez l’évêque – et l’hôtel de Brissac, un peu plus loin, où la municipalité loge habituellement les lieutenants généraux. Cet édifice, coincé entre deux rues étroites, au centre de la ville haute, ne présente pas les mêmes avantages tactiques que l’hôtel de ville. Aux yeux de Toudoux, ce mouvement de la soldatesque vers ses nouveaux quartiers est plutôt une débandade : « il se sauverent a grand haste » indique-t-il ; Cormier, sans aller jusque là, note également que ce repli n’est pas effectué de gaieté de cœur, les soldats étant selon lui « obligés » de quitter les lieux. Voilà qui s’accorde mal avec les propos de Chaulnes, qui laisse penser à une sorte de gentlemen agreement. Pour ce dernier, qui, si l’on en croit Duchemin, s’est personnellement engagé dans l’affaire en donnant l’ordre aux miliciens de se retirer, c’est bien un demi-échec personnel.

  • 55 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.
  • 56 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.
  • 57 SHD, A 1 445, fol. 420, lettre de Louvois à Chaulnes, 28 V 1675. La suite de la phrase s’empresse (...)
  • 58 SHD, A 1 445, fol. 185, lettre de Louvois à Chaulnes, 8 V 1675.
  • 59 SHD, A 1 426, fol. 106, lettre de Louvois à Chaulnes, 9 VI 1675.
  • 60 SHD, A 1 426, fol. 9, lettre de Le Tellier à Chaulnes. Cette lettre montre qu’un courrier écrit un (...)

22Ainsi l’hôtel de ville reste-t-il aux mains de la milice. L’affaire signe donc l’échec de la subtile manœuvre de Chaulnes, qui n’a pas fait venir assez de troupes pour en imposer, mais en a fait venir assez pour susciter l’inquiétude et l’incompréhension – car l’histoire du pot de vin se sait sans doute, comme on va le voir. Très vite, le gouverneur semble l’avoir compris et pris la mesure de son erreur. En fin politique, il ne s’entête pas et organise le départ des soldats de Rennes, d’autant plus vite qu’on ne peut exclure qu’il a peut-être envisagé que l’escale puisse être courte. C’est à l’évidence une opération complexe car tout doit être fait pour la présenter comme autre chose qu’une reculade aux yeux des Rennais, mais aussi aux yeux du gouvernement. C’est la raison pour laquelle le duc insiste dans sa correspondance sur le fait qu’en faisant partir les troupes, il ne fait qu’obéir aux ordres. Dès sa lettre du 9 à Colbert, il indique que « puisque j’ay reçu ce matin les ordres du Roy pour faire retourner le bataillon de la Couronne tout entier, les trois compagnies qui arriverent hier repartiront demain pour rejoindre leur corps55 ». Il dit la même chose le même jour à Louvois56, en faisant référence aux instructions expédiées par ce dernier le 28 mai, c’est-à-dire très certainement à cette phrase : « Sa Majesté m’a commandé de vous dire qu’elle ne desire point laisser d’infanterie dans Rennes, que si vous en aviez besoin pour maintenir le peuple dans l’obeissance, elle trouve bon que vous tiriez jusques à cent hommes destachez de la garnison de Belle-Isle57. » On en revient ici à un point déjà évoqué au sujet de l’avancée des troupes : l’extrême confusion des ordres donnés, sur fond de probables pertes documentaires. On peut s’interroger sur le sens exact de cette lettre de Louvois, qui paraît en contradiction tant avec les instructions communiquées par le ministre le 8 mai (faire vivre les troupes aux dépens des habitants, s’appuyer sur elles pour punir, ce à Nantes puis à Rennes58) qu’à celles transmises en aval, le 9 juin (le roi désire que les ordres reçus soient exécutés point par point59). Si Chaulnes n’a évidemment pas lu cette dernière le 9 juin, il a en revanche certainement en main celle de Le Tellier en date du 2 juin, qui lui dit explicitement de se référer aux ordres antérieurs, sans doute ceux du 8 mai60. Mais le duc fait comme si cette dernière missive n’existait pas. Mieux : il interprète les propos de Louvois en date du 28 mai dans un sens qui lui est doublement favorable : ne pas laisser d’infanterie dans Rennes, cela veut dire épargner cette ville, ce qui est son objectif, et en même temps, cela permet de mettre fin à ce qu’il perçoit alors clairement comme la cause du nouvel embrasement. Toutefois, il se doit de minimiser ce dernier car il ne peut que très difficilement présenter aux ministres un retrait des troupes sur fond d’émeute. D’où, dans les courriers qu’il prend soin d’envoyer à Colbert et à Louvois le 9 juin, une euphémisation des événements survenus la veille : « quelque clameur qui n’eut pas de suite » dit-il à l’un ; « quelque murmure qui finit bien tost, lorsque je parus », expliquet-il à l’autre. Et d’ajouter à Louvois que, certes, quelques faubourgeois ont pris les armes, mais qu’il ne s’agit que d’un « incident… de peu de consequence », d’ampleur insuffisante à lui faire renoncer à sa ferme résolution de faire partir les troupes. Soucieux néanmoins sans doute de montrer le mâle visage du zélé serviteur, Chaulnes précise à l’un qu’il faut envisager à l’avenir des quartiers d’hiver afin que cette ville s’habitue à la soldatesque, et à l’autre qu’en cas de dérapage fâcheux, il lancera sur Rennes le gros du bataillon toujours stationné à Nantes.

  • 61 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

23Concrètement, le départ des troupes pour Nantes est organisé le lundi 10 juin. Chaulnes en parle à Colbert le 12 dans des termes très neutres, si ce n’est que, toute honte bue, il ose expliquer au ministre qu’il en a retardé l’exécution en raison du début d’émotion, et qu’il ne l’a ordonné qu’une fois le calme revenu61. Or, tous les autres témoignages tendent à montrer qu’il n’en est rien. Par un glissement révélateur, ce sont les scripteurs locaux qui prennent le relais et donnent un sens politique au retrait des soldats. Morel, le moins loquace pourtant, indique bien qu’il y a un lien entre ce départ et le soulèvement de la « canaille » ; Duchemin dit en gros la même chose ; Toudoux est plus mordant : « ils furent honteusement obligez de sortir » ; Cormier, enfin, affirme clairement : « M. de Chaulnes, voyant la mutinerie du peuple et craignant une sedition generale – on notera la gradation du danger – fit defiler les trois compagnies d’infanterie entre deux compagnies de bourgeois » en direction de la sortie de la ville. Bref, les soldats de Louis XIV sont raccompagnés sous escorte bourgeoise aux portes de la ville. Indice qu’ils durent ressentir cette sortie sous protection milicienne comme une humiliation, Jonville, qui se veut le porte-parole des officiers, dit bien que les trois compagnies ont été « obligées de se retirer honteusement de cette ville ». L’épisode est en effet, à le suivre, on ne peut plus cuisant : « Les habitants furent si enflés d’avoir, à ce qu’ils disoient, chassé lesdites trois compagnies qu’ils les conduisirent presque toujours à coups de pierre jusqu’au dehors de la ville. » La thèse du départ des troupes comme une réponse conforme aux ordres du roi n’a peut-être pas encore totalement vécu, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que les Rennais n’ont pas vu dans cette mesure une décision unilatérale du gouverneur appliqué à obéir aux ordres venus d’en haut. En bon prophète du passé, le charmant Jonville glisse que « cela donna lieu à ces mutins de se rebeller davantage ». Et de fait, comme on va le voir, le duc de Chaulnes n’a pas encore bu le calice jusqu’à la lie.

Le duc de Chaulnes transformé en « gros cochon »

24Les soldats ne sont cependant pas les seuls à qui les/des Rennais en veulent puisque le responsable de leur venue, le duc de Chaulnes, est parallèlement l’objet de menaces qui sont restées célèbres, et dont la virulence est sans doute à la hauteur des espoirs qu’on a placés en lui. La découverte de l’existence de pots de vin ne fait d’ailleurs qu’aggraver la colère des habitants.

  • 62 Et avec la réserve que l’allusion peut aussi recouvrir l’ensemble de l’action du duc depuis son ac (...)

25Il est pourtant difficile de savoir si les avanies subies par le gouverneur se sont produites au moment du repli des troupes vers leur nouveau logis le 8 – ce qui se dégage à la lecture de Jonville – ou bien s’il y eut un répit et que c’est plus tard qu’une foule s’est pressée devant sa demeure, ce qui tend à ressortir à la lecture des textes de l’intéressé et de du Guémadeuc. Jonville, le plus loin des faits à tous points de vue – par la date de son écriture et parce qu’il rapporte des faits collectés à Nantes auprès des militaires – indique que Chaulnes, au moment du repli des troupes, va au devant de la « populace » massée devant le manoir épiscopal, et s’entend dire « des choses atroces et horribles ». Le commissaire des guerres ne résiste visiblement pas au plaisir d’en mentionner certaines qui ne sont pas toutes sans lien avec le physique du duc : « gros cochon, gros gueux, qu’il estoit venu s’enrichir aux despens de la province, que c’estoit un beau gouverneur de chien », entre autres choses aimables, qu’il tait, ajoutant néanmoins que Chaulnes doit alors subir « des discours fascheux » comme « le dernier des hommes ». On notera en passant que c’est ici que le volet financier de l’affaire (« s’enrichir ») affleure, sans être confirmée par d’autres sources62. Des mots, on passe aux pierres, ce qui oblige le duc à se réfugier dans son logis. Ces événements semblent avoir eu un certain retentissement puisque la marquise de Sévigné s’en fait l’écho : en octobre, évoquant les « injures » faites à Chaulnes, elle signale celle qui fut selon elle « la plus douce et la plus familière » : « gros cochon », et parle des « pierres dans sa maison et dans son jardin, et des menaces ». Mais dès le 19 juin, elle rapporte en des termes choisis les mésaventures de son ami dans une phrase qui a eu dans les siècles suivants un certain succès : « il y eut quelques petites tranchées en Bretagne ; il y eut même à Rennes une colique pierreuse. M. de Chaulnes voulut par sa présence dissiper le peuple ; il fut repoussé chez lui à coups de pierres ; il faut avouer que cela est bien insolent ». La mention a ceci d’important qu’elle montre qu’à Paris, d’où écrit la marquise, et sans attendre les persiflages de Jonville, écrits dix jours plus tard, les déboires de Chaulnes sont assez bien, et assez rapidement, connus.

  • 63 Mais rien ne dit il est vrai qu’il demeure alors à l’évêché, et, de fait, dans sa lettre du 21 jui (...)

26Selon Jonville, après cet épisode, les militaires proposent à Chaulnes d’effectuer une sortie du manoir épiscopal où il s’est retiré. Mais le duc leur enjoint, toujours d’après le commissaire, de ne pas tirer, et s’écrie : « Messieurs, ne tirez point, ne tirez point, nous sommes perdus si vous faites tirer vos soldats, il y va du service du Roy de ne rien dire presentement. » Comment mieux dire la claire conscience qu’a le gouverneur que le rapport de force n’est pas en sa faveur ? Un « mutin » s’étant un peu trop approché aurait été saisi par un capitaine mais le duc, en cohérence avec ses propos antérieurs, le fait relâcher. C’est ici, dit Jonville, que les portes de l’évêché peuvent être (enfin ?) fermées. Elles le restent, nous dit-il, durant deux ou trois jours. Doit-on croire l’anecdote qu’il rapporte également selon laquelle il faut, le lendemain, dimanche 9, faire passer par une fenêtre le prêtre venant dire la messe ? Cela suppose qu’il n’y avait pas d’ecclésiastique à l’évêché transformé en palais gouvernemental, alors qu’il semble que monseigneur du Guémadeuc était à côté du gouverneur63. L’absence de tout courrier connu de Chaulnes au départ de Rennes les 10 et 11 juin semble bien indiquer que ces deux jours-là sont pour lui les plus critiques, soit qu’il est alors trop occupé pour écrire, soit que rien ne peut sortir de sa résidence.

  • 64 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.
  • 65 Est-ce là l’origine du détail évoqué par Duchemin dont on a parlé plus haut ?

27Chaulnes, dans ses missives à Colbert, du 12, puis surtout dans celle du 15, évoque avec des nuances les mêmes événements, mais il les place, à le lire attentivement, dans la nuit du dimanche 9 au lundi 10 juin64. En fait, reconnaît-il, il y eut bien de l’agitation dans les faubourgs, la nuit du 8 au 9, mais il n’en dit guère plus. En revanche, il est beaucoup plus disert sur les événements qu’il place dans la soirée et la nuit suivantes. Le soir, dit-il, « quelque canaille » vient à son logis à deux reprises, crie, et l’oblige à descendre en personne, ce qui dissipe la foule. Plus tard, à la faveur de l’obscurité, la dite « canaille » revient et jette des pierres sur sa porte ; la garde ducale prend les armes, en même temps qu’intervient le corps de garde milicien – celui stationné à l’hôtel de ville tout proche ? –, qui se mêle à une foule qui semble, d’après Chaulnes, être surtout constituée de femmes et d’enfants de 10 à 12 ans, quelques personnes plus âgées ayant vite décampé. Voyant que les soldats du duc ont la mèche allumée65, c’est à dire prêts à faire feu, les miliciens demandent au duc de ne pas faire tirer. Cela semble indiquer qu’ils sont là pour protéger le duc, ou à tout le moins, qu’ils entendent s’interposer entre deux camps à la manière de nos casques bleus contemporains. Entendant cela, Chaulnes, considérant « que la mort d’un des bourgeois de la garde par mes soldats pouvoit soulever les autres et qu’il n’y avoit pas de gloire a tuer des femmes et des enfants », commande à ses hommes de ne pas tirer. Les « bourgeois » – entendons ici les miliciens – dispersent alors la foule – la « chasse », dit Chaulnes –, mais rien ne dit que ce fut manu militari.

  • 66 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 198.

28Trois autres témoignages sur ces événements peuvent être versés au dossier. Le premier est, chez Morel, la copie partielle de l’acte d’accusation d’un artisan de la haute ville, qui est condamné, quelques mois plus tard, pour « avoir fait emotion et effort pour entrer dans la cour du manoir episcopal, armé d’un fusil et d’une épée, et d’avoir voulu tirer son coup de fusil sur le duc de Chaulnes, jureant et blasphémant le saint nom de Dieu, etc. ». Est-ce l’homme qui a été un moment saisi par les soldats ? On ne sait. Le propos, en tout cas, tend à montrer que ce n’est plus un gamin lanceur de pierre, mais bien un milicien qui agit ainsi, comme le montre son armement. Un sentiment comparable est ressenti à la lecture de Cormier, qui écrit que le dimanche 9, face aux troubles croissants, le duc « voulut paroître pour mettre le holà ; mais en sortant de chez lui avec quantité de noblesse et ses gardes, il fut couché en joue de deux ou trois cents habitans, qui tous crient : Tue ! Tue ! et sans leurs officiers, on eut fait main basse de part et d’autre ». Si l’anecdote peut aller à l’appui d’un gouverneur interdit de déplacement dans la ville, elle confirme qu’il n’y a sans doute pas que des femmes et des enfants à lui en vouloir, mais aussi des hommes porteurs d’armes. Elle tend également à montrer que les officiers miliciens ont eux aussi joué un rôle pour éviter un dérapage fatal. Le dernier témoignage est plus problématique car il n’est pas daté, mais ne peut que se rattacher à cette période de la venue du duc : selon les religieuses hospitalières de Saint-Augustin, qui regardent tout cela depuis l’hôpital Saint-Yves, non loin de la cathédrale, Chaulnes pense être tué à plusieurs reprises « sans que Mr de la Chauvellière qui estoit fort aymé du peuple le gardoit a veue ils l’auroient assommé66 ». À nouveau, c’est un notable local, ici l’un des deux connétables, qui paraît avoir joué le rôle de médiateur et de protecteur. Il est d’ailleurs à noter que ce même Louvel, d’après Duchemin, aurait été brutalement pris à partie le 18 avril, ce qui peut conduire à penser – mais l’argument est faible en raison des incertitudes qui planent sur ces deux témoignages – que les gens massés sur le Champ-Jacquet ce jour-là n’étaient pas exactement les mêmes que ceux qui en voulaient à Chaulnes en juin, qui, eux le connaissaient.

  • 67 Qui pourrait être la tour Le Bat.

29Le fait que la foule puisse venir, y compris de nuit, jusqu’aux portes de la résidence ducale semble bien indiquer que l’espace urbain échappe totalement au gouverneur. Cormier signale ainsi que, dès le 9 juin, les faubourgeois se sont rendus « maîtres des tours et des postes les plus avantageux ». Chaulnes, dans sa lettre du 12, indique de son côté que les mutins tiennent une porte et une tour. Le 15, il précise qu’il a appris la chose dans la soirée du 9, et précise que cette tour est « la plus forte de la ville67 ». Dans cette bataille de Rennes, à ce stade d’abord bataille de position, on peut dire que Chaulnes a un temps de retard, et que, du côté de ces gens décrits par lui comme des ivrognes, se dégage une certaine intelligence tactique.

  • 68 « Autre », car le premier est, dans le texte l’homme pris par les soldats devant chez Chaulnes.
  • 69 À noter aussi que dans la liste des détenus à la conciergerie du parlement, la présence d’un certa (...)
  • 70 Arch. mun. Rennes, Toussaints, GG 31, 12 VI 1675, mort de Gasnier ; cf. infra.
  • 71 Supra, chapitre IV.

30Mais cette bataille n’est pas que de position. Avant le départ des troupes, si l’on en croit le témoignage malheureusement isolé de Jonville – renseigné sur ce point par les infortunés officiers du régiment de la Couronne – « est rendu… un autre prisonnier68 que M. le Procureur general du parlement avoit fait pendant l’emotion », soit, croit-on comprendre, l’individu arrêté dès le 18 avril69. Ce n’est pas tout, note Jonville : « [Ils] obligèrent mondit sieur le duc de Chaulnes de leur faire rendre deux autres habitans qu’on tenoit dans les prisons, lesquels avoient esté pris dans les premieres emotions de Rennes dont un boulanger en estoit un. » Ceci laisse penser qu’il s’agit du boulanger retenu depuis l’affaire du temple protestant, et qui aurait donc été libéré le 9 ou plus probablement le 10, si l’on en croit une allusion à ces événements dans le registre paroissial de Toussaints70. Est-ce avant ou après le départ des troupes ? Difficile à dire. Jonville, rapporte aussi des faits qu’il affirme tenir du lieutenant du présidial de Nantes, selon lesquels Chaulnes a aussi « fait sauver trois ou quatre des plus coupables de la sedition qui estoient blessés et malades dans l’hospital de ladite ville de la premiere emotion qui y estoit arrivée ». Sans doute s’agit-il des personnages déjà signalés, arrêtés début mai. Quant à Cormier, il place explicitement le mardi 11 ce qu’il présente comme une attaque victorieuse (« ôter de force ») de la prison par « le peuple et les bouchers et les boulangers », destinée à libérer le prisonnier du 25 avril. Duchemin confirme (au conditionnel) ce fait d’armes, mené dit-il par « des gens ramassés et autres », mais sans donner de date, si ce n’est qu’il place lui aussi ce fait après le départ des troupes. Tout ceci tend à renforcer en passant l’hypothèse selon laquelle, après l’incendie du temple, si le boulanger Simon Olivier n’a pas été libéré71, ce n’est pas tant parce que son cas sucitait l’indifférence de ses voisins, mais parce que ses amis n’étaient pas alors en mesure d’intervenir dans une ville intra muros alors sous le contrôle des autorités, ce qui n’est plus le cas désormais.

31Voilà en tout cas des faits graves, que les militaires, sans doute soucieux de justifier leur retraite piteuse, décrivent comme la conséquence d’une révolte hors norme : « il ne s’est jamais veu une sedition pareille ». Vraiment ? Que sait-on de leur expérience en la matière ? Ne faut-il pas plutôt voir une tentative de rendre explicable et acceptable une déroute de l’autorité orchestrée, selon leur point de vue, à des fins tactiques, par un gouverneur reculard car à peu près isolé ? Chaulnes évoque lui aussi ces faits le 12 juin, mais sous une forme toute différente de Jonville, tendant à l’euphémisation et à la dénonciation du parlement : « la seule chose qui s’est faite [on notera le “seule”] selon les apparences par l’intrigue du parlement avec un geollier, a esté de rendre à une trouppe de canaille armée qui vint à la porte de la prison, un boulanger qui fut pris à l’affaire du feu du presche ». Chaulnes, on le voit, se disculpe, et entame ici une offensive contre les magistrats que nous verrons se déployer plus loin, et qui pour l’heure vient surtout nous indiquer que la situation est confuse.

  • 72 Arch. mun. Rennes, BB 560, reg. délib., 2 VII 1674.

32Malheureusement pour le gouverneur, Jonville est en revanche plus précis au sujet d’autres événements que Chaulnes aurait sans doute aimé garder secrets : après le départ des troupes, les Rennais « obligèrent M. le duc de Chaulnes de leur delisvrer des armes qui estoient dans un magasin appartenant veritablement à la ville », et qui pourraient bien être les fusils reçus quelques jours plus tôt. Il ajoute, sans savoir que c’était la reprise d’une revendication exprimée l’année précédente par la municipalité72 « [qu’] ils furent sur le point de faire un detaschement des habitans de la ville pour aller reprendre des pieces d’artillerie qui estoient à Redon… lesquelles pièces ont esté tirées de ladite ville par ordre de Sa Majesté, il y a deux ou trois ans… ce qu’ils n’ont pas néanmoins mis à effet ». Maigre satisfaction que ce recul des révoltés.

33Ces événements sont lourds de sens à trois titres. Le premier est qu’ils tendent à montrer que les autorités locales, soit le parlement et la municipalité, silencieux en leur registres et absents des lettres de Chaulnes, semblent avoir disparu des sphères de décision. Voilà qui constitue un contraste saisissant avec ce qui a été observé à Bordeaux fin mars où une collaboration étroite existe entre d’Albret, le parlement et la jurade. Ici, le gouverneur donne l’impression d’être très seul, au moins jusqu’au 12 juin, jour qui verra le parlement se manifester. Le second point à relever est que l’autorité du duc de Chaulnes est réduite à peu de chose : il est encore décisionnaire, mais c’est sous la pression d’une populace qui semble surpuissante. Cependant, et c’est là le troisième point, l’affaire des canons « redonnais » tend à montrer que cette foule en colère n’est pas toute-puissante. Même dûment armés, les révoltés n’osent pas quitter leur ville. De quoi peuvent-ils avoir peur ? D’une rencontre en rase campagne avec les troupes réglées ? Peut-être, mais, plus sûrement, joue la crainte d’affaiblir la ville en la dégarnissant d’une partie de ses hommes. La peur du retour de la soldatesque peut expliquer ceci, mais également sans doute la simple peur du voisin, car en l’état, les Rennais sont loin de former un bloc homogène.

Aux armes mitoyens !

  • 73 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

34Pourtant, à première vue, la révolte contre les soldats a quelque chose d’unanime, comme le suggère monseigneur du Guémadeuc qui indique que l’arrivée des troupes « effraya et eschauffa » tant le peuple que les bourgeois73. La mobilisation née le 8 juin est plus complexe à démêler qu’il n’y paraît. Si l’entrée des troupes a été un choc, il faut souligner qu’il s’inscrit aussi dans la continuité de la mobilisation observée début mai. Duchemin note ainsi que dès le moment du face à face à l’hôtel de ville, des habitants « auraient renforcé la garde » et Jonville dit à peu près la même chose (« les bourgeois qui estoient de garde… à la maison de ville qui renforcèrent leur garde pour s’opposer aux trouppes… »). Selon ce dernier, l’arrivée des soldats provoque un double mouvement : les « bourgeois » prennent les armes pour défendre leur hôtel de ville, tandis que le « peuple » attaque à coups de pierres les trois compagnies avant qu’elles ne se replient. On a la même impression d’embrasement soudain avec du Guémadeuc, présent semble-t-il dans la ville, mais avec une nuance dans la mesure où, selon lui, « en un moment », bourgeois et peuple prennent les armes. D’après son témoignage, le motif de cette prise d’armes généralisée est la crainte que ces soldats ne soient qu’une avant-garde venue prendre le contrôle des portes de la ville afin de faire ensuite entrer le gros de la troupe « et les maltraiter ». Les Rennais auraient donc bien intégré l’idée qu’ils sont fautifs et que le roi veut les punir pour ce qu’ils ont fait ou laissé faire depuis le 18 avril.

  • 74 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

35La dimension populaire de la mobilisation est le premier trait à souligner. Elle apparaît sous la plume de Chaulnes dès le 8 juin, lorsqu’il évoque avec condescendance « soixante ou quatre-vingts fripons et yvrognes [qui] avoient pris les armes dans un fauxbourg et venoient au corps de garde des bourgeois pour leur offrir leurs services74 ». Le propos tend à montrer que des Rennais de milieux et de quartiers différents sont pareillement heurtés par cette intrusion des militaires dans les murs de leur ville. Mais avant même la prise d’armes, on remarque que les premières manifestations d’hostilité se font avec des pierres, ce qui semble indiquer une action menée soit par des enfants, soit par des gens ne relevant pas de la milice, au moins à ce moment-là. L’hypothèse d’une mobilisation sociologiquement populaire est soulignée par Morel quand il écrit que la présence des troupes provoque « une grande rumeur parmi la canaille qui ne vouloit pas les souffrir », expression qui renvoie à l’aversion atavique pour la soldatesque inconnue et fantasmée – non toujours sans raison – sous les plus noirs traits.

36Mais il y a peut-être plus. Pour tenter de comprendre les mécanismes à l’œuvre, il faut noter l’ampleur du contraste entre le succès de l’entrée des troupes dans Nantes et l’échec de la même opération à Rennes. Certes, dans cette dernière, les troupes ne sont à l’évidence pas assez nombreuses pour impressionner durablement la population. Mais la perception d’un rapport de force défavorable n’explique certainement pas tout. À Nantes, quand les troupes arrivent, la machine punitive a déjà fait son œuvre. Ce n’est pas le cas à Rennes, où l’entrée des troupes peut susciter une réelle inquiétude pour l’avenir des prisonniers. Il est clair que cette intrusion vient définitivement montrer à tous qu’il n’y aura pas d’amnistie, que Rennes ne connaîtra pas le même sort que Bordeaux. Ainsi, le rejet des soldats a-t-il été d’autant plus fort que chacun comprend bien que leur arrivée sonne comme l’annonce de futures exécutions de gens peu ou prou proches. Ceci expliquerait pourquoi l’affaire des troupes est immédiatement suivie par des entreprises visant à libérer les prisonniers. La peur qu’elles ne reviennent s’accorde d’ailleurs très bien avec l’idée que l’on a voulu libérer les détenus après le départ des troupes, à un moment où l’on ne craint rien, ou presque.

  • 75 Supra, chapitre V.
  • 76 René Pillorget, Les mouvements insurrectionnels de Provence entre 1596 et 1715, Paris, E. Pédone, (...)
  • 77 D’après un dépouillement des registres de ville pour les années 1661-1675 (Arch. mun. Rennes, BB 5 (...)

