Chapitre V. Curialisation et « fonctionnarisation » de l’aristocratie
p. 219-254
Texte intégral
1En raison des qualités qu’on leur reconnaît, les nobles sont des sages (probi homines) ; des hommes dignes de foi (homines fide digni). Ils n’ont pas le monopole de cette reconnaissance qui peut s’étendre aux bourgeois et à ceux qui possèdent des compétences en droit, lesquels sont parfois issus de la roture ; malgré tout, à ce titre ils sont ceux vers lesquels le pouvoir se tourne le plus fréquemment lorsqu’il s’agit de faire des enquêtes ou pour les besoins de la justice. Sous le règne d’Henri II la procédure a évolué : le jury d’enquête s’est développé au détriment des ordalies, du serment purgatoire et même du duel judiciaire. Les nobles sont des témoins « loyaulx » (legales homines) sur lesquels la justice s’appuie très largement1. Dans de nombreux cas de contestation ce sont douze chevaliers (ou vavasseurs) qui sont amenés à établir des faits matériels, par exemple en cas de conflit foncier2. Lorsque les biens d’un accusé sont saisis par la justice ducale ce sont huit, douze ou vingt chevaliers du pays qui sont sollicités pour faire un inventaire des biens du prévenu3, lors d’un conflit sur les droits de patronage des églises ce sont quatre chevaliers (et quatre prêtres) qui sont appelés à témoigner4. Ces procédures sont pour le pouvoir une manière d’atteindre une certaine efficacité judicaire. La proximité dans les jurys entre les chevaliers et d’autres prud’hommes renforce les liens entre différentes catégories sociales, c’est surtout une façon d’associer l’ensemble de la classe aristocratique à la gestion administrative et au maintien de l’ordre dans le duché
2À côté de cette participation « informelle » au pouvoir qui se manifeste par des sollicitations ponctuelles mais régulières, les nobles peuvent aussi s’investir au service du duc, d’une manière qui, cette fois, se traduit par la détention d’un office. La noblesse possède un caractère public très affirmé. Assumer des charges auliques ou administratives est un privilège de naissance5 qui assoit le pouvoir des lignages en augmentant leur richesse et leur renommée, mais les place dans le même temps sous le joug du prince.
Au service du duc
3Dans la Normandie Plantagenêt, les nobles qui détiennent un office sont plusieurs dizaines. Certaines fonctions comme celles relatives à la garde des châteaux ou à la défense du duché reviennent « naturellement » à l’aristocratie, tout comme certaines fonctions d’honneur à la cour mais les seigneurs normands assument également des postes plus administratifs et parfois plus techniques qu’ils partagent avec des ecclésiastiques, des roturiers et des « étrangers ».
Les charges auliques
4Si pour le règne d’Henri Beauclerc nous possédons un document très précis sur le personnel de la maison royale6 (Haec est constitutio Domus Regis), pour celui d’Henri II il faut se contenter des souscriptions de chartes et des indications éparses des sources narratives. Si l’on en croit Wace, qui évoque l’époque du duc Richard II (996-1026) mais décrit, en réalité, la situation du règne d’Henri II, aucun office important de la cour n’est concédé à un roturier :
« Ne vot mestier de sa meisun/Duner si a gentil home nun./Gentil (noble) furent li chapelein,/Gentil furent li escrivain,/Gentil furent li cunestable,/E bien puissant e bien aidable (serviable) ;/Gentil furent li senecal/Gentil furent li marescal/Gentil furent li butteiller,/Gentil furent li despensier (administrateur)./Li chamberlence e li ussier (portier)./Furent tuit noble chevalier7. »
5Comme à l’époque carolingienne, les grands officiers de la cour exercent des charges mi-domestiques, mi-publiques qui sont honorifiques. Au quotidien, les tenants de ces charges délèguent leurs fonctions à leurs représentants et ne les exercent eux-mêmes que lors de grandes occasions, ce qui explique qu’ils ne soient pas toujours présents à la cour. La spécificité de la cour ducale normande réside dans le fait que les détenteurs des offices sont le plus souvent possessionnés de part et d’autre de la Manche et qu’il est parfois difficile d’établir s’ils gèrent une charge normande ou anglaise. De plus, le prince se déplaçant fréquemment une certaine confusion s’établit parfois entre tous ces officiers.
6Le sénéchal de Normandie (dapifer), responsable à l’origine de la table du duc, est le personnage le plus important de la cour et de l’administration ducale : il supervise l’ensemble des offices domestiques et publics. Maître de l’hôtel du roi, il pourvoit aux dépenses quotidiennes de la cour, avance les salaires des officiers. Représentant du duc, c’est lui qui administre le duché pendant ses absences et se charge de faire appliquer ses décisions. D’après le Coutumier de Normandie, il est aussi responsable des terres, des forteresses et des chasses du prince. Aussi organise-t-il des tournées d’inspection dans le domaine et particulièrement dans les châteaux ducaux pour vérifier leur état, ordonner des réparations, payer les garnisons. Les sommes qu’il prélève sur le Trésor, à la suite de ces tournées, peuvent être considérables comme en juin 1200, où le sénéchal Guérin Glapion affecte 7 365 livres angevines à la défense des châteaux et aux soldes des gardes8. Il ne s’agit pas seulement de gérer les aspects financiers puisque nous voyons, en 1201, Raoul Taisson ordonner au bailli Richard de Fontenay l’envoi d’une garnison à Vire et d’une autre à Tinchebray9. Enfin, à partir de 1176, le sénéchal tient des plaids et des assises que le duc devrait tenir en personne10. À côté des tribunaux ordinaires, celui où il siège arbitre de préférence les conflits entre les seigneurs ou les abbayes qui ont obtenu le privilège de n’être jugés que par le duc.
7Cette charge n’est pas tenue de manière héréditaire, elle est indivisible – contrairement au sénéchalat anglais – et dissociée de ce dernier. En 1152 par exemple, apparaissent comme témoins d’une charte d’Henri en faveur de Raoul de Chester, trois dapiferi : Onfroy de Bohon et Manassier Biset qui semblent s’être partagé la charge en Angleterre et Robert de Courcy, sénéchal de Normandie11. En 1153 pourtant, alors que Manassier Biset souscrit comme sénéchal, Henri II cède à Robert, fils du comte de Leicester « le sénéchalat d’Angleterre et de Normandie12 » (dapiferatum Anglie et Normannie) : il ne s’agit probablement que d’un titre honorifique. Vers 1156, la charge normande revient à Robert de Neubourg, un seigneur puissant, fils d’Henri, comte de Warwick, et de Marguerite, fille du comte Rotrou I du Perche. Robert est qualifié par Robert de Torigny de « sénéchal et justicier de toute la Normandie13 » (dapifer et justicia totius Normanniae) et par son continuateur de « vice-seigneur de toute la Normandie14 » (vicedominus totius Normanniae) ». Après sa mort, en 1159, l’office est confié à l’évêque d’Évreux, Rotrou, puis n’est plus pourvu15. Le contexte de révolte n’est guère propice à l’attribution de cette charge qui pourrait se révéler dangereuse pour le pouvoir. Il faut attendre la pacification du duché pour voir réapparaître, à l’occasion de la grande réforme administrative de 1176, un sénéchal qui reçoit en même temps le titre de Grand justicier, mais Henri II ne confie pas cette responsabilité à un seigneur normand. C’est Guillaume Fils-Raoul, un Anglais, originaire du Derbyshire, qui obtient sa confiance et qui se trouve à la tête du duché jusqu’à la fin du règne de Richard16. Sous le règne de Jean, la charge revient dans le giron normand, d’abord dans les mains d’un seigneur sans envergure, originaire de Sainte-Scolasse-sur Sarthe (Orne) : Guérin Glapion – il est sénéchal du 6 juin 1200 au 23 novembre 120117. Puis, dans celles de Raoul Taisson en 1202. Raoul, en revanche, fait partie des puissants du duché. Il est seigneur de Thury, près de Falaise et de Saint-Sauveur dans le Cotentin pour un service de quinze chevaliers (il possède à son propre service quarante-cinq chevaliers). Mais cette tendance conservatrice ne se confirme pas : Guillaume Le Gras, dernier sénéchal de Normandie avant la conquête, est un seigneur de moindre envergure – sa famille est néanmoins influente dans le centre du duché18 – il est surtout étroitement lié à des réseaux anglais, la maison des comtes de Gloucester et celle de Guillaume le Maréchal.
8Les autres offices de prestige de la maison royale sont tenus de manière héréditaire par des puissants du duché ; ce sont les dignités de maréchal, connétable, chambellan et bouteiller. Le maréchal est responsable de l’ost19 mais ce n’est pas un homme de terrain plutôt une sorte de stratège. En fonction de la conjoncture et de sa personnalité, il peut malgré tout être très présent sur le champ de bataille comme c’est le cas de Guillaume le Maréchal jusque dans les années 1202-1203. Sa charge a également une dimension sécuritaire : il doit assurer la protection du Trésor et des objets de valeur de la Chambre (robes, fourrures, vaisselle en métal précieux, bijoux). Il assure aussi la sûreté des déplacements de la cour : fournit les chevaux et les chariots nécessaires et organise la garde du cortège curial20. Un acte rédigé en 1236, à l’occasion du couronnement de la princesse Aliénor de Provence, complète l’image que nous avons de cette fonction : « Cet officier doit veiller à empêcher toute agitation au palais, fournir le nécessaire pour les hôtes et faire garder la porte de la aula21. » Cet office est commun à la Normandie et à l’Angleterre et se transmet de manière héréditaire, par ordre de primogéniture dans une famille anglaise dont le patronyme est devenu « Maréchal ». Jean Fils-Gilbert22, le père du fameux Guillaume, tenait déjà cet office de son propre père. Jean II, son fils aîné, lui succède en 1165, puis Guillaume, en 120023. Il est possible que dès l’investiture de ce dernier, la charge ait été divisée en deux à la demande de Jean sans Terre, puisque l’on trouve Jean, neveu de Guillaume, mentionné comme Maréchal de Normandie, en 1202, alors que le fameux chevalier conserve ses prérogatives outre-Manche, à moins que ce dernier n’ait délégué une partie de son pouvoir à l’un de ses parents, avec l’autorisation royale24.
9La charge de connétable (constabularius, constabulus, conestalus) pour sa part peut être exercée simultanément par plusieurs individus25 mais il n’y a qu’un seul connétable pour le duché. L’office appartient aux puissants sires du Hommet, vassaux directs du duc dans le Bessin pour un service de quatre chevaliers et demi (ils disposent pour eux-mêmes de treize chevaliers). L’office de connétable est une charge honorifique qui n’est toutefois pas dénuée de pouvoir réel. Richard du Hommet est le chef de l’armée royale, qu’il conduit à plusieurs reprises : contre les révoltés, en Angleterre, en 1164 par exemple ou en Normandie, en 1173. De par ses fonctions, il est en étroite association avec le maréchal, en charge de la levée de l’ost, du commandement des contingents comme du paiement des soldes. Contrairement à son père, Guillaume du Hommet, qui lui succède en 1179 jusqu’à sa mort en 1204, ne s’intitule plus « connétable du roi des Anglais » (constabularius regis Anglorum/constabularius domini regis), mais simplement « connétable », ce qui peut manifester une territorialisation de sa fonction. Cela marque en tout cas clairement la distinction entre la charge ducale et la charge royale, tenue dans les années 1170 par Onfroy de Bohon26.
10La situation est assez similaire pour l’office de grand chambrier, clairement séparé entre l’Angleterre et la Normandie. Mais tandis qu’en Angleterre, les chambellans changent au gré de la volonté royale et que l’office évolue vers une pluralité des titulaires27, l’office normand est stable et indivisible. Il appartient, de manière héréditaire aux Tancarville depuis le XIe siècle. En revanche, il est probable que ce soit le chambellan d’Angleterre et ses seconds qui détiennent, dans le duché, la facette « publique » de l’office, tandis que les Tancarville sont cantonnés aux aspects domestiques, c’est-à-dire essentiellement l’accompagnement du prince lors des cortèges et des grandes cérémonies, le droit de verser de l’eau sur ses mains le jour du couronnement et avant chaque repas – un rituel sensé traduire symboliquement leur familiarité avec le duc. Ainsi, les rôles d’intendant de la maison royale, de préposé à la garde-robe et de responsable du Trésor – la garde-robe représentant déjà un trésor en soi, auquel s’ajoute la vaisselle – sont-ils plutôt assumés par le chambellan d’Angleterre, y compris lorsque la cour (qui est à la fois ducale et royale) se trouve dans le duché. Dans les faits, les Tancarville n’assument que très occasionnellement leurs fonctions et ne sont guère présents dans l’entourage du prince comme le montrent les listes de témoins des actes royaux où ils n’apparaissent presque jamais. Guillaume entretient d’ailleurs de mauvaises relations avec Henri II – il participe par exemple à la révolte de 117328 – ce dont Gautier Map témoigne :
« Henri persécuta souvent cet homme admirable, lui détruisit toutes ses forteresses pour lui émousser les cornes, lui refusa ses droits légitimes et ses libertés et donna trop de pouvoir à ceux qui enviaient ses possessions29. »
11Enfin, le plus ancien des offices palatins est celui de grand bouteiller (pincerna ou buticularius). Sa responsabilité porte sur l’approvisionnement de la cave ducale et le service du vin à la table princière mais il est surtout un conseiller de premier ordre pour les affaires financières. À la veille de la conquête de l’Angleterre, Guillaume le Bâtard avait un bouteiller nommé Hugues, que John Horace Round a identifié comme Hugues d’Ivry30. La fonction présente probablement déjà un caractère familial, si ce n’est héréditaire à cette époque, puisque l’on trouve également un Roger d’Ivry souscrivant des actes comme « bouteiller ». Vers le milieu du règne d’Henri Ier, la charge est attribuée à une autre famille, originaire du Cotentin : les Aubigny. Le lignage, dont le domaine d’origine est fort modeste, bénéficie alors de la faveur royale et acquiert des territoires importants dans le Norfolk31. Il profite également des libéralités d’Henri II qui concède à Guillaume le comté d’Arundel32. En épousant la veuve d’Henri Beauclerc, Adèle de Louvain, ce même Guillaume accroît encore son patrimoine et obtient notamment Waltham dans l’Essex. Il n’est pas exclu que l’office se soit dissocié de part et d’autre de la Manche dès l’arrivée au pouvoir d’Henri II puisque l’on trouve Hamon le bouteiller à la tête de l’échansonnerie d’Angleterre (pincerna regis anglie) en 116633.
