1L’UDB n’est pas sortie indemne des transformations de l’espace politique et social breton intervenues depuis sa naissance en 1964. Parmi celles-ci figure l’émergence du mouvement écologiste. Esquisser une histoire croisée de l’UDB et de l’écologie politique peut permettre ainsi d’éclairer sous un angle original l’histoire des familles autonomiste et écologiste en Bretagne, principalement entre 1974 (date d’entrée des écologistes dans le champ électoral en France) et 2004 (date du premier accord électoral régional entre UDB et Verts).

2L’écologie politique doit être d’abord abordée sur le plan partisan. L’écologie partisane émergea sous forme nébuleuse à partir de la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974, avant de se structurer en Bretagne sous la forme de la Fédération écologiste bretonne (FEB) en 1982, laquelle se fondit en 1984 dans Les Verts. Ces derniers ont depuis exercé le rôle de représentant hégémonique, bien que parfois contesté, de l’écologie partisane en France et en Bretagne. Par ailleurs, l’écologie politique est à prendre en compte sur le plan idéologique, une de ses caractéristiques importantes ayant été non seulement de considérer la dégradation de l’environnement comme un enjeu politique majeur (approche environnementaliste), mais également de remettre en question les fondements même de la société industrielle, notamment la croissance des productions matérielles, la consommation et l’urbanisation.

3Une asymétrie a donc longtemps opposé l’UDB, parti très structuré depuis 1964, aux écologistes, famille politique à l’organisation partisane progressive. Cette confrontation s’est déployée dans des contextes politiques plus larges, à différentes échelles : locale, bretonne, française mais également européenne. Ces contextes ont fait intervenir d’autres acteurs politiques : parti vert français, Fédération des Verts européens, Alliance libre européenne (ALE) et ses composantes hexagonales. Dans l’espace breton, il faut également tenir compte de formations politiques concurrentes se réclamant elles aussi de l’autonomisme ou de l’écologie. Enfin, le rôle du Parti socialiste (PS), principale formation des gauches en France et en Bretagne sur toute la période, est à prendre en compte.

4À partir de la fin des années 1970, l’UDB s’est rapprochée de l’écologie politique du point de vue de sa doctrine et de ses terrains d’engagements. Les relations interpartisanes avec Les Verts ont suivi la même évolution mais avec un décalage dans le temps, le premier accord électoral régional intervenant seulement en 2004. Il s’agit ici de cerner les aspects et les limites de cette convergence entre UDB et écologistes1.

5À cet égard il est possible d’identifier trois dynamiques qui se sont enclenchées successivement. D’abord l’évolution idéologique de l’UDB vers l’écologie politique, qui trouve sa double origine dans l’identité politique propre du parti et dans l’évolution du contexte breton, surtout à partir des années 1970. Ensuite le basculement de la stratégie du parti après le tournant politique français du début des années 1980, auquel participa la structuration partisane de l’écologie politique. Enfin, la stabilisation progressive de la stratégie des écologistes bretons à l’égard de l’UDB, entre le tournant des années 1990 et 2004.

L’UDB : une évolution du naturalisme vers l’écologie politique à partir des années 1970

6L’évolution idéologique de l’Union démocratique bretonne vers l’écologie politique peut être cernée à travers trois aspects : la présence d’un terreau fertile pour cette évolution au sein même de l’UDB ; les contradictions idéologiques que cette évolution a fait naître au sein du parti ; enfin, le dépassement partiel de ces contradictions au fil des années.

