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L’Union démocratique bretonne

 | 
Tudi Kernalegenn
, 
Romain Pasquier

Première partie. L’UDB et l’espace politique du régionalisme

Militantisme et régionalisme. Étude comparée de deux « petits » partis : l’UDB et le PSdAZ

Carlo Pala

Texte intégral

  • 1 De Winter L., « Conclusion: a comparative analysis of the electoral, office and policy success of e (...)
  • 2 Dandoy R., « Ethno-regionalist parties in Europe : a typology », Perspectives on Federalism, 2 (2), (...)
  • 3 Delwitt P. (dir.), Les partis régionalistes en Europe. Des acteurs en développement ?, Bruxelles, É (...)
  • 4 De Winter L., Gomez-Reino M., Lynch P. (dir.), Autonomist Parties in Europe. Identity, Politics and (...)

1S’intéresser aux partis ethnorégionalistes en Europe suppose tout d’abord de prendre connaissance des typologies construites pour expliquer leurs développements et leurs stratégies. Dans la littérature qui leur est consacrée, on peut ainsi repérer une première typologie basée sur les objectifs et les buts que ces partis tentent d’atteindre1. On parle ainsi de partis ethnorégionalistes protectionnistes visant à protéger la langue et la culture régionale, ou encore de partis autonomistes, indépendantistes ou irrédentistes. Une typologie ultérieure cherche, quant à elle, à classer les partis ethnorégionalistes en fonction des demandes de modification du système politique existant (modification faible, moyenne ou forte2). Une fois la reconnaissance de la famille ethnorégionaliste des partis politiques obtenue3, les recherches ont davantage porté sur des études comparatives de plus en plus larges visant à analyser l’impact électoral et l’influence institutionnelle multiniveaux de ces partis4.

2Cependant, ces travaux oublient souvent que la majorité de ces partis sont des formations minoritaires qui parviennent rarement à des situations de pouvoir à l’échelle régionale ou nationale, ou alors de manière épisodique, se limitant le plus souvent à survivre dans le système partisan régional. Si la famille ethnorégionaliste a souvent attiré l’attention des politologues dans des contextes de violence politique ou des cas exceptionnels de gouvernement de longue durée (Catalogne, Écosse), la plupart de partis ethnorégionalistes européens n’opèrent pas dans des situations comparables. Souvent faibles sur le plan électoral, ces partis luttent pour exister, gagner ou conserver une représentation politique.

  • 5 Pour le PSdAZ, voir Cubeddu S. (dir.), Sardisti. Viaggio nel Partito Sardo d’Azione, tra cronaca e (...)
  • 6 Cf. Pasquier R., « The Union démocratique bretonne : the Limits of Autonomist Party Expression in (...)
  • 7 Les données que nous mobilisons ici sont issues de notre thèse de doctorat. Cf. Pala C., I Partiti (...)

3Ce chapitre compare donc deux « petits partis », l’Union démocratique bretonne (UDB) et le Parti sarde d’action (PSdAZ) qui, bien qu’évoluant dans deux régions à fort potentiel identitaire, la Bretagne et la Sardaigne, ne parviennent pas à jouer un rôle politique de premier plan. L’enjeu est donc de comprendre cette faiblesse durable. Pour cela, nous développerons une vision « internaliste » de ces partis. Nous ne nous arrêterons pas ici sur leur histoire5 ni sur leur influence électorale6, nous essaierons plutôt de mettre en évidence leur organisation interne, la culture politique des militants, en particulier leurs attentes vis-à-vis des programmes politiques des leaders et des rétributions attendues du militantisme7.

Les modèles d’organisation du PSdAZ et de l’UDB

  • 8 Panebianco A., Modelli di partito. Organizzazione e potere nei partiti politici, Bologne, Il Mulino (...)

