1Parti se voulant solidaire des peuples du monde, l’Union démocratique bretonne a travaillé dès 1964 à établir des contacts avec d’autres organisations similaires, en France et en Europe. Ainsi, à peine créée, l’UDB noue des échanges avec Enbata, au Pays basque nord (français)1, participant notamment au deuxième congrès du parti abertzale2. En 1968, des membres de l’UDB animent un comité pour la révolution socialiste des régions, avec des Corses, des Basques, des Occitans3. En février 1974, L’UDB signe la charte de Brest, déclaration commune sur la lutte contre le colonialisme interne en Europe occidentale, avec l’Unión do pobo galego (UPG) et l’Irish republican movement (IRM). Regroupant des structures à la fois nationalistes et marxistes-léninistes, la charte de Brest accueille ensuite plusieurs autres groupuscules, dont Herriko alderdi sozialista (HAS) au Pays basque nord4. En juillet 1980, l’UDB participe à la constitution de l’Union des peuples pour l’autonomie et le socialisme, qui associe également le parti occitan Volem viure al païs et le Parti socialiste du Pays basque (Euskal herriko alderdi sozialista–EHAS, héritier de HAS), mais l’initiative se révèle éphémère5.

2Il faut attendre la fin des années 1980 en réalité pour que l’UDB s’inscrive de manière pérenne dans des réseaux internationaux stables. Le parti adhère à l’Alliance libre européenne (ALE) en 1987–après en avoir obtenu l’exclusion du POBL qui y représentait jusqu’alors la Bretagne6 – et participe à créer la fédération Régions et peuples solidaires (R&PS) en 1994. Fondée en 1979/1981, l’ALE est le parti politique européen qui vise à fédérer tous les partis régionalistes, autonomistes et séparatistes qui rejettent la violence et la xénophobie. Elle regroupe aujourd’hui trente-six partis et cinq partis associés dans dix-sept pays différents. Ses sept eurodéputés, dont le Corse François Alfonsi, participent au groupe Verts/ALE au Parlement européen7.

3Créée en 1994, la fédération Régions et peuples solidaires (R&PS) vise à réunir les principaux partis régionalistes et autonomistes en France. Elle regroupe aujourd’hui dix partis et un membre associé en Alsace (Unser Land), Bretagne (UDB), Catalogne nord (Esquerra republicana de Catalunya–ERC et Convergence démocratique de Catalogne–CDC), Corse (Parti de la nation corse–PNC), Occitanie (Partit occitan–POC), Pays basque nord (Eusko alkartasuna–EA, Parti nationaliste basque–PNB et Abertzaleen batasuna–AB) et Savoie (Mouvement région Savoie–MRS). Le Congrès mondial amazigh est membre associé.

4Souhaitant étudier l’inscription de l’UDB dans les dynamiques politiques supra-bretonnes, ce qui passe dans une large mesure aujourd’hui par R&PS, il est apparu rapidement que, vingt ans après sa création, il n’existait toujours aucune littérature scientifique, journalistique, étudiante ou même militante sur cette structure. D’où l’intérêt d’une première étude interrogeant cette organisation méconnue au service des périphéries8. Il s’agira de comprendre dans un premier temps que R&PS est une structure construite pour des raisons contingentes et pragmatiques afin que des partis régionaux puissent agir à l’échelle de la France, en mutualisant les moyens et les risques électoraux. L’émergence de cette fédération se base néanmoins sur des aspirations communes, verrons-nous dans un second temps, qui se transforment en une culture et des revendications convergentes tout au long des années, sans déboucher néanmoins sur une idéologie et un programme complets.

Une construction stratégique et pragmatique

5Sur le modèle de l’ALE, une structure politique confédérative se met en place en France à partir de 1994 pour regrouper les partis autonomistes et fédéralistes de l’hexagone : Régions et peuples solidaires (R&PS). Sa difficile et contingente naissance témoigne qu’elle est avant tout imposée par les événements et le système politique et médiatique français. Si R&PS ne devient pas une organisation partisane classique, le parti s’inscrit malgré tout progressivement dans le champ politique français.

