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L’océan Indien avant le XVIe siècle : une charnière économique de l’Ancien Monde
Philippe Beaujard et Philippe Norel
p. 21-41
Texte intégral
1Les réseaux d’échanges – de biens, de savoirs et de croyances – ont historiquement constitué un facteur crucial de globalisation et de transformation des sociétés interconnectées. À la fin du premier millénaire av. J.-C., on observe trois grandes sphères d’échanges dans l’Ancien Monde. En Occident (Europe-Asie occidentale-Afrique du Nord), l’empire romain constitue une force ascendante. En Asie orientale, les empires Qin puis Han unifient la Chine et étendent leur influence à des régions voisines. Entre ces deux espaces, l’Inde présente quatre centres (Indus-Gujarat, vallée du Gange, Inde centrale, et Inde du Sud). Des échanges se développent par les futures « routes de la Soie » et une route Yunnan-Birmanie-Inde, tandis que l’Asie du Sud-Est se connecte à l’Inde et à la Chine1.
2Au début de l’ère chrétienne, la demande en produits de luxe et en fer qui émane du monde grec et romain, la formation de grands États en Inde et l’essor de l’empire chinois des Han, lui aussi demandeur de produits de l’Asie centrale et des mers du Sud, créent des conditions favorables à l’inter-connexion de différentes régions de l’Eurasie et d’une partie de l’Afrique, à l’intérieur d’un système-monde unique montrant une certaine division inter-régionale du travail. Ce système-monde se prolongera sans rupture fondamentale jusqu’à la période moderne, ce qui ne signifie pas absence de mutations. Ce n’est pas seulement l’interconnexion ou la dimension des réseaux, mais la régularité, l’intensité et la vitesse des échanges qui ont réalisé une progressive intégration des différentes régions2.
3Dans cet espace, l’océan Indien, articulé à la mer de Chine d’une part, à la Méditerranée d’autre part, occupe une situation charnière. Si les routes continentales de la Soie vont faire communiquer l’Asie orientale et l’Europe, surtout à partir du VIIe et plus encore du XIIIe siècle, l’océan Indien va non seulement permettre une communication très précoce entre les deux extrémités du continent mais encore intéresser directement l’Afrique sub-saharienne à ces échanges. Il constitue donc la voie royale des échanges au sein d’un système-monde afro-eurasien qui se construit autour de cinq « cœurs » : la Chine, l’Inde, l’Asie occidentale, l’Égypte et une partie de l’Europe. Dès sa formation, ce système se présente du reste comme un espace hiérarchisé. Les inégalités observées ont des raisons géographiques3 et démographiques4, mais elles proviennent aussi de mécanismes de production et d’échange, inscrits dans le politique et le religieux5.
4Nous allons chercher ici à évaluer l’importance de l’océan Indien dans l’histoire de ces échanges au sein de l’espace afro-eurasien. Il s’agira d’abord de dresser une chronologie – articulée sur la succession des phases systémiques – des pratiques commerciales de longue distance entre ses différentes rives et des connexions économiques significatives. Dans un second temps, nous tenterons de répondre à des questions cruciales concernant la nature éventuellement capitaliste de ces échanges ou encore les relations entre États et diasporas marchandes, et ce dans un jeu de miroirs entre pratiques occidentales et orientales. Au-delà des analyses factuelles ici présentées, nous entendons ainsi illustrer la double méthode de l’histoire globale, à la fois connexionniste et comparatiste6.
Une chronologie des pratiques commerciales dans l’océan Indien
5Depuis ses origines, le système-monde s’est développé et restructuré tout au long d’une série de cycles économiques de plusieurs siècles, phases successives de globalisation et de repli des réseaux. Ces fluctuations coïncident avec des évolutions politiques et religieuses, et souvent avec des cycles climatiques. Jusqu’au XVIIIe siècle, on peut distinguer quatre cycles sur une courbe à pente de plus en plus accentuée, qui traduit une croissance accélérée de la démographie, de la production et du volume des échanges, tout comme un développement urbain. Chaque phase ascendante s’accompagne de la cristallisation de larges entités politiques, et de la mise en œuvre d’innovations à la fois techniques, idéologiques et institutionnelles.
L’aube du système-monde (Ier-VIe siècles)
6Au début de l’ère chrétienne, le progrès des échanges encourage des innovations, et un développement interne des États. Trois régions représentent des pôles moteurs dans la constitution des réseaux terrestres et océaniques entre Méditerranée et mer de Chine.
7À l’ouest, l’empire romain – qui a pris le contrôle de l’Égypte et du Levant –, se construit sur un pouvoir militaire qui assure un large usage du travail servile. À la différence des anciennes cités grecques, le secteur productif et marchand y apparaît souvent dépendant du pouvoir politique. Pour Nicolet7, « les capitalistes romains sont davantage des “rentiers du pouvoir” que des entrepreneurs » et la croissance romaine est d’abord le fruit des prélèvements sur les territoires conquis. Il est à noter que si le discours politique est souvent hostile aux marchands et au commerce, marchés et marchandisation sont cependant bien développés8. L’importance de l’esclavage contribue sans doute à limiter la division du travail et l’innovation, même si le monde romain n’a pas été aussi déficient qu’on l’a dit dans ce domaine.
8L’empire Han, au contraire, fait peu appel à l’esclavage et bénéficie de progrès technologiques majeurs (charrue à versoir métallique, papier comme support de l’écrit, moulin à eau…). La construction de l’empire repose sur l’armée et sur une administration pétrie de préceptes confucéens mais aussi légistes. Si le secteur étatique contrôle l’économie, il laisse cependant grandir une classe nouvelle d’entrepreneurs privés. Au IIe siècle, l’empire connaît une décentralisation marquée à la fois par l’extension de grands domaines, un essor du secteur privé marchand, et l’émergence d’élites locales9. Parallèlement au choix d’une expansion militaire, au Tonkin et en Asie centrale, les Han mènent une politique commerciale et diplomatique active. Sur les routes maritimes, les Chinois se déplacent peu, laissant arriver dans leurs ports les navires de l’Asie du Sud-Est, attirés par les soieries, les armes et les aromates.
9Entre ces deux empires, différentes puissances impliquées à divers degrés dans les échanges au loin contribuent à l’intégration économique de l’Asie : les empires parthe, kushan, shâtavâhana, et les petits royaumes bengali, chera, pàndya et chola, et puis en position de semi-périphéries, des États de l’Arabie du Sud et de l’Asie du Sud-Est.
10Un véritable système afro-eurasien se construit alors autour des mouvements des marchands méditerranéens vers l’Asie du Sud, des voyages des Austronésiens vers la Chine ou l’ouest de l’océan Indien, de la pénétration des marchands indiens en Asie du Sud-Est ou encore de l’hégémonie yéménite sur la côte est-africaine. Ces déplacements éclairent des transformations culturelles notoires telles que la pénétration du bouddhisme et de l’hindouisme en Asie du Sud-Est ou l’apparition en Afrique de l’Est d’une culture pré-swahili.
11L’archéologie et les textes révèlent l’importance du commerce indo-romain, en Inde10 et dans la mer Rouge, que des Indiens devaient aussi fréquenter11. Le commerce des épices et des aromates joue un rôle crucial, de même que celui des textiles (coton indien, et soie chinoise). Sont encore échangés d’autres produits manufacturés (verre, céramiques, navires), des matériaux bruts et des denrées agricoles. Contrairement aux périodes précédentes, les échanges ne sont pas organisés par l’État, mais plutôt par des entreprises privées. Les Occidentaux paient largement ce commerce par l’exportation de pièces d’or et d’argent.
