1Au début de l’année 1975, de manière un peu subite, comme la plupart des publications de presse, Le Peuple breton évoquait longuement les problèmes économiques de l’énergie1. Le Gouvernement venait de lancer un débat sur l’implantation des réacteurs d’un énorme programme nucléaire qui promettait « deux cents centrales en l’an 2000 ». Fidèle à l’orthodoxie de gauche qui avait été au principe de sa fondation2, l’UDB développait les thèmes des partis politiques de gauche (PCF et PS) : précipitation des pouvoirs publics, sous-information à propos de l’atome civil, abandon de la filière française du nucléaire, soumission à un trust américain (Westinghouse), option du « tout-nucléaire », etc.

2Cette série d’articles était aussi destinée à construire la position de l’UDB sur les questions énergétiques qui apparaissaient comme devant devenir cruciales dans les années à venir. Mais, comme les autres organisations politiques de gauche, l’UDB a été déstabilisée par ces questions énergétiques qui mettaient aussi au premier plan les nouvelles thématiques de l’écologie politique (« croissance zéro3 »). D’emblée, en février 1975, l’UDB, à la façon donc du PCF et du PS, soulignait qu’elle ne rejetait pas le principe de l’énergie nucléaire : « Il ne saurait être question de remettre en cause la recherche scientifique atomique ni les applications industrielles ou médicales des radio-éléments […] L’utilisation de l’énergie nucléaire appelle une position plus nuancée4. »

3Dans les années 1960, un prototype de réacteur à eau lourde baptisé « EL4 » avait été implanté à Brennilis en Haute-Cornouaille5. L’UDB ne s’est jamais étendue longuement sur cette « pile » (c’était le terme utilisé alors), sauf pour en signaler les pannes récurrentes6. Selon le parti, cette pile atomique symbolisait l’échec du pouvoir gaullien à développer une filière nucléaire autonome des technologies américaines. La question de la dangerosité du nucléaire n’était pas soulignée par l’UDB. En effet, de façon générale, le débat sur l’atome civil ne sera véritablement lancé qu’à l’orée des années 1970. Selon l’UDB, le vrai enjeu énergétique pour la Bretagne était celui des deux centrales thermiques situées en Loire-Atlantique, celle de Cordemais et celle de Nantes-Cheviré.

L’UDB à la lisière du mouvement antinucléaire

4En 1975 cependant, l’UDB intègre dans son argumentaire l’idée que le nucléaire posait des problèmes de sécurité. Selon le parti, la question des déchets nucléaires n’était pas résolue, mais l’espoir était mis dans la fusion nucléaire qui permettrait bientôt de disposer d’énergie sans limite. Bref, l’UDB soulignait : « L’humanité peut trouver là des ressources pour une ère nouvelle7. » L’UDB prenait donc d’emblée ses distances avec le mouvement antinucléaire breton qui émergeait à Erdeven (dans le Morbihan, entre Lorient et Quiberon). Son problème vital restait celui de l’industrialisation de la Bretagne, créatrice de nombreux emplois permettant de « vivre au pays ». C’est pourquoi l’UDB dénonçait par avance des mobilisations antinucléaires trop empressées qui pouvaient être un « piège politique » du pouvoir fait aux Bretons : « Un refus massif et sans nuance provoqué par des campagnes confusionnistes fournirait un merveilleux alibi au pouvoir pour la non-industrialisation8. » Au final, l’UDB prenait le temps de détailler une prise de position subtile qui se déclinait en quatre temps :

• « l’UDB n’est pas hostile à l’énergie nucléaire » : c’est encore la « préhistoire de l’atome9 ». (On peut avoir confiance dans le progrès technique pour améliorer la technologie nucléaire.) De plus, les rejets d’eau chaude peuvent être réutilisés ;
• « l’UDB ne méconnaît pas certains dangers. » (Déchets, risque d’accident, militarisation du nucléaire civil.) ;
• l’UDB « pose le vrai problème », celui de l’industrialisation de la Bretagne ;
• l’UDB condamne le programme nucléaire français et « appelle les travailleurs bretons à lutter pour une véritable industrialisation de la Bretagne ».