12Dans la maison du roi, pour seconder ces grands officiers des hommes issus de lignées un peu plus modestes cherchent une promotion sociale. Ils sont quelques dizaines à assurer la réalité matérielle des charges : à veiller à l’approvisionnement de la cour, à la transformation des produits achetés en mets cuisinés, à assurer la sécurité des curiales, etc. Ils contrôlent de véritables réseaux d’agents, le plus souvent roturiers, qui, dans tout l’empire angevin, prennent la température du marché, négocient, achètent, vendent les éventuels surplus… Chaque fonction est extrêmement bien définie et prend sa place dans une hiérarchie. L’office de la boulangerie (panetaria) à la cour de Rouen par exemple, confié par Henri II à Eudes de Maupalet comprend l’achat des ingrédients, la supervision de la fabrication et de la coupe du pain, son transport, mais aussi un droit de justice sur les boulangers qui en dépendent34. Eudes est probablement parent du bailli Guillaume de Maupalet qui officie en Roumois en 117235. Si les choses se passent en Normandie comme en Angleterre, la fonction de « panetier » a aussi une dimension honorifique qui consiste, lors des cérémonies et jours de fête, à servir le roi à table, concurremment avec le grand échanson, et précisément, selon le Livre rouge de l’Échiquier d’apporter la salière et les couteaux sur la table royale ainsi que le pain. Après le repas, celui qui a « fait office de boulanger » reçoit les couteaux et la salière, « qui lui reviennent de droit36 ».
13Dans nos sources, il est parfois difficile de savoir si les subalternes du palais que nous identifions assument leur charge en Angleterre, en Normandie ou indifféremment de part et d’autre de la Manche, suivant les pérégrinations royales. Il nous a semblé que pour ceux qui secondent directement les grands officiers s’opère une division géographique des offices. Ainsi Michel Belet l’assistant du grand bouteiller n’apparaît-il dans nos sources qu’outre-Manche alors qu’en Normandie Guillaume de Quevilly
« détient dans la maison du roi […] la garde de la porte de l’échansonnerie, le service de bouteiller dans le palais, le droit de transporter sur un chariot le matériel de l’échansonnerie, la garde de celui-ci, celle du vin et toutes les autres charges afférentes à cet office37 ».
14Dans les deux cas l’hérédité semble de mise : Jean Belet occupait ce poste sous le règne d’Henri Ier38 et Michel paye 100 livres pour sa succession comme bouteiller en 120539. Guillaume de Quevilly succède à Hugues, son père, dans cette charge et rend un compte de 40 marcs au Trésor40. À ce niveau de la hiérarchie, la dimension honorifique est tout aussi importante que pour les grands offices. Le récit des noces d’Henri III et d’Aliénor de Provence en 1236 en témoigne. Michel Belet a le privilège d’y tenir le gobelet en or du roi et d’assister ainsi le grand bouteiller41. À l’issue du repas, il reçoit la robe de son supérieur, tandis que celui-ci récupère la timbale du roi et le récipient dont il s’est servi pour la remplir42. Pour l’occasion nous voyons que Michel a sous son autorité quelques bourgeois de Londres qui ont obtenu le privilège d’exercer les fonctions d’échansons à l’occasion des couronnements, « fonctions qu’on sait leur appartenir, d’après un ancien droit concernant le couronnement des rois ». Ils se présentent à Westminster, « ornés d’habits de soie, enveloppés dans des manteaux tissés d’or, couverts de parures précieuses et montés sur des chevaux de prix43 ». Les officiers qui assurent le quotidien de la cour, en revanche, n’ont peutêtre pas une charge « territorialisée ». Henri de La Chapelle, officier subalterne de l’échansonnerie, est chargé de servir le roi à table toute l’année, en dehors des fêtes et cérémonies ; pour cette raison, il est attaché à la cour, quel que soit son lieu de résidence. Ce personnage est probablement apparenté à Guillaume de La Chapelle, châtelain d’Arques vers 1210 et au fils de celui-ci, Geoffroy, engagé dans l’administration locale du duché, qui devient, vers 1220, bailli de Caux44.
15Les agents de la cour se confondent souvent avec ceux qui assument des charges administratives et publiques : Michel Belet apparaît ainsi comme justicier itinérant entre 1176 et 1201. Il assume aussi pendant quatorze années la charge de shérif en Angleterre45. Pour le pouvoir, ces hommes sont des relais incontournables.
Participation à la défense et à la gestion du territoire
16Dès les années 1150, Henri II s’intéresse de près à la gestion du territoire ; il lance des réformes judiciaire et fiscale qu’il faut accompagner par des infrastructures locales et se voit contraint de déléguer son pouvoir à un personnel nombreux. Les petits chevaliers comme les seigneurs plus importants sont sollicités. Une charte en faveur de Baudry Fils-Gilbert, montre que les préoccupations du duc couvrent tous les domaines. Pour Rouen, sont cités : la garde de la prison, celle de la porte du château ducal, l’inspection des forêts et la perception des droits s’y rapportant, la justice royale bien sûr et, plus inattendue et anecdotique, la surveillance des prostituées qui se vendent publiquement dans la maison close de la cité46.
17Pour assurer la garde de ses forteresses, qui sont nombreuses, le duc sollicite les seigneurs du duché qui, pour l’occasion deviennent des officiers, révocables. « À la différence de l’homme qui tient en fief et qui jouit de son fief, le gardien est un préposé qui n’agit qu’au nom de son commettant et à charge de lui rendre compte de sa gestion47. » Ce système permet d’écarter tout risque d’appropriation héréditaire des forteresses. Le duc désigne lui-même les gardiens et contrôle leur action. En tant qu’agents du pouvoir ces derniers perçoivent un salaire et des sommes leur sont allouées pour les frais de la garnison48 (soldes, équipement, vivres) et les travaux d’entretien ou de réfection de la bâtisse49.
18De manière générale, le pouvoir utilise en priorité les seigneurs locaux pour assurer la défense et la gestion du domaine. Ainsi Alvred de Saint-Martin (Saint-Martin-le-Gaillard), vassal du comte d’Eu, est-il nommé connétable et bailli de Drincourt en 1176 et 118050. Gilbert de Vascœuil, originaire du Vexin normand (vallée de l’Andelle), a la responsabilité du château de Gisors en 119151. En revanche, dans les zones les plus sensibles comme les marches ou les zones traditionnellement frondeuses, le duc s’en remet plus difficilement à la noblesse locale et préfère envoyer des hommes de confiance, issus notamment du centre du duché. Ainsi, Guillaume de Soliers, possessionné aux alentours de Caen, est-il nommé connétable de Moulins en 1180, Foulques Painel, dont les terres sont essentiellement situées dans le Sud du Cotentin, devient connétable d’Alençon en 1180-1184, Guillaume de Mortemer, originaire du pays de Caux, est envoyé à Verneuil en 1194, puis à Arques en 120252. Ce recrutement extérieur est le signe de la défiance du prince pour l’aristocratie de certains secteurs et une manifestation de son autorité.
19Parmi ces châtelains ducaux, rémunérés par l’Échiquier, beaucoup sont de puissants seigneurs : Foulques Painel est gardien d’Alençon et de la Roche-Mabille en 1180 ; Robert d’Estouteville, d’Arques et de Lyons-la-Forêt entre 1175 et 1180 ; Hugues Talbot, de Neaufles-Saint-Martin en 1183 et Guillaume du Hommet, le connétable, de Vire et Pontorson en 118053. Des sires de plus modeste extraction peuvent aussi être placés à la tête d’un château ducal, comme Jean Fils-Lucas, à Montfort-sur-Risle en 118054 ou encore Guillaume Le Queu, célèbre mercenaire de Richard Cœur de Lion, à Lyons-la-Forêt en 119855. Ces parvenus disparaissent sous le règne de Jean sans Terre, qui, fragilisé et en quête de soutien, préfère donner la garde des châteaux à des barons dont l’influence locale est considérable plutôt qu’à la moyenne ou la petite aristocratie.
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Lieu |
Châtelain |
Date |
Référence (Sauf indication contraire, MRSN) |
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Alençon |
Foulques Painel |
1198 |
I, 18 |
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Ambières |
Introduction, p. LXXV |
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Argentan |
Richard de Cardif |
I, 39 |
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Arques |
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Avranches |
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Bayeux |
Hamon Pincern |
1195 |
Introduction, p. LIX |
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Beauvoir-en-Lyons |
Enguerrand le Portier |
I, 74-75 |
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Bonneville-sur-Touques |
Geoffroy Troussebot |
I, 69 |
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Caen |
Guillaume Fils-Raoul, le sénéchal |
I, 56 |
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Cherbourg |
Osbert de la Houze |
I, 30 |
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Condé-sur-Noireau |
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Coumont |
Introduction, p. LXXV |
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Domfront |
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Drincourt |
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Exmes |
Gilbert Pipart |
I, 104 |
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Falaise |
Richard Giffard |
I, 50 |
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Gavray |
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Gisors |
Martin de Hosa |
I, 70 |
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Gorron |
Guillaume de Bennenges |
1180 |
I, 23-24 |
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Le Tilleul |
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Mortain |
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Moulins |
Guillaume de Solers |
I, 57 |
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Neaufles |
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Château-sur-Epte |
Joscelin Rossel |
I, 70 |
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Nonancourt |
Sahier de Quincy |
I, 76 |
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Osmanville |
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Pommeraye |
Robert de Pierrefitte |
I, 50 |
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Pontorson |
Guillaume du Hommet, connétable |
1180 |
1,40 |
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Roche-Mabille |
Foulques Painel |
I, 18 |
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Rouen |
Hugues de Cressy |
1203 |
I, 70 |
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Saint-James-de-Beuvron |
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Tillières |
Raoul de Verdun |
I, 84 |
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Tinchebray |
Erchenbold de Bricquebec |
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Valognes |
Osbert de la Houze |
I, 30 |
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Verneuil |
Thomas Bardoulf |
I, 84 |
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Vire |
Guillaume du Hommet, connétable |
I, 29 |
Tableau 5 – Forteresses ducales et châtelains.
20Après une confiscation, le duc concède parfois la garde d’un château à la famille qui le possédait précédemment en fief. Neufmarché, par exemple, qui revient à Guillaume de Roumare, avait appartenu au temps du Conquérant à Gérard le Sénéchal, l’ancêtre dudit seigneur. De même, Montfort-sur-Risle, confisquée à Hugues IV de Meulan à l’issue de la conspiration de 1123-1124 est confiée plusieurs décennies plus tard à Hugues V56. Le 31 janvier 1200, à la demande de Jean sans Terre, Hugues fait rédiger une charte où il précise avoir renoncé à tout droit de propriété sur la forteresse et reconnaît qu’elle appartient au roi57. Cette substitution de la garde à l’inféodation maintient une certaine stabilité locale tout en garantissant au duc une liberté d’action puisqu’il lui est possible de changer de gardien sans contrainte.
21Comme les châteaux sont parfois des centres administratifs locaux, il peut arriver qu’un châtelain détienne aussi une charge administrative. Entre 1170 et 1180, Sahier de Quency, par exemple, est gardien de Nonancourt et bailli58 ; en 1180, Richard Giffard est gardien de Falaise et bailli d’Exmes59.
22La Normandie possède des cadres administratifs anciens et assez performants que les réformes Plantagenêt viennent encore améliorer ; les offices à pourvoir sont nombreux et l’aristocratie particulièrement impliquée.
23Dans les domaines ducaux, il existe des prévôtés qui sont un lointain héritage. Les agents qui les dirigent (praepositus) exercent des droits de justice et sont responsables de la collecte des redevances, droits de monnayage, droit de passage, etc.60. Pour les aider dans leur mission, ils sont secondés par des valets (famuli) ou des sergents (servientes). Leur charge est affermée en contrepartie d’une somme fixe, payable une fois par an et ils sont révocables. Ceux rencontrés dans la seconde moitié du XIIe siècle sont rarement des officiers importants ; ils sont souvent plusieurs sur une même circonscription. En 1180, par exemple, on identifie quatre officiers pour la prévôté de Verneuil : Gauthier Tigier, Auguste Tavel, Guillaume d’Estouteville et Roger Bourgeois61. Ainsi, tandis qu’on peut évaluer à environ vingt-quatre le nombre de prévôtés, les agents ducaux qui les gèrent sont beaucoup plus nombreux62. Ils ont été très tôt remplacés par des vicomtes (vicecomites) mais pas partout : en certaines zones les deux circonscriptions se chevauchent. Ainsi parle-t-on de la « vicomté et prévôté d’Argentan63 ». En 1172 et 1180, on dénombre vingt-deux vicomtés64. La charge de vicomte, calquée sur celle de prévôt, est affermée, ce qui n’empêche pas certaines familles de la détenir de manière héréditaire65. La vicomté du Vexin, nommée « Barra de Neelfa » dans les comptes de l’Échiquier par exemple, est affermée pour une somme de 40 livres mais elle se transmet de père en fils dans le lignage des Crespin66. Dans sa circonscription, le vicomte doit veiller à l’entretien des routes, chemins, ponts et à faire tenir le cours des eaux et rivières en leur ancien état. C’est devant lui que se fait l’adjudication des fermes car il a une très bonne connaissance du territoire. Sa fonction est aussi judiciaire pour toutes les affaires qui ne concernent pas un crime ni un noble homme67. Les vicomtes jugent, en fait, tous les différends entre roturiers concernant les ventes, partage et succession, la tutelle des mineurs, etc. Il n’est pas rare que ces offices soient affermés à des seigneurs assez importants qui se font représenter par leurs vassaux ou des clercs de leur entourage pour la gestion quotidienne de la charge et pour rendre les comptes à l’Échiquier. Ainsi les comtes de Chester sont-ils représentés par Raoul le Vicomte pour la vicomté de Bessin et Renaud de Prières pour celle de Saint-James68.