12Si le Périple de la mer Erythrée12 s’intéresse d’abord à l’océan Indien occidental, les échanges, cependant, sont peut-être déjà plus importants dans sa partie orientale : ce n’est pas l’arrivée des Grecs et des Romains qui fait de l’océan Indien un espace charnière du système-monde. Des réseaux indiens se déploient en Asie du Sud-Est parallèlement à l’expansion du bouddhisme13. Dans cette dernière région, le progrès d’une riziculture humide et l’essor du commerce favorisent l’émergence d’un État cambodgien que les Chinois appellent Funan. Ce dernier participe notamment au commerce entre Inde et Chine à travers l’isthme de Kra. Les Austronésiens des îles participent aussi activement au développement des échanges ; les textes chinois évoquent des navires de gros tonnages14 et l’envoi d’ambassades apportant du girofle des Moluques.
13La croissance est stoppée à la fin du IIe siècle et au IIIe siècle en Chine et dans le monde romain. Favorisée par la mise en contact de régions lointaines, la propagation d’épidémies dans ces deux espaces, dès le IIe siècle, précède cette récession15. Une baisse globale des températures entre les IIIe et Ve siècles, qui s’accompagne d’un affaiblissement de la mousson dans l’océan Indien, entraîne un déclin de l’agriculture. La surextension des grands empires, le développement d’inégalités sociales et des attaques extérieures conduisent à des récessions aggravées par les conditions climatiques défavorables. Disparaissent à la même époque les empires han (en 220), parthe (226) et kushan (vers 240).
14Le commerce romain vers l’Orient décline aux IIe et IVe siècles, alors que le royaume éthiopien chrétien d’Axoum pour la mer Rouge et le nouvel empire perse des Sassanides dans le golfe Persique contrôlent le passage des marchandises et des hommes. Ce sont les Sassanides qui dominent le commerce de l’ouest de l’océan Indien, où ils conservent leur prééminence jusqu’à la conquête arabe au VIIe siècle. La majeure partie du trafic maritime vers l’Occident passe par le golfe Persique, situation qui se prolongera jusqu’au Xe siècle.
15En Asie du Sud-Est, le Funan disparaît au VIe siècle. Les routes du commerce ne traversent plus la péninsule malaise mais empruntent le détroit de Malacca, où divers royaumes se constituent, ainsi qu’à Java, royaumes en rapport avec la Chine et l’Inde. On entrevoit ce que seront les réseaux d’échange dominés par les marchands arabo-persans au viiie siècle, avec la présence de jarres chinoises au Ve siècle, à Sîrâf en Perse, à Sohâr en Oman16, et au VIe siècle à Unguja Uku (Zanzibar)17.
Entre empires Tang et musulman (VIe-Xe siècles)
16La dernière partie du VIe siècle, qui voit une réunification de la Chine, initie une phase de rebond du système-monde, encouragée par un adoucissement du climat qui se prolongera jusqu’au milieu du VIIIe siècle. Au VIIe siècle, deux facteurs concourent à un essor spectaculaire de la production et des échanges :
- l’expansion interne de la Chine Tang, et son ouverture sur l’extérieur,
- l’apparition d’un empire musulman qui s’étend de l’Asie centrale à l’Espagne.
17L’interconnexion de ces deux empires par terre et par mer se traduit par une intégration croissante des régions en contact et par une extension géographique du système-monde.
18La prééminence Tang est politique, économique et intellectuelle. Les Tang mettent en place une organisation administrative rigoureuse et une armée efficace qui sous-tendent l’essor de l’empire. Une (re)distribution des terres, une diminution des taxes et des corvées et des améliorations techniques favorisent l’agriculture18, dont les progrès induisent une croissance démographique, avec une colonisation chinoise dans le bassin du Yangzi19. La croissance concomitante de la production et l’amélioration des moyens de transport permettent une expansion urbaine et la mise en place de relations commerciales interrégionales. Le goût de la Chine Tang pour l’exotique induit en outre un essor des échanges, par les « routes de la Soie » terrestres et maritimes. L’extension des marchés internes et externes contribue à l’émergence d’un embryon « de système de marchés20 » qui stimule en retour les innovations techniques (porcelaine). Favorisée par une monétarisation de l’économie, la croissance interne permet l’apparition d’une nouvelle classe de marchands, toutefois encadrée par l’État, lequel contrôle les prix et s’arroge un monopole sur certaines denrées à partir du VIIIe siècle. La force militaire fonde aussi une expansion Tang en Asie centrale, stoppée en 751 par une défaite subie face aux musulmans sur la rivière Talas. Hormis en Asie centrale, les Chinois se déplacent peu sur les réseaux qui structurent le système-monde ; musulmans et Austronésiens font le voyage vers la Chine, ainsi que ces groupes marchands toujours en mouvement, Sogdiens, Syriens, juifs radhanites, dont Adshead dit joliment qu’ils ont pour patrie leurs marchés21.
19Le second pôle majeur du système-monde se construit sur la force armée et l’adhésion à une religion nouvelle monothéiste, apparue dans la semi-périphérie arabe. Profitant du déclin des empires sassanide et byzantin, l’espace musulman connaît une expansion explosive. Sous les Umayyades, les armées califales atteignent l’Afrique du Nord puis l’Espagne à l’ouest, l’Indus et l’Asie centrale à l’est. À la fondation de la dynastie abbasside, le transfert de la capitale de Damas à Bagdad est révélateur de l’importance que prennent le golfe Persique et l’Iran. Le VIIIe siècle abbasside voit un développement du secteur productif, une urbanisation et une croissance per capita dans un empire en expansion géographique. Les dirigeants favorisent un commerce interne et externe, dont l’essor est facilité par l’usage d’une monnaie unifiée et d’instruments de crédit en partie hérités des précédents empires. L’extension des réseaux en Asie, qui est le fait de marchands privés, induit une diffusion des connaissances, avec des apports chinois dans diverses industries, l’introduction des chiffres indiens et du zéro… Dans l’océan Indien, les musulmans jouent un rôle crucial dans l’essor des échanges. Le golfe Persique envoie des navires jusqu’en Chine et en Afrique de l’Est. Partout, des communautés musulmanes apparaissent, bases d’une islamisation ultérieure. L’interconnexion des différents espaces maritimes se traduit par l’arrivée en Chine de produits et esclaves africains, apportés par les marchands arabo-persans, mais aussi par des Austronésiens, qui continuent à fréquenter l’ouest de l’océan Indien22. Des musulmans ibadites pénètrent aussi dans l’intérieur du continent africain en suivant les routes caravanières transsahariennes ou somaliennes.
20En position centrale dans l’espace asiatique, l’Inde joue un rôle dans ce processus de globalisation, même si les puissances indiennes sont loin de montrer le degré d’intégration et l’efficacité organisationnelle de l’État chinois. Une culture commune se crée entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est, forgée par les marchands et les hommes de religion venus du Bengale (royaume Pâla) ou du Coromandel (royaume Pallava). Les échanges favorisent l’essor d’États « insulindiens » (thalassocratie de Srîwijaya à Sumatra23, royaumes agraires de Java central…), et du royaume de Dvâravatî (Thaïlande).
