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La Compagnie des Compteurs

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Paulette Giguel

Première partie. De l’atelier artisanal à l’entreprise industrielle (1872-1912)

Chapitre I. L’historique de la création de la Compagnie des Compteurs

Texte intégral

1Gabriel Chamon, contremaître ferblantier, condition à la fois acceptée et subie, se révèle déterminé à relever le défien créant, en 1872, sa propre maison dans l’Est parisien, alors bien pourvu en usines à gaz et en entreprises de ferblanterie. L’acquisition d’un atelier artisanal de fabrication d’appareils et d’ustensiles pour le gaz dans le 9e arrondissement constitue une première étape. Elle sera suivie de plusieurs autres, assorties de péripéties immobilières et associatives, révélatrices de la difficulté à s’insérer dans une filière où des entreprises étaient implantées depuis plusieurs décennies.

Les péripéties et les étapes de sa constitution

  • 1 Archives d’Odile Le Brethon Richard.

2Le premier objectif des deux associés consista à trouver un bailleur de fonds disposé à leur prêter la somme de cent mille francs, estimée indispensable pour réaliser leur ambition conjointe. Après bien des recherches, ils crurent avoir déniché, à Versailles, le prêteur de leurs rêves. Qualifié de « vieux richard » il consentit, après un accueil réservé, à leur prêter cent mille francs au taux de 6 % avec la promesse de leur envoyer le lendemain un projet de contrat. Gabriel Nicolas, à peine sur le palier, s’exclama « Enfin ça y est ! » Le lendemain, le prêteur leur faisait savoir par courrier qu’ils « avaient parlé trop fort et trop vite et que leur joie lui ayant paru suspecte, il renonçait à l’opération projetée ». Peu après, Gabriel Chamon et Gabriel Nicolas apprenaient avec délice que ce prêteur avait été victime d’un escroc1. Les deux associés eurent plus de chance avec un artisan âgé, marié sans enfant, qui connaissait et appréciait Gabriel Nicolas. Modeste fabricant de compteurs, François Barthélémy, propriétaire avec son épouse d’un petit atelier situé à Paris 9e, 45, rue Rodier, employait une quinzaine de ferblantiers. La confiance établie, le couple vendit l’atelier à des conditions précisées dans un acte à établir.

3L’atelier de François Barthélémy figure dans l’Annuaire industriel de Paris de 1849 dans la filière du comptage du gaz. Il apparaît associé dans la maison Bauduin-Martin, Barthélémy & Cie, fabrique de compteurs, 156 Faubourg Saint Denis à Paris 10e. En 1869, il y est mentionné fabricant de compteurs à gaz, compteurs avec indicateur de fuites, brevetés, régulateur de pression au 45 rue Rodier à Paris 9e et en 1871, avec le même objet et la même adresse, sous l’intitulé Barthélémy et Bultel.

4La mise de fonds assurée, restait à remplir les formalités de constitution de l’établissement commercial.

La cellule embryonnaire : la Maison M. Nicolas & G. Chamon2

  • 2 L’état-civil des deux intéressés porte à confusion : Gabriel, Maurice, Arthur Nicolas est prénommé (...)

5La transaction fit l’objet d’un acte sous seing privé établi le 21 janvier 1872. Il mentionnait l’acquisition et l’exploitation du fonds de commerce et d’industrie de François Barthélémy, fabricant de compteurs pour le gaz et de fermeture en fer de devantures et boutiques, d’après des systèmes brevetés, ensemble de tout ce qui se rattache au dit fonds, clientèle, achalandage, brevets, compteurs en location, outillage, agencement et matériel.

  • 3 Aucune information n’est fournie sur les capacités de garanties des parents des deux associés.

6Les deux associés, engagés envers François Barthélémy « apportaient dans la société, chacun par moitié, soit au moyen de leurs obligations pour payer tout ou partie du prix de l’établissement, soit au moyen de garanties qui seront données par leurs parents3 » pour payer tout ou partie du prix de l’acquisition.

7L’extinction des obligations des deux associés envers François Barthélémy, était ainsi libellée :

  • 4 Archives départementales de Paris, cote D 31 U3/312. Ces deux sommes correspondent au prix de cess (...)

« des balances trimestrielles devaient être établies de même que des inventaires annuels et en cas de bénéfices qui appartiendront par moitié à chacun des associés, il était convenu qu’ils seront affectés, pour moitié à l’extinction de la société envers François Barthélémy et, pour l’autre moitié, à créer un fonds de réserve et de roulement jusqu’à concurrence de cinquante mille francs, que les dits associés ne pouvaient retirer tout ou partie des dits bénéfices qu’autant que François Barthélémy sera désintéressé de ce qui sera du et que le fonds de réserve et de roulement aurait atteint le chiffre de cinquante mille francs. Pour leurs besoins personnels, les associés prélevaient chaque mois une somme de trois cents francs chacun à porter au compte des frais généraux4 ».

  • 5 Et non au 45 suite à une renumérotation de la rue Rodier.

8L’acte sous seing privé (SSP) consacrait l’association des deux amis dans la société en nom collectif, M. Nicolas et G. Chamon, constituée pour quinze années à compter du 1er mars 1872 et située au 53 rue Rodier à Paris 9e5. Gabriel Chamon y est mentionné demeurant à Paris 16e, 13, rue Le Sueur et déclaré ancien directeur de la fabrication de compteurs à gaz (ayant la charge de la fabrication et de tout ce qui regardait la surveillance intérieure), tandis que Gabriel Nicolas, demeurant à Paris 17e, 3, rue Galvani, y est déclaré voyageur de commerce (chargé de toutes les affaires commerciales, soit dans Paris, soit en province, soit même à l’étranger).

9La clause prévoyant que, dans les locaux occupés par la société, les associés auront droit à leur logement personnel sans aucune espèce d’indemnité à payer à la société, soulève la question de la propriété immobilière des locaux.

  • 6 Mme Barthélémy continua à s’intéresser à l’affaire après le décès de son mari en 1877 (preuve four (...)
  • 7 Archives départementales de Paris, boulevard Sérurier, révision du cadastre cote D1P4/970.

10L’appartenance de ceux-ci, d’une superficie de 694 m2, est attestée par la révision du cadastre du quartier Rochechouart de 1876, datée du 17 avril 1877, qui mentionne que la veuve de François Barthélémy6 en est la propriétaire. Les associés, Nicolas et Chamon, sont les locataires au rez-de-chaussée de laboratoires, d’un atelier de forge, d’un fourneau pour la fusion de l’étain, au 1er étage d’un atelier de ferblanterie, d’un atelier de menuiserie et d’une chambre à feu, au 2e étage d’un appartement composé d’un salon, une cuisine, une antichambre, une salle à manger, une chambre à feu, un cabinet, un petit atelier vitré et un grand atelier et, au 3e étage, d’une mansarde comprenant une entrée, une cuisine et une chambre à feu7.

  • 8 Archives familiales d’Odile Richard-Le Brethon.

11C’est en qualité de locataire que Gabriel Chamon avait emménagé en 1872, peu après son mariage, dans l’appartement attenant aux ateliers. Gabriel Nicolas, préférant conserver son domicile parisien, n’avait droit à aucune indemnité de logement. Sur le plan fonctionnel, Gabriel Chamon travaillait et dirigeait une douzaine d’ouvriers, tandis que Gabriel Nicolas, chargé des affaires commerciales, visitait, à bord d’un cabriolet attelé d’un poney, les plombiers et les appareilleurs de Paris et de la banlieue8.

  • 9 Procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire du 28 avril 1879.

12En l’absence de commentaires dans les sources, la croissance de la première structure M. Nicolas et G. Chamon est attestée par les montants des chiffres d’affaires et bénéfices utilisés pour justifier sa valeur industrielle en 18799.

13Aucune information n’est fournie sur la progression du chiffre d’affaires et du bénéfice, supérieur à 20 % à mi-parcours et sur la chute du bénéfice en 1876 alors que le chiffre d’affaires a progressé de 38 %. Cette situation peut aussi bien révéler une tentative de faire face à une concurrence par une réduction de la marge qu’une insuffisance des moyens techniques justifiant le recrutement d’un ingénieur.

Tableau II – Chiffre d’affaires/bénéfices Sté Nicolas, G. Chamon

Année

Chiffre d’affaires

Bénéfices

B/CA

1872

237 601

28 879

12,15

1873

262 009

28 370

10,83

1874

330 291

67 598

20,47

1875

372 019

66 531

17,88

1876

513 651

58 075

11,31

  • 10 Annuaire des Anciens élèves de l’École centrale des Arts et Manufactures de Paris.

14C’est dans cette dernière perspective que Gabriel Chamon, persuada Anatole Foiret de venir renforcer la jeune entreprise M. Nicolas et G. Chamon. Anatole Foiret était âgé de 33 ans lorsque Gabriel Chamon le pressentit en 1877 pour faire partie de sa jeune entreprise. Ingénieur de l’École centrale des Arts & Manufactures (promotion 1867), il avait fait ses premières armes à la Compagnie de chemins de fer Paris-Lyon-Marseille (PLM) puis était entré à la Compagnie parisienne du gaz10.

15Dès son entrée en fonction à la CdC, Anatole Foiret fut chargé de toute la partie technique de la fabrication, des dessins, des expériences, de nature à contribuer au développement des matériels destinés aux usines à gaz.

16En 1879, Gabriel Nicolas et Gabriel Chamon, proposèrent de s’associer avec eux pour créer la société M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie.

La structure de la société M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie

17L’association proposée à Anatole Foiret en 1877 conduisit, à dater du 1er avril 1879, à la constitution d’une nouvelle société en commandite par actions avec, pour raison sociale, M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie, dite « Compagnie pour la Fabrication des Compteurs et Matériels d’Usines à Gaz et, pour objet, la fabrication et la vente des compteurs à gaz, appareils et matériel d’usine, appareils servant à l’éclairage par le gaz et compteurs à eau ».

  • 11 Archives départementales de Paris, acte SSP en date du 18 mars 1879 cote D 31 U3/421 et statuts dé (...)

18Créée pour une durée de trente années avec pour siège social le 53, rue Rodier à Paris 9e, elle avait des succursales à Lyon 246, avenue de Saxe, à Saint-Étienne 26, rue Saint Jean et à Strasbourg 2, quai Finkmatt (ville alors en zone allemande). Son fonds social, fixé à 860 000 F, divisé en 1720 actions dont 1320 actions réparties entre les trois associés, soit 440 à chacun d’eux en représentation de l’apport, en tiers entre eux, consistait en un fonds de commerce 53, rue Rodier des magasins et des ateliers ainsi que des succursales de Lyon, Saint-Étienne et Strasbourg, le droit au bail des lieux, le matériel et l’outillage, ainsi que les marchandises dans les divers établissements et les compteurs en locations11.

19La liste des actionnaires souscripteurs révèle l’intérêt endogamique de la filière gazière, symbolisé par la souscription de propriétaires d’usines à gaz et de compagnies gazières.