24C’est peut-être pour remédier au problème de l’accaparement des charges prévôtales et vicomtales par une aristocratie peu fiable devenue localement puissante, qu’Henri Ier ou Geoffroy d’Anjou instituent l’office de bailli69. Sous le règne d’Henri II plusieurs familles gagnent leur richesse et leur notoriété grâce à l’institution de cette charge, comme les Trossebot. Geoffroy, l’aîné du lignage dans les années 1180, devient bailli et châtelain de Bonneville-sur-Touques70. Dans le domaine des affaires judiciaires comme fiscales, les baillis remplacent très progressivement les vicomtes et les prévôts. Ces différents offices cohabitent encore au temps de la conquête ; dans le Vau de Vire, par exemple, on compte simultanément deux baillis, un vicomte et un prévôt71. Certains officiers cumulent même les deux fonctions comme Henry de Gray en 1195 qui rend un compte pour la ferme de la prévôté de Verneuil et des recettes de la baillie. Il est ensuite clairement mentionné comme bailli de Verneuil jusque vers 120272. Pour l’année 1180, nous comptons dans le duché vingt-cinq baillis œuvrant dans des circonscriptions géographiquement bien délimitées, mais ce chiffre n’est pas définitif puisqu’entre cette date et 1195, certains baillis disparaissent tandis que d’autres, au contraire, au nombre de six apparaissent73. Les sources ne sont pas très aisées à interpréter, surtout du fait des variations d’appellation. Lorsque le bailliage vient se superposer exactement à une ancienne vicomté, les registres mentionnent tantôt la circonscription sous le nom de bailliage, tantôt sous celui de vicomté. Le district appelé « bailliage de Guillaume de Maupalet » en 1172, par exemple, est nommé « vicomté du Roumois » en 118074, la « vicomté d’entre Risle et Seine » porte tantôt ce nom tantôt celui de « bailliage de Raoul », du nom du bailli Raoul de Frellencourt.

Carte 5 – Circonscriptions administratives du duché.
25Tous ces officiers sont responsables devant la cour de l’Échiquier réunie deux fois par an pour faire l’audition des comptes75. À mesure que se perfectionne l’administration des Plantagenêt, les charges administratives se multiplient et se hiérarchisent. Dans le domaine judiciaire par exemple, personne n’est au-dessus des justiciers, si ce n’est le duc lui-même. Ces hommes sont les maîtres de l’Échiquier, tels Simon de Tournebu, Robert Marmion, Richard Giffard, Guillaume Malet, Hugues de Cressy, Gilbert Pipart ; Hamon le Bouteiller, Guillaume de La Mare, Richard Silvain ou Jordan de La Lande et des clercs comme Roger, chanoine de Bayeux, ou Anquetil76. Ils représentent le tribunal d’appel. À l’échelon inférieur, les baillis, appelés « justiciers mineurs », ont moins de pouvoir que les précédents et agissent dans le ressort de leur circonscription77. Ils complètent l’action des vicomtes, là où il s’en trouve encore. Le bailli juge en première instance tous les crimes. Il s’occupe des procès impliquant des membres de l’aristocratie et les affaires concernant les fiefs (reliefs, hommages, aveux et dénombrement, rentes seigneuriales, redevances et sujétion). Sous son autorité se trouvent des sergents de l’épée (spade servientes) et des bedeaux (bedelli) qui sont des officiers de maintien de l’ordre78.
26Henri II régularise et étend le corps des juges itinérants, qui sont de véritables missi dominici79. Son objectif est de pallier les méfaits d’un enracinement local de certains officiers qui pourrait nuire à leur intégrité. À la fin du XIIe siècle, une telle mesure ne paraît pas inutile car ces derniers font l’objet de nombreuses critiques. Gautier Map, par exemple, prétend que derrière le dos du prince, on prostitue la justice80. Les excès commis mécontentent le duc qui commande des enquêtes à l’encontre de ses baillis81. L’institution de nouveaux officiers de justice apparaît comme le meilleur remède à une situation très largement détériorée. Ils sont révocables et ont une aire d’intervention supérieure à celle des vicomtes ou des baillis mais pas de siège fixe, d’où leur nom de « juges itinérants ». Guillaume Le Gras et Henri de Pont-Audemer sont ainsi justiciae itinerantes de Pont-Audemer en 120482. Le duc les envoie, par deux, par trois ou quatre, pour tenir des assises dans les principales villes des bailliages. Ces tribunaux itinérants sont considérés comme des sections de la cour du prince et portent à la fois le nom de curia regis/ducis et d’assises. Ils siègent en moyenne une ou deux fois par an dans chaque vicomté et lorsqu’ils jugent toutes les audiences de justice seigneuriale sont suspendues83. Un privilège d’exemption accordé par Henri II à Robert Marmion84 suggère qu’avant la réforme, les baillis tenaient des procès concernant les « cas ducaux », appelés « plaids de l’épée85 » (placitum gladii, placitum de spata), mais que très vite ces causes sont devenues le monopole exclusif de ces juges itinérants. Nous en avons la confirmation dans une charte de Jean sans Terre en faveur de Guillaume de Briouze qui révèle qu’à l’occasion du passage du juge itinérant dans le bailliage de Falaise, sont jugés tous les cas royaux et les appels. Les officiers en place localement sont associés à la tenue de ces assises : ils veillent à leur organisation et en particulier à la convocation des seigneurs du bailliage86.
27La réforme de l’administration se traduit par une multiplication des agents territoriaux, employés aussi bien pour le compte de l’« État » que pour celui du domaine ducal. À la tête des prairies ducales par exemple, un maréchal a sous ses ordres une multitude de subalternes87. À Caen, il a le titre de Maréchal de Venoix car c’est sur cette ancienne paroisse qu’il a son siège. Il doit organiser la fauche et employer des paysans, recevoir les redevances des seigneurs qui exploitent une partie de la prairie, exercer la police et la justice concernant ces activités.
28À tous les niveaux de l’administration, l’absence de spécialisation tant fonctionnelle que géographique des agents est remarquable : ces officiers sont, pour la plupart, interchangeables sur simple décision ducale. Un homme comme Hugues de Cressy exerce au cours de sa carrière des fonctions très diverses : d’abord justicier en Angleterre, il passe en Normandie en 117688. Il est connétable de Nonancourt de 1177 à 1178, ainsi qu’un moment justicier de Normandie. On le retrouve enfin gardien de la tour de Rouen et fermier de l’amodiation de la ville89. Guillaume de La Mare, pour sa part, apparaît comme bailli d’Auge en 1180, puis, bailli de Pont-Audemer sous le règne de Richard90. Il est vicomte de Conteville puis de Sainte-Mère-Église91, châtelain d’Alençon et de La Roche Mabille en 118492 et enfin, justicier du roi à Saint-Wandrille avec le sénéchal Guillaume Fils-Raoul, puis encore à Bayeux en 118693. À un niveau inférieur, Baudry Fils-Gilbert cumule plusieurs sergenteries et charges dans la ville de Rouen94. Il est par ailleurs remarquable que les prérogatives propres à chaque office demeurent assez floues. Selon l’expression de Jacques Boussard, essayer de classer et de délimiter rationnellement les offices est « une vue schématique de l’esprit moderne », en totale « contradiction avec la confusion médiévale95 ».
29Globalement, les officiers assurent une bonne collaboration entre le niveau local et le pouvoir. En tant qu’intermédiaires, ils contribuent à renforcer l’autorité du duc. Pour cela, le prince leur octroie une totale liberté d’action mais cela ne va pas sans poser quelques problèmes car plusieurs abusent de la situation. L’évêque Arnoul de Lisieux par exemple, nous a laissé le témoignage de ses déboires avec le sénéchal Guillaume Fils-Raoul96. Les Querimoniae Normannorum, pour leur part, contiennent des plaintes concernant les exactions commises par le sénéchal Guillaume Le Gras : une trentaine d’accusations concernant principalement la région de Falaise. L’écuyer Guillaume des Loges réclame ainsi, en 1247, une terre sise sur les paroisses de Martigny, Pierrepont, Tassilly et Les Loges, que Guillaume aurait enlevée injustement à son père avant la conquête de la Normandie97. Plusieurs plaintes précisent que le sénéchal agit « en usant de la force », « par exaction et par violence » et même « abus de pouvoir98 » à l’instar de l’un de ses prédécesseurs, Guérin Glapion99. Le phénomène n’est évidemment pas nouveau ; déjà Orderic Vital dénonçait les agissements du vicomte d’Orbec Landry qui, dans les débats et les plaids, « servait sa cupidité et le mensonge (cupiditati et falsitati) plus que la droiture100 ».
30Ces travers ne remettent toutefois pas en cause l’efficacité globale de l’administration normande qui, à l’époque, reste inégalée. Les Plantagenêt cherchent d’ailleurs à transférer une partie de ces cadres fonctionnels (comme la charge de justicier) dans d’autres provinces de l’empire. Par contre, les officiers normands qui ont pourtant de l’expérience « s’exportent » peu : les Angevins ménagent les susceptibilités provinciales ! Les nobles normands ou anglo-normands en poste hors du duché sont donc peu nombreux. En 1167, le comte Patrice de Salisbury est investi de la charge de princeps militiae101, charge reprise par Guillaume de Tancarville, puis par un seigneur poitevin, Théobald Chabot, en 1176102. Parmi les responsables militaires normands envoyés hors du duché, nous trouvons encore Simon de Tournebu, qui devient connétable de Thouars et gardien du château, en 1164103 – cette forteresse avait été confisquée six ans auparavant à la suite de la révolte du seigneur local104. Et parmi les administrateurs civils nous n’avons guère d’exemple, si ce n’est Richard de Canville, envoyé comme conseiller d’Aliénor et de Richard en Poitou et Geoffroy de Neubourg en charge de l’administration de la vicomté de Limoges105.
31Placée depuis longtemps sous le joug d’un pouvoir central fort, l’aristocratie normande qui cherche à maintenir son influence s’est largement investie dans ce que l’on peut nommer la construction de l’État. Une partie du corps nobiliaire est fonctionnarisé, chargée de responsabilités à la cour comme sur le terrain. Cet investissement a toutefois ses revers : les nobles sont davantage encadrés, mieux surveillés par le duc ; ils contribuent aussi au développement d’un système administratif dont l’efficacité se révèle souvent contraire à leurs intérêts, notamment dans le domaine judiciaire106. Reste, malgré tout, la renommée, l’influence que ces offices confèrent, en particulier à ceux qui vivent au plus près du prince.
L’entourage ducal
32Les Plantagenêt ont attaché beaucoup d’importance à être bien entourés. Ils côtoient une multitude infinie : des hommes intéressés par les faveurs princières ou dévoués à la res publica. Comme le prétend Gautier Map « aujourd’hui nous sommes une multitude, mais demain nous en deviendrons une autre107 ». Les listes de témoins des chartes princières nous permettent de connaître, du moins pour partie, cet entourage108 qui se compose d’officiers domestiques, de barons influents (ce sont parfois les mêmes), de chevaliers appartenant à la mesnie princière et de seigneurs locaux qui varient suivant les pérégrinations du prince109.
Les curiales laïques normands
33En raison de leur charge, par tradition familiale ou liens d’amitié avec le prince, certains tenants-en-chef du duché sont omniprésents à la cour ; c’est le cas de Richard du Hommet, le connétable, de Richard de Canville, Robert Marmion, Renaud de Pavilly, Renaud de Courtenay, Richard Vernon, Guillaume Mauvoisin, Robert d’Estouteville, Hugues Lacy, Hugues de Longchamp, Alvred de Saint-Martin dans la seconde moitié du XIIe siècle. Ils sont remplacés vers la fin du règne d’Henri II par une nouvelle génération : Hugues de Cressy, Renaud de Courtenay, le fils, Robert Marmion, le fils, Bernard de Saint-Valéry et quelques autres. Dans l’entourage de Richard, nous retrouvons les Hommet, Canville, Estouteville, Longchamp mais la plupart de ces lignages n’ont plus le poids qu’ils avaient auparavant. Ils ont été supplantés par d’autres vassaux de la couronne notamment des chevaliers tels que Guillaume le Maréchal, Guillaume de Mandeville, Robert de Harcourt ou Guillaume d’Aubigny. Nous trouvons encore des grands feudataires dans l’entourage de Jean sans Terre comme Geoffroy Fitz-Peter, Guillaume le Maréchal, Sahier de Quency, Robert de Leicester ou Guillaume d’Aubigny. Ces personnages ont un rôle de représentation dont le duc ne saurait se passer. Il les investit d’ailleurs de missions diplomatiques qui témoignent de la confiance qu’il leur accorde. À titre d’exemple, en 1182, Guillaume de Mandeville est dépêché comme médiateur entre Frédéric Barberousse et Henri le Lion et envoyé plusieurs fois auprès du roi de France110. Richard de Canville, meurt en Pouilles en 1176 au cours d’une mission qui devait préparer le mariage de Jeanne avec Guillaume II de Sicile111.
34Il est frappant de constater qu’à l’inverse plusieurs grands noms du duché sont absents de l’entourage ducal, comme Guillaume de Tancarville, le chambellan, Robert de Meulan, Jean d’Alençon, Henri, le comte d’Eu, Nigel de Montbray, Hugues de Gournay, Galéran d’Ivry, Robert de Montfort, Joscelin Crespin, Gilbert de Tillières, Raoul de La Haye, Hasculf de Saint-Hilaire ou encore Richer de L’Aigle. La plupart d’entre eux n’apparaît guère plus d’une ou deux fois pour attester les actes des princes, ce qui contraste avec leur poids réel dans la société normande. Il est raisonnable de penser que ces hommes se tiennent à l’écart de la cour ou qu’on ne les y associe pas volontiers, sauf pour de grandes cérémonies, des fêtes religieuses ou des assises. Plusieurs de ces seigneurs conservent des relations tendues avec le pouvoir : ils ont souffert de la répression des années 1150-1160 et parfois aussi de celle qui a suivi la révolte de 1173-1174.
35Les grands seigneurs constituent rarement l’entourage « de cœur » du prince qui se révèle davantage dans le groupe des chevaliers constituant sa mesnie. Sous le règne d’Henri II la familia militaris est composée de Robert de Dunestanville, Hugues de Perriers, Joscelin de Bailliol, Guillaume Fils-Hamon ou encore Renaud de Saint-Valéry. Partisans de la cause angevine pendant la guerre civile, conseillers d’Henri alors qu’il n’était encore que duc de Normandie, ils ont tous été à ses côtés dans les phases difficiles de son règne et certains le soutiennent jusqu’à sa mort. Sous le règne de Richard, nous trouvons de nombreux chevaliers qui furent les compagnons d’armes d’Henri le Jeune, tels Gérard Talbot, Robert de Tresgoz, les frères Préaux ou encore Guy de Dives112. Ces hommes, pénétrés d’idéaux chevaleresques, accompagnent Richard en Terre sainte. Certains d’entre eux deviennent des conseillers de premier ordre comme Jean de Préaux, des officiers de la couronne comme Robert de Tresgoz nommé bailli du Cotentin en 1195 ou des garants privilégiés des engagements royaux comme Gérard Talbot lors de l’accord passé avec Tancrède en Sicile113.
