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L’opération généalogique

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Olivier Rouchon

Deuxième partie. Espaces et cultures généalogiques. Moyens, discours, enjeux

Les nobiliaires provinciaux et l’enjeu des généalogies collectives en France (XVIIe-XVIIIe siècle)

Valérie Piétri

Texte intégral

1L’apparition du nobiliaire, en tant que nouveau genre littéraire et savant, permet sans doute de saisir une des inflexions majeures de la culture généalogique française, à la croisée des transformations de l’état monarchique, de l’identité nobiliaire et des particularismes provinciaux. Des généalogies collectives aux nobiliaires, puis aux dictionnaires et histoires de la noblesse, la pratique généalogique rend compte de la manière dont le monde social est travaillé par la question des origines et par des conflits de légitimité qui s’emboîtent à différentes échelles. La Provence peut constituer un observatoire privilégié de l’évolution de ces formes de dispositifs textuels et graphiques d’une culture généalogique, héraldique et historique telle qu’elle est appropriée et diffusée par des auteurs provinciaux. En contrepoint, d’autres cas provinciaux peuvent apporter des éclairages complémentaires sur des phénomènes globalement très similaires. La publication d’un nobiliaire constitue un véritable événement qui dépasse le simple champ littéraire ou du moins participe de manière exemplaire des pouvoirs de la littérature car, en offrant au public une « description », un « état » de la noblesse d’un pays, le nobiliaire construit, tout autant qu’il donne à voir, une réalité sociale.

Genèse du nobiliaire au XVIIe siècle : genres généalogiques, pratiques érudites et discours d’auteurs

  • 1 Sur l’ensemble de ces évolutions, nous reprenons ici certaines analyses présentées dans G. Butaud (...)

2Jusqu’au début du XVIIe siècle et dans le prolongement de la tradition médiévale, les généalogies collectives étaient essentiellement construites autour d’un lignage voire d’un personnage dont on s’appliquait à détailler les liens familiaux. Par extension, l’auteur s’intéressait ainsi aux familles alliées dont il reconstituait également les généalogies. La dimension régionale n’était toutefois pas absente dans la mesure où la plupart des généalogies publiées concernaient de grands lignages souverains ou détenteurs d’un pouvoir régional important1. Les personnages concernés étaient donc nobles, mais le terme de « nobiliaire » ne figure pas dans les intitulés de ces ouvrages érudits qui relèvent davantage de préoccupations dynastiques singulières ou de considérations historiques que d’un discours d’assignation sociale et de reclassement de l’identité nobiliaire.

  • 2 Sur l’évolution de culture généalogique en Espagne à partir du XVIe siècle, on se reportera, ici m (...)
  • 3 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois…, La Haye (...)

3Le mot de nobiliario apparaît en Castille dès le XVe siècle. Fernando de Mexia est l’auteur, vers 1478, d’un Nobiliario vero, manuscrit qui fut publié dès 1492 à Séville2. En France, il faut attendre le XVIIe siècle pour trouver des ouvrages intitulés « nobiliaires », c’est-à-dire des ouvrages à caractère généalogique sous-tendus par le projet systématique et exhaustif de recensement de la noblesse d’un territoire. Le terme est ainsi défini dans le dictionnaire de Furetière comme un « recueil des maisons et personnes nobles d’une province ou d’une nation3 ». Si l’on en reste à l’intitulé, les premières occurrences dans la production éditoriale française sont le Nobiliaire de Dauphiné de Guy Allard, publié à Grenoble en 1671, et le Nobiliaire de Champagne, publié à Paris en 1673 par L. F. Le Fèvre de Caumartin.

  • 4 Sur André Duchesne et le milieu des généalogistes érudits du XVIIe siècle, voir ici même la contri (...)

4Avant ces années 1670, qui voient se fixer un genre canonique de la culture généalogique du royaume, l’intitulé le plus usité était celui d’« histoire généalogique », selon la formule couramment employée par André Duchesne ou les frères Sainte-Marthe, figures de référence de l’écriture savante4. Mais il existe une grande variété d’intitulés qui permettent d’avertir le lecteur de la place et des formes du discours généalogique et d’instituer une multitude de nuances de genres littéraires et historiques. Les « tables généalogiques » annoncent une représentation graphique, sous forme de diagrammes ou d’arbres ; les armoriaux se fondent sur la mémoire héraldique et la reproduction ou la description des blasons ; les « histoires » sont plus narratives et anecdotiques ; des notices généalogiques apparaissent au milieu de vastes récits historiques (notamment dans les histoires de pays, de provinces ou de villes) par le dispositif des sous-titres. Sans marquer la disparition de cette variété, l’apparition des nobiliaires ouvre une production éditoriale plus nettement tournée vers la publication de recueils de généalogies organisés sous forme de « dictionnaires » au cours du XVIIIe siècle. La mise en forme du savoir généalogique se plie ainsi à l’évolution des cultures savantes et des formes d’ordonnancement du savoir. Le nobiliaire apparaît alors comme le précipité d’une culture généalogique dans ses rapports avec le temps et l’histoire.

  • 5 H. Bernstein, « La Rochepozay, Ghost-Writer: Noble Genealogy, Historical Erudition and Political E (...)
  • 6 O. Poncet, « La Gallia christiana (1656) des frères de Sainte-Marthe : une entreprise gallicane ?  (...)

5La première moitié du XVIIe siècle a consacré le genre de l’« histoire généalogique » comme champ d’expérimentation et de mise en œuvre des approches érudites antiquaires5. Dans le sillage d’André Duchesne ou de Pierre d’Hozier, juge d’armes de France–et souvent en correspondance avec eux–, les érudits provinciaux ouvrent de nouveaux chantiers historiographiques6 dont l’un des plus important concerne l’histoire des familles nobles, souvent encore en relation avec l’écriture d’histoires provinciales, mais aussi de manière plus autonome. Dans la plupart des provinces du royaume, on voit ainsi se multiplier les publications et plus encore les projets de publication d’histoires généalogiques des maisons nobles. En effet, l’histoire généalogique des maisons nobles est « à la mode » et les érudits, notamment dans le milieu de la robe, se lancent dans la collecte d’archives leur permettant d’établir, selon les nouveaux critères de validation du discours historique, les généalogies du plus grand nombre de familles possible. Toutefois, ils se heurtent aux difficultés immenses de l’entreprise, liées notamment à la dispersion des documents « authentiques ». Lorsqu’ils paraissent, les recueils de généalogies sont souvent le fruit d’un travail qui s’étale sur plusieurs générations, mais aussi d’un travail collectif auquel contribuent à la fois les familles elles-mêmes et les « savants » et « curieux » de Paris et de province. Se met en place, à l’échelle du royaume, un véritable réseau de généalogistes érudits polarisé par quelques grandes figures de cette pratique historique et marqué par la collaboration active (envoi de pièces, voire de généalogies) dans un climat d’émulation qui confine parfois à la concurrence.

  • 7 Jean-Baptiste de L’Hermite-Souliers, Histoire généalogique de la noblesse de Touraine enrichie des (...)
  • 8 Ibid., Avant-propos (non paginé).

6Certains de ces auteurs se firent connaître auprès d’un large public grâce à la rédaction d’histoires généalogiques concernant les maisons souveraines de France ou d’Europe. Mais ils ne dédaignèrent pas l’histoire locale, à laquelle ils purent apporter une contribution tout en renforçant leurs assises provinciales. André Duchesne, généalogiste érudit au service de la monarchie, publia, entre 1621 et 1639, plusieurs « histoires généalogiques » chez Sébastien Cramoisy, grand imprimeur parisien et libraire personnel de Richelieu. Un peu plus tardivement, le frère de Tristan L’Hermite, Jean-Baptiste de L’Hermite-Souliers, construisit également sa carrière littéraire dans le champ de l’histoire généalogique et de l’héraldique avec une série d’ouvrages sur les maisons italiennes favorables à la France. Ces ouvrages, destinés à un public plus mondain, étaient caractérisés par le grand soin apporté aux gravures héraldiques et l’on retrouve la même qualité esthétique dans une publication plus tardive consacrée à sa province d’origine, la Touraine7. Dans ce recueil, dédié à François de Beauvillier, duc de Saint Aignan, gouverneur de Touraine, l’auteur donne un état de la noblesse par ordre alphabétique des familles qui « subsistent aujourd’hui », évoquant en quelques lignes les lignages éteints mais prestigieux dans son avant-propos. Chaque notice est ornée du blason gravé de la maison considérée, suivie d’une présentation généralement élogieuse des origines puis d’une généalogie organisée en degrés descendants avec mention de titres et de leur date. Le chevalier de L’Hermite précise qu’il a « dressé [les généalogies] qui sont comprises dans cette histoire sur les originaux qui [lui] ont été communiqués durant [son] séjour dans ladite Province8 ». Il s’applique à mettre en œuvre les procédés éprouvés par les généalogistes érudits, même si, sur le fond, ces généalogies furent par la suite critiquées pour leur complaisance.

  • 9 Gilles-André de La Roque, Blasons des armes de la royale maison de Bourbon et ses alliances…, Pari (...)
  • 10 Sur le travail théorique chez La Roque, voir D. Ribard, « Travail intellectuel et violence politiq (...)

7Réputé, au contraire, pour sa sévérité à l’égard des légendes familiales, Gilles-André de La Roque (1598-1686) tenta d’abord de se faire connaître par ses talents d’héraldiste avec la publication, en 1626, d’un armorial de la maison de Bourbon9. Après de longues recherches dans les archives des maisons normandes, il publia, en 1653, un Éloge de la maison de Bellièvre et annonça, la même année, dans une Lettre aux intéressés en l’histoire des maisons nobles de Normandie, un ambitieux projet qui devait se composer de sept volumes de généalogies distribuées selon l’ordre des diocèses, bailliages et généralités par ordre alphabétique. Il n’en publia que les deux premiers volumes, en 1654, sous le titre d’Histoire générale des maisons nobles de la province de Normandie. Par la suite, il semble avoir abandonné la rédaction de ces recueils et, après une monumentale Histoire généalogique de la maison d’Harcourt en quatre volumes (1662), il se tourna avec un très grand succès vers des ouvrages plus théoriques : le Traité du blason (1673), le Traité du ban et de l’arrière-ban (1676) et le Traité de la noblesse et de ses différentes espèces (1678)10.

  • 11 P.-F. Fournier, « Un nobiliaire de Provence inachevé de Pierre d’Hozier », Bibliothèque de l’École (...)
  • 12 Ibid., p. 381.

8Une autre de ces figures est Pierre d’Hozier (1592-1660) dont la charge de juge d’armes fait un expert des blasons et armoiries de l’ensemble du royaume, mais qui conserve un lien privilégié avec sa province d’origine, alors que sa position à la cour et au sein de l’administration monarchique n’est pas encore aussi assurée qu’elle le sera pour ses successeurs. Il n’hésite pas à mettre sa plume au service de diverses familles provençales détenant un pouvoir de patronage et compose des généalogies particulières. Mais il semble avoir également conçu le projet d’une « Histoire générale des maisons nobles de Provence11 ». En 1666, Charles-René d’Hozier, son fils, fit paraître, en effet, un prospectus annonçant la future publication d’une « Histoire générale des maisons nobles de Provence, Comtat d’Avignon, de la Principauté d’Orange & du comté de Nice », dans lequel il affirmait que son père avait entrepris en 1657 de travailler à l’« histoire généalogique des maisons nobles de Provence » et avait publié un « catalogue de celles dont il avait déjà connaissance pour obliger les personnes qui y estoient nommées de luy donner communication des Titres qui pouvoient contribuer à l’accomplissement de son entreprise ». Il ajoutait que ce travail était resté inachevé en raison de la mort de Pierre d’Hozier et annonçait la parution prochaine de la première partie de cet ouvrage qui contenait les maisons des princes, ducs, marquis et comtes suivant l’ordre chronologique d’érection des terres. Le prospectus de 1666 donne les tables de cette première partie ainsi que celles d’une deuxième partie par ordre alphabétique des familles (cent soixante-dix-neuf noms, d’Abon à Volland) et mentionne une troisième partie consacrée aux familles de « robe longue », et une quatrième partie contenant les familles d’Arles, Marseille, Avignon, Nice et Orange. Dans son « avertissement », il en appelle à la collaboration des familles provençales car « il est fort difficile de pouvoir mettre dans sa dernière perfection un ouvrage de si grande étendue sans estre assisté de plusieurs lumières, qui peuvent encores estre cachées parmy les Chartes, tant publiques, que particulières des Nobles, & des curieux de la Province » et il « supplie ceux qui sont intéressé en leur nom ou pour l’honneur de leur Pays, ou pour la satisfaction du Public » de les lui faire parvenir au plus tôt pour lui permettre d’achever cette vaste entreprise. En 1677, les Tables des provençaux illustres […] furent effectivement publiées à Aix, par Louis de Cormis, président à mortier au parlement d’Aix, auquel Charles-René d’Hozier avait confié les manuscrits de son père, en 1664. Mais le président de Cormis mourut à son tour, en 1669, et n’acheva pas l’impression du manuscrit qui resta entre les mains de ses héritiers, puis fut confié au père Dominique Robert de Briançon. Selon les notes manuscrites de Charles-René d’Hozier, les recherches de Pierre d’Hozier étaient rassemblées en « trois grands portefeuilles in-fol. épais chacun de 4 à 5 pouces » et « dans lesquels toutes les maisons les plus illustres et les plus considérables étoient toutes dressées et écrites proprement et nettement en tables de la main de feu mon père12 ». À son grand désespoir, Charles-René d’Hozier ne parvint jamais à récupérer ces portefeuilles qui restèrent aux mains du père Robert et servirent à la rédaction de son nobiliaire de Provence, publié en 1693.