37Le peuple n’est cependant pas le seul à être hostile à la soldatesque, comme le montre le fier geste de Berthou. Il est vrai que, à part cet élément, nous n’avons guère d’indices relatifs à ce point, mais il est probable qu’il en va ici comme à Bergerac ou à Guingamp, où les bourgeois semblent avoir été effrayés à l’idée d’accueillir les troupes coûteuses, encombrantes, fauteuses de désordres jusque dans l’espace domestique. Cette inquiétude vient en outre se greffer sur l’émoi provoqué par la négation du droit jugé ancestral à l’autodéfense. Pour nombre de bourgeois il s’agit en effet probablement d’une violation des privilèges de la ville, qui elle-même fait écho aux inquiétudes sur les francs-fiefs, même si, comme on l’a dit, ce point n’est pas totalement assuré75. Sans doute le fait que l’affaire ait pour cadre l’hôtel de ville a accentué le sentiment qu’il y a là un scandale, qui rappelle les événements aixois de 1649, quand la ville s’est embrasée à la vue de soldats perchés dans ce symbole de la dignité citadine qu’est le beffroi76. Il semble donc que cette atteinte conjointe à un lieu et à un privilège ait accru encore l’indignation. En effet, alors que la plupart des chefs de famille de la ville sont exclus des assemblées municipales, la milice bourgeoise est, avec les paroisses, l’institution par excellence maintenant un lien entre les « bons habitants » de différents niveaux. Les cinquantaines peuvent être en outre un chemin de notabilisation pour des gens qui ne peuvent prétendre à l’échevinat et qui, le temps d’une entrée ou d’un feu de joie, se trouvent sur un pied d’égalité avec des gens en vue. Mieux, la constitution municipale réserve systématiquement trois places dans le corps de ville aux capitaines miliciens, et une d’elle est toujours réservée au capitaine d’un des faubourgs77. Et quand des questions touchant la défense sont à l’ordre du jour, tous les capitaines (ou un de leurs adjoints) sont invités siéger à l’hôtel de ville. On peut donc émettre l’hypothèse que chez ceux qui sont suffisamment haut placés pour que le monde du privilège citadin ne leur soit pas indifférent, et suffisamment proches du « peuple » pour se sentir solidaires des futurs victimes, les motifs de mécontentement se cumulent. Ainsi toute une petite bourgeoisie des maîtres de boutiques, d’ateliers ou d’études a pu former le cœur de la contestation.

  • 78 Gauthier Aubert, « La prise d’armes de Rennes de juin 1675 : une révolte civique ? », ABPO, 2011, (...)
  • 79 SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675. Mesure, soit dit en passant, rap (...)
  • 80 Le propos de Jonville semblent bien désigner les jours autour du 10 juin, même si lui-même place c (...)

38L’extraordinaire, en l’état, est que le départ des soldats n’a pas fait retomber la pression. En effet, dans les jours qui suivent, Toudoux note que les « compagnies » montent la garde aux portes, à la tour Le Bat et, toujours, à l’hôtel de ville. Quant à Cormier, il révèle que « le bourgeois garda les portes et toutes les avenues, et on fouilloit tous les passants, jusqu’aux fruitieres et les laitieres, pour voir s’ils ne portoient point de lettres ». À en croire ce témoignage, l’affront subi par la milice aurait ainsi conduit celle-ci, mue par un orgueil blessé, à se déployer de sa propre initiative pour affirmer son rôle, sa visibilité, sa force78. Nous serions donc bien dans le prolongement du sursaut observé un mois plus tôt, au moment de la mise en place des gardes à l’hôtel de ville, mais avec un changement d’échelle. Le témoignage tardif de Jonville tend à accréditer l’existence d’un activisme milicien qui renvoie à une véritable surchauffe civique. En effet, d’après des renseignements qu’il dit tenir du lieutenant du présidial de Nantes, le commissaire des guerres indique que les bourgeois montent la garde sans ordre de Chaulnes et qu’un système d’amende est mis en place pour ceux qui chercheraient à s’en dispenser79. Basé sur la dénonciation de voisinage, le système prévoie des paiements qui ne sont pas ridicules, allant jusqu’à 18 livres, et alimentant une caisse commune80.

  • 81 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

39Mais il ne s’agit pas ici que de parader, comme le suggère Cormier quand il évoque des fouilles. Au-delà en effet, ce qui se joue est une mise en défense de la ville due à la peur que les soldats ne reviennent. Suivons ici Chaulnes, dont les courriers permettent de reconstituer une chronologie. Le départ des militaires, explique-t-il, est suivi d’un « grand calme », puis dans la soirée du 10 d’une remobilisation principalement faubourgeoise née de la rumeur selon laquelle l’armée reviendrait81. Dans le même courrier, il expose que la journée du 11 présente le même schéma, c’est-à-dire une tendance au calme suivie d’une reprise progressive de l’agitation : « comme l’après disné tout le monde est yvre, une femme cria Aux armes ! et qui dit que l’on voyoit des trouppes, les fit reprendre facillement aux faubourgs ». Mais c’est une fausse alerte, une petite « grande peur » locale en somme. Toujours dans la même lettre, Chaulnes indique que le 12, à l’heure où il écrit, tout est calme. Dans les jours qui suivent, la tension semble décroître, mais les/des Rennais restent mobilisés dans l’attente des soldats, et le restent jusqu’au 20 juin, date de la démobilisation des dernières gardes dans les faubourgs. Ainsi comprend-on bien que la mobilisation est sous tendue par l’idée que les troupes vont revenir, inquiétude qui peut être partagée par tous, les uns défendant leurs privilèges, les autres leurs camarades, et certains les deux.

Rennes contre Rennes

40Si un premier niveau de lecture des sources privilégie l’idée que le duc de Chaulnes a dû lutter seul ou presque contre une grande partie de la ville mobilisée suite à l’arrivée des soldats, un examen attentif du dossier permet de dégager des lignes de fracture internes, même s’il est difficile de toujours bien percevoir ce qui relève des discours et ce qu’il en est des actes.

  • 82 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.
  • 83 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
  • 84 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

41Sous la plume de Morel, représentant des élites secondes de la cité, les choses sont des plus simples puisque l’émotion est le fait de la « canaille ». Quant à Chaulnes, il s’en tient, au moins dans un premier temps, à un soulèvement qui ne concerne pas toute la ville, loin de là. Dans sa lettre adressée le 9 juin à Louvois, il évoque la venue à l’hôtel de ville de quelques faubourgeois en armes, mais il ne voit là qu’une maigre escouade de quelques dizaines d’hommes82. Par la suite, le duc change sa présentation des mêmes événements. Le 12, il indique que « tous les fauxbourgs [ont] pris les armes avec beaucoup d’insolence, et qu’ils sont bien plus grands que la ville, et remplis de canaille83 ». Dès cette date, il envisage d’ailleurs comme remède suprême aux troubles rennais de « ruiner entiérement les fauxbourgs de cette ville », reconnaissant qu’il « est un peu violent, mais c’est, dans mon sens, le seul84 ». Comment mieux dire que, pour le gouverneur, à cette date, la populace est la cause de tout ?

  • 85 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 86 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 87 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.
  • 88 Supra, chapitre IV.

42Puis le 15, c’est-à-dire après le gros de la tempête, il précise que dès le matin du 9 il a appris que « l’on prenoit les armes dans tous les faubourgs », notant toutefois que « cette emotion… parut presque generalle85 ». Mais globalement, Chaulnes tend, au moins dans un premier temps, à rejeter la responsabilité des troubles sur les seuls faubourgeois. Il souligne ainsi que la prise d’arme rennaise est en réalité double : face à l’embrasement intempestif de la canaille, il affirme avoir mobilisé dès le 9 les compagnies de la ville proprement dite. Chaulnes – comme Morel – reste donc fidèle à la grille de lecture née au soir du 18 avril qui consiste à présenter Rennes comme soumise au roi et encerclée par des canailles tapies dans les faubourgs qui ne sont pas la vraie ville. En vertu de cette lecture, Chaulnes peut alors enfin avouer aux ministres, comme pour donner plus de force à son analyse, que les gardes qu’il a mises en place en mai ne sont effectuées que par la partie de la ville jugée sûre, soit la haute ville. Il y a d’ailleurs fort à parier que s’il a mobilisé en juin des compagnies, c’est plutôt ces dernières, et même elles seules. Cet aveu qu’une partie de l’espace urbain et, pire, que son expression milicienne, lui échappe n’est donc exprimé que le 16 juin86. Quant à la phrase souvent citée affirmant que « toute » la ville est « complice » de cette émotion, phrase qui marquera une nouvelle étape dans l’analyse qu’il livre au roi, elle ne date que du 30 juin87. À la mi-juin, on n’en est pas là, ou, à tout le moins, à une telle interprétation : pour le gouverneur, il importe – à ce moment qui correspond à la phase ascendante de ce nouveau cycle émeutier –, de présenter Rennes sous un jour favorable, et de se mettre en scène comme contrôlant la situation. Le message est encore que les troubles ne sont le fait que de marginaux à la cité, et que tous les « bons » habitants bien intégrés sont derrière le duc, et donc derrière le roi. Au fond, cette présentation est en parfaite cohérence avec une politique que l’on a vue à l’œuvre dès le mois de mai et qui fait de Chaulnes le protecteur des Rennais. Elle implique aussi, pour Chaulnes, de considérer que la compagnie de la rue Saint-Georges qui a refusé de céder la place à l’hôtel de ville le 8 juin – de même sans doute que les autres compagnies s’y relayant et qui toutes émanent de la haute ville88 – n’est pas considérée comme rebelle, comme s’il reconnaissait au fond que ce refus avait sa légitimité. Mais avait-il le choix ?

  • 89 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675. L’emploi du mot « mousquetaire » (...)
  • 90 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
  • 91 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 92 BNF, MC 171 bis, fol. 434, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 93 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

43On comprend mieux la confiance du duc dans les bourgeois de la haute ville en remarquant que dès le 8 juin, d’après Chaulnes lui-même, l’officier milicien en poste à l’hôtel de ville, après avoir refusé de céder la place aux militaires, refuse aussi fermement l’aide proposée par les faubourgeois accourus à la rescousse : « il avoit envoyé 10 mousquetaires à cette canaille… pour luy dire que si elle avançoit, ils la chargeroient89 ». Ainsi les gens de la très notabiliaire rue Saint-Georges auraient été également soucieux de se démarquer de ces renforts populaires que des soldats du roi. Il est possible que cet incident ait convaincu Chaulnes de pouvoir s’appuyer sur la milice, qu’il dit avoir mobilisée afin de contrer la « canaille ». Le calcul s’avère d’ailleurs payant. Le 12 juin, le duc indique que les compagnies appelées par lui le 9 parviennent à déloger les mutins de la porte et de la tour qu’ils occupent, sans qu’il soit possible de dire dans quelles circonstances cela a été réalisé et, en particulier, si cela occasionna un engagement physique, ou fut le fruit d’une négociation et d’un arrangement90. D’après le duc, c’est suite à cette opération, qui lui donne un peu d’air, qu’il décide de faire partir les troupes, mais il y a là peut-être un peu de reconstruction91. Puis, Chaulnes indique dans la même lettre que, suite à la remobilisation née le 10 de la rumeur d’un retour des troupes, il s’emploie « à separer la ville d’avec les faubourgs », ce qui pourrait correspondre à des fermetures de portes, impliquant dans ce cas des gardes. Il précise ensuite que la nouvelle émotion du 11, née de causes comparables, ne suscite une prise d’armes que dans l’extra muros, comme si la possible manœuvre de la veille avait eu des effets. Dans les lignes qui suivent, il explique qu’il estime bien tenir ceux qu’il appelle les « bons bourgeois », tout en doutant cependant de leur capacité à intervenir militairement contre les faubourgs. Chaulnes revient sur ces questions dans sa lettre du 15, dans laquelle il écrit que l’un des problèmes qui se posent à lui est que les faubourgs constituent une masse supérieure à la ville proprement dite92. Malgré ces obstacles, Chaulnes déclare être parvenu à « faire prendre les armes » aux « bons bourgeois » « contre les fauxbourgs », parvenant, explique-t-il, à faire comprendre aux premiers que leur intérêt est dans le service du roi. Le 16 juin, craignant toujours que les troupes ne reviennent, des gardes non officielles sont, d’après Chaulnes, toujours organisées par les faubourgeois sur le côté extérieur des portes, tandis que de l’autre coté, des gardes officielles, ordonnées par lui, doublent le dispositif93. Ce double rideau défensif en prévision du retour des soldats a quelque chose qui relève du siège.

  • 94 Arch. mun. Rennes, Toussaints, GG 31.
  • 95 Les recherches pour tenter d’en savoir plus sur ce personnage n’ont abouti à rien.
  • 96 Arch. mun. Rennes, 11 Z 4 ; registres paroissiaux : St-Aubin, GG 9, 4 X 1667, 15 XII 1673, 11 XII (...)
  • 97 On trouve ainsi, parmi ceux de ses enfants nés avant 1676 quatre marchands de drap et soie, deux m (...)
  • 98 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 83.

44D’autres éléments tendent en effet à montrer qu’une partie des bourgeois en armes ne sont pas des ennemis du duc. Ainsi, on l’a vu, c’est l’intervention de miliciens qui a été décisive lorsque les émeutiers et les militaires se font face devant la résidence du gouverneur et lorsque celui-ci veut en sortir. Surtout, l’affaire de la libération des prisonniers est l’occasion de combats entre Rennais. En fait, ce fut une défaite militaire pour le camp de l’autorité, qui explique peut-être l’analyse du duc quant à l’infériorité des forces dont il peut espérer disposer. Mais l’affaire confirme aussi qu’il a des soutiens. C’est Duchemin qui nous met sur cette piste : au moment de la libération du boulanger, dit-il, « un nommé Robert Gasnier, de la Madeleine, aurait été tiré d’un coup de fusil dans le corps par Bossart, marchand au Champ Jacquet ». L’affaire est confirmée en partie par les registres de la paroisse de Toussaints : « Robert Gasnier blessé d’un coup de fusil dans le ventre aux environs de la prison fut confessé par un de messieurs les pretres de Saint Aubin et depuis communié par noble et discret missire Jan Le Gal pretre recteur de Saint Germain […] le 10e juin 1675, fut ensuitte apporté en sa demeurance proche la rue de la Magdelainne ou ayant reçu l’extreme onction l’onzieme dudit mois mourut le meme jour et fut inhumé devant l’autel du Saint Esprit le 12e94. » Ainsi la victime est-elle un voisin du boulanger Simon Olivier, un faubourgeois, sans profession connue95. En face, le tireur, si l’on suit Duchemin, seul à nous livrer un nom, serait donc, en le pistant dans les archives locales, le type même du bourgeois bien intégré96. Marié en 1669, reçu membre de la confrérie des marchands merciers l’année suivante, il est marchand de draps et soie et le réseau familial que dessine les parents spirituels de ses enfants montre qu’il participe de ces élites secondes de la cité97. Pour compléter ce portrait, ajoutons qu’il est propriétaire de plusieurs biens immobiliers, certes relativement modestes, mais qui, symboliquement, se trouvent sur cet emblématique Champ-Jacquet, près de la prévôté et à côté de la chapelle Saint-James, siège de la vénérable confrérie des merciers98. Et c’est visiblement, sur cette place dominée par l’antique beffroi, qu’il demeure. Ajoutons enfin que, en 1680, il est dit « general et d’armes », soit titulaire d’un petit office de sergent. On aimerait savoir si, déjà en 1675, il occupe – en plus de son activité marchande – cet emploi qui le place déjà un peu dans le camp de l’autorité royale. Reste qu’entre Gasnier et Bossart, de manière criante, se dessinent deux mondes. À travers eux, c’est un fossé creusé par l’état et la profession et que les traces archivistiques, profuses pour l’un, indigentes pour l’autre, entérinent, fonctionnant comme des révélateurs grossissants des oppositions sociales qui se dégagent au sein de la ville.

  • 99 D’après Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 389, 15 III 1676.
  • 100 BNF, Mélanges Colbert 164, fol. 414, lettre de Bossart à Colbert, 10 VI 1673.
  • 101 William Beik, Urban protest in seventeenth century: the culture of retribution, Cambridge, Cambrid (...)
  • 102 Avril des Plantes, Gardin et Bossart du Clos sont capitaines. Cotton de la Fuye l’a été.

45D’autres indices vont dans le sens d’une division interne à la société urbaine. Cormier évoque ainsi le fait que le peuple, rue Haute en tête – c’est-à-dire le grand faubourg populeux du nord – « vouloit qu’on assommât et qu’on mit le feu chez les sieurs procureurs du Roy, du Clos Bossart, Ferret, La Fuie Cotton, Gardin, des Plantes et quelques autres qu’ils croyoient qu’ils les trahissoient ». On retrouve ici les noms de personnages déjà menacés le 18 avril : Cotton de la Fuye, Avril des Plantes, Ferret. À cette liste s’ajoute le banquier Gardin, le procureur du roi au présidial Aulnette99 ainsi que Bossart du Clos, ancien avocat du roi au même siège, ancien procureur syndic de la ville, capitaine de milice et que l’on sait être proche du duc de Chaulnes100. Cette notion de trahison renvoie à la « culture des représailles » que William Beik a dégagée comme caractéristique des émeutes populaires, et ceci doit être mis au crédit d’une interprétation sociale de la révolte101. Celle-ci est aussi accréditée par le fait que Cormier insiste sur une menace qui vient, pour ces notables, du plus emblématique des faubourgs de la ville. Evidence de la lutte des classes ou poids des représentations sociales de l’espace ? À moins que ce ne soit les deux. La mention de Cormier a en tout cas ceci d’intéressant qu’elle pointe un milieu de dominants associant puissances de l’argent et pouvoir judiciaire et milicien102. Ce monde aux contours flous aurait été identifié par les insurgés comme le soutien de Chaulnes, dans un contexte où se mêlent inquiétudes sur le front judiciaire et mécontentement sur le front fiscal. Il faut rester prudent puisque nous n’avons qu’un seul et unique témoignage, émanant de surcroît d’un individu relevant de la sphère dirigeante et dont on a déjà vu qu’il est particulièrement sensible aux menaces planant sur les gens de son milieu. Or, comme le 18 avril, ces menaces ont beau être crédibles, elles ne relèvent peut-être que de la rumeur, que de l’expression d’une angoisse, et on remarquera d’ailleurs qu’aucun de ces personnages cités n’a vu sa maison brûler.

  • 103 Sur ces personnages : supra, chapitre III.
  • 104 Ils sont cousins germains et suffisamment proches pour que Gardin soit le parrain d’un fils d’Avri (...)

46En revanche, à y regarder de près, on peut dégager d’autres éléments permettant de creuser cette piste de la perception de la « trahison » d’au moins une partie des élites, à partir des remous qui agitent, dans les jours qui suivent le départ des troupes, certaines compagnies de la milice bourgeoise. Cormier raconte ainsi que l’affaire de l’exfiltration des troupes n’a pas été sans conséquence, car les deux capitaines de la milice qui ont été chargés d’escorter avec leur compagnie les soldats repartant vers Nantes doivent subir l’ire de leurs propres hommes : « tous les bourgeois de leurs compagnies les voulurent assommer et declarèrent qu’ils n’entreroient point au corps de garde qu’on ne leur donna d’autres capitaines ». Alors que les militaires vécurent comme une humiliation d’avoir été reconduits aux frontières de la ville sous escorte bourgeoise, les miliciens commis pour le faire semblent avoir eux souffert qu’on puisse penser qu’ils protégeaient des soldats honnis. Et Cormier poursuit en indiquant que Chaulnes doit s’incliner et « déposséder » en conséquence les deux capitaines en question, soit le banquier Gardin – capitaine du Puy du Mesnil – et le notable Avril des Plantes – capitaine du Champ-Jacquet –, deux personnages qui se trouvent sur la liste des gens menacés par ailleurs103, et qui sont apparentés entre eux104.

  • 105 Yves Breton, op. cit., p. 18.
  • 106 Arch. mun. Rennes, CC 74.
  • 107 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 11, 15 II 1649; Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 184, 22 VIII 166 (...)

47Morel donne de ces événements une version différente, quoique allant dans le même sens. Selon lui, le 12 juin, les habitants de la cinquantaine du Champ-Jacquet et de la rue aux Foulons « rebutèrent » leur capitaine, Avril des Plantes, mais aussi « le menacerent et ne voulurent desormais etre conduits par luy », parce qu’il aurait tué plusieurs personnes « lors de la rumeur tumultueuse et rupture des bureaux situés au Champ Jacquet », soit certainement le 18 avril. Un doute cependant subsiste puisque Morel dit que ses hommes lui en veulent pour les gens tués « les jours précédents », ce qui pourrait renvoyer à l’affaire des combats autour de la prison, si Morel n’indiquait pas le pillage des bureaux. Mais il est très possible que l’affaire des combats autour de la prison soit venue raviver le souvenir mal vécu par certains des événements d’avril. « Pareille choze… arriva » aussi, ajoute Morel, dont la plume commence à se délier, au capitaine de la rue de la Cordonnerie, Chevrier, qui, outre le fait qu’il est le beau-frère de Gardin105, n’est pas le premier venu. Ce marchand important, dont le nom apparaît ponctuellement dans les archives des finances municipales106, est aussi échevin. Un de ses fils a eu pour parrain (il y a bien longtemps il est vrai), Sébastien de Rosmadec – sans doute notre Molac – et sa fille a épousé, dix ans plus tôt, Louis de la Bouexière, sénéchal de Carhaix107.

48On est évidemment gêné par l’imparfait recouvrement des informations selon qu’elles émanent de Cormier ou de Morel, d’autant que les registres de la ville ne font évidemment aucunement mention à ces sauvages changements de capitaines, mais quelques enseignements peuvent être retirés. Le premier est que les compagnies qui connaissent ces perturbations occupent des lieux stratégiques. Les cinquantaines du Puy du Mesnil et du Champ-Jacquet ont dans leur district les principaux bureaux des nouvelles taxes. La seconde est également proche du parlement, donc de la prison, qu’elle a contribué à défendre, puisque Bossart en est sans doute membre. Quant à la compagnie de la Cordonnerie, elle a sur son territoire le manoir épiscopal. Il est donc probable, que ces compagnies aient été soumises à une très forte pression, qui a occasionné des tensions et pour finir des divisions. De plus, leur profil d’hommes au moins proches du monde de l’argent de leurs capitaines a pu accroître la suspicion à leur endroit. Enfin, mais l’argument ne saurait être décisif, on remarque que Gardin et Chevrier, mais aussi Cotton, font partie des officiers ayant encadré le détachement rennais parti l’été précédent défendre les côtes à l’occasion du débarquement hollandais à Belle-Île. Il est difficile de dire dans quelle mesure le souvenir de cette expédition a pu peser, d’autant que les trois autres capitaines alors désignés ne semblent pas avoir été inquiétés. Aussi, peut-on tout juste estimer que les trois officiers déchus sont sans doute réputés à la fois de confiance et efficaces par Chaulnes, maître d’œuvre de cette mise en défense de la Bretagne, et que ceci nuisait à leur relation avec leurs hommes qui étaient aussi leurs voisins et leurs concitoyens. Ceci conduit à souligner combien ces destitutions sont lourdes de sens, étant en réalité des mesures d’ostracisme.

  • 108 La cartographie sociale établie pour 1629 par Alain Croix est encore valable dans les décennies su (...)
  • 109 Arch. mun. Rennes, CC 74.
  • 110 Arch. mun. Rennes, St-Aubin, GG 10, 27 I 1642; GG 21, 1 I 1643, 21 VIII 1644, 12 VI 1645, 9 XII 16 (...)
  • 111 Arch. mun. Rennes, BB 550, reg. délib. 21 VIII 1664.
  • 112 Arch. mun. Rennes, BB 548 et 558, reg. délib., 17 VII 1662 et 2 VI 1674.
  • 113 On ne sait si Bazin comptait parmi les cadres de sa compagnie, mais on peut néanmoins le supposer.

49Les destitutions de ces notables locaux sont également instructives quant à la situation de la cité dans la mesure où elles frappent des compagnies de la ville haute, c’est-à-dire des quartiers réputés fidèles au camp de l’autorité, si l’on suit Chaulnes, qui écrit semble-t-il à peu près au même moment. Dès le 8 juin, le refus des miliciens de la rue Saint-Georges a montré que les gens de la ville haute ne sont pas forcément soumis aux ordres du duc. Ainsi se dégage un paysage plus complexe que le duc ne le laisse supposer, ne serait-ce que parce que ces cinquantaines sont peuplées de gens très différents108. C’est ce qui apparaît avec le geste d’éclat déjà évoqué de Pierre Trehol, rapporté par Morel : ce milicien, qui sera accusé d’avoir voulu tuer Chaulnes dans la cour du manoir épiscopal, est un marchand fripier – Duchemin le dit aussi tailleur – de la rue Tristin (Trichetin), en plein dans la haute ville. Cet homme modeste, qu’on a bien de la peine à identifier dans les archives locales, serait un rebelle, tandis que les capitaines déchus pour trahison sont des notables, mais tous vivent au nord de la Vilaine. Cependant, il faut se garder d’une interprétation qui conduit à estimer que les lignes de fractures qui se dessinent sont purement sociales, et que les officiers destitués l’ont été en raison de leur notabilité. À suivre Morel, en effet, les hommes qui les remplacent n’ont pas des profils très différents. Ainsi rue de la Cordonnerie, Chevrier a pour successeur Bazin de la Bintinaye, procureur au parlement, receveur du chapitre et que l’on a vu devant une « grande affluence de peuple » enchérir en 1674 lors de l’adjudication du bail des devoirs municipaux109. Quant à celui qui aurait été désigné pour succéder à Chevrier, Loaisel de la Grabotière, il est avocat et receveur municipal110, et a été associé à Avril lors de la vente des emplacements du haut du Champ-Jacquet111. Il est par ailleurs l’enseigne de la compagnie, après y avoir été sergent112. Comme dans le cas de la Cordonnerie, le changement de capitaine à la tête du Champ-Jacquet ne signifie pas rupture sociologique, et, en plus, elle ne signifie pas forcement de rupture absolue dans le commandement113.

  • 114 Supra, chapitre IV. Morel affirme en effet que les officiers de la basse ville furent contraints e (...)
  • 115 Cf. tableau 10, supra chapitre IV.

