Intercommunalité et construction des capacités collectives d’action dans l’espace intramétropolitain parisien : une approche de géographie socio-politique

Marcel Rousset-Deschamps

p. 45-66


Texte intégral

1Note portant sur l’auteur1

2L’émergence d’intercommunalités au sein de l’espace urbain parisien modifie profondément les rapports entre les acteurs et le contenu des politiques métropolitaines d’aménagement et de développement. C’est la modalité décentralisée des réponses que la société politique apporte aux problèmes que suscite le modèle de développement actuel qui oblige à reconsidérer profondément, sauf à l’abandonner, l’action publique de régulation des territoires (Baudelle, 1995 ; Le Saout et Madoré, 2004). Mais celle-ci semble avoir, dans les grands espaces urbains métropolisés, des caractéristiques nouvelles et originales.

3Depuis les années soixante, l’action publique « planificatrice » en Île-de-France, dans une optique hiérarchique et étatique, portait essentiellement sur l’espace (infrastructures et zoning). Avec le Schéma directeur de 1994, même sous des formes discutables (Esprit, 2004), elle s’applique aux territoires métropolitains en tant qu’espaces appropriés par des ensembles d’acteurs (habitants, entreprises, institutions diverses…) d’un point de vue global à la fois environnemental, économique, social et culturel. Parallèlement, elle amorce une combinaison originale gouvernement/gouvernance métropolitaine décentralisée, caractérisée par la montée en puissance du conseil régional et la mise en œuvre de discussions, sources de contractualisations, avec les conseils généraux, les communes et l’État ou l’Union européenne. D’unidimensionnelle, c’est-à-dire uniquement spatiale, l’action publique devient multidimensionnelle. Elle veut prendre en compte, simultanément, la complexité qu’introduit la notion de territoire et ses liens avec la société urbaine parisienne dans son ensemble (le niveau métropolitain) et les diverses « sociétés locales », c’est-à-dire le niveau intra-métropolitain (Rousset-Deschamps, 2000). Très clairement, cette mutation place le social territorialisé, c’est-à-dire la géographie sociale urbaine, au cœur d’une réflexion sur la politique de régulation métropolitaine.

4C’est une manière ambitieuse d’envisager l’action collective dans la mesure où beaucoup d’auteurs, avec des arguments forts, s’interrogent sur la pertinence du concept classique de société territorialisée (Ascher, 2000), soulignant la « dé-localisation » des pratiques (Giddens, 1994) et la « dé-spatialisation du social » (Beck, 2000). Face à l’émergence de la problématique du réseau et de la mondialisation, ces auteurs innovent en questionnant la dimension spatiale des sociétés et leurs capacités à faire lieu au niveau local (Bourdin, 2000). Pour autant, la thématique de la territorialisation de l’action n’est pas obsolète (Benko et Lipietz, 2000 ; Storper, 1995), y compris dans un espace intra-métropolitain parisien (Boyer et al., 1999). Comment dépasser cette opposition ?

5L’idée ici développée est qu’au lieu de s’arrêter à l’opposition entre déterritorialisation et localisation, il est plus riche de l’appréhender comme une tension entre deux situations polaires. Cette tension n’est pas vide. Elle est faite de processus qui la structurent et qui produisent de nouvelles configurations. Concrètement, ceci veut dire que dans le local il peut y avoir du global, et réciproquement. Par exemple, dans le modèle actuel d’organisation de la production, la création de valeur implique l’encastrement dans le territoire, afin de se procurer les externalités produites par la formation sociale locale ou de lui vendre efficacement des produits, et l’ouverture, pour valoriser les externalités dans une organisation réticulaire et, ainsi, les transformer en avantages comparatifs absolus (innovations) et relatifs (coûts) extra-locaux. Ces processus s’inscrivent, temporellement, dans une tension forte entre flexibilité et durabilité, dimension dans laquelle les différents acteurs institutionnels n’ont pas la même dotation. La complexité et la massivité du territoire métropolitain font qu’il devient un facteur de production. La ville et ses multiples territoires l’emportent sur chacun des acteurs qui y sont implantés. Ceci signifie que là où ce modèle est le mieux établi, dans l’espace ouest-européen en général et métropolitain parisien en particulier, la différenciation spatiale ne se ferait pas uniquement par les coûts mais davantage par l’organisation et l’efficacité des institutions productrices des externalités matérielles et immatérielles. Alors, c’est la capacité de projet collectif d’action des acteurs locaux qui deviendrait essentielle (Béhar, 1998), et singulièrement celle des acteurs de la société politique, qui ont la plus grande légitimité pour agir sur les territoires et surtout sur les sociétés localisées. Ceci signifie aussi qu’il n’y a pas de modèles généraux à suivre, chacun procède à son « bricolage institutionnel » selon l’heureuse formule d’Olivier Coutard (2001). Le dynamisme, la capacité d’innovation sociale et politique des formations socio-spatiales locales feraient qu’il y aurait des gagnants et des perdants.

6Si la nouvelle configuration institutionnelle décentralisée donne indéniablement des marges de liberté aux acteurs (élus, entreprises, habitants, associations, institutions publiques…) pour construire des projets et créer du développement, elle est aussi porteuse d’un modèle spatial gros d’inégalités relatives. En effet, il faut bien reconnaître que la capacité de projet est très liée à deux éléments. D’une part, à la production des savoirs – technologiques, relationnels, organisationnels et sociétaux – localisés, qui demande la durée (Veltz, 2002). D’autre part, aux types de capitaux que possèdent fort inégalement les acteurs (firmes globales et petites ou très petites entreprises, cadres mondiaux et salariés déqualifiés) et les territoires (à haute ou basse intensité de connaissances, à faible ou forte capacité de projet, enfermés ou ouverts). Par ailleurs, en l’absence d’une régulation globale de l’État ou de la région, les inégalités historiques ont peu de raison de s’estomper. Enfin, si le modèle d’individuation, de différenciation et d’appartenance à des réseaux extra-locaux, se généralise, il ne peut qu’avoir des conséquences importantes sur la vie sociale, les rapports au territoire et leur régulation par le politique. Face à ces nombreuses incertitudes, l’approche proposée suscite naturellement beaucoup d’interrogations.

7Est-ce que les évolutions institutionnelles dynamisent les stratégies de construction de capacités collectives d’action des « sociétés locales » intra-métropolitaines sous contraintes métropolitaines ? Comment se joue la tension entre la légitimité des règles sociétales potentialisées par l’institution territorialisée (la communauté d’agglomération en l’occurrence) et l’efficacité des normes spécifiques de réseaux d’acteurs (entreprises, habitants, associations, etc.) multi-appartenants géographiquement et socialement ? Quelles sont les stratégies politiques susceptibles de créer une dynamique sociétale locale ?