4Il y a plus de 30 ans, Panebianco8 affirmait déjà que les partis politiques devaient d’abord être étudiés sous l’angle interne. Si l’on suit cette perspective, l’UDB et le PSdAZ sont très différents. En effet, l’organisme dirigeant de l’UDB est le bureau politique (BP). Composé de 28 membres (14 désignés par le congrès du parti et 14 représentants les 7 fédérations), le BP est l’organe exécutif de ce parti. C’est à lui que revient la tâche de mettre en œuvre la stratégie arrêtée par le congrès. Sa composition large lui donne tout à la fois une représentativité territoriale et politique des différentes tendances. La figure du leader est totalement absente. Le BP désigne simplement un porte-parole pour être l’expression du parti à l’extérieur. Ajoutons enfin que n’importe quel militant peut assister à (presque) chaque réunion du BP. Cependant, il existe au sein du BP un secrétariat général, composé de cinq responsables et du secrétaire du BP, qui a pour mission de gérer les affaires courantes et de prendre les décisions urgentes.

5À l’opposé, le PSdAZ dispose de deux organes de direction : le conseil national et la direction nationale. Cette dernière est le véritable « exécutif » du parti, comparable en terme de fonctions au BP de l’UDB. Le conseil national est, quant à lui, la structure la plus collégiale qui a pour mission d’élaborer et de définir la ligne politique exprimée lors du congrès tous les trois ans. En terme de leadership, l’organisation du PSdAZ est originale avec un double leadership, tous les deux très importants pour le fonctionnement interne et externe du parti. Ses leaders, le président et le secrétaire national, convoquent et dirigent à la fois le conseil et la direction. Le président est le principal responsable du respect des normes statutaires, il dirige le conseil en fixant l’ordre du jour et en convoquant le congrès. Le secrétaire national, quant à lui, est élu par le conseil après le congrès. Responsable de la ligne politique du parti, il exerce les fonctions de coordination et de direction de tous les organismes du parti en interne et en externe.

  • 9 Pasquier R., « L’Union démocratique bretonne ou les limites de l’expression partisane autonomiste e (...)

6Nous sommes donc en présence ici de deux modèles organisationnels distincts que l’on pourrait qualifier de collégial pour l’UDB et de personnalisé pour le PSdAZ. Les logiques sont tout à fait opposées. Le BP de l’UDB désigne un porte-parole mais celui-ci n’est qu’un primus inter pares, qui a les mêmes devoirs et droits que les autres membres du BP. Ce modèle a sans doute limité l’émergence d’un leader au sein de l’UDB avec lequel les citoyens-électeurs auraient pu s’identifier sur la longue durée9. De ce point de vue, en termes de philosophie politique, l’UDB est plus proche d’une conception de démocratie participative où le simple militant est en position de contester le porte-parole et de participer au BP en fixant son propre ordre du jour et en le faisant voter. La représentation militante est donc la colonne vertébrale de la philosophie de l’UDB. Au contraire, le PSdAZ se caractérise par une organisation personnalisée sous la responsabilité et les pouvoirs de deux leaders du parti. Ce circuit représentatif crée un « surdimensionnement » des charges du président et du secrétaire national, lesquels centralisent l’essentiel des ressources réglementaires et politico-idéologiques du parti. Ce double leadership influence et détermine les décisions stratégiques du parti ainsi que les alliances électorales. Ainsi, pour les deux leaders du PSdAZ, la maximisation des charges et le maintien du pouvoir dans l’organisation deviennent leur véritable objectif. Ainsi, ce qui est perçu comme « dangereux » pour l’organisation interne de l’UDB, en particulier la personnalisation du pouvoir, est le fondement de l’activité du PSdAZ.

La culture politique des militants

  • 10 Lipset S., Rokkan S., « Cleavage Structures, Party Systems and Voter Alignment: an Introduction », (...)

7Le positionnement dans l’espace gauche-droite est très important pour connaître non seulement les militants et leur « vision du monde » ; mais aussi analyser les préférences idéologiques des militants et ainsi décoder certaines stratégies d’alliance. Aucune étude n’indique que le clivage droite/gauche soit un clivage aussi pertinent que le clivage centre/périphérie pour les militants régionalistes, la plupart de ces formations se situant à gauche ou au centre-gauche10. Cependant, notre enquête montre qu’entre ces deux partis, les positions politiques peuvent diverger profondément.