7Le régionalisme de l’UDB a constitué en lui-même un point de départ pour une évolution vers l’écologie politique, à partir de sa dimension relative à la conservation du patrimoine breton, non seulement culturel (linguistique, folklorique, historique) mais également naturel2. De nombreux membres de l’UDB furent ainsi des pionniers du naturalisme, puis de l’environnementalisme, en Bretagne. Jean-Yves Monnat et Maurice Le Démézet appartenaient ainsi au bureau de la Société d’étude et de protection de la nature en Bretagne (SEPNB) tout au long de la période. Yves Rouger occupa la présidence de l’Union régionale bretonne de l’environnement (URBE) au tournant des années 1980. Pierre Le Padellec prit quant à lui la tête d’Eau et Rivières de Bretagne au milieu des années 1980. J.-Y. Monnat3 et Y. Rouger, respectivement ornithologue et chercheur en biologie, s’apparentent à bien des précurseurs de l’écologie politique, qui passèrent progressivement du constat scientifique des nuisances causées aux écosystèmes à une critique plus systématique du mode de développement économique. P. Le Padellec, issu du mouvement de défense de la culture bretonne, est représentatif d’une autre trajectoire : la critique croissante de l’agriculture productiviste devant le spectacle de ses conséquences environnementales et sociales dans l’espace rural. Ces personnalités étaient également actives au sein de l’UDB, Y. Rouger siégeant au conseil municipal de Concarneau entre 1977 et 1983, et J.-Y. Monnat contribuant fréquemment au Peuple breton, notamment à partir de juillet 1971 avec une série d’articles approfondis sur la « protection de la nature4 ».

8En somme, au fil des années 1970, le naturalisme (souci pour la préservation des espèces naturelles et des paysages) de ces militants évolua vers un environnementalisme qui entendait aborder de manière plus extensive la question des rapports entre nature et société. Cette évolution répondait aux contestations des années 1968, mais également à la succession de marées noires5 et à la menace de l’implantation d’une centrale nucléaire en Basse-Bretagne6. Cette politisation des questions environnementales7 était marquée par l’opposition non plus seulement aux entreprises capitalistes mais à l’État lui-même. Vers la fin de la décennie, militants et fédérations UDB s’en faisaient fréquemment l’écho.

9Pour autant, cette préoccupation croissante pour l’environnement, et non plus seulement pour la nature sauvage ou les paysages, posa un problème à l’UDB : en effet, cette dernière donnait la priorité à l’industrialisation de la Bretagne, au nom de la sortie du statut colonial de la région. L’analyse des enjeux environnementaux par l’UDB restait dépendante de la grille de lecture marxiste, hégémonique dans le parti dans les années 19708. Le Peuple breton soutenait ainsi sans réserve la construction d’une raffinerie à Brest en 1973 : « Nous ne pouvons pas faire la fine bouche. Il ne nous paraît pas possible de refuser un complexe industriel qui créerait 5 000 emplois nouveaux (bilan net) sous prétexte qu’il y aurait risque de pollution9. » Lorsqu’en 1978, l’UDB prit position officiellement contre le projet de centrale nucléaire de Plogoff, ce fut pour des raisons économiques10 : les motivations écologiques ou même environnementales ne passèrent au premier plan qu’à partir de 1980. En somme, la sympathie exprimée par l’UDB à l’égard des associations environnementalistes, relevant de l’écologie « scientifique » (comme « la très efficace et sérieuse SEPNB11 » que J.-Y. Monnat tenait à préserver des passions politiques12) s’accompagnait le plus souvent, à l’inverse, d’une grande défiance envers l’écologie « politique ». Jean Roudaut se montrait très explicite en 1979 :

« [L’écologie] est une discipline scientifique tout à fait sérieuse et particulièrement complexe. Il est piquant de voir s’abriter, derrière le nom d’une science, par perversion progressive du sens d’un mot, des gens qui font souvent preuve d’une ignorance totale de ses concepts et prétendent souvent que les problèmes du monde moderne traduisent la faillite de la Science (avec un grand S), quand ce qui est en cause est en réalité l’utilisation, par un certain type de société, de certaines techniques13. »