5Hormis la dimension régionale, cette prise de position était très proche de celle du PCF. De leur côté, les primo-écologistes avaient exprimé un refus de principe à propos du nucléaire. L’UDB ne rejetait pas ce principe de la technologie nucléaire, mais refusait le projet de centrale en Bretagne. Cette position de l’UDB n’était pas très lisible et prêtait le flanc à la critique. La position de l’UDB semblait assez ambiguë. À l’opposé, les primo-militants de l’écologie politique avaient exprimé une position claire et forte. Selon eux, la technologie nucléaire était inacceptable en soi. Par la dimension spécifique de ses risques, l’énergie nucléaire pouvait secréter, selon eux, un type de société autoritaire baptisé « électrofascisme » (la démesure du risque suscitant le renforcement de l’appareil policier). Au-delà du thème de l’atome civil, les écologistes politiques dénonçaient l’idéologie de la « croissance économique » qui conduisait au gaspillage des ressources naturelles dans le but de satisfaire la cupidité des trusts.

6Dans une première période du mouvement antinucléaire en Basse-Bretagne, qui court de janvier 1975 à l’automne 1978, l’UDB n’allait pas s’engager très fortement dans les mobilisations. Les premières luttes antinucléaires bretonnes partent du Morbihan, où les pouvoirs publics avaient d’abord jeté leur dévolu. Un comité régional d’information sur le Nucléaire (CRIN) est alors mis en place à Erdeven. Le dépouillement du Peuple breton a fait apparaître la quasi-absence d’articles à propos de l’émergence de cette mobilisation. Par exemple, la chronique « Le problème breton de Nantes à Brest », qui traitait des mobilisations en cours aux quatre coins de la région, ne mentionne à aucun moment la mobilisation d’Erdeven. À l’opposé, les quotidiens régionaux (Ouest-France, Le Télégramme de Brest et de l’Ouest, et La Liberté du Morbihan) évoquaient largement la controverse nucléaire. L’UDB était en fait assez gênée par la mobilisation d’Erdeven, qui avait émergé sur un territoire acquis à la droite et qui associait des opposants de manière transfrontalière (ou « apolitique » dans le langage des opposants à l’atome civil). Ce flou politique de la mobilisation antinucléaire pouvait être potentiellement dangereux pour l’UDB, qui tenait absolument à sa ligne idéologique de gauche. L’UDB regrettait par exemple que les demandes des ouvriers de l’entreprise Garnier à Redon, en conflit avec leur patron, n’aient pas été mieux accueillies par le CRIN d’Erdeven10. Pour Ronan Leprohon, leader de l’UDB, « l’apolitisme » revendiqué par le CRIN dans le but d’élargir au maximum la mobilisation antinucléaire était une « confusion » dans le sens où elle associait des acteurs de gauche et des acteurs de droite11.

7En 1976, la mobilisation antinucléaire d’Erdeven a finalement abouti. Le site de Porsmoguer (dans le nord Finistère) semble devenir prioritaire, suscitant une nouvelle mobilisation dans le Léon. Mais l’UDB continuait de souligner les ambiguïtés de cette mobilisation antinucléaire, dans laquelle des notables de droite intervenaient directement auprès des pouvoirs publics pour faire remiser le projet. Dans le Morbihan, le député Christian Bonnet avait joué de son influence, en soulignant la forte dimension touristique de sa circonscription. Dans le bas-Léon, le député Gabriel de Poulpiquet avait carrément rencontré la direction d’EDF, pour souligner que les jeunes paysans récemment installés dans sa circonscription n’accepteraient pas le projet de centrale12. Pour l’UDB, la mobilisation n’était « pas niable13 », mais elle était entachée par la participation indirecte de notables locaux.