36Enfin, les « comparants locaux114 » constituent un groupe très hétérogène d’individus présents par intermittence auprès du prince. La composition de ce groupe varie au gré des pérégrinations ducales, en fonction de ses inclinations, selon ses alliances politiques. Parmi eux, les officiers de l’administration locale ont une présence très fluctuante. Certains, comme Robert de La Heuse, bailli de Cotentin, Hamon le Bouteiller, bailli du Bessin, Guillaume de La Mare, bailli du Pays d’Auge, fréquentent avec régularité la cour tandis que d’autres, comme Guillaume de Maupalet, bailli du Roumois, Richard Giffard, responsable de Falaise, ou Richard Fils-Henri de Caen, n’ont qu’une présence très épisodique. Ce ne sont d’ailleurs pas nécessairement les agents ducaux des zones les plus fréquentées par la cour qui sont les plus représentés : Gilbert Pipart, bailli d’Exmes, ou Alvred Fils-Martin, bailli de Bray par exemple sont très assidus alors que le duc est peu présent dans leurs circonscriptions. Dans ce groupe, ce sont donc les réseaux de fidélité, les liens familiaux avec d’autres curiales et surtout leur volonté personnelle de visibilité, leur stratégie politique ou leurs besoins qui déterminent leur présence à la cour.
Un sentiment de concurrence ? Clercs, prélats, « étrangers » et hommes nouveaux à la cour
37L’aristocratie normande est très bien représentée dans l’entourage ducal mais les sources révèlent l’émergence d’un sentiment de concurrence. Il se cristallise tout d’abord sur les clercs et les prélats, de plus en plus nombreux et influents. Les réformes administratives engagées par Henri II ont rapidement impliqué la nécessité pour le prince de s’entourer de gens compétents en droit, en latin et dans le maniement des chiffres. S’il existe à la cour un cercle de barons lettrés, ces laïcs sont encore loin d’égaler intellectuellement les clercs et s’investissent rarement dans le fastidieux travail de bureaucratie. Les effectifs des clercs restent mal connus mais en 1158, par exemple, Thomas Becket, en tant que chancelier avait cinquante-deux personnes dans son service115. Les rôles de l’Échiquier montrent que ces effectifs augmentent : ainsi les clercs de la chambre qui perçoivent les sommes destinées aux dépenses privées du roi sont-ils deux sous le règne de Richard (Brice, Elias Bernard) et quatre sous le règne de Jean sans Terre (Thomas, Guillaume, Barthélemy et Gérard) tandis qu’un seul suffisait sous le règne de leur père116 (Guillaume Turpin). Parmi ces clercs, les plus éminents sont peut-être passés par les universités de Pavie, Bologne, Oxford ou Paris mais la plupart ont probablement bénéficié d’une formation locale. À Caen par exemple, l’école fondée par Lanfranc est encore florissante au XIIe siècle et dispense un enseignement juridique, de même que l’abbaye du Bec dont la bibliothèque est très fournie en livres de droit que les legs post-mortem de l’évêque de Bayeux, Philippe de Harcourt, en 1163 viennent encore enrichir117.
38Outre la nécessité pratique et administrative, les Plantagenêt ont aussi voulu faire de leur cour un centre culturel d’exception et ont attirés auprès d’eux des lettrés qui ont été d’utiles conseillers. Parmi eux, Pierre de Blois, Gautier Map, Giraud de Barri, Jean de Salisbury ou Arnoul de Lisieux118. Alexandre Nequam, abbé du monastère de Cirencester, ancien maître parisien et premier théologien scolastique de l’école d’Oxford, dénonce dans ses sermons l’attitude de ces brillants esprits qui se détournent d’une vie monastique pour une carrière administrative119. La plupart d’entre eux commencent par servir un évêque ou un grand baron et lorsqu’ils ont fait leurs preuves et acquis de l’expérience, ils sont introduits à la cour du duc. L’importance prise par ces hommes dans le gouvernement éclate au grand jour après la conquête, lorsque Jean les rapatrie en Angleterre pour les adjoindre aux shérifs, leur confier des responsabilités, des échoites et même la garde de certains châteaux comme Scarborough ou Salisbury120. Ces clerici regis sont alors devenus des « agents généraux de la couronne121 » indispensables.
39Au plus haut niveau de la hiérarchie et malgré leurs responsabilités spirituelles, quelques grands prélats jouent aussi un rôle politique déterminant. Henri II s’appuie par exemple sur Arnoul, évêque de Lisieux (1141-1181), Philippe de Harcourt, évêque de Bayeux (1142-1163), et Rotrou de Beaumont, archevêque de Rouen122 (1164/65-1183). En plus de leur conseil régulier à la cour, ils agissent comme justiciers dans les années 1150-1160 et jouent les négociateurs à la cour du pape123. Rotrou devient aussi sénéchal probablement après la mort de son frère Robert de Neubourg124. Raoul de Warneville, employé dans l’administration fiscale avant sa promotion comme évêque de Lisieux (1182-1191/92), devient trésorier de Normandie et bailli de Vaudreuil125. L’archevêque de Rouen, Gautier de Coutances (1184/85-1207) et Jean Fils-Luc, évêque d’Évreux (1181-1192) sont régulièrement envoyés en ambassade auprès du roi de France126. Gautier de Coutances avait été avant son élection vice-chancelier et gardien du sceau royal et les contemporains voyaient en lui le bras droit du prince127. Les relations étroites, entretenues par Henri II avec les grands prélats du duché sont un héritage du règne d’Henri Ier128 ; ces hommes sont clairement les piliers de son gouvernement129.
40Cette forte participation des clercs et des prélats à la cour est une source de tension entre Henri II et l’aristocratie locale.
« [Il] a encouru la haine et l’envie à l’égard de tout son règne pour avoir suivi l’avis des clercs plus dénués de scrupules que respectueux de la religion, en dépit des conseils des princes et des chevaliers. Quand son fils et héritier l’eut compris, il écarta avec mépris les conseils de tous les clercs et ne consulta que les chevaliers. C’est pourquoi le statut de la cour fut modifié, ce qui entraîna une modification de la manière de gouverner130. »
41Concernant le règne de Richard, ces propos sont en réalité excessifs car celui-ci entretient une étroite association des laïcs et des ecclésiastiques. Des prélats essentiellement anglais tels qu’Hugues de Puiset, évêque de Durham, Hubert Gautier, évêque de Salisbury puis archevêque de Canterbury, Geoffroy de Lucy, évêque de Winchester ou encore Hugues de Nonant, évêque de Coventry continuent de jouer un rôle déterminant. L’entourage ecclésiastique du prince s’adapte en fait à la conjoncture et, dans les périodes de forte tension politique sa participation diminue ostensiblement. Lorsque Richard organise la défense du duché, les prélats ne représentent plus que 33 % à 25 % des témoins de ses chartes ; ils disparaissent presque complètement durant la croisade au bénéfice des seigneurs laïcs, à l’exception de l’évêque d’Évreux, Jean Fils-Luc131. Il est toutefois capital de noter le rôle majeur de quelques personnages que jalousent bien des chevaliers : le chancelier Guillaume de Longchamp, évêque d’Ély132 (1189-1197) à qui Richard confie son duché lors de son départ à la croisade et Hubert Gautier, archevêque de Canterbury (1193-1205), qui après 1194 est le principal soutien du prince133.
42Dans l’entourage ducal et l’administration normande les « étrangers » sont plutôt peu nombreux. Juhel de Mayenne fait quasiment figure d’exception134. Les Anglais – laïcs ou ecclésiastiques – sont toutefois plus nombreux qu’auparavant, notamment à partir des années 1170-1180. Il ne s’agit pas d’un raz-de-marée mais certains occupent des postes de bailli ou de gardien de forteresses ducales comme Richard Cardif en 1180 à Argentan, Gilbert Pipart à Exmes ou Jean le Maréchal, le neveu du célèbre chevalier, à Falaise135. La plupart d’entre eux ont déjà une longue carrière administrative lorsqu’ils sont nommés à ces fonctions. Gilbert Pipart, par exemple, a été shérif dans l’Essex, dans les années 1168-1170, shérif de Gloucester en 1170-1171 et de Hereford en 1172-1174. Il est ensuite devenu juge itinérant en 1176 et 1179. C’est un personnage dont Henri II est sûr et dont il connaît les compétences. Les Anglais apparaissent encore à d’autres postes, Geoffroy de Repton, par exemple, familier de l’Échiquier, devient maire de Caen136, Richard d’Illchester, l’évêque de Winchester, sénéchal de Normandie en 1176 et Sahier de Quency, sénéchal de Nonancourt137. Il n’est pas exclu de penser que la révolte de 1173-1174 a joué un rôle dans cette augmentation de la présence anglaise au sein de l’administration. Il s’agit pour la monarchie anglo-normande de s’appuyer sur des hommes sûrs et surtout d’adresser un avertissement aux nobles normands. Le duc leur montre qu’il a toute latitude de les exclure de la gestion du duché s’il le décide. Le choix de Guillaume Fils-Raoul comme sénéchal de Normandie en 1178 est un coup de semonce très claire pour tout le baronnage. C’est la première fois que l’office n’est pas donné à l’un de ses membres. Son choix paraît toutefois justifié car Guillaume a déjà derrière lui une longue carrière comme juge, vicomte de Nottingham et de Derby et justicier itinérant138 et semble unanimement respecté pour ses qualités139.
43Tout un courant historiographique, derrière Kate Norgate a souligné qu’à partir du règne d’Henri II, la Normandie n’aurait plus constitué la pépinière privilégiée des administrateurs et chevaliers de l’entourage royal140. Dans la perspective anglaise qui est celle de l’auteure, la remarque est indiscutable. En Angleterre, les Normands sont moins présents et se voient confier peu de charges administratives. Dans le duché, en revanche, l’administration demeure majoritairement aux mains des Normands même si quelques postes de prestige leur échappent. Il n’y a donc pas lieu de penser qu’une « intrusion » anglaise et un « déshéritement » aient pu provoquer un mécontentement tel qu’il puisse expliquer la facilité de la conquête en 1204141. Quant à l’étude des listes de témoins des chartes royales, la prédominance incontestable des seigneurs anglais ou anglo-normands doit probablement être nuancée par le fait que ces chartes sont majoritairement destinées à des monastères anglais et que ces bénéficiaires réclament plus facilement comme témoins des personnages dont ils sont proches.
44Si l’on en croit Gautier Map, le changement majeur de l’époque Plantagenêt aurait été l’introduction d’hommes « nouveaux » à la cour et dans l’administration du duché. Map en fait porter toute la responsabilité à l’aristocratie : « Les nobles de nos régions délaissent les études ou ils sont trop paresseux pour en faire entreprendre à leurs enfants. » Ce qui conduit à une situation dangereuse car les roturiers qui s’élèvent à leur place sont, aux yeux de l’auteur, des gens sans vertu, qui ne cherchent que la richesse. À cause d’eux, la cour est corrompue et aucune éthique ne subsiste142. L’idée que les hommes de petite naissance usurpent les places qui devraient revenir de droit à l’aristocratie est devenue un topos de la littérature contemporaine. Déjà Orderic Vital critiquait la politique d’Henri Ier qui
« anoblit [des hommes] d’origine roturière, qui l’avaient bien servi et les sortit, pour ainsi dire, de la poussière en leur accordant toute sorte de faveur et en les plaçant à la tête de comtés et de puissantes châtellenies. Peuvent témoigner de la véracité de mes dires, Geoffroy Clinton, Raoul Basset […] Guillaume Trossebot, Haimon de Falaise […] et beaucoup d’autres qu’il a rendus très riches et a établis généreusement à un échelon très au-dessus de celui qu’occupaient leurs pères143 ».
45À l’image de leur ancêtre, il est en effet avéré que les Plantagenêt recrutent leur personnel administratif dans des milieux très hétérogènes et s’entourent de personnages qui ne sont pas toujours issus de la classe aristocratique. Ainsi Thomas Becket, l’archevêque de Canterbury, ami et chancelier du prince, est-il fils de marchand. L’origine de bien des curiales devenus célèbres est obscure, comme celle de Jean de Salisbury – peut-être paysanne. Les rôles de l’Échiquier de Caen montrent que les roturiers jouent un rôle incontestable dans l’administration du duché. La vicomté (ou prévôté) de l’eau de Rouen, par exemple est affermée, pour 3 000 livres, aux citoyens de la ville et à leur représentant, un bourgeois de la cité144. En 1203, c’est un dénommé Laurence du Donjon, qui apparaît dans les rouleaux comme vicomte de Rouen au nom de ses compères145. De même, à Nonancourt, la ferme de la prévôté relève des bourgeois146. Raoul L’abbé, bourgeois de Sées, agit comme connétable ou bailli d’Argentan et d’Alençon, de 1180 à 1215147. Richard de la Tour, bourgeois d’Argentan, devient vicomte de ce même lieu148.
46Il convient néanmoins de rester circonspect lorsque l’on évoque les « hommes nouveaux » de l’entourage ducal car certains personnages n’ont pas une origine aussi obscure qu’on peut le penser. Ainsi, Gilbert de Vascœuil, qui apparaît dans les années 1190 comme proche de Richard et gardien de Gisors149 appartient à une famille qui entretient des relations étroites avec les puissantes dynasties de Mortemer et de Warenne depuis le XIe siècle150. Il est donc probable que depuis cette époque, dans l’ombre de leurs patrons, les Vascœuil fréquentent la cour et sont connus du duc. De même, Bertran de Verdun151 n’est pas à proprement parler un « homme nouveau » car son grand-père était déjà un serviteur de la couronne ; en 1086, il tenait le manoir royal de Farnhamen (Buckinghamshire)152. De plus, si les possessions familiales sont limitées : quelques terres dans le Staffordshire et le Leicestershire concédées après la conquête de l’Angleterre et le fief d’origine, dans la région de Pontorçon (Manche), le personnage a néanmoins des relations étroites avec plusieurs seigneurs influents de la société anglo-normande : les Clinton auxquels il est attaché par des liens matrimoniaux, les comtes de Chester au service desquels Norman de Verdun (le père de Bertran) est resté toute sa vie, et les seigneurs du Hommet, dont il est le vassal dans le duché153. Ce réseau confère des possibilités multiples à Bertran, qui n’a pas grand mal à être introduit dans les plus hautes sphères et à se faire remarquer du prince. En 1168, il devient shérif dans le Warwickshire et le Leicestershire, sans doute grâce à l’intervention de son patron Richard du Hommet, lui-même shérif dans le Rutland dès 1156154. Il remplit également les fonctions de justicier pendant plusieurs années155. Ayant acquis la confiance du roi, notamment du fait de sa fidélité durant la révolte d’Henri le Jeune, où il mène les troupes qui défendent le bastion royal de Northampton, il devient son ambassadeur pour plusieurs missions délicates. En 1177, il est envoyé en Espagne pour rencontrer le roi du Léon et l’entretenir d’un projet de pèlerinage d’Henri II à Saint-Jacques de Compostelle156, puis, il se rend en Irlande, en 1185, investi des fonctions de sénéchal157. La même année, la garde de l’honneur de Chester lui est confiée, pendant la minorité de l’héritier158. Proche d’Henri II, Bertran devient l’un des principaux conseillers de Richard Cœur de Lion et c’est la raison pour laquelle il figure en bonne place au nombre des témoins de ses actes. Devenu tour à tour ou en même temps, au fil de sa carrière, shérif, sénéchal, gardien de châteaux en Normandie, Bertran a accru considérablement ses domaines en Angleterre et en Irlande et amélioré son statut.