8Afin de tester les idées évoquées et ne pas rester dans les généralités, ces questions sont abordées en région parisienne par une approche institutionnelle en termes de géographie socio-politique appliquée à l’espace urbain de Plaine Commune2. Ce choix s’explique pour deux raisons. D’abord parce que c’est un territoire intra-métropolitain dans lequel la démarche intercommunale est très dynamique et s’insère dans un projet de ville. Ensuite, parce qu’il sera moins difficile d’évaluer l’impact de l’intercommunalité sur l’action collective, dans la mesure où il est possible de la comparer à la stratégie communale de Saint-Denis, analysée lors d’un précédent travail comparatif avec Courbevoie (Rousset-Deschamps, 2001).

INTÉGRATION INSTITUTIONNELLE ET FRAGMENTATION DE L’ESPACE BANLIEUE

9Depuis 2000, la création d’intercommunalités en Île-de-France est forte. Ce sont les structures les plus intégrées sur le plan des compétences et des finances qui progressent le plus3. Par rapport à des régions comme la Bretagne (Le Saout et Madoré, 2004), le taux de couverture y reste plus faible. Le processus de regroupement des communes est dopé par la loi du 12 juillet 19994 et ses avantages financiers. Les politiques de contractualisation du 4e Contrat de plan État-région favorisent l’intercommunalité de projet, l’éligibilité par zones aux Fonds européens et les contrats de ville et d’agglomération de la politique de la ville. Le développement récent concerne plutôt les espaces fortement urbanisés de l’agglomération centrale. Cela provoque une augmentation de la taille des groupements qui passe de 32 555 habitants en moyenne en 1999 à 51 354 en 2004, alors que le nombre moyen de communes reste stable autour de huit communes (Anne Parnaix, 2004). La communauté d’agglomération Plaine Commune est l’une des plus importantes d’Île-de-France, puisque sur 4 309 ha, ce qui représente presque la moitié de la superficie de Paris, elle regroupe 307 528 habitants et 115 192 emplois en 1999 (cf. tableau 1).

Une très forte dynamique de création d’un espace institutionnel

10La généalogie de la création de la communauté d’agglomération montre qu’il s’agit d’abord d’une création des institutions politiques et des élus. Quelques éléments la caractérisent.

  • Une initiative d’élus encouragée par le préfet de département : les maires d’Aubervilliers et de Saint-Denis jouent un rôle moteur. Ils ont perçu l’intérêt de l’intercommunalité en zone agglomérée en créant dès le 9 octobre 19855 le syndicat intercommunal Plaine Renaissance. Très tôt ils envisagent d’étendre l’intercommunalité et de créer une communauté de communes à partir de la loi de 1992. Le mouvement s’accélère en 1999, grâce à la loi Chevènement, d’autant que les élus sont fortement encouragés par l’État et un préfet de département (J.-P. Duport) particulièrement dynamique et impliqué.
  • L’élargissement par cercles concentriques et la cohérence spatiale : à partir du « noyau dur » formé par Aubervilliers et Saint-Denis, les communes d’Épinay-sur-Seine, Pierrefitte et Villetaneuse s’y agrègent dès l’origine, rejointes par L’Île-Saint-Denis et Stains en janvier 2003 et La Courneuve en janvier 2005. Il en résulte un bloc cohérent, géographiquement compact (cf. carte infra).
  • Un projet d’élus plus que d’habitants : les négociations d’adhésion se font entre élus et sont facilitées par une grande homogénéité politique, puisque mis à part Épinay-sur-Seine, toutes les communes ont des majorités appartenant à l’opposition nationale actuelle6.
  • Une volonté d’approfondissement rapide : la volonté de faire vite est évidente, puisqu’il n’y a que trois mois entre septembre 1999, date de délibération des communes sur le statut de la communauté de communes et de désignation de leurs membres, et le 1er janvier 2000, date de passage effectif en communauté de communes. Une année après, le conseil communautaire adopte la modification des statuts et la transformation en communauté d’agglomération, et un passage effectif au 1er janvier 2001.
  • Le choix de déléguer à la communauté d’agglomération les compétences les plus larges : le transfert des compétences à l’Établissement public de coopération intercommunale est rapide. Il concerne l’aménagement urbain, l’environnement, l’habitat, le logement, les transports, les équipements culturels et sportifs, le développement économique, l’insertion et l’emploi, la recherche et l’enseignement supérieur, la voirie et l’espace public, la collecte et le traitement des déchets ménagers, la politique de la ville, le tourisme. Les villes n’ont plus à supporter les dépenses afférentes.
  • Un apport important de ressources financières : dès mars 2000, le conseil de la communauté choisit parmi les options de TP la formule la plus intégrée, celle du taux unique qui a été fixé à 19,98 %. Ce qui assure, si la dynamique économique est forte, d’abondantes ressources à l’ensemble des communes.

Des problèmes et des potentialités partagés

11Le territoire a un faible dynamisme : de 1975 à 1999, la population (de 325 921 à 307 528) et les emplois (de 131 185 à 115 192) déclinent (Vidal et Mouchel, 1999). Le logement social prédominant (50 % du parc)7 induit une structure sociale où les ouvriers et les employés sont largement majoritaires (70 %). Une part importante de la population a des difficultés sociales liées à des ressources faibles. Cela se combine à l’importance des familles monoparentales, des chômeurs (en 1999, il y a 31980 actifs sans emploi), à un taux de chômage qui atteint 16 %, des bénéficiaires du RMI ainsi qu’aux problèmes d’acculturation liés à la diversité ethnique (26 % d’étrangers ; région : 12 %).

12Malgré la création récente d’emplois, le taux d’emploi est faible : il n’est que de 0,79 rapporté à la population active ayant un emploi et il se caractérise par la faiblesse du taux d’actifs stables (18,4 %), c’est-à-dire des actifs résidant et travaillant sur le territoire de Plaine commune.

Tableau 1 : Population, actifs et emplois de Plaine Centrale en 1999 et évolution 1990-1999

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Source : INSEE RGP au quart pour 1990, complémentaire pour 1999.

13Ces chiffres médiocres expriment la faible capacité d’une partie du territoire à créer des emplois, et surtout l’inadéquation entre la structure professionnelle des emplois qualifiés et très qualifiés qui arrivent et le faible niveau de formation des actifs résidents (en 1999, aucune formation : 23,8 % à Plaine Commune contre 14,2 % en Île-de-France ; diplômes d’études supérieures 5 % contre 15 %). La contrepartie positive est l’apparition d’un effet de pôle8.