La confrontation idéologique avec les écologistes

8L’importance de la mobilisation antinucléaire n’est véritablement visible dans Le Peuple breton qu’à partir de novembre 197614, au moment où la mobilisation de Porsmoguer se développe, soit près de deux années après les premières polémiques locales, ce qui est assez tardif. De plus, cet intérêt pour la mobilisation antinucléaire de Porsmoguer pouvait être relié au fait que l’ancrage de l’UDB était important dans le Léon et dans la région de Brest.

9Dans ce numéro de novembre 1976, l’UDB répondait aux attaques auxquelles ses militants avaient dû faire face sur les aires de mobilisation antinucléaires. Certains militants du PSU avaient considéré que l’UDB était alignée sur les mêmes positions que celles de la CGT et du PCF. Ils estimaient que l’UDB n’appartenait donc pas aux forces d’opposition militante aux implantations de centrales nucléaires. Pour répondre à ces attaques, l’UDB se justifiait en soulignant que ses militants avaient participé aux manifestations du Pellerin sur l’aire de mobilisation antinucléaire de la Basse-Loire, et qu’ils s’étaient engagés sur l’aire de mobilisation de Porsmoguer. Mais ce positionnement décalé de l’UDB, peu compris par les opposants au projet de centrale nucléaire, n’était pas uniquement lié aux positions nuancées de l’UDB à propos de l’atome civil. Il était aussi l’expression d’une gêne que les militants de l’UDB éprouvaient à l’égard des nouvelles idées de l’écologie politique. Le tableau suivant permet de jeter un regard synthétique sur les oppositions idéologiques entre l’UDB et les premiers écologistes politiques.

Tableau 1 – Tableau synthétique de la confrontation idéologique entre l’UDB et les primo-écologistes.

10La frilosité de l’UDB à propos du mouvement antinucléaire a été mal perçue par les parties prenantes. « Nous ne faisons pas à l’UDB de fixation sur le nucléaire, d’aucuns nous le reprochent d’ailleurs », soulignait Le Peuple breton en février 198115. Cette frilosité des instances de l’UDB a suscité parfois des malentendus, certains opposants au projet de centrale comprenant que l’UDB aurait pu finalement accepter le projet. En 1976, mis en demeure de se justifier, un militant de l’UDB adressait cette lettre un peu confuse à un correspondant :

« Cher ami,
Je t’envoie le texte de l’intervention que j’avais faite à Ploumoguer16 au nom de l’UDB prenant position contre les centrales nucléaires. Je tiens à ce que vous le sachiez “noir sur blanc”, car alors que je tenais le stand SEPNB, j’ai surpris les jeunes qui tenaient votre stand affirmer que les partis politiques de gauche, PC, PS, et UDB, refusaient de prendre position contre et que c’est moi-même qui l’ai proclamé à Ploumoguer. J’espère que l’on aura l’occasion de se rencontrer plus longuement. Avec toutes mes amitiés17. »

11Appartenant à un courant plus radical du mouvement breton18 la revue Combat breton attaquait l’UDB : « L’UDB, coupée de la réalité bretonne, au lieu de prendre en charge ce refus, s’est contentée d’épouser les positions défendues par le Parti communiste français et la C.G.T.19 »

12Certains militants de l’UDB aussi comprenaient mal la frilosité de leur parti dans la controverse nucléaire, en particulier ceux qui vivaient sur l’aire de mobilisation de Plogoff20. À titre personnel, certains militants de l’UDB s’étaient d’ailleurs engagés dans les CLIN. En janvier 1981, l’UDB a finalement reconnu elle-même la distance qu’elle avait à l’égard du mouvement antinucléaire, par l’intermédiaire d’un article de Laurent Le Page, responsable de la fédération de Cornouaille de l’UDB. Dans les pages du Peuple breton, le responsable reconnaissait les ambiguïtés de son parti sur la question de l’atome civil. Il soulignait aussi la discrétion des militants de l’UDB sur les aires de mobilisation antinucléaire : « En ce qui concerne les militants de l’UDB, leur appui pour être discret et non récupérateur, n’en est pas moins réel, total et efficace21. » Cet article ne le mentionne pas, mais, au cours du développement de la mobilisation de Plogoff, une tension a existé entre certains militants de base, qui s’étaient directement engagés dans la lutte contre le projet de centrale, et les dirigeants de l’UDB, qui tenaient à exprimer une position nuancée sur la question de l’atome civil.