10Pour autant, les positions de l’UDB sur le développement industriel ont connu des évolutions profondes à partir du début des années 1980. Deux facteurs apparaissent déterminants : les nuisances causées à l’agriculture et les mobilisations d’opposants locaux – lesquelles allaient de pair avec les préoccupations environnementales grandissantes des sympathisants UDB14. Symptomatique fut de ce point de vue l’évolution de la position de l’UDB sur l’exploitation de l’uranium du sous-sol breton. En juin 1981, l’UDB exprimait son soutien à « l’exploitation des ressources minières […] en ce qui concerne le cuivre, l’étain, le plomb, le zinc, l’uranium, l’antimoine, etc. Ce travail d’extraction devant être évidemment prolongé par une transformation sur place de ces ressources15 ». La constitution ultérieure de nombreux comités de défense qui agrégeaient des militants UDB comme P. Le Padellec, semble avoir contribué au revirement de 1985, lorsque « l’UDB [affirma] son opposition à l’ouverture de (nouvelles) [sic] mines d’uranium en Bretagne16 ». Au rang des arguments invoqués pour justifier ce retournement figuraient en bonne place les « nuisances pour l’agriculture, la pêche, l’agro-alimentaire ».

11Ce dernier point suggère que la question agricole a constitué un vecteur majeur de convergence entre écologistes et autonomistes. De fait, l’UDB s’opposa aux remembrements autoritaires dès 1973. Cette critique à la fois environnementale (préservation du bocage) et sociale (défense de l’autonomie de la paysannerie bretonne) se retrouve plus tard dans l’engagement de l’UDB contre l’agriculture productiviste devenue dominante en Bretagne et, à partir de la fin des années 1990, contre les organismes génétiquement modifiés.

12Inversement, les désaccords ne se sont comblés que partiellement entre écologistes et UDB au sujet du développement des transports. Cela souligne la persistance d’un clivage idéologique entre les deux familles politiques. Le développement du réseau routier, en Centre-Bretagne notamment, a régulièrement opposé UDB et Verts dans les années 1980 et 199017. Le soutien accordé dès 1984 par le parti autonomiste au projet d’implantation d’un aéroport international dans le nord de la Loire-Atlantique18 a résulté de la même priorité accordée au « développement régional19 », cette fois-ci afin de contrecarrer la concentration des flux économiques dans la région parisienne. L’évolution partielle des positions du parti sur cette question en 201220 trouve une partie de ses causes, là encore, dans l’enjeu de la préservation des terres agricoles et du bocage autour de Notre-Dame-des-Landes.

13Notons que cette évolution vers une remise en question partielle de l’industrialisation, à partir du constat de ses conséquences néfastes sur les espaces naturels et le secteur agricole, est un processus partagé par de nombreux précurseurs de l’écologie politique, comme R. Dumont. Passé par la SFIO et le PSU au début des années 1960, il était alors partisan de la révolution verte comme passage obligé pour le développement des pays du tiers-monde. Le constat des conséquences environnementales et sociales de celle-ci le conduisit ensuite à critiquer frontalement la société industrielle, critique qui trouva un écho au sein de l’UDB21. Après avoir publié L’utopie ou la mort en 1973, il fut invité en Bretagne par Jean-Jacques Monnier, qui lui permit de faire paraître une tribune dans Le Peuple breton quelques mois plus tard22. Lors de l’élection présidentielle de mai 1974, certains militants UDB lui accordèrent leur suffrage23, malgré le soutien apporté par le parti à François Mitterrand dès le premier tour.

14Malgré cette lente convergence, le mouvement écologiste breton se développa en dehors de l’UDB après 1974 : celle-ci était trop éloignée idéologiquement pour accueillir cette nouvelle génération de militants. L’affirmation politique des écologistes dans les années suivantes n’en allait pas moins jouer ensuite un rôle fondamental dans l’évolution stratégique du parti autonomiste.

L’UDB face à la cristallisation partisane des écologistes : le basculement stratégique (années 1980)

15L’affirmation des écologistes comme acteur partisan de plus en plus structuré et autonome, au tournant des années 1980, se produisit dans un contexte de mutations structurelles de la vie politique française et bretonne, en particulier du côté des gauches. Les orientations stratégiques de l’UDB s’en trouvèrent irrémédiablement affectées.