20La société était administrée par les trois associés, seuls gérants responsables. Gabriel Nicolas était chargé de toutes les affaires commerciales, dans Paris, la province et l’étranger, des relations, des commandes, de la clientèle en général, de la comptabilité et de la caisse. Gabriel Chamon devait s’occuper de la fabrication et de la direction des ateliers et Anatole Foiret de la partie technique de la fabrication, des dessins, des expériences et de tout ce qui serait dans ses attributions d’ingénieur.

21En raison de leurs fonctions, chaque gérant avait droit à un traitement fixe de 6 000 F par an, payable par douzièmes et porté au compte des frais généraux. En outre, chacun avait droit à une indemnité annuelle de logement de 1 000 F, également portée au compte des frais généraux. Dans le cas où l’un d’eux avait son logement dans des immeubles occupés par la société (ce qui fut le cas pour Gabriel Chamon), il devait tenir compte à ladite société de la valeur locative des lieux.

22Au titre de la répartition des bénéfices, après le prélèvement de 5 % pour le fonds social, à répartir à titre d’intérêts à tous les actionnaires sans distinction, 5 % du surplus devaient former un fonds de réserve. Les membres de la gérance devaient percevoir 15 % du surplus, soit 5 % pour chacun des gérants et les 80 % restants répartis entre les actionnaires sans exception Conformément à sa nouvelle structure juridique, la société était dotée d’un conseil de gérance composé d’un nombre de membres fixé par l’assemblée générale, sans pouvoir être inférieur à trois. Le premier constitué en 1879 était composé d’Armand Béglet, Charles Foucart, Paul Mallet, Paul Ravenez et Aristide Servier, tous obligatoirement actionnaires.

Tableau III – Organisation de la société G. Nicolas, G. Chamon, A. Foiret & Cie en 1879

Tableau III – Organisation de la société G. Nicolas, G. Chamon, A. Foiret & Cie en 1879

23Le conseil se réunissait mensuellement pour entendre les trois associés composant la gérance et examiner les stratégies de développement à soumettre à l’approbation des actionnaires réunis en assemblées générales ordinaires annuellement ou en assemblée générale extraordinaire.

24Les rapports des conseils tenus en 1879 et 1880 ont fourni un éclairage sur les stratégies qui générèrent une augmentation du chiffre d’affaires et des résultats positifs concernant la maison de Paris et les succursales de province et sur l’activité des associés visant, chacun dans leur domaine, à l’expansion de l’entreprise. Ainsi, en novembre 1879, les affaires faites avec la ville de Paris, qui ressortaient du domaine de Gabriel Nicolas, étaient mentionnées en augmentation.

  • 12 Procès-verbal du conseil de gérance du 15 novembre 1879.
  • 13 Id. 15 mars 1880.

25Dans cette structure, Anatole Foiret était, contractuellement, tenu de développer les matériels destinés aux usines à gaz et d’assurer la livraison d’appareils spéciaux par la succursale de Lyon à diverses usines à gaz, notamment à celles de Firminy et à Lyon-Vaise12. L’activité en matières de matériels d’usines est attestée en mars 1880 par la réception d’une importante commande de compteurs de 50 000 m3 de la Compagnie Parisienne pour son usine de Clichy13.

  • 14 Id. 24 avril 1880.

26L’entreprise, cette même année, était l’objet de convoitise de sociétés du secteur d’où l’information fournie, en avril 1880 par Gabriel Nicolas, d’une proposition de fusion de la Société M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie avec la Compagnie continentale pour la fabrication des compteurs14. Sans motiver son refus, le conseil engagea Gabriel Nicolas à ne pas donner suite à cette offre.

  • 15 Archives départementales de Paris, Annuaire du commerce de la place de Paris, rubrique Compteurs 1 (...)

27La Compagnie continentale pour la fabrication des compteurs, dont le siège social était 8, rue d’Astorg à Paris 8e, avait été constituée en 1875 avec un capital de 1 250 000 F, trois ans après le rachat de l’atelier Barthélémy par Gabriel Nicolas et Gabriel Chamon. Elle résultait de l’acquisition de la Maison de J. Brunt, qui avait succédé à la Société Schodefield & Cie 13-15, rue Pétrelle à Paris 9e pourvue de succursales à Bordeaux, Lyon, mais aussi à Bruxelles, La Haye, Milan, Naples et Rome15.

28En revanche, le projet présenté lors de la même séance par Gabriel Chamon de déplacer les ateliers dans un local répondant aux exigences nouvelles de la fabrication, était retenu car il allait dans le sens de la constitution d’un patrimoine immobilier sécurisant, justifié par la progression des affaires entre 1877 et 1879.

Tableau IV – Chiffre d’affaires/bénéfices Sté Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie

Année

Chiffre

d’affaires Bénéfices

B/CA

1877

478 901

56 510

11,80

1878

626 935

133 339

21,26

1879

692 929

124 059

17,90

Le premier pilier du patrimoine immobilier industriel

  • 16 Procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire 15 mars 1880.
  • 17 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 15 mars 1880.

29En mars 1880, les actionnaires étaient informés, lors d’une assemblée générale extraordinaire16 de l’opportunité de louer, avec promesse de vente, l’immeuble situé 29-31-33, rue Claude Vellefaux à Paris 10e. Il s’agissait de la proposition des époux Weill, propriétaire de l’immeuble, faite à Gabriel Chamon de le lui louer pour vingt années, à raison de 15 000 F par an, après versement de 270 000 F le 31 décembre et de 300 000 F dans le courant de l’année 1881. Le conseil accepta le bail proposé avec promesse de vente pour la somme convenue17.

  • 18 Ibid. Conseil d’administration 23 septembre 1880.
  • 19 Archives départementales de Paris, cote D31 U3/475-D32 U3/61, acte notarié du 12 mars 1881. Parmi (...)

30Le financement de l’immeuble fut réalisé par l’affectation d’une partie des disponibilités existant au Comptoir d’Escompte, (103 000 F) et un portefeuille de 80 000 F. Un sixième (45 000 F) du prix prévu (270 000 F) fut versé le jour de la signature du contrat. Le paiement du solde devait intervenir dans un délai de cinq ans, par cinquième d’année en d’année, avec un intérêt de 5 %18. Ce plan de financement fut complété par la décision de porter le capital de 860 000 F à 1 100 000 F par le biais d’une souscription de 480 actions19.

31La liste des souscripteurs montre simultanément une constance et un élargissement de l’endogamie de la filière gazière, remarquée lors de la constitution de la société initiale, et l’intérêt de personnalités de cette même filière, en l’occurrence des directeurs des usines à gaz des faubourgs parisiens et de province.

32L’acquisition de l’immeuble des 29-31-33 rue Claude Vellefaux et le transfert du siège social à cette adresse exigeaient un réaménagement pour une meilleure productivité. Gabriel Chamon en précisa la nature le 3 septembre 1881 en conseil d’administration : démolition de la maison d’habitation, du laboratoire et du magasin des compteurs afin de réaliser une halle en fer vitrée pour la construction de compteurs en fonte et d’appareils divers et l’édification d’un bâtiment pour y installer un laboratoire et des magasins.

Fig. 1 – Siège social rue Claude Vellefaux

Fig. 1 – Siège social rue Claude Vellefaux

Fig. 2 – L’usine rue Claude Vellefaux

Fig. 2 – L’usine rue Claude Vellefaux

33En dépit de l’accroissement des capacités de son entreprise, Gabriel Chamon ne demeurait pas moins conscient de sa vulnérabilité, eu égard à la prospérité d’entreprises particulièrement actives sur le marché. La recherche d’une consolidation de l’ancrage de la CdC au sein de la filière du comptage s’imposait.

L’ancrage dans la filière du comptage

34À peine installée dans ses nouveaux locaux de la rue Claude Vellefaux, Gabriel Chamon informait, le 24 décembre 1880, les membres du conseil de gérance étaient informés de l’opportunité d’une cession ou d’une fusion avec une maison de fabrication similaire. Elle devait constituer le prélude à une succession de fusions-absorptions, entre 1881 et 1888, destinées à ancrer la CdC parmi les entreprises influentes des filières du gaz, de l’eau et de l’électricité.

L’association avec la société belge Dejaifve & Mignot

35L’opération avait l’intérêt d’offrir de nouveaux débouchés dans le Nord, en Belgique et en Hollande. Dans ces pays, l’industrie du gaz tendait à se développer à la suite du renouvellement de nombreuses concessions et en raison du prix bas du gaz dû au voisinage des usines à gaz. Il s’agissait aussi de pallier la position d’infériorité de la CdC, eu égard à celle des maisons installées dans ces pays, quasi fermés jusque-là pour des raisons de logistique.

  • 20 Archives départementales des Hauts-de-Seine, cote 19274, acte notarié du 1er avril 1881.

36La maison Dejaifve & Mignot avait aussi l’avantage d’avoir son siège à Schaerbeck-Bruxelles 151-155, rue des Palais où elle occupait une superficie de 1 000 m2, dont 800 m2 couverts et de posséder un établissement industriel à Lille 67-69, rue d’Isly de 1 065 m2, surface affectée en totalité à la maison de commerce et à l’habitat du personnel20.

  • 21 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 15 mars 1881.
  • 22 Archives départementales de Paris, Acte notarié du 29 mars 1881, cote D31 U3/478 et Archives dépar (...)

37La fusion avec la maison belge évitait à la CdC la création à Bruxelles d’une succursale dont le succès était jugé aléatoire car elle exigeait de recruter, presque exclusivement, un personnel nouveau difficile à surveiller21. Gabriel Chamon souligna également que l’opération permettait de contourner l’obligation de faire poinçonner les compteurs sur place par le Service des poids et mesures22.

  • 23 Pelpel J., (ESE 1929) in Culture Technique no 17, mars 1987p. 20 à 23 Archives du Conservatoire Nat (...)

38La société belge Dejaifve & Mignot avait aussi un établissement à Toulouse qui fabriquait et vendait des compteurs à gaz sans rechercher à réaliser des appareils d’usine, pas plus qu’à exercer un quelconque commerce de tubes en fer tels que les valves, les robinets, etc. Elle n’avait pas non plus d’outillage mécanique mais, en revanche, possédait une fonderie de cuivre et de bronze à Lille, de nature à renforcer l’équipement en grosses presses de la CdC23.

39Informés de l’avancement des négociations, les administrateurs de la CdC approuvaient, lors des conseils d’administration des 22 janvier et 23 février 1881, l’absorption de la Maison Dejaifve & Mignot et la conclusion d’un contrat de fusion. Ces opérations étaient portées à la connaissance des actionnaires lors des assemblées générales extraordinaires des 15 et 31 mars 1881.

40Outre une clause de non-concurrence, le contrat incluait l’engagement de M. Mignot de rester à la tête de la maison de Bruxelles, de diriger l’établissement de Lille et les succursales qui pourraient être éventuellement fondées dans les pays voisins, notamment en Hollande.

  • 24 Ibid. Assemblée générale extraordinaire du 15 mars 1881 et Archives départementales de Paris, cote (...)