21Le nouvel essor du système-monde avait démarré dans la Chine Tang. C’est là aussi que se manifestent les signes d’un retournement de la conjoncture dès la deuxième partie du VIIIe siècle, pendant laquelle la Chine perd le contrôle de l’Asie centrale. Il y a à la fois repli du commerce par les routes de la Soie et affaiblissement interne de l’empire, par suite d’une baisse des rentrées fiscales, de dépenses militaires et d’inégalités sociales grandissantes. Les Tang réagissent en augmentant les taxes sur le commerce et en instituant de lucratifs monopoles d’État, sur le sel, les alcools et le thé. Après un court « été indien » (820-850)24, un refroidissement du climat entraîne des famines ; rébellions et pillages se multiplient, et le pouvoir central perd le contrôle des provinces. Parallèlement, l’empire se replie sur lui-même. Les religions étrangères sont proscrites, et en 879, le massacre des musulmans à Canton par un chef rebelle marque un coup d’arrêt aux lointains voyages des Arabo-Persans et le retour à la triple segmentation du commerce dans les espaces de l’océan Indien et de la mer de Chine25.
22À la même époque, des crues du Nil anormalement faibles affectent la production agricole de l’Égypte, phénomène corrélé à des moussons peu vigoureuses en Asie du Sud26. La Mésopotamie souffre également d’une aridification marquée, mais le déclin du califat a aussi des causes structurelles : surextension de l’empire, faiblesse de la centralisation étatique, taxations parfois excessives de la paysannerie, manque de certaines ressources, intégration économique très limitée entre régions, et large recours à une main-d’œuvre servile27. Une révolte des esclaves « Zanj » (surtout Africains) se produit au IXe siècle en Mésopotamie sur fonds de mouvements chiites protestataires qui cristallisent le mécontentement des paysans et des classes urbaines appauvries. Frappé par des épidémies et des famines, l’empire se désagrège. En 914, les Fatimides chiites conquièrent l’Égypte. À l’est, les émirs buyides (chiites) contrôlent la Perse puis s’imposent à Bagdad en 945.
23La régression de l’économie et du commerce touche la plus grande partie du système-monde. Dans tout l’espace asiatique, un manque de métal argent est manifeste28. Les empires carolingien et ouïgour se défont en 840. Des désordres se produisent sur les « routes de la Soie » au début du Xe siècle, liés à une aggravation de l’aridité et au déclin du commerce. La dynastie Tang s’effondre finalement en 906. Entre 900 et 1000, la population des plus grandes villes du monde chute d’un quart29.
24Un commerce important se maintient toutefois entre l’Inde orientale et l’Asie du Sud-Est, où Srîwijaya demeure prééminent, et la population urbaine de l’Inde du Sud connaît dans cette période une légère croissance. Dans l’ouest de l’océan Indien, l’Égypte fatimide et le Yémen acquièrent une importance nouvelle au Xe siècle. Leur demande en produits d’Afrique de l’Est contribue à une expansion swahili vers les Comores et Madagascar.
La floraison de la Chine Song et la globalisation des Xe-XIIe siècles
25Une globalisation nouvelle s’amorce à la fin du Xe siècle, impulsée par la Chine Song, et favorisée par une montée des températures dans ce que l’Europe a appelé « l’Optimum climatique Médiéval » (Xe-XIIe siècles).
26Le développement chinois concerne tous les secteurs d’activité. L’État met en place une administration efficace. L’agriculture progresse, dans le sud notamment. L’essor d’une production destinée au marché s’accompagne de l’apparition de grandes propriétés. Dans l’artisanat et l’industrie, le secteur privé joue un rôle essentiel dans la croissance, à la fois dans les campagnes et des villes en pleine floraison. Une dynamique à la fois smithienne et schumpéterienne se met en place : la synergie entre marchés de biens et marchés de facteurs permet la mise en œuvre ou transformation d’innovations techniques, avec l’utilisation de la houille, l’invention de rouets, de nouveaux types d’armes, etc. L’amélioration de la productivité, partout recherchée, assure une croissance soutenue du produit par tête. Ce progrès global aboutit à une transformation de la société, avec le développement d’une bourgeoisie urbaine et d’un marché intérieur, inséparable de celui du commerce à longue distance, dont la taxation constitue une source de revenus croissants pour l’État. Les échanges sont favorisés par l’extension du transport par eau et une monétarisation croissante de l’économie rendue notamment possible par l’innovation du papier-monnaie convertible, à la fin du XIe siècle. L’amélioration des jonques permet à la fois de diminuer les temps de voyage et d’augmenter les quantités transportées. L’intérêt de la Chine pour les échanges maritimes s’accroît à partir de 1127, lorsque les Song perdent le nord de leur empire et déplacent leur capitale à Hangzhou, qui devient la première ville du monde. L’orientation marchande de l’État, qui tire 70 % de ses revenus des taxes commerciales et des monopoles, favorise l’essor d’un esprit capitaliste aussi bien dans les entreprises d’État que dans un secteur privé en plein développement. La progression du commerce induit une division du travail et une spécialisation géographique croissantes. Les marchés de facteurs progressent, avec une mobilité des travailleurs et une monétarisation de l’économie, favorisée par l’utilisation accrue du papier-monnaie.
27De nombreux musulmans séjournent en Chine, et une partie de la classe marchande chinoise est musulmane. Les Chinois sont désormais bien présents dans les mers du Sud, même si l’Asie du Sud-Est joue un rôle actif entre la Chine et l’Inde orientale, où les Chola s’affirment comme puissance maritime. Le royaume chola contrôle pour un temps Ceylan et les Maldives, et lance des raids sur la péninsule malaise et Palembang, où l’emprise de Srîwijaya sur les détroits gênait son commerce avec le Cambodge et la Chine. Une certaine symbiose se fait jour entre l’État chola – relativement centralisé – et des guildes marchandes impliquées dans le commerce au loin, guildes qui disposent de troupes armées30. On note un regain de monétarisation dans l’ensemble de l’Inde, qui permet aux dirigeants d’accroître l’efficacité de la taxation, et d’acheter chevaux et biens de luxe.
28En Asie occidentale, un empire se reconstitue sous les Turcs Seljuks, sunnites, empire toutefois plus limité que celui des Abbassides31. Il est sans doute significatif que les émissions monétaires soient presque inexistantes dans le golfe Persique du IXe siècle à la fin du XIIe siècle32. Fondés auparavant sur un secteur privé, les réseaux sont désormais en partie contrôlés par des potentats locaux, ce qui n’est pas le cas en mer Rouge. L’effacement relatif de Sîrâf entraîne un redéploiement de réseaux persans vers Qays, Hormuz, l’Arabie du Sud et l’Afrique de l’Est. La mer Rouge redevient prééminente par rapport au golfe Persique, les Fatimides chiites tirant parti d’accords de commerce passés avec les Byzantins pour approvisionner le marché méditerranéen en produits de l’océan Indien.
29Les marchands juifs ont alors la haute main sur le commerce en mer Rouge et entre l’Inde et le Yémen33, et à côté de marchands hindous et musulmans. Le commerce avec l’Inde apparaît déficitaire. Si à la fin du XIe siècle 10 % des marchandises de l’Inde sont acquises avec de l’or, au XIIe siècle il semble plus profitable de régler avec ce métal : l’or de l’Afrique de l’Ouest et celui de la côte de Sofala trouvaient alors leur chemin vers l’Égypte. Signe de la globalisation des échanges, des soieries de Quanzhou sont vendues à un prix modéré à Fustât.