16Pour autant, Les Verts ne s’imposèrent que tardivement comme partenaire politique potentiel pour l’UDB. Avant le début des années 1980 en effet, les écologistes politiques bretons restaient désorganisés à l’échelle régionale. Les Amis de la Terre ne s’appuyaient que sur quelques groupes largement autonomes ; quant au Mouvement écologique créé en 1974 puis au Mouvement d’écologie politique (MEP) fondé en 1979, ils ne rassemblaient dans la région que de rares adhérents. En 1981 cependant, la campagne présidentielle unitaire et son résultat encourageant (3,9 %) constituèrent la première étape de l’unification des organisations, processus difficile dans lequel le Rennais Yves Cochet joua un rôle moteur24. Les écologistes bretons firent figure de précurseurs en créant la FEB en avril 1982, avant de l’intégrer aux Verts en 1984. Mais la FEB peinait à rassembler les militants écologistes de la région : la fièvre politique des années 1970 retombée, nombre d’activistes s’engagèrent plutôt dans l’action associative. Sur le plan électoral, Les Verts recueillirent un résultat décevant lors des élections européennes de 1984, concurrencés par Brice Lalonde et ses amis, alors partie prenante de l’Entente radicale écologiste (ERE), sur une ligne écologiste modérée. Autant de faiblesses qui expliquent que l’UDB ne pût considérer Les Verts comme un acteur politique pertinent.

17Pourtant, l’UDB était plongée dans un désarroi certain depuis la fin des années 1970. En effet jusqu’en 1978 la formation autonomiste avait lié son destin à l’Union de la gauche, notamment lors de l’élection présidentielle de 1974 et des élections municipales de 197725. Après la dissolution du programme commun à l’automne 1977 et la défaite des gauches aux élections législatives de 1978, l’UDB se retrouvait privée de stratégie, tiraillée entre pro-socialistes et pro-communistes. La dynamique militante s’essoufflait et le nombre d’adhérents entamait son déclin26.

18Le 15^e congrès, tenu en 1980 à Saint-Nazaire, tira des conclusions bien précises de cette rupture. Les adhérents rejetèrent aussi bien les propositions marxistes classiques que les velléités pro-PS, optant au contraire pour les orientations de Herri Gourmelen, Loïc Cauret et Marc Andro. Il s’agissait de dépasser la lutte des classes par la constitution d’un « bloc progressiste27 » breton, toujours dans le cadre des gauches. Les luttes « nouvelles », notamment « les luttes de consommateurs et les combats écologistes », devaient être prises en compte. Ce choix stratégique sous-tendait une révision profonde des bases idéologiques du parti, via un débat sur les « choix de société » (énergie, environnement, rapports Nord-Sud), dans le sens de la critique de « notions non encore explorées comme le productivisme ».

19La prise de distance vis-à-vis du PS et du PCF se traduisit dès 1981 par l’appel à voter blanc au premier tour de l’élection présidentielle. La nouvelle orientation stratégique permit dès les élections législatives de 1981 un rapprochement avec le PSU, dont la nécessité se vit confirmée par les graves difficultés financières et politiques28 rencontrées par l’UDB au milieu des années 1980. Les autonomistes participèrent donc à la constitution d’une coalition dans la perspective des premières élections régionales, finalement tenues en 1986 : Kemper Breizh rassemblait UDB, PSU ainsi que des militants associatifs et culturels, dans la logique du « bloc progressiste ». Yann Fiévet, adhérent UDB résidant en Île-de-France, figurait même sur la liste « Convergence alternative et écologiste » emmenée par l’économiste autogestionnaire Alain Lipietz en Seine-Saint-Denis, et soutenue par Les Verts locaux29. Deux ans plus tard, l’UDB, qui continuait à affirmer la priorité du clivage droite-gauche30, soutenait le communiste dissident Pierre Juquin à l’élection présidentielle.