50Est-ce à dire que, dans les autres cinquantaines, l’unanimité règne ? Rien, en réalité, n’est moins sûr, comme le suggère monseigneur du Guémadeuc qui indique que « tous les bourgeois tant de la ville que des fauxbourgs avoient esté contraints de se mettre » à la tête de cette « populace esmeue », à l’image de ce que Morel a rapporté pour la basse ville en mai114. De fait, même dans les quartiers plus populaires, les officiers peuvent être des bourgeois115. Mais l’allusion vaut aussi pour les rues centrales, et pourrait aussi expliquer ce qui a pu conduire aux destitutions évoquées plus haut : Avril, Chevrier et Gardin ont peut-être payé pour avoir, à un moment ou un autre, refusé de prendre la tête de leur compagnie, ou rechigné à le faire, à l’heure où leurs concitoyens se mobilisaient contre l’armée. On peut supposer que ces attitudes renvoient à un mélange (dont le dosage précis nous échappe) d’attachement au principe d’autorité hiérarchique et de conscience que leur intérêt implique de rester dans la fidélité au duc. Et qui sait si, dans ces moments-là, les/des officiers n’ont pas accepté de prendre la tête de leurs concitoyens pour maintenir l’unité communautaire, en vertu d’une culture politique qui voit dans la division une œuvre maligne, et en se disant aussi peut-être, plus pragmatiquement, qu’il vaut mieux en être pour tenter de garder une influence sur le cours des événements. Avec parfois des résultats non négligeables, comme on l’a vu lors du siège de la résidence ducale ou la reprise des portes et des tours. Comme les ecclésiastiques obligés de marcher à la tête des insurgés à Briec, des élites locales pouvaient se trouver poussées à agir dans un sens qu’elles ne souhaitaient pas, et ce au nom d’un mélange de peur et de désir de défendre un bien commun tel que leurs inférieurs hiérarchiques et en partie sociaux l’entendent.

51Concernant les compagnies miliciennes, plusieurs configurations paraissent donc avoir existé, entre celles qui, bon an mal an, parviennent à garder une unité, et celles, moins nombreuses, qui explosent. Mais il est fort possible que les compagnies qui ont su rester unies n’y sont parvenues que moyennant l’acceptation contrainte par leurs cadres d’une mobilisation civique qui, vu des fenêtres du manoir épiscopal, était d’abord une désobéissance. Mais celle-ci était il est vrai encore pardonnable, à condition de ne pas aller plus loin.

Ambiguités nobiliaires

  • 116 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
  • 117 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 118 Supra, chapitres III et IV.
  • 119 Supra, chapitre IV.
  • 120 Nous-mêmes supra chapitre I.
  • 121 Tout gentilhomme de plus 25 ans a droit d’entrée aux états. Plus de 240 ont assisté à ceux de Vitr (...)

52Un aperçu de la difficulté que représente une lecture purement sociologique de la mobilisation apparaît quand on essaie de voir qu’elle fut l’attitude de la noblesse. À première vue, celle-ci paraît de nouveau derrière le duc. Cormier, sans dire s’il est cette fois de l’opération, rapporte que lorsqu’il veut sortir de son hôtel, Chaulnes a avec lui de nombreux nobles. De son côté, du Guémadeuc rapporte que face à l’une des initiatives des insurgés, Chaulnes envisage une action avec « tout ce qu’il y avoit ici de noblesse », ce que celui-ci semble confirmer, en indiquant que le 12 juin au matin, il a « assemblé… toute la noblesse116 ». Mais les choses sont-elles si simples ? Le 15, rapportant les mêmes événements, Chaulnes indique qu’il n’a avec lui au pire moment, le 9, que cinquante gentilshommes à ses côtés et que quand il assemble les nobles le 12 pour les mobiliser à aller à sa suite au parlement, ils « n’oserent venir117 ». Que penser ? Il y a sans doute derrière cela des logiques d’écriture. Cormier, au sujet de l’engagement de la noblesse les 18 et 25 avril, a déjà donné des estimations hautes118. Partie prenante d’un milieu dans lequel il tâche de s’agréger, peut-être est-il enclin à majorer l’implication et le rôle de la noblesse. Quant à Chaulnes, s’il tend à minimiser le nombre de gens qui l’assistent, c’est sans doute pour insister sur ses mérites, comme l’a fait avant lui Coëtlogon-fils dans son récit de la journée du 18 avril. Quant à du Guémadeuc, son courrier tend certes à la célébration des mérites du duc, mais sans qu’on sente un désir d’accabler les notables locaux. Ainsi, tout bien pesé, une interprétation plausible pourrait être que le duc a effectivement réussi à assembler la noblesse mais que seule une partie de celle-ci a ensuite accepté de le suivre. Cette attitude pourrait s’inscrire dans le prolongement de ce qui s’est passé en mai, quand la noblesse locale avait, d’après Cormier, manifesté du dépit au moment de l’annonce par Chaulnes que le pouvoir ne faiblirait pas sur le front fiscal119. Ainsi, à une époque qui voit encore les levées de ban et d’arrière ban sur lesquelles les historiens ont pris l’habitude de se gausser120, la noblesse locale reste considérée, comme au 18 avril, comme un élément du dispositif du maintien de l’ordre, sans doute d’autant plus important dans le cas présent que l’armée s’en est allée. Mais pour autant, cette noblesse ayant peut-être gardé le souvenir des états de 1673121, a pu aussi manifester une certaine indépendance. Lutter contre les désordres oui, mais pour les édits et autres taxes, peut-être pas. Il est possible que Cormier ait été dans une telle situation : alors qu’il a participé au combat du 18 avril, il est celui qui a rapporté la désaffection du second ordre en mai et il ne semble pas avoir été de cette assemblée de noblesse du 12 juin. Faut-il voir là l’indice que lui-même a pris ses distances vis à vis du gouverneur ?

  • 122 Supra chapitre II.
  • 123 Gauthier Aubert, « Une capitale provinciale au miroir de ses riches : Rennes dans les années 1620, (...)
  • 124 Son fils sera parlementaire.

53L’évocation du cas Cormier conduit à insister sur la difficulté qu’il y a à définir la noblesse. Les nobles dont il est ici question sont-ils des hobereaux, de ces capitaines en retraite venus du plat-pays reprendre un peu de service, comparables à ceux que l’on voit affluer à Bordeaux début avril122 ? On ne peut l’exclure, mais il est possible, si ce n’est probable, que d’autres relèvent du milieu parlementaire, dans cette ville dont la tête sociale est chaque jour qui passe un peu plus composée de gentilshommes magistrats123. C’est Cormier qui nous met sur cette piste, lui qui, s’il n’est pas parlementaire, n’en est pas moins fils de l’ancien alloué, et revendique dans ses écrits d’être noble124. Peut-être, à l’instar de ce personnage, les nobles de la ville sur lesquels Chaulnes espérait compter pouvaient-ils être des jeunes gens attendant un office, ce qui ferait d’eux des satellites du parlement dont le rôle dans l’affaire est difficile à saisir, nous y reviendrons.

  • 125 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IV 1675.
  • 126 Annales des religieuses de Saint-Agustin, livre I, p. 214.
  • 127 Tables de l’association Parchemin, paroisse St-Pierre-en-St-Georges, années 1658 et 1666.
  • 128 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 14, 25 XI 1653.
  • 129 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 12, 30 IX 1655; GG 13, 12 III 1659, 2 IX 1660, 22 V 1664, 17 VII (...)
  • 130 Et qu’il aurait été d’autant plus désireux d’affirmer que son statut de robin nuisait à la visibil (...)

54Par ailleurs, il importe de souligner que les limites de la noblesse locale sont d’autant plus difficiles à cerner que l’on trouve des gentilshommes parmi les représentants de la « petite robe ». La figure emblématique en est René Berthou de Kerouriou, l’homme de la résistance à l’entrée des troupes à l’hôtel de ville, qui est à la fois procureur au parlement et « ecuyer », et siégeant même dans l’ordre de la noblesse aux assemblées de ville125. Les indices que l’on peut glaner à son sujet dans les registres paroissiaux montrent un individu parfaitement intégré à la bonne robe locale, celle qui évolue juste en dessous des sommets parlementaires sans être ignorée de ceux-ci. Pour les sœurs augustines qui, dans les mêmes années accueillent dans leur maison une de ses filles, les Berthou sont « une de ces grosses familles de Rennes126 ». De fait, Rabeau, le père d’un filleul et neveu de l’homme du 8 juin, est non seulement avocat, mais aussi maître des requêtes d’Anne d’Autriche – gouvernante de Bretagne – ; un autre filleul de Berthou est quant à lui le fils de René de la Monneraye ancien procureur syndic qui est aussi substitut du procureur général127. Autre exemple, le jour de son mariage, sont en particulier présents un conseiller au parlement, le procureur du roi et le juge criminel128. La liste des parents spirituels de ses enfants le montre immergé dans ce monde qui oscille entre petite robe et offices moyens, entre noblesse et bourgeoisie129. Berthou a-t-il, face aux fantassins venus le relever à l’hôtel de ville, réagi en bourgeois fier de défendre sa cité, en gentilhomme porté par une éthique de l’honneur renvoyant vers une identité nobiliaire valorisant l’engagement armé130, ou en robin soucieux de s’opposer à l’État de finances que les troupes viennent protéger ? À moins que ce ne soit les trois raisons. Ce cas illustre que si une petite partie de la noblesse a pu se trouver derrière Chaulnes, une autre a pu se trouver face à lui, au moins à certains moments, tant il est vrai que les lignes semblent mouvantes en fonction des enjeux du moment et de leur appréciation par les acteurs. En effet, on remarquera que le même Berthou qui a fièrement fait face à l’armée du roi, a aussi refusé l’aide des faubourgeois en armes.

  • 131 Arch. mun. Rennes, St-Jean, GG 5, 21 I 1674.
  • 132 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2958, fol. 66.
  • 133 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 11, 18 X 1647.

55On peut, en regard, évoquer le cas du connétable Louvel de la Chauvelière, qui aurait été un des sauveurs de Chaulnes, après avoir été un des acteurs malheureux de la journée du 18 avril. Il aurait aussi, le 8 juin, selon Duchemin demandé à Berthou de laisser la place aux soldats. Bref, voilà un homme dont on peut dire qu’il n’a pas faibli dans son dévouement au service du roi. Sans doute joue pour le comprendre cette place de connétable qu’il occupe depuis 1670, qui fait de lui un des assistants du gouverneur de la ville et de son lieutenant, le vicomte de Mejusseaume, un Coëtlogon, présent à son mariage l’année précédente131. Mais l’image du petit noble en phase d’intégration à l’État royal et qui siège dans l’assemblée provinciale132 ne doit pas occulter aussi que l’homme qui se dit « écuyer » et seigneur est aussi un homo novus dans le second ordre. Le jour de son baptême, son père, honorable avocat, issu d’une famille qui a donné deux procureurs syndics à la ville au début du siècle, n’est pas qualifié d’écuyer, mais de « noble homme133 ». L’espoir de monter plus haut cohabitant avec les logiques institutionnelles, Louvel se retrouve assez logiquement aux côtés de Chaulnes.

56À travers l’exemple de la noblesse, plus documenté que ne l’est le dossier de la participation de l’artisanat, on perçoit que ce qui s’est joué à Rennes entre le 8 et le 12 juin est fort complexe à démêler. Sans doute faut-il aller au delà de la lecture proposée à ce moment-là par Chaulnes qui privilégie la géographie comme clef explicative des divisions. Car il ne s’agit plus, comme au soir du 18 avril, d’opposer bons habitants de l’intra muros et canailles sans aveux des faubourgs, ni même, comme après le 25 avril, de prétendre que la haute ville tient encore bon. Cette grille de lecture, qui se connecte à des considérations sociales et morales – les insurgés sont des faubourgeois populaires et ivrognes – ne tient pas, ou pas totalement. Elle ne tient pas parce que, dans le cœur de la ville haute vivent des gens comme Berthou ou Tréhol qui, quoique sociologiquement très éloignés, savent manifester leur hostilité au duc de Chaulnes, dans des genres différents on en conviendra.

De l’évidente révolte anti-soldat à la problématique révolte antifiscale

  • 134 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 135 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

57Reste un élément à considérer, et non des moindres, qui vient ajouter à la complexité d’un paysage, et apporter a priori un autre élément de cohésion urbaine. Le 15 juin, alors que l’agitation perdure malgré le départ des troupes, Chaulnes confie à Colbert qu’à côté de « la crainte » des troupes, il y a, dit-il, la « repugnance des eedits », qui est selon lui partagée par tous134. Voilà qui vient poser une question à laquelle renvoie également l’affaire de la destitution d’Avril, celle-ci étant liée, d’après Morel, à son attitude lors de l’émeute antifiscale du 18 avril. Question, à vrai dire, d’autant plus délicate que, trois jours plus tôt, Chaulnes ne lisait pas du tout les événements comme antifiscaux : « il ne s’agit plus de bureau, écrit-il en effet à Louvois, mais seulement du séjour des troupes, dans une ville qui n’en a jamais veu135 ».

58C’est progressivement que Chaulnes s’est convaincu que la mobilisation de la ville n’est pas principalement orientée contre les soldats, mais contre les impôts. Constatant que celui qui est le plus contesté est le papier timbré, il finit par estimer que le vrai responsable du soulèvement est le parlement. C’est alors qu’il avance un argument qui se veut décisif et que nombre d’historiens se sont plus à reprendre : si la révolte avait été populaire, c’est le monopole du tabac qui aurait été la cible première, et non, comme il le soutient, le papier timbré. Bref, le peuple dans l’affaire a été manipulé par le parlement, hostile au papier timbré, et donc vrai responsable de tout. Et face à cette puissante cour de justice et ses multiples soutiens dans la basoche, sans force et presque seul, le duc est parvenu à ramener cette ville dans l’obéissance. Voilà, à grands traits, la thèse du duc de Chaulnes.

  • 136 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.
  • 137 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Chaulnes, 21 VI 1675.
  • 138 SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675.
  • 139 SHD, A 1 427, fol. 138 et A 1 426 bis, fol. 241, lettres de Louvois à Chaulnes, 11 et 28 VII 1675 (...)

59Sans rejeter en bloc cette interprétation, il importe de la soumettre à la critique. En effet, il faut insister tout d’abord sur le fait que la prose ducale n’est pas celle d’un simple témoin, encore moins d’un analyste qui, à froid, ferait un diagnostic de ce qu’il aurait observé. Chaulnes est d’abord un acteur politique, le principal d’ailleurs de la scène qui nous intéresse, et ses lettres sont d’abord des actes politiques tendus vers un objectif qui est sa survie politique. Chaulnes, représentant humilié de l’autorité, sait que le pouvoir royal sait se passer de ceux qui ont failli dans leur mission : la disgrâce du marquis de Molac, tout juste un mois auparavant, est là pour le lui rappeler. Si on en croit les méchancetés contenues dans la lettre que Jonville écrira le 29 juin, Chaulnes avait bien des choses à cacher, point n’est besoin d’y insister. Aussi, le gouverneur, en inondant quasiment quotidiennement le pouvoir de lettres plus longues qu’à l’accoutumée, est-il dans une logique d’autodéfense. L’enjeu est d’autant plus important que, comme on l’a vu, on connaît très vite à Paris les mésaventures rennaises du duc de Chaulnes. Ce dernier indiquera même, un peu plus tard, qu’il est conscient de l’existence de ce qu’il nomme des « fausses relations » destinées à le « noircir136 ». Du Guémadeuc aussi évoquera, au même moment, des lettres écrites par « des esprits inquiets », dont l’existence justifie d’ailleurs en partie sa propre prise de plume, dit-il, afin de mettre la « pure vérité » sous les yeux du roi137. Dans cette bataille de la communication, le gouverneur ne laisse rien au hasard : en même temps qu’il écrit à Colbert des plaidoyers pro domo prenant la forme de rapports, le duc fait procéder à l’ouverture des lettres au départ de Rennes, si on en croit Jonville138. Ceci lui vaut d’ailleurs, mais aussi à Lavardin, quelques semaines plus tard, des mises au point de la part de Louvois, informé par les commis de cette administration dont il a la charge et qui se sont plaints, ainsi que des particuliers, d’ouvertures mais aussi de destructions de lettres sur ses ordres139.

  • 140 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.
  • 141 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.
  • 142 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 143 BNF, MC 171 bis, fol. 135, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

60Plusieurs points développés par Chaulnes méritent d’être examinés avec d’autant plus d’attention que sa vision de vainqueur – si l’on accepte l’idée qu’il est comme le porte-parole de l’État moderne qui a in fine triomphé des potentats locaux – a fortement influencé les historiens. Le premier point est de savoir si la mobilisation rennaise du mois de juin est ou non liée à l’arrivée des troupes. La chose paraît évidente à Chaulnes lui-même le 9 juin140 : pour lui, à cette date, c’est bien l’armée qui inquiète les Rennais, non les édits. Il est vrai que cette analyse est destinée à Louvois, et sert son argumentaire selon lequel faire venir des troupes est une erreur. Le 19 juin encore, il indique que les inquiétudes des Rennais demeurent et que cela justifie le maintien de leur mobilisation141. À cette date pourtant, la question des troupes est selon lui devenue un prétexte, ne serait-ce que parce que l’armée est bel et bien repartie142. Pourtant, chacun sait qu’elle reviendra et Chaulnes lui-même le sait plus que quiconque. Dès le 9 juin, il estime qu’il faudra bien un jour « mettre cette ville en estat qu’elle ne puisse remuer » en y faisant stationner des troupes à partir de l’automne et pour tout l’hiver143. Le 12, il développe à nouveau l’idée que la punition de la ville ne peut passer que par une occupation militaire dont il envisage dès ce moment les détails pratiques :

  • 144 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

« Il ne faut pas… que les trouppes viennent separement, mais en mesme temps ; peu d’infanterie suffira avec le régiment de la Couronne, et il est tres important que les trouppes soient payées, pour que l’on puisse distinguer les revoltez d’avec les autres et que l’on puisse contenir dans l’obeissance les peuples par où ces trouppes passeront144. »

  • 145 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

61De tels propos sont importants dans la mesure où ils montrent que Chaulnes a désormais totalement changé de position et qu’il n’est plus du tout dans l’idée d’épargner Rennes. Par ailleurs, ces propos sont importants car, dans le même temps, le gouverneur considère, le 16 juin, dans une partie chiffrée de sa correspondance, qu’il ne faut pas parler aux Rennais « de trouppes ny de vengeance »145. Il est encore plus explicite trois jours plus tard :

  • 146 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

« Comme il convient de fermer les yeux à beaucoup de choses dans les conjectures presentes et de rassurer les esprits (partie chiffrée :) jusques au temps d’une juste et forte punition, je les desabuse de la marche des trouppes… il en va du service du Roy et de la province de la différer et de laisser assoupir cette sedition pour mieux la punir146. »

  • 147 SHD, A 1 441, fol. 633, lettre de Chaulnes à Louvois, 30 VI 1675.

62Le 30 juin, non sans exagération, il ira jusqu’à dire à Louvois que 15 000 hommes ont pris les armes dans la capitale bretonne, ce qui justifie que les châtiments futurs soient aussi bien particuliers que collectifs147.

  • 148 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.
  • 149 Supra, chapitre V.
  • 150 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.
  • 151 SHD, A 1 426, fol. 218, lettre de Louvois à Chaulnes, 18 VI 1675.

63Dans ses lettres du 12 et du 19, il prend soin de préciser que cette attitude prudente est commandée par la menace potentielle des Hollandais. À l’heure où l’été s’annonce, la tactique de Chaulnes est donc selon toute évidence d’éviter de favoriser l’extension d’un front intérieur qui pourrait être exploité par les ennemis de l’État. Le duc, qui a visiblement bien compris combien l’arrivée des troupes pouvait provoquer des désordres, tient en effet, dit-il, à ne pas susciter un soulèvement qui compromettrait la mobilisation des milices en cas d’alerte148. C’est d’ailleurs cette même préoccupation qui l’a conduit à temporiser au sujet de l’affaire cornouaillaise, contemporaine du soulèvement rennais149. Et c’est ainsi qu’il justifie le fait d’avoir fait partir les troupes de Nantes, afin de « rasseurer cette ville150 ». On mesure combien cette tactique du « profil bas en attendant mieux » que préconise Chaulnes est en complet décalage avec les intentions royales à la lecture d’une missive envoyée par Louvois depuis le camp de Viset, sur la Meuse, le 18 juin, dans laquelle le ministre indique combien le roi désire que les châtiments s’abattent aussi « sévèrement » que « promptement » sur les Rennais151. Le roi, d’ailleurs, dans la même lettre, se fondant sur des informations écrites le 9, félicite Chaulnes pour avoir fait venir dans la capitale bretonne l’ensemble du bataillon de la Couronne ! C’est dire si, depuis les Pays-Bas, les subtiles manœuvres du duc sur le lointain et secondaire front armoricain sont peu lisibles.

64Selon Chaulnes, si les Rennais restent mobilisés après le départ des troupes, ce ne serait pas tant à cause de la peur des soldats que parce qu’ils ont un autre objectif : la lutte contre l’impôt. Constatant l’étrangeté de cette ville en armes contre des soldats qui n’existent pas, il conçoit l’idée que la vraie cause du soulèvement est en fait de réaliser un nouveau 18 avril, de détruire la politique qu’il a mise en œuvre si patiemment au cours du mois de mai. On peut concevoir que cet homme qui a connu de telles humiliations, qui est finalement assez seul – au moins comme l’est toujours un chef, qui plus est un chef blessé –, ait conçu une certaine paranoïa. Mais on peut aussi estimer que la tendance à voir dans la fiscalité la vraie cause de la mobilisation a pu être pour lui la première étape du dispositif visant à dégager sa responsabilité. Ce qui ne veut dire pas qu’il avait totalement tort.

  • 152 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

65Chaulnes développe ainsi dans un premier temps l’idée selon laquelle une fois les troupes parties, les Rennais en révolte ont tenté de s’en prendre aux bureaux fiscaux qu’il avait rétablis en mai. Dans sa lettre du 12 juin, il explique ainsi que dès le 10, des « menaces » surgissent « de venir rompre et piller les bureaux et de sonner le tocsin », ainsi que de se rendre au palais « pour demander des arrests pareils à ceux de Bordeaux152 ». Dans la même lettre, il indique qu’un scénario identique se déroule à partir du 11 au soir, le « bruit » se répandant que « tous les peuples armez debvoient aller ce matin [le 12] pour rompre les portes des bureaux et monter ensuite au parlement demander le mesme arrest que celuy de Bordeaux ». C’est pour parer cette éventualité que le duc, comme on l’a vu, a cherché à mobiliser la noblesse, ce qui s’avère finalement inutile : « rien n’a paru, et la matinée a esté fort tranquille ». Le même récit se retrouve dans sa lettre du 15 juin.

  • 153 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1676.
  • 154 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.
  • 155 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 156 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

66Ainsi la révolte rennaise de juin apparaît-elle, sous la plume du duc, comme une révolte antifiscale. Il le dit sans ambages le 16 juin (« la revocation des edicts est le fondement » de la mobilisation153) et le répète le 21 (« le dessein de chasser [les commis a] esté le but principal de ce souslevement154 »). Mais son appréciation de la nature exacte de cette prise d’armes a évolué. Au départ, le 9 juin, il semble considérer que les édits ne sont pour rien dans l’embrasement, que la cause de tout, ce sont les militaires. Dans sa lettre du 15, il expose l’idée que si le mécontentement fiscal n’est apparu que dans un second temps, après le départ des troupes, la ville n’en bruissait pas moins déjà contre les édits dès le tout début du mois de juin, comme pour dire, qu’au fond, l’émotion suscitée par l’entrée des soldats n’avait été qu’un épiphénomène155. S’étant mobilisés contre cette menace, et celle-ci ayant disparu, les Rennais auraient tourné leurs armes contre les impôts du roi, véritable objet de leur contestation. Dans sa lettre du 19, il concède qu’il y a trois causes au soulèvement – lui, les troupes et les édits –, mais que c’est bien le volet fiscal qui est le plus fâcheux, le plus important156.

  • 157 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
  • 158 BNF, MC 171 bis, fol. 515, lettre de Lavardin à Colbert, 14 VI 1675.
  • 159 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1676.
  • 160 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.
  • 161 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.
  • 162 SHD, A 1 441, fol. 490, lettre de Coëtlogon à Louvois, 23 VI 1675.

67Pour autant, un détail doit être relevé. Si l’on regarde bien les propos du gouverneur, on remarque qu’il ne décrit que des intentions. Ainsi, dans cette ville dans laquelle, de son propre aveu, il ne dispose autour de lui que de sa vingtaine de gardes et de quelques dizaines de nobles qui peuvent à tout moment être submergés par des miliciens qui se comptent par milliers, la véritable anomalie est qu’à aucun moment les bureaux n’ont été attaqués. Tous les témoignages concordent en effet sur ce point, à commencer par ceux du duc lui-même : cette « mutinerie… n’a… apporté aucune atteinte à l’authorité du roy ; tous les bureaux ont esté maintenus, il n’est rien arrivé à aucun traitant ny commis » indique-t-il ainsi le 12157. Depuis Nantes, Lavardin confirme cette version des faits158. Le 16 juin, Chaulnes rencherit en évoquant le fait « qu’une aussy grande revolte n’ait rien entrepris dans sa plus grande force159 ». Dans la même lettre, il ajoute même que « l’on n’a osé jusques a present tenter de venir demander au parlement la revocation des ecdits, et l’on parle d’en donner une surseance jusques aux Estats ». Et le 19 juin, il annonce à Colbert, sans doute rassuré de l’apprendre, que non seulement rien n’a été tenté contre les bureaux, mais que les commis y ont vaqué et y vaquent sans troubles160. Il redit à peu près la même chose le 21161. Coëtlogonpère ne dit pas autre chose à Louvois trois jours plus tard : « il n’a rien esté entrepris sur les bureaux et droits du Roy162 ». Des desseins, des menaces, des paroles, des rumeurs, oui, certes, mais quid des actes ?

68Il ne s’agit pas de nier qu’il existait dans cette ville des gens qui en avaient contre les impôts, les événements survenus le 18 avril le prouvent, et les bruits collectés par Chaulnes sont hautement crédibles. La question est bien de savoir pourquoi les Rennais ne sont pas passés à l’action, ce qui conduit à se demander combien d’entre eux voulaient vraiment en découdre. Combien rêvaient de renouveler le 18 avril, avec tous les risques que cela comportait, et envisageaient d’aller plus loin en obtenant une abrogation comparable à celle obtenue par les Bordelais ? Il est probable que ceux, qui, en avril, ont tenté quelque chose, ou voulu le faire, désiraient ardemment un tel scénario en juin, et qu’ils ont pu, par des billets, des placards, en faisant circuler des rumeurs, tenter d’orienter une mobilisation née contre l’armée et ensuite tendue vers la crainte du retour de celle-ci, mais l’évidence est qu’ils ont été mis en échec sans qu’il y ait de combats. En somme, si les rebelles à l’ordre fiscal ont perdu une bataille en juin à Rennes, c’est celle du passage de la mobilisation à l’action, et si Chaulnes en a gagné une, c’est bien d’avoir empêché cela.