41Le financement de l’opération fut réalisé par une augmentation du capital, porté de 1 100 000 F à 1 700 000 F par l’émission de 1 200 actions de 500 F. M. Mignot en recevant 420 au titre de son apport, les 780 restantes étaient mises à la disposition des souscripteurs, les actionnaires de la première heure, soit nombre de directeurs d’usines à gaz et d’ingénieurs. Au terme de l’opération, la CdC avait, outre son siège social rue Claude Vellefaux à Paris, une Maison à Bruxelles et des succursales à Lyon, Lille, Saint-Étienne, Strasbourg et Toulouse24.

  • 25 Id.

42La comparaison respective des résultats de la Maison Dejaifve & Mignot et de la CdC pour 1878, 1879, 1880, fait ressortir un autre attrait de l’opération25.

Tableau V – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Dejaifve & Mignot

Tableau V – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Dejaifve & Mignot

(*) Estimation réalisée par la CdC sur la base d’une moyenne des bénéfices réalisés pour l’opération de fusion.

43Si le chiffre d’affaires de l’entreprise belge pour les trois années est proche des deux tiers de celui de la CdC, son bénéfice est plus stable, autour de 25 %, alors que la CdC peine à atteindre 20 %. Même si l’augmentation du chiffre d’affaires en 1880 a une autre explication, l’entrée de la maison belge au sein de la CdC augure d’une pénétration importante du marché et la neutralisation d’une vive concurrence.

44Les négociations ultérieures aboutirent à la rédaction d’une convention prévoyant la démission de M. Mignot qui devait néanmoins continuer à apporter son concours moral aux relations de la CdC en Belgique, en Hollande et dans le nord de la France. En contrepartie, il devait recevoir 5 % sur les bénéfices réalisés par les succursales de Lille, de Bruxelles et de Dordrecht jusqu’en 1887 inclusivement. M. Mignot promettait en outre de donner à son successeur tous les renseignements nécessaires pour sa mise au courant des affaires de la succursale.

  • 26 Ibid. Conseil d’administration 13 octobre 1882.
  • 27 Id.

45Sur le plan immobilier, l’immeuble de Bruxelles fut acquis par la CdC pour 210 000 F sur lesquels 50 000 F devaient garantir une hypothèque de même somme avec un intérêt de 5 %. Les 160 000 F restant devaient être payés à M. Mignot en 26 annuités de 11 120 F comportant l’intérêt et l’amortissement26. Le conseil d’administration de la CdC autorisa le comité de direction à traiter sur ces bases et à emprunter au besoin la somme nécessaire pour payer les 90 000 F immédiatement remboursables27.

46L’immeuble de Lille fut négocié par la CdC au prix de 80 000 F sur lesquels 40 000 F devaient rester affectés au paiement d’une hypothèque de même somme avec un intérêt de 5 %. Les 40 000 F restant devaient être payés à M. Mignot en 26 annuités de 2 780 F, comprenant l’intérêt et l’amortissement.

47En dépit de ces transactions, l’absorption de la Maison Dejaifve & Mignot posa des problèmes en raison de l’attitude de M. Mignot qui persistait à agir comme propriétaire de l’immeuble de Bruxelles et mandataire de M. Dejaifve, propriétaire de l’immeuble de Lille.

  • 28 Id. 8 décembre 1882.
  • 29 Id. 23 avril 1884.

48Un voyage à Lille et à Bruxelles de Gabriel Chamon et d’Étienne Siry visant à régulariser définitivement l’absorption de la maison Dejaifve & Mignot, conduisit à installer un directeur à la tête de la succursale de Bruxelles, M. Rigault avec des appointements fixes de 2 400 F et une participation de 5 % sur les bénéfices réalisés à Bruxelles28. Faute de résultats escomptés, il fut remplacé en 1884 par M. Stevens, un ingénieur attaché depuis plusieurs années à l’usine à gaz de St Josse Ten Mode à Bruxelles, dirigée par M. Tassain, l’un des bons clients de la CdC29.

  • 30 Id. 15 janvier 1883.

49M. Mignot se vit aussi reproché de s’être absenté plusieurs mois sans en avoir informé le comité de direction ce qui justifia le refus du quitus de sa gestion sans remettre en question jusqu’à nouvel ordre, des actions qu’il avait déposées en garantie de sa gestion30.

  • 31 Ibid. Conseil d’administration 1er mars 1884.

50Néanmoins, M. Mignot, en raison de ses relations, avait assuré son rôle d’informateur ponctuel en signalant à la CdC l’envoi à Londres d’un ingénieur de la Compagnie des Chemins de Fer Belge pour se rendre compte des résultats obtenus par l’invention d’un Berlinois, M. Pintsch, dont la société avait mis au point un système d’éclairage des wagons, susceptible d’offrir de nouveaux débouchés à la succursale de Bruxelles31. Cette société Pintsch réalisait, dans des usines fonctionnant au gaz riche, des équipements pour l’éclairage des wagons et les cédait à des Compagnies de Chemins de Fer sans assurer leur exploitation.

  • 32 Id. 1er mars, 23 avril et 23 mai 1884.

51Par contre, M. Mignot, à l’insu de la CdC, avait établi des contacts en vue de former une société anonyme belge pour l’exploitation des brevets Pintsch, dont M. Mignot et MM. Pintsch et Mignot devaient devenir les membres fondateurs32.

52L’intérêt de Gabriel Chamon pour les pays du Nord ne se limita pas à la société Dejaifve & Mignot, d’autant qu’il avait conservé aux Pays-Bas, des attaches affectives avec son compagnon d’apprentissage à la Maison Maldant & Cie, Edward Wellard qui, opportunément, l’introduisit dans une société néerlandaise.

L’attrait de la Maison Heeley & Cie, société néerlandaise

  • 33 Entretien avec Bernard Heeley à Paris le 2 septembre 2008 (son grand-père, George Heeley, était de (...)
  • 34 Ibid. Conseil d’administration 15 mars 1881 et archives d’Odile Richard-Le Brethon.

53La société possédait, dès 1848, une entreprise érigée sur le terrain acheté le 14 mai 1851 par Johannes Marius der Made et Jan Van Breda senior pour y construire un édifice destiné à éclairer la ville de Dordrecht pour une période de vingt ans. En 1858, George Heeley33, installé Mariënbornstraat, C 721/C722, à Dordrecht, s’associa avec J.-M. Van der Made pour y créer une usine de fabrication et de réparation de compteurs de gaz, sous l’enseigne Wellard & Cie. Dirigée par les deux associés, elle devait devenir Heeley et Cie34, dans laquelle la maison parisienne Maldant & Cie avait des intérêts.

  • 35 Id. Conseils d’administration 15 et 31 mars 1881 et Historique de la CdC Montrouge 1997.

54Gabriel Chamon proposa à George Heeley en 1882, de lui racheter sa participation dans son entreprise et d’accueillir son fils à Paris (également prénommé George) alors âgé de 14 ans, pour qu’il y termina ses études. À l’issue de celles-ci, Gabriel Chamon lui offrirait un poste d’avenir dans l’entreprise M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie. George Heeley père, accepta les propositions en s’engageant à rester pendant un an à la tête de sa maison35. Il céda sa participation à la CdC contre vingt actions de celle-ci, complètement libérées, et le versement de 20 000 F en espèces. La société Heeley & Cie devint en 1897, la filiale Meterfabriek de la CdC.

  • 36 Archives d’Odile Richard-Le Brethon.
  • 37 Archives Amicale Schlumberger à Montrouge. Bulletin CdC, no 54.

55Le jeune George Heeley vint effectivement terminer ses études à Paris entre 1882 et 1885, puis intégra les ateliers de la CdC de la rue Claude Vellefaux où il poursuivit sa formation aux techniques de l’entreprise36. Nommé au poste de secrétaire du comité de direction en 1900, il joua un rôle important à l’exportation avec la création de la Société Danubia à Vienne et participa notamment sur le plan technique, au développement de l’entreprise avec la création, en 1911, d’un système de comptage des hydrocarbures au sein du service Liquides inflammables37.

56Gabriel Chamon, toujours dans le cadre de ses relations confessionnelles et professionnelles, s’intéressa à une maison parisienne d’origine anglaise.

L’atout de la société anglaise John Williams

  • 38 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 13 août 1881.

57Créée par John Williams, l’un des premiers constructeurs de compteurs à gaz, établi en 1849 à Paris 16e, 14, rue Piccini, elle était de taille modeste, pourvue d’un matériel peu important, conduite d’une façon patriarcale, sans comptabilité bien détaillée et réalisait un chiffre d’affaires relativement restreint. La société avait néanmoins deux aouts : les relations amicales entretenues par son propriétaire avec les représentants des compagnies gazières anglaises installées à Paris, une clientèle restreinte de premier ordre et des capacités d’une fabrication soignée exécutée par des ouvriers, pour la plupart de nationalité anglaise38.

  • 39 Archives départementales de Paris, acte notarié du 12 août 1881, cote D31 U3/492 et du 27 août 188 (...)

58L’acte de fusion du 12 août 1881, qui prévoyait d’attribuer à John Williams en représentation de son apport, 385 actions de 500 F chacune, qui devaient être créées entièrement libérées, comportait une clause lui interdisant de prendre des intérêts dans une affaire concurrente39.

  • 40 Ibid. Conseil d’administration 22 mai 1882.
  • 41 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 16 avril 1883.

59En revanche, John Williams avait la faculté de demeurer au sein de l’entreprise40 et l’assurance de conserver le caractère spécifique de son établissement et de ses fabrications spéciales. L’ensemble de ces fabrications ainsi que le personnel fut transféré rue Claude Vellefaux en 1883, les locaux de la rue Piccini étant loués à la Société des Becs Siemens41. Même si l’intérêt de la Maison Williams résidait principalement dans les relations privilégiées qu’elle entretenait avec ses compatriotes gaziers installés sur le continent, ses résultats méritent d’être mentionnés.

Tableau VI – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Williams

Tableau VI – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Williams

(*) Estimation d’après un graphique des chiffres d’affaires et des bénéfices de 1879 à 1925.

60Après ce rapprochement avec des entreprises œuvrant dans le comptage du gaz Gabriel Chamon, toujours dans l’année 1881, se fit l’apôtre d’une extension au comptage de l’eau, qui apparaît comme l’héritier de celui du gaz.

L’association avec la Société Siry Lizars et Cie

61Fondée en 1841, sise à Paris 10e, 128, rue La Fayette, la société était spécialisée dans la fabrication des compteurs de qualité pour le gaz et pour l’eau. Son fondateur, Alcide Siry, se préparait en 1881 à prendre sa retraite tandis que son fils Étienne et son associé, Georges Lizars, acquéreurs récents d’un terrain de 3 000 m2 boulevard Ornano à Paris 18e, se proposaient d’y créer une entreprise avec un vaste atelier incluant précisément un outillage mécanique.

62L’entreprise jouissant en outre d’une excellente réputation, les associés de la CdC jugèrent plus prudent de rechercher le moyen d’éteindre une concurrence naissante et, simultanément d’augmenter le chiffre d’affaires et de réaliser des bénéfices illustrés par la comparaison des résultats des deux entreprises.