Tableau 1 – Position sur l’espace politique gauche-droite des militants du PSdAZ et de l’UDB.

UDB ( %)

PSdAZ ( %)

Gauche

54,6

19,7

Centre-gauche

42,2

45,6

Centre

3,2

25,9

Centre-droit

-

6,1

Sans réponse

-

2,5

Total

100,0

100,0

  • 11 Pala C., I Partiti etnoregionalisti in Italia e in Francia: il caso dell’Union démocratique bretonn (...)
  • 12 À l’heure d’écrire ces lignes, le PSdAZ a décidé d’abandonner cette alliance en vue des régionales (...)

8Le tableau 1 montre que si les militants udébistes et sardistes ne se retrouvent pas dans un positionnement à droite de l’échiquier politique, il apparaît que les sensibilités politiques sont bien plus larges du côté du PSdAZ. Au sein de ce parti, on retrouve aussi bien des socialistes, des libéraux que des démocrates-chrétiens11. Ainsi, presque la moitié des sardistes (45,6 %) se situent au centre-gauche contre 25,9 % au centre, 19,7 % à gauche et 6,1 % au centre-droit. Presqu’un tiers des répondants se situent au centre ou au centre droit (32 %). Cette option, bien que minoritaire, démontre une position « idéologique » plus modérée en dépit de proclamations indépendantistes croissantes ces dernières années. Si la gauche est devenue majoritaire dans le PSdAZ dans les années 1970-1980, ce parti est avant tout un parti interclassiste à même d’unifier des tendances idéologiques diverses au nom du combat pour la Sardaigne. Ce positionnement engendre parfois des tensions internes fortes. Ainsi, lors des dernières élections régionales, le PSdAZ a fait le choix de s’allier avec le centre-droit, pour la première fois de son histoire, ce qui a provoqué la scission d’une partie de l’aile gauche12 du parti. À l’UDB, la situation est tout à fait différente. La majorité absolue des interviewés (54,6 %) déclare se sentir de gauche, 42,2 % du centre-gauche, seuls 3,2 % déclarant appartenir à l’espace politique du centre. L’UDB confirme ainsi pleinement un membership ancré décidément à gauche. La création en 1964 de ce parti dans une ambiance de gauche anticolonialiste et marxiste semble avoir tracé le positionnement stratégique et idéologique du parti, bien qu’un certain aggiornamento idéologique ait été opéré depuis lors.

Tableau 2 – Connaissance de la langue sarde/bretonne.

Tableau 2 – Connaissance de la langue sarde/bretonne.

9Pour des militants ethnorégionalistes, la langue minoritaire est un aspect très important de la mobilisation politique. En effet, la langue représente un des véhicules majoritairement utilisés pour la propagande et l’activité programmatique des forces ethnonationalistes. La langue et la culture sont ainsi des priorités pour la plupart des mobilisations ethnorégionalistes, qui sont souvent nées pour défendre une langue vernaculaire menacée. Mais les militants connaissent-ils la langue qu’ils entendent défendre ? Cette question, sans doute superflue pour certaines régions européennes, comme la Catalogne par exemple, est au contraire significative pour les Sardes et Bretons comme l’illustre le tableau 2.

10Ainsi, on observe que 17,5 % des udébistes interrogés déclarent ne pas connaître du tout le breton : ils ne le parlent ni le comprennent. Trois éléments d’explication ici : tout d’abord le travail de sape de la politique d’unification linguistique menée par l’État central français depuis la Révolution française ; ensuite la division linguistique de la Bretagne entre sa partie bretonnante et sa partie gallèse qui a contribué à une diffusion partielle du breton dans l’espace politique régional ; enfin l’origine celtique de la langue bretonne qui contribue à son isolement dans un espace linguistique dominant d’origine latine. Cependant à l’opposé 26,8 % des militants interrogés déclarent parler et comprendre parfaitement le breton. Entre ces deux extrêmes, plusieurs groupes comprennent ou parlent plus ou moins bien le breton. Il y a donc au sein de l’UDB une fragmentation de la base militante quant à l’usage et la compréhension de la langue.