47L’exemple de Guérin Glapion est tout aussi exceptionnel159. Sous le règne de Jean sans Terre, cet homme issu d’un milieu chevaleresque modeste, devient l’un des principaux officiers de l’administration angevine et un baron du duché. Ses terres d’origine (un demi-fief de chevalier d’après l’enquête de 1172) sont situées dans l’honneur de Sainte-Scolassesur-Sarthe, près de la frontière du Maine. Guérin apparaît dans notre documentation en 1195 comme fermier de la prévôté de Moulins et de Bonsmoulins160. Thomas Stapleton suggère qu’il fut sans doute remarqué par Jean sans Terre à l’époque où celui-ci tenait Sainte-Scolasse, du droit de sa femme, comme héritage des sires de Gloucester. Au sommet de sa gloire, Guérin est nommé sénéchal (1200-1201) mais il continue à tenir une place prééminente dans la politique normande même après avoir cédé cet office. Il est aussi particulièrement impliqué dans le Maine, en raison de ses origines et du réseau de clientèle de son lignage161. Comme tous les « hommes nouveaux », Guérin est un opportuniste. Aussi le verra-t-on vers Noël 1203 se retourner à temps contre Jean sans Terre et garder un rôle dans l’administration ducale après la conquête162.
48Nous comptons aussi parmi ces hommes « nouveaux » sans tout à fait l’être, de nombreux cadets de famille sans héritage et des chevaliers issus de lignées en perte de vitesse depuis plusieurs décennies. Les réussites (ou revanche) de ces individus peuvent être familiales, comme le prouve l’exemple des frères Préaux, anciens compagnons d’Henri le Jeune, qui, dans les années 1190, deviennent les meilleurs compagnons de Richard Cœur de Lion163. Nous les retrouvons dans l’entourage de Jean sans Terre, notamment Enguerrand, le cadet, membre de la familia militaris du prince164. Son amitié avec le souverain est attestée de même que celle de son frère, Pierre, qui fait figure de second personnage du duché, derrière le sénéchal au moment de la conquête. La richesse acquise par le lignage grâce à ce « retour » à la cour est manifeste en 1203, date à laquelle Guillaume de Préaux prête de l’argent au roi qui lui donne en échange, la vicomté du Lieuvin165.
49Les besoins d’une administration réformée ont poussé Henri II à ouvrir son entourage et son gouvernement. De plus, dans les années 1170-1180, la disparition de plusieurs grands feudataires appartenant au groupe des familiares regis provoque une rupture car beaucoup de fils ne succèdent pas à leurs pères. Tout d’abord, parce que du fait d’un grand écart d’âge, ils n’entretiennent aucune complicité avec le duc. Ensuite parce que la plupart d’entre eux, proches d’Henri le Jeune, ont soutenu la révolte de 1173-1174, ce qui n’a guère favorisé leur intégration comme conseillers ou proches collaborateurs de celui qu’ils ont combattu, armes à la main. En dépit de son pardon, nous pouvons supposer que, de son côté, Henri II est resté méfiant à l’égard de ces jeunes loups et leur a souvent préféré, au moment de la succession de leur parent, des hommes nouveaux, qui lui seraient attachés et reconnaissants pour leur promotion, comme les Bardulf, Glanville, Fils-Bernard… Au cours du règne, la composition de la cour évolue donc progressivement au bénéfice des membres de la petite et de la moyenne aristocratie pour lesquels les opportunités se multiplient, sans que les grands soient clairement mis à l’écart. D’ailleurs quelques personnages, comme l’influent Guillaume de Mandeville incarnent la continuité166 – on le retrouve même aux côtés de Richard au début de son règne.
50Selon John Jolliffe, c’est après la mort d’Henri II que s’opère une véritable « révolution de palais167 » comme le laisse entendre ce passage des Gesta Henrici :
« La même année, le roi Richard destitua, parmi ses baillis, Ranulf de Glanville, justicier d’Angleterre, ainsi que presque tous les vicomtes et leurs baillis et il leur demanda de racheter leur charge jusqu’au dernier sou. Plus ils avaient été familiers de son père, plus il les réprimait168. »
51Les exigences de Richard en 1189 sont, en effet, élevées mais les actes de la pratiques révèlent que la majorité des officiers en place paient les droits demandés, se soumettent à l’autorité ducale et conservent leurs charges169. Tombent en disgrâce, en revanche ceux qui lui déclarent une franche hostilité, comme Guillaume Turpin le dernier chambellan d’Henri II et Robert Belet. Leurs domaines sont même confisqués sans délai170. Dans le cas de Ranulf de Glanville, qui, selon Richard de Devizes, aurait été limogé en raison de son amitié avec Henri II171, les causes de sa chute ne sont pas clairement établies. Guillaume de Neubourg allègue par exemple que Renoulf aurait donné sa démission du fait de son grand âge et parce qu’il ne voulait pas assumer les erreurs à venir du jeune roi qu’il n’appréciait guère172. Contre l’idée de révolution, il est aussi significatif de souligner que Richard a distribué des évêchés à plusieurs serviteurs de son père qu’il a gardés à son service, comme Guillaume Fils-Raoul qui conserve son poste de sénéchal. Les changements intervenus, alimentés par la rumeur ont finalement fait grand bruit et donné une vision quelque peu déformée de la situation.
52Sous le règne de Jean sans Terre, en revanche, les « hommes tirés de la poussière173 » sont de plus en plus nombreux. Ralf Turner constate néanmoins que les grands barons se maintiennent aux postes d’honneur et que le contexte de guerre est même favorable à leur retour en force pour la garde des châteaux et certains offices. La nomination de Raoul Taisson comme sénéchal par exemple, pour remplacer Guérin Glapion qui était un seigneur d’origine modeste a un caractère très symbolique : c’est un pas du prince vers la vieille aristocratie, pour s’assurer de son soutien.
53La présence des seigneurs jusque-là « peu en vue » dans le cercle restreint des familiares et, pire, celle de roturiers est à l’origine de nombreuses tensions à la cour. Les puissants acceptent mal cette situation qu’ils analysent en termes de concurrence. Les auteurs contemporains se font l’écho de comportements violents qui attestent une crainte des puissants de perdre leur prééminence dans la société. Ainsi Gautier Map évoque-t-il le cas de Guillaume de Tancarville, qui une année, à Noël, fait un coup d’éclat pour revendiquer les prérogatives attachées à sa charge de grand chambellan. Arrivé au château de Caen au moment où un chambrier allait verser de l’eau sur les mains du roi, il s’empare des bassins d’argent préparés pour la cérémonie et refuse de les rendre. Le lendemain, appelé à se justifier, il évoque pour se défendre, les bassins que son père, en pareille circonstance, avait reçus à l’époque d’Henri Ier et qu’il avait offerts à l’abbaye Saint-Georges de Boscherville et au prieuré de Sainte-Barbe174. Un autre extrait des contes de Gautier Map évoque comment, quelque temps plus tôt (probablement en 1158), Guillaume d’Aubigny emploie lui aussi la force et la provocation pour faire reconnaître son droit d’échanson en chef de la maison royale. De retour de Terre sainte après trois ans d’absence, il fait irruption dans la salle où le duc et le roi de France sont en train de prendre leur repas et tente de s’emparer du récipient qui sert à verser le vin, mais le bouteiller qui officie résiste. Entrant dans une colère terrible, il le pousse à terre. Puis, s’agenouillant devant le roi de France, il se justifie, alléguant son droit héréditaire et l’offense dont il vient de faire l’objet. Son action violente, reconnue comme légitime, n’est pas punie175. Au moment même où le statut nobiliaire se fixe, ces réactions sont des réflexes de caste. Les seigneurs traditionnellement privilégiés prennent pleinement conscience de l’honneur qu’il y a à servir le prince, de l’importance qu’il y a à participer au gouvernement et s’arc-boutent sur leurs acquis. Mais en dehors de ces manifestations qui concernent des fonctions curiales de prestige et des postes clef de l’administration, les critiques ne sont pas si vives et sont loin de provoquer une révolte de palais. Le principe de la mobilité sociale par le service de l’État est intégré. Il faut d’ailleurs noter pour le comprendre que l’émergence d’hommes nouveaux n’affecte pas toujours l’influence des aristocrates puissants car ils appartiennent à leurs réseaux de vassalité ou à leur clientèle.
Le piège de la curialisation et de la fonctionnarisation
54Les sources des règnes d’Henri II, Richard et Jean mettent en évidence une implication continue de l’aristocratie dans les affaires du duché et une présence de nombreux lignages à la cour. Ils en tirent de nombreux bénéfices qui se mesurent surtout en termes d’honneur, de pouvoir et d’influence. Mais « fonctionnarisation » et « curialisation » ne fragilisent-elles pas au contraire le groupe aristocratique, lui liant les mains, le rendant très dépendant des salaires et des faveurs ducales et perméable à une idéologie de pouvoir – « l’idéologie Plantagenêt » ? Et la compétition qui naît entre eux ne les détourne-t-elle pas largement des problèmes politiques de fond, laissant les mains libres au duc pour renforcer son autorité à leurs dépens ?
Une dépendance économique
55À la fin du XIIe siècle, Henri II distribue peu de terres à ses vassaux et rétribue plutôt ses officiers par des rentes. Hugues de Cressy, justicier en Angleterre, gardien de Rouen en 1180 et ambassadeur ne reçoit durant toute sa carrière qu’une petite propriété à Harrietsham dans le Kent176. Quelques personnages font néanmoins de belles acquisitions : à Fécamp, Robert d’Estouteville obtient les prés du roi, plus de 4 000 acres sur la forêt ducale, la gestion des réserves de sel et le four ; Robert de Mortemer se voit offrir 52 acres et Gérard de Canville 157 acres177. Soucieux d’obtenir le soutien de l’aristocratie face à la menace française, Jean sans Terre mène une politique foncière plus généreuse que ses prédécesseurs. Ainsi concède-t-il à Guérin Glapion le manoir d’Hièmes en 1199, les vignes ducales du Mans et les prairies du parc en 1200 et, plus tard, le château d’Annebec et celui de Carel, dépendance de la terre de Gui de Manoir, les fiefs de Courtonne et de Lequeraie dans le bailliage de Lisieux, ceux de Belbœuf, Crasville et Roquefort178.
56Si le duc ne consolide plus les avoirs patrimoniaux de l’aristocratie, il fournit néanmoins à ceux qui le servent une bonne partie de leurs moyens de subsistance ; des émoluments en espèces auxquels s’ajoutent de nombreux avantages en nature. Pour son service de garde à Rouen, Baudry Fils-Gilbert perçoit tous les jours 2 sous à prendre sur la vicomté, 18 deniers pour la garde de la prison, 6 pour celle de la porte du château. Il bénéficie également des revenus d’un fief de haubert pour sa charge d’inspecteur et percepteur des forêts ou pour l’ensemble des offices qu’il assume, ainsi que de nombreux dons : lorsque le duc est présent à Rouen, par exemple, il reçoit, comme le maréchal, 6 pains, 6 repas cuits et un setier de vin, à Noël 2 porcs pris sur le lardier de la ville et le droit de prélever autant de fagots qu’il voudra dans la forêt ducale. Le Plantagenêt lui concède également un bois qu’il peut faire défricher, des viviers, une portion des rives de la Seine, de part et d’autre de la chaussée de Bapaume, pour construire des moulins ou des viviers selon sa volonté. Lui et ses hommes peuvent librement jouir d’un enclos et de gîtes, ramasser du bois et faire moudre la farine où ils le désirent dans l’ensemble du duché et, enfin, bénéficier de franchises et du privilège de n’être jugé que par le tribunal ducal179. Pour sa part, le chef de la boulangerie a la jouissance d’un vivier sur la Seine, libre de toute coutume et peut moudre tout son blé dans les moulins ducaux sans acquitter de droits. Il a la liberté de pacage dans les forêts royales pour ses porcs, reçoit 20 sous ou 4 porcs à Noël et dispose, en plus, d’une tenure sans redevances180.
57En dehors des salaires et des avantages liés à leur service effectif, les curiales bénéficient encore des libéralités du prince. Lors de son séjour en Sicile, en 1190-1191, Richard Cœur de Lion gratifie ainsi les chevaliers qui l’ont accompagné : « Il leur accorda de si riches dons, plats, hanaps d’argent, coupes dorées qu’on apportait par pleins tabliers aux chevaliers selon leur rang, que grands, moyens et petits le louèrent de ses beaux dons181 », « il distribua à profusion ses trésors à tous les chevaliers et écuyers de toute l’armée. Beaucoup disaient que jamais un seul de ses prédécesseurs n’avait donné autant en une seule année que lui en ce mois182 ». Ces faveurs peuvent aussi prendre la forme de remises de dettes, d’une priorité pour obtenir un fief ou la garde d’un héritier, etc. Pierre de Bures est libéré par lettre de décharge d’une partie de ce qu’il doit à l’Échiquier : soit 1/8e du compte de la vicomté de Dieppe et d’Arques et d’autres sommes sur les forêts d’Aliermont et Eawy183. Le duc agit même parfois sur les dettes privées et libère ainsi Constance, dame de Conches des intérêts du prêt qu’elle a contracté auprès de Benoît, juif de Verneuil184. Sont quittes, de la même manière Guillaume de Lanvalais, Roger de Mortemer, Mathieu du Bec, Guillaume Malet, Guillaume d’Angerville et beaucoup d’autres185.