Préhistoire d’une fédération

6La préhistoire de R&PS commence dès la fin des années 1980, avec la préparation des élections européennes de 1989. Suite à un accord entre l’ALE et les Verts, qui faisaient tous deux partie du groupe Arc-en-Ciel au sein du Parlement européen, une place éligible est réservée pour un membre français de l’ALE9 sur la liste écologiste d’Antoine Waechter. Le problème étant de désigner ce futur député. Ce qui ne se fait pas sans tensions, l’ALE privilégiant Gustave Alirol, désigné comme coordinateur de l’ALE-hexagone, alors que Les Verts français souhaitent que le candidat soit un Corse de l’Union du peuple corse (UPC)10. Si Max Simeoni se voit finalement désigné11, et devient ainsi député européen, une ALE-France informelle voit le jour dans le processus12.

7Dans les années qui suivent, cette ALE-France informelle repose avant tout sur le travail de Max Simeoni au Parlement européen, qui s’assume député de toutes les minorités régionales de l’hexagone, et de son assistant parlementaire, membre de l’UDB, Christian Guyonvarc’h. Des réunions réunissant des représentants des partis français membres de l’ALE ont ainsi lieu régulièrement à Strasbourg pour élaborer des positions communes aussi bien stratégiques que programmatiques. Ainsi, lors d’une réunion le 6 avril 1992 pour préparer les élections régionales, les six partis présents13 revendiquent-ils « le maintien ou l’instauration de la proportionnelle à chaque élection », la reconnaissance des langues et des cultures des « peuples de l’État français » ou encore « la création d’un Conseil des peuples et des régions en remplacement du Sénat14 ». Ces réunions mettent en outre l’accent sur l’intérêt d’une structure fédérative pour négocier directement avec les autres partis politiques ou encore pour mieux atteindre les médias, très centralisés en France15. Comme l’explique l’UDB aux lecteurs du Peuple breton :

« Au sein de l’État français existe l’ALE France, car les peuples de l’État français ont à faire au même État et ont certains problèmes spécifiques. […] Pour faire entendre notre voix dans les médias centralisés français, il est nécessaire de renforcer l’ALE France, qui regroupe six partis de peuples et régions de “France”16. »

Image 2 – Résultats de la liste R&PS aux élections européennes de 1994.

8Il faut toutefois l’échec des négociations avec les Verts pour les élections européennes de juin 1994 pour précipiter les choses. Sans place éligible garantie sur la liste des Verts, les membres français de l’ALE17 décident, quelques semaines avant l’échéance, de lancer leur propre liste, qui prend le nom de « Régions et peuples solidaires ». Si la liste intègre des représentants de « communautés non historiques de l’État français18 », Kurdes et Arméniens notamment, et obtient le soutient des chanteurs Jacques Higelin et Renaud (respectivement 85^e et 86^e sur la liste), de l’écrivain Gilles Perrault (84^e) ou encore du dominicain Jean Cardonnel (83^e), elle ne réussit pas à intégrer des représentants des Dom-Tom, qui avaient déjà construit leur propre liste. Absente des médias, pénalisée par une campagne très tardive, les résultats sont décevants, avec seulement 0,39 % des suffrages exprimés (76 436 voix dont 12 937 en Bretagne et 7 289 en Corse). Les animateurs de la liste décident néanmoins de confirmer la dynamique de la campagne pour lancer un mouvement politique du même nom, lors d’une réunion, le 12 novembre 1994, à Aix-en-Provence. Sur la lancée, ils essaient même de présenter Max Simeoni à l’élection présidentielle de 1995, ce qui sera un nouvel échec, celui-ci n’obtenant pas les 500 signatures nécessaires.