20Cette orientation stratégique de l’UDB trouva pourtant vite ses limites, limites auxquelles la naissance des Verts en 1984 n’était pas étrangère. Des limites d’abord électorales, puisqu’en 1986 Kemper Breizh remporta seulement 1,51 % des voix dans la région, contre 2,65 % pour Les Verts. Ceux-ci avaient refusé tout accord d’appareil31 : inspirés par le succès des Grünen allemands, ils croyaient fermement en leur bonne étoile. Le rapport de forces se confirma en 1988 lorsque le vert A. Waechter devança P. Juquin – soutenu par l’UDB – aussi bien en Bretagne qu’en France. Quant aux limites politiques du choix de l’UDB, elles apparurent surtout lors de l’élection présidentielle. En effet, malgré les positions personnelles de P. Juquin, sa campagne passa sous silence les revendications régionalistes, au profit d’une ligne d’extrême-gauche inspirée par la Ligue communiste révolutionnaire. Au lendemain du scrutin, les autonomistes estimaient rétrospectivement que le discours du candidat Vert, « plus simple, moins agressif, clair sur le respect des identités “régionales”, était en mesure d’attirer plus nos électeurs potentiels. Pas étonnant qu’il réalise un meilleur score en Bretagne qu’ailleurs, comme en Alsace et au Pays basque32 ».

21Pour l’UDB à partir de 1989, il était donc clair que le « bloc progressiste » ne pouvait exister sans Les Verts, du point de vue idéologique autant qu’électoral. Dès lors, la main tendue aux écologistes devint une constante de la part de l’UDB. Or, Les Verts français s’étaient engagés dans le chemin opposé, en confirmant lors de leur assemblée générale de l’automne 1986 la nécessité d’« affirmer l’identité politique des écologistes33 », en dehors des gauches. A. Waechter devenait l’homme fort du parti, marginalisant Y. Cochet, qui avait prôné le rapprochement avec la gauche alternative34. Il fallut attendre le tournant des années 1990 pour que Les Verts optent pour davantage d’ouverture.

Vers une alliance avec l’UDB : hésitations stratégiques chez Les Verts (1989-2004)

22La sympathie pour le mouvement breton était pourtant réelle parmi les Verts bretons, et ce dès la création de la FEB qui affirmait, parmi ses engagements fondateurs, « la revendication autonomiste35 ». Cela se traduisit de manière constante dans leurs propositions électorales : lors des élections régionales de 1992 par exemple, les Verts d’Ille-et-Vilaine demandaient « une assemblée régionale élue dotée de pouvoirs législatifs et exécutifs36 ». Pourtant, ce document citait uniquement parmi les compétences revendiquées « la culture, l’éducation, la communication audiovisuelle ». Cet exemple illustre une attitude répandue chez Les Verts bretons : l’autonomie institutionnelle était souvent considérée comme un simple outil au service de la culture régionale, celle-ci étant elle-même pensée comme un moyen de la diversité culturelle et de l’épanouissement des individus. Cette ambiguïté37 permettait à l’UDB de juger que seuls quelques-uns chez Les Verts étaient d’authentiques « militants bretons38 ». L’élaboration chez Les Verts d’une position plus intégrée, synthétisant régionalisme culturel et fédéralisme politique, s’effectua progressivement à l’échelle française, à l’initiative en particulier du toulousain Gérard Onesta39.

23Ce biais culturel explique que Les Verts aient longtemps privilégié, parmi l’Emsav, les organisations relevant du mouvement culturel plutôt que les formations politiques. Des relations étroites ont lié par exemple Verts et Diwan, en particulier à Quimper, où le fondateur de l’association Gweltaz Ar Fur rejoignit le parti. La « Commission identité culturelle et politique bretonne » de la FEB, créée à la fin des années 1980, insistait quant à elle sur la nécessité pour Les Verts de s’appuyer sur le « mouvement socioculturel40 » breton. Une note d’information sur les partis bretons, datée du printemps 1990, exprimait également une certaine sympathie à l’égard de l’UDB, soulignant le sérieux de son militantisme et la précocité de son engagement environnementaliste. Mais cet intérêt pour le « mouvement breton » restait très général, sans que l’UDB fût considérée comme un partenaire à privilégier par rapport à ses concurrents, comme Emgann41.