Tableau VII – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Siry, Lizars

Tableau VII – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Siry, Lizars

(*) Estimation d’après un graphique des chiffres d’affaires et des bénéfices de 1879 à 1925.

63En 1877, la maison Siry, Lizars & Cie réalisait un chiffre d’affaires 2,6 fois plus élevé que celui de la CdC mais il tombait à 1,7 en 1878 et à 1,35 en 1880. La jeune entreprise de Gabriel Chamon enregistrait de son côté un bénéfice proche de 20 %, tandis que celui de la maison Siry, Lizars & Cie ne dépassait 15 % qu’en 1880. L’entreprise fut néanmoins considérée comme un atout considérable en matière de marché pour l’avenir de la CdC.

  • 42 Archives départementales de Lyon, cote 20678, acte notarié du 23 août 1881.
  • 43 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 13 août 1881.
  • 44 Ibid. Conseil d’administration 25 mars 1890.

64La maison Siry Lizars & Cie renforçait le réseau des succursales de la société M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie, de Lyon, Saint-Étienne et Strasbourg, de celles de Bruxelles, Lille et Toulouse provenant de la fusion Dejaifve & Mignot et de celle de Dordrecht de la maison Heeley42. Les succursales de la société Siry Lizars avaient l’avantage d’être situées hors de la sphère d’action de la CdC43, dans des contrées quasi inaccessibles à cause des frais de transport, des difficultés de communication et de la nécessité d’un poinçonnage sur place, notamment en Suisse, en Italie, en Espagne44. Barcelone, la plus modeste succursale, exerçait essentiellement une activité de montage.

65L’opération de fusion fut aussi justifiée, non seulement pour l’apport des moyens mécaniques de l’entreprise, mais aussi pour l’intérêt commercial et social qu’elle présentait étant donné les méthodes de direction de MM. Siry et Lizars.

  • 45 Id.

66La Maison Siry Lizars, adepte d’une politique de hauts salaires et de gestion serrée, avait la réputation de payer ses ouvriers plus cher mais d’exiger d’eux plus de soins dans la fabrication, politique qui se traduisait par une plus longue durée des compteurs, une diminution des défectuosités, une plus grande sécurité dans le mesurage du gaz, avantages appréciés des clients utilisateurs45.

  • 46 Id.

67L’adoption de cette politique, au sein de la CdC, fit l’objet d’une mention en conseil d’administration. Elle spécifia que « la fusion avec la Société Siry Lizars constituait, pour la CdC, un encouragement à persévérer dans cette voie, à l’étendre même au prix de quelques sacrifices car elle devait permettre d’accroître le chiffre d’affaires, de renforcer la sécurité dans les relations commerciales et d’assurer la fidélité de la clientèle46 ». Cette politique des salaires, appliquée au personnel de la CdC, constitua une retombée notable pour celui-ci et l’un des éléments de la culture de l’entreprise.

  • 47 Archives départementales de Paris, cote D31 U3/492, acte notarié du 12 août 1881.

68Comme pour les opérations précédentes, le financement de cette fusion fut assuré par l’émission de 4 600 actions de 500 F, destinée à porter le capital de 1 700 000 F à 4 000 000 F. Cette émission visait à régulariser l’absorption de la Maison Williams qui avait été entérinée moyennant 385 actions de 500 F. Quant à Étienne Siry et à Georges Lizars, ils se virent attribuer 2 000 actions en représentation de la valeur de leur établissement industriel exploité à Paris 128, rue Lafayette, de celle des succursales de Barcelone, Marseille, Genève, Milan et Leipzig, incluant le matériel, l’outillage industriel et la clientèle47. Étienne Siry et Georges Lizars devaient également participer aux bénéfices nets futurs à hauteur de 4 % même après la transformation éventuelle de la société.

  • 48 Id.
  • 49 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 13 août 1881.

69La CdC fut effectivement transformée en société anonyme48, Georges Lizars et Étienne Siry en devenant administrateurs au même titre que Gabriel Nicolas, Gabriel Chamon et Anatole Foiret49.

70La liste des souscripteurs à cette augmentation de capital consécutive à l’absorption de la Maison Siry, Lizars & Cie et à celle de la Maison Williams révèle, une fois de plus, l’endogamie de la filière gazière avec cependant une participation de rentiers escomptant une distribution de dividendes substantiels.

  • 50 Ibid. Conseil d’administration 25 mars 1890.
  • 51 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 27 août 1881.

71À remarquer que l’accord avec la Société Siry, Lizars & Cie comportait une clause de non-concurrence mais aussi une collaboration de Georges Lizars50 et d’Étienne Siry fils dans la direction de leurs établissements, comme dans leur fonction de directeurs de la CdC au même titre que les trois directeurs de celle-ci51.

72Les associations réalisées avec les différentes sociétés sont ratifiées et illustrées par l’adoption d’une nouvelle raison sociale en 1882 :

Compagnie pour la fabrication des compteurs et matériel d’usines à gaz M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie, Siry, Lizars & Cie, J. Williams.

  • 52 Caron F., op. cit. p. 28-29.

73Cette raison sociale révélait que la création de la CdC relevait de « l’initiative créatrice d’un homme, ou plutôt d’une équipe, soutenue par un réseau restreint de parents, d’amis ou de relations diverses qui conditionne la réussite de l’entreprise » et que « l’entrepreneur a besoin de partenaires qui acceptent de lui faire confiance et de prendre des risques52 ». Ainsi constituée, la CdC se devait de s’intéresser au comptage de l’électricité, qui offrait de nouvelles perspectives de développement.

L’attrait de la Maison Michel & Cie

  • 53 Archives CdC Montrouge, photocopie d’une note interne concernant les compteurs d’eau.
  • 54 Archives départementales de Paris, cote D31 U3/581-D32U3/66, acte du 9 novembre 1885.

74Contemporaine de la CdC, elle avait été créée en 1872 par Jules-Charles Michel et ses fils sous l’enseigne Michel-Greyveldinger & Cie, 33, rue des Vinaigriers à Paris 10e53. Au décès de Jules-Charles Michel en 1885, sa veuve, Célestine Greyveldinger, constitua la Société Michel & Cie, 16-18 boulevard de Vaugirard à Paris 15e, avec ses deux fils, Bernard-Louis Michel et Georges Michel, ce dernier devant agir en qualité de comman54. Outre leur introduction dans la filière du gaz, grâce à l’acquisition de la Maison Roussel en 1849, la Maison Michel & Cie avait le gros avantage d’être introduite dans la filière de l’électricité.

  • 55 Ibid. Cote 31 U3 621/383, acte notarié du 16 mai 1888 et procès-verbal des assemblées générales ext (...)

75La CdC, aux termes d’accords conclus en 1888 avec les frères Michel et avec le soutien financier de la Maison Gay, J. Rostand & Cie, banquiers et actionnaires de la CdC, se rendait acquéreur de leur raison sociale, de leur fonds de commerce, de la clientèle, des brevets, matériel, outillage et mobilier industriel, moyennant la somme de 2 000 000 F, dans laquelle était compris un fonds de roulement s’élevant à 750 000 F, représenté par des marchandises au prix de revient ou des espèces chez les banquiers55.

  • 56 Archives CdC Montrouge. Le compteur Frager reçut l’agrément de la ville de Paris en 1878.
  • 57 Ibid. Rapport des commissaires du 2 mai 1888 chargés de la vérification de l’achat de la Maison Mic (...)
  • 58 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 9 mai 1888.

76L’importance de l’opération exigeait, conformément à la loi sur les apports en matière de fusion, la nomination de trois commissaires aux apports afin de confirmer la validité des brevets et d’assurer le paiement des annuités concernant deux appareils brevetés, l’un en 1877, l’autre breveté en 1883 qui marquait un grand progrès sur le précédent56. Un petit compteur électrique, calibre 7 mm inventé pour appartement57, fit l’objet d’un traité séparé engageant la CdC à en assurer la promotion avec le concours des frères Michel et d’Alphonse Frager. Ces derniers se voyaient confier la direction de leur ancienne maison pour une période de douze années58, opération qui conduisit à faire figurer la Maison Michel dans la raison sociale de la CdC :

Compagnie pour la fabrication des compteurs et matériel d’usines à gaz Réunion des Maisons M. Nicolas, G. Chamon, Foiret & Cie, Siry, Lizars & Cie, J. Williams, Michel & Cie.

77Elle donna lieu à une augmentation de capital qui fut porté de 4 000 000 F à 6 000 000 F par émission de 4 000 actions en numéraire, entièrement souscrites par des actionnaires proches des milieux bancaires et du comptage.

78Outre la renommée de la Maison Michel & Cie, remontant à son ancrage dans la filière du comptage de l’électricité, son attrait résidait dans son chiffre d’affaires réalisé dans les années 1885 à 1887 en province et à l’étranger.

Tableau VIII – Chiffre d’affaires Maison Michel/CdC

Année

Paris

Province Étranger

Total Chiffre Michel

Chiffre d’affaires CdC

1885

996 712

591 564

1 588 276

2 814 760

1886

927 501

497 825

1 425 326

3 051 069

1887

940 000

564 000

1 504 000

3 295 082

1888

1 046 

697 461

1 743 653

4 398 243

79Ce tableau révèle que l’absorption de la Maison Michel & Cie en 1888 permit à la CdC, par la consolidation des chiffres d’affaires des deux établissements, d’augmenter son chiffre d’affaires entre 1885 et 1888 de 56,25 %.

  • 59 Déclaration à l’assemblée générale ordinaire du 30 juillet 1889.

80En 1890 la CdC, rappelant lors de l’assemblée générale ordinaire du 18 juillet, l’acquisition de l’ancienne Maison Michel & Cie, se félicitait d’être devenue propriétaire d’une entreprise pleine d’avenir59. Elle se réjouissait d’avoir organisé l’entreprise sur des bases nouvelles et intégré la fabrication des compteurs d’eau, puis des compteurs d’électricité, à l’époque ou quelques-uns des actionnaires avaient été surpris de la voir s’engager dans une voie nouvelle.

  • 60 Ibid. Assemblée générale ordinaire 18 juillet 1890.

81Les événements avaient donné raison à la CdC puisqu’elle déclarait à ses actionnaires que « les ventes de compteurs de gaz ne se sont pas moins développées que celles des compteurs d’eau alors que celles des compteurs d’électricité sortaient de la période des essais… À l’encontre de certaines appréciations peu raisonnées, le développement de l’éclairage électrique ne nuit en rien au développement correspondant de l’industrie du gaz60 ».

82Le rapport signalait que la CdC était le seul fournisseur des compagnies d’électricité qui exploitent les différents secteurs de Paris, notamment la Société de transmission de la force, la Société Popp, la Société Edison et qu’elle avait reçu, de la plus importante compagnie de Londres, une commande importante et que des pourparlers étaient engagés pour l’exploitation des brevets à l’étranger. La CdC était donc pour l’électricité, comme pour le gaz et comme pour l’eau, dans une excellente situation et nous pouvons bien augurer de l’avenir.