  • 13 Jacques Le Long et Charles-Marie Févret de Fontette, Bibliothèque historique de la France, Paris, (...)
  • 14 Augustin Du Paz, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, Paris, N. Buon, (...)
  • 15 A. Bourdeaut, « Le père Du Paz et l’histoire généalogique de Bretagne », Mémoires de la Société d’ (...)
  • 16 Guy Autret, Annotations sur les lettres patentes du roy, portant commission de convoquer le ban et (...)
  • 17 H. Waquet, « Messire Guy Autret sieur de Missirien et de Lesergué », Mémoires de la Société d’hist (...)
  • 18 Rosmorduc (comte de), Guy Autret, seigneur de Missirien, correspondant de Pierre d’Hozier en Basse (...)
  • 19 Ibid., lettre du 8 février 1638 : « Vostre gesnie a un ascendant absolu sur le mien et je n’ay jam (...)
  • 20 Ibid. : « je vous faits le mesme compliment pour mon histoere du Chastel, vous supliant de m’aider (...)
  • 21 Pierre d’Hozier, Recueil armorial de Bretagne…, Paris, 1638.

9De même en Languedoc, Jean de Rignac (mort vers 1660), conseiller à la cour des Aides de Montpellier, travailla à un nobiliaire qui demeura à l’état d’ébauche. Selon Charles de Baschi, marquis d’Aubais (1686-1777), qui acheta cinquante-sept de ses manuscrits, en 1713, « il avoit le projet de composer une fort longue Histoire du Languedoc. Il faisoit l’Histoire particulière de chaque Ville & de tous les Seigneurs de ces Villes, & la généalogie de leurs Maisons. Il avoit ramassé une grande quantité de manuscrits sur ce sujet13 ». En Bretagne, l’histoire de la noblesse suscita l’intérêt des clercs comme des laïcs à la suite de la publication du Père Augustin Du Paz († 1631), dominicain au couvent de Notre-Dame-de-Bonnes-Nouvelles à Rennes, en 1619, qui marque une première inflexion généalogique de l’historiographie bretonne14. L’ouvrage de plus de mille pages, illustré de cinquante blasons, suscita très rapidement les critiques sur son caractère incomplet et insuffisamment rigoureux, stimulant divers projets de continuation et de correction de cette première ébauche15. Guy Autret (c. 1599-1660), seigneur de Missirien, illustre bien le labeur de ces érudits provinciaux travaillant à l’ombre des généalogistes parisiens. Il était très lié à Pierre d’Hozier avec lequel il entretenait une correspondance régulière, dans laquelle il fait également allusion à André Duchesne et aux frères Sainte-Marthe comme figures tutélaires de la pratique généalogique. Il publia en 1637 un opuscule sur la convocation du ban en Bretagne16, à l’occasion de la guerre de Trente ans qui lui valut, l’année suivante, l’ordre de Saint-Michel pour « services exceptionnels pour la propagande de l’intérieur17 ». Correspondant de la Gazette de Théophraste Renaudot, il y publia deux relations du voyage d’Henriette de France, reine d’Angleterre, en Bretagne. Il se consacra, plus tardivement, à l’histoire religieuse de sa province avec la publication d’une Vie de Saint Joachim, en 1655, et d’une édition augmentée des Vies des saints de la Bretagne Armorique d’Albert le Grand, en 1659. Mais il travaillait également à un armorial de Bretagne. Sa correspondance avec Pierre d’Hozier révèle les modalités de leur collaboration18. Ainsi, dans une lettre du 24 août 1637, Guy Autret fournit à Pierre d’Hozier de nombreux renseignements sur la généalogie et les armes de M. de Loumaria du Parc, précisant que ce dernier lui a promis de lui communiquer d’autres pièces dont il lui fera part ultérieurement. Dans une autre lettre, du 8 février 1638, le généalogiste breton rend hommage à son maître19, lui demande conseil et le prie de solliciter également ceux des sieurs Duchesne et Sainte-Marthe à propos d’un projet d’ouvrage généalogique sur la maison de Chastel20. Mais il manifeste également une pointe d’amertume à l’annonce de la publication de l’Armorial de Bretagne par d’Hozier21. Il se propose dès lors, en ménageant la susceptibilité de son influent correspondant, auquel il soumet son projet, de publier son propre armorial au prix de quelques aménagements qui permettront d’en faire un ouvrage historique :

  • 22 Rosmorduc (comte de), Guy Autret…, op. cit., p. 123.

« Enfin je vous done absolument toute mon aprobation et neanmoins je ne lesse pas d’estre touché de la passion d’Alexandre, lors qu’il aprenoit les victoeres de son père, j’admire et aprouve vostre travail, mais avec ce deplaesir que vous ne nous lessés plus rien à dire ni à faire. L’Armorial que j’avois préparé n’est dessormais qu’une copie de celui que vous avés fait imprimer, et le peu que j’y pouré adjouter ne sera pas capable d’empecher que l’on ne crie au larron, et je creins que quelque changement que je lui done, il ne sera pas plus déguisé que celui qui prenoit son colet à l’anvers affin de n’estre pas cognu. Neanmoins puisque mon dessein est formé, je le continuré, j’adjouteré peut-estre 6 ou 600 armoeries, que vous n’avés pas voulu employer au vostre, et pour rendre mon ouvrage plus historique je feré imprimer 15 ou 20 lignes au-dessous de chaque escusson, affin de spécifier l’eveché, la paroesse et la juridiction où la maison se trouvera située, je diré combien de fois elle aura changé de main, de nom et d’armes & si celui qui la possède la tient par ecquet ou succession. Mais pour rendre ma pièce belle il faut grand nombre de tailles douces et la paine de quelque persone capable d’instruire le graveur, je ne puis refuser l’offre que vous me faites de vostre assistance, laquelle je n’usse osé vous demander, sachant vos occupations continueles, mais que j’accepte de tout mon coeur, puis qu’elle procède de vostre mouvement et affections22. »

  • 23 Voir la contribution d’Élodie Lecuppre-Desjardin sur les généalogies des princes de Bourgogne.
  • 24 Jean Le Carpentier, Histoire généalogique des Pays-Bas ou Histoire de Cambray et du Cambresis, con (...)
  • 25 Jean Le Carpentier, ibid., Préface (non paginée).
  • 26 Ibid.
  • 27 Ibid.

10Quelques années plus tard, le généalogiste breton annonce ainsi, dans un prospectus, son Dessein et project de l’histoire généalogique de Bretagne (1642), qui ne fut jamais publié. Les projets paraissent plus nombreux que les publications, dans un contexte d’éparpillement documentaire qui rend difficile l’achèvement de recueils répondant aux nouveaux critères de l’histoire érudite. Les travaux les plus aboutis concernent les anciens pays bourguignons qui bénéficiaient depuis le Moyen Âge d’une forte tradition historiographique et héraldique23. En 1631, Philippe de L’Espinoy proposa au public un recueil historique sur les « antiquités et noblesse de Flandre », contenant, entre autres, une généalogie des comtes de Flandres et « un Recueil des nobles et riches chastellenies, baronnies, et infinité de belles seigneuries du ressort et district du pays, avec une déduction généalogique de ceux qui les ont possédées ». Plus de mille cent armoiries gravées ornent l’ouvrage, avec, pour l’une des premières fois, un système de hachures cohérent pour signifier les émaux héraldiques. En 1648, François Vinchant publia les Annales de la province et comté d’Haynau, qui offrait au public une généalogie des comtes de Hainaut, mais aussi les « descentes de la noblesse » de cette province. Le relevé des familles nobles est, certes, incomplet, mais l’idée d’associer à la recherche des « antiquités » une description généalogique de la noblesse se développe. L’ouvrage le plus complet sur les Pays-Bas fut composé par un imprimeur-libraire de Leyde, Jean Le Carpentier, qui édita, en 1664, une Histoire généalogique de la noblesse des Païs-Bas, ou Histoire de Cambray24. Cet ouvrage, dédié aux États de Hollande et de West-frise, est composé de quatre parties : une première partie est consacrée à l’histoire du Cambrésis, une deuxième donne un état des « mérites et fragments généalogiques » des dignitaires ecclésiastiques et laïcs, une troisième renferme les généalogies et armoiries d’environ quatre mille familles nobles et, enfin, la dernière partie contient les « très rares preuves qui sont les vrayes bases des ouvrages de cette nature25 ». L’auteur revendique très clairement son adhésion aux règles de l’histoire érudite, les ouvrages de « cette nature » étant ceux au premier desquels il place l’œuvre de Duchesne, « dont les cendres doivent estre à jamais révérées des savants & des curieux26 ». S’adressant aux lecteurs, il affirme qu’« ils n’y rencontreront pas de flatteries impudentes, ni des mensonges déguisés, n’ayant rien avancé dont [il] n’ay de bons Autheurs & de grands Hommes pour garants, ou [ses] yeux pour témoins27 ». Son ouvrage reste toutefois marqué par le style épidictique qu’il revendique également dès le titre (« Éloges ») et dans sa préface. De fait, les histoires généalogiques de la noblesse–tout autant que les histoires de la monarchie ou celles des villes–relèvent encore d’une économie de la gloire et de l’illustration que n’atténuent que partiellement les exigences d’authenticité des sources et de vérité historique.

Le temps des enquêtes de noblesse : les nobiliaires, entre contrainte étatique et recomposition sociale

  • 28 Sur Mabillon, voir le récent colloque, pour le tricentenaire de sa mort : J. Leclant, A. Vauchez e (...)
  • 29 C. Romet, « Le collectionneur François-Roger de Gaignières (1642-1715). Biographie et méthodes de (...)
  • 30 Sur les papiers de Charles Du Fresne, sieur Du Cange (1610-1688), voir P.-M. Bondois, « Le procure (...)
  • 31 Sur les enjeux historiographiques de l’analyse des réformations, voir les remarques de R. Descimon (...)

11Au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle, les méthodes de la diplomatique, notamment médiévale, s’affinent et s’affirment autour de l’œuvre de Dom Mabillon et des recherches des Bénédictins de Saint-Maur28. Au sein de la nouvelle génération d’antiquaires et d’historiens érudits, la pratique des collections documentaires est intimement liée à la culture généalogique. Gaignière a collaboré avec Le Laboureur et le Père Ménestrier, il travaille dans le cabinet de d’Hozier et les pièces généalogiques constituent le noyau de sa collection29. Les papiers de Du Cange contenaient trois portefeuilles in-folio contenant des matériaux pour un nobiliaire de France portant sur environ neuf cents familles et trois portefeuilles sur les familles de Normandie, sans compter de nombreux dossiers pour dresser un nobiliaire de Picardie, sa province natale30. Pourtant, l’élan décisif à la constitution de recueils généalogiques à l’échelle provinciale ne fut pas directement lié à la curiosité historique des érudits. C’est l’état monarchique qui, en décidant de réformer la noblesse du royaume par les enquêtes de vérification des titres, bouleversa l’identité collective du second ordre tout en constituant, en quelques années, un véritable trésor documentaire remis, par les familles nobles, entre les mains des commissaires royaux31.

  • 32 La chronologie des actes royaux concernant les vérifications de noblesse a été reconstituée à part (...)
  • 33 Sur les enquêtes de noblesse voir, notamment, J. Meyer, La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Par (...)