Tableau 2 : Structure des qualifications de la population active résidente occupée et des emplois de Plaine Commune en 1999

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Source : INSEE RGP 1999 complémentaire.

14Ce contraste risque, dans les années futures, d’être particulièrement grave et de provoquer de vives tensions, que les formes de régulation – les équipements au sens large et les interventions sociales – auront du mal à réduire. En effet, du fait de la gravité de la situation socio-économique de certains grands ensembles sociaux, les communes font toutes l’objet de politique de renouvellement urbain de la part de l’État et des institutions, qui, de ce fait, contribuent à définir des normes d’action. Toutefois, cette réunion de communes est loin d’être homogène.

Puissance des disparités spatiales et faiblesse des interrelations socio-économiques locales

Tableau 3 : Population, actifs et emplois des communes de Plaine Centrale en 1999 et évolution 1990-1999

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Source : INSEE RGP au quart pour 1990, complémentaire pour 1999.

15L’élément le plus spectaculaire est la puissance du dynamisme immobilier (800 000 m² de bureaux en blanc) et d’emplois de la Plaine Saint-Denis, qui s’oppose à l’atonie de l’arc Nord de communes. Ce processus accentue la fragmentation de la structure urbaine qui s’établit sur un double mouvement radioconcentrique.

16À l’échelle métropolitaine, les disparités de taille de population et d’emploi qui existaient entre les espaces denses proches de Paris – « communes premier rideau » : Saint-Denis (85 832 hab., 48949 emplois, taux d’emploi 1,17), Aubervilliers, Saint Ouen – et ceux nettement moins denses des communes du « second rideau » formant une couronne qui va de Villetaneuse à Stains et La Courneuve9 s’accentuent.

17À l’échelle locale, les centres des ex-villages ou de villes ont des « banlieues » constituées d’espaces pavillonnaires, de grands ensembles sociaux et de zones d’activités très disparates, tout en ayant de réelles identités de quartiers. Celles-ci apparaissent dans la répartition spatiale à l’IRIS des catégories socioprofessionnelles (figure 1)10.

18Les ouvriers sont proportionnellement nombreux dans deux types d’habitat. Dans les grands ensembles sociaux d’Orgemont (Ouest), de la Rénovation (Centre) et Presles (Est) d’Épinay, Allende et centre-ville à Villetaneuse, du Colombier à Pierrefitte, du Globe et Saint Lazare à Stains, des 4 000 Nord et Sud à La Courneuve, de la Porte de la Villette à Aubervilliers, du Colonel Fabien au Nord et Francs Moisins à l’Est à Saint-Denis. Dans des immeubles de rapport d’anciens quartiers comme La Plaine Saint-Denis à cheval sur Aubervilliers et Saint-Denis, ou de part et d’autre de la RN 16 à Pierrefitte.

19Les cadres et professions intellectuelles supérieures se concentrent sur trois types d’espace : dans les centres villes d’Épinay, Saint-Denis, Aubervilliers et Saint Ouen ; dans certains quartiers pavillonnaires à Pierrefitte, Épinay, Stains (Cité-jardin) et Aubervilliers ; à proximité d’Enghien au Nord-Ouest d’Épinay (Les Écondeaux).

20En outre, la fragmentation spatiale est accentuée par les infrastructures de niveau régional, qui quadrillent le tissu urbain (autoroutes, réseau ferré, canal, lignes à haute tension, cimetières, etc.), et le nombre élevé de parcelles de grande taille provoquent des effets de coupure et accentuent l’impression de structure urbaine sans lieux ni liens. Si les échanges intercommunaux sont plutôt réduits, la faiblesse des centralités communales, l’orientation des infrastructures, l’importance des équipements de centralité (Fol, 1993), l’importance des emplois et le poids historique contribuent à faire de Saint-Denis un élément structurant du système local.

Figure 1 : Ouvriers, professions intermédiaires et cadres de l’agglomération Plaine Commune par IRIS-2000® en 1999

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Agglomération Plaine Commune

21Comment la politique intercommunale va-t-elle tenter de constituer cet espace intra-urbain morcelé en territoire ? Transformer cette collection de zones en un arrangement spécifique de dimensions sociale et économique, idéologique et politique, spatiale et temporelle d’acteurs collectifs et individuels en interactions ayant suffisamment de force pour former une société ?

Penser l’action collective intercommunale : technique financière ou projet politique ?

22Le conseil de communauté a une grande ambition politique. Sans trop forcer le trait, il est possible de soutenir que son objectif stratégique est de donner vie à une formation sociale locale qui existerait mais qui ne sait pas qu’elle existe. Il veut le faire par la réalisation d’un « projet de territoire » c’est-à-dire « un travail sur la durée, pour requalifier et redynamiser un bassin de vie, d’habitat et d’emploi et lui offrir les opportunités d’un avenir plus affirmé11 », qui fournit un cadre et dessine des grandes lignes, comme en 1992 avec le projet urbain de la Plaine Saint-Denis (PSD). Le conseil mobilise la fonction du politique qui est d’imaginer le devenir de la cité, de fonder le sens de l’action et de produire de la légitimité. L’élaboration du Schéma de cohérence et d’organisation du territoire (SCOT) permet d’enclencher la démarche.

Utiliser les valeurs pour créer une identité territoriale

23Les élus communautaires valorisent à la fois l’idée d’appartenance à un « bassin de vie, d’habitat et d’emploi » et l’importance des choix qu’ils vont faire pour eux-mêmes, qui y vivent, et les habitants. Cette dialectique vise à donner un substrat spatial et à délimiter un espace – pour identifier un « corps social » au sein du grand espace régional métropolitain – et à légitimer leur action : y vivant, ils sont légitimes pour proposer un projet, et ce projet les légitime.

24Mais cet espace est un territoire. Il y a des « ressources et des compétences » qu’il faut utiliser. Cette entrée à l’avantage de valoriser le territoire et les habitants, de les « déstigmatiser », de les rassurer et d’offrir des perspectives. Cette sensibilité au territoire provient de ce que, dans la construction de leur identité, la dimension spatiale est essentielle pour une grande partie des acteurs de la vie locale (habitants, artisans, petites entreprises, commerçants, etc.) : leur capital spatial permet de suppléer la faiblesse des capitaux économiques ou intellectuels, dont les modes d’acquisition sont plus onéreux.