Une neutralisation politique
58À tous les niveaux de la hiérarchie, les nobles normands comprennent l’intérêt d’une participation au pouvoir ; la haute aristocratie pour préserver ses acquis et demeurer influente, les hommes issus de modestes lignées par souci de promotion. Il est désormais évident pour tous qu’il est plus aisé de faire fortune à la cour ou dans l’administration locale qu’en réalisant des prouesses au combat. Guillaume le Maréchal, promu grâce à ses exploits de chevalier-errant est un contre-exemple, à ceci près qu’il est aussi issu d’un lignage de serviteurs de la cour et que ses qualités de chevalier seules ne suffisent pas à expliquer sa réussite dans le cercle des familiers du prince.
59À la cour, les mécanismes de promotion sont bien rodés, nous les avons déjà évoqués. Ils reposent sur un système de recommandations que les clercs curiaux dénoncent mais dont ils bénéficient eux-mêmes186. À titre d’exemple, le comte Giffard intervient en faveur de son vassal Manassier Biset et le comte de Warenne, fils d’Hamelin Plantagenêt en faveur d’Hugues de Cressy vers 1171187. Les lettres d’Arnoul de Lisieux témoignent de l’intérêt que l’évêque porte à la carrière de ses neveux, Silvestre, le trésorier, et Hugues de Nonant, l’archidiacre188. Lorsqu’un individu acquiert un office ou devient familier du prince, il n’est pas rare de voir ses fils, frères et cousins bénéficier des mêmes avantages. Dans le lignage des Préaux, tous les frères deviennent ainsi des proches d’Henri le Jeune et, après sa mort, de Richard189. Bernard et Guy de Saint-Valéry, fils de Renaud, succèdent à leur père pour des missions diplomatiques auprès du pape Alexandre III et du roi de France. Ils n’héritent pas, en revanche, de la charge de sénéchal que Renaud avait assumé de 1146 à 1153, ni de celle de justicier du roi qu’il détenait encore après 1175190. Les frères Alexandre et Enguerrand Bohon, cousins d’Onfroy, obtiennent ensemble la garde des châteaux de Domfront et d’Argentan191.
60Malgré ces réseaux et jeux d’influence, les curiales n’obtiennent pas toujours rapidement la promotion attendue. C’est souvent au prix d’efforts très longs et au prix d’une grande humilité qu’ils parviennent à leurs fins. Guillaume le Maréchal doit se contenter de promesses pendant de nombreuses années. On lui destine tout d’abord, Héloïse, l’héritière de Guillaume de Lancastre, puis Isabelle de Clare qu’il n’obtient qu’après la mort d’Henri II. Quels que soient les appuis dont disposent ces courtisans, leur promotion reste le fait du prince et ses choix sont, en général, mûrement réfléchis. Lorsque le Plantagenêt accueille Giraud de Barri à sa cour comme clericus regis par exemple, il le fait par calcul politique. Au début des années 1180, Giraud, archidiacre de Brecknock en pays de Galles, dérange et les conseillers du prince estiment qu’il manifeste « trop d’ambition au sujet de son pays » et poursuit « en patriote, des buts dont un monarque anglais devait se méfier192 ». Aussi s’avère-t-il plus sûr de l’avoir sous la main pour mieux le contrôler plutôt que de le laisser agir librement loin de la cour. Henri II veille également à ce que les familiers de son entourage ne prennent pas trop de poids dans la société. C’est pourquoi il refuse de promouvoir Robert de Neubourg ; une décision clairement hostile aux Beaumont-Meulan. Les groupes de pression sont ainsi soigneusement contrôlés et les hommes nouveaux sont les outils de cette politique.
61Les difficultés rencontrées par les curiales pour se maintenir à la cour ou y être promus créaient une mauvaise ambiance : tous les coups bas sont permis. Ainsi, pour les nominations, les fausses promesses sont-elles monnaie courante. Nigel de Longchamp, moine à Christ-Church, relate les mésaventures d’un prébendier qui, ayant offert l’hospitalité à un courtisan durant de nombreuses années, lui demande d’intercéder pour lui auprès du roi afin que l’évêque cède sa prébende à son neveu. Mais le clerc agit pour lui-même et obtient cette dernière193. Les clercs curiaux ont eux-mêmes dressé un portrait peu flatteur du milieu dans lequel ils évoluent. Les plus critiques sont évidemment ceux qui se sont trouvés dans leur carrière frappés par la disgrâce ou ceux qui moralement assument mal leur double statut de serviteur de l’État et de l’Église ou la dichotomie entre ambition personnelle et humilité religieuse. La cour est dépeinte par eux comme un monde de faux-semblants, de vanité et de jalousie. La compétition qui anime cet univers dégénère les êtres et en fait de viles créatures, incapables de sagesse et de vertu194. Le poète Jean de Hauville, originaire d’Évreux et proche de l’archevêque Gautier de Coutances, écrit :
« La cour telle une scie, ronge les bons caractères […] tous les crimes s’y donnent rendez-vous, l’hypocrite plein d’empressement complimente celui qu’il désire voir abattu de sorte qu’il n’y a aucune fidélité ; l’honnêteté cède le pas à l’ambition, la justice et l’équité à l’argent, la promesse tenue aux paroles creuses, la constance à l’inconstance qui néglige les accords195. »
62Jean de Salisbury dénonce, lui aussi, cette cour qui « n’aime, n’écoute n’honore que les hommes futiles […] et met à la porte les véritables sages196 ». Il jette l’opprobre sur les individus qui la fréquentent, en les accablant de tous les vices, dont il dresse la liste en s’inspirant des « Moralia de Job » de Grégoire Ier197. Aux yeux de Jean de Salisbury, tous ces courtisans, attachés à une vaine gloire sont en fait des hommes superficiels (nugatores), victimes d’une sorte d’aliénation morale. Pour ces lettrés, la cour est un lieu de supplice pour l’âme (locus penalis), un lieu de perversion, un enfer198. Ce n’est pas seulement un endroit où l’ambition dénature les rapports humains et la morale des hommes, c’est aussi un lieu où ils sont aliénés par le pouvoir même.
63En effet, les curiales vivent dans la crainte de la disgrâce et dans le souci de plaire, ce qui les rend extrêmement manipulables et faibles. L’emprise du prince sur eux est considérable. Les rôles de l’Échiquier mentionnent de nombreuses confiscations de charges pour des motifs qui peuvent parfois paraître très anodins. Henri le Fauconnier se voit, par exemple, suspendu et dessaisi de ses terres anglaises pour s’être présenté avec du retard pour sortir ses oiseaux du local obscur où ils faisaient leur mue annuelle199. Les courtisans ecclésiastiques ont, en général, l’avantage sur leurs collègues laïques de disposer d’un monastère ou d’une cathédrale où ils peuvent se retirer en cas de revers de fortune. Les chevaliers qui ne disposent pas de fiefs (les cadets de famille) et qui n’ont que leurs émoluments d’officiers pour subsister se trouvent totalement démunis si le prince les chasse. Si un courtisan entre en conflit avec le duc, il n’a que deux choix possibles : sacrifier son honneur et céder ou renoncer à sa carrière. Comme la plupart veulent conserver leur office, ils mentent et intriguent ; rares sont ceux qui, comme Guillaume le Maréchal, défient le roi et préfèrent assumer un exil. Henri II et Richard l’apprécieront pour ce caractère entier et cette grandeur d’âme.
64En attente de bienfaits, dans la peur de la disgrâce, tous ces hommes se trouvent comme paralysés et la compétition qui les oppose absorbe leur énergie. Pendant qu’ils se disputent un office ou de simples promesses, ils ne songent guère à s’allier pour contrer les décisions ducales. Le temps est à la flatterie, non à la critique, ce qui rend confortable l’exercice du pouvoir. Les Angevins ont donc très vite compris qu’ils pouvaient tirer le plus grand bénéfice de la présence des nobles à la cour et de leur participation au gouvernement.
Une manipulation idéologique
65Pour le pouvoir, cette proximité permet également d’influencer les opinions et d’orienter les comportements. Les officiers, les barons comme les plus modestes curiales sont, à la cour, la cible de l’idéologie que développe le pouvoir et deviennent les relais privilégiés de diffusion d’un message politique destiné à l’ensemble du groupe aristocratique. Tout ce qui est produit et circule à la cour sert de publicité au pouvoir : productions littéraires (histoires, chroniques et œuvres de fiction), traités juridiques ou moraux, actes de la chancellerie. Les enjeux sont multiples : asseoir la légitimité de la dynastie angevine et renforcer son pouvoir face à une aristocratie rebelle et souvent agitée, créer une cohésion dans l’empire par des références culturelles communes et favoriser la fidélité des vassaux de la couronne.
66Sans nécessairement commanditer les œuvres, les Plantagenêt encouragent leur production. Certaines visent directement les nobles et cherchent à influencer leur comportement, d’autres ciblent l’image du pouvoir et des princes. L’intention politique du Roman de Rou par exemple est incontestablement de flatter l’honneur des familles et d’inciter les seigneurs à imiter leurs propres ancêtres. Par une série de portraits Wace écrit la geste d’une génération de héros exemplaires comme Robert de Beaumont, père de Galéran de Meulan et Robert de Leicester, Richard de Bienfaite, fondateur de la maison des Clare, ou encore Onfroy de Bohon, ancêtre du connétable Onfroy IV ou du seigneur Enguerrand200. La matière de Bretagne – principalement l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth et le Roman de Brut de Wace qui connaissent alors un énorme succès – véhicule un discours de dévouement au prince, de discipline et de vertu, on ne peut plus clair pour l’aristocratie.
67Les récits historiques, pour leur part, servent davantage les efforts de légitimation et de glorification de la dynastie angevine201. Contrairement aux Capétiens, les Plantagenêt ne commandent pas d’histoire officielle de la monarchie – même si le Roman de Rou de Wace ou la Chronique des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure en sont l’ébauche202 – mais les Histoires, Chroniques, Gesta flattent leurs actions et celles de leurs ancêtres réels ou mythiques depuis les héros de la guerre de Troie203 ou Arthur de Bretagne204 jusqu’à Guillaume le Conquérant, en passant par les rois saints, Alfred ou Édouard le confesseur205 et les glorieux aïeux de la branche angevine tels Geoffroy Grisegonelle ou Foulques Nerra206.
68Les traités juridiques comme le Dialogue de l’Échiquier ou les Lois et coutumes du royaume d’Angleterre mettent en valeur l’œuvre législative d’Henri II qu’ils comparent à celle des plus grands souverains du passé207. Des collections épistolaires comme celle de Pierre de Blois vantent également le gouvernement Plantagenêt tandis que d’autres comme celle de Gilbert Foliot, l’évêque de Londres, le soutiennent. Dans le cadre du différend qui oppose Henri II à Thomas Becket, par exemple, la correspondance de Gilbert, regroupée pour être diffusée va à l’encontre des manuscrits qui relayent la position de l’archevêque de Canterbury sans donner la parole au roi208. Des chansons politiques sont aussi écrites pour célébrer les exploits militaires d’Henri et de Richard comme l’Estoire de viel rei Henri de Jordan Fantosme qui relate les invasions écossaises dans le Nord de l’Angleterre et la lutte contre le roi Guillaume le Lion209 ou l’Estoire de la guerre Sainte d’Ambroise, immortalisant les hauts faits d’armes de Richard en Terre sainte.
69Cette production littéraire trouve un écho particulier à la cour et c’est essentiellement grâce à ceux qui la fréquentent que ces œuvres ou leur contenu se diffusent plus largement dans la société. Il est extrêmement difficile d’apprécier les retombées réelles de cette production littéraire. La plupart des textes, écrits en latin, ne touchent qu’un public restreint, les livres, objets de luxe sont inaccessibles au plus grand nombre et les lectures publiques sont rares. Celle de la Topographie de Giraud de Barri qui dura trois jours à Oxford est un cas exceptionnel210. En revanche, les œuvres contemporaines rédigées en langue vulgaire sont très largement influencées par ces textes, imprégnées par les mêmes idées et largement diffusées, tout comme les sirventés (chansons politiques) et les planhs (complaintes).
70Sensibilisés à la production littéraire qui circule à la cour, séduits, les seigneurs qui la fréquentent régulièrement commandent des livres, accueillent des jongleurs à leur propre cour et participent ainsi à la transmission d’une information plus ou moins contrôlée par le pouvoir. Mais la « chambre d’écho211 » que représente la cour n’est peut-être pas suffisante aux yeux du prince, comme le suggère le comportement de Richard Cœur de Lion qui, avant même d’arriver au pouvoir, organise sa propre propagande par le biais de lettres qu’il adresse à ses vassaux et qui célèbrent ses victoires212. Ses envois sont « stratégiques », destinés à des abbés ou de grands prélats (l’abbé de Clairvaux, l’archevêque Hubert Gautier, l’évêque d’Ély, etc.) qui disposent de copistes susceptibles de reproduire à la chaîne le document et qui sont capables de le diffuser aux quatre coins de l’empire angevin213. Ces lettres sont des « instruments de propagande politique qui créent l’événement, l’exploitent, amplifient son retentissement214 ». Il s’agit de galvaniser les hommes pour les batailles à venir, de leur donner foi en un roi héroïque et en une juste cause. Richard touche ainsi la « périphérie », c’est-à-dire une large population nobiliaire extérieure à la cour. Avec cette documentation « officielle » le prince influence aussi l’ensemble de la production écrite, ce qui est d’ailleurs une constante chez les Plantagenêt : les similitudes qui apparaissent entre les auteurs démontrent, en effet, qu’ils ont tous accès à une même documentation issue de la chancellerie215. Par ce biais encore la monarchie contrôle l’information.
71La cour, « centre de diffusion d’idées, de représentations et d’images aptes à susciter l’affection pour les Plantagenêt216 » et à modifier les comportements, est un outil de manipulation idéologique. Bertran de Born dénonce pour sa part le danger identitaire que représente la curialisation. Il décrit une immersion qui transforme les comportements naturels de l’aristocratie et dégénère l’éthique nobiliaire :
« De belles personnes, de beaux vêtements, on peut en voir et en trouver en quantité […] nombreux sont les gens à la chevelure bien peignée, aux dents polies, à la moustache aux lèvres […]. Hélas, gens débiles ! Où sont les hommes courtois qui faisaient le siège des châteaux et qui, des semaines et des mois, tenaient leur cour avec un aimable comportement et faisaient de riches présents sans manquer aux autres dépenses envers le soudoyer et le jongleur ? Où puis-je en voir un seul217 ? »
72Focalisée sur des préoccupations futiles, des activités tout autres que guerrières, la chevalerie s’éloigne, selon le troubadour, des vraies valeurs, ce qui marque sa décadence, entendons, la mise en péril de son identité même. Et face à la pression accrue du roi de France, il y a tout lieu de redouter le pire…
Notes de bas de page
1 Par exemple Summa, XVII, LXV, LXVII, CVII. ou dans l’enquête sur les droits de l’évêque de Bayeux, Ch. H. Haskins, « The Early Norman Jury », AHR, VIII, 1903, p. 613-640 (plusieurs exemples). Les jurés ne sont pas des juges mais de simples témoins.