12Le début du règne personnel de Louis XIV est, en effet, marqué par une série de réformations de l’État monarchique dont la grande réformation de la noblesse, engagée en 1661, constitue un élément central. La volonté de contrôler le second ordre par le biais d’enquêtes de vérification des titres commence à se développer au lendemain de la Fronde, sous le ministère de Mazarin, avec l’ouverture d’une enquête en Normandie, en 155532. Le 30 décembre 1656, une déclaration la généralisa au ressort de la cour des Aides de Paris et les règlements furent précisés par une nouvelle déclaration du 8 octobre 1657. Tout cela sans grande efficacité, mais la déclaration de 1657 marquait un changement significatif en établissant une procédure qui reposait sur le dépôt des « titres originaux » des assignés et non sur les preuves testimoniales qui étaient traditionnellement utilisées dans les enquêtes de noblesse. La déclaration du 8 février 1661 relança la recherche des faux nobles dans le ressort de la cour des Aides de Paris et, en 1664, Louis XIV donna un règlement pour la recherche des faux nobles et révoqua les anoblissements octroyés depuis 1634. À partir de ce moment, les enquêtes commencèrent véritablement et s’étendirent progressivement à tout le royaume, à l’exception du Béarn et de la Navarre, exemptés par une déclaration du 11 novembre 1669. L’objectif de l’enquête, énoncé dans les ordonnances et arrêts d’ouverture, était de lutter contre les usurpations de noblesse et d’établir un « catalogue général » des nobles du royaume. Il s’agissait, en fait, d’une opération de fermeture du second ordre qui s’était largement renouvelé au cours du XVIe siècle et qui était confronté à un phénomène de crispation identitaire et de durcissement social. Mais il s’agissait aussi d’une forme de prise de contrôle monarchique par le biais d’un travail de définition juridique de la noblesse qui en réduisait la diversité sociale à deux archétypes, tous deux soumis à la reconnaissance du pouvoir : la noblesse immémoriale et la noblesse issue d’un anoblissement royal. Dans les deux cas, les règlements et la jurisprudence des enquêtes permirent d’établir non seulement que toute noblesse nouvelle émanait du roi, mais que la noblesse immémoriale elle-même ne pouvait être prouvée qu’à partir d’actes délivrés par des officiers royaux33.

  • 34 Sur le cas de la Bretagne, J. Meyer, La noblesse bretonne…, op. cit., p. 29-73.
  • 35 Sur la Provence, voir F.-P. Blanc, Origine des familles provençales maintenues dans le second ordr (...)

13La vérification des titres est confiée, dans la plupart des provinces, aux intendants, sauf en Bretagne où le roi nomme une chambre composée de parlementaires34 et en Provence où les commissaires sont choisis au sein de la cour des Comptes35. Les dispositions réglementaires de cette enquête plaçaient de nombreux gentilshommes dans une situation très difficile dans la mesure où la conservation des titres de familles était loin d’être une habitude, et nombreux furent ceux qui peinèrent à rassembler les documents permettant de prouver leur noblesse. À de multiples reprises, les commissaires reçurent les plaintes des assignés qui tentaient d’infléchir la rigueur des règlements sur les pièces à produire, mais la monarchie ne céda pas et continua de réclamer des preuves fondées sur un ensemble très précis d’actes authentiques définis comme actes émanant des officiers royaux, tel que cela est à nouveau précisé dans le règlement de 1667 :

  • 36 Chérin, Abrégé chronologique d’Edits…, op. cit. : « Fait au Conseil d’Etat du Roy, Sa Majesté y ét (...)

« Sa Majesté étant en son Conseil, a ordonné et ordonne que ceux qui soutiendront être Nobles seront tenus de justifier par devant lesdits commissaires, comme eux, leur père et leurs ayeuls ont pris la qualité de Chevalier ou d’Ecuyer, depuis l’année 1560 jusqu’à présent, et prouveront leurs descentes et filiations, avec possession des fiefs, emplois et services de leurs auteurs, par des contrats de mariages, partages, actes de tutelles, aveus, dénombrements et autres actes authentiques, sans avoir fait ny commis aucune dérogeance, moyennant quoy ils seront maintenus36. »

  • 37 Voir Menestrier, Les diverses espèces de noblesse et les manières d’en dresser les preuves, Paris, (...)
  • 38 Arrêts du Conseil des 12 avril et 12 juin 1683.

14Ces exigences rejoignent les méthodes de l’histoire érudite, mais y ajoutent une rigueur juridique qui ne permet pas de combler les vides de la documentation par des hypothèses vraisemblables ou par le recours à des preuves historiques, mais non juridiques : textes narratifs, monuments, tombeaux, blasons… Un bon exemple de cette jonction entre la culture généalogique érudite et les nouvelles normes de la probation est représenté quelques années plus tard par le traité du Père C.-F. Menestrier sur les preuves de noblesse37. Le travail des commissaires et des traitants chargés de la vérification des titres, même s’il est inachevé, aboutit à la production de trois grands ensembles complémentaires qui eurent une influence considérable sur la production généalogique. Il s’agit tout d’abord de l’ensemble documentaire constitué des pièces déposées par les familles entre les mains des commissaires du roi. Après la clôture des enquêtes, deux arrêts du Conseil (15 mars 1669 et 2 juin 1670) ordonnèrent que les pièces rassemblées entre les mains de Gabriel Le Noir, chargé de la révision générale de la Recherche, fussent déposées à la bibliothèque du Roi et confiées à la garde de Clairambault à qui fut donnée la tâche de dresser le catalogue général de la noblesse de France38. En Provence et en Bretagne, la chambre des comptes et le parlement conservèrent les sacs de titres des assignés, de même que les bureaux des intendances dans les autres provinces. Tout cela formait donc une immense collection de documents inédits qui permit, comme nous le verrons, d’accélérer considérablement la publication de nobiliaires provinciaux. Le deuxième ensemble est constitué par les jugements de maintenue qui se prononcent sur l’authenticité de la noblesse des assignés et établissent ainsi une jurisprudence du fait nobiliaire, entre vraie et fausse noblesse. Enfin, le troisième ensemble, plus indirect et polémique, est celui que forment les traités de noblesse rédigés à la suite de cette première réformation de la noblesse : le traité d’Alexandre Belleguise, traitant pour la vérification des titres en Provence, mais aussi ceux, plus connus, de Gilles-André de La Roque et du père Menestrier. À ces trois ensembles, clairement identifiables, il convient sans doute d’en ajouter un quatrième, qui est celui que constituent les nobiliaires provinciaux publiés dans la seconde moitié du XVIIe siècle qui tous, d’une manière ou d’une autre, sont liés au travail de vérification des titres de noblesse.

15Du point de vue de la production d’un discours généalogique, qui est aussi un discours sur la noblesse, surtout lorsqu’il s’agit de généalogies collectives, les enquêtes du début du règne personnel de Louis XIV eurent, en effet, des répercussions considérables. Même si les auteurs de nobiliaires n’adhèrent pas tous aux nouvelles conceptions de la noblesse portées par les opérations d’enquête, tous se situent désormais dans ce nouvel horizon théorique, soit pour le conforter, soit pour en détourner les effets.

  • 39 D. Ribard, « Travail intellectuel et violence politique… », dans V. Azoulay et P. Boucheron, Le mo (...)
  • 40 Louis-François Le Febvre de Caumartin, Recherches de la noblesse de Champagne, Châlons, Seneuze, 1 (...)

16Certains des nobiliaires donnés au public par les acteurs principaux des enquêtes, commissaires ou traitants, participent d’une forme de « violence faite à la société », si l’on considère sous cet angle le mécanisme autoritaire de confiscation de la vérité nobiliaire qui accompagne les réformations de Colbert39. Au même titre que les traités de noblesse de Belleguise ou de La Roque imposent par leur travail de théorisation la conception monarchique du fait nobiliaire, les catalogues de Caumartin ou de De Caux publient un état de la noblesse telle qu’elle est reconnue par la monarchie. Alors qu’elle se présente comme reflet de la réalité sociale, l’entreprise généalogique des nobiliaires façonne une vérité sociale et un nouveau régime de probation en matière d’ascendance noble. Louis-François Le Febvre de Caumartin (1624-1687), qui avait mené la vérification des titres de noblesse en Champagne dont il était intendant (1667-1673), publia en 1673, à Châlons, le fruit de son travail dans un ouvrage intitulé Recherches de la noblesse de Champagne40. Il s’agissait du catalogue contenant les noms, surnoms, armes et demeures des gentilshommes maintenus tel qu’il était prévu dans l’arrêt d’ouverture de l’enquête du 22 mars 1666, publié sous deux formats différents. Un grand in-folio qui accompagnait le recueil des généalogies dressées par Charles-René d’Hozier et un in-8 ° plus spécifiquement destiné au public. Dans son épître dédiée au roi, Caumartin présente son ouvrage comme un « compte public de [son] employ » qui permet d’attester de son zèle à servir le monarque et à suivre « toutes ses intentions en exécutant ses Ordres ». Comme le fait plus longuement Belleguise dans son traité, Caumartin affirme en quelques mots le postulat selon lequel « la Majesté du Prince est la source de toute la Noblesse ». Il justifie ensuite l’entreprise monarchique de réformation de la noblesse qui consistait à « séparer les véritables Nobles de ceux qui ne l’étaient pas », à « purifier » la noblesse. Par ses ordonnances, le roi a « réglé le bien public, & l’avantage des particuliers, la conservation de la véritable Noblesse, l’augmentation des Finances & le soulagement des peuples ». Son épître dédicatoire apparaît ainsi, en grande partie, comme une reformulation des ordonnances royales, reprenant terme à terme les motifs des textes de loi. L’intendant ne néglige pourtant pas totalement le public de ses lecteurs qu’il confond avec la noblesse de Champagne :

  • 41 Id., Nobiliaire de Champagne. Recherche de la noblesse de Champagne […] comprenant la continuation (...)

« ce pourroit estre une chose agréable à V. M. & utile au public, de mettre dans un Recueil toutes les Maisons des Gentils-hommes de Champagne, & de faire imprimer leurs Généalogies, avec les extraits des Titres reconnus & vérifiez sur les originaux. Les personnes de qualité auront sans doute de la joye, qu’on expose aux yeux de tout le monde cette ancienne vertu qui brille dans leurs Maisons depuis tant de siècles. Ils regarderont ce Recueil comme un Titre que l’impression rendra incorruptible, qui malgré le malheur des temps se conservera pour eux sans qu’il leur en coûte ny soin ny peine, & qui fera voir un jour aux descendants de ceux qui vivent aujourd’hui les preuves de leur Noblesse, & leur Généalogie, vérifiée par un Commissaire du plus sage, & du plus grand Monarque du monde41. »

17Ce recueil, qui fut, par la suite seulement, qualifié de « nobiliaire de Champagne », apparaît ainsi, aux yeux de son auteur, comme un « titre » de noblesse collectif, comme un véritable acte authentique. Parce qu’il a été produit par un agent du pouvoir royal dans l’exercice de ses fonctions, le recueil prétend transcender sa simple dimension historique de témoignage ou de monument pour devenir, en tant que tel, un titre ayant valeur de preuve. L’acte de publication apporte, en outre, un caractère « incorruptible » au recueil, au contraire des titres de familles, si facilement perdus ou détruits comme les gentilshommes assignés ont pu en faire l’expérience. Dans les faits, le recueil de Caumartin, pas plus que ceux dressés par d’autres commissaires royaux, ne fut jamais reconnu par la monarchie comme titre de noblesse, notamment lors de la reprise des vérifications, à partir de 1696. Seuls les arrêts de maintenue peuvent être reçus comme preuves. Mais la prétention est significative de la valeur performative prêtée à de tels ouvrages qui rendent publiques les décisions de maintenue, décrivent très concrètement le groupe restreint des « vrais » nobles de la province et donnent des généalogies conformes aux représentations juridiques de la « vraie » noblesse. Le recueil rassemble ainsi les généalogies des familles maintenues selon un modèle strictement identique, sans doute défini par l’intendant et par d’Hozier dans un formulaire : d’abord le patronyme, puis la province d’origine, une gravure du blason avec description des armes de la famille ; ensuite la généalogie par degrés descendants ; enfin les pièces justificatives pour chaque degré prouvé.

  • 42 Dans un contexte très différent, l’expérience parisienne, voir R. Descimon et É. Haddad (dir.), Ép (...)