25D’où la mobilisation de l’histoire et du patrimoine local pour construire un territoire « fier de ses racines ». De bons exemples sont les manifestations « Savantes banlieues » (annuelle) sur le potentiel local de recherche et de connaissances et « Douce banlieue » de mai 2004, sur la mémoire, sur les traces humaines, qui montre la richesse de la banlieue et qui, en même temps, est empreinte d’une certaine nostalgie. Celle du constat de la dégradation des conditions de vie et des perspectives, mais qu’il est possible de changer. D’ailleurs, le projet utilise fréquemment les termes de « reconquête » ou de « redynamisation ». Cette option, dans ses aspects offensifs et défensifs, répond aux craintes de beaucoup d’habitants et de certaines entreprises de ne pas pouvoir participer aux évolutions, d’être « relégués ». Car ils voient ce qui se passe autour du stade de France, à la Plaine Saint-Denis (Bertho, 1995). Ainsi, le discours veut mobiliser la charge symbolique attachée à l’idée de projet qui est de « se projeter dans l’avenir, afin de mettre en lumière les souhaits, les volontés, les rêves de chacun sur ce territoire12 ».

26Le projet de territoire, comme discours et pratique portés par l’intercommunalité, est le lieu de la nouvelle politique de développement et d’aménagement. Fondamentalement, le projet social n’a pas pour but de changer de population mais de changer la situation des habitants. Il développe les valeurs de diversité, de solidarité et d’intégration, de progrès, de développement solidaire et écologique13. Dans le champ économique, il propose un compromis entre la modernité et la tradition, entre l’industrie et les services. Il prend en compte les nouvelles valeurs du travail, celles des activités de services, de la mondialisation, de la concurrence régulée, de la diversité et de la mobilité. Dans le champ spatial, il valorise les centralités urbaines par une certaine densification et développe les échanges, en privilégiant l’espace public, les transports, et surtout la mixité fonctionnelle et sociale. Simultanément, il permet aussi de s’opposer, car, grâce à ces valeurs, il donne les moyens de conserver sa personnalité par rapport aux acteurs de la désindustrialisation et de la mondialisation.

27Ce choix identitaire d’enracinement comporte des contraintes et des inconvénients. Il n’échappe pas à un discours de victimisation et à plusieurs risques. D’une part, au risque de grand écart entre une identité territorialisée et une autre plus nomade, et d’autre part, au risque de discours trop complexe, perçu d’une manière peu lisible et confuse, et enfin, d’irréalisme par rapport aux faits sociaux et politiques, d’autant plus fort qu’il y a un désintérêt à l’égard du politique (45 % d’abstentions).

28En valorisant les valeurs du territoire et les thèmes de « renouveau » et « d’amélioration », le discours mobilise la dimension culturelle. Il donne du sens. Encore faut-il que cela se traduise en actions. D’où, pour tenter de dépasser ces difficultés et cimenter plus fortement les populations, l’accent mis dans le champ politique, sur le volontarisme dynamique, et dans le champ spatial, sur l’interventionnisme.

Le projet communautaire de ville veut mobiliser les habitants et, surtout, les élites locales

29Le conseil communautaire, dans la démarche de projet, veut « associer les ressources et les compétences », c’est-à-dire s’appuyer, au sein de la « société intercommunale », sur des forces socio-économiques suffisamment puissantes pour créer un rapport politique. L’objectif est d’avoir une base sociale d’action susceptible de peser sur l’évolution du territoire pour « combattre le développement inégalitaire de l’Île-de-France » et développer le territoire, grâce à l’implication et à l’engagement dans des structures ou institutions appropriées. Par ailleurs, il y a, très fortement présente, l’idée de l’exemplarité de la pratique mise en œuvre, à la fois au sein de l’intercommunalité, mais aussi par rapport à l’ensemble du monde politique.

30Le projet communautaire n’est pas une collection de projets de quartiers, ni même communaux. La mise en œuvre d’une démarche de projet et la façon dont les acteurs sont associés deviennent essentielles. Mais elle est confrontée à l’évanescence politique de la société intercommunale. En effet, c’est une posture difficile pour les habitants, qui ont déjà du mal, pour une très grande partie d’entre eux à se sentir dionysiens ou spinassiens, et à qui des élus demandent de devenir des « planéo-communards » ! D’autant que les relais classiques de l’action que sont les militants des appareils politiques locaux n’ont plus la puissance des années soixante (Marsaud, 1994). Ce décrochage de l’action militante est important, il peut aller jusqu’à une sorte d’incompréhension14. D’où le double choix de :

  • Développer la démocratie participative, afin de transformer la société civile en société politique. D’où des actions telles que les Assises de Plaine Commune (en 2001, 2003 et 2005) ; la mobilisation des conseils municipaux de chaque commune et la réalisation de référendums d’initiative locale pour l’adhésion à Plaine Commune ; l’utilisation des comités de voisinage et de quartiers pour examiner les enjeux et les atouts de l’intercommunalité ; la publication d’un journal mensuel et un site internet. Mais il s’agit d’une action qui s’inscrit dans la durée dont l’efficacité à court terme est encore incertaine.
  • Mobiliser les élites locales de diverses manières, car cela semble plus aisé, par la mise en place de structures telles que le conseil de développement de 80 membres appartenant à la société civile locale (entreprises, syndicalistes, personnalités), lieu de réflexion collective qui alimente les décisions du conseil, ou Plaine Commune Promotion, association d’entrepreneurs et d’élus. D’autres relais sont évoqués, comme le Forum social local, assemblée mondiale où l’on discute de problèmes locaux. Mais la question reste de trouver la manière d’associer le plus de personnes possibles à l’expression citoyenne et politique locale.

31Le problème des « outils de démocratie » est donc posé à l’action intercommunale. Comment peut-elle s’en doter et les utiliser au bon moment et au bon endroit, là où sont les habitants ? Par exemple, s’ils sont impliqués dans des loisirs sportifs, peut-il y avoir une dimension explicitement politique à cette activité ?

32Quoi qu’il en soit de ces limites, l’intercommunalité cherche à proposer un protocole pour l’action collective aux acteurs. C’est la reconnaissance du rôle éminent de la politique et, très spécifiquement, de celle fondée sur les valeurs et l’expérience acquise lors de la phase Plaine Renaissance de l’intercommunalité. En inscrivant son discours et sa pratique dans ce cadre, prolongement d’une expérience déjà longue, elle « incrémentalise » (Jouve et Lefèvre, 1999) son action et renforce sa position. Mais l’institution qui cristallise cette culture et mène l’action est jeune et fragile. Élue au second degré, sans réelle légitimité démocratique, comment peut-elle porter un projet et se placer dans les rapports entre acteurs politiques ?