2 Statua, XVII.
3 TAC, LVI.
4 Summa, LXV.
5 K. S. B. Keats-Rohan, Domesday Descendants, op. cit., p. 31.
6 Contenu dans le Liber Rubeus de Scaccario, (Red Book of the Exchequer), III, p. 807. Pour un commentaire de ce document: G. H. White, « The Household of the Norman Kings », Royal Historical Society Transactions, 1948, p. 127-155.
7 Wace, Roman de Rou, I, 3e partie, v. 797-808.
8 MRSN, II, p. 501-502.
9 Rot. Norm., p. 121. Sur la nomination de Raoul Taisson comme sénéchal, Rot. Litt. Pat., p. 3, p. 24.
10 Summa, IVbis.
11 Foedera, I, p. 4-5. En Angleterre, le successeur de Manassier est Guillaume Malet jusque vers 1170, puis Guillaume Fils-Alleaume, Hugues Bardulf… Ils agissent parfois avec un second sénéchal. Guillaume Fils-Alleaume par exemple avec Alvred de Saint-Martin, Ogier ou Gilbert Malet.
12 Recueil Henri II, I, no 47, p. 52-53.
13 Robert de Torigny, I, p. 322.
14 « Continuatio Beccensis », dans Robert de Torigny, II, p. 174.
15 Recueil Henri II, I, no 153, p. 266.
16 J. Le Patourel, « Guillaume Fils-Raoul, sénéchal de Normandie, 1178-1200 », AN, 1980. p. 321-322.
17 MRSN, II, p. 501, p. 502.
18 N. Vincent, « The Borough of Chipping Sodbury and the Fat Men of France », Transactions of the Bristol and Gloucestershire Record Society, 116, 1998, p. 145.
19 Voir par exemple, lettre du 9 décembre 1202, Rot. Pat., 21b, cité par M. Powicke, The Loss of Normandy, op. cit., p. 250.
20 MRSN, I, p. 171.
21 Red Book of the Exchequer, III, p. 757.
22 Jean avait payé au Trésor une somme de 40 marcs d’argent pour hériter de sa charge. Voir J. H. Round, The Kings Serjeants and Officiers of State with their Coronation Services, Londres, 1911, p. 83.
23 Jean est nommé Fils Gilbert dans plusieurs chartes de l’Emperesse Mathilde, Chronicles of the Reigns of Stephen, III, p. XIV, p. XXXIV. Au sujet de Jean II : HGM, III, p. 8, p. 132, pour Guillaume : Rot. Chart., I, p. 46.
24 M. Powicke, The Loss of Normandy, op. cit., p. 250.
25 En Angleterre : Henri d’Essex et Henri d’Ouilly apparaissent par exemple simultanément comme connétables en 1156, Recueil Henri II, I, no 16, p. 110, PR 2 Henry II, p. 17.
26 PR 20 Henri II, p. 51. Onfroy de Bohon, seigneur de Basse Normandie, tient l’office de connétable en Angleterre pendant la rébellion de 1173-1174 et peut-être jusqu’à sa mort en 1182. Il n’a visiblement pas eu de successeur. Selon J. H. Round, cet office serait parvenu jusqu’à lui par héritage, depuis Gautier Fils-Roger, par son fils Milon de Hereford, puis la fille de ce dernier, épouse de son père. Il est ainsi intéressant de constater une transmission d’un grand office de la cour par l’intermédiaire d’une femme, The King’s Sergeants and Officiers of State, Londres, 1911, p. 79-80.
27 Sont connus Garin et Henri Fils-Guérou, Guillaume Mauduit, Eustache ou encore Raoul Fils-Étienne.
28 Robert de Torigny, II, p. 39, Gesta Henrici, I, 45.
29 Gautier Map, De nugis curialium, V, 6, trad. A. K. Bate, p. 322.
30 Calendar of documents, no 73, 81, 1167.
31 Red Book of the Exchequer, I, p. 397.
32 Monasticon Anglicanum, IV, p. 645.
33 PR 12 Henry II, p. 109.
34 Recueil Henri II, no 705.
35 Enquête de 1172, Registres de Philippe Auguste, I, p. 77. Selon L. Delisle ce personnage serait un bourgeois de Rouen, Recueil Henri II, p. 490-491.
36 Red Book of the Exchequer, III, p. 758.
37 Rot. de ob et fin., I John, p. 17.
38 PR 31 Henry I, p. 49. Jean tient, en contrepartie de son office la terre de Sheen (Richmond).
39 Rot. de ob. et fin., 6 John, p. 358.
40 Ibid., I John, p. 17.
41 Red Book of the Exchequer, III, p. 758. Matthieu Paris, Chronica Majora, III, p. 338. À propos de ce personnage plutôt anglais que normand, voir R. V. Turner, « Richard Barre and Michael Belet : two Angevin Civil Servants », Medieval Prosopography, 1986, p. 25-49.
42 De officio Pincernarie, Red book of the Exchequer, III, p. 758-759.
43 Matthieu Paris, Chronica Majora, III, p. 337.
44 M. Powicke, The Loss of Normandy, op. cit., p. 172; ADSM, 8 H 70.
45 K. S. B. Keats-Rohan, Domesday Descendants, op. cit., p. 171.
46 CN 13.
47 J. Yver, « Les châteaux forts en Normandie », op. cit., p. 112.
48 Thomas Bardulf, par exemple, touche 300 livres pour Verneuil, MRSN, I, p. 84.
49 En 1180, par exemple, Martin de La Heuse reçoit 40 livres pour les travaux de Neaufles et Drincourt, ibid., I, p. 70.
50 Ibid., I, p. 57-58. Saint-Martin-le-Gaillard et Neufchâtel-en Bray (Drincourt) sont distants de 35 kilomètres.
51 Roger de Hoveden, III, p. 58-59, p. 63 ; Guillaume de Neubourg, I, p. 389. Voir aussi D. Power, « Between the Angevin and Capetian Courts: John de Rouvray and the Knights of the Pays de Bray, 1180-1225 », K. S. B. Keats-Rohan (dir.), Family Trees and the Roots of Politics: The Prosopography of Britain and France from the Xth to the XIIth Century, 1997, p. 361-384. Entre Vascœuil et Gisors, on compte environ 40 kilomètres.
52 MRSN, I, p. 57 (Soliers), I, p. 18 (Painel), HGM, v. 10473-10480 (Mortemer).
53 MRSN, I, (Alençon, La Roche Mabille) p. 18 ; (Arques, Lyons) p. 68, p. 73, p. 90, p. 91 ; (Neaufles) p. 111 ; (Vire, Pontorson) p. 29, p. 40.
54 Ibid., I, p. 77. Ph. Lemaître, « Histoire du château et de l’église de Montfort-sur-Risle (Eure) », Bulletin monumental, 21, 1885, p. 537-594 ; F. Fichet de Clairfontaine, La famille de Montfortsur-Risle et ses possessions du Xe au XIIIe siècle, mémoire de maîtrise, Caen, 1982, p. 109-113, p. 141-143.
55 MRSN, II, p. 494; Roger de Hoveden, IV, p. 78.
56 MRSN, I, p. 82.
57 Ibid., I, p. CXVIII; Robert de Torigny, I, p. 329-330.
58 Chartes Jumièges, II, no CXV.
59 Ibid., I, p. 50. Dans les rôles de l’Échiquier le bailliage d’Exmes est parfois nommé bailliage de Falaise.
60 Par exemple à Bayeux, Recueil Henri II, no 174, I, p. 305.
61 Voir MRSN, I, p. CXIV, p. CXXXIX.
62 D’après les rôles de 1180 et 1198, MRSN, I : Caen, Rouen, Le Vaudreuil, Bayeux, Dieppe, Drincourt, Saint-Saëns, Lyons-la-Forêt, Falaise, Argentan, Alençon, Nonancourt, Verneuil, Moulins-la-Marche, Vire, Condé, Osmanville, Domfront, Mortain, Ambières, Cérences, Avranches, Pontorçon et Saint-James.
63 MRSN, I, p. 35-40.
64 Arques, Caux, Montivilliers, Fécamp, Vexin, Roumois, entre Risle et Seine, Bonneville, Sainte-Mère-Eglise, Conteville, Lieuvin, Exmes, Hiesmois, Alençon, Bessin, Vau-de-Vire, Mortain, Cotentin, Coutances, Argentan et Avranchin.
65 Ces charges ne sont pas réservées aux membres de l’aristocratie : dans les vicomtés de Rouen et de Falaise, par exemple, le titre est donné aux bourgeois qui agissent au nom d’une corporation ayant pris à ferme un domaine ou des revenus ducaux. J.-M. Bouvris, « Contribution à une étude de l’institution vicomtale en Normandie au XIe siècle. L’exemple de la partie orientale du duché : les vicomtés de Rouen et de Fécamp », Autour du pouvoir ducal normand, Xe-XIIe siècles, CAN, 17, 1985, p. 149-174.
66 MRSN, I, p. CXXII, p. 90.
67 Summa, V et IV, 6. Les revenus des fermes incluent les sommes issues de la production agricole, les taxes, les droits provenant des foires, moulins et plaids.
68 MRSN, I, p. 40.
69 Ch. H. Haskins, Norman Institutions, op. cit., p. 151-152. Ils sont mentionnés à Verneuil vers 1144-1150, ADE, G. 122, fol. 42, no 204. Pour M. Powicke ils seraient plutôt apparus à l’époque d’Henri Ier, The Loss of Normandy, op. cit., p. 49, p. 53.
70 MRSN, I, p. 68-69, p. 370. Sur les origines obscures de la famille : Orderic Vital, VI, p. 17, note 7 ; Early Yorkshire Families, éd. Ch. Clay, R. S. 135, 1973, p. 94.
71 M. Powicke, The Loss of Normandy, op. cit., p. 103.
72 Rot. de obl. et fin., p. 73, MRSN, I, p. 136, p. 187, p. 190, p. 191…
73 Bailliage de Caux, Bray, Vexin, Roumois, Nonancourt, Verneuil, Bonneville-sur-Touques, Auge, Lieuvin, Falaise, Exmes, Argentan, Alençon, Passais, Gorron, Mortain, Cérences, Cotentin, Coutances, Gravay, du Vau de Vire, de la Vicomté d’entre Risle et Seine, du Vaudreuil, de l’Avranchin et des îles. MRSN, I.
74 Red Book of the Exchequer, II, p. 636; MRSN, t. I., p. 77.
75 Le renouveau de l’Échiquier est souvent daté des lendemains de la révolte de 1173-74 mais V. Moss penche plutôt pour les années 1160 en raison de la qualité et de la technicité des rôles dès 1180, « Normandy and England in 1180 », op. cit., p. 188.
76 Ch. H. Haskins, Norman Institutions, Appendix J, liste des assises normandes (1176-1193), présentant le nom des justiciers ayant souscrit, p. 334-336.
77 Summa, IV, 2 ; III, 4.
78 Summa, V, 2 et 3.
79 Sur l’importance de la réforme de 1176, connue sous le nom d’Assises de Northampton : J. H. Ramsey, The Angevin Empire or the Three Reigns of Henri II, Richard I and John (1154-1216), Londres, 1903, p. 76-81.
80 Gautier Map, De nugis curialium, I, 1, trad. A. K. Bate, p. 80.
81 MRSN, I, p. 146, Rot. Pat., p. 3.
82 Rot. Norm., p. 123.
83 Summa, LV, 1. Quelques exemples de ces visites: Ch. H. Haskins, Normans Institutions, p. 165-169 (1155-1165), p. 335-336 (1176-1193), BN ms lat. nouv. acq 2231 no 1 (Montfort-sur-Risle, 1171), BN ms lat. 17759, fol. 78 (Rouen, 1155), BN ms lat. 10079, fol. 121 ro (Troarn, 1200), ADSM 14 HP 18 (Rouen, 1199), 20 HP 5 (Bernay, 1201), Rot. Norm., p. 42 (Bernay, 1200-1201), Cart. Luzerne, no XXXIV (Saint-Lô, 1196-1204).
84 Cart. Fontenay-le-Marmion, no I.
85 Summa, II, 2 ; IVbis ; VI ; LII, 5, 7. La première liste de ces « cas ducaux » semble établie en 1091, à l’occasion d’une grande enquête, Ch H. Haskins, Norman Institutions, p. 29-30. Dans les Leges Henrici Primi, la liste comporte 37 délits et au cours du règne d’Henri II sont ajoutés les cas de meurtre, vol ou recel, d’incendie volontaire ou de contrefaçon, Select charters, p. 171.
86 Rot. Norm., p. 20 (1200-1201). M. Powicke, The Loss of Normandy, op. cit., p. 77.
87 L. Musset, « Une institution peu connue de la Normandie ducale : les prés et le foin du seigneur roi », Autour du pouvoir ducal, op. cit., p. 77-93.
88 MRSN, I, p. 115.
89 Ibid., I, p. 70.
90 Ibid., I, p. 97, p. 199, p. 207.
91 Ibid., I, p. 94, p. 97, p. 114, p. 206; II, p. 450.
92 Ibid., I, p. 114.
93 Recueil Henri II, p. 493 ; L. Valin, Le duc de Normandie, op. cit., p. 154.
94 CN 13.
95 J. Boussard, Le gouvernement, op. cit., p. 298.
96 Le sénéchal profita visiblement d’une affaire judiciaire impliquant le neveu d’Arnoul pour lui confisquer ses biens et remettre sa charge à Gautier de Coutances. Arnoul de Lisieux, Epistulae, éd. F. Barlow, Londres, 1939, en particulier no 126, p. 193. Sur ce personnage, E. Türk, « Nugae curialium », op. cit., p. 55-67.