18Le catalogue, publié en 1676 à Pézenas par Henri de Caux, se rapproche par bien des aspects de celui de Caumartin, mais il en diffère aussi. Nous ne savons rien de ce personnage qui n’était pas l’un des commissaires du roi et qui se présente simplement comme « habitant de la ville de Pezenas qui a été présent lors desdits jugements de noblesse ». Il offre, en effet, au public et à la noblesse languedocienne, à laquelle il dédie son ouvrage, un Catalogue général des gentils-hommes de la province de Languedoc, dont les titres de noblesse ont été remis devant monsieur de Bezons…, intendant chargé de la recherche de la noblesse, ouverte en 1668. Son épître dédicatoire insiste davantage encore que celle de Caumartin sur la notion de publication, tout en présentant les recherches de noblesse comme une « épreuve » voulue par le roi, mais aussi comme un second anoblissement42. L’autorité monarchique et le service de l’État constituent, selon Henri de Caux, le fondement de toute noblesse, mais il accorde une place particulière à la « renommée » et adopte une posture plus modeste que l’intendant de Champagne quant à la valeur de son ouvrage :

  • 43 Henri de Caux, Catalogue général des gentilshommes de la province de Languedoc…, Pézenas, Jean Mar (...)

« J’ay cru qu’il étoit juste d’en informer le Public, afin que tout le monde sçache que vous avez été par manière de dire Annoblis une seconde fois, par cette authentique déclaration de Sa Majesté, qui ayant fait tomber les faux nobles à peu près comme on voit tomber ces faux luisans qui semblent estre des astres & ne sont que des vapeurs de la terre, vous a fait en mesme temps paroitre plus fixes et plus brillants dans le ciel de l’Estat […]. Ce n’est pas MESSIEURS que je me flatte assés pour croire que mon Livre puisse donner plus grand éclat à vos Noms & vos Titres ; ils font trop grand bruit, ces Noms & ces Titres, pour avoir besoin d’une voix aussi foible que la mienne, la Renommée qui a cent bouches pour répandre par tout, les grandes & immortelles actions, par lesquelles on s’élève aux dignités que vous possédez, n’a sans doute laissé rien à dire sur un si beau sujet : Mais comme un chacun de vous MESSIEURS, sera peut-être bien aise d’avoir non seulement chez luy les Titres de sa Noblesse, mais encore un fidèle recueil de tous ceux qui ont été jugés tels dans cette province, j’ay cru que vous approuveriez mon travail, & que vous agréeriés le soin que j’ay pris de vous unir tous ensemble dans le corps de cet ouvrage, comme vous l’êtes dans le Corps de l’Estat, dont vous composez la plus belle & la plus éclatante partie43. »

19Il n’en demeure pas moins que l’opération de publication produit les mêmes effets que celle de Caumartin, à savoir de réduire la noblesse de la province au groupe des maintenus et d’établir une équivalence stricte entre les nobles reconnus par le roi et ceux qui le sont par la renommée. Sa position d’auteur, manifestement en quête de patronage, le conduit toutefois à ouvrir ce corps de la noblesse par un avertissement au lecteur qui précise que son catalogue est incomplet en raison de la suspension des recherches, ce qui lui permet d’inviter les nobles maintenus depuis lors à lui faire parvenir les arrêts qu’il pourrait inclure dans une prochaine édition de son ouvrage.

  • 44 Anne Blanchard a utilisé le manuscrit de ce catalogue pour ses recherches sur les enquêtes de nobl (...)

20Quant au contenu du catalogue44, il est organisé géographiquement–d’abord par généralité (Toulouse et Montpellier) et à l’intérieur de chaque généralité, par diocèse–puis par ordre alphabétique au sein de chaque diocèse et enfin par ordre chronologique des arrêts de maintenue pour chaque lettre de l’alphabet. Les notices sont extrêmement réduites et ne constituent pas de généalogies. Il indique simplement la date du jugement, le nom du maintenu « déclaré Noble par jugement souverain », ses titres, seigneuries et charges et ajoute parfois le fondement juridique de la noblesse, par exemple « déclaré Noble par jugement souverain comme capitoul de Toulouse » ou encore « déclaré Noble de race ». Il précise ponctuellement quelles sont les armes de la famille, d’autres fois quel a été le commissaire rapporteur. Il s’agit pourtant bien d’un nobiliaire puisqu’il donne l’état de la noblesse de la province, le contenu détaillé des généalogies étant superflu car supposé conforme aux règlements établis par la monarchie et renvoyant implicitement aux attendus des jugements. Comme Caumartin, mais avec moins de précision généalogique parce que, sans doute, l’accès aux pièces lui était plus difficile, le nobiliaire d’Henri de Caux fabrique en même temps qu’il le donne à voir le nouveau visage de la noblesse tel qu’il a été dessiné par les commissaires royaux.

21Ces deux exemples de recueils tirés directement du travail d’enquête mené par les agents du roi ne sont toutefois pas représentatifs de la majorité des nobiliaires publiés après les réformations de noblesse. On doit examiner aussi la capacité variable des généalogies collectives à refaçonner un accord de la noblesse sur elle-même selon différents modes de réappropriation sociale des normes imposées. L’examen des polémiques et des débats internes autour des nobiliaires de la fin du XVIIe siècle est un indicateur des tensions que suscite la nouvelle vérité généalogique, prise entre norme et accord, conformité aux règles probatoires et adaptation aux attentes traditionnelles, intériorisation du droit et souplesse des logiques sociales.

Les nobiliaires comme œuvres de réappropriation sociale et objets de controverses savantes

22Pour la plupart des auteurs, qui ont eu accès aux dossiers de preuves, la fidélité au projet monarchique est pour le moins ambiguë et, dans bien des cas, les ouvrages relèvent davantage d’un travail de réappropriation, voire de réparation du corps blessé, amputé, de la noblesse. Que ce soit Guy Allard, en Dauphiné, ou l’abbé Robert de Briançon, en Provence, pour ne citer que deux exemples, ils furent bien souvent critiqués par leurs contemporains et leurs successeurs pour leur trop grande complaisance et furent, en effet, bien loin de s’en tenir aux jugements de maintenue pour déterminer qui méritait ou non de trouver place dans leurs recueils, tandis que leur conception de la preuve de noblesse ne s’en tenait pas toujours aux critères définis par la jurisprudence, voire par les historiens érudits. Il faut ajouter à cela que la mise à disposition du trésor documentaire constitué au cours des enquêtes provoqua un emballement et une concurrence entre les érudits pour publier le premier le nobiliaire de sa province, ce qui conduisit parfois à des publications précipitées.

  • 45 Nicolas Chorier, Le projet de l’Histoire de Dauphiné de Nicolas Chorier, Lyon, chez Guillaume Barb (...)

23C’est ce qui se produisit en Dauphiné, où deux historiens généalogistes, Nicolas Chorier et Guy Allard, ayant également participé aux enquêtes de noblesse, se trouvaient en compétition. Nicolas Chorier (1612-1692), « Procureur du Roy à la recherche des Nobles », publia, en 1671-1672, son Estat politique de la province de Dauphiné, en quatre volumes in-12. L’œuvre fut rééditée, après sa mort, sous le titre de Nobiliaire du Dauphiné (1697). Il avait été annoncé, dès 1654, dans un prospectus qui promettait aux « honneste gens » une histoire du Dauphiné composée de trois « décades » avec, dans la deuxième décade, une description « topographique et historique » des principales villes de la province « accompagnée de toutes les inscriptions anciennes & de la plus part des Modernes les plus considérable avec les noms, Armes & l’origine des familles et des races Nobles45 ». Mais l’accès aux titres des assignés pour les recherches de noblesse semble avoir infléchi notablement son projet. L’Estat politique de la province de Dauphiné comporte dans son troisième tome (695 pages), après un chapitre sur les origines de la noblesse dauphinoise qui donne également un état des fiefs de dignité (chapitre xv « De la noblesse »), un chapitre intitulé « Nobiliaire » (page 36 à 634), qui présente par ordre alphabétique une suite de généalogies plus ou moins développées en fonction de l’importance des familles concernées. La description généalogique est rarement exhaustive, même s’il donne souvent une filiation suivie. Chorier présente un premier personnage (le plus ancien connu), dont l’existence est attestée par un acte ou la possession d’une seigneurie, puis indique les branches qui en sont issues ou tout simplement ses descendants vivant au XVIIe siècle, en sautant parfois plusieurs générations grâce à l’emploi de la formule « il est le bisayeul/trisayeul de… ». Des détails sont précisés sur les membres les plus illustres du lignage et sur les plus contemporains, tels que leurs emplois, honneurs et dignités, ou leur participation à des événements historiques. Il donne ensuite une description des armes de la famille, parfois sa devise. Les notices sont donc assez brèves, mais habilement rédigées pour donner un sentiment de continuité et de cohérence.

24Guy Allard (1635-1716), avocat au parlement de Grenoble, qui travailla en 1666-1667 comme copiste dans les bureaux de l’intendant du Lyonnais François Dugué, en charge des recherches contre les usurpateurs de noblesse, publia, en 1671, un Nobiliaire de Dauphiné ou Discours historique des familles nobles qui sont en cette province, avec le blason de leurs armoiries. Il dédia son ouvrage à Denis de Salvaing, premier président de la chambre des comptes du Dauphiné, qu’il remercie dans son épître de son aide pour la confection de son ouvrage. L’ouvrage de Guy Allard est nettement plus succinct que celui de Chorier, même si l’organisation des notices est assez proche. Il y mentionne les origines géographiques de la famille et ses armes, avec pour plusieurs familles ces seules indications, pour d’autres, il ajoute quelques personnages illustres ou les membres actuels de la famille. La publication manifestement précipitée de son nobiliaire le conduit, dans sa préface, à prévenir les critiques en le présentant comme un « petit avant coureur » d’un projet plus vaste de l’« Histoire générale de toutes ces familles » qu’il offre au public « pour satisfaire l’impatience de ceux qui attendent cet ouvrage ». Il ajoute :

  • 46 Guy Allard, Nobiliaire de Dauphiné ou Discours historique des familles nobles qui sont en cette pr (...)

« Dans l’Histoire que je promets, & qui suivra de près ce Nobiliaire, on verra chaque genealogie rangée, chaque branche attachée à son tronc, & chaque degré où il doit estre. On y trouvera les Ecussons de toutes les Races, & à la suite on y apprendra les noms de toutes les familles alliées46. »

  • 47 Ibid.
  • 48 Guy Allard, Histoire généalogique des familles, de Bonne, de Crequy, de Blanchefort, d’Agout, de V (...)
  • 49 Id., Histoire généalogique des familles de Du Puy-Montbrun et de Murinais, Grenoble, chez Laurens (...)

25Il paraît, en effet, bien conscient des lacunes de son ouvrage et promet, pour ce qu’il nomme son « grand Ouvrage », d’aller « droit sur les pas de Messieurs de Sainthe Marthe, du Chesne, d’Hozier, Le Laboureur, & de quelques autres qui me montrent le chemin que je dois tenir47 ». Mais Allard ne mentionne à aucun moment son concurrent, Nicolas Chorier, allant jusqu’à affirmer qu’il est le « seul qui ay tiré des ténèbres les familles éteintes », au prix d’un long et laborieux travail. Ainsi, alors qu’il a directement participé aux enquêtes de noblesse, il omet de le signaler et choisit la position d’historien érudit au service d’une noblesse locale et sous le patronage du président de la chambre des comptes, institution locale de régulation de la noblesse. Loin de réduire la noblesse dauphinoise au groupe des maintenus, il l’ouvre aux familles éteintes, dans une perspective épidictique qui se place dans la continuité d’une certaine tradition historienne. De fait, il poursuivit son grand projet, avec la publication de quatre recueils de généalogies, entre 1672 et 1680, dont le contenu, beaucoup plus détaillé, répond au programme fixé dans son Nobiliaire. Le premier, une Histoire généalogique des familles, de Bonne, de Crequy, de Blanchefort, d’Agout, de Vesc, de Montlor, de Maubec et de Montauban48, était dédié au duc de Lesdiguières (1600-1677), tout puissant gouverneur du Dauphiné, issu de la maison de Bonne de Créquy, auquel il prêta une origine illustre alors qu’il était, de notoriété publique, le descendant d’une lignée de simples notaires. Cette complaisance, ajoutée aux lacunes de son premier ouvrage, lui valut de nombreuses critiques qui le conduisirent à abandonner progressivement la publication de recueils pour se consacrer à des généalogies particulières. Il témoigne, dans ses derniers écrits, d’une grande amertume, évoquant l’ingratitude de sa « patrie », les critiques injustes, allant jusqu’à se repentir « d’avoir été assez complaisant pour en avoir rendu publiques quelques unes [généalogies], qui ne méritaient ny [ses] soins ny la peine d’un imprimeur49 ».

  • 50 Robert de Briançon, L’État de la Provence, contenant ce qu’il y a de plus remarquable dans la poli (...)