9Les 11 et 12 novembre 1995 enfin, R&PS tient son premier congrès à Rennes. Les membres fondateurs sont : l’Union démocratique bretonne, l’Union du peuple corse, le Partit occitan, l’Union du peuple alsacien, Frankiz Breizh, Esquerra republicana de Catalunya, Eusko alkartasuna, le Mouvement région Savoie, le Parti fédéraliste de Flandre-Artois-Hainaut, le Rassemblement du peuple franc-comtois, Social-démocratie de Lorraine et Région Provence. Les trois premiers partis dominent incontestablement la structure et se répartissent les principaux postes du bureau fédéral. Les quatre derniers partis se révèlent quant à eux éphémères et semblent avoir disparu dès le début des années 2000.

Un acteur politique à vocation hexagonale

10R&PS est donc le résultat d’une dynamique externe et par en haut. Les acteurs provoquant la création de la fédération sont l’ALE19, les Verts voire les médias français. Il s’agit pour les régionalistes de prendre acte du système politique français, organisé à l’échelon national, de réussir donc à exister à cet échelon.

11La motivation est tout d’abord de pouvoir communiquer à l’échelon national, ce qui passe essentiellement par la diffusion régulière de communiqués de presse (rarement plus d’une dizaine par an). Cette présence médiatique espérée s’avère très faible dans les médias nationaux, pour ce que nous avons pu constater. Les différents partis continuent à communiquer essentiellement dans leur région et sous leur nom, y compris pendant les périodes d’élections nationales.

12Le but est également de participer aux élections nationales que sont les européennes, les présidentielles et les législatives et pouvoir bénéficier du financement public des partis politiques. La loi du 15 janvier 1990, modifiant l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, stipule en effet que les partis et groupements politiques qui ont présenté des candidats à l’Assemblée nationale dans au moins soixante-quinze circonscriptions (cinquante à partir du 30 janvier 1993) pourront bénéficier de l’aide financière de l’État. Ce qu’aucun des partis régionalistes/autonomistes en France ne peut seul. La loi du 12 avril 2003 en outre réserve cette aide aux partis et groupements politiques dont des candidats ont obtenu « au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions ». Ce qui oblige à des alliances avec des partis plus importants.

13L’objectif est dès lors enfin de pouvoir négocier à l’échelon national avec les autres acteurs politiques, et tout spécialement avec les écologistes, ce qui implique une organisation interne en amont des négociations pour éviter les tensions de 1989. De fait, la structure R&PS a été un élément essentiel dans les négociations entre les régionalistes et les écologistes, seul réel partenaire national constant dans l’histoire de R&PS. C’est avec Convergences écologie solidarité (CES), le parti de Noël Mamère20, que les premiers contacts sont établis, et ceci dès le congrès fondateur de la fédération, auquel se rendent des représentants de CES. Les deux structures, rejointes par le Parti écologiste d’Yves Piétrasanta21, participent aux élections législatives de 1997 sous l’étiquette Solidaires régions écologie. Au cours des années 2000, R&PS se rapproche de manière croissante des Verts. Un accord de partenariat est signé entre les deux organisations en 2003, ce qui se traduit par la participation à des listes communes aux élections régionales et européennes de 2004. En 2008, R&PS participe à la fondation d’Europe écologie, mais prend partiellement ses distances en 2010 lors de la fusion des Verts et d’Europe écologie en Europe écologie Les Verts (EELV). Ainsi, après s’être présentée seule aux élections européennes en 1994 et avoir soutenu les Verts en 1999 et 2004, R&PS a vu l’un des siens, François Alfonsi, élu au Parlement européen en 2009 sur la liste Europe écologie. De même, R&PS a participé à toutes les élections législatives depuis sa création, et a enfin réussi à obtenir un député en 2012, le Breton Paul Molac, grâce à un accord avec EELV.