Prendre du poids socio-financier pour se placer politiquement au centre des coalitions d’acteurs

33La stratégie du conseil communautaire consiste à rechercher une légitimation partielle – institutionnelle et financière – vis-à-vis des communes, afin d’être reconnu comme interlocuteur privilégié dans les négociations avec les autres collectivités locales et l’État, ainsi qu’avec d’autres acteurs socio-économiques (grandes entreprises mondiales, grands investisseurs et promoteurs immobiliers, mouvements de la société civile mondiaux ou nationaux), qui lui permettront en retour, d’assurer sa place au niveau de l’ensemble des acteurs locaux, et donc, de renforcer sa légitimité politique totale.

34À l’égard des communes, la Charte de fonctionnement du conseil communautaire (CC du 17 octobre 2002) prône une démocratie politique, et se veut significative des méthodes de travail en commun15. Mais c’est surtout financièrement que le conseil tente d’établir sa légitimité. Avec un budget 2004 respectable, 231 M€, dont 179 M€ de fonctionnement et 52 M€ d’investissement, une TPU (Taxe professionnelle unique) qui apporte 143 M€, la redistribution des ressources entre communes riches, essentiellement Saint-Denis, et les autres, est importante, au travers de divers mécanismes16.

35Au-delà, les transferts de compétences ont un caractère stratégique fort. D’où la portée de l’enjeu pour certains, comme le transfert de la totalité de la compétence aménagement (urbanisme et foncier). Il s’agit de donner à la communauté les moyens de travailler à l’ensemble des projets d’aménagement prévus pour les prochaines années. Si les maires et les conseils municipaux conservent la délivrance des permis de construire, c’est Plaine Commune qui les instruira pour que chaque opération urbaine s’intègre dans le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) qui fixe le cadre général s’imposant à tous. En dépit des précautions, cette politique se heurte à des oppositions. À la fois à propos des méthodes de la part des minoritaires, qui reprochent un comportement non démocratique17, et sur le risque de perte d’autonomie des communes, particulièrement ressenti lors des derniers transferts de compétences18. D’ailleurs, deux villes membres, Épinay (UDF/UMP) et Aubervilliers (PC/PS/Verts), ont choisi de rester en retrait, en ne déléguant pas leur droit de préemption.

36Mais l’action du conseil de communauté s’inscrit parmi d’autres. C’est à la fois une stratégie, car elle lui donne de la légitimité, et une méthode, car la coopération devient un mode d’organisation de la production, y compris pour ce qui concerne l’action de régulation. Parmi les institutions il y a tout d’abord l’État. Son rôle politique a déjà été mentionné. Les derniers développements législatifs19 accentuent la décentralisation. Son soutien se traduit financièrement, par la dotation d’intercommunalité (7,7 M€ en 2004)20 et, plus globalement, dans le cadre du Contrat de plan État-région 2000-2006, qui à partir des « zones stratégiques21 » du SDRIF 1994, sous l’impulsion du conseil régional, a défini dix « territoires prioritaires », dont un concerne Plaine Commune. L’articulation avec le conseil régional se fait de multiples manières, comme c’est aussi le cas avec le conseil général du département. Enfin, l’Union européenne est un acteur de plus en plus mobilisé22. Les coalitions avec ces instances, bien que définies institutionnellement, sont assez complexes. Plaine Commune avec bientôt 350 000 habitants pèse d’un poids respectable. Mais c’est un argument un peu dangereux à l’égard des autres collectivités, même avec la présence d’élus communautaires, qui y relaient ses choix.

37Parmi les acteurs de la société civile, le conseil est particulièrement attentif au fait de tisser des liens avec le monde de la production. Même si c’est plus compliqué d’associer le monde du travail à la production de la ville, en particulier les entreprises, car elles n’ont pas les mêmes objectifs.

38En définitive la question se pose de savoir comment faire converger les différents acteurs sur un projet partagé. Il semble qu’il y a une sorte de segmentation de la stratégie. Avec les grandes entreprises, il s’agit essentiellement de fournir un immobilier moderne, un espace de qualité, sécurisé et bien desservi. Par contre, les PME/TPE, au même titre que les habitants, doivent pouvoir bénéficier du processus de redistribution. Ainsi, en 2004, le taux de la TPU augmente de 19,98 % à 20,3 %, mais les élus décident de réduire de 15 % la cotisation payée par les plus petits contribuables, comme les petits commerçants.

39Si Plaine Commune est une communauté de projet, en même temps qu’une coopérative de communes, c’est aussi une communauté de gestion, car l’une des raisons de l’intercommunalité est la recherche d’économies d’échelle dans l’investissement et surtout le fonctionnement des institutions locales.

Plaine Commune dispose d’outils techniques compétitifs, reconnus par les acteurs professionnels et administratifs

40Les services de Plaine Commune, avec le transfert des compétences et d’une partie du personnel communal, dépassent désormais le millier de personnes. Ils fonctionnent comme bureau de réflexion et d’étude et comme services opérationnels (voirie, collecte, entretien des espaces verts, etc.). La plus grande partie du personnel provient d’organismes existants. Par ailleurs, des structures opérationnelles participent à la mise en œuvre de l’action. Les plus importantes sont la SEM Plaine Développement et, récemment, l’OPAC communautaire qui gérera, dès 2005, plus de 20 000 logements, sans compter le parc locatif de La Courneuve.

41Comment concrètement se construit l’action collective ? À travers quels projets et quelles actions se produit le territoire intercommunal ?

CONSTRUIRE L’ACTION COLLECTIVE : UN ÉQUILIBRE QUI SE CHERCHE ENTRE LUTTES ET COMPROMIS ?

42Le conseil communautaire utilise l’espace comme valeur patrimoniale mais aussi comme moyen d’intervention pour construire une identité et s’ériger en tant qu’acteur global. Cette stratégie s’opérationnalise et s’applique à la production de la ville au travers des choix du projet urbain du Schéma de cohérence territoriale (SCOT), de la politique économique et d’insertion, de dynamisation des équipements publics, en particulier d’enseignement et de recherche, et sociaux. Il est intéressant d’analyser, à propos de chacun d’entre eux, avec quels acteurs et comment se nouent les compromis, et en quoi l’intercommunalité modifie la donne concernant les capacités collectives d’action.

Le projet urbain du SCOT : utiliser l’espace pour intégrer la diversité et la valoriser

43Son objet est de dépasser la vision actuelle du territoire comme juxtaposition de projets, pour « proposer une approche cohérente et communautaire du développement futur ». C’est un outil essentiel dans la mise en place du projet de territoire. Bien qu’en phase de démarrage, quelques grandes lignes apparaissent.