83L’autonomie conservée de la Maison Michel & Cie, reconnue lors des accords qui prévoyaient le maintien à la direction des deux fils de Charles Michel, Bernard-Louis et Georges, est attestée par des documents d’archives, dont une page publicitaire révélant l’utilisation de papier à lettre, pourvu de l’en-tête commerciale significative, pour un certificat de travail délivré à un ajusteur le 23 avril 1898.

84Au-dessus de l’intitulé « Michel & Cie, constructeurs, Compagnie pour la Fabrication des Compteurs et Matériels d’Usines à Gaz (successeurs) », on y remarque le fac-similé de 28 médailles obtenues entre 1868 et 1882 pour un compteur électrique homson et un compteur à gaz Roussel-Nicolle, cette dernière société absorbée par la Maison Michel & Cie.

85L’autonomie de la Maison Michel est implicite en raison même de son implantation dans le quartier parisien de Montparnasse.

Fig. 3 – L’établissement de Vaugirard

Fig. 3 – L’établissement de Vaugirard

Fig. 4 – Les ateliers de Vaugirard

Fig. 4 – Les ateliers de Vaugirard

86Un document, d’une autre nature témoigne à la fois de l’autonomie de la Maison Michel et de son apport à la CdC. Le journal Le Génie Civil du 27 juin 1896 fait un commentaire élogieux de la fête avec banquet et concert organisés à l’occasion de l’inauguration, le 20 juin 1896, des nouveaux ateliers de l’impasse du Maine. Un hommage est rendu au personnel et à leurs divers métiers (symbolisés par des panoplies catégorielles), destinés à être transmis à de jeunes apprentis au sein d’un centre d’apprentissage.

Fig. 5 – Un atelier de Vaugirard

Fig. 5 – Un atelier de Vaugirard

Fig. 6 – Centre d’apprentissage de Vaugirard (1920)

Fig. 6 – Centre d’apprentissage de Vaugirard (1920)
  • 61 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 9 mai 1888.

87Contractuellement, les deux fils de Jules Michel, Louis et Charles, conservaient la direction de la Maison Michel & Cie, chacun d’eux étant assuré de recevoir une rémunération annuelle de 50 000 F61. L’organisation administrative de la CdC, modifiée, révèle que l’ingénieur Alphonse Frager figure parmi les administrateurs de la CdC en 1888 (tableau IX).

Tableau IX – Organisation de la CdC en 1888, regroupement avec la Maison Michel, Bld de Vaugirard

Tableau IX – Organisation de la CdC en 1888, regroupement avec la Maison Michel, Bld de Vaugirard

88Alphonse Frager, ancien élève de l’École Polytechnique, reconnu pour sa compétence technique, avait notamment, à partir d’un compteur électrique, objet d’un accord de licence, conçu, en 1880, un compteur électrique appelé compteur Thomson. Alphonse Frager inventa également un compteur d’eau à deux cylindres. Perfectionné en 1883, il fut construit sous la marque CdC et connut un succès de près de quarante années.

  • 62 Traité particulier avec les frères Michel et Alphonse Frager du 2 mai 1888.
  • 63 Ibid. Conseil d’administration 1er mars 1898 et note interne CdC de juin 1902.

89Alphonse Frager poursuivit son activité, dans le cadre de l’association avec la CdC, avec l’engagement « de se lier plus étroitement au point de vue des inventions qu’il pourrait réaliser dans l’avenir62 ». Il expérimenta, entre autres, le compteur O’Keenan dont la CdC avait acquis les droits d’exploitation. À partir de ce compteur, Alphonse Frager conçut, en 1901, un dispositif qui équipa un compteur appelé ACT, commercialisé par la CdC pendant des années63.

90La Maison Michel & Cie comptait aussi d’autres ingénieurs de grand talent. André Brocq, directeur à l’usine de Vaugirard, qui réalisait de nombreux compteurs d’eau réputés pour leurs grandes qualités. Il avait également été à l’origine d’une importante série de compteurs d’électricité, commencée à Vaugirard vers 1885, sous le nom d’Arthur Blanchet (ingénieur ECPC de Paris), l’un de ses collaborateurs.

  • 64 Archives CdC. Note dactylographiée d’Arthur Blanchet daté de janvier 1944.

91Arthur Blanchet, dans un écrit intitulé « Cinquante-trois années de présence à la CdC – Tout petit résumé64 », apporte simultanément un éclairage sur l’autonomie de l’établissement de Vaugirard et sur les mentalités et les représentativités des patrons et des subordonnés, présentes dans les entreprises au tournant du XXe siècle.

  • 65 Ce salaire mensuel de 150 F, soit 1 800 F pour un an, d’un jeune ingénieur EPCI, rapproché du trai (...)

92À sa sortie de l’École de Physique et Chimie de Paris, Arthur Blanchet, sur recommandation d’Édouard Hospitalier professeur à cette école, entra à l’établissement de Vaugirard le 1er mars 1890. Reçu le 25 février par Alphonse Frager, il se vit signifier qu’il commencerait le 1er mars et recevrait un salaire de 100 F par mois. « Si, on ne vous augmente pas, vous saurez ce que cela voudra dire. Le premier mois on lui donna 150 F65. »

93Arthur Blanchet, sous l’autorité d’Alphonse Frager et d’André Brocq, se vit confier la surveillance d’une partie de la fabrication de compteurs Frager. Il mesura alors l’autorité de Jules Michel, illustrée par sa déclaration tonitruante lorsqu’il apprit qu’un compteur Frager était la cause d’une perte de 350 000 F : « Foutez-moi tout ça à la porte avec des coups de pied au c… » Cet accès demeura sans suite et, après l’introduction à Vaugirard par Gabriel Chamon du compteur Thomson, Arthur Blanchet participa à la mise au point de ce compteur, avec l’aide d’Anatole Foiret, expert en matière d’alliage.

94Par la suite, Arthur Blanchet collabora à l’élaboration du compteur O’Keenan puis à celles des compteurs des séries ACT 1, 2 et 3 et AB, qui connurent le succès, ainsi qu’aux compteurs à mercure sur lesquels il continua à travailler. Ceux-ci obtinrent de bons résultats alors que Gabriel Chamon avait donné l’ordre de cesser toute recherche les concernant.

  • 66 Archives CdC Montrouge. Note de juin 1966, intitulée Souvenirs de Vaugirard 1914-1918.

95Tous ces appareils connurent en définitive de grands succès en France, dans les possessions françaises et dans de nombreux pays étrangers, toujours sous le double sigle de « Ancienne Maison Michel & Cie, Compagnie pour la Fabrication des Compteurs et Matériel d’Usines à Gaz66 ».

96Sous l’effet des fusions, la CdC faisait figure entre 1872 et 1888 de l’une des sociétés électrotechniques les plus importantes de France. Elle était signalée comme :

  • 67 Caron F. et Cardot F., op. cit., tome 1, p. 676.

« proche de ses clients, et avoir doublé son chiffre d’affaires, passant de 6 millions en 1888 à 12 millions de francs en 1895. Toutefois, la part des compteurs d’électricité était faible dans ces résultats. En fait, sa spécialisation, accompagnée d’un complément dans un domaine non électrique, fut retenue comme mode d’organisation par bien des sociétés par la suite67 ».

97Dans le climat de réorganisation résultant des différentes opérations de fusions, l’immobilier industriel parisien devait être renforcé afin d’augmenter les capacités de l’entreprise en rapport avec la taille qu’elle avait acquise.

La consolidation de l’immobilier industriel

98L’opportunité d’acquisitions de terrains ou de constructions se présenta pour les deux établissements parisiens dans les cinq dernières années du XIXe siècle.

Le renforcement des ateliers de la rue Claude Vellefaux

  • 68 Ibid. Conseil d’administration 26 juin 1894, assemblée générale extraordinaire 8 février 1895 et l’ (...)

99L’achat d’un terrain de 344 m2 pour 53 801 F, situé rue Vicq d’Azir, suivi de celle d’un terrain d’angle, dans cette même rue, par le biais d’un échange avec la ville de Paris et moyennant une soulte de 175 000 F68, se révéla bénéfique pour l’image de l’usine. Elle se trouvait, alors, dotée d’une façade sur la rue Claude Vellefaux, qui passa de 40 à 65 mètres et sur la rue Vicq d’Azir de 25 mètres.

  • 69 Id. 30 juin 1896.
  • 70 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 8 février 1895.
  • 71 Ibid. Conseil d’administration 16 avril 1907.

100En 1896, l’achat d’un terrain du 26 au 30, de la rue de la Grange-aux-Belles, au prix de 77 000 F69, permit de poursuivre les constructions entreprises en 189570. L’achat en 1907 de constructions au 24, de la même rue, pour 150 050 F, puis au 32, au prix de 100 000 F71 augmenta heureusement l’implantation foncière de la CdC dans le 10e arrondissement de Paris.

L’extension des ateliers de « Maine-Vaugirard »

  • 72 Ibid. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1895.
  • 73 Id. 30 juillet 1896.
  • 74 Id. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1898.

101Elle se concrétisa par une série d’acquisitions immobilières entre 1895 et 1899, soit l’achat en 1895, impasse du Maine, d’un terrain de 640 m2 pour 99 656 F, puis l’acquisition d’ateliers (loués jusque-là), au prix de 600 000 F72, d’une superficie de 3 600 m2. L’achat de deux terrains mitoyens, l’un en 1896 de 1 700 m2 pour 170 000 F73, l’autre de 1 682,85 m2 en 1897, permit de construire de nouveaux ateliers74. L’ensemble fut complété par l’achat, en 1899, d’un immeuble mitoyen dans l’impasse du Maine au prix de 184 000 F.

Fig. 7 – Le site de Marquise

Fig. 7 – Le site de Marquise

Fig. 8 – La Fonderie de Marquise

Fig. 8 – La Fonderie de Marquise

102La CdC, estimant qu’elle devait améliorer ses capacités en matière de fonderie, se préoccupa de trouver, en province, un établissement susceptible de lui assurer une plus grande autonomie vis-à-vis de ses fournisseurs.

L’acquisition des Ets Métallurgiques & Fonderies de Marquise

  • 75 Id. Conseil d’administration 26 février 1900, assemblées générales ordinaires 27 juillet 1900 et 3 (...)

103Marquise, petite ville du Pas-de-Calais, possédait l’une des plus vieilles usines métallurgiques de France. Installée dans des bâtiments vétustes, sa production de fonte et d’acier était universellement connue et particulièrement appréciée des compagnies de gaz, grâce à sa capacité de réaliser des commandes importantes avec un personnel excellent, logé dans des maisons ouvrières dépendant de l’usine. L’extinction de ses hauts-fourneaux, prévue en 1900, libérait une superficie disponible en ateliers et en terrains, de 110 000 m2 environ qui intéressa la CdC. L’ensemble, acquis au prix de 300 000 F en 1900, les installations furent modernisées afin d’augmenter l’approvisionnement en fonte spéciale de tous les ateliers de la CdC, tout en conservant la clientèle d’origine de Marquise75.