24Sur le plan électoral, l’autonomie affirmée par Les Verts français après 1986 laissait malgré tout, de larges marges de liberté lors des élections locales. Ainsi à Lorient, en 1989, naquit la première expérience de collaboration électorale avec l’UDB. Portée par la Verte Renée Conan et l’UDB Joël Guégan, la liste municipale « An Oriant Écologie » rencontra un succès inespéré (15,1 % au premier puis 20,4 % au second tour). Cette collaboration se prolongea par le partage entre les deux formations des circonscriptions législatives en 1993 puis des cantons en 1994, cas exceptionnels dans la région42.

25Comment expliquer ces relations à géométrie variable dans le temps et l’espace ? Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Les personnes jouèrent un rôle décisif, surtout au sein d’un petit parti comme Les Verts43 : de ce point de vue le contraste est parlant entre R. Conan, proche du mouvement breton44, et Y. Cochet, dont les activités politiques et la réflexion stratégique se focalisaient sur la politique française45. Plus largement, le conflit opposant J. Guégan et le maire socialiste de Lorient, Jean-Yves Le Drian46, avait favorisé le rapprochement de l’UDB avec Les Verts. Un deuxième facteur est l’expérience militante commune, plus forte dans le Morbihan qu’ailleurs, dans le cadre de la lutte contre l’ouverture de nouvelles mines d’uranium dans le Centre Bretagne au milieu des années 1980. Un troisième facteur résulte de l’inégal rapport de force entre les deux formations sur le territoire : Les Verts lorientais pouvaient difficilement ignorer une UDB bien implantée du point de vue électoral et militant47, tandis qu’en Haute-Bretagne, pays non bretonnant, nombre de militants Verts ne croyaient pas au poids politique du mouvement breton48.

26Un quatrième facteur se rattache à la vie parlementaire européenne. En effet, députés écologistes et autonomistes y avaient inauguré une étroite collaboration dès 1984. Après 1989, l’arrivée à la fois de députés verts français et du militant UDB morbihannais Christian Guyonvarc’h comme assistant du groupe ALE, permit de répercuter ces bonnes relations en Bretagne. Mais ce jeu d’échelles eut ensuite des conséquences inattendues. En effet, à l’issue des élections européennes de 1994, Les Verts français disparurent du Parlement européen ; Noël Mamère, dirigeant de Convergences écologie solidarité (CES), élu sur la liste radicale de Bernard Tapie, devint le seul député européen écologiste de France. UDB et Régions et peuples solidaires49 (R & PS) le considérèrent à ce titre comme un interlocuteur privilégié et se rapprochèrent de CES dès 199550. Ils conclurent ensuite un accord technique pour les élections législatives de 1997, grâce auquel les deux formations allaient bénéficier du financement public pour les cinq années suivantes.

27La vie politique française constitue un cinquième et dernier facteur, particulièrement déterminant. En effet l’émiettement partisan des écologistes français en 1993-199451 et l’échec électoral des Verts à l’élection présidentielle de 199552 placèrent ces derniers dans une position de faiblesse qui les incita à se rapprocher rapidement du PS. Cette stratégie de « gauche plurielle » permit aux Verts de conquérir plusieurs sièges de députés en 1997 et de conserver quelques sièges de conseillers régionaux en 1998, notamment en Bretagne… au prix d’une brouille avec l’UDB53, contrainte cette année-là de présenter une liste seule aux élections régionales.