44Le document veut mettre en place une politique d’organisation de la structure urbaine en renforçant la qualité et l’attractivité des centres villes23, en accompagnant le maillage des lignes de transports collectifs de requalifications urbaines significatives, et, en favorisant le renouvellement urbain, intégrer les divers espaces. Il se propose de développer la constructibilité du territoire, de favoriser la mixité fonctionnelle et sociale et de valoriser l’espace public.

45Le projet urbain est très offensif. Il n’est pas sans rappeler celui développé dans le cadre de Plaine Renaissance et des projets du GIE Hippodamos 93 d’un urbanisme de relations destiné à « recoudre » les territoires, requalifier la ville, développer les projets environnementaux, tout en utilisant l’urbanisme opérationnel des zones d’aménagement concerté (ZAC).

46L’idée de base est de s’appuyer sur une « politique de développement généralisé » de la Plaine Saint-Denis (qui concerne principalement le Sud de Saint-Denis et l’Ouest d’Aubervilliers), afin de réduire l’écart avec la dynamique économique et la dynamique sociale des espaces de l’arc Nord (d’Épinay à La Courneuve, en passant par Villetaneuse, Pierrefitte et Stains), tout en offrant aux habitants et aux salariés qui viennent travailler un parcours résidentiel diversifié allant du logement social à l’accession. Par ce choix de redistribution de la « valeur territoriale », le conseil communautaire, s’il se concilie tous les conseils municipaux et rencontre l’intérêt de l’ensemble des acteurs de la filière du génie urbain en apportant de l’activité24, risque d’entrer en conflit avec la régulation régionale de l’État et de la région, ainsi qu’avec les habitants.

47La Plaine Saint-Denis, depuis les années 2000, sous l’impulsion de la SEM Plaine Développement, est le territoire francilien le plus dynamique en matière d’investissement d’immobilier d’entreprise25. Jusqu’en 1999, seuls les investisseurs-risqueurs étaient présents. Désormais, ce sont les investisseurs institutionnels, plus prudents du fait de leur statut mais susceptibles d’occuper les locaux – comme Générali – qui viennent en nombre. À bien des égards, il apparaît, sur un registre différent de La Défense, comme un quartier d’affaires, où le logement à plus de mal à sortir. Ce qui est en contradiction avec les termes de la convention ville de Saint-Denis-État qui établit un ratio de 1,12 m² de logements pour 1 m² de bureau, dont 60 % de logements en accession et 40 % en location. L’objectif est de lisser l’opération de bureau. Ainsi, la « jauge logement » (Bernard Dubrou, service immobilier de Plaine Commune) définit le rythme de construction de bureaux. Toutefois, la mise en place de Plaine Commune rend nécessaire la rénovation de la convention, afin qu’elle porte sur toute l’intercommunalité, puisqu’avec la communauté d’agglomération et l’instauration d’une TPU, il est désormais possible de spécialiser les territoires. Par exemple, l’accession à la propriété fonctionne très bien à Épinay ou Pierrefitte, alors que l’immobilier de bureau n’y a que peu de potentialités actuellement. Une part importante des 500 000 m² d’offre foncière disponible pour des zones d’activités économiques ou du logement est dans l’arc Nord26.

48Cette politique dynamique de renouvellement de la ville en bordure de Paris et de construction sur les zones peu denses risque de ne pas rencontrer l’adhésion des habitants, inquiets de l’augmentation des prix immobiliers et des ruptures dans leur cadre de vie et qui peuvent ne pas se sentir concernés par les nouveaux emplois qui arrivent.

Des enjeux majeurs du projet social : l’économique et l’insertion

49L’un des grands problèmes de l’intercommunalité est autant l’insuffisance de l’emploi, qu’exprime le haut niveau du taux de chômage, que son inadéquation aux qualifications des actifs résidents. Il se combine à la faiblesse des ressources fiscales entreprises pour toutes les communes, sauf Saint-Denis et La Courneuve. D’où l’enjeu majeur qu’est pour le conseil la capacité d’y apporter des réponses.

50La politique d’offre urbaine de la Plaine Saint-Denis a eu suffisamment d’attractivité pour faire récemment venir les établissements des firmes globales, et conserver en partie celles qui y étaient implantées. Les retombées sont extrêmement positives en termes d’emplois très qualifiés, de ressources et d’entraînement économique sur diverses entreprises locales. Mais la plupart de ces établissements ne craignent rien tant que l’institutionnalisation dans un territoire, même s’ils sont intéressés par les externalités qu’il peut apporter. La question à l’égard de ces acteurs est de savoir comment faire pour que les interrelations productives et de recherche qu’ils veulent (Veltz, 2002) – l’encastrement – puissent être en partie fournies par les acteurs du territoire de Plaine Commune et non pas uniquement par ceux de l’espace métropolitain global. La réponse en terme d’entreprise citoyenne, bien qu’intéressante, a montré ses limites. Alors, c’est probablement par la mise en place d’une véritable politique industrielle intercommunale que peuvent se créer des dynamiques locales.

51Le développement territorial est une affaire compliquée (Vanier, 1999) et la tradition locale n’est pas toujours de favoriser les entreprises. Pourtant, des initiatives telles que le Pôle audiovisuel croisant les entreprises, les institutions de recherche et de formation de la grappe technologique, sans enfermer la vision dans un pré carré local, sont de celles qui offrent le plus de perspectives, dans la mesure où elles apportent des externalités positives à tous les acteurs entrepreneuriaux, salariaux et académiques. Même si elles peuvent susciter le débat, elles ont le mérite de se placer dans une problématique extrêmement riche : celle du système productif. Elles permettent de réfléchir sur le rapprochement entre emplois et compétences, et contribuent ainsi à réduire la cassure avec les entreprises plus petites, souvent placées sur les secteurs d’activités les plus traditionnels, et avec les salariés moins qualifiés en les incorporant dans la dynamique. Car le conseil doit pouvoir apporter des réponses à l’enjeu crucial que représente la difficulté d’embauche des jeunes issus du territoire.

52Dans le prolongement d’actions mises en œuvre par la première intercommunalité, le conseil développe des structures facilitant la création d’entreprises (MIEL-Maison de l’initiative économique locale), l’insertion professionnelle et d’emploi, et favorise le rapprochement de l’offre et de la demande par des rencontres directes entre les entreprises locales et les (futurs) actifs27. À partir de ce qui est engagé au niveau des villes, le transfert de cette compétence en juin 2004 va lui permettre de réaliser un Plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE). Dans le même sens, toutes les missions locales du territoire seront mises en réseau.

53Au total, dans le champ économique, la dimension spatiale reste importante. Polariser le développement sur la seule partie actuellement dans le marché métropolitain est naturel, mais ce choix de « division spatiale du développement » n’est pas viable à moyen terme.