14À travers ces trois différentes fonctions–communiquer dans les médias nationaux, se présenter aux élections nationales de manière coordonnée, échanger et négocier avec les autres organisations à une échelle nationale–se pérennise une force politique réelle et stable. R&PS n’est pas qu’une étiquette électorale ou une association de financement. Dès le début est mise en place une structure claire, avec un bureau fédéral, un conseil fédéral et des assemblées générales annuelles qui définissent les orientations de R&PS. Le bureau se révèle stable, avec le même président et le même trésorier depuis la création, respectivement Gustave Alirol, du POC, et François Alfonsi, du PNC, et un secrétariat général détenu par l’UDB depuis le début également, occupé successivement par Christian Guyonvarc’h, Nicole Logeais et Pierre Fourel22. Comme l’exprime le premier numéro du bulletin interne de R&PS (novembre 1995) :

« Les tâches du bureau fédéral sont de veiller à la mise en œuvre des décisions prises par l’assemblée générale (congrès) et le conseil fédéral et de représenter la fédération dans ses contacts extérieurs (médias, État, organisations extérieures…). La politique générale de la fédération est arrêtée chaque année par l’assemblée générale et, dans l’intervalle entre les congrès, par le conseil fédéral où chaque organisation peut siéger de droit23. »

15R&PS, qui maintient un contact constant entre les organisations membres et permet des rencontres régulières entre les dirigeants et militants des différents partis, aide ses composantes à préparer une stratégie, à définir une ligne idéologique. Elle est garante jusqu’à un certain point d’une convergence des différents partis, ou au moins d’une dynamique commune et solidaire. Tous les ans, par exemple, l’assemblée générale est précédée des Journées d’été de R&PS, à chaque fois dans une région différente, qui sont des moments ouverts de réflexion commune autour de thématiques larges et diversifiées. Pour autant, R&PS ne vise nullement à se substituer aux partis membres ni à leur imposer des décisions stratégiques ou idéologiques. Ainsi, lorsqu’Abertzaleen batasuna est devenu membre à part entière de R&PS, en novembre 2009, le parti a expliqué aux médias basques qu’il garderait une totale liberté stratégique et idéologique24.

L’idéologie de R&PS

16Ainsi, R&PS est une construction stratégique, pragmatique et non une construction spontanée, naturelle. Elle réunit des partis très différents, aussi bien au niveau du projet territorial–fédéralisme, autonomisme, indépendantisme–que du projet social–axe gauche-droite. Qu’est-ce qui réunit justement les membres de R&PS ? Quel projet portent-ils ? La fédération a-t-elle un programme complet, notamment sur les questions socio-économiques et sociétales ? Ce ne sont pas là des questions accessoires, anecdotiques. Il s’agit ni plus ni moins que de savoir s’il existe un paradigme idéologique régionaliste, au même titre que les paradigmes socialiste, libéral ou écologiste.

Un parti « progressiste »

17Il est tout d’abord frappant de noter qu’à aucun endroit R&PS ne se situe explicitement sur l’axe gauche-droite, même si certains partis-membres le font. Tout au plus, R&PS s’affirme-t-elle « progressiste » ou « force du changement » et s’est toujours trouvée en alliance à appeler à voter pour des partis et candidats de gauche, ce qui n’est toutefois pas le cas de tous ses partis membres. Ainsi, aussi bien Unser Land, le PNB ou le CDC sont des partis de centre-droit, en alliance, pour les deux derniers, avec l’UMP dans de nombreuses municipalités, alors que ERC et l’UDB sont clairement ancrées à gauche.

18Pour autant, R&PS n’est pas ouverte à tous les partis à vocation territoriale de l’hexagone. Ainsi, l’article 1 de ses statuts affirme :

« Il est créé la fédération “Régions et peuples solidaires” entre des formations politiques qui représentent des peuples, des communautés culturelles et linguistiques et/ou des réalités régionales historiques et qui sont animées, en opposition à tout esprit de domination ou de xénophobie, par un même idéal de respect des minorités, d’approfondissement de la démocratie, d’autonomie, d’autodétermination et de fédéralisme. »

19La première phrase de la charte du parti ajoute :

« La fédération Régions et peuples solidaires rassemble les partis opposés à la violence. »

20Deux lignes rouges se dessinent donc : le refus de la xénophobie d’une part et le refus de la violence d’autre part. Les partis régionalistes ou nationalistes ne condamnant pas la violence ou ceux tenant des propos racistes sont exclus de fait. Ainsi, la Ligue savoisienne ne fut jamais acceptée au sein de la fédération, bien qu’ayant été quelque temps observatrice de R&PS vers 2003-2005 et ayant été membre de l’ALE de 2000 jusqu’à sa disparition en 2012. Les autres partis déploraient ses dérapages xénophobes, comme nous le confirme Herri Gourmelen25.