26Le cas du nobiliaire de l’abbé Robert de Briançon L’État de la Provence, publié en 1693, est sans doute encore plus significatif de cette volonté de réparation du corps de la noblesse et de son choix d’une histoire, certes érudite, mais surtout épidictique50. Contrairement à Caumartin, Belleguise ou La Roque, et comme Allard ou Chorier, sa position sociale ne lui permet pas de se placer directement sous le patronage royal et le conduit à composer davantage avec les attentes de la noblesse locale. La complaisance de l’abbé Robert lui valut, tout comme à ses confrères dauphinois, des critiques allant jusqu’à la férocité, qui s’expliquent à la fois par le tournant critique de la pensée historique et par l’imprégnation progressive des représentations de la noblesse par la codification juridique du statut nobiliaire.

27Le premier de ses détracteurs, resté discret, fut Charles-René d’Hozier, essentiellement sur le reproche d’ingratitude, comme en témoigne une note dans laquelle d’Hozier affirme que les portefeuilles de son père sur la noblesse provençale avaient été récupérés par le père Robert :

« [qui] pendant la recherche de la noblesse en Provence s’était occupé à travailler sur les titres des nobles par la communication qu’on lui a donné ; et ce fut là-dessus que, s’étant approprié ce qu’il voulut de tout le travail de feu mon père, il fit le plan de son nobiliaire de Provence, après en avoir de son côté assez curieusement et exactement recherché tout ce qui pouvait servir à le rendre parfait, s’il avait osé dire la vérité. »

  • 51 Cité par P.-F. Fournier, « Un nobiliaire de Provence… », op. cit., p. 381.

28Il ajoute que l’abbé « étant venu depuis à Paris, l’an 1685, après être sorti de son couvent » et comme « il avait peu de quoi subsister », d’Hozier l’employa pendant seize ans à faire des extraits des preuves de noblesse. Mais, dans son « ingratitude », il refusa toujours de lui rendre les papiers de son père et publia son nobiliaire dans lequel « il y a bien fait des fautes volontaires pour flatter ceux de qui il pensait tirer quelconque reconnaissance, car il connoissait bien son pays51 ». Sans doute déçu dans ses espérances d’obtenir un emploi ou une charge au service du roi, il choisit de s’attirer les bonnes grâces de la noblesse de sa province d’origine.

  • 52 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence, avec observation des erreurs (...)
  • 53 Joseph-Simon de Barcilon de Mauvans, Critique du nobiliaire de Provence, manuscrit conservé à la B (...)
  • 54 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence…, op. cit., p. 18.
  • 55 Ibid., Préface.
  • 56 Ibid., p. 1.

29Le père Robert fut également critiqué par Balthazar de Maynier, auteur d’un nobiliaire provençal en deux volumes, intitulé Histoire de la principale noblesse de Provence52. On peut trouver encore dix-neuf exemplaires de critiques du nobiliaire de l’abbé Robert de Briançon, dont la plupart sont de Joseph-Simon de Barcilon de Mauvans53. Maynier et plus encore Barcilon de Mauvans se placent en défenseurs de la pureté nobiliaire. Leur conception de la noblesse diverge fortement de celle qui avait été théorisée par Alexandre Belleguise ou Gilles-André de La Roque. Toutefois, ils sont pénétrés, comme nombre de leurs contemporains, de la hantise de la souillure et du mélange social. Le champ lexical de la pureté et de son contraire–le mélange–est très présent dans les textes liminaires de leurs nobiliaires. Dès le titre, Barcilon de Mauvans présente son ouvrage comme une entreprise d’« épurement de la noblesse du Paÿs », tandis que la lutte contre les usurpations se définit comme la lutte contre le « mélange dans la noblesse ». Les deux nobiliaires, et surtout celui de Barcilon de Mauvans, s’en prennent au nobiliaire de l’abbé Robert de Briançon auquel il est reproché avec une grande véhémence de n’avoir « rien distingué dans la noblesse » ou d’avoir « tout confondu54 ». Balthazar de Maynier justifie son ouvrage par l’incompétence ou la complaisance de ses prédécesseurs : « Nostradamus, l’Abbé Robert, celui-là dans son Histoire de Provence, celui-ci dans l’état qu’il a donné de la Noblesse en ont ignoré les anciennes Chartes & les distinctions. Ces derniers historiens ont grossi le nombre des Nobles de tous États55. » C’est une atteinte inadmissible à l’intégrité de ce corps et « la Noblesse a conservé dès sa source une indignation pour ce mélange des faux Nobles56 ». Ainsi, l’usurpation menace le principe fondamental de la distinction et affaiblit la noblesse :

  • 57 Ibid. Joseph-Simon de Barcilon de Mauvans, Critique du nobiliaire de Provence, op. cit., f° 13v°.

« La fausse noblesse décrie un païs au lieu de l’illustrer ; elle ne produit qu’une fausse bravoure développée qu’elle soit de ces procedez ; la bassesse de ses actions paroît nuë ; elle rend la véritable noblesse moins recommandable, la mêle des défauts de la basse naissance ; les Gentilshommes la négligent ; ils ne sont plus exacts à la conserver pure à leurs descendans, lorsque ses distinctions et ses marques en sont rendues communes57. »

  • 58 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence…, op. cit., p. 2.

30La fausse noblesse est comme un poison, qui agit à deux niveaux. D’abord par l’exemple, ou plutôt le contre-exemple, qui ôte toute valeur aux distinctions lorsqu’elles sont attribuées à ceux qui ne les méritent pas, selon le principe qui vaut aussi bien pour des valeurs marchandes que pour des honneurs, que le plus rare est le plus précieux (et donc souvent le plus cher, dans un contexte de vénalité des offices et des dignités). Ensuite par la dilution de l’essence de la noblesse qui, à force d’être mélangée, en perd ses qualités. L’objectif des deux auteurs est donc de protéger la noblesse en l’enfermant, comme une essence précieuse, dans un flacon hermétique, à l’abri de l’air et de l’eau. Ils préconisent pour cela d’exécuter l’ordonnance de 1666 qui prévoyait la création d’un catalogue de tous les gentilshommes du royaume. L’État doit y trouver son intérêt, car l’affaiblissement de la noblesse affaiblit la monarchie dont elle est le soutien. Pour Maynier, toutes ces affirmations apparaissent davantage comme le recours à un argumentaire éprouvé dont l’objectif est avant tout de reprendre le contrôle de l’attribution de la qualité nobiliaire. Barcilon de Mauvans semble beaucoup plus radical sur la question de la pureté. S’il reprend le raisonnement et la plupart des formulations de son prédécesseur, il ajoute souvent quelques marques de mépris supplémentaires lorsqu’il évoque les faux nobles, les usurpateurs. Maynier évoque d’ailleurs sa dureté, sans le nommer, lorsqu’il parle au début de sa préface de celui qui a volé ses cahiers, « changez en une dure critique58 » contre le nobiliaire de l’abbé Robert, et qui l’a décidé à faire publier son travail. Barcilon de Mauvans se distingue essentiellement de Maynier par les longs passages qu’il consacre aux juifs de Provence et par la violence de certaines de ses notices à l’égard de ceux qu’il considère comme indignes de la noblesse.

  • 59 Sur la dénonciation des fables généalogiques aux XVIIe-XVIIIe siècles, voir R. Bizzocchi, Généalog (...)

31Le regard critique concerne non seulement les précédents historiens, qui ne suivaient pas une démarche considérée comme rigoureuse, mais aussi les sources elles-mêmes et surtout leur utilisation. Le terme de fable, pour désigner les faits prétendument historiques n’étant pas fondés sur des sources, est tout à fait significatif du tournant critique et érudit de la fin du XVIIe siècle qui voit dans l’histoire telle qu’elle se pratiquait jusqu’alors un amas de mensonges et d’élucubrations59. La dénonciation de la fable, de la falsification et du mensonge apparaît à divers degrés dans les deux textes liminaires et selon des angles d’approche différents. À un premier niveau, ils se montrent conscients des possibilités de falsification ou de manipulation des documents. Barcilon de Mauvans, qui fait de cette possibilité son principal objet de réflexion et de crainte, en fournit un éventail extrêmement complet, que l’on trouve également chez Maynier :

  • 60 Barcilon de Mauvans, Critique du nobiliaire de Provence, op. cit., f° 19v°.

« Pour conserver la noblesse dans toute sa pureté, on doit observer tous les mélanges qui s’y font par transmigration, lorsqu’une famille trouvant dans les pays étrangers un nom semblable au sien, fait débarquer un de ses ayeuls a qui il donne un nom et de titres supposés & entés dans cette famille qui luy convient, ou qu’elle le transplante d’une famille à l’autre d’une manière fabuleuse par le moyen de ces étrangers. […] Le mélange de la noblesse se fait encor par divers moyens, lorsqu’un noble preste ses titres à son parent pour le mettre avec tous ses alliés en honneur et en noblesse, lorsqu’une famille s’ente dans une autre par un faux testament ou par un autre acte portant filiation, par une usurpation de qualité autorisée, par l’acquisition des fiefs, par les richesses ou les grandes alliances. L’usurpateur s’acredite par ce moyen dans l’esprit des peuples par l’appuy de ses parents nobles, il prend le titre de noble, d’écuyer et de chevalier, il se soutient dans ce rang et la suite luy en donne le titre, et on ne peut plus découvrir l’usurpation. Le plus fréquent mélange est par la noblesse éteinte, les enfans d’un père roturier et d’une mère noble quittent l’un et prennent l’autre que toute la postérité porte ensuite60. »

32En dépit de toutes ces déclarations d’intention, Maynier se montre néanmoins compréhensif, si ce n’est indulgent, envers les prétentions fabuleuses des familles nobles. Il admet volontiers l’aspect « fabuleux » des généalogies et ne craint pas d’imputer de telles pratiques aux plus prestigieux personnages :

  • 61 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence…, op. cit., p. 23.

« Le gentilhomme de nom et d’armes prétend tirer son origine d’un Prince souverain, les Rois, les Souverains prétendent venir des premiers Empereurs, & que leurs États n’ayent pas eu des bornes ; ces mouvemens d’ambition & de gloire sont nez avec le monde ; les premières les plus excellentes créatures en ont été animées […], les premiers Rois, les Souverains de la naissance la plus élevée n’en ont pas été contens ; ils se sont fait venir des Dieux. […] Jésus Christ […] du Roi David […] de qui il s’est fait descendre en tant qu’homme […]. Les Souverains du Christianisme, les plus grands seigneurs font leur généalogie de plus qu’elle n’est ; ils la rendent inconnüe comme si elle devoit être tombée des cieux61. »

  • 62 Ibid., Préface.

33Il ne le craint pas car il s’en distingue fermement en précisant qu’il n’a « pas demandé des mémoires particuliers, pour éviter les traditions fabuleuses62 ». Cette astuce lui permet également de ménager la susceptibilité des premiers concernés par cette accusation en l’assimilant à un mouvement naturel et même à un commandement de la providence. Le nobiliaire de Maynier se présente donc comme la reprise de précédents travaux, selon une application plus stricte des principes de validation de l’histoire érudite, destiné à distinguer vraie et fausse noblesse. Mais il applique également, de manière beaucoup moins explicite, les critères juridiques établis par la monarchie lors des grandes recherches.

34Le résultat de cette critique laisse songeur. Il semble, en fait, que Maynier a choisi d’adopter une autre démarche, elle aussi annoncée, et contradictoire avec la première, qui consiste à ne parler que des familles les plus importantes, ou considérées comme telles. Un sondage sur les cent premières familles révèle une proportion de 51 % de familles chevaleresques (dont l’origine est antérieure à la date de 1400), auxquelles il faut ajouter 8 % de familles nobles entre 1400 et 1500, soit 59 % de nobles de race. Les seuls cas qui pourraient laisser envisager un défaut de noblesse sont les 6 % de familles sur lesquelles l’auteur ne se prononce pas, les familles éteintes (4 %) et les familles considérées comme nobles après 1550 sans titre primordial décisif (2 %). Mais les conclusions sont laissées à l’appréciation du lecteur. Enfin, il faut noter la très forte proportion de familles d’origine étrangère (24 %) ou venant d’autres provinces (4 %). Certes, Maynier critique les attributions de ses prédécesseurs et conteste un certain nombre de traditions fabuleuses. C’est de ce point de vue que ses corrections sont particulièrement significatives de l’influence de l’évolution des conceptions de l’histoire sur l’élaboration des prétentions généalogiques. Mais on peut, d’ores et déjà, affirmer que, dans le cas de Maynier, ces évolutions ne conduisent pas à une remise en cause profonde de l’appartenance à la noblesse. Aucune famille n’est renvoyée dans la roture.