54Il rejette les petites entreprises et les habitants à capacité d’enchère insuffisante sur les marges où, justement, le système productif est essentiellement résidentiel, c’est-à-dire très peu dynamique. D’où la nécessité de travailler à incorporer toutes les communes et en particulier celles de l’arc Nord dans le projet territorial, par une politique d’infrastructures de transports, d’équipements sociaux et d’immobilier d’entreprise et d’habitat.

L’immobilier, le logement, les infrastructures et les équipements à l’aune des choix métropolitains

55L’articulation des choix régionaux et intercommunaux dans la stratégie d’aménagement du territoire intercommunal est un élément essentiel de l’action (figure 2).

56Dans cette problématique les infrastructures, en structurant les mobilités et favorisant les relations, ont un rôle déterminant à une double échelle : en incorporant aux enjeux métropolitains le territoire de Plaine commune et, en particulier, les espaces marginalisés de l’arc Nord ; en intégrant les différents isolats, expression de la fragmentation de la structure urbaine (cf. supra). La rocade ferroviaire tangentielle nord d’une part et les tramways nord-sud de Saint-Denis-Pierrefitte-Sarcelles et de Saint-Denis-Épinay-Villetaneuse, nécessaires à l’intégration intra-régionale et intercommunale, ne peuvent être réalisés sur le budget de Plaine Commune. Ils sont inscrits dans le Contrat de plan État-région actuel. Ils vont permettre de lancer de grandes opérations mixant activités, logements et équipements, susceptibles d’offrir aux entreprises, aux habitants et aux salariés un parcours résidentiel diversifié.

57En effet, des PME industrielles ou de services, installées depuis longtemps dans la très proche couronne, recherchent, pour de multiples raisons, des implantations pas trop loin de leur bassin économique et salarial. Des opérations de locaux d’activités, dans ces espaces où les charges foncières sont moins élevées, peuvent être une solution intéressante, car elle ne désorganise pas le système productif. De la même manière, ces opérations sont susceptibles d’offrir différents types de logements. Le Programme local de l’habitat (PLH) se propose de mettre en œuvre une politique diversifiant le parc de logement actuellement trop marqué par l’habitat social locatif. Les opérations en Grand projet de ville (GPV) couvrent un territoire très vaste. Elles s’inscrivent dans une déjà longue action de la politique de la ville.

Figure 2 : La Plaine Commune. Projet d’aménagement

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58© Marcel Rousset-Deschamps : LARIA /ATIR/CRETEIL d'après EPCI Plaine commune Cartographie : Marandola M. université Paris XII

59Enfin, les grands équipements publics tels que des centres de recherche et de formation sont indispensables pour créer de l’espace public. Leur mise en œuvre était difficile dans le cadre communal, du fait d’intérêts divergents entre les communes. Le changement d’échelle ouvre de nouvelles opportunités. Un bon exemple est celui de la zone d’aménagement des Tartres à cheval sur les communes de Pierrefitte, Saint-Denis et Stains à proximité de l’université Paris VIII. Elle était bloquée depuis longtemps. L’implantation d’une partie des Archives nationales et la dynamique introduite par l’intercommunalité ont permis le lancement de l’opération.

60Ainsi, cette politique d’aménagement ne peut que s’inscrire à l’échelle de la région Île-de-France compte tenu de l’ampleur des besoins et des financements. Ce partage des investissements est naturel, puisqu’il s’agit d’équipements d’échelle métropolitaine. Il a par ailleurs l’avantage de positionner le conseil communautaire en interface entre les habitants et les élus communaux, qui désirent que ces équipements arrivent, et les financeurs de l’État et du conseil régional, qui doivent arbitrer entre projets. À cet égard, la campagne de mobilisation que le conseil d’agglomération mène actuellement, à propos des cinq projets d’infrastructures qui figurent au Contrat de plan État-région, dont il craint que les engagements ne soient pas tenus, est révélatrice.

CONCLUSION : COMMENT FAIRE PLUS DE POLITIQUE AVEC MOINS DE POLITIQUE ?

61Au terme de cette analyse quelques éléments émergent. Tout d’abord, l’intercommunalité de Plaine Commune s’inscrit dans un mouvement qui a débuté au niveau régional, dès le début des années quatre-vingt, et a pris son essor localement en 1985. Cela confirme que la durée et la permanence dans les objectifs sont des éléments indispensables pour la construction d’un projet de ville, y compris lorsqu’il concerne un espace intramétropolitain d’une ville mondiale.

62Par ailleurs, le conseil communautaire donne à son projet d’aménagement intra-urbain une dimension vraiment territoriale, c’est-à-dire globale et multidimensionnelle. La banlieue n’est plus l’espace « brownfield », indifférencié, du Schéma directeur régional. Elle ne veut plus se définir contre, par rapport au centre, mais pour elle-même, avec un projet qui s’appuie sur la mise en œuvre de ressources propres suffisamment puissantes, et qui se construit dans le partenariat. C’est un puissant élément de modernité et de dynamisme intra-métropolitain qui tient compte de la diversité des territoires qui composent la métropole, mais qui paraît encore beaucoup trop sous-estimé.

63Par contre, le risque réside dans une ambition politique trop vaste, qui tourne à vide, parce que la « société locale », même réduite aux élites, n’a pas socialement les forces suffisantes pour potentialiser les capacités et gérer des coalitions d’acteurs efficaces. Politiser l’action pour construire une identité locale alors que la société politique locale est faible est une stratégie sans doute indispensable et riche de perspectives mais très difficile à mettre en œuvre. La géographie sociale rencontre la géographie politique.

64D’autant que la puissance des forces métropolitaines, qui s’expriment, par exemple, dans l’immobilier d’entreprises et les implantations de sièges de grandes firmes mondiales, semble déterminer une partie importante des caractéristiques de l’évolution socio-économique et urbaine actuelle.

65La stratégie d’évitement spatial – le Sud de Plaine Commune dédié aux activités et à des logements en accession, le Nord bénéficiant de la redistribution par une politique d’équipement, de logement et de développement de l’emploi résidentiel – permet de réduire les tensions. Mais est-elle tenable dans la durée ? D’autant que, par le haut, le projet territorial régional indispensable pour la mise en œuvre d’une politique redistributive, risque de pâtir d’un certain désengagement de l’État, non compensé par un surcroît d’efficacité du conseil régional. Mais là, le problème change d’échelle. Il concerne le gouvernement des métropoles pour lequel la stratégie francilienne est encore à élaborer.