Taxes, édits, miliciens et sortie de crise

  • 163 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.
  • 164 Le duc de Chaulnes, né en 1625, avait été maréchal de camp (1651), lieutenant général des armées ( (...)
  • 165 BNF, MC 171 bis, fol. 656, lettre de d’Argouges à Colbert, 21 VI 1675.
  • 166 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

69À lire le duc attentivement, il apparaît assez clairement que celui-ci a usé, pour obtenir un retour au calme, d’arguments de natures diverses. Certes, il faut se méfier d’une prose qui met en avant son action comme facteur décisif, et ne pas oublier que les gens ont pu agir de leur propre chef, à l’image du capitaine qui refuse l’aide des faubourgeois. Mais pour autant, il semble évident que Chaulnes n’a pas ménagé sa peine pour parvenir au retour au calme. Du Guémadeuc décrira, après coup, avec une admiration de courtisan, l’énergie déployée par le duc, passant ses jours et ses nuits « à ne faire autre chose qu’à desmeler des intrigues, faire parler au tiers et au quart pour desabuser les habitants de leurs fausses imaginations et les faire rentrer dans leurs devoirs163 ». Comme le dit le prélat, n’ayant aucune force à sa disposition, le duc est obligé d’utiliser la seule arme qui lui reste : la parole. Ceci n’est certainement pas simple pour un homme fragilisé par les humiliations subies les 8-10 juin ; ce n’est pas non plus sans danger car si on a vu qu’à Nantes, de telles manœuvres pouvaient aboutir, on a vu aussi en mars comment elles échouèrent à Bordeaux. Face aux habitants armés, le duc de Chaulnes, responsable militaire pour le roi en Bretagne, a dû revêtir dans le cas présent plus les habits du diplomate qu’il est devenu dans la deuxième partie de sa vie que ceux du soldat qu’il avait d’abord été164. D’Argouges, qui pourtant avait la réputation de ne pas apprécier outre mesure le gouverneur en conviendra : c’est par la « patience » et la « douceur » que le duc de Chaulnes est parvenu à ramener le calme165. Du Guémadeuc, semblant redouter que Colbert ne fronce les sourcils à la vue de cette manière peu martiale d’éteindre l’incendie, croit bon de se faire l’avocat du duc, soulignant les vertus de ces remèdes doux et patients, et soulignant que l’usage de la force n’aurait conduit qu’à une catastrophe166.

  • 167 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 168 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 169 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675
  • 170 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

70Ainsi, de manière il est vrai très classique, le gouverneur a-t-il cherché à convaincre les « bons bourgeois », comme il le dit lui-même, en leur exposant combien « leurs propres intéretz [sont] inséparables de la fidelité qu’ils doibvent au Roy167 ». Une des principales menaces formulées, pour faire peur aux bourgeois, explique Chaulnes, est « que le roy pourroit bien transférer le parlement ailleurs168 ». Nul doute qu’il passe aussi du temps à promettre que les soldats ne reviendront pas. Non sans succès, à le croire, puisqu’il estime le 15 juin que « la meilleure partie des bons bourgeois » est « dans les interets du roy », ceci expliquant selon lui les succès enregistrés dans la bataille de position déjà évoquée. Le duc sait pourtant bien que, même au sein des compagnies de la haute ville qui constituent depuis mai la base sur laquelle repose son autorité, le germe de la contestation a poussé, ses écrits du 16 juin sont sans ambiguïté sur ce point169. Mais il semble, à le lire, que l’esprit de corps, celui-là même qui a pu conduire des officiers à suivre leurs hommes, joue désormais dans l’autre sens : « [les miliciens hostiles aux édits] font corps avec d’autres qui ont de meilleurs sentimens soit par esprit de fidelité, soit par leurs propres interets qui ne s’accordent pas aux desordres170 ».

  • 171 BNF, MC 171 bis, fol. 770, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.
  • 172 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

71Dans les lignes qui suivent, que Chaulnes a pris soin de faire chiffrer, celui-ci confie que, pour tâcher de gagner les capitaines et, note-t-il bien, les autres officiers, il a usé de « toutes sortes de voye », cherchant par eux à influencer « la canaille ». Il est possible, voire probable, que le duc ait usé d’arguments sonnants et trébuchants. En effet, un peu plus loin dans la même lettre, il indique qu’il a obtenu 15 000 livres des fermiers de la province « pour les employer aux affaires presentes ». Plus tard, le 30 juin, il revient sur ce point, et se fait autrement plus explicite, signalant que les fermiers de la province lui ont donné 13 000 livres qu’il avoue avoir utilisées en grande partie « pour gaigner les plus mutins et appaiser cette sedition171 ». Quelque qu’ait été la méthode utilisée, le bilan qu’il tire de son action le 19 est qu’il « y a peu d’officiers mesme dans les fauxbourgs dont je ne sois asseuré », et il ajoute, lucide : « quoyqu’ils n’ayent pas un pouvoir absolu sur cette canaille, il est à croire qu’ils y peuvent beaucoup172 ».

  • 173 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.
  • 174 En 1673, Colbert a reçu une lettre anonyme le dénonçant comme soumettant tout à ses intérêts et «  (...)
  • 175 Ibid., t. I, p. 537, 540.
  • 176 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

72Il est probable que Chaulnes n’a pas été seul à agir dans cette direction. La liste qu’il dresse des gens qui l’ont soutenu dans ces journées difficiles est sans doute celle de gens qui, comme lui, ont été dans la ville pour exhorter à l’obéissance. Sur cette liste, que le duc livre à Colbert, on trouve les Coëtlogon père et fils, le procureur général Huchet, le procureur du roi au présidial, les deux connétables, avec pour finir une mention spéciale pour du Guémadeuc, l’évêque de Saint-Malo, « qui se trouva en cette ville dans le temps de la sedition, n’en a pas sorti et l’on ne peut agir ny avec plus de chaleur qu’il a faict pour tous les interests du roy ny avec plus d’adresse pour contribuer à remettre les esprits dans leur debvoir173 ». À ceux-ci il faut peut-être ajouter le sénéchal de Rennes, Charles de Lys, personnage controversé174 mais qui a déjà joué un rôle majeur aux états de 1673175, et que Chaulnes estime dans le cas présent utile au service du roi, « le peuple [ayant] creance en luy176 ». La liste dessine aussi, en creux, ceux qui ont failli : nul président au parlement n’est cité, ni même le procureur syndic.

  • 177 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.

73À lire Chaulnes, le véritable argument qui aurait joué dans l’apaisement aurait été, dès le 12, l’annonce de la convocation anticipée des états177, dont la tenue était normalement prévue pour l’automne. Il s’agit d’un coup de poker puisque le duc fait cette annonce pour la fin de juillet à Dinan de sa propre initiative, sans attendre d’avoir en main les convocations officielles du roi. Voilà qui correspond bien à l’image d’un homme que l’on a déjà vu prendre des initiatives hasardeuses. Frémissant sans doute un peu à l’idée que le roi apprenne qu’il a pris cette décision qui relève de la souveraineté royale, le duc, cette fois, ne cache rien, et précise bien que son initiative n’engage pas le souverain, puisque celui-ci, note-t-il bien, peut changer le lieu comme la date. Tout juste demande-t-il à ne pas être désavoué publiquement.

  • 178 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 179 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 180 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

74Les effets de cette annonce sont importants à en croire Chaulnes. Le lendemain est le jour de la Fête-Dieu, festivité d’autant plus importante pour le duc qu’il doit y paraître en position éminente alors même qu’il vient de subir mille avanies. Or, il ne constate rien de particulier, si ce n’est un « repentir », et le désir d’arrêter « pareils emportements178 ». Quelques jours plus tard, il mesure les effets de cette annonce au fait que seuls quelques uns continuent de garder les barrières des faubourgs, craignant toujours le retour des troupes179. Sans doute est-ce l’existence de ces gardes qui conduit le duc à demander à Colbert que le roi lui envoie « une lettre ostensible » indiquant que les états ne se réuniront « qu’aprez que les peuples de Rennes seront entrez dans leur debvoir180 ». La mention, il faut le reconnaître, sonne comme un aveu que la situation reste fragile, et que l’annonce des futurs états n’a pas eu tous les effets escomptés.

75Les effets de l’annonce de cette convocation sont en réalité difficiles à estimer dans la mesure où on ne voit pas très bien en quoi le fait d’annoncer qu’une assemblée qui doit de toutes les façons se réunir avant la fin de l’année peut avoir calmé les esprits. Sauf à considérer, évidemment, que cela est assorti d’un certain nombre de promesses au sujet des impôts, destinées à couper court aux menaces qui s’amplifient dans la ville sur ce sujet depuis le départ des troupes.

  • 181 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 182 Supra, chapitre III.
  • 183 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.
  • 184 Supra, chapitre IV, tableau 10 À noter cependant que, dans la rue de la Cordonnerie, c’était un pr (...)
  • 185 Arch. mun. Rennes, 1005.
  • 186 Gauthier Aubert, « Devenir officier dans la milice bourgeoise de Rennes », dans Serge Bianchi, Rog (...)

76La situation est rendue complexe par le fait que deux pistes, deux fronts fiscaux semblent cohabiter : les édits et les taxes, ces dernières en général peu mises en évidence. C’est le duc de Chaulnes lui-même qui nous met sur la piste de ces taxes en indiquant que cette période troublée est aussi celle du paiement des taxes sur les francs-fiefs et sur les officiers181, celles là même qui ont été décidées lors des états de 1673182. L’enjeu n’est pas mince selon lui : « mille gens dans tous les corps » sont concernés par ces paiements impliquant des « recherches » et « taschent à s’en sauver par quelques desordres, ou du moins par une continuation de port d’armes jusques aux Estats ». Quelques jours plus tard, Chaulnes précisera que dans les grandes villes comme Rennes et Nantes, « la plus part [des] habitans sont compris dans les taxes ou des francs fiefs, ou des officiers et ce sont les procureurs qui sont le plus à craindre183 ». Or, ceux-ci ont été actifs en 1673 dans la contestation de la taxe les concernant. Ils participent de plus à la milice bourgeoise. En 1675, on ne voit certes qu’un seul procureur parmi les capitaines184, mais on sait que d’autres y sont actifs, à des grades inférieurs, comme Berthou, ou comme même simple homme du rang, comme notre scripteur Morel. En amont, nous savons qu’en 1629, trois procureurs étaient officiers, un autre sergent et huit caporaux185 ; en aval, dans la première moitié du XVIIIe siècle, on peut estimer que le tiers des candidats à une place d’officier dans la milice sont procureurs ou fils de procureurs186. L’idée qu’il puisse exister un lien entre mobilisation milicienne et revendication sur la question des taxes est donc hautement crédible.

  • 187 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Chaulnes, 21 VI 1675. La date de cette réunion (...)
  • 188 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675. À moins qu’elle n’ait été sim (...)

77Mais à partir de quand cette revendication relative aux taxes a-t-elle émergé ? C’est difficile à dire. Deux hypothèses s’opposent. La première consiste à estimer que ce fut assez tôt. En effet, note monseigneur du Guémadeuc, juste avant que les troupes n’arrivent, le duc de Chaulnes a convoqué à Rennes les députés diocésains désignés aux états de 1673 pour prélever les taxes en question187. Il ne fait pas explicitement le lien entre cette réunion et l’embrasement qui la suit, même s’il l’évoque dans les phrases immédiatement suivantes. Il n’empêche qu’on peut se demander si ce n’est pas pour répondre à cette inquiétude liée aux taxes que le duc a décidé, dès le 12, d’annoncer la convocation des états provinciaux. Il n’est pas non plus impossible, et c’est la deuxième hypothèse, que l’affaire soit apparue un peu plus tard, puisque Chaulnes n’en parle que le 16 juin comme d’un enjeu188. Dans ce cas, il serait possible que ce soit l’annonce de la convocation des états qui a, dans le contexte troublé, conduit la revendication à s’exprimer.

  • 189 Gauthier Aubert, « Devenir officier » art. cit.
  • 190 Gauthier Aubert, « Une municipalité pour temps de crise ? Rennes, 1675 », dans Philippe Hamon, Cat (...)

78La question des taxes réapparaît ensuite au moment de la clôture de la crise, lors de l’assemblée des officiers de la milice, convoquée par le duc de Chaulnes le 20 juin. Celle-ci est importante puisque, de l’avis unanime de nos informateurs, c’est elle qui clôt le cycle de mobilisation ouvert le 8 juin. On notera d’ailleurs qu’il s’agit bien d’une réunion qui concerne tous les officiers, et pas seulement les capitaines, soit plusieurs dizaines d’individus. Ainsi, alors que les registres de la communauté de ville sont depuis plusieurs jours silencieux et semblent ce faisant ignorer ce que Chaulnes s’est plu à dépeindre comme un « orage », le relais est pris par la milice. Il faut dire que le problème principal qui se pose à Chaulnes est d’obtenir la fin de la mobilisation, et le retour au dispositif mis en place début mai, à savoir des gardes à l’hôtel de ville par les compagnies de la ville haute. Aussi la milice est-elle, sur cette question, l’interlocuteur naturel du duc. Il est vrai aussi, on l’a vu, que les cadres de cette institution appartiennent à la bonne société locale, et que, même si l’institution n’accueille déjà plus dans ses rangs de parlementaires, elle est peuplée de gens parfois importants et qui ont une influence à l’hôtel de ville voire au présidial189. Ainsi, alors que la municipalité donne le sentiment d’avoir sombré, débordée par les enjeux et tiraillée au-delà du supportable entre Chaulnes et les habitants de la ville190, la milice sert d’interlocuteur au duc qui entend par elle ramener la ville au calme.

  • 191 BNF, MC 171 bis, fol. 646, ordonnance imprimée du duc de Chaulnes, 20 VI 1675.
  • 192 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.

79À l’évidence, l’objet de cette assemblée est tendu vers la question de la démobilisation à laquelle travaille Chaulnes depuis le 10 juin. À l’issue de cette réunion, le duc rend une ordonnance qui proclame la démobilisation des cinquantaines de la ville et des faubourgs suite à la disparition des causes qui les avaient suscitées, qu’il ne nomme pas, mais chacun peut comprendre qu’il s’agit de la soldatesque191. À cela s’ajoute une interdiction plus classique de lever les armes sans ordre et le maintien des gardes à l’hôtel de ville. Il est important de relever que le duc emploie une formule qui tord un peu le cou à la vérité, quand il parle des « raisons qui nous avoient obligé de faire prendre les armes aux habitans de cette ville et desfauxbourgs » (nous soulignons). Ainsi Chaulnes fait-il comme si, le 8 juin, il avait ordonné aux Rennais de l’intra comme de l’extra muros de se mobiliser, alors que les choses sont à l’évidence plus complexes. Car si l’on reprend ses courriers antérieurs, ceux dans lesquels il évoque la mobilisation, il est clair qu’il dit effectivement avoir fait « prendre les armes à toutes les compagnies des bourgeois », mais que d’une part tout porte à croire que les Rennais n’ont pas attendu ses ordres pour s’armer, et d’autre part que c’était en réalité un appel aux « bons bourgeois » pour lutter contre les faubourgeois coupables d’avoir pris une tour et une porte192. Le 21 juin, rendant compte de cette rencontre, Chaulnes donne cette interprétation, qui le montre oscillant entre sévérité et mansuétude :

  • 193 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.

« Les capitaines qui avoient pris les armes par mes ordres me demanderent pardon pour les autres et me prièrent de les vouloir comprendre dans l’ordonnance qu’ils souhaitoient de moy et que je leur accorday. Vous verrez, Monsieur, par ladite ordonnance, qu’ayant refusé de leur faire esperer une amnistie ou un pardon, je les ay seulement compris dans l’ordre que j’avois donné de prendre les armes, parce que depuis trois jours qu’ils estoient venus à resipiscence, j’avois souffert qu’ils envoyassent à l’ordre, comme les autres, aux connestables193. »

  • 194 Supra, tableau 20, chapitre IV.
  • 195 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

80Passons sur cette dernière mention, un peu obscure – qui semble surtout indiquer que le duc est chatouilleux sur la question de sa place dans la hiérarchie militaire dont les milices relèvent – pour insister sur l’importance des solidarités intramiliciennes. Celles-ci se comprennent en soulignant l’évidence d’un sentiment communautaire d’autant plus fort que les capitaines appartiennent souvent au même monde194. Il est de plus probable que cette solidarité s’appuie sur l’idée que les capitaines fêlons ne le sont pas tant que cela, et il est vraisembable que leurs camarades ont plaidé en leur faveur en insistant sur le fait qu’ils avaient été obligés par leurs hommes de prendre la tête de leurs cinquantaines. Par ailleurs, il apparaît bien que le duc a voulu faire un geste d’apaisement. Mais on peut se demander s’il avait le choix et si, d’autre part, en prenant soin d’éviter de parler d’amnistie ou de pardon, il ne pensait pas aux éventuelles punitions à venir. Ce serait là, en tout cas, une petite victoire pour Chaulnes puisque celui-ci, dans une lettre écrite la veille de cette réunion, indique que, déjà, les négociations ont commencé, l’enjeu étant pour les capitaines des faubourgs d’obtenir une amnistie195. Or, d’après Chaulnes, ils ne l’obtiennent pas. À le croire, les effets sont radicaux : dès le soir, « les postes furent levez, les portes le soir fermées, et la tranquilité partout en un moment restablie ». Ainsi, en recouvrant du voile de son autorité les égarements faubourgeois, le duc aurait définitivement apaisé une tempête déclenchée par l’entrée des soldats, entretenue par ceux qui voulaient en découdre avec l’argent du roi et déjà calmée par l’annonce de la convocation des états et quelques arrangements particuliers.

  • 196 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Vallier à Colbert, 25 VI 1675.
  • 197 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.
  • 198 Cormier parle d’une « belle harangue de trois-quarts d’heure ».

81Mais les choses ont sans doute été plus complexes. Cormier, rendant compte de cette assemblée à laquelle il ne dut pas assister, ne confirme que partiellement la version du duc. Selon Cormier, celui-ci assura que « son dessein n’etoit point du tout de faire venir des soldats à Rennes, et qu’au contraire, il conserveroit toujours et la ville et la province tant qu’il pourroit ». Aussitôt après cette réunion, rapporte-t-il, « dans le moment tout devint fort paisible et fort tranquille ». Tout juste note-t-il, conforme à sa posture critique déjà constatée, que le fait de dire que le duc a levé toutes les compagnies était moins un geste gracieux du gouverneur qu’une revendication sine qua non des capitaines. Dans une veine proche, le « commis » à la vente du papier timbré à Nantes, Vallier, explique à Colbert que si l’orage a passé à Rennes, c’est en raison de la « reconessance que les mutins ont exigé de monsieur le duc de Chaulnes », qui aurait donc dû en rabbatre196. De son côté, monsieur de Saint-Malo donne de l’entrevue du 20 juin une version un peu différente, mais qui tend bien à montrer que ce qui s’est joué ce jour-là fut bien une négociation197. À en croire le prélat, le duc harangua pendant une heure « avec une force incroyable » les miliciens198, leur reprochant d’avoir pris les armes sans ordre et plus encore d’être restés mobilisés de leur propre autorité. De leur côté, les officiers promettent de déposer fusils et épées « pourveu qu’il leur accordast une surséance de leurs taxes seulement jusques aux Estats prochains », la question du contenu de l’ordonnance apparaissant secondaire d’après cette source. C’est donc, sous cette seule plume, que resurgit la question de ces taxes qui nous renvoie aux événements ayant touché cette ville depuis 1672-1673.

  • 199 Supra, chapitre III.

82Est-il crédible que les capitaines miliciens aient pu faire de cette question des taxes leur principale revendication ? La réponse semble devoir être positive. On se souvient que la question de la réduction du nombre de petits offices voulue par le pouvoir a suscité quelques troubles inquiétants en 1673, et qu’ils ne se sont réglés aux états que par un compromis signifiant pour les intéressés qu’il leur faudrait payer199. On se souvient aussi que la question des francs fiefs a donné lieu à un pareil compromis lors de ces mêmes états, mais que celui-ci ne semble pas avoir mis fin au mécontentement. Pour preuve cette délibération municipale en date du 18 octobre 1674, au cours de laquelle le procureur syndic informe qu’il a eu avis

  • 200 Arch. mun. Rennes, BB 560.

« que suivant la deliberation et ordonnance des estats de ceste province on alloit travailler a l’affaire des francs fiefs, et que cette communauté ayant des prerogatives, privileges et exemptions particulieres aux autres de ladit. province, il estoit de tres grande importance pour la conservation de ses droicts de veiller à ce qu’elle soit deschargée de la contribution dans laquelle tous les possesseurs desd. francs fieffs se trouvent engager200 ».

83La délibération qui suivit ne laisse guère de doute sur la détermination des bourgeois de Rennes en la matière, et sur le fait qu’ils avaient déjà bien perçu que le gouverneur provincial était dans ce domaine leur interlocuteur :

« La communauté… a arresté qu’il en sera conféré avec Monseigneur le gouverneur, qu’elle a tres humblement suplyé de l’assister de sa protection, et de ses bons advis… comme estant une affaire qui fait la plus belle partie de l’honneur de lad. communauté. »

  • 201 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 10 I 1675.

84En conséquence, le procureur syndic Gentil avait été envoyé à Paris pour en entretenir le duc. Le 10 janvier suivant, la communauté de ville dut dépêcher en urgence dans la capitale l’ancien syndic Lecomte – un des capitaines miliciens – pour apporter à la demande du roi les pièces justificatives sur le sujet201, mais il semble qu’on en soit resté là. Ainsi l’affaire, laissée en suspens, aurait ressurgi en ce mois de juin, et semble avoir été une des revendications exprimées, à côté de celles relatives aux soldats et aux édits. Il est même possible, à la lumière des tensions constatées depuis trois ans, que la question des taxes ait été, pour nombre de bons bourgeois de la ville, ceux qui siégeaient à l’hôtel de ville et pouvaient être officiers miliciens, plus importante que celle des édits.

  • 202 SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675.
  • 203 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.
  • 204 Il fait par exemple partie de la commission chargée d’organiser la perception des taxes qui a été (...)
  • 205 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Vallier à Colbert, 26 VI 1675.
  • 206 BNF, MC 171 bis, fol. 770, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.
  • 207 BNF, MC 171 bis, fol. 684, lettre de Lavardin à Colbert 22 VI 1675. Les relations entre les deux h (...)

85Ceux-ci restent cependant bien un enjeu, comme Chaulnes ne cesse de le souligner. Jonville accrédite cette idée, tout en accablant le duc – l’on finirait presque par se demander si le commissaire des guerres ne poursuit pas celui-ci de quelque obscure vindicte – puisqu’il affirme que le calme est revenu dans Rennes « sur les promesses que M. le duc de Chaulnes leur a faictes de la surcéance des eedicts jusques a la prochaine tenue des estats, dans lequel temps ils seront ostés entierement202 ». Toudoux qui n’en était pas, raconte que ces promesses ont eu pour cadre la rencontre du 20 juin, au cours de laquelle le duc « a promis… revocation de tous les nouveaux edits du timbre, controlles qu’autre ». Cormier, qui n’y était pas davantage, dit que, après cette fameuse entrevue, le calme revint « les edits du tabac, du blé (sic) et de l’etain étant sursis jusqu’aux États ». De son côté, évoquant dès le lendemain cette confrontation entre le gouverneur et les miliciens, l’évêque de Saint-Malo note qu’il n’y a présentement aucun problème quant à l’exécution des édits sur le papier timbré, le contrôle des exploits et quant au paiement des devoirs203. Ce propos précis d’un homme bien informé204 destiné à un interlocuteur au premier chef intéressé par ce type de nouvelles, semble donc indiquer, en creux, qu’il en va différemment pour l’étain et le tabac, dont le prélèvement pourrait être, comme l’indique Cormier, effectivement suspendu en attendant les états. Le sous-fermier du papier timbré, Vallier, depuis Nantes, donne cependant de la situation un aperçu moins rassurant que ce qu’en dit du Guémadeuc. Selon lui, en effet, les conséquences des troubles rennais sont notables : cessation quasi complète de la perception des devoirs, doublée d’un ralentissement de la distribution du papier timbré qui serait tombée au tiers de l’ordinaire205. « Voilà, poursuit-il, le miserable estat des fermes de cette province que je croy estre deguisé et adoucy par ceux qui y tiennent les premiers rangs206. » Le financier ne cache pas qu’il a clairement en ligne de mire les propos de Lavardin, qui affirme à peu près au même moment que tout va bien à Nantes sur le front fiscal, particulièrement en ce qui concerne le papier timbré207. Son propos, en tout cas, rejoint ceux de Toudoux, Cormier et Jonville quand il parle de « l’espoir que l’on a conceu de la suppression de ce droit y a donné une grande attente ».

  • 208 BNF, MC 171 bis, fol. 532, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.
  • 209 BNF, MC 171 bis, fol. 379, lettre de Chaulnes à Colbert, 2 VI 1675 ; supra, chapitre V.
  • 210 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Lavardin à Colbert, 6 VII 1675.

86Que croire ? La liste réduite de Cormier est peut-être la plus intéressante de ce fait même, même si la mention à un édit sur le blé – qui relève, de Rennes à Châteaulin, de la rumeur – est une invitation à la prudence. Mais si Cormier a pu se tromper, il est néanmoins possible qu’il ait fait involontairement allusion aux négociations qui se sont poursuivies, durant la deuxième dizaine de juin, entre le duc et les fermiers de l’étain et du tabac208. Ces derniers semblent en effet avoir cherché à obtenir vers le 15 juin – à la faveur du contexte rennais tumultueux ? – de meilleures conditions que celles obtenues suite aux accommodements contractés vers le 1er juin209. À suivre Chaulnes, l’idée – à laquelle ce dernier aurait d’ailleurs accédé –, était que les états rachètent pour 30 000 livres ces droits pour la période allant du 1er mars jusqu’à la convocation des dits états, ce qui était pour les traitants, selon le duc, une belle opération. Le tout est soumis à un accord de Colbert. Il est d’ailleurs possible que ces négociations aient quelque chose à voir avec la situation politique puisque le tabac, en particulier, est considéré, à Rennes comme en Cornouaille, comme la base du mécontentement populaire. En somme, il semble bien que Chaulnes a cherché par ces négociations à obtenir le retour au calme des peuples insurgés. L’idée que tabac et étain aient bénéficié de mesures particulières tend enfin à être confirmé par Lavardin qui rapporte que, début juillet, il a envoyé dans les villes maritimes du pays nantais « les edits du tabac et estain », comme s’il s’agissait de nouveaux textes, ce qui laisse penser qu’il pourrait parler d’aménagements210. Et de se féliciter que cela n’ait suscité aucune réaction populaire.

  • 211 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Vallier à Colbert, 25 VI 1675.
  • 212 BNF, Clairambault 796, fol. 329, lettre de d’Argouges à Colbert, 28 VII 1675.
  • 213 Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants. Etude des soulévements populaires au XVIIe siècle, Genèv (...)