Le tournant de 1978

13En 1978, l’UDB s’est cependant engagée de façon plus nette dans la controverse nucléaire. Lors des élections législatives de mars 1978, le parti présentait un « programme démocratique breton » qui soulignait « le rejet du programme “tout nucléaire” giscardien22 ». Sur la circonscription de Douarnenez, le candidat de l’UDB, Jean-Alain Le Goff, un enseignant, proclamait sur sa profession de foi le refus du projet nucléaire (dans un ensemble vaste de seize points et avec un argumentaire encore un peu flou) :

« Ces grosses implantations, comme celles de Plogoff, outre les graves menaces qu’elles laissent planer, sont économiquement inadaptées : la Bretagne exporte déjà de l’énergie vers Paris (le saviez-vous ?) ; alors, pourquoi des centrales nucléaires23 ? »

14Jean Moalic qui était un des leaders écologistes de la mobilisation de Plogoff, se présentait lui sous l’étiquette Écologie 78. À Mahalon, avec Ronan Bourdon, autre leader de la lutte, Jean Moalic a rencontré, à ce moment et à leur demande, Jean-Alain Le Goffet Jean-Michel Le Boulanger, alors jeune militant de l’UDB. Jean Moalic explique :

« Ronan Bourdon et moi avions exposé le point de vue des écologistes et l’illusion que représentait pour nous un programme d’industrialisation de la Bretagne dans un monde en train de changer après la crise du pétrole de 1973. L’échange fut très positif et il nous est apparu que les convictions des militants qui se trouvaient face à nous étaient passablement ébranlées. Nous avons senti, Ronan et moi, une réelle volonté d’avancer dans la réflexion sur le nucléaire, l’énergie et un autre modèle de développement de la part de nos interlocuteurs24. »

15Un autre exemple peut servir aussi à repérer le pont qui s’est progressivement construit entre l’UDB et les thèmes écologistes et antinucléaires. Militant de l’UDB, le scientifique Yves Rouger travaillait au laboratoire de biologie marine de Concarneau. Il faisait aussi partie de la direction de l’URBE (Union régionale bretonne de l’environnement), une coordination d’associations environnementalistes. Le laboratoire était dirigé par Yves Le Gal, qui a été un des grands leaders intellectuels de la mobilisation antinucléaire en Basse-Bretagne. Les liens entre UDB et opposition à la centrale se sont aussi tissés dans ces instances de recherche scientifique comme le laboratoire de Concarneau.

16À l’automne 1978, le conseil régional de Bretagne, puis le conseil général du Finistère, avaient définitivement retenu le site de Plogoff. Disposant d’un représentant au conseil régional (Ronan Leprohon), l’UDB s’est saisie de cette tribune institutionnelle pour dire son opposition au projet25. Pour les opposants, il s’agissait maintenant de faire bloc, et de mettre sous le boisseau certains désaccords26. L’automne 1978 a été une période de très forte mobilisation antinucléaire au cours de laquelle un front commun antinucléaire s’est constitué. Confirmant son décalage avec le mouvement antinucléaire, l’UDB organisait sa propre manifestation le dimanche 24 septembre 1978 à la pointe du Raz, qui n’a pas été sans connaître un certain succès. Le journaliste d’Ouest-France dénombrait six cents personnes27. Les organisateurs avaient demandé à Jean Moalic de tenir un stand de ventes de parts de GFA (qui venait d’être créé28). Jean Moalic se souvient d’avoir battu le record de ventes de parts de GFA en une seule journée (une centaine souscrites).