  • 13 Pala C., Sandri G., « La représentation politique des minorités linguistiques : une analyse comparé (...)

11La situation est assez distincte chez les sardistes. Bien que l’État italien ait également cherché à marginaliser l’usage du sarde, il n’a jamais atteint l’efficacité de la France républicaine. Ainsi, 67,9 % des militants sardistes parlent et comprennent parfaitement le sarde. Ce groupe est de loin majoritaire ce qui montre bien, là aussi, une différence par rapport aux militants de l’UDB. Ce contexte explique pourquoi la défense du sarde n’a jamais été la première revendication des fondateurs du sardisme13. Au moins jusqu’aux années 1970, la langue sarde n’est pas en péril, les Sardes étant une des minorités linguistiques parmi les plus nombreuse d’Europe. Pour les pionniers du sardisme même, il s’agissait au contraire de faire apprendre l’italien aux militants, langue alors presque méconnue ! Si bien qu’aujourd’hui en Sardaigne, la plupart des Sardes parlent et/ou connaissent leur langue.

Alliances électorales, rétributions et choix de politique publique

  • 14 Müller W. C., Strom K. (dir.), Policy, Office or Votes? How Political Parties in Western Europe mak (...)
  • 15 De Winter L, « Conclusion: a comparative analysis of the electoral, office and policy success of et (...)

12La stratégie des partis politiques n’est pas seulement orientée vers la conquête du maximum de voix possible aux élections. La littérature spécialisée converge pour mettre en évidence d’autres objectifs des organisations comme la recherche d’un consensus électoral autour d’alliances (vote-seeking), la rétribution des militants (office-seeking) ou encore la transformation des programmes en choix de politique publique (policy-seeking14). La stratégie partisane est donc très conditionnée par l’organisation mais également par le contexte dans lesquels les partis opèrent. Pour les partis ethnorégionalistes, l’ensemble de ces finalités dépend de la réorganisation de la structure du pouvoir national dans le sens d’un autogouvernement pour les régions périphériques15.

13Le tableau 3 nous permet d’avoir une première approche des préférences des militants udébistes et sardistes quant aux stratégies d’alliance lors des élections régionales.

Tableau 3 – Les préférences des militants UDB et PSdAZ pour la réalisation d’alliances aux élections régionales ( %).

UDB

PSdAZ

Convergence programmatique

30,9

36,8

Contrainte électorale

10,3

11,1

Seule avec les forces bretonnes/sardistes

3,1

13,6

Autonomie vis-à-vis des partis français/italiens

4,1

23,5

Obtenir des élus

23,7

-

Alliances seulement à gauche et jamais à droite

27,8

-

Gagner si alliés

-

7,4

Sans réponse

-

8,6

Total

100,0

100,0

14La raison principale avancée pour justifier la nécessité d’alliances est la convergence programmatique pour les udébistes (30,9 %) tout comme pour les sardistes (36,8 %). Dans les deux cas, le système électoral est perçu comme une contrainte qui « oblige » à s’allier pour entrer dans les institutions régionales (10,3 % des udébistes et 11,1 % pour les sardistes). En revanche, des différences sont repérables quant aux stratégies d’alliance à l’échelle régionale. À peine 3,1 % des udébistes répondent vouloir s’allier avec des forces bretonnes contre 13,6 % des sardistes. Cette donnée souligne un rapport différent à l’alliance avec des partis « nationaux ». Les militants de l’UDB sont seulement 4,1 %, à vouloir refuser toute alliance avec des forces politiques à dimension nationale contre 23,5 % des sardistes. Par ailleurs, l’exigence de s’allier pour obtenir des élus est choisie principalement par les udébistes (23,7 %). Plus dépendants des alliances avec les partis de gauche, en particulier le Parti socialiste, les militants UDB interviewés ont ainsi une vision moins autonome de la stratégie politique à mener que les sardistes.