87En croisant ces informations, on peut arriver à l’hypothèse que le tabac et l’étain sont au pire prélevés à des taux avantageux depuis les accommodements de juin, voire que leur prélévement est carrément supendu en raison des négociations en cours qui pourraient aboutir à un résultat intéressant pour les fermiers. Dans le même temps, papier timbré, contrôle et devoirs sont théoriquement maintenus en l’état, les bureaux sont ouverts, mais fonctionnent peu. Pour ce qui est du papier timbré, la situation est complexe. D’un côté Vallier note que Chaulnes et d’Argouges ont refusé de lui donner un arrêt « de prorogation du dernier timbre », craignant d’envenimer la situation211 ; mais d’un autre côté, on apprend, dans un courrier plus tardif du premier président qu’il n’y a pas encore eu de surséance accordée officiellement au sujet du papier timbré212. Voulant à tout prix et rapidement obtenir le calme, Chaulnes aurait multiplié les promesses de circonstances, sans s’en vanter en haut lieu, et étant certainement bien plus en accord avec le parlement et en particulier avec son chef qu’il ne l’a dit. Cette attitude « cynique » qui, note Yves-Marie Bercé, fait selon lui « partie de la religion d’État213 », ne saurait étonner de la part de ce grand seigneur qui était aussi un fin politique tendu vers l’idée de garder une place importante. De leur côté, les foules rennaises ne sont certes jamais allées manifester devant le palais pour obtenir un arrêt de surséance à la bordelaise, mais elles n’en n’ont pas moins obtenu un résultat appréciable. La grande différence avec Bordeaux était que, en Guyenne, la décision finale dépendait du roi, tandis que là, c’étaient les états qui étaient vus comme l’instance de décision.

  • 214 BNF, MC 171 bis, fol. 714 et 726, lettres de Chaulnes à Colbert, 26 et 28 VI 1675. Comme dans le c (...)

88Que pouvait penser Colbert de tout cela ? C’est peut-être parce que les avis qu’il reçoit sont contradictoires que le ministre est silencieux. Les 26 et 28 juin, Chaulnes est encore dans l’attente de son accord au sujet de l’affaire du tabac et de l’étain. Cela ne semblait cependant pas trop l’inquiéter, puisque selon lui c’était aux états d’acter l’accord définitif214. Peut-être que le statu quo est aux yeux du duc une solution favorable car on peut imaginer que le prélèvement est plus ou moins suspendu, sans qu’il ait à sortir la somme promise de 30 000 livres, pour des raisons qui tiennent au surgissement d’une inquiétante crise financière, qui peut expliquer d’ailleurs aussi l’attentisme du ministre.

  • 215 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 216 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.
  • 217 Quelques mois plus tard, Bussy-Rabutin confiera à sa cousine Marie de Sévigné que « l’argent est a (...)

89En effet, alors que la crise politique rennaise semble en voie de résolution, une crise financière, aux origines obscures, et aux effets fort importants s’impose dans le paysage. Les premiers échos que nous en ayons apparaissent dans la correspondance de Chaulnes le 16 juin. Dans ce courrier, celui-ci annonce à Colbert que « nous venons d’aprendre la banqueroute d’un des meilleurs banquiers de Vannes, qui causera la ruine de bien du monde215 ». Trois jours plus tard, il s’empresse de préciser que cette affaire n’est pas si grave216, mais l’effet d’annonce a pu entre temps faire son œuvre, d’autant que cette péripétie vannetaise ne semble pas isolée. En effet, toujours dans sa lettre du 16 juin, le duc confie au contrôleur général des finances que les fermiers – sur lesquels il compte financièrement – n’ont plus d’argent, ce qui pourrait être un aveu que le produit des divers impôts rentre mal, que la Bretagne connaît au fond une situation comparable à celle décrite à peu près au même moment en Guyenne par de Sève217. Il le redit d’ailleurs le 30 juin : les fermiers ne peuvent plus lui donner d’argent. Chaulnes conclut sur cette note peu rassurante : « Il est certain qu’il n’y a presque plus d’argent en Bretagne, et l’on ne croit pas qu’il y ait un million dans le commerce. » Cette prise de conscience aurait-elle provoqué un surcroît d’inquiétude chez ceux qui, au même moment, se sentent menacés d’avoir à payer, qui la taxe sur les offices, qui celle sur les francs-fiefs, qui les deux ? À moins qu’il ne faille voir, derrière ces mots, les premières manœuvres d’approche en vue des états, car le duc sait bien que si le pouvoir royal se montre trop gourmand, l’affaire peut dégénérer. Pour lui, le scénario à éviter serait que le gouvernement mette le feu aux états par ses exigences fiscales jugées trop élevées, suceptibles de provoquer par ricochet des prises d’armes dont les Hollandais pourraient profiter.

  • 218 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675. Faute de pouvoir percer tous (...)

90Le 21 juin, Chaulnes communique une autre nouvelle mauvaise nouvelle à Colbert, qui vient accréditer l’idée que tout ici n’est pas que discours, même si Chaulnes peut bien accuser le trait pour ne pas compromettre son avenir politique. Gardin, un des principaux banquiers rennais, est à son tour menacé d’une banqueroute d’autant plus fâcheuse que, selon lui, c’est cet homme qui « faisoit les affaires de M. d’Harouis », trésorier des états218. À en croire le gouverneur, qui décidément suit tout cela de très près, Gardin est parti à Paris (pour lever des fonds ?) et ses créanciers sont déjà à pied d’œuvre dans sa maison. Chaulnes dit travailler de son côté « pour empescher que l’on ne l’oblige à faire banqueroute, ce qui en attireroit bien d’autres ». Cormier rapporte lui aussi que la date du 21 juin est bien celle de la chute de la maison Gardin, l’aîné préférant selon lui se cacher. Il accrédite de plus l’idée qu’une véritable panique se dessine, qui n’est pas sans lien avec l’affaire vannetaise déjà évoquée, qui eut finalement peut-être plus de conséquence que ce qu’en disait initialement Chaulnes :

« Cette deroute [de Gardin] fut cause que ceux qui avoit de l’argent chez Ferret et Michau, banquiers, en retirèrent quantité ; on dit qu’en trois jours on avoit tiré plus de 400 000 livres. Cela pensa aussi les couler a fond, avec la banqueroute de Renart, banquier à Vannes, qui manqua huit jours auparavant et qui fit perdre pres de 20 000 francs auxdits sieurs Ferret et Michau. Cette banqueroute de Renart fut de presque 800 000 livres, ce qui incommoda fort tout l’évéché de Vannes, parce que tout le monde portoit chez ce banquier, qu’on croyoit assuré. »

  • 219 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 220 BNF, MC 171 bis, fol. 656, lettre de d’Argouges à Colbert, 21 VI 1675.
  • 221 D’Argouges ne précise pas de quels paiements il s’agit mais, d’accord avec Arthur de la Borderie ( (...)

91Plus loin, Cormier ajoute qu’à la date du 6 juillet, le greffier du présidial Bourdays fait lui aussi « une espece de banqueroute de près de 50 000 écus de consignations ». Mais ce qui surtout laisse penser qu’à cette date, l’heure est grave, c’est que d’Argouges – qui est sans doute autant un homme de robe qu’un homme de finance – sort de son silence épistolaire ce même 21 juin pour annoncer à son tour à Colbert qu’il n’y a plus d’argent en Bretagne. Il faut dire que, selon Chaulnes, le magistrat a voulu, dans les jours précédents, retirer 100 000 écus « qu’il a sur [sur les fermiers], ou à ses amys », ce qui n’est pas sans l’inquiéter, puisque le gouverneur compte également sur ces mêmes ressources219. D’Argouges ajoute que l’on vient d’assister à « deux fortes banquerouttes qui seront suivies de tous ceux qui se meslent d’affaires220 ». La solution à ses yeux est une surséance des paiements dus par la Bretagne en attendant la réunion des états, « seul remède aux maulx221 ». La conjonction d’une disette d’argent, de troubles récurrents et d’une menace extérieure rend la situation bretonne plus préoccupante que jamais.

  • 222 BNF, MC 171 bis, fol. 686, 712 et 714, lettres de Chaulnes à Colbert, 23, 26 et 26 VI 1675 ; SHD, (...)
  • 223 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 13 VI 1675.
  • 224 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

92Dans les jours qui suivent, Chaulnes peut assurer Colbert et Louvois que le calme est enfin revenu222. Le commerce, explique-t-il, a repris, les commis des bureaux ne sont plus inquiétés et nul ne parle plus des édits. Même la communauté de ville semble reprendre vie, avec une nouvelle assemblée le 21 juin, elle qui n’en a pas connu depuis le 6 juin, et qui ne s’est entre temps assemblée que pour la Fête-Dieu. Prenant acte de l’ordonnance ducale sur les gardes, la municipalité marque son retour dans l’espace décisionnel en se rendant aussitôt en habit d’honneur trouver le duc, qui assure la ville de sa protection et déclare qu’il travaillera « de tout son possible au soulagement de la province et de cette ville en particulier223 ». Tout cela est fragile, et Chaulnes lui-même estime que tout pourrait recommencer, en particulier si les archers de la maréchaussée de Normandie que Le Tellier et Louvois envisagent de diriger vers la Bretagne entrent comme prévu dans cette province224. Chaulnes est très clair et le dit sans ambage à Colbert, que l’on devine sensible à ce genre d’argument : au moindre soulèvement, les sous-fermiers déserteront.

L’ouverture du procès du parlement

93Pour le duc de Chaulnes, il existe deux menaces. Celle d’un soulèvement suscité par la veille méfiance envers les soldats, et celle que peuvent susciter les ennemis de l’intérieur qui selon lui n’ont pas désarmé :

  • 225 BNF, MC 171 bis, fol. 712, lettre de Chaulnes à Colbert, 26 VI 1675.

« Je scay que ceux qui ont esté trompés dans leurs esperances par l’assoupissement des troubles en cette ville veulent reprendre leur revanche aux Estats et mettre les fers au feu pour y eslever une nouvelle fronde225. »

94À qui le duc fait-il allusion ? Il y a fort à parier que, écrivant cela, il savait que son interlocuteur, ici Colbert, penserait à l’ennemi que, depuis plusieurs jours, courrier après courrier, le gouverneur a désigné comme le responsable de ses malheurs : le parlement.

  • 226 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.
  • 227 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
  • 228 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

95En reprenant le fil des lettres du duc, on remarque que dans les deux missives envoyées le 9 juin, il n’est pas directement question de la cour au sujet des troubles qui agitent la ville. Tout juste évoque-t-il, au sujet de l’affaire des appels, la raison profonde qui l’a conduit à se passer des services de la haute cour rennaise : la peur de la réaction des populations face aux supplices226. Le parlement réapparaît dans la correspondance ducale le 12 juin, sous deux jours contradictoires227. D’un côté, Chaulnes évoque le premier président d’Argouges, qui souhaite que des troupes stationnent à Rennes pour protéger les bureaux, ce qui ne fait décidemment pas de lui un ennemi du bon ordre monarchique. Mais, plus loin, après avoir raconté comment les insurgés ont voulu se rendre au palais pour obtenir des arrêts à la mode de Bordeaux, il lâche la terrible sentence : « la véritable source de ce soulevement vient du parlement ». À ce stade, Chaulnes ne semble toujours pas considérer que l’objectif des magistrats est de lutter contre l’impôt : pour lui, la cause du mécontentement parlementaire est à chercher dans le scandale que représenteraient pour les juges les condamnations faites sans appel à Nantes et à Guingamp sous son autorité. En conséquence, le parlement « a fait repandre mil bruits dans la ville par les procureurs et personnes du palais contre l’autorité du roy », mais, note-il, plutôt avant son retour dans la capitale bretonne. Poursuivant son récit, il en arrive à l’affaire de la libération des prisonniers. Sans cacher la présence d’hommes armés exigeant qu’on leur donne les détenus, il confie à Colbert que, « selon les apparences », le parlement a intrigué avec le geôlier pour faire libérer le boulanger. Le 15 juin, Chaulnes revient sur la question de l’attitude du parlement, mais le ton change puisqu’il estime désormais que la cour « conduit toute cette revolte », accusation qu’il prend soin de formuler de manière chiffrée228. On a passé visiblement un cap dans l’interprétation, et Chaulnes ne fera plus machine arrière. Concrètement, explique-t-il, la cour

« conseille au peuple de ne pas quitter les armes tout à fait, qu’il faut qu’il vienne au Parlement pour demander la révocation des éédits, et particulierement du papier timbré, et depuis les procureurs jusques aux presidens a mortier, le plus grand nombre va à combattre l’autorité du Roy, c’est la pure vérité, et il ne faut pas estre icy fort eclairé pour la connoistre ».

  • 229 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

96L’accusation est extrêmement grave. Elle est renouvelée le lendemain : « Plus je pénetre dans ce souslévement, écrit Chaulnes, et plus je reconnois qu’il est fomenté229. » C’est ici qu’il lance son argument clef, celui qui fait mouche depuis trois siècles :

« Ce qui me marque que le menu peuple n’agit pas de luy mesme, c’est que l’edict sur le tabac, qui debvroit le plus animer, n’est pas celuy qui faict le plus de bruit, mais le papier timbré. »

  • 230 BNF, MC 171 bis, fol. 644 et 662, lettres de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675 et sd. (sans doute ver (...)
  • 231 Gauthier Aubert, « L’enquête de Colbert sur les magistrats : une source pour connaître les « homme (...)

97Dans les deux courriers suivants, Chaulnes se fait plus précis230. Une première accusation consiste à insister sur le fait que le parlement a été, en juin, totalement silencieux, inerte, et que ce silence fut un véritable message envoyé aux émeutiers, qui voyaient ainsi qu’ils n’avaient rien à craindre, qu’ils étaient en somme couverts, en particulier dans « leurs emportemens contre les ecdits ». Une deuxième accusation concerne les parents de messieurs de Coëtquen et de Molac, qui auraient fortement intrigué contre lui, « persuadés que j’avois esté cause de l’exclusion du premier aux precedens estats et de la disgrâce presente de l’autre ». La thèse de la collusion des intérêts locaux sur fond de cousinages isolant le solitaire représentant de l’État, thèse que l’on voit aussi chez Bouchu à Dijon quelques années plus tôt231 et qui est probablement un poncif qui traverse les siècles, trouve ici une nouvelle illustration. Ce qui ne veut pas dire que c’est totalement faux, comme nous allons le voir.

98Dans ces courriers, Chaulnes distingue pourtant le premier président et le procureur général du reste de la compagnie. Le second, on l’a vu, se voit décerner un brevet de bonne conduite au même titre que d’autres notables locaux, parmi lesquels ne figurent pas d’autres parlementaires. Quant au premier, il lui paraît plein de bonne volonté, « mais c’est une foiblesse au-delà de l’imagination ». Et il illustre cette assertion en racontant que le magistrat lui assurait que le parlement ferait tout ce que le duc voudrait, mais que lorsqu’il s’agissait de passer à l’action, plus personne n’y était disposé. Ainsi Chaulnes aurait souhaité que les magistrats s’assemblent et envoient des députés vers les mutins pour les apaiser, comme ce qui s’était fait à Bordeaux en mars, ce que d’Argouges refusait de faire, répondant que le contexte breton était bien différent du contexte aquitain.

99Pour le duc, le comble est atteint lorsque, vers le 17 juin, un parlementaire dont il tait le nom vient le trouver pour lui dire que la cour entend, de concert avec la municipalité, députer vers le roi afin de demander « la revocation des ecditz », seul moyen de faire déposer les armes au peuple. On conçoit que Chaulnes ait pu ressentir la chose comme un coup de poignard. Lui qui s’efforçait d’étouffer cette revendication dans les rues, voyait soudain que des puissants du lieu envisageaient de passer par-dessus son autorité pour aller trouver le monarque en personne pour obtenir un réglement à la bordelaise. Ainsi, ces gens refusaient de députer vers les insurgés mais voulaient le faire vers le roi ! Après avoir répondu sèchement, selon son propre témoignage, à l’imprudent messager, lui faisant valoir que c’était là une très mauvaise idée, indigne d’un bon serviteur du roi, le duc alla trouver d’Argouges pour lui demander des explications quant à ces manigances. Il eut alors la mauvaise surprise d’apprendre la confirmation de ce projet. S’étant entendu dire par le duc que personne ne voudrait aller présenter une telle chose au roi sous peine de passer pour un mauvais serviteur, d’Argouges indiqua qu’au cas où nul ne veuille prendre ce risque, il irait lui-même, rien n’étant à ses yeux plus utile « pour le service du roy ». Plus que jamais, le parlement apparaissait, sous la plume du duc, à l’unisson de la rue en révolte.

  • 232 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.
  • 233 BNF, MC 171 bis, fol. 515, lettre de Lavardin à Colbert, 14 VI 1675.

100Que disent les autres sources de l’attitude du parlement ? Monseigneur du Guémadeuc, on ne s’en étonnera pas, est parfaitement en accord avec le duc, écrivant lui aussi à Colbert qu’il pense que toute cette affaire a été orchestrée en sous main par « des personnes plus puissantes232 » : le parlement n’est certes pas cité, mais à qui d’autre peut-on penser dans une ville comme Rennes ? L’emploi par le prélat du verbe « fomenter » laisse penser que celui-ci, s’il n’écrit pas forcément en service commandé, est sans doute trop proche du duc pour ne pas aller dans le même sens que lui. Lavardin lui non plus n’est pas tendre avec le parlement : selon lui, sa mollesse est la cause profonde des malheurs de Rennes, et il ne craint pas d’en attribuer la responsabilité à d’Argouges, dont « l’inquiétude » est venue se surajouter à la « lenteur » du parlement233. Mais il ne voit pas de complot. De son côté, le médisant Jonville – qui il est vrai a fait du gouverneur sa bête noire – ne dit pas un mot du parlement dans sa longue et méchante lettre du 29 juin, et attribue on l’a vu, l’ouverture de la prison au gouverneur. Ainsi la thèse du complot parlementaire est-elle d’abord et avant tout défendue par Chaulnes, timidement secondé par l’évêque de Saint-Malo.

  • 234 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 572, reg. sec. 24 V 1674 et 1 Bb 574, reg. sec. 13 VI 1675.
  • 235 Gauthier Aubert, « Rennes : robe seconde et pouvoir municipal à l’ombre du Parlement », dans Guy S (...)
  • 236 Arch. mun. Rennes BB 561, reg. délib., 13 VI 1675.
  • 237 27 et 26 bourgeois participent par exemple aux saluts adressés au duc et à la duchesse de Chaulnes (...)

101Du côté des écrits du for privé, on ne trouve pas grand-chose sur ce sujet capital. Seul Cormier indique un détail : le jour de la Fête-Dieu, note-t-il, le gouverneur de la province marche entre le premier président et le président de Marbeuf, mais c’est selon lui les deux seuls présidents présents, comme s’il fallait y voir un signe. Il est vrai qu’ils étaient quatre l’année précédente234. Mais si le détail peut être révélateur de certains tiraillements, il ne faut peut-être pas y voir l’indice d’une désaffection massive de magistrats qui auraient répugné à paraître publiquement aux côtés du duc : en effet, les registres secrets montrent que, derrière les deux présidents, suivaient alors 34 conseillers, soit quatre de plus que l’année précédente. Cormier se muerait-il, comme on l’a suggéré plus haut, en chroniqueur un peu forcé du désamour entre le duc et la noblesse ? Quant aux bourgeois de l’hôtel de ville, qui étaient pour bonne partie avocats ou procureurs235, ils n’ont pas boudé l’événement. Derrière les deux connétables et le procureur syndic, 21 bourgeois, plus les miseurs et le greffier, suivent la procession236. Les effectifs présents sont donc comparables à ceux de l’année précédente. À peine note-t-on un petit tassement par rapport à d’autres cérémonies publiques récentes237, mais de là à en tirer des conclusions politiques…

  • 238 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574.

102Le dossier à charge constitué par Chaulnes, appuyé par du Guémadeuc et Lavardin, mérite un examen attentif. Son argumentaire s’articule autour de ce qui est présenté comme des constats : celui de l’inertie du parlement, et celui d’un complot. Concernant le premier point, il est vrai que lorsqu’on ouvre les registres secrets du parlement, on est frappé par le fait qu’entre le 8 et le 20 juin, la grand’chambre s’est réunie presque tous les jours, sans qu’une seule allusion aux bruits de la rue ne perce238. Les historiens, forts de ce constat, ont dès lors considéré que l’analyse de Chaulnes quant à l’inertie parlementaire était juste. Les uns, comme La Borderie, estimaient que les magistrats, privés du droit de remontrance, s’étaient avec raison interdits d’en formuler au peuple ; les autres, plus récemment, voyaient là une énième manifestation des solidarités locales contre l’impôt et l’État moderne centralisateur.

  • 239 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849.

103Ceci dit, le silence du registre secret peut s’expliquer par les dissenssions internes à la magistrature quant à la conduite à tenir, ou au moins sur des hésitations. Il faut en effet souligner qu’il s’agit d’un papier officiel, qui peut être envoyé aux ministres, dans lequel ne sont consignés que des éléments revêtus d’un caractère officiel. En outre, les archives du parquet, négligées jusqu’ici, conduisent à nuancer cette image en insistant sur le fait que l’arrêt souvent cité du 12 juin rendu au sujet de la révolte naissante dite des Bonnets rouges avait aussi valeur pour Rennes, les troubles de cette ville y étant explicitement indiqués239. Le parlement, à cette date, s’est donc bien assemblé, il a bien commis un conseiller, le doyen Descartes, « pour instruire et faire le procès aux coupables », a enjoint à toutes les autorités judiciaires ou autres de prêter main forte et a défendu les attroupements, sous peine de vie. On notera que la mention proposée par Huchet faisant du duc de Chaulnes l’exécuteur principal de l’arrêt n’est pas reprise dans la délibération finale de la cour, petite réserve corrigée par l’appel à la collaboration de tous les « gouverneurs de places », qui relèvent en fait de l’autorité du gouverneur provincial. L’arrêt, pour finir, est imprimé pour être affiché partout en Bretagne, Rennes compris.

  • 240 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.
  • 241 Par exemple, la série 1 Bf ne semble pas avoir été utilisée par Alain Croix, auteur de la grande t (...)
  • 242 Supra, chapitre V.
  • 243 Supra, chapitre V.
  • 244 BNF, MC 171 bis, fol. 662, lettre de Chaulnes à Colbert, s. d.

104En fait, ce qui a pu contribuer à brouiller un peu les pistes, c’est que cet arrêt est indiqué par Chaulnes comme ayant été motivé par la situation en Basse-Bretagne240 ; de plus, il ne se trouve à Rennes que dans un fond exploré depuis peu241, alors que le même arrêt a été trouvé par les chercheurs dans les fonds des municipalités de Basse-Bretagne, accréditant l’idée que c’était cette partie de la province qui était seule concernée242. Il est vrai aussi que cet arrêt ne semble pas à première vue porter prioritairement sur la situation rennaise. Les méfaits incriminés par le parlement sont en effet les « faux bruits de l’imposition de la gabelle et autres nouveaux subsides », ce qui semble renvoyer précisément à la situation en Cornouaille telle que l’on peut la connaître à ce moment là243. Mais sans doute faut-il regarder le texte plus attentivement. La phrase citée, en effet, est tirée de la délibération prise par la cour, et elle est plus limitative que celle proposée par le procureur général. Celui-ci dénonce en effet, dans sa remontrance préalable, les « faux bruits tant dans cette ville (nous soulignons) que dans les autres de la province et principalement dans celles des eveschez de langue bretonne » où circulent, dit-il, les rumeurs d’instauration de la gabelle et de ruine des privilèges provinciaux. Ce que l’on comprend donc, c’est que le parlement est resté, dans sa délibération finale, un peu en retrait par rapport à ce que Huchet a proposé et qui devait être proche de ce que voulait Chaulnes, mais n’exagérons rien puisque l’ensemble – remontrance préalable et arrêt définitif – est imprimé conjointement. Ainsi l’arrêt en question interdit-il les attroupements et les propos infondés tendant à sédition sur le sujet de la fiscalité et n’est-ce pas exactement ce qui existe alors à Rennes ? Si, effectivement, suite à une lecture un peu rapide des lettres de Chaulnes, on estime que la capitale de la Bretagne connaît à ce moment là une grande révolte antifiscale, l’arrêt est à l’évidence sous-dimensionné par rapport aux enjeux. Mais si l’on considère que, à la date du 12 juin, et même dans les jours qui suivent, il y a surtout en la matière des rumeurs et des bruits destinés à conduire les gens à s’armer contre l’impôt, l’arrêt est plutôt bien adapté. Dès lors, les magistrats peuvent considérer que la démobilisation des miliciens – évoquée à travers l’interdiction des attroupements – est, dans sa dimension technique, un travail qui relève de compétence du duc, leur chef naturel. Et en ce sens, celui-ci a cependant raison de dire que les parlementaires l’ont laissé « desmeslée cette fuzée sans y prendre part244 ».

  • 245 C’est ce qui ressort de la lecture des états des prisonniers détenus dans la conciergerie du palai (...)
  • 246 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris, SEVPEN, 1963, p. 600.

105Certes, on peut se dire que le parlement aurait pu être plus incisif, et en particulier s’interroger sur le léger écart entre ce qui est demandé par le procureur général et ce qui a été délibéré par la cour. Sans même évoquer le fait que c’est le propre du parquet de mettre la barre un peu haute et le propre des magistrats du siège d’adapter l’arrêt définitif à la situation, il importe de souligner que le parlement ne semble pas avoir été au-delà de cet arrêt. Ainsi, on peut remarquer que l’arrêt du parlement ne dit pas un mot des prisonniers libérés de force quelques jours plus tôt, mais il y a là à l’évidence quelque chose d’inavouable – qui plus est dans un arrêt destiné à être imprimé et lu dans toute la Bretagne –, une humiliation, que le responsable de l’ouverture des geôles ait été d’ailleurs le parlement ou le duc de Chaulnes. De plus, le fait que tous les prisonniers pour fait de révolte semblent avoir été libérés245 met le parlement – et le gouverneur – dans la situation délicate de ne pouvoir entamer une quelconque procédure à l’encontre des rebelles. Le duc de Chaulnes déplore d’ailleurs surtout, et cette accusation est tout à fait crédible, que les magistrats n’ont pas pris la décision d’aller par les rues inciter, à la manière des Bordelais, les gens à déposer les armes. Il est vrai qu’en 1636, à Rennes, dans un contexte peu ou prou comparable, et de l’aveu même du commissaire d’Etampes Valençay menacé par la foule, le retour au calme a été en particulier obtenu grâce à l’intervention de quatre présidents, du procureur général « et quelques autres qu’il seroit trop long de nommer246 ». Bref, en 1675, si les parlementaires n’ont pas été aussi inactifs que l’a prétendu Chaulnes, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont pas témoigné d’un activisme débordant. Pourquoi ?

106Plusieurs raisons peuvent être invoquées. La première est cette « jalousie » évoquée par Chaulnes au sujet de l’affaire des condamnations sans appel de Nantes et de Guingamp. Que l’affaire ait créé un vif climat de défiance vis à vis du duc est hautement probable. On en trouve d’ailleurs un écho dans la remontrance de Huchet le 12 juin : les cours royales, présidiaux en tête, sont appelées à instruire et faire procès, mais bien avec appel ; de même, la maréchaussée est citée dans le dispositif, mais c’est uniquement pour capturer et conduire les coupables, non pour les juger. Nul ne sera désormais censé ignorer le droit. Sur ces questions, le siège suit le parquet. Mais il semble peu probable que cet argument, sur lequel s’appuie Chaulnes dans ses premières analyses, suffise à expliquer les timidités parlementaires, même s’il dût peser.