104De nouveaux halls de moulage, des ateliers de mécanique furent construits ainsi qu’une fonderie d’acier. Les différentes machines à vapeur et chaudières, disséminées dans les divers ateliers furent remplacées par un groupe électrogène central comprenant un générateur, une machine à vapeur et une dynamo génératrice, afin d’éclairer les terrains et d’actionner électriquement les nouveaux appareils de levage pour permettre une manutention rapide des pièces lourdes sans l’intervention du personnel. Les ateliers de mécanique furent pourvus d’un outillage perfectionné et la puissance de production des fonderies de fer augmentée grâce à un convertisseur Tropenas.

  • 76 Id. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1904.
  • 77 Id. Conseils d’administration 25 février, 26 mai 1908, 30 juillet 1912.

105En 1904, Marquise occupait 500 ouvriers76. Dans le cadre de la loi de 1906, concernant les habitations à bon marché, la CdC participa à la création d’une société anonyme d’habitations ouvrières, le Foyer de Marquise-Rinxent, au capital de 200 000 F, qui s’étendit progressivement en 1908 et 191277.

106En matière de patrimoine immobilier industriel, en dehors des établissements parisiens et de Marquise, la CdC possédait, en 1907, treize centres de production et des succursales, appelées maisons correspondantes étrangères provenant des différentes fusions et associations.

107En quatre décennies la CdC, personne morale, était passée du statut artisanal, employeur d’une quinzaine de compagnons, à celui d’entreprise industrielle de deux milliers d’ouvriers, de techniciens et d’ingénieurs avec, aux côtés du fondateur, des administrateurs, les uns et les autres acteurs du développement de l’entreprise.

Les acteurs et les artisans du développement

108Au fil des fusions et des associations réalisées, Gabriel Chamon s’était assuré le concours des intéressés et de leur personnel et avait su rallier, à ses stratégies, des personnalités du monde industriel et bancaire, devenus eux aussi acteurs et artisans du développement de la CdC.

Les administrateurs et leurs origines

109Charles Foucart, ancien président de la Société Technique du Gaz, propriétaire d’Usines à Gaz, président du conseil de surveillance en 1879, réélu en 1881.

110M. Guermonprez, vice-président administrateur de la Compagnie Générale Française et Continentale d’Éclairage.

111M. Béglet, secrétaire, propriétaire de l’Usine à Gaz de Corbeil.

112John Williams, propriétaire, ancien fabricant de compteurs à gaz.

113M. Rombard-Nisard, administrateur de la Compagnie Française d’Éclairage et de Chauffage par le Gaz.

114M. Foulon de Vaulx, administrateur délégué de la Société Gaz & Eaux.

115Jules Rostand de la Maison Gay J. Rostand & Cie, la banque qui avait facilité l’acquisition de la Maison Michel & Cie.

116Émile Mercet, de la Banque Périer frères & Cie.

117Alphonse Frager, ancien élève de l’École Polytechnique, à la Maison Michel & Cie.

118Parmi ces neuf administrateurs, sept ressortaient de la filière du comptage du gaz et de l’eau, deux du monde de la banque. Le corps des ingénieurs était représenté par un centralien, Anatole Foiret, et un polytechnicien, Alphonse Frager.

119La disparition d’administrateurs, Maurice (Gabriel) Nicolas, Georges Lizars et M. Guermonprez, conduisit à la nomination de Georges Alouis, ingénieur, (directeur des succursales de Lyon et Marseille de la CdC) et à celle de M. Melon, ingénieur, président de la Société technique du gaz, gérant de la Compagnie de Lille-Waremme.

120La disparition en 1894 de John Williams et de M. Romberg-Nisard en 1895, furent à l’origine de la nomination de Prosper de Lachomette, administrateur d’usines à gaz, président de la Société technique du gaz et de celle d’Ernest Brouardel, directeur de la Compagnie française du centre et du midi.

  • 78 Barjot D., Morsel H., Cœuré S., Stratégies, Gestion Management, les Compagnies Électriques et leurs (...)

121En 1899, le décès de M. Melon amena au sein du conseil Joseph Ancel, administrateur de la Compagnie du gaz de Lyon, de la Société technique du gaz en France depuis 1883, fondateur de l’École centrale de Lyon et président de la Compagnie du Rhône, personnalité qui avait attiré l’attention avec ses méthodes de management des électriciens78.

122En 1900, Prosper de la Chomette, ancien président de la Société technique du gaz, polytechnicien, figure au conseil d’administration aux côtés de son condisciple Alphonse Frager.

Tableau X – Organisation de la CdC en 1900

Tableau X – Organisation de la CdC en 1900

(*) Établissements au 29-33, rue Claude Vellefaux et Bld Vaugirard.

  • 79 Barjot D., Morsel, Cœuré S., op. cit., p. 425.
  • 80 Ibid. Assemblée générale ordinaire 29 septembre 1909.

123En 1910, la disparition de deux des plus anciens administrateurs, Ernest Brouardel et Émile Mercet en 1908, puis deux ans plus tard, celle du président Charles Foucart, amène à la présidence de la CdC Jules Rostand, président de la Compagnie générale française des tramways et administrateur du CNEP, De nouveaux administrateurs de marque apparaissent aussi au conseil d’administration : Jules Deleury, ingénieur, administrateur délégué de la Compagnie générale française et continentale d’éclairage, Alexis Rostand, président du Comptoir national d’escompte et Albert Petsche, X Ponts, licencié en Droit, alors âgé de 49 ans bien connu et influent dans le monde de l’électricité79. George Heeley, gendre de Gabriel Chamon, est nommé secrétaire du conseil80.

Tableau XI – Organisation de la CdC en 1910

Tableau XI – Organisation de la CdC en 1910

(*) Établissements au 29-33, rue Claude Vellefaux et Bld Vaugirard.

  • 81 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 29 juillet 1899.

124La CdC se félicitait alors de la présence de ces personnalités au sein de son conseil d’administration qui contribuaient à établir sa renommée au sein de la filière du comptage81. Elle s’honorait aussi de la progression de son personnel qui avait augmenté et évolué au fil des générations sous l’égide du fondateur, soucieux de développer une culture de l’entreprise empreinte de paternalisme.

Le personnel dans le paternalisme ambiant

  • 82 Archives CdC à Montrouge. Document édité par le journal Le Génie Civil concernant l’inauguration d (...)
  • 83 Archives d’Odile Le Brethon Richard.
  • 84 Ibid. Assemblée générale ordinaire 30 juillet 1901.

125D’une quinzaine de ferblantiers employés dans la cellule embryonnaire de la rue Rodier, l’effectif parisien avait augmenté avec les acquisitions des années 1880 et les mouvements de personnel entre les ateliers de la rue Claude Vellefaux, du boulevard de Vaugirard et de l’impasse du Maine, de sorte que toutes catégories confondues, il atteignait 588 personnes en 189682. La même année, en novembre, à propos de l’effectif de l’ensemble des établissements en France et à l’étranger, Gabriel Chamon signalait, à l’un de ses gendres, que la CdC venait d’embaucher son 2000e ouvrier83. À l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en 1900, l’entreprise annonçait un effectif de 1 500 ouvriers à Paris et de 700 à l’usine de Marquise84.

  • 85 Archives CdC à Montrouge.
  • 86 Ibid. Conseil d’administration 29 juin 1909.

126Dans un tel contexte, la qualification de compagnons ferblantiers avait fait place à celle d’ouvriers spécialisés dans divers corps de métiers, encore empreints, d’une référence au compagnonnage. Celui-ci est remarqué à travers les panoplies identificatrices de chaque spécialité : le modelage et la menuiserie, l’outillage, l’électricité, la ferblanterie, la réalisation des compteurs85. Les différentes catégories dépendaient d’une hiérarchie ressortant des normes de l’industrie de l’époque reposant sur le paternalisme ambiant. L’illustration en est fournie par l’hommage hiérarchique rendu, respectivement, à M. Millet, ingénieur, et à M. Mourot, contremaître ferblantier86.

L’illustration du paternalisme à la CdC

127La fête de famille, organisée après le succès obtenu à l’Exposition universelle de Paris en 1900, qui avait réuni les contremaîtres, les ingénieurs, les employés et directeurs des seize succursales de la CdC, porte effectivement la marque du paternalisme qui existait dans les divers sites de l’entreprise. Elle est traduite en conseil d’administration par une déclaration solennelle :

  • 87 Ibid. Assemblée générale ordinaire 30 juillet 1901.

« Outre la distinction honorifique accordée à un des membres de notre comité de direction, deux Grands Prix, une médaille d’or ont été accordées à la Compagnie ainsi que treize récompenses, dont un Grand Prix, ont été accordées à nos collaborateurs87. »

128Cette ambiance est encore confirmée par le banquet offert, le 4 septembre 1900, par les directeurs des établissements de la CdC à Gabriel Chamon, à l’occasion de sa nomination de chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur.

  • 88 Ibid. Archives de la Police à Paris, rubrique grèves et manifestations ouvrières, carton no 181.

129Les sources ne contredisent pas cette harmonie célébrée : les grèves d’ouvriers ferblantiers parisiens et provinciaux de 1880 et 1882 revendiquant de meilleurs salaires ne sont pas évoquées pas plus que les mouvements sociaux du secteur gazier, notamment dans la Société Parisienne du Chauffage par le Gaz, et encore moins les démêlés entre Gabriel Chamon et Francis Rouland, dans le cadre de la société ECFM et les relations difficiles avec la presse à compter de 189988.

  • 89 Article de Robert Louzon no 6 du 20 décembre 1909 de la Vie Ouvrière, Le trust du matériel des usi (...)

130Néanmoins, en 1907, un leader de la presse syndicaliste mettait en cause les stratégies de la CdC « qui visaient ostensiblement à constituer un trust du matériel des usines à gaz, jugé dommageable pour le personnel et les consommateurs89 ».

  • 90 Ibid. Conseil d’administration 26 février 1907. Le droit de grève avait été accordé aux ouvriers en (...)

131Ce climat quelque peu troublé décida la CdC, cette même année 1907, à adhérer à un groupement d’industriels pour s’assurer contre les risques de grève pour les deux usines de Paris et de Marquise90. Ce groupement industriel paraît ressortir d’une phase du développement du syndicalisme patronal qui aboutit à la création de groupements, tels l’Union de l’électricité en 1907, qui avait été précédé du Comité des Houillères du Nord-et-du-Pas-de-Calais (constitué en 1884 par 26 compagnies), de la reconstitution du Comité des Forges, la même année, et de la création des Fédérations des cuirs et peaux en 1885, de l’Union des industries textiles en 1901 et, en 1909, de l’Union de l’industrie chimique.

132Ces organismes d’employeurs s’attachaient à mettre essentiellement sur pied des assurances mutuelles contre la grève afin d’assurer une indemnité réparatrice à l’employeur touché par une grève, considérée comme injuste.

  • 91 Extrait du Syndicalisme patronal en France (1890-1986). École Nationale Supérieure (sciences socia (...)

