1Le 4 janvier 1964, à Rennes, seize jeunes gens créaient l’Union démocratique bretonne, un parti autonomiste breton explicitement ancré à gauche. Cinquante ans plus tard, le parti fait plus que jamais partie du paysage politique breton, dont il est désormais un des plus anciens acteurs. Il est donc temps de poser les bases d’un savoir académique sur ce demi-siècle d’existence d’un parti issu du mouvement breton traditionnel mais resté indéfectiblement fidèle à ses convictions de gauche, en interrogeant d’une part l’impact de ses idées (et tout particulièrement de sa revendication autonomiste) et de ses actions dans la société bretonne, et d’autre part son échec électoral, et en inscrivant le parti dans une mouvance française et européenne.

Un parti autonomiste de gauche

2L’UDB est une scission de gauche du Mouvement pour l’organisation de la Bretagne (MOB), premier parti régionaliste breton de l’après-guerre, créé en 1957 sur une base « ni gauche ni droite ». Dès sa création, l’UDB s’affirme au contraire indéfectiblement de gauche, travaillant sans ambiguïté à être reconnu et accepté par les autres partis de ce sous-champ politique en Bretagne (SFIO/PS, PCF, PSU et, plus récemment, Les Verts), se voulant même le principal promoteur de l’union de la gauche dans les années 1970. À quelques exceptions près1, ses alliances se feront exclusivement à gauche, avec des alliances privilégiées avec Les Verts depuis le début des années 2000.

3Présente dans les institutions dès les années 1960, avec un premier élu en 1965 au conseil municipal du Guilvinec, l’UDB revendique aujourd’hui 83 élus municipaux, 4 conseillers régionaux et un député apparenté. Investi dans les mouvements sociaux et sur le terrain, le parti a disposé à plusieurs moments de son histoire d’un nombre non négligeable de militants (2 000 en 1980, à son apogée, par exemple2, et encore 720 en 20043).

4Elle n’a dès lors pas été sans connaître un certain succès dans la diffusion de ses idées, notamment grâce à son journal Le Peuple breton, qui tire à 4 000 exemplaires en 1968, 15 000 en 1978 et encore 6 000 en 20044. Mentionnons ainsi le slogan « Bretagne = colonie » (titre d’une brochure de l’UDB de 1971), un des slogans marquant des années 1970. Les succès électoraux ne sont toutefois pas au rendez-vous, les candidatures UDB faisant en moyenne, et de manière globalement constante au fil du temps, entre 2 % (pour les législatives) et 5 %5 (pour les cantonales).

Éclairer le paradoxe breton

5Étudier l’UDB va toutefois bien au-delà de l’intérêt monographisant pour un petit parti durable. Par ses cinquante ans d’existence, l’histoire de l’UDB est un prisme unique pour mieux comprendre cinq décennies d’histoire bretonne, au cours desquelles la région a été si profondément transformée. Quelle meilleure source que Le Peuple breton pour un historien de ce dernier demi-siècle ? La plupart des contributeurs à cet ouvrage n’ont pas l’UDB comme objet de recherche, mais en sont venus à croiser ce parti par leur travail sur les mouvements sociaux, la gauche politique, le territoire régional, etc. Leurs articles rappellent que, loin d’être une anecdote, l’UDB a eu une présence transversale et protéiforme depuis sa création.

6Plus important peut-être encore, analyser l’UDB peut aider à mieux éclairer le fameux paradoxe breton d’une capacité politique indéniable6, d’une culture clairement différenciée7, d’une identité forte longtemps négative8, mais aujourd’hui assumée voire revendiquée9, d’une aspiration puissante à une décentralisation renforcée (y compris avec un pouvoir législatif et fiscal régional10), alors que le parti à exprimer le plus énergiquement cette spécificité bretonne reste marginal électoralement. Ce qui distingue fortement la Bretagne des autres régions européennes témoignant d’une spécificité similaire (telles que l’Écosse, le Pays de Galles, la Catalogne ou la Galice par exemple). Parmi les régions à forte identité d’Europe occidentale, la Bretagne est en effet probablement la région où les partis autonomistes, ethno-régionalistes, sont les plus faibles. Pourquoi ?

7Le chercheur en sciences humaines et sociales est bien entendu attiré par le succès ; les partis qui atteignent le pouvoir, ou au moins qui le menacent, suscitent sans surprises plus de recherches. Pour autant, et c’est le troisième intérêt de cet ouvrage, travailler sur un parti faible électoralement peut également enrichir la littérature sur les partis politiques, et tout spécialement ici sur les partis ethno-régionalistes.

8Enfin, interroger le politique par le biais d’un parti autonomiste en France, État unitaire s’il en est, contribuera à mieux comprendre également le système politique français, si peu régionalisé trente ans après les lois de décentralisation, où les blocages sur les questions portées par l’UDB sur la diversité linguistique ou la décentralisation semblent toujours aussi vifs, comme en témoigne l’actualité récente du mouvement des Bonnets rouges. Analyser l’UDB peut donc être un biais pour questionner le rapport de la société française à la question régionale et à la diversité territoriale et culturelle.