Les communiqués de presse de R&PS (2007-2013)

Image 3 – Graphique permettant de visualiser thématiquement les communiqués de presse de R&PS entre 2007 et 2013.

21Une analyse des communiqués de presse permet de voir les priorités de R&PS, les problématiques qu’elle souhaite mettre en avant dans l’espace public. Nous avons recensé 58 communiqués entre 2007 et 2013.

22Une thématique domine clairement toutes les autres, les langues régionales, qui représente plus d’un communiqué sur cinq. Deux autres thématiques sont remarquables par leur place, et confirment l’identité de la fédération : la décentralisation (qu’il s’agit de renforcer) et les minorités nationales hors de France (Tibet, Berbères, Basques, Catalans, avec lesquels R&PS est solidaire), avec pour chacune plus de 10 % des communiqués. La seule thématique qui se dégage et qui ne soit pas directement liée aux questions des minorités territoriales et culturelles est celle de l’écologie (OGM, nucléaire), justifiant les liens privilégiés avec les écologistes, mais cette thématique ne représente qu’à peu près 7 % des communiqués.

23Les thématiques des débats au cours des journées d’été de R&PS sont néanmoins bien plus diverses, les questions socio-économiques se trouvant très régulièrement mises en valeur. Que les débats internes soient plus divers que l’expression externe témoigne probablement de la difficulté à trouver des positions consensuelles (et donc communicables au nom de R&PS) sur les thématiques socio-économiques (tout particulièrement). On peut néanmoins penser qu’au fil des années, ces débats participent à l’harmonisation progressive des cultures des partis membres et qu’un développement et un élargissement idéologiques du projet de R&PS est envisageable.

Diversité, subsidiarité et péréquation

24Au-delà de ces thématiques, peut-on dégager un cœur idéologique de R&PS ? Un prisme analytique central autour duquel s’articuleraient ses prises de position et analyses ? Des concepts reviennent de manière quasi systématique dans les textes de la fédération, ceux de région, diversité, identité, souvent liés à ceux de démocratie, inégalité/égalité, justice/injustice.

25La charte de R&PS permet de dessiner à grand trait les priorités du parti, les points idéologiques qui rassemblent les différents partis qui la composent. L’objectif premier est de « combattre le centralisme parisien et celui de l’Europe des États » qui provoquent des « inégalités de développement » (1^er point). R&PS réclame au contraire le droit de vivre, étudier et travailler au pays (2^e point), et donc le droit de maîtriser son économie (4^e point), et érige la diversité comme une valeur en soi (6^e et 7^e points). Pour atteindre ces objectifs, un renforcement de la démocratie territoriale est nécessaire en développant la démocratie locale (9^e point) et en promouvant un « fédéralisme à base régionale ou communautaire » (10^e point). La solidarité avec les peuples moins privilégiés est néanmoins nécessaire (12^e point).