133L’organisation la plus représentative du mouvement patronal, l’Union des industries métallurgiques et minières (UIMM) avait été créée en 1901 par le Comité des Forges, en réaction aux décrets Millerand (1899-1900), qui réglementaient les horaires de travail. L’UIMM rassembla alors dix grands syndicats et se spécialisa dans le traitement des problèmes sociaux91.

134En revanche, réminiscence de ses années d’apprenti ferblantier et de contremaître, Gabriel Chamon avait engagé la CdC à prendre des mesures en faveur du personnel, qui avait largement contribué à la prospérité de l’entreprise. L’exemple en est fourni lors de l’adoption de la loi sur les accidents du travail du 9 avril 1898 : les primes d’assurances des compagnies spécialisées, estimées trop élevées, conduisirent à créer un fonds spécial pour l’auto-assurance du personnel contre les risques propres à l’entreprise.

  • 92 Ibid. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1899. Il s’agissait de l’assistance obligatoire aux v (...)
  • 93 Id. 26 septembre 1906 et 30 juillet 1907.
  • 94 Id. Conseil d’administration 29 septembre 1911 et Nouschi M., Temps forts du XXe siècle, Paris, PUF (...)

135Cette auto-assurance devait fonctionner sur le mode de l’organisation mise en place pour venir en aide aux ouvriers malades ou infirmes dans l’esprit de la loi du 14 juillet 190592. À partir de cette année, le subventionnement annuel d’une caisse de secours fut adopté à la CdC à raison de 30 000 F, somme portée ensuite à 50 000 F93. La loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes fit aussi l’objet d’une promotion au sein de l’entreprise afin de faciliter les formalités pour les ouvriers désireux de s’y inscrire94.

136En matière de secours au personnel, Gabriel Chamon avait créé en 1906 la Mutuelle des compteurs, qui fut complétée en 1912 par une œuvre de secours mutuels pour l’ensemble du personnel, appelée La Prévoyance.

  • 95 Archives CdC à Montrouge.

137L’action de Gabriel Chamon en faveur des sociétés de secours mutuels, soit à titre personnel, soit au sein des sociétés dans lesquelles la CdC avait des intérêts, lui valut la remise, par le ministre du Travail, de la médaille d’argent de la Mutualité en 1912 et de la médaille d’or en 1919. C’est, cependant la remise solennelle de la médaille du Travail, pour 50 années d’activité (1862-1912), et le dîner somptueux qu’il offrit au personnel à l’Élysée palace hôtel, le 29 mai 1912, pour marquer ce jubilé, qui lui conférèrent, outre la stature d’un chef d’entreprise acquise par la force de son travail, la renommée d’un patron social95.

138Souvenir encore de ses années d’apprentissage et souci d’assurer à l’entreprise une main-d’œuvre fidèle, Gabriel Chamon s’attacha, dès 1910, à compléter la formation sur le tas des apprentis et des ouvriers par des cours théoriques dispensés à l’usine de la rue de Vaugirard. Validés, dès 1911, par un examen national, le Certificat de capacité professionnelle (CCP), ancêtre du Certificat d’aptitude professionnel (CAP), ils recueillaient l’adhésion du personnel par les perspectives de promotion interne que l’examen offrait.

139Dans ce contexte de culture d’entreprise empreinte de paternalisme, Gabriel Chamon faisait figure de personnage mythique.

Le fondateur, personnage mythique

140L’image de Gabriel Chamon, perçue à l’époque, a été fournie par des notes écrites par Eugène Pigeon, conservées par l’un de ses collaborateurs et découvertes dans les archives de la CdC.

  • 96 Archives CdC à Montrouge.

141Embauché à 15 ans le 31 décembre 1885 par Gabriel Chamon, Eugène Pigeon était affecté à divers services à son retour du régiment puis devenait chef de service à la fonderie de Marquise. Revenu à Paris, il était promu, successivement chef du service achats, puis chef du personnel et attaché à la direction. Sa participation aux sociétés de secours mutuels créées par Gabriel Chamon lui valut le grade de chevalier du Mérite social. En 1929, il était président du Groupe amical des Trentenaires créé en 1926 par Gabriel Chamon. Il comptait 65 ans de services à son départ de la CdC96.

142Eugène Pigeon décrit Gabriel Chamon comme un homme de stature moyenne, aimable, d’une honnêteté irréprochable, très économe, d’une justice égale pour tous, se plaisant à dire que, pour commander, il fallait avoir une main ferme sous un gant de velours. Surnommé le Juste dans l’entreprise, sa devise étant de « toujours se mettre à la place du bonhomme que l’on a à juger ». Drapé dans sa cape, Gabriel Chamon se rendait chaque jour dans les ateliers pour voir ses ouvriers.

143Les dossiers concernant l’accession aux grades la la Légion d’Honneur révèlent d’autres facettes de la personnalité de Gabriel Chamon :

  • 97 Émile Louis Mercet, de la Maison Périer frères & Cie banquiers, était administrateur de la CdC dep (...)

144Dans les documents de son introduction au grade de chevalier, en date du 19 octobre 190097, Gabriel Chamon déclare, dans le résumé de ses services, avoir débuté dans l’industrie comme chef d’atelier d’une fabrique de compteurs à gaz dont le personnel était exclusivement recruté en Angleterre. Il précisait avoir fondé en 1872, la société M. Nicolas, G. Chamon & Cie, transformée en 1879 en société anonyme, dénommée la Compagnie pour la fabrication des compteurs et matériels d’usines à gaz, une fabrique française de compteurs et matériels d’usines à gaz dont le personnel était exclusivement français. Gabriel Chamon mentionne aussi que, par les soins de la Compagnie pour la fabrication des compteurs et matériel d’usines à gaz et sous sa direction, cette main-d’œuvre est devenue exclusivement française, contrairement aux sociétés d’origine anglaise établies en France, qui employaient uniquement des ouvriers anglais.

  • 98 Archives nationales à Paris (CARAN) cote LO 478028, dossier de la Légion d’Honneur de Gabriel Cham (...)

145Dans le procès-verbal de réception du dossier visant à la promotion au grande d’officier, en date du 28 novembre 191298 introduit par Florent Guillemin, inspecteur des Ponts & Chaussées en retraite, ancien ministre, commandeur de la Légion d’honneur, on observe que Gabriel Chamon se déclare ingénieur et administrateur de la CdC.

  • 99 Ibid. Archives d’Odile Richard-Le Brethon.

146Dès la fin du XIXe, outre le souci affiché d’apparaître sous les traits d’un chef d’entreprise, Gabriel Chamon se préoccupa d’adopter le « standard of living » de la bourgeoise de l’époque. Le 10 décembre 1895, il achetait une propriété, appelée le château d’Etry, à Annet-sur-Marne (Seine-et-Marne)99.

  • 100 Id.

147De style Louis XIV, la propriété comportait une cour d’honneur fleurie avec des orangers centenaires et un parc clôturé de 17 hectares avec deux grandes pièces d’eau attenantes à une ferme. Dans les dépendances, Gabriel Chamon fit bâtir des écuries pour six chevaux. Les déplacements entre Etry et la gare de Lagny étaient effectués en omnibus attelé de deux juments postières. Un coupé et une victoria assuraient les communications régulières avec le chemin de fer de l’Est, avec un départ pour Paris à 7 h 30 et le retour à 19 heures100.

148Pour se conformer aux mœurs bourgeoises de l’époque, Gabriel s’intéressa à la commune d’Annet-sur-Marne. Il en devint conseiller municipal, puis maire entre 1908 et 1919, et participa activement à l’administration communale. Il refusa sa réélection mais fit œuvre de mécène en offrant le Monument aux morts (érigé en 1919) et en participant à une souscription communale. En 1929, il allouait une rente de 300 F à la commune.

  • 101 Mairie d’Annet-sur-Marne (77410). Documents fournis après délibération du conseil municipal du 28 (...)

149Un contact avec la Mairie d’Annet, a porté à notre connaissance que le déplacement et la restauration en 2004 du Monument aux morts avait amené le conseil municipal à rendre hommage à son ancien maire. Le nom de Gabriel Chamon était donné à la rue riveraine de la place de l’Église101.

150L’acquisition en 1895 de la propriété d’Annet était intervenue alors que Gabriel Chamon était père de quatre enfants, trois filles nées respectivement en 1873, 1874, 1876 et un fils né en 1877, progéniture qu’il souhaitait à l’origine d’une dynastie familiale industrielle.

La dynastie endogamique familiale et industrielle

  • 102 Procès-verbal de réception de chevalier de la Légion d’Honneur, no 130972 du 26 août 1926.

151Le premier maillon de la dynastie industrielle familiale ne pouvait être que l’unique fils de Gabriel Chamon, Ernest né en 1877. Licencié en droit, diplômé de l’École des hautes études commerciales, il avait rejoint, en 1898, le 132e régiment d’Infanterie à Reims où il effectua son service actif de trois ans102. De retour à la vie civile en 1901, à 24 ans, après une expérience exigée par son père dans le secteur bancaire, Ernest Chamon entrait à la CdC en 1903, alors que Gabriel Chamon célébrait son cinquante-huitième anniversaire.

  • 103 Archives CdC à Montrouge.

152Eugène Pigeon, toujours fidèle admirateur de la famille dressait ainsi le portrait d’Ernest Chamon : « Assez grand, élégant, très soigné, le visage un peu sévère, estimé d’une intelligence supérieure, il apportait dans ses jugements une sagacité qui frappait son interlocuteur103. »

153Ernest Chamon seconda son père dans ses différentes fonctions et intégra le conseil d’administration en devenant secrétaire général en 1912. Demeurées sans descendance, ses trois sœurs contribuèrent à la constitution de la dynastie familiale par l’intermédiaire de leur mari respectif.

154Alice Chamon rencontra George Heeley, de six ans son aîné, dans le cercle familial où il avait été introduit à la suite de la promesse faite par Gabriel Chamon à George Heeley père, lors de l’acquisition de la société néerlandaise de ce dernier. De leur union, célébrée en 1892, naquit Pierre Heeley en 1898.

  • 104 Ibid. Déclaration de modification d’immatriculation au tribunal de commerce du novembre 1920 mentio (...)

155Marguerite, la fille cadette de Gabriel Chamon épousa Paul Le Brethon en 1895, introduit dans la famille Chamon par Étienne Siry, de la Société Siry, Lizars. Il entra dans la dynastie industrielle par le biais d’une nomination en qualité d’administrateur de la Compagnie de construction électrique (CCE) à Issy-les Moulineaux créée en 1900104.

156Pauline Chamon, la benjamine épousa Étienne Boyer, union dont naquit un fils Marcel Boyer en 1901.

157À l’aube des années 1910, le fondateur de la CdC avait réussi à implanter et à structurer solidement sa société dans la filière du comptage grâce à ses stratégies de rapprochement avec des propriétaires de maisons de comptage, proches de la retraite. Reconnu par ceux-ci, devenus ses pairs en la filière, rassuré par sa dynastie familiale naissante, honoré par ses employés lors de son jubilé, Gabriel Chamon était à la tête d’une entreprise prospère. Apparemment peu touchée par les aléas sociaux de l’époque, la CdC se préparait à persévérer dans la voie de l’expansion.