15La rétribution du militantisme est une fonction classique des partis politiques, ces derniers récompensant l’engagement de leurs militants par l’obtention de postes dans les administrations publiques et les institutions qu’ils contrôlent. Le PSdAZ et l’UDB n’échappent à la règle mais, du fait de résultats électoraux modestes, ils ne sont en mesure de distribuer des postes qu’à leurs principaux dirigeants.

Tableau 4 – Est-il souhaitable que votre parti obtienne des charges publiques pour ses dirigeants ?

UDB ( %)

PSdAZ ( %)

Non, ils ont déjà une fonction dans le parti

2,1

16,0

Fondamentalement non, mais c’est à évaluer

3,1

44,4

Oui, mais cela dépend du dirigeant

38,1

27,2

Oui, toujours

54,6

11,1

Je ne sais pas/Ne réponds pas

2,1

1,2

Total

100,0

100,0

16Sur cette question sensible, les préférences sont très différentes entre les partis. Le tableau ci-dessus montre que les militants de l’UDB sont plutôt favorables à l’obtention de postes et de mandats pour les dirigeants : 54,6 % des udébistes, considèrent normal d’attribuer un poste ou un mandat électoral à un dirigeant. 38,1 % supplémentaires répondent positivement en fonction de l’identité du dirigeant concerné. Seuls 2,1 % excluent cette possibilité en considérant que le dirigeant a déjà un mandat au sein du parti et 3,1 % sont fondamentalement opposés. Situation inverse au sein du PSdAZ où 60,4 % des répondants jugent peu souhaitables qu’un dirigeant ait aussi une charge publique. 16 % y sont absolument opposés. Une explication possible réside dans le fait que l’UDB ayant une structure collégiale, les militants ne conçoivent pas d’opposition, à la différence des sardistes, entre mandat interne et mandat politique. Structure de direction plutôt collégiale, l’UDB ne présente pas, du point de vue des militants, de risque de conflits d’intérêt entre des mandats politiques internes et externes. Alors que dans le cas du PSdAZ, les militants estiment que le parti est en mesure de distribuer des mandats internes suffisamment prestigieux pour ne pas avoir besoin d’encourager une sorte de « cumul » de mandats.

  • 16 Par domaine politique nous entendons les dimensions éminemment partisanes de l’activité comme les (...)
  • 17 Ostrogorski M., La démocratie et les partis politiques, Paris, Fayard, 1993.

17Le tableau 5 souligne quant à lui les secteurs principaux dans lesquels les militants voudraient voir leur parti s’investir en priorité16. Pour la plupart des militants sardistes (65 %) et udébistes (60,8 %) les trois domaines (politique, économique et social) sont à investir de la même façon. Ainsi, du point de vue des militants, ces partis ne sont pas des organisations partisanes ad hoc mais bien des « partis omnibus » pour reprendre la belle formule de Moisei Ostrogorski17. Pour 19,6 % des militants de l’UDB, le domaine économique est prioritaire contre 6,3 % des sardistes. La relation est inverse dans le domaine culturel où 15 % des sardistes l’estiment prioritaires contre 5,2 % des udébistes

Tableau 5 – Les domaines à investir en priorité pour les militants de l’UDB et du PSdAZ.

Tableau 5 – Les domaines à investir en priorité pour les militants de l’UDB et du PSdAZ.

18Enfin, quant à la perception par les militants de l’influence des élus dans les politiques publiques, les résultats sont mitigés. Pour une majorité de militants (55,3 % pour l’UDB et 58,8 % pour le PSdAZ), les élus des partis influencent peu les politiques publiques locales ou régionales.

Tableau 6 – Les élus participent-ils à la définition des politiques publiques locales ?

Tableau 6 – Les élus participent-ils à la définition des politiques publiques locales ?

19Une vision négative domine également en ce qui concerne l’influence concrète de leurs élus dans la production de politiques publiques. Seuls 41,5 % des militants udébistes pensent que les élus de l’UDB arrivent à influencer assez ou beaucoup les politiques publiques locales ou régionales contre 36,3 % des sardistes. Ces résultats reflètent ainsi la trajectoire de deux partis qui ne disposent pas de leviers d’action suffisants pour convaincre leurs propres militants de leur efficacité concrète.