30L’essor des échanges s’appuie ensuite sur les réseaux musulmans, où les marchands kârimî jouent un rôle croissant en mer Rouge, appuyés par les Ayyûbides d’Égypte, maîtres du Yémen à partir de 1173. En relation avec les réseaux du commerce, l’islam progresse sur la côte de Malabar et au Gujarat, où Al-Bîrûnî (XIe siècle) met en relief l’importance de Sômanât comme « port de transit entre Afrique et Orient ». Le savant Al-Gharnâtî rend compte d’un mode de constitution de ces réseaux, et de la manière dont ils se localisent et se complexifient : « [Le traitant] Abû-l-Abbâs [rencontré au Caire en 1118] avait passé quarante ans en Chine. Les enfants qu’il avait eus de concubines esclaves, ainsi qu’en Inde, à Ceylan et en Abyssinie, parlaient les langues de ces pays et lui servaient de facteurs34 ». L’islam progresse aussi en Afrique occidentale et orientale, à la fois par les marchands et l’islamisation des élites. En position dominée, l’intérieur de l’Afrique fournit or, ivoire et esclaves. L’utilisation de cauris comme monnaie à partir du XIIe siècle (Mali, royaume Songhay) révèle une connexion de l’Afrique de l’Ouest avec des réseaux reliés à l’océan Indien.
L’expansion mongole et la restructuration du monde (XIIIe-XIVe siècles)
31Le XIIIe siècle est une période-clé qui ouvre sur une expansion économique dont l’apogée se situe dans les premières décades du XIVe siècle. L’unification de l’Asie centrale dans l’empire mongol de Gengis Khân, qui à sa mort s’étend du Pacifique à la mer Noire, amène l’ouverture de contacts directs entre Chine et Europe par une route des steppes qui passe au nord des oasis. L’expansion mongole se poursuit après Gengis Khân avec la prise de la Perse et de l’Irak (1258), puis de la Chine (1279).
32Le contrôle de la Chine par les Mongols brise la trajectoire « protocapitaliste » où la Chine s’était engagée. Tout en poursuivant une politique favorable au commerce, la dynastie mongole des Yuan, fondée par Kûbilaï, va encadrer l’économie et brider les espaces de liberté de la population chinoise, des étrangers jouissant en revanche d’une place privilégiée dans l’administration du pays, aux côtés de l’aristocratie mongole. Les Mongols s’appuient sur des guildes de marchands (ortaq), qui sont d’abord des chrétiens et des Ouïgours manichéens, puis des musulmans de Transoxiane. La domination mongole ouvre à des mouvements entre Orient et Occident qui induisent la diffusion de nombreuses techniques telles l’idée de l’imprimerie, la connaissance de la poudre puis le principe du canon, peut-être le rouet et la fonte du fer. Les contacts de l’Europe avec la Chine s’opèrent aussi via le monde musulman, qui apporte ses propres développements techniques.
33Après avoir stoppé l’avance mongole, les mamelouks font de l’Égypte la nouvelle puissance prééminente du monde musulman. Le rôle du Yémen comme plaque tournante entre mer Rouge et océan Indien s’en trouve alors renforcé. Indépendant sous les sultans rasûlides, le Yémen étend son emprise sur les réseaux, dans une « souveraineté partagée » avec l’Égypte35.
34Le sultanat de Delhi, formé à la fin du XIIe siècle, représente un autre bastion face aux Mongols36, qui va s’étendre à une grande partie de la péninsule. Les luttes entre puissances indiennes au XIIIe siècle favorisent l’essor de riches traitants musulmans, notamment des vendeurs de chevaux, qui viennent du golfe Persique et du Yémen. Le développement mercantile fournit la base d’une nouvelle différenciation sociale, « les marchands parvenant à se frayer un chemin au sein des aristocraties », au Gujarat par exemple37.
35Le XIIIe siècle marque une deuxième période d’expansion de l’islam, en Inde du Nord mais aussi sur les côtes de l’Inde du Sud et en Asie du Sud-Est, où Srîwijaya disparaît au profit des premiers sultanats marchands, et du royaume javanais de Mojopahit, connecté aux réseaux du commerce au loin par les ports cosmopolites de sa côte nord. En Afrique de l’Est, l’islam est désormais présent sur toute la côte swahili et la cité-État de Kilwa, qui contrôle le commerce de l’or du Zimbabwe, est alors à son apogée.
36La mutation du XIIIe siècle a été accélérée par les conquêtes mongoles, mais plus encore par l’intensification du grand commerce. L’essentiel de ce commerce se fait par voie maritime, et l’activité du système-monde se concentre entre Inde et Chine : « pour une nef chargée de poivre qui va à Alexandrie ou autre lieu pour être porté en terre de Chrétiens, écrit Marco Polo, il en vient plus de cent au port [chinois] de Çaiton [Quanzhou] », premier port du monde. Le prix de la soie chinoise en Italie durant cette période de la Pax Mongolica n’est que trois fois son prix en Chine, signe de l’efficacité et de l’intensité des échanges.
37L’Europe est alors en pleine transformation. Un système de cités en interrelations se met en place, berceau du capitalisme européen. Industrie et commerce progressent en Italie, mais aussi en Europe du Nord, où les ports de Bruges et de la Ligue Hanséatique jouent un rôle actif. Les Flandres développent une production textile standardisée, avec une extrême division du travail, pour une exportation à grande échelle38. Le travail à façon apparaît dès cette époque. L’Italie emprunte la lettre de change à l’espace musulman, et innove avec la comptabilité à double entrée et le calcul actuariel, sans doute inspiré par des marchands arabes. Italie et espaces du Nord se rencontrent aux foires de Champagne puis communiquent par voie maritime à partir de la fin du XIIIe siècle39. L’essor de pratiques capitalistes se réalise parallèlement à une triple crise du féodalisme, de l’État et de l’Église40, et au développement d’institutions autonomes comme les universités, les guildes et les conseils de cités.
38Dans les années 1320, l’activité s’essouffle dans l’ensemble du système-monde, repli aggravé par un refroidissement global. Des conflits éclatent au Yémen, et des États se disloquent : le khânat d’Asie centrale en 1334, le régime mongol d’Iran vers 1335, et le sultanat de Delhi à partir de 1338. C’est dans ce contexte défavorable que la peste se répand de la Chine à l’Europe et à l’Égypte à partir de 1346.
Le retrait chinois et l’émergence du capitalisme européen (XVe siècle)
39À la fin du XIVe siècle, la reconstruction de la Chine marque l’aube d’une nouvelle phase de globalisation, laquelle coïncide avec l’expansion de l’empire de Tamerlan (1398-1402). Mais ce nouveau cycle est surtout impulsé par le dynamisme de l’Europe, l’essor de l’empire ottoman et de grands États indiens, comme celui de cités-États asiatiques. Dans l’ensemble de l’océan Indien, les réseaux d’échange s’étendent et se densifient, les États développant une plus grande efficacité dans la mobilisation des hommes et des ressources, appuyée sur une extension de l’usage des armes à feu.
40La dynastie chinoise des Ming a entrepris en 1368 une reconstruction matérielle et idéologique de l’État qui trouve son épanouissement sous l’empereur Yongle (1403-1424). La première partie du XVe siècle correspond à l’apogée du système tributaire chinois, que traduit l’envoi dans l’océan Indien de sept grandes expéditions dirigées par l’amiral musulman Zheng He (1405-1431), qui atteignent Hormuz, Aden, et Malindi, en Afrique de l’Est. Même si les Ming ne renouent pas avec la politique favorable aux marchands pratiquée par les Song, les navires de traitants privés se rendent dans les mers du Sud. L’élimination de « pirates » chinois par la flotte Ming (comme à Sumatra) traduit en outre une volonté de lutte contre des diasporas. En 1410, la cour impériale demande à une mission javanaise de l’aider à faire revenir des émigrés chinois en Chine.
41En 1433, pour des raisons politique, économique et idéologique, la Chine se retire des routes maritimes et décourage le commerce au loin. Ce repli va favoriser l’essor de Malacca, et celui des ports de la côte nord de Java, où d’importantes communautés chinoises sont implantées. Un commerce chinois, mi-clandestin mi-officiel, se poursuit cependant. Les difficultés financières de l’État Ming expliquent pour une part le repli de 1433, mais à l’inverse, Elvin établit un lien allant de la politique isolationniste à la non-convertibilité du papier-monnaie, faute de métal argent41.