Notes

1 Archives d’Odile Le Brethon Richard.

2 L’état-civil des deux intéressés porte à confusion : Gabriel, Maurice, Arthur Nicolas est prénommé Gabriel. Émile, Gabriel, Saint-Hubert Chamon, est prénommé Gabriel, d’où une certaine confusion dans l’utilisation des prénoms dans les raisons sociales successives : M. Nicolas (correspondant à Maurice) G. pour Gabriel Chamon.

3 Aucune information n’est fournie sur les capacités de garanties des parents des deux associés.

4 Archives départementales de Paris, cote D 31 U3/312. Ces deux sommes correspondent au prix de cession de 100 000 F convenu entre les époux Barthélémy et G. Nicolas et G. Chamon.

5 Et non au 45 suite à une renumérotation de la rue Rodier.

6 Mme Barthélémy continua à s’intéresser à l’affaire après le décès de son mari en 1877 (preuve fournie par sa participation de 480 actions lors de l’augmentation du capital du 15 mars 1881).

7 Archives départementales de Paris, boulevard Sérurier, révision du cadastre cote D1P4/970.

8 Archives familiales d’Odile Richard-Le Brethon.

9 Procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire du 28 avril 1879.

10 Annuaire des Anciens élèves de l’École centrale des Arts et Manufactures de Paris.

11 Archives départementales de Paris, acte SSP en date du 18 mars 1879 cote D 31 U3/421 et statuts déposés le 25 février 1879.

12 Procès-verbal du conseil de gérance du 15 novembre 1879.

13 Id. 15 mars 1880.

14 Id. 24 avril 1880.

15 Archives départementales de Paris, Annuaire du commerce de la place de Paris, rubrique Compteurs 1869, 1871.

16 Procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire 15 mars 1880.

17 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 15 mars 1880.

18 Ibid. Conseil d’administration 23 septembre 1880.

19 Archives départementales de Paris, cote D31 U3/475-D32 U3/61, acte notarié du 12 mars 1881. Parmi les souscripteurs, on remarque plusieurs propriétaires ou exploitants d’usines à gaz.

20 Archives départementales des Hauts-de-Seine, cote 19274, acte notarié du 1er avril 1881.

21 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 15 mars 1881.

22 Archives départementales de Paris, Acte notarié du 29 mars 1881, cote D31 U3/478 et Archives départementales des Hauts-de-Seine, cote 64270, acte notarié du 13 août 1881.

23 Pelpel J., (ESE 1929) in Culture Technique no 17, mars 1987p. 20 à 23 Archives du Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris.

24 Ibid. Assemblée générale extraordinaire du 15 mars 1881 et Archives départementales de Paris, cote D31U3/478, acte notarié du 29 mars 1881.

25 Id.

26 Ibid. Conseil d’administration 13 octobre 1882.

27 Id.

28 Id. 8 décembre 1882.

29 Id. 23 avril 1884.

30 Id. 15 janvier 1883.

31 Ibid. Conseil d’administration 1er mars 1884.

32 Id. 1er mars, 23 avril et 23 mai 1884.

33 Entretien avec Bernard Heeley à Paris le 2 septembre 2008 (son grand-père, George Heeley, était de père néerlandais et de mère anglaise).

34 Ibid. Conseil d’administration 15 mars 1881 et archives d’Odile Richard-Le Brethon.

35 Id. Conseils d’administration 15 et 31 mars 1881 et Historique de la CdC Montrouge 1997.

36 Archives d’Odile Richard-Le Brethon.

37 Archives Amicale Schlumberger à Montrouge. Bulletin CdC, no 54.

38 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 13 août 1881.

39 Archives départementales de Paris, acte notarié du 12 août 1881, cote D31 U3/492 et du 27 août 1881, cote 20494.

40 Ibid. Conseil d’administration 22 mai 1882.

41 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 16 avril 1883.

42 Archives départementales de Lyon, cote 20678, acte notarié du 23 août 1881.

43 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 13 août 1881.

44 Ibid. Conseil d’administration 25 mars 1890.

45 Id.

46 Id.

47 Archives départementales de Paris, cote D31 U3/492, acte notarié du 12 août 1881.

48 Id.

49 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 13 août 1881.

50 Ibid. Conseil d’administration 25 mars 1890.

51 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 27 août 1881.

52 Caron F., op. cit. p. 28-29.

53 Archives CdC Montrouge, photocopie d’une note interne concernant les compteurs d’eau.

54 Archives départementales de Paris, cote D31 U3/581-D32U3/66, acte du 9 novembre 1885.

55 Ibid. Cote 31 U3 621/383, acte notarié du 16 mai 1888 et procès-verbal des assemblées générales extraordinaires des 20 avril 1888 et 9 mai 1888.

56 Archives CdC Montrouge. Le compteur Frager reçut l’agrément de la ville de Paris en 1878.

57 Ibid. Rapport des commissaires du 2 mai 1888 chargés de la vérification de l’achat de la Maison Michel & Cie et de l’apport des parts de fondateurs.

58 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 9 mai 1888.

59 Déclaration à l’assemblée générale ordinaire du 30 juillet 1889.

60 Ibid. Assemblée générale ordinaire 18 juillet 1890.

61 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 9 mai 1888.

62 Traité particulier avec les frères Michel et Alphonse Frager du 2 mai 1888.

63 Ibid. Conseil d’administration 1er mars 1898 et note interne CdC de juin 1902.

64 Archives CdC. Note dactylographiée d’Arthur Blanchet daté de janvier 1944.

65 Ce salaire mensuel de 150 F, soit 1 800 F pour un an, d’un jeune ingénieur EPCI, rapproché du traitement annuel de 50 000 F des frères Michel et d’Alphonse Frager (alors au sommet de sa carrière) est révélateur des échelles hiérarchiques en vigueur à l’époque.

66 Archives CdC Montrouge. Note de juin 1966, intitulée Souvenirs de Vaugirard 1914-1918.

67 Caron F. et Cardot F., op. cit., tome 1, p. 676.

68 Ibid. Conseil d’administration 26 juin 1894, assemblée générale extraordinaire 8 février 1895 et l’assemblée générale ordinaire 29 juillet 1895.

69 Id. 30 juin 1896.

70 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 8 février 1895.

71 Ibid. Conseil d’administration 16 avril 1907.

72 Ibid. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1895.

73 Id. 30 juillet 1896.

74 Id. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1898.

75 Id. Conseil d’administration 26 février 1900, assemblées générales ordinaires 27 juillet 1900 et 30 juillet 1901 et bulletin d’informations des cadres et de la maîtrise, n ° 3, juin 1954.

76 Id. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1904.

77 Id. Conseils d’administration 25 février, 26 mai 1908, 30 juillet 1912.

78 Barjot D., Morsel H., Cœuré S., Stratégies, Gestion Management, les Compagnies Électriques et leurs patrons 1895-1945, p. 425.

79 Barjot D., Morsel, Cœuré S., op. cit., p. 425.

80 Ibid. Assemblée générale ordinaire 29 septembre 1909.

81 Ibid. Assemblée générale extraordinaire 29 juillet 1899.

82 Archives CdC à Montrouge. Document édité par le journal Le Génie Civil concernant l’inauguration du 20 juin 1896.

83 Archives d’Odile Le Brethon Richard.

84 Ibid. Assemblée générale ordinaire 30 juillet 1901.

85 Archives CdC à Montrouge.

86 Ibid. Conseil d’administration 29 juin 1909.

87 Ibid. Assemblée générale ordinaire 30 juillet 1901.

88 Ibid. Archives de la Police à Paris, rubrique grèves et manifestations ouvrières, carton no 181.

89 Article de Robert Louzon no 6 du 20 décembre 1909 de la Vie Ouvrière, Le trust du matériel des usines à gaz.

90 Ibid. Conseil d’administration 26 février 1907. Le droit de grève avait été accordé aux ouvriers en 1864 par Napoléon III et les syndicats professionnels réglementés.

91 Extrait du Syndicalisme patronal en France (1890-1986). École Nationale Supérieure (sciences sociales).

92 Ibid. Assemblée générale ordinaire 29 juillet 1899. Il s’agissait de l’assistance obligatoire aux vieillards démunis de ressources âgés de plus de 70 ans.

93 Id. 26 septembre 1906 et 30 juillet 1907.

94 Id. Conseil d’administration 29 septembre 1911 et Nouschi M., Temps forts du XXe siècle, Paris, PUF, 1994, p. 24. La loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, théoriquement obligatoire, ne concernait que 2,5 millions d’ouvriers à la veille de la Grande Guerre,

95 Archives CdC à Montrouge.

96 Archives CdC à Montrouge.

97 Émile Louis Mercet, de la Maison Périer frères & Cie banquiers, était administrateur de la CdC depuis 1888.

98 Archives nationales à Paris (CARAN) cote LO 478028, dossier de la Légion d’Honneur de Gabriel Chamon

99 Ibid. Archives d’Odile Richard-Le Brethon.

100 Id.

101 Mairie d’Annet-sur-Marne (77410). Documents fournis après délibération du conseil municipal du 28 octobre 2005.

102 Procès-verbal de réception de chevalier de la Légion d’Honneur, no 130972 du 26 août 1926.

103 Archives CdC à Montrouge.

104 Ibid. Déclaration de modification d’immatriculation au tribunal de commerce du novembre 1920 mentionnant le 13 juillet 1900 comme date de création de la Cie de Construction Électrique.

Table des illustrations

Titre Tableau III – Organisation de la société G. Nicolas, G. Chamon, A. Foiret & Cie en 1879
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Titre Fig. 1 – Siège social rue Claude Vellefaux
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Titre Fig. 2 – L’usine rue Claude Vellefaux
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Titre Tableau V – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Dejaifve & Mignot
Légende (*) Estimation réalisée par la CdC sur la base d’une moyenne des bénéfices réalisés pour l’opération de fusion.
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Titre Tableau VI – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Williams
Légende (*) Estimation d’après un graphique des chiffres d’affaires et des bénéfices de 1879 à 1925.
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Titre Tableau VII – Chiffre d’affaires/bénéfices CdC/Siry, Lizars
Légende (*) Estimation d’après un graphique des chiffres d’affaires et des bénéfices de 1879 à 1925.
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Titre Fig. 3 – L’établissement de Vaugirard
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Titre Fig. 4 – Les ateliers de Vaugirard
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Titre Fig. 5 – Un atelier de Vaugirard
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Titre Fig. 6 – Centre d’apprentissage de Vaugirard (1920)
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Titre Tableau IX – Organisation de la CdC en 1888, regroupement avec la Maison Michel, Bld de Vaugirard
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Titre Fig. 7 – Le site de Marquise
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Titre Fig. 8 – La Fonderie de Marquise
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Titre Tableau X – Organisation de la CdC en 1900
Légende (*) Établissements au 29-33, rue Claude Vellefaux et Bld Vaugirard.
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Titre Tableau XI – Organisation de la CdC en 1910
Légende (*) Établissements au 29-33, rue Claude Vellefaux et Bld Vaugirard.
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