Le rapport à la communauté régionale

  • 18 À communauté nous préférons le concept anglais de polity, c’est-à-dire une communauté de citoyens (...)

20L’un des aspects les moins étudiés des partis ethnorégionalistes est le rapport des encartés (militants et leaders) à la communauté régionale18 (ou nationale). En effet, c’est souvent un désaccord sur la façon de défendre la communauté régionale qui peut pousser certains militants à abandonner leur parti ou à en changer. Nous avons donc demandé aux militants de préciser leur rapport à la communauté à laquelle ils appartiennent et pour laquelle ils s’engagent.

  • 19 L’option « plus italiens/français que sarde/breton » et celle « exclusivement italien/français », (...)

21Une première approche permet d’évaluer le sentiment d’appartenance des militants à la Sardaigne et à la Bretagne en leur demandant s’ils se sentaient « seulement breton/sarde, de la même manière breton/français et sarde/italien, plus breton que français et plus sarde qu’italien19 ».

Tableau 7 – Le sentiment d’appartenance des militants de l’UDB et du PSdAZ.

Tableau 7 – Le sentiment d’appartenance des militants de l’UDB et du PSdAZ.
  • 20 Cole A., Williams C., « Institutions, Identities and Lesser-used Languages in Wales and Brittany », (...)

22Dans les deux partis prévaut une position intermédiaire : 48,5 % des udébistes déclarent se sentir plus breton que français et 45,7 % des sardistes affirment être plus sardes qu’italiens. Le sentiment d’exclusive régionale est davantage ressenti par les sardistes (37 %) que par les udébistes (21,6 %). Ces résultats font écho à l’analyse de Cole et Williams20 qui attribuait la faible présence des partis régionalistes en Bretagne à une identité régionale forte mais pas forcément anti-française. Au sein du PSdAZ, au contraire, l’identité sarde est plus marquée.

  • 21 Pasquier R., « La régionalisation française revisitée : fédéralisme, mouvement régional et élites m (...)

23Cette différence d’attitude se retrouve quant à la revendication politique majoritaire des militants, en particulier leur rapport à l’autonomisme. Précisons d’emblée, que les mots autonomie et fédéralisme n’ont pas la même acception en Italie et en France. D’une certaine manière l’autonomie est la situation actuelle de la Sardaigne dans la mesure où celle-ci bénéficie d’un statut de région spéciale comme quatre autres régions italiennes. Alors qu’en France seules les régions d’outre-mer ou la Corse disposent de pouvoirs institutionnels élargis au regard du droit commun de la décentralisation. Ainsi, pour un sardiste, le mot autonomie renvoie à une situation stable alors que pour un udébiste il renvoie à une situation d’autogouvernement de degré supérieur. Quant au fédéralisme, il renvoie en Italie à un débat porté en particulier par la Ligue du Nord depuis les années 1990, qui contribue à envisager une Italie fédérale sur le modèle allemand ou belge. Même si ce débat a existé en France21, il est absent de la discussion politique contemporaine, en tout cas pour le moment.

Tableau 8 – Les revendications des militants UDB et PSdAZ.

Tableau 8 – Les revendications des militants UDB et PSdAZ.
  • 22 Pala C., « La Sardegna tra indipendentismo e autonomia finanziaria », dans Demuro G., Mola F., Rugg (...)

24Le tableau 8 montre les orientations des militants envers le devenir de la communauté régionale. Il n’est pas étonnant, au miroir de ce que nous venons de développer plus haut, qu’une grande majorité d’udébistes se déclarent plutôt autonomistes (69,1 %) contre 22,7 % qui se considèrent plutôt fédéralistes et 7,2 % indépendantistes. L’autonomie politique semble être le saut institutionnel consensuel pour un parti ethorégionaliste de gauche qui donne une importance stratégique à son alliance avec les autres partis de gauche en Bretagne, lesquels ne s’allieraient pas avec des indépendantistes. La situation est complètement inverse en Sardaigne où une majorité se déclare plutôt indépendantiste (46,3 %) et une forte minorité fédéraliste (33,8 %). Rappelons que, depuis 1981, l’indépendance est l’option politique choisie par le PSdAZ. De ce point de vue, les militants semblent être en phase avec l’option politique défendue par le parti. Ces pourcentages pourraient encore augmenter à mesure que la société sarde change22.