17Plus tard, l’UDB participa officiellement à la manifestation urbaine de Quimper, le 18 novembre 1978 (8 000 personnes). Mais en mai 1979, après l’accident dans la centrale nucléaire de Three Mile Island aux États-Unis, Le Peuple breton soulignait encore l’intérêt de l’atome civil comme source d’énergie transitoire. Une fois encore, le nucléaire n’était pas rejeté a priori : « Le nucléaire n’est en aucun cas un mal absolu, comme le disent certains29. » Dans cette valse-hésitation, l’UDB esquissait aussi à ce moment une position qui allait être partagée peu à peu par d’autres organisations : les investissements engagés dans le nucléaire depuis le début des années 1970 étant d’une telle ampleur, il n’était plus raisonnable de revenir en arrière et de renoncer à des équipements publics qui produisaient de l’énergie électrique en abondance. C’était la reconnaissance du fait accompli. (« Il faudra bien s’en accommoder30. »)

Hommage à « Plogoff »

18L’enquête d’utilité publique à Plogoff (31 janvier-14 mars 1980) a été un moment crucial pour le mouvement antinucléaire. Alors que la dynamique était retombée en France, la mobilisation bretonne surprenait par sa vivacité. Pourtant, cette enquête d’utilité a marqué aussi une grave rupture dans le front antinucléaire. En effet, la fédération sud-finistérienne du PCF a brutalement basculé à ce moment dans le camp des promoteurs de l’atome civil31, au grand déplaisir d’ailleurs de nombreux militants de l’UDB qui voyaient d’anciens camarades de mobilisation rejoindre l’autre camp.

19Sachant que la direction du parti et qu’une partie importante des militants de l’UDB possédaient une forte sensibilité communiste, il est permis de supposer que le parti breton aurait peut-être pu basculer également. Pourtant, cela n’a pas été le cas. L’UDB s’est exprimée fortement contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff durant l’enquête d’utilité publique.

20Cependant, le parti politique gardait encore une sorte de distance à l’égard d’un mouvement social hétérogène qu’elle avait du mal à cerner sur le plan politique. Cette distance se lit par exemple, lors de la Pentecôte antinucléaire de Plogoff, les 24 et 25 mai 1980, qui a été le plus grand rassemblement antinucléaire en Bretagne (100 000 personnes sur deux jours). Le Peuple breton y a vu « une fête sans âme32 ». Le rédacteur du Peuple breton s’interrogeait : « Devrons-nous étouffer les principales composantes de la réalité sociale bretonne pour nous faire accepter d’une hétéroclite communauté antinucléaire qui n’apparaît qu’aux beaux jours33 ? »

21Quel est l’élément décisif qui a empêché ce basculement de l’UDB ? La réponse à cette question tient sans doute dans la dimension de l’identité régionale propre à l’UDB. En effet, les opposants à la centrale avaient travaillé, avec succès, à faire de leur mobilisation une cause proprement « bretonne », surtout à partir de l’enquête d’utilité publique. Ils avaient réussi à activer la force latente de l’identité bretonne qui ne s’exprime le plus souvent que dans les périodes de crise socio-politique. Par une intense campagne de promotion antinucléaire, ils avaient imposé un discours qui faisait aussi des opposants à la centrale des défenseurs de la cause bretonne, celle-ci étant comprise de façon très large. De par sa propre logique politique, l’UDB se trouvait en quelque sorte soumise à la force d’attraction de ce discours. Il paraissait impensable qu’elle puisse prendre le risque d’apparaître, à la façon du PCF, comme un acteur souhaitant défendre avant tout l’intérêt national de la France.