35C’est sans doute sur ce point que Barcilon de Mauvans se distingue le plus nettement, puisqu’il est le seul à dénoncer explicitement ceux qu’il considère comme des usurpateurs. Sur les cent premières familles décrites, reprenant, comme l’indique l’auteur, l’ordre adopté par l’abbé Robert, vingt-quatre sont dites usurpatrices et une est qualifiée d’« honorable mais pas noble ». Il faut y ajouter quinze familles « éteintes » dont le lecteur est invité à considérer que toute personne portant leur nom est également un usurpateur, soit 39 % de noms qui ne peuvent être revendiqués comme nobles. D’autre part, aucune famille de noblesse étrangère n’est reconnue par l’auteur qui y voit systématiquement une fable destinée soit à masquer une origine roturière, soit à vieillir une origine noble. Une approche plus détaillée montrerait à quel point il se distingue des autres auteurs par la vigueur de ces condamnations. La lecture du nobiliaire corrigé révèle que de nombreuses familles voient leurs ascendances déqualifiées alors qu’elles sont encore représentées et parfois fort puissantes.

  • 63 Par exemple, la calomnie généalogique concernant Hugues Capet, fils d’un boucher, reprise par Dant (...)
  • 64 Sur la question de la calomnie dans l’espace public, voir R. Darnton, Le diable dans un bénitier. (...)
  • 65 Au sujet de Baluze et de l’affaire de la généalogie de la maison d’Auvergne, voir J. Boutier, « Le (...)
  • 66 Jacques Le Long, Bibliothèque historique de la France, contenant le catalogue des ouvrages imprimé (...)

36Barcilon de Mauvans réduit ainsi la noblesse de Provence à deux cent quatre-vingt-onze noms, ce qui est certainement l’estimation la plus basse dont nous disposons pour le XVIIIe siècle et lui vaudra le ressentiment des trois cents autres familles qui prétendent alors appartenir au second ordre. En revanche, les familles comprises dans ce catalogue très sélectif en retirent un gain de prestige d’autant plus considérable. Ces deux éléments expliquent que le manuscrit ait suscité un grand intérêt, qu’il soit positif ou négatif, et que sa renommée, sulfureuse, l’ait fait connaître jusque dans la capitale. Sa condamnation par le parlement de Provence témoigne également de la vigilance des membres du second ordre à l’égard de ce type de travaux qui pose le problème de la calomnie généalogico-nobiliaire, utilisée aussi bien comme arme politique63 que comme modalité des conflits interpersonnels, de la médisance à l’insulte64. Certains généalogistes furent d’ailleurs poursuivis en justice et parfois condamnés à des peines sévères pour avoir falsifié des généalogies. Le cas de Baluze65 est bien connu, mais on peut également évoquer celui de Jean Haudicquer de Blancourt, auteur d’un Nobiliaire de Picardie, publié en 1693, condamné aux galères pour les « faussetés qu’il avait faites » dans son ouvrage66.

Entre défense des privilèges provinciaux et entreprises éditoriales : les nobiliaires du siècle des Lumières

  • 67 Sur la réévaluation récente du rôle politique des États provinciaux au XVIIIe siècle, voir, notamm (...)

37Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans le contexte d’une contestation nobiliaire de plus en plus marquée au sein de laquelle les assemblées provinciales jouèrent un rôle non négligeable67, l’histoire généalogique des provinces se teinta d’un arrière-fond politique. Dans ce sens, le « nobiliaire » doit être abordé comme une forme, parmi d’autres, de l’instrumentalisation de l’histoire par les puissances locales. Depuis longtemps exprimée à travers les recherches des « antiquités » urbaines, la nostalgie de la grandeur et de l’autonomie provinciale s’exprime également à travers les histoires généalogiques. Auparavant sollicités par des auteurs en quête de mécènes, les états provinciaux et les assemblées de noblesse soutiennent voire suscitent les recherches généalogiques.

  • 68 Archives départementales des Bouches-du-Rhône, C 109, Délibérations du corps de la noblesse de Pro (...)
  • 69 Anonyme, Vues patriotiques sur l’établissement en Bretagne et dans toute la France d’une Académie (...)
  • 70 J. Meyer, La noblesse bretonne…, op. cit., p. 1118.
  • 71 De Rivette des Baux, Essai généalogique sur la noblesse du Comté Venaissin et de la ville d’Avigno (...)
  • 72 C’est le cas en Provence, d’après F. Hildesheimer, « Archives et archivaires du pays de Provence » (...)
  • 73 C. Saraman, « Projet d’une école de paléographie à Pau en 1735 », Bibliothèque de l’École des char (...)

38Ainsi, en 1731, l’assemblée de la noblesse de Provence chargea l’un de ses syndics, M. du Puget Rivière, de dresser un état chronologique et héraldique de tous les syndics et commissaires de la noblesse. Il en reconstitua la liste depuis l’an 1548 et passa, avec l’accord de l’assemblée, une convention avec un graveur d’Aix pour faire graver un armorial moyennant cinq cents livres68. En 1746, les États de Bretagne prirent en charge la mise en œuvre d’une histoire provinciale en ordonnant l’impression d’un Projet de description géographique, oeconomique et historique de la province de Bretagne, rédigé par M. de Kermadec du Moustoir, membre de l’Assemblée de l’ordre de la noblesse, qui accordait une place privilégiée à l’histoire de la noblesse. Toujours en Bretagne, on trouve en 1785, parmi les projets de restauration de la société d’Agriculture, un ouvrage dont le titre69 cache en fait un recueil de généalogies de la « noblesse la plus ancienne du royaume », c’est-à-dire la noblesse bretonne70. En 1784, ce fut au tour des États du Languedoc de soutenir l’entreprise de M. de Chartevieux, qui publiait Le Roi d’armes du Languedoc, ou essais héraldiques, généalogiques et historiques de la noblesse de cette province, « Ouvrage honoré de la protection des États du Languedoc ». De même, l’Essai généalogique sur la noblesse du Comté Venaissin et de la ville d’Avignon, de M. de Rivette des Baux, publié en 1782, avait été dédié « aux États de cette province71 ». Alors que les dédicataires des nobiliaires avaient longtemps été des membres de la haute noblesse ou, plus souvent encore, des représentants du roi dans les provinces, les dédicaces adressées aux corps provinciaux se multiplièrent au cours de cette période. Plus significatif encore de l’investissement du champ historiographique comme modalité de la défense des libertés et privilèges des corps constitués, les assemblées de noblesse et les États provinciaux prennent à leur service des historiens, souvent qualifiés de feudistes et de généalogistes, chargés de tirer de leurs archives des arguments historiques pour répondre aux prétentions monarchiques. La plupart de ces « archivaires » se consacrent avant tout à la mise en ordre des documents concernant les institutions provinciales72, mais certains cumulent les activités de feudistes et de généalogistes, dans la mesure où leurs gages sont mal assurés, parfois insuffisants ou sous forme de simples gratifications et que la composition de généalogies particulières offre un complément de revenu et constitue une modalité commune d’insertion dans les réseaux de patronage. C’est le cas de Jean-Baptiste Larcher (1696-1778), établi en Gascogne vers 1723, qui devint archiviste et secrétaire de la communauté de Vic-en-Bigorre, puis archiviste des États de Béarn, sur la recommandation d’Antoine-Vincent Duplaa, conseiller au Parlement et membre des États. Il réunit ses recherches dans une série de manuscrits reliés en vingt-cinq volumes, intitulés Glanages, et qui rassemblaient de nombreuses notes généalogiques sur les familles nobles73.

  • 74 A. de Baecque, « La culture des Lumières », dans J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli (dir.), Histoire c (...)
  • 75 K. Pomian, L’ordre du temps, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des histoires »), 1984, p. 13.

39La mise en œuvre de ces recherches généalogiques évolue également dans ses formes éditoriales avec le développement spectaculaire de la production de dictionnaires et d’encyclopédies. Le passage de l’histoire des hommes illustres au nobiliaire universel s’insère à la fois dans l’évolution des préoccupations politiques du second ordre et dans l’imprégnation de la culture provinciale par les nouveautés issues de la pensée des Lumières. Les nobiliaires du XVIIIe siècle s’inscrivent ainsi dans le mouvement général de classification et d’inventaire, symptomatique de l’esprit des Lumières dont l’« outil culturel le plus emblématique74 » fut le dictionnaire. Ce projet exprime la volonté de connaître, d’identifier tous les individus appartenant aux corps constitutifs de la société pour en rendre compte dans sa totalité. Projet de l’exhaustivité qui absorba le monde scientifique et constitua le monumental ouvrage de l’histoire érudite, repoussant toujours à plus tard le travail de synthèse75.

  • 76 Louis Pierre d’Hozier et Antoine Marie d’Hozier de Serigny, Armorial général ou Registres de la no (...)
  • 77 Louis Moreri, Grand dictionnaire historique, ou mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, L (...)
  • 78 P. Rétat, « Encyclopédies et dictionnaires historiques au XVIIIe siècle », dans A. Becq (dir.), L’ (...)
  • 79 À titre d’exemple, Généalogie de la maison de Nettecourt […] extraite du Dictionnaire de Moreri de (...)

40La volonté monarchique de produire elle-même un état complet de la noblesse du royaume se solda par un échec relatif puisque l’Armorial général ou registre de la noblesse de France76, dressé par les juges d’armes du Roi au XVIIIe siècle ne contient que huit cent quatre-vingts familles. Les initiatives individuelles, que ce soit à l’échelle nationale ou provinciale, connurent un plus grand succès et constituèrent de véritables entreprises éditoriales et commerciales. La parution des principaux nobiliaires à prétention universelle intervient au cours des années 1750, et l’on ne peut éviter d’établir un rapprochement avec la publication de l’Encyclopédie à partir de 1751. Mais il serait erroné d’en faire le modèle des dictionnaires de la noblesse qui s’inspirent bien davantage du Grand dictionnaire historique de Louis Moreri (1643-1680), dont le premier volume fut publié à Lyon en 167477 et qui connut vingt rééditions entre cette date et 1759, augmentées de très nombreux suppléments rédigés tout au long du XVIIIe siècle. Il connut une renommée internationale, fut traduit dans plusieurs langues et inspira–même si c’est de manière très critique–le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle78. Or ce dictionnaire comportait de très nombreuses notices biographiques et parfois généalogiques qui sont abondamment citées dans les nobiliaires du XVIIIe siècle et l’on trouve également des publications de généalogies particulières extraites de Moreri79. Critiqué par de nombreux savants, le dictionnaire de Moreri fit, toutefois, largement autorité jusqu’au XIXe siècle. Dans les provinces, les érudits poursuivent le travail entrepris au siècle précédent, mais on voit également se développer des projets plus nettement commerciaux. Cela concerne plus particulièrement les armoriaux, comme ceux publiés par les Chevillard qui s’en firent une spécialité au XVIIIe siècle. Mais certains nobiliaires répondent également à la recherche de profits s’appuyant notamment sur le système de la souscription.

  • 80 Sur les hypothèses concernant l’identité d’Artefeuil, voir E. de Rozières, « Notes bibliographique (...)
  • 81 Le rôle d’Honoré Coussin nous paraît bien plus central que ne le laisse supposer Ernest de Rozière (...)
  • 82 Archives départementales des Bouches-du-Rhône, C 110, délibération du 30 mai 1757.
  • 83 Toutes ces informations se trouvent dans une série de lettres échangées entre Honoré Coussin et M. (...)

41Le nobiliaire d’Artefeuil80, publié à Aix dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, est ainsi dédié aux syndics de la noblesse de Provence, mais il s’agit également d’une publication à visée commerciale dont la cheville ouvrière fut Honoré Coussin81, graveur d’Aix. Celui-ci produisit, en 1756, un Armorial général de la noblesse de Provence, qui avait, selon l’auteur, été approuvé par une délibération du corps de la noblesse, le 3 juin 1754. Le corps de la noblesse accepta, en effet, la dédicace, mais refusa toute subvention au graveur82. Fort de cette approbation, le graveur entreprit une publication plus vaste et ambitieuse sous forme de nobiliaire. On le voit, au cours de l’année 1757, solliciter les familles dont il avait gravé l’écusson pour qu’elles fournissent un « mémoire » de leur généalogie afin d’alimenter le nobiliaire, mais aussi pour qu’elles participent financièrement aux frais de publication avec une contribution de vingt-quatre livres par « article ». Honoré Coussin affirme alors qu’il a confié la rédaction du nobiliaire à l’un de ses amis, sans plus de précision83.