42Dans le monde musulman occidental, l’Égypte demeure une puissance majeure, même si le golfe Persique retrouve une importance dont témoigne l’émergence d’Hormuz. Un commerce significatif se maintient en outre par les « routes de la Soie », actives sous les Timurides. Dans toute l’Asie du Sud, les réseaux musulmans s’étendent, et D. Lombard a pu qualifier l’océan Indien au XVe siècle de « mer islamisée42 ».
43Les années 1420-1430 voient ainsi une restructuration des réseaux de l’océan Indien occidental, avec une ascension des Indiens et la quasi-disparition des kârimî de la mer Rouge, victimes des exactions des sultans du Yémen et de la politique des mamelouks d’Égypte, qui, à partir de 1429, s’arrogent un monopole sur le commerce des épices. Dans la deuxième moitié du XVe siècle, un déclin de la production et une balance commerciale déficitaire avec l’Inde marquent le repli de l’Égypte, dû en partie à une augmentation vertigineuse des dépenses militaires.
44En Inde, la désintégration de l’empire de Delhi a donné naissance à des sultanats tournés vers la mer, au Gujarat et au Bengale. Tomé Pires a bien décrit la centralité du Gujarat, qui exporte des cotonnades dans tout l’océan Indien : « Cambay a deux bras ; le droit se dirige vers Aden, et l’autre vers Malacca, les deux places les plus importantes vers où faire voile. […] Les Gujaratis ont des facteurs partout. » Le Gujarat a des liens étroits avec l’Afrique de l’Est, où l’exportation de tissus et de perles lui permet de capter une grande partie de l’or du Zimbabwe. Les empires militarisés du Deccan (sultanat bahmanide) et du sud de l’Inde (empire hindouiste de Vijayanâgara) sont eux-mêmes impliqués dans les échanges, par l’intermédiaire de communautés musulmanes, mais aussi par leurs marchands hindous et jaïns. Ces empires importent notamment des chevaux de l’Arabie et du golfe Persique, négociés contre du riz, du sucre, du fer et des épices. Plus au sud, la cité-État de Calicut est le grand port du poivre.
45L’activité est particulièrement vive dans l’océan Indien oriental, stimulée par l’essor des échanges avec la Chine. Au Bengale, qui exporte vers Pasai et Malacca, le sultan et des notables de la cour prennent eux-mêmes part aux échanges43. Les grands marchands tamouls jouent également un rôle majeur, à partir du port de Pulicat. D’autres États, comme Pegu, participent à ces réseaux qui convergent à l’est vers Malacca.
46Avec l’appui de la Chine, la cité-État de Malacca devient la plaque tournante du commerce entre l’océan Indien et la mer de Chine. Par elle, transitent épices et aromates : « Celui qui est le maître [de Malacca], écrit Pires, a les mains sur la gorge de Venise. » Comme le notait déjà Marco Polo, les épices de l’Asie sont toutefois d’abord consommées en Asie, en Arabie et en Égypte44 : l’essentiel de l’activité économique se situe dans l’espace afro-asiatique.
47Si les musulmans sont prééminents dans les échanges, la tolérance est partout de règle en matière religieuse, et au cosmopolitisme des ports, répond le caractère transnational des réseaux. Mahmûd Gâwân et sa famille en offrent un bon exemple : savant et marchand de chevaux originaire d’Iran, il est ministre dans le sultanat bahmanide. Son frère, Ahmad, est fixé en Égypte, où vivait son père ; l’un de ses fils commerce avec l’Inde, tandis que deux autres qui ont étudié les sciences coraniques sont installés à La Mecque.
48L’essor de la production et des échanges, en Asie et en Afrique, s’accompagne de celui de pratiques capitalistes, d’une monétarisation de l’économie et de l’extension du crédit. Les grands entrepreneurs sont à la fois producteurs, marchands et financiers. La côte du Coromandel constitue un bon exemple de ces processus, avec la naissance d’une industrie textile45. La Chine connaît un progrès de la production et des marchés, et « la montée d’une économie urbaine46 ». Si le commerce extérieur n’est pas libéralisé, il apparaît toutefois en progrès. Les grands marchands nouent des liens avec la sphère des officiels, leur situation demeurant cependant toujours vulnérable. La poussée des pratiques capitalistes apparaît ici moins articulée à l’État que durant la période Song. L’usage de l’argent progresse à cette période et l’immense demande de la Chine pour ce métal jouera un rôle crucial au XVIe siècle dans la structuration d’un espace économique à l’échelle du monde47. Des pratiques capitalistes se développent surtout dans les cités-États ou les petits sultanats de l’Inde, de l’Asie du Sud-Est et de la côte est-africaine. Il s’agit aussi parfois de villes plus ou moins autonomes à l’intérieur de grands États, comme Hormuz et les cités de la côte nord de Java. Partout, l’État y favorise le commerce à longue distance. Si à Hormuz et Calicut, les dirigeants politiques ne s’impliquent pas directement dans le commerce, les sultans de Malacca y jouent au contraire un rôle actif. Parallèlement, les marchands y exercent aussi un rôle politique notable, par le biais de quatre « chefs de port », représentants des principales communautés étrangères. La richesse et le pouvoir de certains marchands sont illustrés au début du XVIe siècle sur la côte ouest de l’Inde par Mamalli de Cannanore, qui établit sa suzeraineté sur les Maldives vers 1494, exerçant un monopole sur le coir, et coordonne plus tard des actions de résistance contre les Portugais, en rassemblant des troupes à Calicut et une flottille de navires de guerre du Gujarat.
49Il est significatif sans doute que l’État Ming défavorise le négoce privé au long cours au moment précisément où les marchands en Europe exercent une influence croissante sur les États-nations émergents. L’État, l’industrie et le secteur marchand mettent en œuvre un large ensemble d’innovations48, appropriation d’inventions extérieures, souvent chinoises ; on le voit avec les armes à feu et l’imprimerie49. Les échanges bénéficient de progrès dans le transport maritime, avec des apports techniques de l’océan Indien. Dès le début du XVe siècle, le développement du chèque et d’un marché de la lettre de change permettent un essor du secteur financier. Un système capitaliste se développe alors en Occident, stimulé par la rivalité entre Génois et Vénitiens, Portugais et Espagnols, à la recherche de l’or et des épices. On observe une imbrication de l’État, des familles marchandes influentes et des grandes banques. La liberté d’entreprendre et les moyens accordés à une classe de producteurs et de marchands ne se retrouvent pas – en tout cas pas au même degré – dans les villes d’Afrique et d’Asie, à quelques exceptions près, Malacca notamment.
50Les dirigeants des États européens sont amenés à emprunter à de grands marchands-banquiers, dès lors en position de dicter leurs conditions. D’autres chefs politiques en Afrique et en Asie ont eu recours à la richesse des marchands. Ce qui est nouveau, en Europe, c’est l’ampleur du phénomène et sa récurrence, qu’explique son caractère structurel. Les rois sont en effet contraints de négocier l’imposition des taxes avec la noblesse, le clergé et les bourgeois des villes, représentés en parlements, d’où des difficultés constantes de financement. L’Europe se forge au XVe siècle une identité singulière, fondée sur la soif de profit, la puissance des armes et parfois l’intolérance religieuse. C’est ainsi la volonté de contourner la mainmise de Venise sur les routes commerciales orientales, en se ménageant un accès direct aux épices, qui débouche sur l’irruption violente des Portugais dans l’océan Indien, à la toute fin du siècle.