  • 247 Gauthier Aubert, « Parlement et maintien de l’ordre : Rennes, 1662-1675 », dans Gauthier Aubert, O (...)
  • 248 Ce qui aurait été à cette date compliqué car le roi se trouve alors entre Liège et Bruxelles.
  • 249 Georges-Bernard Depping, op. cit., t. I, p. 526.

107La seconde raison est sans doute la principale. Il s’agit de la peur, ou de ce qu’on pourrait appeler, avec plus d’indulgence, l’extrême prudence de la part d’hommes qui pressentent combien le rapport de force n’est pas en leur faveur. D’Argouges, chef de cour qui à ce titre donne le ton de l’activité parlementaire, est l’archétype du magistrat prudent voire craintif. Les témoignages sur ce point concordent, et ce depuis le début de la crise, quelques mois plus tôt. Mais au-delà de son cas personnel, il faut rappeler que la tactique consistant à laisser l’orage passer en attendant que le rapport de force s’inverse est la grande maxime du maintien de l’ordre, il faut sans doute à nouveau y insister247. Cette prudence est d’autant plus nécessaire pour des hommes qui vivent ici au quotidien et peuvent craindre pour leurs biens voire pour leur vie. Le fait que d’Argouges lui-même, que tout le monde – Chaulnes compris – sait et dit être dévoué au service du roi, en vienne à se demander si au fond le mieux ne serait pas une révocation des édits doit nous éclairer sur cette prudence mue par la crainte. Le premier président n’est certes pas allé à la cour, comme Chaulnes lui en prête l’intention, plaider la cause des Rennais248, mais il est passé aux actes en suggérant à Colbert, quelques jours plus tard, une cessation des paiements dans un contexte de panique financière à laquelle il est sensible. Faut-il voir là le geste d’un opposant ? Evidemment non, et on se souvient ainsi par exemple qu’en 1673, Lavardin lui aussi avait plaidé la modération sur le front fiscal, au moment des états, dans une lettre au même ministre249. Quant à l’accusation de Chaulnes selon laquelle les magistrats ont un peu vite ouvert les portes de la prison face à la foule, elle est hautement crédible, mais comme l’est celle qui veut que ce soit lui qui ait cédé à la pression populaire, les deux versions n’étant pas incompatibles. On n’aura en effet garde d’oublier que cette tactique visant à endormir la bête de la révolte en ne tentant rien de peur de la réveiller par quelque maladresse, est préconisée avec force par le même Chaulnes dans ses lettres à Colbert. Tout fonctionne un peu comme si, pour se justifier de ne pas utiliser des remèdes plus énergiques, dont le ministre, à travers ses lettres, s’est fait l’avocat, le duc voulait imputer au parlement cette indulgence coupable. Aussi peut se comprendre en partie le refus des parlementaires d’aller dans les rues pour obtenir le désarmement des insurgés. En effet, si l’on considère que les gens qui sont sous les armes le sont principalement pour des raisons tenant à leur peur du retour de l’armée, et que les parlementaires estiment que cette crainte est fondée, on peut comprendre qu’ils ont des réticences à aller faire des promesses qu’ils savent fausses, avec tous les risques que cela peut impliquer par la suite. On touche donc là aux limites d’un système de maintien de l’ordre fondé sur les seules paroles.

  • 250 Ibid., p. 514, 515, 525; Barthélémy Pocquet, op. cit., p. 472.
  • 251 Peu de temps après la crise, une anecdote rapportée par Charles de Sévigné va dans ce sens : au co (...)
  • 252 Barthélémy Pocquet, op. cit., p. 466.

108Ceci n’empêche pas de penser que, s’entrelaçant dans les peurs et les orgueils blessés, des forces politiques hostiles aient pu agir contre Chaulnes, notamment sur la question fiscale. Nous arrivons donc ici à un troisième argument, plus politique, et plus problématique : le complot. Celui-ci n’est pas sans fondement. Que le duc de Chaulnes ait eu dans la ville quelques ennemis est tout à fait crédible. Comment pourrait-il en être autrement pour un homme qui, depuis cinq ans qu’il est gouverneur, a dû faire accepter de lourdes exigences fiscales aux états ? Le principal est certainement le marquis de Coëtquen. Ce grand seigneur, gouverneur de Saint-Malo, marié à une Rohan-Chabot et qui a même présidé l’ordre de la noblesse, a déjà été remarqué par Chaulnes et Lavardin comme un fauteur de troubles notoire lors des états de 1671250. Comme pour Rosmadec de Molac, on peut douter qu’il ait eu beaucoup de cousins proches au palais, les alliances de ces deux maisons se contractant en général plus haut. Et s’il est vraisemblable qu’ils avaient au parlement quelques parents plus ou moins lointains que seule une étude généalogique fouillée permettrait de dévoiler – les magistrats étant eux-mêmes souvent des gentilshommes de la province –, cela ne doit pas occulter qu’une parenté ne fait pas mécaniquement une faction. Bref, si on ne peut exclure que certains, au nom de quelque fidélité familiale, aient cherché à mettre quelques embûches sur la route de Chaulnes par quelques paroles bien senties distillées de ci de là, il faut noter que point n’était besoin d’être cousin de Coëtquen ou de Molac pour être critique. On peut même se demander si en citant ces noms prestigieux, et particulièrement celui de Coëtquen, Chaulnes ne cherche pas à accabler quelqu’un qui a été et est encore un rival politique, ou à tout le moins quelqu’un de suffisamment lancé à la cour pour lui être nuisible251. Coëtquen, comme Molac, sont des adversaires à la hauteur du duc. On remarquera, en revanche, que Chaulnes ne fait aucune allusion aux deux personnages qu’il a exclus des états en 1673, Sauvaget des Clos et Freslon de Saint-Aubin – ce dernier cousin avéré de parlementaires – pour quelques discours jugés trop enflammés252. Mais ceux-ci semblent avoir été des personnages assez secondaires, et en tout cas jugés moins dangereux par un duc pour qui le théâtre premier est celui de la cour d’où sont exclus ces honnêtes gentilshommes bretons.

109Par ailleurs, il est très probable que, du côté des petits robins, certains, surtout parmi les procureurs, aient souhaité profiter de la situation pour poursuivre le combat engagé en 1673, et qu’ils aient trouvé des soutiens chez les bons bourgeois qui ressentaient comme un scandale de devoir payer la taxe sur les francs-fiefs. Il est aussi fort possible que ces mécontents aient aussi trouvé des soutiens chez tel ou tel parlementaire, qui pouvaient être parents de Molac ou de Coëtquen, mais qui pouvaient aussi être heurtés par la politique royale sur le plan fiscal et judiciaire.

110Enfin, une des pièces judiciaires copiées par Morel mérite qu’on s’y arrête. D’après ce document, un des futurs condamnés a eu l’intention, le jour de la Fête-Dieu, d’assassiner Chaulnes et d’Argouges, moyennant une somme de 2 000 livres « qu’on luy avoit promis ». Ce personnage, de plus, sergent exerçant dans une paroisse de la région de Rennes, y aurait aussi empêché le paiement des devoirs et extorqué des fonds à des commis « à la marque » (des devoirs sans doute). Bref, il semble que nous tenions avec ce Guillaume Floc (ou Froc) un individu un peu trouble, mêlé pour des raisons qui ne tiennent pas forcément au militantisme le plus pur à la lutte antifiscale et qui aurait été associé à un complot meurtrier dont il aurait été le bras armé. On notera d’ailleurs que ce complot comptait autant en finir avec le gouverneur qu’avec le premier président du parlement, associé à nouveau au camp de l’autorité. Mais là encore, comme pour les projets de marche vers le palais, comment ne pas constater que c’est l’échec qui caractérise la manœuvre, preuve que l’hydre dénoncée comme surpuissante par Chaulnes ne l’était pas tant que cela.

  • 253 BNF, MC 7 ; cette source est néanmoins à manier avec précaution : Gauthier Aubert, « L’enquête de (...)

111En somme, que des bruits et des projets un peu fous et au succès incertain aient été échafaudés à la faveur d’une situation trouble paraît évident, mais de là à estimer qu’il y avait un véritable complot organisé par « le parlement » lui-même, il y a un pas qu’il serait très audacieux de franchir. Que des parlementaires aient été associés de près ou de loin à des oppositions qui pouvaient les relier à des petits robins comme à des gentilshommes des états est possible. L’enquête de Croissy de 1663 montre d’ailleurs que des magistrats peuvent être liés à la populace et avoir l’esprit de cabale253. On remarquera cependant que Chaulnes ne donne aucun nom à Colbert, et qu’à aucun moment lors de cette crise, ni après d’ailleurs, il n’éloigne de la ville tel ou tel agitateur, comme il avait su si bien le faire lors des états de 1673. De même, il ne menace aucun magistrat de lui retirer son office.

  • 254 Supra, chapitre V.
  • 255 C’est ce que Boris Porchnev a proposé de qualifier, dans son langage joliment daté, d’« animisme f (...)
  • 256 Gabriel Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État, rééd. Paris, Gallimard, 2004, p. 15 (...)
  • 257 Ajoutons aussi que Charles de Chaulnes est le filleul de Charles Ier d’Angleterre. Songeait-il à s (...)
  • 258 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, op. cit., p. 599-601.
  • 259 Cité par Madeleine Foisil, La révolte des Nu-Pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, PUF, (...)

112En fait, Chaulnes a plusieurs raisons d’accabler le parlement. Face à l’agitation qui perdure malgré le départ des troupes, sa promesse d’avancer la date des états et ses nombreuses initiatives, le duc est enclin à penser qu’une main invisible agit contre lui. L’absence de chefs rebelles bien identifiés ne peut que le renforcer dans son analyse. Par ailleurs, et de manière complémentaire, le fait qu’il prétende que le papier timbré ne concerne pas le peuple peut renvoyer à ses difficultés à penser une action populaire autonome. Son regard paraît ainsi moins affûté que celui de de Sève qui est en train de comprendre, au même moment, les mécanismes conduisant les paysans à s’en prendre à un tel impôt254. Pour expliquer son incapacité à ramener le calme, Chaulnes ne peut que recourir à la théorie du complot. Il faut en effet remarquer que la dénonciation du complot parlementaire n’apparaît sous sa plume qu’à partir du 15 juin, alors que les troupes sont parties depuis cinq jours. Auparavant, le parlement est vu comme la cause des désordres par son attitude, mais ensuite, il en est à ses yeux l’organisateur actif. De responsable, il devient coupable. Pouvant difficilement envisager l’autonomie politique de la populace255, considérant que celle-ci n’est capable que d’embrasements courts, le tout joint à des rumeurs de revendications à relents élitaires qui parviennent jusqu’à lui, Chaulnes pense d’autant plus à l’existence d’un complot que la culture politique du temps, dont Gabriel Naudé s’est fait le meilleur porte parole, considére qu’il existe une science de la manipulation des masses256. Lui-même s’emploie d’ailleurs à tenter de la mettre en œuvre. De surcroît, Chaulnes est sans doute d’autant plus enclin à considérer que des puissants du lieu sont solidaires des insurgés que l’histoire récente du royaume telle que lui, le petit-neveu de Luynes, le favori de Louis XIII, a pu l’apprendre, est remplie d’histoires de ce genre, elles-mêmes nourries de récits et de correspondances de représentants du roi dénonçant les forces locales unies contre l’autorité de l’État qu’ils incarnent257. Ces histoires, de surcroît, ont le plus souvent pour toile de fond le refus de la fiscalité. Les lunettes avec lesquelles Chaulnes lit ces événements sont les mêmes, par exemple, que celles de d’Etampes Valençay venu à Rennes en 1636 demander de l’argent dans le contexte de l’après Corbie et pour qui l’émeute qu’il dut affronter était menée en sous main par quelques nobles ou ecclésiastiques, en lien avec les lenteurs et les réticences du parlement à accepter de verser une aide au roi258. Et déjà, coexistant avec la théorie du complot, perçait la thèse de la lâcheté parlementaire, n’osant sévir « crainte de pis ». Chaulnes sait certainement enfin que, à l’issue des révoltes normandes de 1639, une déclaration royale a montré du doigt les responsables locaux de l’autorité, auxquels furent reprochées « faiblesse » et « connivence », reproches dont d’ailleurs l’historiographe du règne, Charles Bernard, avait fait état publiquement dès 1646259.

  • 260 Cf. tableau 12 ci-dessous.

113Dans le cas présent, il y a certainement plus que les effets d’une culture politique partagée par les grands serviteurs de l’État. Le duc sait en effet grâce aux courriers qu’il fait ouvrir – et qui peuvent d’ailleurs émaner de robins – que des récits, des allusions aux événements en cours sont transmis hors de la ville. Il sait aussi que si certains faits – comme l’ouverture de la prison et du magasin d’armes en particulier – remontent au sommet de l’État, cela peut compromettre une place aussi menacée que celle qu’occupait il y a peu encore l’infortuné Molac. Dans ce contexte, Chaulnes a développé un argumentaire destiné à assurer sa survie politique. Or, à Rennes, l’autre force est le parlement, accusé dès lors d’être en tant qu’institution le responsable et le coupable, tandis que lui est le bon et fidèle serviteur du roi. Face à lui, le coupable désigné est « le parlement », avec lequel il entretient des relations complexes depuis longtemps, qui s’est fortement agacé des affaires nantaise et guingampaise et qui applique avec un zèle jugé excessif la tactique du profil bas. Pourtant, le parlement n’est pas totalement inactif, l’arrêt du 12 juin le montre. On remarque qu’à aucun moment d’ailleurs Chaulnes n’évoque dans sa riche correspondance cet arrêt, et qu’il ne l’envoie pas à Colbert, à la différence de son ordonnance datée du même jour. Ces lettres sont donc d’abord des armes politiques, et on note que Chaulnes prend soin de parler « du parlement », en en faisant un acteur d’opposition en soi, alors que l’institution n’a pas grandchose à se reprocher, et que ses deux chefs, d’Argouges et Huchet, dans des styles différents, voire opposés, sont parmi les plus évidents soutiens du gouvernement. Qu’en est-il des autres ? C’est impossible à dire dans le détail. Certains soufflent peut-être sur les braises en raison de quelques solidarités les reliant aux étages inférieurs de la robe et dont les parrainages forment un témoignage260, et qui sont la marque du XVIIe siècle par rapport au suivant, plus clivé. D’autres, que l’on serait enclin à penser assez nombreux, peuvent être dans un état d’esprit différent, tiraillés entre leur intérêt immédiat qui est de ménager les insurgés et leur intérêt à plus long terme qui est de ne pas fâcher le roi. Mais au-delà de ces logiques d’intérêt, qui dit que certains ne pensent pas aussi à leur devoir – qui peut rejoindre leur intérêt – qui est de ne rien tenter qui puisse compromettre la fragile grandeur de l’autorité judiciaire adossée à l’autorité royale. Dans un tel contexte, il suffit d’une imprudence pour plonger la ville et la Bretagne dans un fâcheux chaos à l’heure où la Basse-Bretagne commence à bruir et où les voiles hollandaises sont susceptibles de reparaître. Et au fond, c’est peut-être parce que les prudents partisans de l’autorité sont assez nombreux au sein de l’institution que les projets évoqués par Chaulnes ont fait long feu.

Tableau 12. – Parlementaires parrains dans la paroisse St-Pierre-en-St-Georges.

Père du baptisé

1600-1649

1650-1675

1700-1749

Parlementaire

27

20

21

Autre noble

13

23

11

Autre robin

23

17

3

« sieur de… »

1

1

2

Métiers, boutiques

3

6

3

Sans indication

11

1

4

  • 261 Jean Lemoine, CLXIII.

114Il est évidemment difficile de dire jusqu’où Chaulnes croyait à son argumentaire. Pensait-il vraiment que « le parlement » conduisait en sous main une révolte gigantesque ? D’un côté, et cela plaide en faveur de sa sincérité, l’homme était sans doute profondément blessé, humilié, et ses blessures étaient certainement d’autant plus vives s’il savait, comme on peut le supposer, que ses mésaventures étaient devenues un sujet de discussion à Paris et à la cour, voire de moqueries, comme tend à le montre la lettre de son amie la marquise de Sévigné. Même la London Gazette relate, le 19 juin, d’après une dépêche écrite à Paris, que les troupes ont dû repartir, que l’arsenal et l’hôtel de ville sont aux mains des insurgés qui réclament la révocation des édits261. Un signe de la rancœur du duc transparaît dès le 16 juin, quand, envisageant les suites à donner à toute cette affaire, il parle d’un coup de « vengeance », mot pouvant renvoyer à de noires pensées, et en tout cas plus fort que celui de « punition », qu’il emploie habituellement, et qui pour sa part montre un plus grand détachement, une plus grande hauteur. Mais d’un autre côté, on a déjà vu que Chaulnes était capable de menées épistolaires d’une honnêteté et d’une transparence très relatives pour parvenir à ses fins. Bref, ce diplomate, adepte du double discours, expert en écriture politique, a bien pu être aussi un acteur conscient de ses dénonciations, éventuellement en lien avec ses profondes blessures. Ce qui tendrait à le faire penser, c’est que le discours de Chaulnes est trop bien construit pour sembler inconscient. L’omission de l’arrêt du 12 juin, l’insistance sur les édits comme cause de l’affaire au détriment non seulement des soldats, mais aussi des taxes, le subtil propos indiquant que le papier timbré est plus visé que le tabac, alors que rien ne le laisse supposer, tout cela laisse penser que Chaulnes sait très bien ce qu’il écrit.

115Enfin, en fiscalisant la lecture de l’événement, le duc, en même temps qu’il montre le parlement comme coupable, détourne les yeux du pouvoir de la cause première de l’embrasement, soit l’arrivée des soldats, véritable fiasco, commencé par un arrangement peu avouable et qui s’achève dans les insultes. En contrepartie, l’exagération de l’ampleur de la révolte antifiscale le met dans la posture du serviteur le plus zélé qu’il était possible, véritable héros ayant triomphé, avec quelques rares compagnons au rôle secondaire, face à des ennemis aussi nombreux que puissants.

  • 262 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 88.
  • 263 Frédéric Saulnier, Le parlement de Bretagne, 1554-1790, Mayenne, La Manutention, 1991, p. 131 ; Je (...)
  • 264 BNF, Clairambault 759, fol. 709.
  • 265 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 22 VIII 1675.

116Reste un point que Chaulnes ne note pas et qui peut, il faut le reconnaître, aller dans le sens de sa démonstration d’une éventuelle alliance entre émeutiers et parlementaires : le fait que nulle menace populaire ne semble planer sur la tête des hauts magistrats, à part sur le premier président. Ainsi, dans la liste que Cormier donne des personnes menacées en juin, ne figurent pas de conseillers ni de présidents, alors que l’on trouve des gens du présidial. En fait, il faut nuancer puisque, à une date difficile à établir, mais que l’on peut situer entre juin et juillet, les Augustines de l’hôpital Saint-Yves racontent que des insurgés voulurent mettre le feu à la maison voisine de la leur, demeure du conseiller de la Bourdonnaye de Couetion, explicitement visé et qualifié par les mutins de « maltoutié262 ». Celui-ci avait le profil même du bon magistrat dévoué au service du roi : très bien noté par Colbert de Croissy en 1663, il avait été nommé dans la commission de réformation de la noblesse et, en 1672, dans celle, très redoutée, chargée du domaine263. À ce titre, il a été chargé en 1673 de négocier avec le premier président et les procureurs sur la question de la taxe, et a pu ce faisant acquérir une mauvaise réputation, surtout dans ce climat passionné fait de grève et de menaces physiques sur les traîtres à la cause264. Faut-il voir aussi un lien avec le fait que quelques semaines plus tard, on le voit déposer une requête à l’hôtel de ville au sujet d’un moulin qu’il fait construire sur la Vilaine, et qui aurait déplu265 ? On ne sait au juste, et les religieuses qui rapportent le fait se plaisent surtout à raconter comment elles ont réussi à détourner les incendiaires, en affirmant que la demeure était à elles, les émeutiers leur répondant :

« Laissons là elles ne sont point malhonnêtes ces bonnes mères, elles nous assistent bien quand nous sommes a l’hopital. »

  • 266 William Beik, op. cit.
  • 267 On songe ici non seulement aux mésaventures de La Bourdonnaye, mais aussi aux jets de pierre de la (...)
  • 268 Gauthier Aubert, « Les parlementaires à Rennes au XVIIe siècle : la grandeur et l’exil », dans Oli (...)
  • 269 Tables de l’association Parchemin, paroisse Saint-Pierre-en-Saint-Georges. Au XVIIIe siècle, le pr (...)
  • 270 Gauthier Aubert, « Les parlementaires », art cit. et « Lieux de vie, lieux de mort ? Essai sur l’e (...)
  • 271 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849, arrêt du 4 V 1675.
  • 272 Ce qu’avait rappelé non sans malice Blaise Pascal dans ses Pensées (fragment 82) : « Leurs robes r (...)

117S’il est difficile de comprendre ce que voulaient précisément les émeutiers à ce magistrat-là, au-delà d’une possible implication dans les finances qui renvoie bien à la pratique rebellionnaire de viser des cibles précises266, il semble en revanche possible d’expliquer pourquoi les parlementaires ont été assez peu pris à partie par la foule, au-delà de quelques épisodes limités267. Pour comprendre cela, il faut souligner que les parlementaires rennais, par rapport aux juges des présidiaux en particulier, sont beaucoup moins présents dans la ville et à la ville268. La semestrialisation des sessions limite une présence qui est ce faisant relativement peu pesante. À cette réalité, il faut ajouter une donnée plus récente, qui est la pratique du retrait civique : amorcé au début du XVIIe, il voit les parlementaires disparaître de l’hôtel de ville et semble-t-il aussi de la gestion paroissiale. L’un des, si n’est le dernier, présidents à être trésorier de paroisse, un Fouquet, est signalé en 1642269. De même, les hauts magistrats tendent à s’éloigner de la milice, ce qui, en période de crise comme ici, limite singulièrement les occasions de conflits. Parallèlement, l’attention, qui date des années 1650-1660, à se faire qualifier de « nosseigneurs » et de « monseigneur » renvoie à cette idée d’un monde parlementaire qui, en même temps qu’il s’aristocratise en raison de son recrutement, s’éloigne des instances qui constituent la trame de la cité en tant que corps politique, et met en place des barrières distinctives d’autant plus nécessaires qu’il existe une proximité géographique, physique270. En outre, du fait de leur richesse, les hauts magistrats peuvent être appréciés, de manière plus ou moins ambiguë, par ceux à qui ils donnent du travail et plus encore peut-être par ceux à qui ils font l’aumône. De plus, et peut-être finalement surtout, il semble que la grande majorité des parlementaires ait été assez étrangère au système fisco-financier provincial. Ce point mériterait d’être précisé par de nouvelles études sur les finances bretonnes, mais il pourrait expliquer que les émeutiers, qui, on l’a dit, savaient précisément cibler leurs victimes, n’aient pas cherché particulièrement à les menacer, à l’exception de La Bourdonnaye, connu pour son implication dans les affaires, et justement traité de maltôtier. Parallèlement, le parlement, en tant qu’institution, n’est pas autant en première ligne sur le front judicaire que la prévôté et le présidial, ce qui limite également les points de friction. En revanche, par ses pouvoirs de police, la cour intervient dans la vie de la cité, en particulier en cas de disette ou d’épidémie, ce qui peut la rendre populaire. Et quand des mesures frappent des pauvres, comme on l’a vu encore au début de la crise lorsqu’un arrêt d’expulsion est pris, le « sale travail » est effectué par les gens du présidial, de ce fait beaucoup plus exposés271. Certes, tout n’est pas idyllique car les Rennais attendent sans doute beaucoup d’un parlement jugé d’autant plus puissant qu’il ne cesse de proclamer sa grandeur. Mais justement, comme on le voit à plusieurs reprises en 1675, les menaces semblent s’être polarisées sur l’édifice, symbole de l’institution, ce magnifique palais presque neuf. Sachant bien que leur grandeur repose moins sur la force physique que sur leur capacité à se faire respecter272, les parlementaires sont à l’évidence enclins à la prudence en cas de conflit. Craignant de compromettre une dignité constitutive de leur identité, craignant pour leurs personnes et leurs biens, ayant une conscience aiguë de ce que le rapport de force n’est pas en leur faveur, désireux aussi de ne pas insulter un avenir par quelques démarches inconsidérées, les parlementaires font sans doute tout pour éviter d’être des cibles.

Essai de bilan : un scénario possible

118La révolte de papier présentée par Chaulnes ne repose pas sur rien, et c’est en grande partie ce qui rend son récit crédible. Il importe à ce stade de tenter, en tâchant de prendre un peu de hauteur, de reconstituer un scénario plausible de ce qui s’est passé à Rennes du 8 au 20 juin. Tout commence donc avec l’entrée de trois compagnies, décidée par Chaulnes pour des raisons variées, la principale étant d’assurer une protection fiable aux bureaux. Face à cette intrusion, et dans un premier temps (8-10 juin), des Rennais de toutes conditions, âges et sexes se sont émus, cette mobilisation débouchant sur une prise d’armes prenant les traits d’une révolte civique prolongeant la mise en place des gardes du début mai. Cette mobilisation s’est ensuite poursuivie dans deux directions entre le 9 et le 11 juin. D’un côté, certains ont manifesté leur mécontentement envers Chaulnes perçu comme un traître, un parjure. La pression mise sur lui serait autant une vengeance qu’une façon de lui demander de faire repartir les troupes au plus vite. D’un autre coté, des individus qui pouvaient être les mêmes, ont agi pour libérer les camarades prisonniers menacés par la machine judicaire. L’affaire se solde par une victoire totale des insurgés avec le départ des troupes et la libération des prisonniers, celle-ci ayant occasionné des combats avec des miliciens fidèles au duc, et la mort d’un émeutier.

119L’élan civique qui s’est manifesté le 8 juin n’a en effet pas débouché sur une union durable. Cet élan, d’ailleurs, n’avait pas la même signification pour tous : si du côté des élites, l’atteinte aux privilèges était l’argument principal, du côté du peuple, c’est la peur des supplices qui a été le grand moteur de la mobilisation. Dans les heures qui ont suivi, la protection de la résidence de Chaulnes, la défense de la prison et l’expulsion des soldats, ont ainsi révélé l’existence de deux camps aux limites incertaines, l’un penchant plutôt du côté des élites et des quartiers centraux ; l’autre, plutôt du côté du peuple, et dont le cœur pourrait être le faubourg de la rue Haute.