42Le premier volume de l’Histoire héroïque et universelle de la noblesse de Provence fut édité en 1757, chez la veuve Girard, en Avignon. Il fut réimprimé la même année avec l’ajout d’une notice plus détaillée sur la famille de Gueydan, à la suite des plaintes de Gaspard de Gueydan, président au parlement de Provence, qui n’avait pas été satisfait de la notice concernant sa maison.

  • 84 M. Cubells, « À propos des usurpations de noblesse… », op. cit., p. 241.

43Un deuxième volume parut en 1759, avec une série d’additions et de corrections au premier volume. Le nobiliaire était accompagné des planches armoriées de Coussin, mais un certain nombre de familles comprises dans l’armorial n’ayant pas souscrit au nobiliaire, leurs écussons furent effacés et remplacés par les nouveaux souscripteurs, ce qui rend le respect de l’ordre alphabétique parfois déficient. Une seconde édition de ces mêmes volumes se fit en 1776, toujours chez le même éditeur, avec un volume de supplément sans lieu ni date, contenant des blasons collés en marge. Cette seconde édition peut être interprétée comme une tentative de relancer des ventes en perte de vitesse, mais ce peut être au contraire le signe d’un succès. En 1786, le supplément de 1776 fut refondu et imprimé comme troisième tome de l’Histoire héroïque et universelle de la noblesse de Provence, en Avignon, chez François Seguin. Il existe enfin un quatrième volume, extrêmement rare, imprimé sans lieu ni date, intitulé Second supplément à l’histoire héroïque et universelle de la noblesse de Provence, qui contient parfois, de manière encore plus rare, une généalogie très détaillée de la maison de Villeneuve (une des plus importante, par le nombre de ses branches, et ancienne famille de Provence) sous forme de supplément. L’ensemble des volumes établit cinq cent quatre-vingt-six notices de familles nobles84.

  • 85 François Alexandre Aubert de La Chesnaye des Bois, Dictionnaire généalogique, chronologique et his (...)
  • 86 Id., Dictionnaire de la Noblesse, Paris, Duchesne, 1770-1786, 15 vol. in-4°.
  • 87 H. Stavan, « François Aubert de La Chesnaye des Bois », Dictionnaire des journalistes (1600-1789),(...)

44Le procédé de constitution du nobiliaire provençal, par souscription et sur mémoires fournis–en partie–par les familles elles-mêmes, est repris à l’échelle nationale par François Alexandre Aubert de La Chesnaye des Bois (1699-1784), auteur du Dictionnaire généalogique, chronologique et historique85 et du Dictionnaire de la Noblesse86. Sans fortune, La Chesnaye des Bois entra dans sa jeunesse chez les Capucins et commença à se consacrer à des travaux littéraires. Mais il rompit ses vœux, se maria en 1747, eut des enfants et fut poursuivi par les autorités ecclésiastiques. Enfermé à Saint-Lazare puis condamné à l’exil (à Amsterdam), il se trouvait dans une situation très précaire et multiplia les travaux d’écriture pour subsister, que ce soit en Hollande ou, à son retour, à Paris, où il mourut dans la misère87. Il fut ainsi le plus prolifique auteur de dictionnaires de son temps et rencontra un certain succès avec ses dictionnaires généalogiques qui furent réédités et connurent de nombreux suppléments par son continuateur, Jacques Badier.

  • 88 La Chesnaye des Bois, Dictionnaire de la Noblesse, Paris, Schlesinger, 1863, t. I, « Avant propos (...)

45Le Dictionnaire généalogique parut en trois volumes en 1757 et fut suivi de trois volumes de suppléments en 1761 et d’un quatrième en 1765. Fort de son succès, La Chesnaye des Bois lança, en mars 1769, une souscription invitant les familles nobles à lui faire parvenir des mémoires pour la publication de son futur Dictionnaire de la noblesse. Dans l’avant-propos du premier volume, l’auteur explique qu’il a rassemblé dans cet ouvrage les généalogies des maisons illustres « dont les noms sont consignés dans les Fastes de notre Histoire & même dans des Mémoires publics et particuliers », mais aussi des généalogies de familles nobles inédites, « dressées sur des titres originaux ou d’après des Mémoires certains & légalisés par des Juges du lieu88 ». En effet, de très nombreuses généalogies sont reprises d’ouvrages historiques et de nobiliaires publiés. Ainsi, pour les familles provençales, le nobiliaire d’Artefeuil est systématiquement mis à contribution, les notices reprises mot pour mot. Il s’agit donc en grande partie d’un travail de compilation. Mais il existe également un certain nombre de notices qui s’appuient sur les mémoires envoyés, citant essentiellement des actes notariés, parfois des jugements de maintenue de noblesse. Les articles sont de longueur très variable mais donnent généralement les origines de la famille (pays, province ou ville et plus ancien ancêtre connu), suivies d’une généalogie par degrés descendants et pour finir une description des armes. Il est difficile d’évaluer avec précision le succès de ce dictionnaire et sa diffusion. Toutefois, il devint rapidement un ouvrage de référence pour les généalogistes et fut encore largement utilisé, au XIXe siècle, comme premier dictionnaire généalogique de l’ensemble de la noblesse française.

*

  • 89 Sur le rôle de la presse dans la construction d’un espace critique, voir C. Labrosse et P. Rétat, (...)

46Grâce au patient travail des érudits, mais aussi à une prise de conscience nouvelle de la nécessité d’une maîtrise de la mémoire généalogique, un savoir généalogique collectif se construit à travers ces nobiliaires universels et dictionnaires de la noblesse. La noblesse, en mal de représentation politique, s’y retrouve et en fait, pour le moins, un outil de représentation sociale. Le corps de la noblesse s’y incarne dans toute sa diversité. Les multiples suppléments, volumes d’additions et de corrections montrent, par ailleurs, que le travail de recensement des familles nobles est un travail sans fin, dans la mesure où la noblesse demeure un corps vivant, qui se renouvelle encore au XVIIIe siècle. Les nobiliaires permettent, enfin, de mesurer l’évolution des critères de plausibilité, si ce n’est de vérité, d’une culture généalogique commune : quelles origines les auteurs s’autorisent-ils à publier ? Le choix d’une certaine complaisance, d’une posture épidictique ou tout simplement d’un calcul pragmatique pour attirer les acheteurs conduit bien souvent à maintenir des prétentions qui ne font pas consensus. Les nobiliaires sont largement soumis à la critique, que ce soit dans la sphère privée, où ils alimentent les discussions sur un savoir généalogique partagé et en grande partie transmis oralement, ou dans l’espace public, où ils passent au crible de la critique littéraire dans les journaux89 ou les dictionnaires qui recensent les ouvrages parus. Il s’agit donc, encore à la veille de la révolution, d’un savoir polémique qui s’insère dans une nébuleuse d’écrits sur la noblesse : écrits érudits sur l’histoire de la France et de ses provinces, écrits théoriques sur la nature de la noblesse et son rôle au sein de la société d’ordres et de la monarchie… Les nobiliaires, à travers les discours sur la noblesse qu’ils proposent en introduction, mais aussi–et surtout–à travers le choix des familles et le contenu des notices, participent à leur manière à ce débat incessant sur la définition d’une identité nobiliaire à l’échelle provinciale et nationale.

Notes

1 Sur l’ensemble de ces évolutions, nous reprenons ici certaines analyses présentées dans G. Butaud et V. Piétri, Les enjeux de la généalogie (XIIe-XVIIIe siècle). Pouvoir et identité, Paris, Autrement, 2006, p. 48-52.

2 Sur l’évolution de culture généalogique en Espagne à partir du XVIe siècle, on se reportera, ici même, à la contribution de Natalia Muchnik.

3 Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois…, La Haye, Arnout et Reinier Leers, 1690, t. II (non paginé), article « Nobiliaire ».

4 Sur André Duchesne et le milieu des généalogistes érudits du XVIIe siècle, voir ici même la contribution d’Olivier Poncet.

5 H. Bernstein, « La Rochepozay, Ghost-Writer: Noble Genealogy, Historical Erudition and Political Engagement in Seventeenth-Century France », Proceedings of WSFH, vol. 37, 2009, p. 1-20.

6 O. Poncet, « La Gallia christiana (1656) des frères de Sainte-Marthe : une entreprise gallicane ? », Revue de l’histoire des religions, no 3, 2009, p. 375-397.

7 Jean-Baptiste de L’Hermite-Souliers, Histoire généalogique de la noblesse de Touraine enrichie des armes en taille-douce de chaque famille, & de plusieurs portraits… Le tout tiré sur les originaux des chartes, titres & trésors des maisons…, Paris, Jacques Langlois, 1665.

8 Ibid., Avant-propos (non paginé).

9 Gilles-André de La Roque, Blasons des armes de la royale maison de Bourbon et ses alliances…, Paris, P. Firens, 1626.

10 Sur le travail théorique chez La Roque, voir D. Ribard, « Travail intellectuel et violence politique : théoriser la noblesse en France à la fin du XVIIe siècle », dans V. Azoulay et P. Boucheron, Le mot qui tue. Une histoire des violences intellectuelles de l’Antiquité à nos jours, Seyssel, Champ Vallon, 2009, p. 353.

11 P.-F. Fournier, « Un nobiliaire de Provence inachevé de Pierre d’Hozier », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 80, 1919, p. 378-382.

12 Ibid., p. 381.

13 Jacques Le Long et Charles-Marie Févret de Fontette, Bibliothèque historique de la France, Paris, Herissant, 1771, t. III, p. 520.

14 Augustin Du Paz, Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, Paris, N. Buon, 1619.

15 A. Bourdeaut, « Le père Du Paz et l’histoire généalogique de Bretagne », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. II, 1921, p. 125-148.

16 Guy Autret, Annotations sur les lettres patentes du roy, portant commission de convoquer le ban et arrière-ban de Bretagne : où il est sommairement traitté des privilèges des nobles de Bretagne, touchant l’arrière-ban, et de la nécessité de la guerre contre l’Espagne, Nantes, H. Mauclerc, 1637.

17 H. Waquet, « Messire Guy Autret sieur de Missirien et de Lesergué », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. XXII, 1942, p. 1-27.

18 Rosmorduc (comte de), Guy Autret, seigneur de Missirien, correspondant de Pierre d’Hozier en Basse-Bretagne. 1635-1660 : lettres inédites, chez l’auteur, Saint-Brieuc, 1899.

19 Ibid., lettre du 8 février 1638 : « Vostre gesnie a un ascendant absolu sur le mien et je n’ay jamais d’objections à proposer sur les matieres que vous avés resolues, vous estes mon Pitagore et je crois payer de bonne raison lors que je cite vostre authorité, vous estes capable de me persuader que le Roy n’est pas en la Cour et que le Danube passe au Pont-Neuff… »

20 Ibid. : « je vous faits le mesme compliment pour mon histoere du Chastel, vous supliant de m’aider de ce que vous en avés et de prier de ma part messieurs du Chesne et de Ste Marthe de me faire la mesme faveur ; vous m’esclercirés aussi, s’il vous plait, s’il y a quelques maisons en France du mesme nom. »

21 Pierre d’Hozier, Recueil armorial de Bretagne…, Paris, 1638.

22 Rosmorduc (comte de), Guy Autret…, op. cit., p. 123.

23 Voir la contribution d’Élodie Lecuppre-Desjardin sur les généalogies des princes de Bourgogne.

24 Jean Le Carpentier, Histoire généalogique des Pays-Bas ou Histoire de Cambray et du Cambresis, contenant ce qui s’est passé sous les Empereurs & les rois de France & d’Espagne, enrichie Des Généalogies, Eloges & Armes des Comtes, Ducs, Evêques & Archevêques & presque de quatre mille familles Nobles, tant des XVII Provinces que de France…, Chez l’auteur, Leyde, 1664.

25 Jean Le Carpentier, ibid., Préface (non paginée).

26 Ibid.

27 Ibid.

28 Sur Mabillon, voir le récent colloque, pour le tricentenaire de sa mort : J. Leclant, A. Vauchez et D.-O. Hurel (dir.), Dom Jean Mabillon, figure majeure de l’Europe des lettres, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2010.

29 C. Romet, « Le collectionneur François-Roger de Gaignières (1642-1715). Biographie et méthodes de collection. Catalogue de ses manuscrits », Positions des thèses de l’École des chartes, 2007.

30 Sur les papiers de Charles Du Fresne, sieur Du Cange (1610-1688), voir P.-M. Bondois, « Le procureur général Joly de Fleury et les papiers de Du Cange (1743) », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 89, 1928, p. 81-88.

31 Sur les enjeux historiographiques de l’analyse des réformations, voir les remarques de R. Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, essence ou rapport social ? », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 46-1, 1999, p. 5-21.