Nature et significations du commerce ancien de l’océan Indien
51L’histoire économique de l’océan Indien avant le XVIe siècle est à replacer dans celle de l’ensemble de l’Ancien Monde. Des progrès de l’agriculture et la constitution de vastes réseaux d’échanges portent les mouvements successifs de globalisation. Parfois bâtis par les armes, ces réseaux sont d’abord tissés par des marchands et des hommes de religion. Ces derniers peuvent émaner des principales puissances, mais aussi appartenir à des diasporas qui agissent de manière relativement autonome. L’expansion du commerce au loin a favorisé des constructions étatiques, et une division du travail entre régions, qui ont permis des améliorations dans la productivité et encouragé des innovations institutionnelles et technologiques, celles-ci contribuant elles-mêmes à un nouvel essor de la production et des marchés. Ces processus conduisent à des « efflorescences50 » qui voient une croissance provisoire du produit par tête dans certains cœurs, avec parfois articulation entre croissances smithienne et schumpeterienne51. Des hiérarchies se développent entre régions, fondées en partie sur des jeux de force économiques où interviennent la « désirabilité » socialement construite des produits manufacturés exportés par les cœurs, et la création de situations (quasi) monopolistes dans la production et l’échange52. En même temps, l’essor des cœurs du système stimule l’économie d’autres régions, favorisant des processus de coévolution.
Le commerce de l’océan Indien relève-t-il du capitalisme ?
52L’histoire de l’océan Indien conduit à relativiser l’idée d’une invention européenne du capitalisme53. On ne peut cependant confondre « existence de marchés » et « économie de marché », pratiques capitalistes et constitution d’un mode de production capitaliste dominant.
53L’existence de marchés ne fait aucun doute, sur les rives de l’océan Indien, au moins à partir du VIIe siècle, du fait de prix souvent libres et négociés, sur des marchés de biens spécifiques. Mais au-delà de la liberté des commerçants, la marchandisation de la terre et du travail reste limitée du fait de structures agraires ou sociales ayant bien défini les modes d’usage de ces deux facteurs de production. Ces modalités n’empêchent pas la mobilisation de ces facteurs, mais limitent leur utilisation dans le cadre d’une accumulation systématique que le grand commerce vient pourtant stimuler. On note dès lors des avancées et des reflux dans l’essor et surtout l’articulation des marchés de biens et de facteurs. Les « systèmes de marchés », seuls capables de déployer cette synergie entre marchés de biens et de facteurs, demeurent généralement embryonnaires, sauf peut-être dans la Chine Song, qui offre sans doute l’un des premiers exemples de transformation de l’État et de la Société, dans le cadre d’une quasi-économie de marché, voire d’un capitalisme émergent54.
54Des pratiques capitalistes se développent de fait, dès l’aube du système, à travers la culture d’un capital marchand privé, résolument tourné vers le profit et incarné dans l’action des diasporas. Le secteur politique lui-même développe parfois un esprit d’entreprise, avec une recherche de profit, ainsi dans le califat abbasside, la Chine Song ou le sultanat rasûlide du Yémen. Il existe donc clairement des acteurs, parfois très riches, qui affichent des pratiques économiques relevant du capital « marchand », c’est-à-dire à la fois commerçant et usuraire. Mais il y a loin de ces pratiques à l’établissement d’un « système ». Que l’on suive la définition du capitalisme de Marx (processus tendant vers la généralisation du salariat et de l’échange marchand) ou de Weber (réalisation de l’ensemble des conditions nécessaires à une recherche rationalisée du profit), il semble difficile de parler de mode de production ou d’organisation capitaliste. Ainsi, dans la Chine des Tang et des Song, le salariat reste minoritaire face à l’emploi familial et à une forme de servage, dans le cadre d’une production agricole et/ou artisanale, souvent familiale et directement proposée sur le marché. Sous ces deux dynasties, l’accumulation du capital ne devient pas non plus une stricte obligation, contrairement à ce qui naîtra en Angleterre, au XVIe siècle, dans le cadre des enclosures, et caractérise le capitalisme55. Le capital n’y constitue pas un facteur crucial de production dans la mesure où une main-d’œuvre abondante permet de privilégier des technologies intensives en travail. Si on peut sans doute y repérer de quasi-économies de marché, elles ne relèveraient pas du capitalisme.
55Par ailleurs, le modèle européen du capitalisme a vu se développer un autre phénomène, souvent présenté comme primordial, à savoir une réelle symbiose entre État et marchands, constitutive de ce « mode de production ». Répondre à la question posée d’un certain « capitalisme émergent » passe donc aussi par une observation des relations entre pouvoir politique et commerçants dans l’océan Indien.
Quelles relations entre États et diasporas marchandes ?
56État et secteur privé avaient des logiques souvent distinctes. On observe leur compétition, mais aussi leur articulation. Deux stratégies marchandes, notamment des commerçants de longue distance, ont été constamment mises en œuvre, de manière concurrente ou complémentaire : elles consistaient à investir la sphère politique, ou à s’en tenir à l’écart, en se dégageant le plus complètement possible de la territorialité ou en essayant de réduire le rôle de l’État. À l’inverse, les élites étatiques ont le choix entre prendre un contrôle partiel de l’économie – en instrumentalisant parfois les grands marchands, ainsi dans l’Égypte mamelouke au XVe siècle –, ou favoriser à distance l’essor du secteur privé et en taxer les activités. Il est possible de rencontrer toutes les situations intermédiaires entre symbiose totale et distance mutuellement acceptée en passant par toutes les formes d’instrumentalisation unilatérale, que ce soit des marchands-producteurs par l’État ou de l’État par ces derniers, comme le résume le tableau ci-dessous.

57Ce tableau nous présente deux solutions de relative « coopération », quand chacun garde ses distances (ce qui n’empêche pas une taxation des activités marchandes) d’une part, ou lorsque la symbiose est mutuellement acceptée comme facteur de gains pour chacun d’autre part. On serait tenté de les privilégier et de voir, dans leur opposition, celle d’une autonomie assez large des diasporas, dans le cadre d’un mode de production tributaire très prégnant dans l’océan Indien, d’un côté, d’un fonctionnement propre aux cités-États italiennes de la fin du Moyen-Âge, de l’autre. Mais les deux « solutions » non-coopératives se rencontrent également. La dynastie Ming, après 1433, illustre assez bien une répression (du reste peu efficace) des marchands de longue distance. De son côté, Mamalli de Cannanore déjà cité, représente, aux Maldives, à la fin du XVe siècle, l’exemple de marchands parvenus à saisir le pouvoir politique, comme peut-être Malik Ayaz dans le port gujarati de Diu au même moment. Cependant les relations État-marchands sont le plus souvent bien plus subtiles…
58On a de fait trop souvent opposé États agraires et commerce maritime56. C’est oublier que, dans les grands empires, les princes avaient besoin des marchands pour convertir la richesse agricole en revenu utilisable par l’État57. Les marchands, qui fournissaient aux élites produits et services, ne faisaient pas que coexister avec les structures bureaucratiques, les deux mondes s’interpénétraient, les États faisant souvent appel à eux pour leur administration, ainsi dans la Chine Tang ou Yuan et le califat abbasside. Si D. Lombard notait : « On est amené à constater que les marchands [en Asie et en Afrique] ont été tenus ou se sont tenus à l’écart du politique58 », les exemples indiquant le contraire ne manquent pas. Dans l’Égypte fatimide du XIe siècle, les frères Tustârî, négociants juifs en biens de luxe de l’océan Indien et banquiers, accèdent au vizirat. En Chine, sous les Song du Sud, des marchands obtiennent des postes officiels. En Inde, rois et grands marchands sont souvent liés par des intérêts financiers59. Frère du prince-marchand de Qays Jamâl al-Dîn al-Tîbî, Taqî al-Dîn al-Tîbî détient le poste de vizir dans le royaume pândya du Sud de l’Inde (fin du XIIIe siècle). Une synergie est clairement perceptible entre des associations marchandes et le pouvoir politique, dans l’Inde chola ou le Yémen rasûlide. Certains marchands pouvaient tirer profit d’une alliance avec l’État, qui s’accompagnait aussi de risques considérables. La mise à mort de Mahmûd Gâwân par le sultan bahmanide en 1481 constitue un bon exemple de la vulnérabilité des marchands face au pouvoir politique, de même que les déboires des « marchands du sultan » dans l’Égypte mamelouke60.