26Nous avons dessiné ici le cœur idéologique de R&PS : une conceptualisation de la justice territoriale et culturelle comme prisme idéologique premier, ce qui implique une valorisation de la diversité territoriale et culturelle, un attachement à la subsidiarité, c’est-à-dire à la prise de décision au niveau territorial et culturel le plus proche du citoyen, et à la péréquation, c’est-à-dire à la solidarité horizontale entre territoires et cultures. Ce prisme de la justice territoriale et culturelle fonde l’ensemble des prises de position de R&PS, qu’ils parlent d’économie, de social, d’institutions ou de budget. Ainsi, un communiqué de presse du 4 juillet 2013, consacré au Budget 201426 regrette que « les services déconcentrés de l’État vont voir leur budget augmenter de près de 7 % », que les métropoles et le Grand-Paris bénéficieront d’un « financement généreux », alors que « le Gouvernement […] confirme et accentue la baisse des crédits aux collectivités amorcée par Nicolas Sarkozy et François Fillon » et que « l’autonomie fiscale des collectivités territoriales est absente du projet d’acte III de décentralisation ». R&PS en déduit que « le gouvernement Ayrault confirme et accentue sa politique jacobine de recentralisation. Le contrôle de l’État sur les territoires va être renforcé ».

27Pour autant, comme en témoignent les communiqués, leurs prises de position se caractérisent par une faible diversité. Les thématiques sociales et économiques sont quasi absentes. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont totalement inexistantes. Ainsi, lors du congrès du 23 août 2012 à Biarritz, à côté d’une motion sur le statut des langues régionales et d’une autre affirmant la solidarité de la fédération avec le peuple Touareg, R&PS adopte une motion appelant à « sortir de la crise énergétique par l’autonomie énergétique soutenable des territoires » et une quatrième regrettant « les conclusions de la mission de préfiguration » de la Banque publique d’investissement, assurant que celle-ci ne peut avoir un « sens que si elle se met au service des TPE, des PME et des PMI innovantes, donc au service des économies régionales qui en forment le substrat27 ». Ce qui reste constant toutefois c’est le prisme d’analyse territorialisant, régionalisant.

Conclusion

28Créée en 1994 sur le modèle de l’ALE et dans la dynamique de l’élection européenne, R&PS regroupe aujourd’hui onze partis provenant de sept régions ou peuples. La fédération–ou plutôt la confédération, vu la faiblesse de la structure centrale–est clairement devenue une actrice de la vie politique française au bout de ses vingt ans d’existence. C’est un acteur mineur, secondaire, mais, avec deux parlementaires et une quinzaine de conseillers régionaux, ce n’est plus un acteur négligeable. Elle est sans aucun doute représentative du clivage centre-périphérie28, même si son insuccès partiel témoigne de la difficulté à politiser ce clivage en France, en tout cas dans le champ partisan. L’expansion de R&PS reste en outre incomplète. Elle ne regroupe ainsi pas tous les partis politiques de la mouvance régionaliste/autonomiste démocratique en France. Mentionnons ainsi l’absence du Parti breton et du Mouvement Bretagne et progrès en Bretagne ou d’Unitat catalana en Catalogne nord. La fédération est en outre absente de la majeure partie du territoire français29. Les partis qui existaient en Franche-Comté, Lorraine ou Flandre ont disparu et R&PS ne travaille pas à établir des structures membres dans d’autres régions. Cette stagnation territoriale témoigne d’une difficulté de l’organisation à réfléchir son élargissement, à penser stratégiquement à un niveau hexagonal. Plus surprenant encore, la fédération est totalement absente des territoires français d’outre-mer, si l’on excepte, brièvement, le Mouvement libéral martiniquais à la fin des années 1990, alors que nombre de partis autonomistes y disposent d’une réelle implantation.

29Son idéologie est ce que Michael Freeden appelle une idéologie mince30, tournant autour de deux concepts centraux, le territoire régional et la diversité culturelle, qui lui donnent une identité indéniable, mais sans viser à répondre à tous les sujets politiques, socio-économiques et sociétaux, du fait de la grande diversité idéologique des membres de R&PS. Il n’est pas anodin que la fédération ne dispose pas d’un programme mais d’une charte, qui semble être le plus petit dénominateur commun entre les partis. Mais R&PS peut s’accommoder de ce faible cœur idéologique parce qu’il rentre en résonance avec son attachement à la subsidiarité, à l’idée que la réflexion et l’action politique doivent être faites à l’échelle adéquate à chaque fois.