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Du diocèse à la paroisse

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Anne Lunven

Troisième partie. L’élaboration des territoires ecclésiastiques

Conclusion de la troisième partie

Texte intégral

1La naissance de territoires ecclésiastiques remonte aux XIe-XIIe siècles. L’élément le plus visible de cette évolution est l’apparition d’un vocabulaire spécifique pour désigner ces nouveaux cadres. Celui-ci mit toutefois plusieurs décennies avant de se fixer définitivement : jusqu’au troisième quart du XIIe siècle, le mot parochia pouvait encore renvoyer aux dépendances d’une église épiscopale et ce ne fut qu’au début du XIIIe siècle que le terme diocesis s’imposa pour dénommer la circonscription placée sous la juridiction d’un évêque. Le nouvel investissement de l’Église dans l’espace se traduit également par la formation des doyennés et des archidiaconés, lesquels n’étaient pas apparus à l’époque carolingienne, contrairement à l’idée fortement ancrée.

  • 195 Sur l’importance de la naissance d’un rite de consécration de l’église et du cimetière dans le con (...)

2Ce processus de construction spatiale apparaît comme vertical, le mouvement à l’origine de la formation de la paroisse constituant le prolongement local de celui de l’affirmation de l’évêque sur tous les lieux de culte situés à l’intérieur du ressort de sa cathédrale, quelle que soit l’identité de leur propriétaire. Le fait transparaît particulièrement à travers le glissement de vocabulaire qui vit passer le terme parochia de l’échelon épiscopal à celui local des églises majeures, placées à la tête de plusieurs chapelles sujettes. En même temps que la cathédrale s’imposait comme l’église-mère du diocèse, le semis ecclésial hérité du haut Moyen Âge fit lui-même l’objet d’une mise en réseau, laquelle plaçait désormais les fidèles sous la dépendance stricte d’un lieu de culte. Cette évolution était étroitement liée au mouvement de donations de biens ecclésiastiques dans le contexte de la réforme grégorienne, la papauté ayant obligé ses bénéficiaires à reconnaître la propriété éminente de la cathédrale. Elle semble également indissociable du processus de spatialisation du divin qui, en nécessitant partout l’intervention de l’évêque en tant que seul créateur du sacré sur terre, fournissait à celui-ci un formidable instrument de contrôle sur les lieux de culte, en même temps qu’il l’obligeait à définir le statut de chaque édifice, seules les églises principales ayant théoriquement droit de disposer d’un cimetière195.

3La mise en place du réseau paroissial s’étala jusqu’au début du XIIIe siècle, le nombre de nouvelles promotions restant marginal après cette date, à l’exception peut-être du diocèse de Dol. Cette relative stabilité de la paroisse entre le XIIIe et le XVIIIe siècle découle en partie de la pression des patrons paroissiaux, récalcitrants devant la perspective de perdre une partie de leurs droits ; elle traduit également la volonté manifeste de préserver l’unité de la parochia comme communauté de fidèles à l’image de l’Ecclesia céleste, ainsi que le prouve notamment la mise en place des trèves à l’époque moderne. L’inertie du réseau paroissial dut entraîner, à terme, une inadéquation de plus en plus importante entre ce cadre et les réalités humaines locales, des identités secondaires très fortes pouvant coexister à l’intérieur d’une même paroisse, particulièrement concernant les grands ensembles, dont certains habitats pouvaient être très éloignés de l’église principale. Cette distorsion explique que de nombreuses succursales, dont l’ensemble des trèves, furent promues au statut communal après la Révolution. Ainsi, bien que la paroisse s’affirmât progressivement comme un ressort fiscal – les unités de perception de la dîme s’organisèrent de plus en plus en fonction de ce cadre –, elle ne formait pas nécessairement un territoire vécu pour des communautés d’habitants dispersées, dont le cadre de vie coïncidait plutôt avec celui du hameau et du terroir qui lui était associé. La paroisse existait davantage par son centre, constitué autour de l’ensemble église-cimetière, lieu que l’on fréquentait toutefois de moins en moins dans le cas des trèves. Ce constat n’entre pas en contradiction avec la naissance d’une vision « spatialisée » du diocèse : les comptes de décimes du début du XIVe siècle adoptent un classement des bénéfices ecclésiastiques par doyenné, lequel prouve le fonctionnement d’une véritable administration territoriale à l’échelle épiscopale.

Notes

195 Sur l’importance de la naissance d’un rite de consécration de l’église et du cimetière dans le contrôle plus étroit du diocèse par l’évêque, voir : Treffort, 2001, p. 285-299 299 et Iogna-Prat, 2006a, p. 249-258.

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