59La soif d’indépendance des marchands, tendance récurrente, contraignait les pouvoirs locaux à les attirer (symbiose mutuellement profitable) ou à les maîtriser (intégration forcée des marchands au projet étatique). Le « capitalisme ancien » s’est en effet développé pour une part dans le cadre de réseaux commerciaux transrégionaux comme ceux des diasporas. Un autre cadre de développement capitaliste – historiquement primordial – est fourni par les cités-États et les petits sultanats marchands, qui fleurissent en Inde, en Asie du Sud-Est et sur la côte swahili (mais pas en Chine), à partir du XIIIe siècle surtout. Lieux d’un contrat social entre élites politiques et producteurs-marchands, ces cités s’épanouissent dans les régions interstitielles des empires, mais il s’agit aussi parfois de villes plus ou moins indépendantes à l’intérieur des États centraux, comme Hormuz au XVe siècle.
60On a peut-être aussi souligné de manière excessive la fragilité sociale des marchands asiatiques dans la période « prémoderne », par opposition aux marchands européens protégés par des droits de propriété et l’influence exercée sur les États. Il est vrai toutefois qu’à la différence de l’Europe, il n’y a pas, en Asie et en Afrique, « fusion de l’État et des intérêts mercantiles » et « institutionnalisation du pouvoir de la classe marchande61 », même dans les cités-États qui s’y constituent, où les traitants demeurent bien souvent à la merci du pouvoir politique. En ce sens, le modèle théorique présenté plus haut de la « symbiose acceptée » y reste profondément inégalitaire. On ne rencontre pas non plus dans ces cités le « désir [européen] d’une expansion fondée sur le mariage » du commerce et de la guerre62. Des « républiques marchandes » s’instaurent dans quelques ports, mais elles demeurent des exemples marginaux, et l’« esprit capitaliste » de ces cités n’est pas en mesure de modeler les grands États. Mielants souligne en outre le faible contrôle des marchands sur les processus de production, dans le secteur textile par exemple, où on n’observerait pas une « prolétarisation » des travailleurs comme en Europe, autre trait caractéristique du capitalisme.
61Il est vrai que c’est dans le système de cités-États européennes en inter-relation que se situent pour l’essentiel les origines du système capitaliste moderne. L’Europe adapte avec profit des innovations venues d’Asie ou d’Afrique, mais crée aussi des institutions et des instruments nouveaux qui assurent une plus grande liberté d’entreprise, et permettent un développement inédit du secteur financier.
62Trop peu nombreux, les Portugais n’avaient pas les moyens de la politique qu’ils prétendaient mener dans l’océan Indien, et ils s’intégreront finalement en grande partie aux réseaux déjà existants. La fin du XVe siècle et le XVIe siècle, pourtant, représentent bien un moment de rupture. Construisant entre Afrique de l’Ouest et Amériques un nouveau système dont ils constituent le « cœur », les Européens vont utiliser avec profit l’or et l’argent du Nouveau Monde pour pénétrer plus avant les marchés asiatiques. Tout est en place désormais pour « l’explosion planétaire de l’Extrême-Occident chrétien63 », qui n’est pas encore le triomphe de cet Occident : jusqu’au début du XIXe siècle, les économies de l’Asie domineront largement les économies européennes.
Notes de bas de page
1 Beaujard P., « From Three Possible Iron Age World-Systems to a Single Afro-Eurasian World System », Journal of World History, 21 (1), 2010, p. 1-43.
2 Beaujard P., « Un seul système-monde avant le XVIe siècle ? L’océan Indien au cœur de l’intégration de l’hémisphère afro-eurasien », in Histoire globale, mondialisations et capitalisme,Beaujard P., Berger L. et Norel P. (éd.), Paris, Éditions La Découverte, 2009, p. 82-148.
3 Diamond J., De l’inégalité parmi les sociétés. Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Paris, Gallimard, 2000 (1re éd. 1997).
4 Boserup E., The conditions of agricultural growth. The economics of agrarian change under population pressure, London, Earthscan Publications Ltd., 1998 (1re éd. 1965).
5 Beaujard P., Les mondes de l’océan Indien, 2 vol. , Paris, Armand Colin, 2012, et, du même auteur, « Systèmes-mondes anciens. Processus de domination, de co-évolution et de résistance. L’exemple de la côte est-africaine avant le XVIIe siècle », Actuel Marx, 53, 2013, p. 40-62.
6 O’brien P., « Historiographical traditions and modern imperatives for the restoration of global history », Journal of Global History, 1, 2006, p. 3-39.
7 Nicolet C., Rendre à César. Économie et société dans la Rome antique, Paris, Gallimard, 1988.
8 Scheidel W., « From the “Great Convergence” to the “First Great Divergence”: Roman and Qin-Han State Formation and its Aftermath », in Rome and China: Comparative Perspectives on Ancient World Empires, Oxford, New York, Oxford University Press, W. Scheidel (éd.), Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 11-23.
9 Voir Elvin M., The Pattern of the Chinese Past: A Social and Economic Interpretation, Stanford, Stanford University Press, 1973; Gernet J., Le monde chinois, Paris, Armand Colin, 1999; Lewis M.-E., The Early Chinese Empires: Qin and Han, Cambridge, Belknap Press, 2010.
10 Casson L., « New Lights on Maritime Loans: P. Vindob G 40822 », in Trade in Early India (Oxford in India Readings: Themes in Indian History), R. Chakravarti (éd.), Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 228-243.
11 Wendrich W. Z., Tomber R. S., Sidebotham S. E., Harrell J. A., Cappers R. T. J., et Bagnall R. S., « Berenike Cross-roads: the Integration of Information », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 46 (1), 2003, p. 46-87.
12 Casson L. (éd.), Periplus Maris Erythraei, Princeton, Princeton University Press, 1989.
13 Ray H. P., The Winds of Change: Buddhism and the Maritime Links of Early South Asia, New Delhi, Manohar Publish., 1994.
14 Manguin P.-Y., « The Southeast Asian Ship: An Historical Approach », Journal of Southeast Asian Studies, XI, 2, 1980, p. 266-276.
15 Mcneill W. H., Plagues and Peoples, New York, Anchor books Editions, 1998 (1re éd. 1976).
16 Whitehouse D., « Excavations at Siraf. Sixth Interim Report », Iran, 12, 1974, p. 1-30.
17 Juma A. M., Unguja Ukuu on Zanzibar. An archaeological study of early urbanism, Studies in Global Archaeology 3, Uppsala University, 2004.
18 Wong R. B., China transformed: Historical Change and the Limits of European Experience, Ithaca, Cornell University Press, 1997.
19 Adshead va jusqu’à comparer la colonisation chinoise du bassin du Yangzi et du sud de la Chine, qui débute à cette époque, à la découverte de l’Amérique par les Européens. Voir son ouvrage : T’ang China: the Rise of the East in World History, Basingstoke, New York, Palgrave McMillan, 2004.