22 Le Peuple breton consentait finalement à saluer la force de la mobilisation plogoffite : « Il faut le reconnaître : la lutte des Plogoffites est un des faits les plus marquants de l’année 1980 en Bretagne. Nous nous devons d’observer, et d’apprendre34. » L’UDB reconnaissait aussi que les opposants avaient réussi à asseoir une forme d’unité populaire, qu’ils avaient eu de l’imagination, et qu’ils avaient été responsables (en particulier, il n’y avait pas eu de morts durant l’enquête d’utilité publique). Le mensuel soulignait : « Il nous faut 2, 10, 100 Plogoffen Bretagne35. » Cette reconnaissance de la lutte antinucléaire par l’UDB correspondait aussi à un virage pris par le parti à l’occasion d’un congrès qui s’est tenu à Saint-Nazaire, les 5, 6 et 7 avril 1980. Lors de ce congrès, une ligne « autonome » s’imposait face aux deux autres sensibilités, communiste et socialiste. Cette ligne autonome était notamment portée par un militant comme Herri Gourmelen36. Ce militant, professeur d’allemand, avait adhéré en 1965 à l’UDB. Il en était sorti de 1970 à 197737. Durant cette période, il était resté un militant syndical et culturel. Mais il s’était alors initié aux idées écologistes, en particulier par l’intermédiaire de la lecture du journal écologiste La Gueule ouverte38. Quand Herri Gourmelen est revenu à l’UDB en 1977, il y amena alors des idées nouvelles, et notamment celles de l’écologie politique39.

23Sous l’influence d’une frange de militants de plus en plus importante, et sous la pression de la mobilisation sociale, l’UDB actualisait peu à peu ses catégories idéologiques. En mai 1981, lors de l’élection présidentielle, l’UDB n’a fait campagne qu’au second tour, en appelant à voter pour François Mitterrand, le candidat de la gauche arrivé en tête lors du premier tour. Au premier tour, le parti breton n’a pas soutenu Huguette Bourchardeau, la candidate du PSU, qui s’était clairement positionnée dans le camp antinucléaire. Cependant, lors des élections législatives faisant suite à la présidentielle, le PSU et l’UDB présentèrent une candidature conjointe dans la circonscription de Douarnenez, circonscription qui correspondait à l’aire de mobilisation de Plogoff. Cette candidature mixte agrégea seulement 3,07 % des suffrages exprimés. Jean Peuziat, le socialiste élu, bénéficiait en fait d’une dynamique nationale (« vague rose ») et des retombées de la promesse tenue par Mitterrand à propos de « Plogoff ». À ce moment, l’UDB a fait un pas net vers les idées écologistes prônées notamment par le PSU. Finalement, cette élection législative de Douarnenez en juin 1981, où UDB et PSU avaient fait cause commune, peut se lire comme une sorte de préfiguration de l’alliance de 2004 entre l’UDB et Les Verts lors des élections régionales.

Conclusion

24Son ancrage à gauche, son idéologie marxisante, sa foi dans le progrès technique, son souci à l’égard des « travailleurs bretons » ont, dans un premier temps, conduit l’UDB à s’opposer aux premiers écologistes politiques. Par la suite, L’UDB a été amenée à modifier la structure de son idéologie en intégrant une partie de l’idéologie de l’écologie politique qui avait émergé dans les années 1970. La longue controverse sur le projet de centrale nucléaire en Bretagne a été un moment particulièrement formateur pour ce parti. L’élargissement régional de la mobilisation, opéré en mettant au premier plan la question bretonne, a conduit l’UDB à s’associer plus étroitement au mouvement antinucléaire. Ce mouvement débouchant sur une alliance UDB-PSU lors de l’élection législative de 1981 dans la circonscription de Douarnenez. Finalement, le discours de l’écologie politique mettant en avant « l’agir local » pouvait séduire en partie un parti politique comme l’UDB qui promouvait la cause de l’autonomie régionale.

25Romain Pasquier a souligné l’importance que la question identitaire revêtait pour certaines régions comme la Bretagne, dans lesquelles l’organisation administrative est associée à une histoire et à une culture originales40. Le politiste Jan Duyvendak a aussi indiqué que la résistance à l’implantation de centrales nucléaires a été plus forte dans les territoires où existait une conscience régionaliste41. À la fin des années 1970, dans un contexte spécifique (marées noires, controverse nucléaire), la cause bretonne a muté, pour une part, en cause écologiste. Cette mutation de la cause bretonne ne pouvait pas laisser indifférente une organisation politique qui avait fait de la question régionale le fondement de son action.