120Dans les jours qui suivent (11-20 juin), plusieurs dynamiques cohabitent. La première s’inscrit dans la continuité de l’émotion née le 8 mai : les troupes sont certes reparties, mais la mobilisation perdure en raison de la crainte d’un retour des soldats, plus nombreux et vengeurs. Il semble que cette préoccupation soit plutôt populaire, sans que des frontières précises puissent être tracées, s’inscrivant dans la continuité des angoisses judicaires qui ont causé l’attaque de la prison. On remarque d’ailleurs que les ultimes gardes ont eu lieu en bout de faubourgs, dans les quartiers les plus populaires, mais il est assez normal aussi que les gardes soient en bout de ville. Ces gardes ne s’arrêtent que le 20 juin, au prix de diverses promesses, et en particulier l’assurance que les troupes ne reviendraient pas. Même si Chaulnes tend à minorer l’importance de cette hostilité aux troupes passées l’exfiltration des trois compagnies, c’est bien sans doute contre cela, au nom de cette peur, que les/des Rennais se sont d’abord mobilisés.

121Le reste n’est pas que littérature, mais il est sans doute moins important que ce que le duc en a dit. Ce « reste » constitue la substance de la deuxième dynamique rebellionnaire, qui est de nature antifiscale. Elle apparaît dans un second temps, semblant constituer une menace plus diffuse que frontale, et s’ancre dans un mécontentement latent que les échéances liées aux taxes ont pu contribuer à réveiller.

  • 273 À la manière… des universitaires qui hantent les AG d’étudiants lorsque ceux-ci sont mobilisés ?

122Il semble clair que certains ont effectivement voulu profiter de l’agitation et que des centaines, voire des milliers d’hommes étaient en armes – sans doute prioritairement contre la menace militaire – pour tenter un nouveau 18 avril, et même, pour obtenir du parlement les mêmes garanties que les Bordelais quant aux édits. Qui étaient ces gens ? Nul ne le sait précisément, mais on peut penser qu’il s’agissait des mêmes que ceux qui avaient œuvré en 1673, les mêmes aussi sans doute que l’on voit tenter de relancer par des placards le processus insurrectionnel après le 18 avril. Sans doute les trouve-t-on plutôt dans la petite robe, sans doute chez les procureurs, cœur de la contestation en 1673, mais on ne peut exclure que quelques parlementaires et gentilshommes aient suivi les événements avec intérêt, voire aient distillé conseils et recommandations273. Mais les mots d’ordre répétés appelant à passer de la mobilisation à l’action ont été des échecs, bien que les élites aient manifesté, noblesse en tête, qu’elles ne s’opposeraient pas cette fois par la force aux émeutiers.

123L’échec s’explique par la peur des représailles, et l’utilisation d’arguments divers, l’argent n’étant pas le moindre. Il s’explique aussi par des promesses de surséance sur fond de convocation des états provinciaux, selon un schéma qui reprenait ce qui avait permis de déminer la situation explosive en 1673. À cela s’ajoutaient les dispositions relatives au tabac, qui ont pu contribuer à apaiser les plus modestes, coupant même peut-être l’herbe sous le pied aux agitateurs, les privant de la masse de manœuvre populaire qui était plus intéressée par le fait de guetter un éventuel retour des soldats que par la surséance d’impôts un peu plus virtuels chaque jour qui passait. Il y a en effet fort à parier que dans ce contexte tendu, les différents commis se soient montrés très discrets.

124Ainsi, l’échec n’est-il pas total. La pression entretenue fut suffisante pour inquiéter le duc de Chaulnes qui, craignant un embrasement général au moment où la situation en Basse-Bretagne – tout près de Brest de surcroît, qu’il lui faut absolument protéger des Bataves – alla au devant des revendications. Le 20 juin, les Rennais apprenaient, par l’intermédiaire de la milice bourgeoise qui avait de fait occupé l’espace politique laissé vacant par la municipalité trop liée au gouverneur pour jouer un rôle d’intermédiaire, que les soldats ne viendraient pas, que les milices continueraient de monter la garde comme avant le 8 juin et qu’on reparlerait des divers impôts aux états. Ce relatif succès avait été obtenu sans combattre. Rennes n’était pas tout à fait à l’heure bordelaise, mais s’en approchait de nouveau.

Un air de bonne ville

Il pleut sur Rennes

  • 274 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.
  • 275 BNF, MC 172, fol. 20, lettre de Chaulnes à Colbert, 3 VII 1675.

125Entre la fin de juin et le début de juillet, le calme semble suffisamment établi pour que l’évêque de Saint-Malo reparte dans son diocèse et que le duc de Chaulnes gagne la Basse Bretagne, comme il l’avait annoncé dès la mi-juin suite à l’affaire de Châteaulin. À croire le gouverneur, son départ a été un moment redouté à Rennes car d’aucuns craignent que cela ne soit le signe qu’il entend revenir avec des troupes274, selon un schéma rappelant les inquiétudes parisiennes qui ont entouré la fuite du roi à l’Epiphanie de 1649. Ayant promis qu’il n’y aurait pas de troupes, il pouvait partir sans laisser trop d’inquiétudes derrière lui. C’est d’ailleurs peut-être pour donner corps à ses promesses que le duc laisse sa femme dans la ville, en situation de quasi-otage, afin qu’elle puisse rassurer les esprits par sa présence275. Mais il est vrai qu’elle est peut-être aux yeux du duc plus en sécurité dans Rennes apaisée qu’à le suivre dans une Cornouaille incertaine. Le 4 juillet au matin, comme à la fin de mai, le duc part en espérant laisser une situation stabilisée et Rennes se retrouve à nouveau face à elle-même.

  • 276 Outre les récits de Morel et de Toudoux, la principale source sur ces dévotions, que nous devons à (...)
  • 277 En 1664, les reliques de saint Amand ont déjà été sollicitées dans le cadre de prières publiques c (...)

126Les Cieux étaient-ils mécontents ? Les chroniqueurs locaux, qui prennent le relais pour nous informer semblent bien l’avoir pensé, et leurs compatriotes avec eux. En effet, d’inquiétantes pluies commencent à s’abattre sur Rennes au début de juillet, d’après Toudoux, mais dès juin selon Morel. Partageant l’inquiétude des Rennais pour les « biens et fruits de la terre », comme dit joliment Morel, les Bénédictins de l’abbaye périurbaine Saint-Melaine décident d’organiser, à partir du 9 ou du 10 juillet des prières publiques par l’invocation de saint Amand, évêque de Rennes au Ve siècle, et l’un des patrons de la ville276. Il faut dire que cette vénérable institution est certainement d’autant moins indifférente au sort de la ville qu’elle dispose de pouvoirs seigneuriaux sur toute une partie du territoire urbain et qu’elle députe aux assemblées municipales. En fait, il est probable que les moines ont voulu relancé un culte qui, jusque là, était assez peu actif, dans le cadre de la dynamique dévote qui touche Rennes comme toutes les villes du royaume277. D’après les moines, la neuvaine qu’ils organisent dans leur abbaye, avec procession derrière la chasse du saint dans le cloître, attire un peu de monde, mais, dès le soir, « le tems changea et la serenité dura pendant trois semaines, ce qui donna moyen de faire la recolte ». Le lendemain, passant de la prière de demande à celle d’action de grâce, « tout le peuple vint en foule rendre ses devoirs à st Amand ».

127Le point important pour nous est que, aussitôt, les compagnies miliciennes viennent se greffer sur ces dévotions, qui continuent du coup jusqu’au 4 août, la neuvaine ayant été prolongée afin de permettre à toutes les compagnies de venir y participer. La compagnie qui est à l’origine du mouvement, est, d’après Morel, celle de la rue Tristin, dont le capitaine, Jeunesse, est à lui seul un résumé de la petite notabilité rennaise, étant avocat, sénéchal de l’abbaye voisine de Saint-Georges et greffier municipal. On notera aussi que si cette compagnie de la ville haute n’a pas été décapitée à l’issue des troubles de juin, elle compte en revanche dans ses rangs Tréhol, le fripier tailleur qui a menacé Chaulnes quelques jours plus tôt.

  • 278 Infra, chapitre VII.

128D’après Morel, qui témoigne ici d’un goût dont il donnera d’autres témoignages pour les parades armées, les miliciens entrent dans l’abbatiale quatre de front et armes baissées, s’agenouillent, font oraison, et passent devant les reliques entourées de cierges, pendant que les moines chantent. Puis vient la procession, qui se conclue, en sortant, par une martiale et joyeuse décharge de mousqueterie. Selon les religieux, les compagnies viennent deux par deux, les unes après les autres. Selon Morel, toutes les compagnies font aussi à cette occasion des présents à leur paroisse, les déposant « en corps », et consistant en « des croix, des images de la Ste Vierge, de son Fils, des calices, des encensoirs, le tout d’argent », mais peut-être confond-il avec des faits survenus un peu plus tard278. Toujours d’après Morel – et les religieux suggèrent la même chose – seules les compagnies de garde sont initialement concernées par ces dévotions, chevillées dès lors à l’engagement civique de défendre la cité. Toutefois, et à un moment qu’il est difficile de situer précisément, les compagnies exclues de la garde en vertu de l’accord du 20 juin s’associent aux dévotions, témoignant à nouveau, comme au moment des mobilisations intempestives, d’un désir d’être associées à la vie de la cité.

La fête du 14 juillet

  • 279 Sur le concept de religion civique auquel semble se rattacher les manifestations rennaises de juil (...)
  • 280 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib.
  • 281 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574.
  • 282 Michèle Fogel, Les cérémonies de l’information dans la France du XVIe au milieu du XVIIIe siècle, (...)
  • 283 Arch. nat., O 1* 19, fol 166 : « Lettre du Roy a Mgr l’archevêque de Paris pour faire chanter le T (...)
  • 284 À noter que ni à Lille, ni à Paris, les processions liées au contexte météorologique ne semblent a (...)

129Cet élan civico-religieux connaît son apogée le dimanche 14 juillet279. Ce jour-là, expliquent les Bénédictins, est celui d’une procession générale avec tout le clergé de la ville, les parlementaires en robes rouges et « un peuple innombrable », « chacun s’empressant de venir temoigner a st Amand son respect et sa reconnoissance ». De son côté, pourtant, le registre municipal, dont le rédacteur juge peut-être que c’est le moment ou jamais d’afficher un loyalisme sans faille, indique que ces festivités du 14 juillet sont liées au seul Te Deum pour les prises de Limbourg, Huy et Dinant280. En fait, Bénédictins et bourgeois ont tous les deux raison, ce qui s’est joué ce jour-là étant la manifestation d’une fusion entre l’adhésion à l’espace communautaire et l’adhésion à la couronne. Le député du chapitre qui, la veille, a, comme le voulait l’usage, convié les membres du parlement, a bien indiqué que l’occasion sera de prier pour « la continuation des heureux progrès des armes du Roy » et la conservation de sa personne mais aussi – et c’est plus neuf – pour la paix, les nécessités du temps « et generallement toutes les calamitez publiques », la liste de ces dernières pouvant être jugée longue par son auditoire281. La mention à la paix future dans un Te Deum, originale semble-t-il282, ne figure d’ailleurs pas dans la lettre envoyée par le roi pour demander ces prières283. Aussi doit-on croire en une initiative locale, comme un message que, du côté des élites de la ville, quelque part entre le chapitre et le parlement, on doit se dire que la cause profonde des malheurs de la ville est à chercher du côté des ambitions européennes du souverain284.

130Toudoux s’est plu à décrire le parcours processionnel des reliques qui partent de l’abbaye Saint-Melaine vers la cathédrale, où d’autres reliques sont sorties et ensemble emmenées aux Carmes « a cause de nostre Dame de la paix », avant de revenir à la cathédrale pour la messe, suivie du traditionnel feu de joie. Indice qu’on est dans le prolongement de l’expression de cet orgueil milicien qui se déployait depuis quelques jours, les officiers et les soldats de la cinquantaine de la Baudrairie sont, à l’issue de la journée, salués par le corps de ville, ce qui n’est pas banal, pour leur zèle à l’occasion du feu de joie, qui aurait occasionné de leur part quelques dépenses extraordinaires.

  • 285 Notons que, en 1673, Toudoux lie présence de la pluie et venue à Rennes de « Champillart ».
  • 286 Robert Descimon, « Les capitaines de la milice bourgeoise à Paris (1589-1651) : pour une prosopogr (...)

131Quel sens donner à tout cela ? Si les prières d’action de grâce qui montent de Rennes dans le ciel de juillet sont évidemment faites pour remercier de la fin des pluies, il est assez probable que les hommes en armes qui s’agenouillent avant de tirer martialement en l’air remercient aussi pour le départ des troupes, et peut-être aussi pour les quelques promesses fiscales285. Un mois après le départ des soldats, ces manifestations des bourgeois en armes et fiers de l’être nous renseignent sur l’ampleur du choc ressenti le 8 juin, sur la force des inquiétudes que suscitèrent les troupes et sur la profondeur de l’attachement d’un nombre significatif de Rennais au cadre communautaire. En revenant en arrière, on peut d’ailleurs se demander si, quand il écrivait que les soldats sont entrés « meches allumées », Duchemin ne traduisait pas d’abord de tels sentiments. La mention avait valeur de symbole d’un événement perçu comme extraordinairement violent. Tout cela illustre aussi l’investissement probable d’une partie du clergé régulier dans la vie de la cité, les Carmes emboîtant le pas aux Bénédictins, sur fond de dynamique dévote, le culte à Notre-Dame de la Paix étant récent, et celui rendu à saint Amand semblant être une nouveauté. Le civisme et la contre-réforme se rejoignaient – ou, si l’on préfère, le civisme prenait les habits de la dévotion rénovée – pour permettre une communion de l’esprit communautaire dans l’État royal. Les dévotions rennaises donnaient ainsi à voir les trois niveaux d’appartenance au corps politique : la rue, la ville, le royaume, qui constituaient les trois niveaux de ce qu’il fallait défendre les armes à la main286.

132En somme, toutes ces dévotions formaient le prolongement d’un mois durant lequel les vieilles cinquantaines ont été le cœur de la ville. C’était comme une sorte de Te Deum bricolé et spontané. Mais en même temps, cet élan civique dit sans doute autre chose. Centré sur un saint protecteur de la ville, il permet de sceller le temps de la réconciliation, de gommer les profondes fractures apparues en ce mois de juin au sein même des « bons habitants », et dont les cinquantaines ont pu être le théâtre. L’intégration de Notre Dame de la Paix renvoie probablement à cette volonté. De ce processus de réconciliation, les faubourgeois et bas-citadins semblent ne pas avoir été exclus. La fête, à la fois religieuse et civique, était un langage de réconciliation destiné à redire l’unité de tous autour du beffroi. Cette expression du patriotisme municipal n’était cependant pas pensée de manière totalement autonome, ce dont vient témoigner l’apothéose du 14 juillet. Celle-ci était une manière de dire que rien de tout ce qui avait été fait ne l’avait été contre le roi, dont la gloire armée ne laissait personne indifférent, à condition que cela soit tendu vers la paix. L’insistance, dans le registre municipal, sur les mentions aux cris de « vive le roi » témoigne de ce vif désir de redire une fidélité que d’aucuns pouvaient considérer qu’elle avait été malmenée. En l’absence de l’évêque, du gouverneur de la province et du lieutenant général, la cérémonie se déroula dans un certain entre soi. À côté du marquis de Coëtlogon – enfant du pays –, on trouvait le parlement, et derrière lui le présidial, le corps de ville puis les milices. Rennes, sans soldat ni gouverneur – que seul Morel imagine présent –, fidèle au roi à condition que celui-ci s’appuie sur les notables locaux et ne vienne pas perturber les équilibres internes au nom de ses lointaines ambitions, reprenait des allures de bonne ville. Avec dignité, ce cortége disait que la ville voulait bien vivre sous l’autorité du grand roi, mais avec aussi peu de gabelle que possible.

*

  • 287 Mémoire de M.-A. Millotet, Charles Muteau (éd.), Dijon, Rabutot, 1866, p. 57, cité par Philippe Sa (...)

133D’une certaine façon, les cérémonies du 14 juillet accréditent la thèse développée par Chaulnes à l’issue de la crise selon laquelle toute la ville – avec 15 000 hommes sous les armes – était complice. Cette formule contraste étrangement avec celle qu’il avait écrite après le 18 avril : « la ville a fait son devoir ». Complice, et non, coupable, ce qui nous conduit à revenir sur les responsabilités de ce singulier soulèvement telles que les envisage le gouverneur. À le lire, si, le 12 juin, le peuple est bien le coupable, trois jours plus tard, c’est le parlement qui occupe cette place. Ce basculement d’un cadre interprétatif hérité du 18 avril à un nouveau schéma explicatif n’est pas directement lié aux humiliations subies. En effet, celles-ci l’ont été pour l’essentiel entre le 8 et le 11 juin, et elles sont plutôt le fait du peuple. Ce basculement a donc plutôt à voir avec une triple prise de conscience : celle que la noblesse n’était pas disposée à le suivre jusqu’au bout ; celle que la municipalité, par laquelle il pensait jusque là tenir la ville, était au mieux sans efficacité ; celle que bien des membres des élites locales étaient au bas mot critiques, comme le montraient propos entendus et lettres ouvertes. Dans les trois cas, cela ne pouvait que conduire le duc à tourner les yeux vers l’omniprésent palais de justice. En effet, les nobles et les parlementaires formaient un seul et même milieu uni par un enchevêtrement complexe de liens familiaux ; de leur côté, les bourgeois de la ville étaient en grande partie une émanation de la robe seconde que l’on pouvait juger dépendante des haut-magistrats en vertu du principe énoncé par l’avocat général dijonnais Millotet selon lequel « dans les villes de parlement, il y a tant d’avocats, de procureurs, d’huissiers, de sergents et autres gens de pratique qui despendent en quelque façon du premier président par la subordination qu’il y a entre eux, qu’un premier président qui a tant soit peu d’intelligence se trouve toujours très puissant287 ». Qui sait si la figure du robin noble Berthou et celle du marchand Bossart – moins lié aux robes rouges en raison de son état peut-on penser –, l’un défendant l’hôtel de ville et l’autre protégeant la prison, n’a pas influencé le duc dans sa perception d’un paysage rennais qu’il appréhendait de surcroît avec les lunettes de son temps et de son milieu, en survalorisant la thèse du complot et l’idée de solidarités locales contre l’impôt. Il y a fort à parier que Chaulnes eut d’autant moins de mal à entrer dans cette dynamique explicative que tout cela faisait écho aux difficultés qui étaient les siennes avec la cour parlementaire depuis son accession au gouvernement, mais aussi que ces difficultés venaient de connaître un nouveau pic de tension en raison des exécutions sans appel, et que, enfin, tout cela présentait des vertus déculpabilisatrices qui étaient fort bien venues.

134Le parlement, en tant qu’institution, n’avait pourtant pas grand-chose à se reprocher, à part une prudence excessive ancrée dans la pratique du temps qui était d’endormir pour mieux punir, mais plus tard. Prudence excessive qui, soit dit en passant, présentait pour Chaulnes l’avantage de donner des arguments à la thèse du complot : si les magistrats ne font rien, c’est bien la preuve de leur responsabilité. Ceci ne veut pas dire que certains parlementaires n’aient pas joué un rôle, mais ce rôle reste problématique, aucune sanction n’étant venue frapper qui que ce soit. En fait, le cœur de la contestation robine est à chercher, comme l’a souligné Chaulnes lui-même, dans la petite robe, et en particulier ces redoutés procureurs, encore assez mal connus de l’historiographie. Ceux-ci formaient, avec les marchands, la profession élitaire (ou pseudo-élitaire) la plus nombreuse (environ 200 familles) et non seulement on en trouvait partout (de la salle des pas perdus à l’hôtel de ville en passant par les cinquantaines) mais encore, en leur sein s’était développé depuis 1673 tout un courant très hostile à la politique royale. Des lamentations du paisible Duchemin contre le papier timbré aux obscurs conjurateurs de 1673, tout un monde était mécontent. Ce que ne voyait pas Chaulnes, et que montrent les parentés spirituelles, c’est que, en plus, les liens étaient loin d’être coupés avec le monde des métiers, et que ces réseaux ont pu se révéler comme des canaux de mobilisation.

135Pourtant, force est de constater que cette mobilisation n’a pas eu, passé l’épisode des trois compagnies de soldats, l’ampleur dénoncée par Chaulnes. Car en fait, les choses ne sont pas si simples et un réseau ne fait pas mécaniquement une mobilisation. À rebours de l’image de ville toute entière complice derrière son parlement, se dessine un paysage plus complexe, puisque le duc trouva des soutiens qui, s’ils pouvaient être sincères voire désintéressés dans leur adhésion à la défense du bon ordre monarchique, pouvaient aussi se rallier à lui par crainte de représailles, par l’attrait de promesses individuelles ou collectives voire par quelques pièces d’or. Car le duc n’a visiblement pas lésiné pour obtenir le calme, promettant en particulier que les troupes ne reviendraient pas et que les questions fiscales seraient peu ou prou revues aux états. Aussi la situation est-elle pour finir paradoxale car l’essentiel des revendications des opposants au duc ont été satisfaites, même si le passage de la mobilisation à l’action a échoué. Cette victoire rampante des opposants se comprend en songeant que la pression était suffisante pour que le duc recule, considérant que l’urgence était que la Bretagne connaisse un été calme. Cette ambition passait par Rennes, en vertu du principe énoncé par le duc dès le mois d’avril : la capitale de la province donne « le branle » à toute la Bretagne. Gouverneur de toute la province, et non uniquement de Rennes, Chaulnes agissait dans celle-ci en pensant aux Hollandais et à ceux qu’on appelait pas encore les « Bonnets rouges ».

Notes

1 Document aimablement communiqué par Hervé Le Goff.

2 Disons pour faire vite que ces lettres forment un peu le pendant des « codes paysans » pour la partie rurale et bas-bretonne de la révolte.

3 Soit Toudoux, Morel, Duchemin et Cormier de la Courneuve (supra, chapitre III, note 41).

4 BNF, MC 171 bis, fol. 164, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.

5 Exception faite de la lettre adressée par Jonville à Louvois, en date du 29 juin, mais qui a été envoyée depuis Nantes (SHD, A 1 441, fol. 585).

6 Lettres, Gerard Gailly (éd.), Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 741 et 882.

7 BNF, MC 171 bis, fol. 539.

8 Arch. mun. Rennes, BB 561.

9 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574.

10 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 1er VI 1675.

11 Supra, chapitre V.

12 Philippe Hamon, « Quelle(s) capitale(s) pour la Bretagne (XVIe-XVIIe siècle) », dans Jean-Marie Le Gall (dir.), Les capitales de la Renaissance, Rennes, PUR, 2011, p. 71-84.

13 Il semble que ce soit une allusion à l’affaire de Guingamp.

14 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

15 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

16 Jean-Frédéric Schaub, Le Portugal au temps du comte-duc d’Olivares (1621-1640). Le conflit de juridiction comme exercice de la politique, Madrid, Casa de Velasquez, 2001.

17 Joël Hautebert, La jurisprudence criminelle de la sénéchaussée présidiale de Nantes, 1551-1750, thèse, Rennes 1, 1996, t. I, p. 152-156 ; Guy Saupin, « La compétence criminelle du présidial de Nantes sous le règne de Louis XIV », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 23, 1999 [En ligne].

18 Arch. nat., E*1773, fol. 307.

19 SHD, A 1 438, fol. 203, ordonnance royale du 8 V 1675.

20 Arch. nat., E* 1779, fol. 425.

21 BNF, Clairambault 796, fol. 99, lettre de la Coste à Colbert, 4 VI 1675.

22 Bernard Drilleau, La maréchaussée aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse, Rennes 2, 1985, t. 1, p. 19.

23 Ibid., p. 31 ; Pascal Brouillet (dir.), De la maréchaussée à la gendarmerie. Histoire et patrimoine, Maison-Alfort, Service historique de la Gendarmerie nationale, 2003, p. 18 ; Benoît Garnot, Histoire de la justice. France, XVIe-XXIe siècle, Paris, Gallimard, 2009, p. 214-220, ainsi que Joël Hautebert, op. cit., p. 60 et Guy Saupin, art. cit.

24 Titre premier, article 12.

25 Christophe Blanquie, « Les prévôts des maréchaux en Languedoc d’Henri IV au règne personnel de Louis XIV », Revue historique de droit français et etranger, no 80, 2002, p. 261-280.

26 Procès verbal des conférences tenues par ordre du roi entre messieurs les commissaires du conseil et messieurs les députés du parlement de Paris pour l’examen des article de l’ordonnance civile d’avril 1667 et de l’ordonnance criminelle d’août 1670, Louvain, 1700, p. 27-36.

27 Xavier Godin, Christiane Plessix-Buisset, « La réception des ordonnances civiles et criminelles par le parlement de Bretagne », dans Gauthier Aubert, Olivier Chaline (dir.), Les parlement de Louis XIV. Opposition, coopération, autonomisation, Rennes, PUR, 2010, p. 67-91.

28 BNF, MC 171bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

29 John Hurt, « La politique du parlement de Bretagne (1661-1675) », ABPO, 1974, t. 81, p. 105-130.

30 Séverin Canal, Les origines de l’intendance de Bretagne, Paris, Champion, 1911.

31 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 567, reg. sec., 15 IX 1671.

32 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

33 BNF, MC 171 bis, fol. 515, lettre de Lavardin à Colbert, 14 VI 1675.

34 BNF, MC 171 bis, fol. 307, lettre de Lavardin à Colbert, 21 V 1675.

35 Seul Jonville affirme le contraire quant aux bureaux, mais son témoignage est trop isolé pour être considéré comme fiable (SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675).

36 BNF, MC 171 bis, fol. 370, Lavardin à Colbert, 1er VI 1675.

37 110 selon Duchemin.

38 Supra, chapitre V.

39 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.

40 Supra, chapitre V.

41 SHD, A 1 441, fol. 585, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675.

42 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

43 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 6 VI 1675.

44 Pour la simple raison qu’à chaque homme s’ajoute un animal à entretenir.

45 Principales sources rapportant les faits survenus à Rennes en juin :

  • Journal de Cormier de la Courneuve (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 F 1637).
  • Journal de Toudoux (Floriane Machard, Un certain regard sur Rennes au XVIIe siècle : vie de la cité et révolte urbaine, mémoire de Master 2, université Rennes 2, 2011, dir. G. Aubert, 2 vol).
  • Livre de raison de René Duchemin (Bruno Isbled, Moi, Claude Bordeaux… Journal d’un bourgeois de Rennes au XVIIe siècle, Rennes, Apogée, 1992, p. 172-173).
  • Relation de Morel (Gauthier Aubert, Marie-Laure Flahaut, « Rennes de la révolte du Papier timbré à la veille de la Révolution à travers deux chroniques inédites », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2009, t. CXIII, p. 122-124).
  • Un document essentiel est également la lettre de Jonville à Chaulnes (SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675).
  • À un niveau moindre d’intérêt, signalons également une lettre de Mgr du Guémadeuc à Colbert en date du 21 juin (BNF, MC 171 bis, fol. 658).

À cela s’ajoute les très importantes lettres écrites par Chaulnes principalement à Colbert, que nous citerons au fur et à mesure du propos. Voir également le plan de Rennes (illustration 8).

46 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

47 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

48 Ce qu’avait bien vu Roland Mousnier, Fureurs paysannes. Les paysans dans les révoltes du XVIIe siècle, Paris, Calman-Lévy, 1967, p. 137.