Conclusion

25L’étude comparée du militantisme de l’UDB et du PSdAZ souligne le caractère composite de la famille des partis régionalistes en Europe. Leur organisation s’appuie sur deux philosophies opposées : l’une collégiale pour l’UDB, centrée sur le leadership pour le PSdAZ. L’analyse de la culture militante montre également des différences importantes quant à la perception des stratégies d’alliances, des rétributions internes ou encore de la capacité du parti à influer sur les politiques publiques. Cette image renversée de l’UDB et du PSdAZ est encore plus flagrante si l’on considère la perception par les militants de la communauté régionale en particulier sur le statut institutionnel revendiqué. À l’autonomisme modéré de l’UDB s’oppose l’indépendantisme affiché du PSdAZ. En revanche, la construction identitaire de ces deux régions semble bien plus proche qu’il n’y paraît, avec des militants sardistes et udébistes qui ne développent pas de sentiment d’exclusion mais qui donnent, au contraire, l’image d’une identité régionale ouverte et plurielle, en particulier vis-à-vis de la communauté nationale. Comme si, au plus profond d’eux-mêmes, les militants sardistes et udébistes étaient conscients des contraintes multiniveaux qui pesaient sur leurs territoires respectifs.

Notes

1 De Winter L., « Conclusion: a comparative analysis of the electoral, office and policy success of ethnoregionalist parties », dans H. Türsan, L. De Winter (dir.), Regionalist Parties in Western Europe, Londres, Routledge, 1998, p. 204-247.

2 Dandoy R., « Ethno-regionalist parties in Europe : a typology », Perspectives on Federalism, 2 (2), 2010, p. 194-220.

3 Delwitt P. (dir.), Les partis régionalistes en Europe. Des acteurs en développement ?, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2005 ; De Winter L. (dir.), Non-State Wide Parties in Western Europe, Barcelone, Institut de Ciències Polítiques i Socials, 1994 ; Seiler D.-L., Les Partis autonomistes, Paris, PUF, 1994.

4 De Winter L., Gomez-Reino M., Lynch P. (dir.), Autonomist Parties in Europe. Identity, Politics and the Revival of the Territorial Cleavage, Barcelone, Institut de Ciències Polítiques i Socials, 2 vol. , 2006; Elias A., Tronconi F. (dir.), From Protest to Power. Autonomist parties and the challenges of representation, Vienne, Braumüller, 2011.

5 Pour le PSdAZ, voir Cubeddu S. (dir.), Sardisti. Viaggio nel Partito Sardo d’Azione, tra cronaca e storia, vol. 1 (1919-1948), Sassari, EDES, 1993; Cubeddu S. (dir.), Sardisti. Viaggio nel Partito Sardo d’Azione, tra cronaca e storia, vol 2 (1948-1968), Sassari, EDES, 1995. Pour l’UDB, se reporter aux travaux de Monnier J.-J., Histoire de l’Union démocratique bretonne, Lannion, Presses Populaires Bretonnes, 1998.

6 Cf. Pasquier R., « The Union démocratique bretonne : the Limits of Autonomist Party Expression in Brittany », dans De Winter L., Gomez-Reino M., Lynch P. (dir.), Autonomist Parties in Europe. Identity, Politics and the Revival of the Territorial Cleavage, Barcelone, Institut de Ciències Polítiques i Socials, 2006, vol. 2, p. 81-100 ; Pala C., « La sopravvivenza prima di tutto : voti ed eletti di due partiti etnoregionalisti in Sardegna e in Bretagna », Quaderni dell’Osservatorio Elettorale, no 60, 1, 2008, p. 6-42 ; Roux C., « The Partito Sardo d’Azione : regionalist Mobilization in Southern Italy », dans De Winter L., Gomez-Reino M., Lynch P. (dir.), Autonomist Parties in Europe. Identity, Politics and the Revival of the Territorial Cleavage, Barcelone, Institut de Ciències Polítiques i Socials, 2006, vol. 2, p. 189-218.