Notes de bas de page

1 mailto:rousset.deschamps@wanadoo.fr

2 Communauté d’agglomération qui regroupe Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte, Saint-Denis, Stains et Villetaneuse, et depuis le 1er janvier 2005, La Courneuve. Elle publie le mensuel En Commun, utilisé ici. Je remercie les techniciens, les élus, les entreprises et les habitants qui ont bien voulu me consacrer du temps.

3 Du 1er janvier 2000 au 1er janvier 2004, le nombre des communautés de communes passe de 18 à 51, les communautés d’agglomération de 4 à 24 et les syndicats d’agglomération nouvelle de 7 à 4. Ces regroupements concernent 4,14 millions d’habitants, soit 37,2 % de la population et plus, si Paris n’est pas pris en compte. Source : IAURIF, 2004.

4 Loi du 12 juillet 1999 relative à l’organisation urbaine et à la simplification de la coopération communale.

5 Saint-Ouen qui était signataire de ce document ne participe pas actuellement à Plaine Commune.

6 Le conseil communautaire est composé de 19 élus du parti communiste, 11 du parti socialiste, 6 du parti des verts, 1 élu du mouvement social, 1 du mouvement des citoyens, 11 UMP/UDF et 2 élus sans étiquette.

7 Auquel il faut ajouter le parc social de fait. 70 % de l’offre globale disponible sur le territoire intercommunal est constituée de logements sociaux ou aidés.

8 Plaine commune a un solde positif des migrations de travail avec le reste de la Seine-Saint-Denis (3 600 emplois), le Val d’Oise (10 000) mais négatif avec les Hauts-de-Seine (-4 000) et Paris (-16 000).

9 Épinay, assez peuplée mais avec très peu d’emplois et La Courneuve, moyennement peuplée, mais avec des emplois, sont un peu à part.

10 Cartes réalisées sous Géoconcept par Tanguy Siove, étudiant du Master Géomarketing et stratégies territoriales des entreprises et des institutions publiques. Afin de travailler à la bonne échelle urbaine, l’IRIS, unité spatiale infracommunale qui regroupe plusieurs îlots a été utilisée. À cette échelle, la population active au lieu de résidence est celle ayant un emploi. Ceci biaise l’analyse, car la population disponible à la recherche d’un emploi (chômeurs) n’est pas prise en compte. Or celle-ci comporte une proportion plus importante d’actifs moins qualifiés d’où une surreprésentation des catégories sociales les plus qualifiées.

11 Jean-Pierre Dayras, directeur des services de l’EPCI Plaine Commune, En commun, n° 5, décembre 2003.

12 Le maire de Saint-Denis, lors d’un débat public tenu le 7 septembre 2004, à l’occasion du lancement de l’élaboration du SCOT.

13 Le « territoire pour assurer son équilibre, la diversité de ses fonctions, la mixité sociale, tout en préservant l’avenir, dans un souci d’une utilisation économe et équilibrée de l’espace ». En Commun, n° 8, février, 2004.

14 Un intervenant, lors du débat public du 7 septembre 2004, soulignait combien il est « difficile, pour les moins pauvres, de comprendre les préoccupations des plus pauvres ».

15 « La communauté d’agglomération entend fonctionner en une véritable intercommunalité (à différencier d’une “supra-communalité”), respectueuse de chacune de ses entités communales, ancrée dans la réalité sociale des villes, fonctionnant dans une dynamique coopérative et participative à tous les niveaux. » Source : Charte.

16 La communauté d’agglomération assure à chaque commune, une dotation de compensation égale au produit de TP que percevait la commune l’année précédant l’instauration de la fiscalité communautaire diminuée du montant de charges nettes transférées au groupement et verse à chaque commune une dotation de solidarité sur la base des critères décidés par le conseil de la communauté. Ces critères tiennent compte, notamment, de l’importance de la population, du potentiel fiscal par habitant et de l’importance des charges des communes membres.

17 « L’exécutif avait pris l’engagement moral selon lequel aucune décision majeure ne serait prise sans l’accord de toutes les majorités municipales. Nous refusons de subir ces décisions imposées au mépris des règles de démocratie locale », Groupe UDF/UMP, En commun, n° 2, septembre 2003.

18 « Nous y sommes totalement défavorables en l’état actuel, tant ils nous paraissent porteurs de risques majeurs pour nos communes et nos riverains : absence de stratégie globale et évaluation insuffisante des conséquences financières et organisationnelles de ces transferts ; risque d’un éloignement croissant entre la décision et le terrain, sur des sujets sensibles qui nécessitent une grande proximité et une parfaite connaissance des besoins ; alourdissement prévisionnel très conséquent du budget communautaire », Groupe UDF/UMP, En commun, n° 3, octobre 2003

19 Loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, publiée au journal officiel le 17 août 2004.

20 Un tiers de la TPU est payé par l’État au titre de la compensation des allègements de taxe octroyés aux entreprises.

21 Cette dénomination signifie que les divers acteurs publics, et donc, l’État et la région, s’impliquent d’une manière préférentielle dans le financement des équipements, des infrastructures, des politiques du logement, etc.

22 L’intercommunalité bénéficie de l’objectif 2, Reconversion économique et sociale des zones en difficultés, l’enveloppe pour 2000-2006 concerne 27 communes et 500 000 franciliens.

23 Certaines déclarations sont un bel hymne à l’offre de centralité : « Les centres-villes des sept communes constituent des pôles majeurs d’intervention. Ils constituent le cœur historique de la vie et de l’identité de nos villes, éléments de cohésion du territoire intercommunal. Ces quartiers centres de nos villes jouent en effet un rôle majeur dans le dynamisme du territoire et de son attractivité économique, sociale, culturelle et touristique ; vitrines des villes, ils constituent des raisons de fierté et de reconnaissance des habitants. » Jean-Pierre Dayras, op. cit.

24 Cela concerne aussi les entreprises locales. Lors de la construction du stade de France une charte avait été signée qui prévoyait qu’une partie des marchés leur était réservée. Elle stipulait une embauche préférentielle d’actifs locaux sur les chantiers. Sa mise en œuvre a été difficile, compte tenu des politiques des majors du BTP.

25 Il ne s’agit pas ici d’en expliquer les raisons. Elles le sont particulièrement bien dans les études de la Division immobilier de Plaine Commune.

26 Stains a la plus forte disponibilité (205 000 m²) suivi de Saint-Denis (90 000 m²), l’Île Saint-Denis (79 000 m²) Aubervilliers et Villetaneuse (chacune 6 0000 m²). Source : Division immobilier de Plaine Commune.

27 Dans le genre du Forum pour l’emploi organisé à Aubervilliers en 2003.


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