32 La chronologie des actes royaux concernant les vérifications de noblesse a été reconstituée à partir de Louis-Nicolas-Henri Chérin, Abrégé chronologique d’Édits, Déclarations, Règlements, Arrest et Lettres patentes des rois de France de la troisième race concernant le fait de Noblesse, Paris, 1788.

33 Sur les enquêtes de noblesse voir, notamment, J. Meyer, La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN (coll. « Bibliothèque générale de l’École pratique des hautes études »), 1966, p. 29-73 ; J.-M. Constant, « L’enquête de noblesse de 1667 et les seigneurs de la Beauce », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 21, octobre-décembre 1974, p. 548-566 ; J. B. Wood, The Nobility of the Élection of Bayeux, 1463-1666 : Continuity through Change, Princeton, Princeton University Press, 1980 ; A. Blanchard, « Une approche de la noblesse languedocienne : la maintenue de 1668-1672 », dans J. Fouilleron, G. Le Thiec et H. Michel (dir.), Sociétés et idéologies des Temps modernes. Hommage à Arlette Jouanna, Montpellier, Université de Montpellier 3, 1996, t. I, p. 15-35 ; D. Hickey, « La remise en cause d’une élite : la noblesse de Poitou et les recherches de noblesse de 1667-1668 », Cahiers du Gerhico, no 1, L’histoire des élites : quelques approches françaises et canadiennes, 2000, p 63-72 ; J. Loiseau, « Much Ado about Nothing ? The Intendant, the Gentilshommes and the Investigations into Nobility in Burgundy (1664-1670) », French History, vol. 22-3, 2008, p. 275-294.

34 Sur le cas de la Bretagne, J. Meyer, La noblesse bretonne…, op. cit., p. 29-73.

35 Sur la Provence, voir F.-P. Blanc, Origine des familles provençales maintenues dans le second ordre sous le règne de Louis XIV. Dictionnaire généalogique, thèse de droit de l’université d’Aix-en-Provence, 1971, ms. ; M. Cubells, « À propos des usurpations de noblesse en Provence, sous l’Ancien Régime », Provence historique, vol. 20, fasc. 81, 1970, p. 224-301 ; V. Piétri, « Vraie et fausse noblesse : l’identité nobiliaire provençale à l’épreuve des reformations (1656-1718) », Cahiers de la Méditerranée, no 66, 2003, p. 79-91.

36 Chérin, Abrégé chronologique d’Edits…, op. cit. : « Fait au Conseil d’Etat du Roy, Sa Majesté y étant, tenu à Saint-Germain-en-Laye, le 19 mars 1667. Signé De Lionne. »

37 Voir Menestrier, Les diverses espèces de noblesse et les manières d’en dresser les preuves, Paris, La Caille, 1685.

38 Arrêts du Conseil des 12 avril et 12 juin 1683.

39 D. Ribard, « Travail intellectuel et violence politique… », dans V. Azoulay et P. Boucheron, Le mot qui tue…, op. cit., p. 353.

40 Louis-François Le Febvre de Caumartin, Recherches de la noblesse de Champagne, Châlons, Seneuze, 1673.

41 Id., Nobiliaire de Champagne. Recherche de la noblesse de Champagne […] comprenant la continuation de la recherche par M. Larcher…, éd. Louis Paris et Édouard de Barthélemy, Paris, Didot, 1868, p. 44.

42 Dans un contexte très différent, l’expérience parisienne, voir R. Descimon et É. Haddad (dir.), Épreuves de noblesse. Les expériences nobiliaires de la haute robe parisienne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Histoire »), 2010.

43 Henri de Caux, Catalogue général des gentilshommes de la province de Languedoc…, Pézenas, Jean Martel, 1676, Épître dédicatoire « Aux nobles du Languedoc », non paginé.

44 Anne Blanchard a utilisé le manuscrit de ce catalogue pour ses recherches sur les enquêtes de noblesse en Languedoc, voir A. Blanchard, « Une approche de la noblesse languedocienne… », op. cit., p. 15-35.

45 Nicolas Chorier, Le projet de l’Histoire de Dauphiné de Nicolas Chorier, Lyon, chez Guillaume Barbier, 1654.

46 Guy Allard, Nobiliaire de Dauphiné ou Discours historique des familles nobles qui sont en cette province…, Grenoble, Robert Philippes, 1671, Préface, non paginée.

47 Ibid.

48 Guy Allard, Histoire généalogique des familles, de Bonne, de Crequy, de Blanchefort, d’Agout, de Vesc, de Montlor, de Maubec et de Montauban, Grenoble, chez Laurent Gilibert, 1672.

49 Id., Histoire généalogique des familles de Du Puy-Montbrun et de Murinais, Grenoble, chez Laurens Gilibert, 1682, « Avis au lecteur », non paginé.

50 Robert de Briançon, L’État de la Provence, contenant ce qu’il y a de plus remarquable dans la police, dans la justice, dans l’église et dans la noblesse de cette province ; avec les armes de chaque famille, Paris, chez Auboin, Emery et Clousier, 1693, 3 vol. in-12.

51 Cité par P.-F. Fournier, « Un nobiliaire de Provence… », op. cit., p. 381.

52 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence, avec observation des erreurs qui y ont été faites par les précédents historiens…, Aix, chez Joseph David, 1719, Dédicace au Duc de Villars, gouverneur de Provence ; Id., Nouveau État de Provence, Avignon, chez David Chastel, s.d., Dédicace à « Messieurs les consuls de la ville d’Aix, procureurs des Pays de Provence ». Pour une présentation plus détaillée, voir G. Butaud et V. Piétri, Les enjeux de la généalogie…, op. cit., p. 61-63.

53 Joseph-Simon de Barcilon de Mauvans, Critique du nobiliaire de Provence, manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Draguignan.

54 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence…, op. cit., p. 18.

55 Ibid., Préface.

56 Ibid., p. 1.

57 Ibid. Joseph-Simon de Barcilon de Mauvans, Critique du nobiliaire de Provence, op. cit., f° 13v°.

58 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence…, op. cit., p. 2.

59 Sur la dénonciation des fables généalogiques aux XVIIe-XVIIIe siècles, voir R. Bizzocchi, Généalogies fabuleuses. Inventer et faire croire dans l’Europe moderne, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2010 (1re éd. Bologne, 1995).

60 Barcilon de Mauvans, Critique du nobiliaire de Provence, op. cit., f° 19v°.

61 Balthazar de Maynier, Histoire de la principale noblesse de Provence…, op. cit., p. 23.

62 Ibid., Préface.

63 Par exemple, la calomnie généalogique concernant Hugues Capet, fils d’un boucher, reprise par Dante et réfutée par de nombreux historiens français, notamment Étienne Pasquier. Sur les origines de cette fausse ascendance des capétiens, voir G. Mombello, « Une hypothèse sur l’origine d’une légende : Hugues Capet fils de boucher », dans M. Ornato et N. Pons (dir.), Pratiques de la culture écrite en France AU XVe siècle. Actes du colloque international du CNRS, Paris, 16-18 mai 1992, Louvain-la-Neuve, Fédération internationale des instituts d’études médiévales (coll. « Textes et études du Moyen Âge », 2), 1995, p. 179-190.

64 Sur la question de la calomnie dans l’espace public, voir R. Darnton, Le diable dans un bénitier. L’art de la calomnie en France, 1650-1800, Paris, Gallimard, 2010 (éd. Philadelphie, 2010).

65 Au sujet de Baluze et de l’affaire de la généalogie de la maison d’Auvergne, voir J. Boutier, « Les œuvres publiées d’Étienne Baluze », dans Id., Stephanus Baluzius tutelensis. Étienne Baluze (1630-1718). Un savant tullois dans la France de Louis XIV, Tulle, Éditions de la Rue Mémoire, 2007, p. 99-128.

66 Jacques Le Long, Bibliothèque historique de la France, contenant le catalogue des ouvrages imprimés et manuscrits qui traitent de l’histoire de ce royaume, ou qui y ont rapport ; avec des notes critiques et historiques, Paris, G. Martin, 1719, p. 729.

67 Sur la réévaluation récente du rôle politique des États provinciaux au XVIIIe siècle, voir, notamment, J. Swann, « Les États généraux de Bourgogne : un gouvernement provincial au siècle des Lumières », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 53-2, 2006, p. 35-69 ; Id., Provincial Power and Absolute Monarchy : The Estates General of Burgundy, 1661-1790, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 ; M.-L. Legay, Les États provinciaux dans la construction de l’État moderne aux XVIIe et XVIIIe siècles, Genève, Droz, 2001. Voir également M. Cubells, « L’idée de province et l’idée de nation en Provence à la veille de la Révolution », Provence historique, vol. 37, fasc. 148, 1987, p. 135-146.

68 Archives départementales des Bouches-du-Rhône, C 109, Délibérations du corps de la noblesse de Provence, 13 avril et 6 juillet 1731.

69 Anonyme, Vues patriotiques sur l’établissement en Bretagne et dans toute la France d’une Académie encyclopédique et populaire, par un Breton, s.l., 1785.

70 J. Meyer, La noblesse bretonne…, op. cit., p. 1118.

71 De Rivette des Baux, Essai généalogique sur la noblesse du Comté Venaissin et de la ville d’Avignon, Carpentras, D.-G. Quenin, 1782.

72 C’est le cas en Provence, d’après F. Hildesheimer, « Archives et archivaires du pays de Provence », Provence historique, vol. 25, fasc. 102, 1975, p. 587-598.

73 C. Saraman, « Projet d’une école de paléographie à Pau en 1735 », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 86, 1925, p. 242-244.

74 A. de Baecque, « La culture des Lumières », dans J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli (dir.), Histoire culturelle de la France, t. III, A. de Baecque et F. Mélonio, Lumières et libertés. Les dix-huitième et dix-neuvième siècles, Paris, Seuil, 1998, p. 20.

75 K. Pomian, L’ordre du temps, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des histoires »), 1984, p. 13.

76 Louis Pierre d’Hozier et Antoine Marie d’Hozier de Serigny, Armorial général ou Registres de la noblesse de France, Paris, Colombat, 1738-1768, 10 vol. in-folio.

77 Louis Moreri, Grand dictionnaire historique, ou mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Lyon, J. Girin et B. Rivière, 1674.

78 P. Rétat, « Encyclopédies et dictionnaires historiques au XVIIIe siècle », dans A. Becq (dir.), L’encyclopédisme. Actes du colloque de Caen, 12-16 janvier 1987, Paris, Aux Amateurs de livres, 1991, p. 508.

79 À titre d’exemple, Généalogie de la maison de Nettecourt […] extraite du Dictionnaire de Moreri de l’édition de 1712, Paris, J.-B. Coignard, in-folio, non daté.

80 Sur les hypothèses concernant l’identité d’Artefeuil, voir E. de Rozières, « Notes bibliographiques sur quelques armoriaux de la Provence et du Comté-Venaissin », Revue héraldique, historique et nobiliaire, 1868, p. 487-490.

81 Le rôle d’Honoré Coussin nous paraît bien plus central que ne le laisse supposer Ernest de Rozières dans ses recherches sur l’identité d’Artefeuil.

82 Archives départementales des Bouches-du-Rhône, C 110, délibération du 30 mai 1757.

83 Toutes ces informations se trouvent dans une série de lettres échangées entre Honoré Coussin et M. de Brun de Favas, en avril 1757 (Archives départementales du Var, 2 J 128).

84 M. Cubells, « À propos des usurpations de noblesse… », op. cit., p. 241.

85 François Alexandre Aubert de La Chesnaye des Bois, Dictionnaire généalogique, chronologique et historique contenant l’origine et l’état actuel des premières Maisons de France […] de l’Europe […] les familles nobles du royaume […] par M. D. L. C. D. B., Paris, Duchesne, 1757-1765, 7 vol. in-8°.

86 Id., Dictionnaire de la Noblesse, Paris, Duchesne, 1770-1786, 15 vol. in-4°.

87 H. Stavan, « François Aubert de La Chesnaye des Bois », Dictionnaire des journalistes (1600-1789), Voltaire Foundation-ISH, disponible sur dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/021-francois-auber-de-la-chesnaye-desbois (consulté en avril 2014).

88 La Chesnaye des Bois, Dictionnaire de la Noblesse, Paris, Schlesinger, 1863, t. I, « Avant propos de La Chesnaye des Bois », p. xxiv.

89 Sur le rôle de la presse dans la construction d’un espace critique, voir C. Labrosse et P. Rétat, L’instrument périodique. La fonction de la presse au XVIIIe siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1985.

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