7 Les données que nous mobilisons ici sont issues de notre thèse de doctorat. Cf. Pala C., I Partiti etnoregionalisti in Italia e in Francia : il caso dell’Union démocratique bretonne (UDB) e del Partito Sardo d’Azione (PSdAZ), thèse de doctorat, université de Florence, 2008.

8 Panebianco A., Modelli di partito. Organizzazione e potere nei partiti politici, Bologne, Il Mulino, 1982.

9 Pasquier R., « L’Union démocratique bretonne ou les limites de l’expression partisane autonomiste en Bretagne », Pôle Sud, no 20, 2004, p. 132.

10 Lipset S., Rokkan S., « Cleavage Structures, Party Systems and Voter Alignment: an Introduction », dans Lipset S., Rokkan S (dir.), Party Systems and Voter Alignments: Cross National Perspectives, New York, The Free Press, 1967, p. 1-63; Seiler D.-L., « The Democratic Party of the Peoples of Europe (DPPE-EFA) », dans Delwitt P., Külahci E., Van de Walle C. (dir.), The Europarties Organization and Influence, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2004, p. 203-219.

11 Pala C., I Partiti etnoregionalisti in Italia e in Francia: il caso dell’Union démocratique bretonne (UDB) e del Partito Sardo d’Azione (PSdAZ), op. cit.

12 À l’heure d’écrire ces lignes, le PSdAZ a décidé d’abandonner cette alliance en vue des régionales de 2014.

13 Pala C., Sandri G., « La représentation politique des minorités linguistiques : une analyse comparée de trois partis ethnorégionalistes d’Italie », Cultures et Conflits, no 79-80, 2010, p. 97-122.

14 Müller W. C., Strom K. (dir.), Policy, Office or Votes? How Political Parties in Western Europe make hard Decisions, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.

15 De Winter L, « Conclusion: a comparative analysis of the electoral, office and policy success of ethnoregionalist parties », dans Türsan H., De Winter L. (dir.), Regionalist Parties in Western Europe, Londres, Routledge, 1998, p. 241.

16 Par domaine politique nous entendons les dimensions éminemment partisanes de l’activité comme les élections, les mandats, l’organisation interne, etc.

17 Ostrogorski M., La démocratie et les partis politiques, Paris, Fayard, 1993.

18 À communauté nous préférons le concept anglais de polity, c’est-à-dire une communauté de citoyens qui vivent et opèrent dans la même région.

19 L’option « plus italiens/français que sarde/breton » et celle « exclusivement italien/français », bien que présente, n’a pas été choisie.

20 Cole A., Williams C., « Institutions, Identities and Lesser-used Languages in Wales and Brittany », Regional and Federal Studies, no 4, vol. 14, 2004, p. 554-579.

21 Pasquier R., « La régionalisation française revisitée : fédéralisme, mouvement régional et élites modernisatrices (1950-1964) », Revue française de Science politique, no 1, vol. 53, 2003, p. 101-125.

22 Pala C., « La Sardegna tra indipendentismo e autonomia finanziaria », dans Demuro G., Mola F., Ruggiu I. (dir), Identità e autonomia in Sardegna e Scozia, Bologne, Maggioli, 2013, p. 156-180.

Table des illustrations

Titre Tableau 2 – Connaissance de la langue sarde/bretonne.
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Titre Tableau 5 – Les domaines à investir en priorité pour les militants de l’UDB et du PSdAZ.
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Titre Tableau 6 – Les élus participent-ils à la définition des politiques publiques locales ?
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Titre Tableau 7 – Le sentiment d’appartenance des militants de l’UDB et du PSdAZ.
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Titre Tableau 8 – Les revendications des militants UDB et PSdAZ.
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Auteur

Docteur en science politique et professeur associé à l’université de Sassari.

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