20 Norel P., « Espace mondial et émergence de systèmes nationaux de marchés », in R. Sobel (éd.), Penser la marchandisation du monde avec Karl Polanyi, Cahiers Lillois d’Économie et de Sociologie, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 37-61.
21 Adshead S. A. M., China in World History, Basingstoke, McMillan, 1995.
22 Beaujard P., « L’Afrique de l’Est, les Comores et Madagascar dans le système-monde eurasiatique et africain avant le XVIe siècle », in L’Afrique et Madagascar, D. Nativel et F. Rajaonah (éd.), Paris, Karthala, 2007, p. 29-102.
23 Manguin P.-Y., « City-States and City-State Cultures in pre-15th Century Southeast Asia », in A Comparative Study of Thirty City-State Cultures, M. H. Hansen (éd.), Copenhague, Det Kongelige Danske Videnskabernes Selskab, 2000, p. 409-416.
24 Adshead S. A. M., T’ang China: the Rise of the East in World History, Basingstoke, New York, Palgrave McMillan, 2004.
25 Chaudhuri K. N., Trade and Civilization in the Indian Ocean. An Economic History from the Rise of islam to 1750, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
26 Quinn W., H., « A study of Southern Oscillation-related climatic activity for A. D. 622-1900 incorporating Nile River flood data », in El Niño: Historical and Paleoclimatic Aspects of the Southern Oscillation, H. F. Diaz et V. Markgraf (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 119-149.
27 Lombard M., L’islam dans sa première grandeur VIIIe-XIe siècles, Paris, Flammarion, 1971.
28 Deyell J., Living without silver, New Delhi, Oxford University Press, 1999.
29 Bosworth A., « World Cities and World Economic Cycles », in Civilizations and World Systems. Studying World-Historical Change, S. K. Sanderson (éd.), Walnut Creek, London, New Delhi, Altamira Press, 1995, p. 206-227.
30 Abraham M., Two Medieval Merchant Guilds of South India, South Asian Studies 18, New Delhi, Manohar Publications, 1988.
31 Bianquis T., « Le monde musulman du IXe/IIIe siècle au XVe/Xe siècle », in États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, vol. 2, J.-C. Garcin et al. (éd.), Paris, PUF, 1999, p. 5-81.
32 Deyell J., op. cit., 1999.
33 Goitein S. D., et Friedman M. A., India Traders of the Middle Ages: Documents from the Cairo Geniza. « India Book », Part One, Leiden, Brill, 2007.
34 Rosenberger B., « La pratique du commerce », in États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, vol. 2, J.-C. Garcin et al. (éd.), Paris, PUF, 1999, p. 245-273.
35 Vallet E., L’Arabie marchande, État et commerce sous les sultans rasûlides du Yémen (626-858/1229-1454), Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.
36 Gaborieau M., « L’islamisation de l’Inde et de l’Asie orientale », in États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval, vol. 1, J.-C. Garcin et al. (éd.), Paris, PUF, 1995, p. 431-459.
37 Jain, V. K. « Trading Community and Merchant Corporations », in Trade in Early India (Oxford in India Readings: Themes in Indian History), R. Chakravarti (éd.), Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 344-369 (1re public. in Trade and Traders in Western India 1000-1300, Delhi, 1989, p. 209-232).
38 Mielants E., The Origins of Capitalism and the Rise of the West, Philadelphia, Temple University Press, 2007.
39 Braudel F., Civilisation matérielle, Économie et Capitalisme, XVe-XVIIIe siècle. t. 1. Les Structures du Quotidien ; t. 2. Les Jeux de l’Échange ; t. 3. Le Temps du Monde, Paris, A. Colin, 1979.
40 Wallerstein I., « The West, capitalism, and the modern world-system », in China and Historical Capitalism: Genealogies of Sinological Knowledge, T. Brook et G. Blue (éd.), New York, Cambridge University Press, 1999, p. 10-56.
41 Elvin M., The Pattern of the Chinese Past: A Social and Economic Interpretation, Stanford, Stanford University Press, 1973.
42 Lombard D., Le carrefour javanais. Essai d’histoire globale. t. 1 : Les limites de l’occidentalisation ; t. 2 : Les réseaux asiatiques ; t. 3 : L’héritage des royaumes concentriques, Paris, EHESS, 1990.
43 Subrahmanyam S., Explorations in Connected History: From the Tagus to the Ganges, Oxford University Press, 2005.
44 60 à 70 % du girofle arrivant à Malacca vers 1500 étaient acheminés vers le Gujarat, et seulement 5 % partaient vers l’Europe.
45 Ramaswamy V., Textiles and Weavers in Medieval South India, Delhi, Oxford University Press, 1985.
46 Kerlouegan J., « L’Empire des Premiers Ming : le grand réaménagement de la Chine », et « De l’expansion au recentrement : la Chine et son monde », in Histoire du monde au XVe siècle, P. Boucheron (éd.), Paris, Fayard, 2009, p. 193-211, et p. 619-635.
47 Flynn D. O. et Giraldez A., « Born Again : Globalization’s Sixteenth Century Origins (Asian/Global Versus European Dynamics) », Pacific Economic Review, 13 (3), 2008, p. 359-387.
48 Arrighi G., The Long Twentieth Century. Money, Power and the Origins of Our Times, London, New York, Verso, 1994; Mielants E., op. cit., 2007.
49 Arnoux M., « L’Europe de la “Grande Transformation” », in Histoire du monde au XVe siècle, P. Boucheron (éd.), Paris, Fayard, 2009, p. 740-755.
50 Goldstone J. A., « Efflorescences et croissance économique dans l’Histoire globale : une réinterprétation de l’essor de l’Occident et de la Révolution Industrielle », in Histoire globale, mondialisations et capitalisme, P. Beaujard, L. Berger et P. Norel (éd.), Paris, La Découverte, 2009, p. 299-334.
51 Norel P., L’histoire économique globale, Paris, Le Seuil, 2009, réédition 2013.
52 Beaujard P., op. cit., 2013.
53 Goody J., Le vol de l’Histoire : Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde, Paris, Gallimard, 2010.
54 Deng G., The Premodern Chinese Economy. Structural Equilibrium and Capitalist Sterility, London, New York, Routledge, 1999.
55 Meiksins-wood E., The Origin of Capitalism, a longer view, London, Verso, 2002.
56 e. g. Pearson versus Subrahmanyam: Pearson M. N., The Indian Ocean, London, New York, Routledge, 2003; Subrahmanyam S., « Iranians Abroad: Intra-Asian Elite Migration and Early Modern State Formation », in Merchant Networks in the Early Modern World, S. Subrahmanyam (éd.), Aldershot, Brookfield, Variorum, 1996, p. 72-95 (1re éd. The Journal of Asian Studies, 1992).
57 Bang P. F., « Commanding and Consuming the World: Empire, Tribute, and Trade in Roman and Chinese History », in Rome and China: Comparative Perspectives on Ancient World Empires, Oxford, New York, Oxford University Press, 2009, p. 100-120.
58 Lombard D., op. cit., 1990.
59 Subrahmanyam S., The Political Economy of Commerce: Southern India 1500-1650, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
60 Vallet E., op. cit., 2010.
61 Mielants E., op. cit., 2007.
62 Wong R. B., « The Search for European Differences and Domination in the Early Modern World », American Historical Review, 107 (2), 2002, p. 447-469.
63 Chaunu P., L’Amérique et des Amériques, Paris, Armand Colin, 1964.
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L’Asie, la mer, le monde
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