49 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

50 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

51 Le capitaine en titre est alors un Lorgeril (cf. tableau 10, supra chapitre IV). Il est à noter que Berthou avait démissionné de ses fonctions en raison de son âge en 1674 (Arch. mun. Rennes, BB 560, reg. délib., 2 VII 1674). Il faut croire que les circonstances l’ont conduit à reprendre du service.

52 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

53 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675 ; SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675 et fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675.

54 BNF, MC 171 bis, fol. 435 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 9 et 15 VI 1675.

55 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

56 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

57 SHD, A 1 445, fol. 420, lettre de Louvois à Chaulnes, 28 V 1675. La suite de la phrase s’empresse d’indiquer qu’il faudra qu’ils retournent sur l’île en cas d’annonce de l’arrivée des Hollandais.

58 SHD, A 1 445, fol. 185, lettre de Louvois à Chaulnes, 8 V 1675.

59 SHD, A 1 426, fol. 106, lettre de Louvois à Chaulnes, 9 VI 1675.

60 SHD, A 1 426, fol. 9, lettre de Le Tellier à Chaulnes. Cette lettre montre qu’un courrier écrit un jour A à Paris peut donner lieu à une réponse à Rennes un jour C.

61 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

62 Et avec la réserve que l’allusion peut aussi recouvrir l’ensemble de l’action du duc depuis son accession au gouvernement provincial.

63 Mais rien ne dit il est vrai qu’il demeure alors à l’évêché, et, de fait, dans sa lettre du 21 juin, il ne dit mot de ces événements.

64 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.

65 Est-ce là l’origine du détail évoqué par Duchemin dont on a parlé plus haut ?

66 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 198.

67 Qui pourrait être la tour Le Bat.

68 « Autre », car le premier est, dans le texte l’homme pris par les soldats devant chez Chaulnes.

69 À noter aussi que dans la liste des détenus à la conciergerie du parlement, la présence d’un certain Pelleu, incarcéré le 19 avril par le procureur général Huchet et qui est dit avoir été élargi le 10 juin. Est-il un de ceux qui a été alors libéré ? À noter aussi que les libérations ont été apparemment ciblées, puisque le même 10 juin, une prisonnière est placée à la conciergerie et n’en sortit que pour suivre le parlement à Vannes en octobre (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620).

70 Arch. mun. Rennes, Toussaints, GG 31, 12 VI 1675, mort de Gasnier ; cf. infra.

71 Supra, chapitre IV.

72 Arch. mun. Rennes, BB 560, reg. délib., 2 VII 1674.

73 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

74 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

75 Supra, chapitre V.

76 René Pillorget, Les mouvements insurrectionnels de Provence entre 1596 et 1715, Paris, E. Pédone, 1975, p. 589-591.

77 D’après un dépouillement des registres de ville pour les années 1661-1675 (Arch. mun. Rennes, BB 548-561).

78 Gauthier Aubert, « La prise d’armes de Rennes de juin 1675 : une révolte civique ? », ABPO, 2011, no 118, p. 35-45.

79 SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675. Mesure, soit dit en passant, rappelant d’ailleurs la mesure officielle prise en mai. Supra, chapitre IV.

80 Le propos de Jonville semblent bien désigner les jours autour du 10 juin, même si lui-même place cet évènement plus tard, après le 20 juin, ce qui pose problème car ce n’est plus alors le temps de la mobilisation.

81 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

82 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

83 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

84 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

85 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

86 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

87 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

88 Supra, chapitre IV.

89 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675. L’emploi du mot « mousquetaire » pour désigner les miliciens est sans doute révélateur de ce que Chaulnes considère ici ces derniers, ou qu’il veut les présenter, en les militarisant, comme relevant du camp de l’autorité.

90 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

91 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

92 BNF, MC 171 bis, fol. 434, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

93 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

94 Arch. mun. Rennes, Toussaints, GG 31.

95 Les recherches pour tenter d’en savoir plus sur ce personnage n’ont abouti à rien.

96 Arch. mun. Rennes, 11 Z 4 ; registres paroissiaux : St-Aubin, GG 9, 4 X 1667, 15 XII 1673, 11 XII 1673, GG 10 : 19 X 1669, GG 11 : 24 VII 1675, 6 IX 1676, GG 12 : 20 XI 1678, GG 13 : 20 II 1680, 8 VII 1682, 22 VI 1684.

97 On trouve ainsi, parmi ceux de ses enfants nés avant 1676 quatre marchands de drap et soie, deux marchands sans indication et la femme d’un procureur au présidial.

98 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 A 83.

99 D’après Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 389, 15 III 1676.

100 BNF, Mélanges Colbert 164, fol. 414, lettre de Bossart à Colbert, 10 VI 1673.

101 William Beik, Urban protest in seventeenth century: the culture of retribution, Cambridge, Cambridge UP, 1997.

102 Avril des Plantes, Gardin et Bossart du Clos sont capitaines. Cotton de la Fuye l’a été.

103 Sur ces personnages : supra, chapitre III.

104 Ils sont cousins germains et suffisamment proches pour que Gardin soit le parrain d’un fils d’Avril (Yves Breton, La famille Gardin en Bretagne, Mayenne, ERO, 1994, p. 18 ; Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 13, 12 V 1660).

105 Yves Breton, op. cit., p. 18.

106 Arch. mun. Rennes, CC 74.

107 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 11, 15 II 1649; Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 184, 22 VIII 1665 : la dote de la mariée (28 000 livres en avancement d’hoirie) est la plus importante dote roturière constatée à l’occasion d’un sondage réalisé dans les fonds notariés rennais pour les années 1665-66. Notons que le gendre de Chevrier est un des hommes qui sera chargé des poursuites après la révolte dite des « Bonnets rouges ».

108 La cartographie sociale établie pour 1629 par Alain Croix est encore valable dans les décennies suivantes, et encore au XVIIIe siècle (La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Maloine, 1981, t. I, p. 341-344 ; pour la situation au début du XVIIIe siècle : Claude Nières, La reconstruction d’une ville au XVIIIe siècle. Rennes, 1720-1760, Paris, Klincsieck, 1972, p. 336 sq.).

109 Arch. mun. Rennes, CC 74.

110 Arch. mun. Rennes, St-Aubin, GG 10, 27 I 1642; GG 21, 1 I 1643, 21 VIII 1644, 12 VI 1645, 9 XII 1646; GG 22, 9 II 1648, 18 IV 1649, 9 V 1650.

111 Arch. mun. Rennes, BB 550, reg. délib. 21 VIII 1664.

112 Arch. mun. Rennes, BB 548 et 558, reg. délib., 17 VII 1662 et 2 VI 1674.

113 On ne sait si Bazin comptait parmi les cadres de sa compagnie, mais on peut néanmoins le supposer.

114 Supra, chapitre IV. Morel affirme en effet que les officiers de la basse ville furent contraints en mai par le « peuple » de prendre la tête de leurs compagnies pour s’emparer de portes. La mention est, on l’a vu, isolée et, si elle est crédible à ce moment là, il n’en demeure pas moins possible qu’il fasse en réalité allusion aux événements de juin, les deux ayant pu être confondus dans sa mémoire.

115 Cf. tableau 10, supra chapitre IV.

116 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

117 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

118 Supra, chapitres III et IV.

119 Supra, chapitre IV.

120 Nous-mêmes supra chapitre I.

121 Tout gentilhomme de plus 25 ans a droit d’entrée aux états. Plus de 240 ont assisté à ceux de Vitré en 1673, sans doute pour une bonne part originaires du diocèse de Rennes (Armand Rebillon, Les États de Bretagne de 1661 à 1789, Paris-Rennes, Picard-Plihon, 1932, p. 93-95 ; Jean Meyer, La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, EHESS, 1966, p. 77-83).

122 Supra chapitre II.

123 Gauthier Aubert, « Une capitale provinciale au miroir de ses riches : Rennes dans les années 1620, ou la naissance d’une ville parlementaire », dans Laurent Bourquin, Philippe Hamon (dir.), Fortunes urbaines : élite ste richesse dans les villes de l’ouest à l’époque moderne, Rennes, PUR, 2011, p. 19-42.

124 Son fils sera parlementaire.

125 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 26 IV 1675.

126 Annales des religieuses de Saint-Agustin, livre I, p. 214.

127 Tables de l’association Parchemin, paroisse St-Pierre-en-St-Georges, années 1658 et 1666.

128 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 14, 25 XI 1653.

129 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 12, 30 IX 1655; GG 13, 12 III 1659, 2 IX 1660, 22 V 1664, 17 VIII 1667.

130 Et qu’il aurait été d’autant plus désireux d’affirmer que son statut de robin nuisait à la visibilité de son identité nobiliaire ?

131 Arch. mun. Rennes, St-Jean, GG 5, 21 I 1674.

132 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2958, fol. 66.

133 Arch. mun. Rennes, St-Germain, GG 11, 18 X 1647.

134 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

135 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

136 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.

137 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Chaulnes, 21 VI 1675.

138 SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675.

139 SHD, A 1 427, fol. 138 et A 1 426 bis, fol. 241, lettres de Louvois à Chaulnes, 11 et 28 VII 1675 et à Lavardin, 28 VII 1675.

140 SHD, A 1 441, fol. 155, lettre de Chaulnes à Louvois, 9 VI 1675.

141 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

142 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

143 BNF, MC 171 bis, fol. 135, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

144 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

145 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

146 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

147 SHD, A 1 441, fol. 633, lettre de Chaulnes à Louvois, 30 VI 1675.

148 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

149 Supra, chapitre V.

150 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

151 SHD, A 1 426, fol. 218, lettre de Louvois à Chaulnes, 18 VI 1675.

152 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

153 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1676.

154 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.

155 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

156 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

157 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

158 BNF, MC 171 bis, fol. 515, lettre de Lavardin à Colbert, 14 VI 1675.

159 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1676.

160 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

161 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.

162 SHD, A 1 441, fol. 490, lettre de Coëtlogon à Louvois, 23 VI 1675.

163 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

164 Le duc de Chaulnes, né en 1625, avait été maréchal de camp (1651), lieutenant général des armées (1653), capitaine-lieutenant des chevau-léger (1664), puis ambassadeur à Rome à plusieurs reprises entre 1668 et 1670 et ministre plénipotentiaire au congrès de Cologne en 1673 (Christophe Levantal, Ducs et pairs et duchés-pairies laïques à l’époque moderne, Paris, Maisonneuve et Larose, 1996, p. 513). Le portrait de Chaulnes par Saint-Simon, quoique tardif (1694), mérite ici d’être cité : « C’étoit sous la corpulence, l’épaisseur, la pesanteur, la physionomie d’un bœuf, l’esprit le plus délié, le plus délicat, le plus souple, le plus adroit à prendre et à pousser ses avantages, avec tout l’agrément et la finesse possible, jointe à une grande capacité et à une continuelle expérience de toutes sortes d’affaires », la suite évoquant une réputation de grande probité qui semble moins évidente (Saint-Simon, Mémoires, Paris, Hachette, 1856, t. , p. 111).

165 BNF, MC 171 bis, fol. 656, lettre de d’Argouges à Colbert, 21 VI 1675.

166 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

167 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

168 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

169 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675

170 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

171 BNF, MC 171 bis, fol. 770, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

172 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

173 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.

174 En 1673, Colbert a reçu une lettre anonyme le dénonçant comme soumettant tout à ses intérêts et « noircy d’un decret pour un adultere public », ceci ayant semble-t-il conduit d’Argouges à s’opposer à ce qu’il soit député en cour (Georges-Bernard Depping, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, Paris, Imprimerie nationale, 1850, t. I, p. 522).

175 Ibid., t. I, p. 537, 540.

176 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

177 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.

178 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

179 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

180 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

181 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

182 Supra, chapitre III.

183 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

184 Supra, chapitre IV, tableau 10 À noter cependant que, dans la rue de la Cordonnerie, c’était un procureur qui était capitaine jusque peu avant les événements (Arch. mun. Rennes, EE 152).

185 Arch. mun. Rennes, 1005.

186 Gauthier Aubert, « Devenir officier dans la milice bourgeoise de Rennes », dans Serge Bianchi, Roger Dupuy (dir.), La garde nationale entre nation et peuple en armes, Rennnes, PUR, 2005, p. 59-71.

187 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Chaulnes, 21 VI 1675. La date de cette réunion est le 7 juin, d’après le registre des états (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2658).

188 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675. À moins qu’elle n’ait été simplement relancée, ce qui permettrait de réunir les deux scénarios.

189 Gauthier Aubert, « Devenir officier » art. cit.

190 Gauthier Aubert, « Une municipalité pour temps de crise ? Rennes, 1675 », dans Philippe Hamon, Catherine Laurent (dir.), Le pouvoir municipal de la fin du Moyen Âge à 1789, Rennes, PUR, 2012, p. 285-304.

191 BNF, MC 171 bis, fol. 646, ordonnance imprimée du duc de Chaulnes, 20 VI 1675.

192 BNF, MC 171 bis, fol. 458 et 534, lettres de Chaulnes à Colbert, 12 et 15 VI 1675.

193 BNF, MC 171 bis, fol. 644, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675.

194 Supra, tableau 20, chapitre IV.

195 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

196 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Vallier à Colbert, 25 VI 1675.

197 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

198 Cormier parle d’une « belle harangue de trois-quarts d’heure ».

199 Supra, chapitre III.

200 Arch. mun. Rennes, BB 560.

201 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 10 I 1675.

202 SHD, A 1 441, fol. 485, lettre de Jonville à Louvois, 29 VI 1675.

203 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

204 Il fait par exemple partie de la commission chargée d’organiser la perception des taxes qui a été décidée aux états de 1673 (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, C 2658, fol. 106).

205 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Vallier à Colbert, 26 VI 1675.

206 BNF, MC 171 bis, fol. 770, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

207 BNF, MC 171 bis, fol. 684, lettre de Lavardin à Colbert 22 VI 1675. Les relations entre les deux hommes vont aller en se dégradant dans les semaines qui suivent (Arch. nat., B 2 31, fol. 272, lettre de Seignelay à Lavardin, 2 VIII 1675).

208 BNF, MC 171 bis, fol. 532, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

209 BNF, MC 171 bis, fol. 379, lettre de Chaulnes à Colbert, 2 VI 1675 ; supra, chapitre V.

210 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Lavardin à Colbert, 6 VII 1675.

211 BNF, Clairambault 796, fol. 165, lettre de Vallier à Colbert, 25 VI 1675.

212 BNF, Clairambault 796, fol. 329, lettre de d’Argouges à Colbert, 28 VII 1675.

213 Yves-Marie Bercé, Histoire des Croquants. Etude des soulévements populaires au XVIIe siècle, Genève-Paris, Droz, 1974, t. I, p. 398.

214 BNF, MC 171 bis, fol. 714 et 726, lettres de Chaulnes à Colbert, 26 et 28 VI 1675. Comme dans le cas du règlement de l’affaire de la réduction des offices, on voit ainsi que des négociations sur des sujets très stratégiques sont préparées bien avant la session des états.

215 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

216 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 19 VI 1675.

217 Quelques mois plus tard, Bussy-Rabutin confiera à sa cousine Marie de Sévigné que « l’argent est aussi rare en Bourgogne qu’en Bretagne » (Lettres, Paris, 1706, p. 173).

218 BNF, MC 171 bis, fol. 646, lettre de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675. Faute de pouvoir percer tous les mystères de cette affaire, signalons que dès le 8 juin, les Gardin semblent connaître des difficultés avec un sous fermier des environs de Dinan (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 807). Le frère Gardin resté à Rennes reconnaît que « leurs affaires sont en desordre » dans un acte du 25 juin (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 E 694).

219 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

220 BNF, MC 171 bis, fol. 656, lettre de d’Argouges à Colbert, 21 VI 1675.

221 D’Argouges ne précise pas de quels paiements il s’agit mais, d’accord avec Arthur de la Borderie (dans Les Bonnets rouges, Paris, UGE, 1975, p. 80), il semble qu’il s’agisse bien de ceux dus par la Bretagne à la monarchie.

222 BNF, MC 171 bis, fol. 686, 712 et 714, lettres de Chaulnes à Colbert, 23, 26 et 26 VI 1675 ; SHD, A 1 441, fol. 536, lettre du même à Louvois, 26 VI 1675.

223 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 13 VI 1675.

224 BNF, MC 171 bis, fol. 772, lettre de Chaulnes à Colbert, 30 VI 1675.

225 BNF, MC 171 bis, fol. 712, lettre de Chaulnes à Colbert, 26 VI 1675.

226 BNF, MC 171 bis, fol. 435, lettre de Chaulnes à Colbert, 9 VI 1675.

227 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

228 BNF, MC 171 bis, fol. 534, lettre de Chaulnes à Colbert, 15 VI 1675.

229 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

230 BNF, MC 171 bis, fol. 644 et 662, lettres de Chaulnes à Colbert, 21 VI 1675 et sd. (sans doute vers le 22 VI).

231 Gauthier Aubert, « L’enquête de Colbert sur les magistrats : une source pour connaître les « hommes du roi » dans les parlements ? », dans Caroline Le Mao (dir.), Hommes et gens du roi dans les parlements de France Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2011, p. 17-28.

232 BNF, MC 171 bis, fol. 658, lettre de du Guémadeuc à Colbert, 21 VI 1675.

233 BNF, MC 171 bis, fol. 515, lettre de Lavardin à Colbert, 14 VI 1675.

234 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 572, reg. sec. 24 V 1674 et 1 Bb 574, reg. sec. 13 VI 1675.

235 Gauthier Aubert, « Rennes : robe seconde et pouvoir municipal à l’ombre du Parlement », dans Guy Saupin (dir.), Histoire sociale du politique. Les villes de l’Ouest atlantique français à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes, PUR, 2010, p. 115-130.

236 Arch. mun. Rennes BB 561, reg. délib., 13 VI 1675.

237 27 et 26 bourgeois participent par exemple aux saluts adressés au duc et à la duchesse de Chaulnes début mai.

238 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574.

239 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849.

240 BNF, MC 171 bis, fol. 458, lettre de Chaulnes à Colbert, 12 VI 1675.

241 Par exemple, la série 1 Bf ne semble pas avoir été utilisée par Alain Croix, auteur de la grande thèse d’histoire régionale pour l’époque (La Bretagne, op. cit., t. II, p. 1423).

242 Supra, chapitre V.

243 Supra, chapitre V.

244 BNF, MC 171 bis, fol. 662, lettre de Chaulnes à Colbert, s. d.

245 C’est ce qui ressort de la lecture des états des prisonniers détenus dans la conciergerie du palais (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2620 et 2622).

246 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, Paris, SEVPEN, 1963, p. 600.

247 Gauthier Aubert, « Parlement et maintien de l’ordre : Rennes, 1662-1675 », dans Gauthier Aubert, Olivier Chaline (dir.), Les parlement de Louis XIV. Opposition, coopération, autonomisation ?, Rennes, PUR, 2010, p. 227-239.

248 Ce qui aurait été à cette date compliqué car le roi se trouve alors entre Liège et Bruxelles.

249 Georges-Bernard Depping, op. cit., t. I, p. 526.

250 Ibid., p. 514, 515, 525; Barthélémy Pocquet, op. cit., p. 472.

251 Peu de temps après la crise, une anecdote rapportée par Charles de Sévigné va dans ce sens : au cours d’une rencontre toute entière destinée à humilier le marquis, Chaulnes lui lança au visage : « [qu’] il savoit ce qu’il avoit dit au roi, mais qu’il le falloit prouver ». Le même parle plus loin à propos des deux hommes de « leur haine et les mémoires qu’a donné Coetquen feroient une belle scène, si le Roi vouloit les entendre tous les deux » (Lettre à sa sœur, 17 I 1676, Lettres, op. cit., t. II, p. 26 et p. 62).

252 Barthélémy Pocquet, op. cit., p. 466.

253 BNF, MC 7 ; cette source est néanmoins à manier avec précaution : Gauthier Aubert, « L’enquête de Colbert », art. cit.

254 Supra, chapitre V.

255 C’est ce que Boris Porchnev a proposé de qualifier, dans son langage joliment daté, d’« animisme féodal et aristocratique » ainsi défini : « chaque événement public doit obligatoirement dissimuler un investigateur-aristocrate » (Boris Porchnev, Les soulévements populaires en France au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1972, p. 172).

256 Gabriel Naudé, Considérations politiques sur les coups d’État, rééd. Paris, Gallimard, 2004, p. 154-155 ; Christian Jouhaud, Robert Descimon, « De Paris à Bordeaux : pour qui court le peuple pendant la Fronde (1652) ? », dans Jean Nicolas (dir.), Mouvements populaires et conscience sociale, XVIe-XIXe siècle, Paris, Maloine, 1985, p. 31-42.

257 Ajoutons aussi que Charles de Chaulnes est le filleul de Charles Ier d’Angleterre. Songeait-il à son parrain en arpentant les rues rennaises ?

258 Boris Porchnev, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648, op. cit., p. 599-601.

259 Cité par Madeleine Foisil, La révolte des Nu-Pieds et les révoltes normandes de 1639, Paris, PUF, 1970, p. 316.

260 Cf. tableau 12 ci-dessous.

261 Jean Lemoine, CLXIII.

262 Annales des religieuses de Saint-Augustin, livre I, p. 88.

263 Frédéric Saulnier, Le parlement de Bretagne, 1554-1790, Mayenne, La Manutention, 1991, p. 131 ; Jean Meyer, op. cit., p. 38-39. Il est aussi l’auteur, mais nul ne le sait encore, d’une lignée d’intendants, une des rares sorties des rangs du parlement de Bretagne (Thibault de La Porte, Édition scientifique du livre de raison d’un aristocrate breton pendant la Révolution (document issu d’archives privées), master 2, Rennes 2, 2009).

264 BNF, Clairambault 759, fol. 709.

265 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib., 22 VIII 1675.

266 William Beik, op. cit.

267 On songe ici non seulement aux mésaventures de La Bourdonnaye, mais aussi aux jets de pierre de la place du Champ-Jacquet le 18 avril.

268 Gauthier Aubert, « Les parlementaires à Rennes au XVIIe siècle : la grandeur et l’exil », dans Olivier Chaline, Yves Sassier (dir.), Les parlements et la vie de la cité (XVIe-XVIIIe siècles), Rouen, Publications de l’université de Rouen, 2004, p. 277-300.

269 Tables de l’association Parchemin, paroisse Saint-Pierre-en-Saint-Georges. Au XVIIIe siècle, le procureur général Huchet sera encore très présent dans la vie de sa paroisse, mais il est devenu une exception (Béatrice Blot, Saint-Germain de Rennes : une paroisse urbaine au XVIIIe siècle, maîtrise, Rennes 2, 2000).

270 Gauthier Aubert, « Les parlementaires », art cit. et « Lieux de vie, lieux de mort ? Essai sur l’espace vécu des parlementaires rennais (XVIe-XVIIIe siècles) », ABPO, 2003, 110/3, p. 205-220.

271 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bf 849, arrêt du 4 V 1675.

272 Ce qu’avait rappelé non sans malice Blaise Pascal dans ses Pensées (fragment 82) : « Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil etoit nécessaire… Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte, parce qu’en effet leur part est plus essentielle. Ils s’établissent par la force, les autres par grimaces. »

273 À la manière… des universitaires qui hantent les AG d’étudiants lorsque ceux-ci sont mobilisés ?

274 BNF, MC 171 bis, fol. 565, lettre de Chaulnes à Colbert, 16 VI 1675.

275 BNF, MC 172, fol. 20, lettre de Chaulnes à Colbert, 3 VII 1675.

276 Outre les récits de Morel et de Toudoux, la principale source sur ces dévotions, que nous devons à l’obligeance de Georges Provost, se trouve dans le Mémoire pour servir l’histoire de l’abbaye de Saint-Melaine (BNF, Ms. Fr. 22 357). À noter qu’à Paris, un contexte météorologique comparable conduit à organiser une grande procession à Sainte-Geneviève à la même époque (Lettres, op. cit., p. 765, lettre du 19 VII 1675 et Pierre Clément, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Paris, Imprimerie nationale, 1865, t. III, 2e partie, p. 147, lettre de Colbert à Seignelay, 11 VII 1675). Des processions et prières publiques sont organisées aussi à Lille à partir du 8 juillet, qui s’achèvent le 14 juillet par des actions de grâce rendues à l’occasion du retour du beau temps (Pierre-Ignace Chavatte, Chronique mémorial des choses mémorables par moy Pierre-Ignace Chavatte, Alain Lottin (éd.), Bruxelles, Commission royale d’histoire, 2010, p. 264-265).

277 En 1664, les reliques de saint Amand ont déjà été sollicitées dans le cadre de prières publiques contre les pluies (Bruno Isbled, op. cit., p. 154).

278 Infra, chapitre VII.

279 Sur le concept de religion civique auquel semble se rattacher les manifestations rennaises de juillet 1675 : La religion civique à l’époque médiévale et moderne, Paris, Boccard, 1995 ; Georges Provost, « Le vœu de Bonne Nouvelle à Rennes : une religion civique ? », BMSAHIV, t. CVIII, 2004, p. 65-88.

280 Arch. mun. Rennes, BB 561, reg. délib.

281 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 Bb 574.

282 Michèle Fogel, Les cérémonies de l’information dans la France du XVIe au milieu du XVIIIe siècle, paris, Fayard, 1989.

283 Arch. nat., O 1* 19, fol 166 : « Lettre du Roy a Mgr l’archevêque de Paris pour faire chanter le Te Deum a cause de la prise des villes de Dinant, Huy et Limbourg » (document que je dois à l’obligeance d’Olivier Chaline ; qu’il en soit vivement remercié).

284 À noter que ni à Lille, ni à Paris, les processions liées au contexte météorologique ne semblent avoir été associées aux Te Deum pour les récentes victoire militaires (Pierre-Ignace Chavatte, op. cit. ; Marie-Carmen Gras, « Les processions en l’honneur de sainte Geneviève à Paris. Miroir d’une société (XVe-XVIIIe siècles) », Histoire urbaine, 2011, 3, p. 5-30).

285 Notons que, en 1673, Toudoux lie présence de la pluie et venue à Rennes de « Champillart ».

286 Robert Descimon, « Les capitaines de la milice bourgeoise à Paris (1589-1651) : pour une prosopographie de l’espace social parisien », dans Jean-Philippe Genet, Gunther Lottes (dir.), L’État moderne et les élites : XIIIe-XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 189-211.

287 Mémoire de M.-A. Millotet, Charles Muteau (éd.), Dijon, Rabutot, 1866, p. 57, cité par Philippe Salvadori, « Le Parlement de Bourgogne et la municipalité de Dijon sous le règne personnel de Louis XIV », dans Olivier Chaline et Yves Sassier (dir.), op. cit., p. 210. Le même signale (p. 211-212) ces propos du premier président dijonnais en 1673 : « l’usage est que dans les choses importantes, le maire ne fasse rien de son mouvement, mais toujours avec le parlement, ou avec le premier président qui le mande pour luy faire entendre ce qu’il doit faire ».

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Lire

Open access

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search