Un acteur politique dans une société en mouvement

9Le premier axe de l’ouvrage visera à inscrire l’UDB dans l’espace politique du régionalisme, en France et en Europe. L’Union démocratique bretonne appartient en effet à une famille de partis politiques qualifiés, selon les auteurs, d’ethnorégionalistes, d’autonomistes ou de nationalistes régionaux, regroupant les partis qui s’identifient à des groupes « ethniques » et à un ancrage territorial. Cette famille est dotée d’une littérature fournie11, mais méconnue en France, où ses composantes restent secondaires, voire marginales, dans leurs territoires, si l’on excepte, en France métropolitaine tout du moins, le cas corse. Dans un article liminaire, Romain Pasquier restitue les modalités et les temporalités de la politisation d’une question régionale en France depuis la fin du XIX^e siècle. À une première phase marquée par un régionalisme conservateur, rassemblant des réseaux notables dans la défense d’intérêts économiques et culturels périphériques, succède un régionalisme nationalitaire de gauche qui développe, à partir des années 1960-1970, un répertoire idéologique et organisationnel plus structuré, dans des espaces régionaux différenciés sur le plan culturel et linguistique (Bretagne, Corse, Occitanie). Cependant, ce régionalisme ne pèse que marginalement dans la compétition électorale sous la V^e République. Tudi Kernalegenn se focalise ensuite sur Régions et peuples solidaires (R & PS), fédération qui regroupe depuis 1994 les principaux partis autonomistes en France, et dont l’UDB est membre fondateur. Il éclaire ainsi la place de l’UDB dans l’ensemble politique français tout en interrogeant l’existence et le contenu d’un paradigme idéologique et stratégique autonomiste. Deux articles comparatifs, enfin, éclairent l’UDB par un détour étranger. Comparant le parti breton au Parti sarde d’action (PSdAZ), Carlo Pala souligne que si les deux partis expriment des points de vue similaires concernant le potentiel ethno-identitaire de leur territoire et le clivage centre-périphérie, ils ont des conceptions différentes pour ce qui est du rôle du parti dans la société régionale. Lontzi Amado, qui met en regard la Bretagne et le Pays basque de France, explique que les mouvances régionalistes ont des trajectoires similaires dans les deux territoires depuis les années 1960. Toutefois, alors que la Bretagne se caractérise par un pôle autonomiste stable et réformiste (l’UDB), le paysage politique basque reste beaucoup plus morcelé et profondément divisé entre « possibilistes » et « irrédentistes »

10Le deuxième axe du livre interroge la place de l’UDB dans l’espace politique breton, pour mieux comprendre son rôle dans les institutions et dans ses relations avec les autres acteurs du champ politique breton. En étudiant la place de l’UDB dans les élections municipales de 1965 à 2008, Jean Guiffan souligne les difficultés à se faire accepter par les autres partis de gauche et donne à voir les stratégies d’alliance successives de l’UDB. Les relations avec les socialistes ont été particulièrement cruciales pour le parti autonomiste, la plupart de ses élus ayant été obtenus dans le cadre d’alliances avec le Parti socialiste. C’est ce qu’explique également François Prigent, qui met en évidence également quelques trajectoires militantes allant de l’UDB au PS, facilitées par l’intégration progressive au PS d’une approche régionaliste. Récemment toutefois, c’est avec les écologistes que l’UDB a développé les liens les plus forts. Martin Siloret donne tous les éléments pour comprendre les modalités du rapprochement (mais aussi de la concurrence idéologique et stratégique) entre l’UDB et Les Verts, qui déboucha en 2004 (puis en 2010) sur le succès de leur liste commune aux élections régionales.

11Le troisième axe de l’ouvrage enfin aborde l’UDB comme acteur des mouvements sociaux bretons. L’essor de l’UDB correspond aux années 1968, qui se caractérisent en Bretagne par une série de mouvements sociaux qui prennent une dimension régionaliste au niveau des réseaux de solidarité et des discours. Vincent Porhel éclaire tout d’abord le paradoxe d’un parti en phase idéologiquement avec ces mouvements sociaux mais qui échoue à en devenir un acteur reconnu et fédérateur. Ce que confirme Gilles Simon à partir du cas de la lutte antinucléaire de Plogoff. Prisonnière de sa foi dans le progrès technique issue d’une idéologie marxisante, l’UDB peine à comprendre les enjeux de ce combat politique. Dès lors, elle ne s’investira que tardivement dans le mouvement antinucléaire, manquant son premier rendez-vous avec l’écologie politique. Erwan Chartier aborde un autre rendez-vous manqué de l’UDB, celui causé par l’émergence d’une violence politique autour du FLB-ARB. Bien que profitant de la couverture médiatique due à l’action clandestine, l’UDB condamne sans équivoque les attentats, se coupant ainsi profondément de l’extrême-gauche indépendantiste sans rien gagner auprès de l’opinion publique. Les deux derniers articles enfin portent sur l’engagement de l’UDB par rapport à la langue bretonne. Cédric Choplin présente Pobl Vreizh, pendant bretonnant du Peuple breton. On y découvre une revue autonome et dynamique où s’émancipent et se cristallisent certains des débats de l’UDB. Mannaig Thomas, quant à elle, se focalise sur un réseau de poètes engagés membres de l’UDB au tournant des années 1968, tels que Paol Keineg ou Yann-Bêr Piriou, manière d’interroger les relations entre art et politique.

12Un parti n’est rien sans ses militants. Nous avons souhaité, pour finir, donner la parole à quatre des principaux animateurs de l’histoire de l’UDB. Ronan Leprohon, membre fondateur de l’UDB, présente les hauts et les bas des deux premières décennies, qui voient l’essor d’un nouveau parti autonomiste en Bretagne. Herri Gourmelen prend le relais pour expliquer la reconstruction de l’UDB au cours des années Mitterrand, années où il fut porte-parole du parti, et pendant lesquelles furent réinterrogés les fondements idéologiques (abandon du slogan « Bretagne = colonie »), organisationnels (abandon du centralisme démocratique) et stratégiques du parti (passage d’alliances privilégiées avec la gauche socialiste à un tropisme vers la mouvance écologiste). Christian Guyonvarc’h termine par les deux dernières décennies de l’histoire de l’UDB, marquées par l’entrée en 2004 au conseil régional de Bretagne. Enfin, Paul Molac explique les perspectives d’un député autonomiste à l’Assemblée nationale.