28Pour autant, ce retournement des Verts contribua à créer les conditions d’une convergence future entre les deux partis. En effet, les élections législatives et régionales de 1997-1998 permirent aux Verts de lever le tabou de l’alliance avec les gauches. Surtout, ils allaient sortir requinqués de la gauche plurielle : ayant intégré en 1998 CES et Parti écologiste, et marginalisé GE et Mouvement écologiste indépendant, ils connurent des résultats en nette progression aux élections européennes de 1999, municipales de 2001 et présidentielle de 2002. Leur assemblée générale de l’automne 2002, tirant un bilan mitigé de l’expérience gouvernementale, affirma une stratégie davantage autonome vis-à-vis du PS. Cela se traduisit en Bretagne par la volonté de présenter une liste écologiste au premier tour des élections régionales54. Dans ce contexte, Les Verts jugèrent qu’il était dans leur intérêt de passer un accord avec l’UDB, afin de garantir l’absence de liste autonomiste concurrente, contrairement à 1998, 1992 et 1986. En effet, entre-temps l’UDB avait enclenché un rapprochement avec plusieurs groupes finistériens55, en particulier les Carhaisiens Christian Troadec et Jean-Pierre Jeudy, communiste dissident déjà engagé dans les comités Juquin en 1988. L’accord électoral signé à la fin de l’année 2003 donna naissance à la liste « Bretagne verte, unie et solidaire » qui remporta 9,70 % des voix en Bretagne administrative en mars 2004. Ce résultat fut perçu comme une réussite, d’autant qu’il contribua à la victoire, historique, de la liste d’union des gauches au second tour56.

Conclusion

29Les relations entretenues par l’UDB et Les Verts semblent en dernière instance avoir été déterminées par une série de discordances temporelles. D’abord le décalage de quelques années qui sépare l’émergence électorale des écologistes (entre 1974 et 1981) et le glissement de l’UDB vers des positions globalement compatibles avec l’écologie politique (1978-1985 environ) ne permit pas à l’UDB de canaliser l’écologie politique bretonne et facilita la structuration partisane autonome de cette dernière. Ensuite la divergence des années 1980, pendant lesquelles l’UDB entendait recomposer le paysage de la gauche alternative bretonne, tandis que Les Verts voulaient le refonder derrière leur bannière, sans transiger sur leurs principes. Puis le chassé-croisé des années 1990 : basculement des Verts d’une posture d’autonomie vers une stratégie de gauche plurielle, à rebours de la prise de distance accentuée au même moment par l’UDB vis-à-vis du PS. Enfin, la concordance de 2003-2004 vit au contraire les deux partis s’accorder sur un rapport modérément critique au couple PS-PCF grâce à une convergence idéologique de long terme, une convergence stratégique conjoncturelle et à la cohésion respective des camps écologistes et autonomistes.

30La reconduction du partenariat lors des élections régionales de 2010 et des élections législatives de 2012, puis sa rupture en juillet 2012, soulignent que cette concordance reste fortement tributaire du contexte politique. Le contexte européen reste clairement favorable, du fait du succès des listes « Europe-Écologie » associant Verts et R&PS aux élections européennes de 200957 et du maintien du groupe commun Verts/ALE au Parlement. Il n’a cependant pas empêché la rupture du front Europe Écologie Les Verts (EELV)-UDB au conseil régional en 2012. Le contexte électoral contribue à expliquer cette séparation : le ralliement de l’UDB à la majorité régionale semble répondre à la fois à l’émergence d’une concurrence dans le camp autonomiste58 et aux bons résultats du PS en Bretagne en 2010 et en 201259. De ce point de vue il semble que le PS exerce la même force centripète aujourd’hui à l’égard de l’UDB que quinze ans plus tôt à l’égard des Verts.

31Il reste enfin à mentionner deux tendances de long terme dont l’impact mériterait d’être étudié plus précisément. D’une part, la présence croissante des écologistes au sein de coalitions de type gauche plurielle dans les collectivités territoriales, surtout à partir des élections régionales de 1998, suivant en cela le chemin emprunté par l’UDB dès 1977. Cette évolution semble à la fois porteuse de rapprochements et de concurrences vives, à l’échelon municipal par exemple. D’autre part, le renouvellement générationnel, qui semble relayer au sein de l’UDB les mobilisations sociales sur le terrain de la protection de l’environnement et de la contestation de la société industrielle, comme l’illustre l’abandon de la position favorable au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes lors de son congrès de 2012.