97 QN 382, voir également 379, 381, 399, 406, 407, 412, 427, 430, 431, 432, 440, 441, 448, 449, 454, 455, 459, 462.
98 Per violentiam, QN 399, per compulsionem et violenciam, QN 407, per suam potenciam, QN 427.
99 QN 523, 527, 498, 516, 476, etc.
100 Orderic Vital, IV, p. 242.
101 Une charge sans doute très proche de celle de Sénéchal. Raoul de Diceto, I, p. 331.
102 P. Boissonnade, « Administrateurs laïques et ecclésiastiques anglo-normands, en Poitou, à l’époque de Henri II Plantagenêt (1152-1189) », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1919, p. 158. Patrice de Salisbury est victime d’une embuscade et remplacé, HGM, v. 1623-1652 ; pour Théobald : Roger de Hoveden, II, p. 43.
103 BN ms lat. 5480, I, fol. 136.
104 J.-Ph. Collet, « Le combat politique des Plantagenêt en Aquitaine : l’exemple des vicomtes de Thouars (1158-1199), Noblesses de l’espace Plantagenêt, op. cit., p. 139-164.
105 Geoffroy de Vigeois, « Chronique », RHF, XII, p. 439. K. Thompson a noté, en revanche, que Geoffroy n’était pas le frère du comte du Perche ce que prétend la source, Power and Border Lordship, p. 94.
106 M. Billoré, « Justice ducale et cours seigneuriales en Normandie sous le règne d’Henri II Plantagenêt et ses fils », Les seigneuries dans l’Espace Plantagenêt, op. cit., p. 94-115.
107 Gautier Map, De nugis curialium, I, 1, trad. Bate, p. 79.
108 Cette méthode a été utilisée par de nombreux historiens, depuis J.-F. Lemarignier, Le gouvernement royal aux premiers temps des Capétiens (987-1108), Paris, 1965, par exemple M. Aurell, Une famille de la noblesse provençale au Moyen Âge : les Porcelet, Avignon, 1985 ; O. Guillot, Le comte d’Anjou et son entourage au XIe siècle, Paris, 1972, ou encore J. Baldwin, « L’entourage de Philippe Auguste et la famille royale ». La France de Philippe Auguste, op. cit. D. Bates, pour sa part, s’est plutôt attaché à souligner ses faiblesses : « The Prosopographical Study of Anglo-Norman Charters », Family Trees, op. cit., p. 89-102.
109 C. W. Hollister, « Magnates and Curiales in Early Norman England », Monarchy, Magnates and Institutions in the Anglo-Norman World, Londres, 1986, p. 98 ; N. Vincent, « Les Normands dans l’entourage d’Henri II Plantagenêt », La Normandie et l’Angleterre, op. cit., p. 75-88, ici p. 78.
110 Gesta Henrici, I, p. 287, p. 353, p. 354.
111 Ibid., I, p. 117.
112 Pour une biographie sommaire de ces chevaliers : HGM, III, p. 59.
113 Pour la carrière de Jean, voir, plus haut, chap 4 ; pour Robert, MRSN, I, p. CLXXIV ; pour Gérard, Gesta Henrici, II, p. 134.
114 L’expression est empruntée à É. Bournazel, Le gouvernement des Capétiens au XIIe siècle, 1108-1180, Paris, 1975, p. 14.
115 M. Clanchy, From Memory, op. cit., p. 57.
116 PR 25 Henry II, p. 52 (Guillaume); MRSN, II, p. 125, p. 236 (Brice); ibid., II, p. 311, p. 328 (Elias); Rot. Norm., p. 52 (Thomas), p. 57 (Guillaume), p. 75 (Barthélemy), p. 83 (Gérard).
117 Les ouvrages concernés sont les Decreta Gratiani, le Codex, le Tres partes et Digesta Nova, l’Infortiata et Liber Autenticorum, le Liber Institutionum, les Tres Libri codicis, l’Instituta Justiniani minora. Le prélat est connu pour avoir lui-même étudié le droit et s’être entouré toute sa vie de nombreux juristes comme l’indique une lettre d’Innocent III. Voir R. Besnier, La coutume, op. cit., p. 48.
118 À propos de ces hommes, E. Türk, « Nugae curialium », op. cit.
119 R. W. Hunt, The Schools and the Cloister. The life and Writings of Alexander Nequam (1157-1217), éd. M. Gibson, Oxford, 1984, p. 9. Également J. W. Baldwin, « Studium et Regnum: the Penetration of University Personnel into French and English Administration at the Turn of the XIIth and XIIIth Centuries », Revue des Études Islamiques, 44, 1976, p. 199-211.
120 Rot. Lit. Pat., p. 94, p. 96.
121 J. Jolliffe, Angevin Empire, op. cit., p. 287.
122 À propos de leurs carrières, voir J. Peltzer, Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater Anjou, c. 1140-c. 1230, Cambridge, 2008, Arnoul, p. 108-111; Philippe, p. 136-138, p. 230; Rotrou, p. 75-78.
123 Arnoul, Robert de Torigny, p. 333-334 ; Philippe, Recueil Henri II, no 120 ; Rotrou : ibid., no 153.
124 Recueil Henri II, no 120.
125 Pour sa carrière, J. Peltzer, Canon Law, op. cit., p. 111-112 ; MRSN, I, p. 92-94.
126 J. Peltzer, Canon Law, op. cit., Gautier, p. 79-80 ; Jean, p. 102. Pour leur action de représentation, Gesta Henrici, I, p. 168, p. 334-335, p. 353-354, II, p. 45-46, p. 66.
127 Raoul de Diceto, I, p. 367, II, p. 4.
128 D. S. Spear, « L’administration épiscopale normande : archidiacres et dignitaires des chapitres », P. Boutet et F. Neveux (dir.), Les évêques normands du XIe siècle, Caen, 1995, p. 81-102.
129 J. H. Peltzer, « Henri II and the Norman Bishops », EHR, 119, 2004, p. 1202-1229. Soutien total de l’épiscopat normand à Henri II pendant la révolte de 1173-74, sauf Arnoul de Lisieux, Gesta Henrici, I, p. 51. À propos de ce personnage, voir C. P. Schriber, The Dilemma of Arnulf of Lisieux : New Ideas Versus Old Ideals, Bloomington, 1990.
130 Moralia regum, Ms Lincoln Cathedral 26, fol. 158 ro. Cité par Ph. Buc, « Conclusion », Culture politique des Plantagenêt, op. cit., p. 382.
131 R. Heiser, « The Royal Familiares of King Richard I », Medieval Prosopography, vol. 10, no 2, 1989, p. 28.
132 À propos de ses origines : Gesta Henrici, II, p. 216 ; élection : Roger de Hoveden, III, p. 15, décès, IV, p. 17.
133 Élection : Roger de Hoveden, II, 213, 221 ; rôle politique : J. C. Holt, « Ricardus Rex Anglorum et Dux Normannorum », Magna Carta and Medieval Government, Londres, 1985, p. 67-83, ici p. 82.
134 A. Renoux, « Le roi Jean, s’il avait capturé le comte Robert d’Alençon et le sire Juhel de Mayenne, il l’aurait gagnée sa guerre ! », Plantagenêts et Capétiens, op. cit., p. 227-265.
135 MRSN, I, (Richard) p. 20-23; (Gilbert), p. 103-104; (Jean) Rot. Pat., p. 24.
136 L. Delisle, « Notice sur un des premiers maires de la ville de Caen », MSAN, XVII, 1847, p. 294-295.
137 Richard: Ch. Duggan, « Richard of Illchester, Royal Servant and Bishop », Transactions of the Royal Historical Society, XVI, 1966, p. 1-21; Sahier: MRSN, I, p. 76; Gilbert: MRSN, I, p. 50, 103-104.
138 Recueil Henri II, p. 481-482.
139 La Summa a gardé le souvenir de ce respect unanime, IVbis.
140 K. Norgate, England under the Angevin Kings, op. cit., I, p. 417.
141 C’est l’argument avancé par L. Musset, « Quelques problèmes posés par l’annexion de la Normandie au domaine royal français », La France de Philippe Auguste, op. cit., p. 294.
142 Gautier Map, De Nugis curialium, I, 10, trad. A. K. Bate, p. 85.
143 Orderic Vital, VI, p. 16. Propos similaires dans deux chroniques contemporaines, Gesta Stephani, éd. K. Potter, RHC Davis, Oxford, 1976, p. 22-24 et Richard d’Hexham, « The Chronicle of Richard, prior of Hexham », Chronicles of the reigns of Stephen, Henry II and Richard I, III, p. 40.
144 MRSN, I, p. 69.
145 Ibid., I, p. 69-71, Rot. pat. p. 25, p. 86, Rot. Norm., p. 107.
146 Ibid., I, p. 75-76.
147 Ibid., I, p. 18-20, II, p. 386.
148 ADC H 6613. Acte de Robert de Cuigny mentionnant Richard de la Tour, vicomte d’Argentan comme témoin, 1200.
149 Roger de Hoveden, III, p. 206.
150 K. S. B. Keats-Rohan, « Aspects of Robert of Torigny’s Genealogies revisited », Nottingham Medieval Studies, XXXVII, p. 22-23.
151 R. Dace, « Bertran de Verdun: Royal Service, Land and Family in the Late XIIth Century », Medieval Prosopography, XX, 1999, p. 75-93; M. S. Hagger, The Fortunes of a Norman Family: the De Verduns in England, Ireland and Wales, 1066-1316, Dublin, 2001.
152 Domesday Book, éd. A. Farley, Londres, 1783, fol. 151c.
153 Voir J. Green, The Aristocracy, op. cit., p. 215.
154 W. Dugdale, The Baronage of England, or an Historical Account of the Lives and Most Memorable Actions of our English Nobility, (texte de 1675), publié par W. Hamper, Londres, 1827, I, p. 631.
155 Gesta Henrici, I, p. 107 et II, p. 88, note 2.
156 Ibid., I, p. 157.
157 Giraud de Barri, « De rebus a se gestis », Giraldi Cambrensis Opera, éd. J. S. Brewer, I, p. 65.
158 E. Foss, The Judges of England, Londres, 1848, I, p. 318.
159 Sur ce personnage, MRSN, II, p. CCIX; CN, p. 153; L. C. Loyd, The Origins, op. cit., 1951, p. 46-47, M. Powicke, The Loss of Normandy, op. cit., p. 173-174.
160 MRSN, I, p. 244.
161 Rot. Pat., p. 14, p. 20.
162 Il apparaît comme sénéchal dans plusieurs chartes royales. Recueil des actes de Philippe, II, no 793, 802.
163 Sur ces personnages, voir chap. 4.
164 S. D. Church, The Household Knights of King John, Cambridge, 1999, p. 21-22.
165 Rot. Norm., p. 89, p. 116.
166 Sur le personnage, Th. K. Keefe, « King Henry II and the Earls: the Pipe Roll Evidence », Albion, 13, 1981, p. 191-222; C. W. Hollister, « The Misfortunes of the Mandevilles », History, 58, 1973, p. 18-28.
167 J. E. A. Jolliffe, Angevin Kingship, op. cit., p. 70.
168 Gesta Henrici, II, p. 90.
169 Ibid., II, p. 72-73; R. R. Heiser, « The Royal familiares of King Richard I », Medieval Prosopography, X, 1989, p. 32.
170 Pour Guillaume Turpin : Rot. de ob et fin., I John, p. 7, pour Robert Belet : ibid., p. 8.
171 Richard de Devizes, De rebus gestis Ricardi primi, Chronicles of the Reigns of Stephen, Henry II and Richard I, III, éd. R. Howlett, Londres, RS, 1886, p. 385-386.
172 Guillaume de Neubourg, IV, p. 302-303.
173 L’expression est d’Orderic Vital, reprise par R. V. Turner, Men Raised from the Dust: Administrative Service and Upward Mobility in Angevin England, Philadelphia, 1988.
174 Gautier Map, De nugis curialium, V, 6, trad. A. K. Bate, p. 323.
175 Ibid., p. 324-325.
176 Gesta Henrici, I, p. 107; Roger de Hoveden, II, p. 8; MRSN, I, p. 70, p. 98.
177 MRSN, 1, p. 67.
178 Voir la notice biographique dans CN, p. 153.
179 CN 13.
180 CN 14, Acta of Henri II, no 1942 H.
181 Ambroise, p. 104.
182 Roger de Hoveden, III, p. 95.
183 De fait, il ne doit plus à la couronne que 55 livres 15 sous et 9 deniers, MRSN, I, p. 66, p. CVII.
184 Rot. Norm., p. 52.
185 Ibid., p. 60, p. 61, p. 72, p. 73, p. 74, p. 76, p. 80, p. 87, p. 88, p. 90, p. 102, p. 107, p. 113, p. 118.
186 Par exemple, Pierre de Blois, Epistolae, PL, vol. 207, 95.
187 Rot. Pat., p. 10, MRSN, II, p. CCXXXII. Hugues de Cressy était au service d’Hamelin dans les années 1160. Il devient le vassal du comte de Warenne après son mariage avec Marguerite de Chesney, K. S. B. Keats-Rohan, Domesday Descendants, op. cit., p. 416.
188 Arnoul de Lisieux, Epistolae, p. XI-XIII.
189 CN 124, 167, 204, 230, etc.
190 Pour Renaud, PR 2 Henry II, p. 5, p. 14, p. 17, p. 23… ; Raoul de Diceto, I, p. 315 ; AN S 4889, no 6. Pour ses fils, Roger de Hoveden, I, p. 230 ; Raoul de Diceto, II, p. 43.
191 Chronique des comtes d’Anjou et des seigneurs d’Amboise, éd. L. Halphen, R. Poupardin, Paris, 1913, p. 294.
192 E. Türk, Nugae curialium, op. cit., p. 97.
193 Nigel de Longchamp, dit Wireker, Tractatus contra curiales et officiales clericos, éd. Boutemy, Paris, 1959, p. 164-165. Cet ouvrage est dédié à son oncle, le justicier Guillaume de Longchamp, déchu.
194 Giraud de Barri, Expugnatio Hibernica, III, p. 402.
195 Jean de Hauville, Architrenius, éd. et trad. angl. W. Wetherbee, Cambridge, 1994, III, p. 287, IV, p. 303.
196 Jean de Salisbury, Entheticus de dogmate philosophorum, Hambourg, 1843, v. 1467-1473.
197 « Moralia in Job », Sources Chrétiennes, vol. 32, p. 89.
198 L. Harf-Lancner, « L’enfer de la cour », op. cit.
199 Rot. de ob., I, John, p. 43. Pour d’autres exemples, J. E. A. Jolliffe, Angevin Kingship, op. cit., p. 70-71.
200 Wace, Roman de Rou : Robert de Beaumont (v. 8331-8338), Richard de Bienfaite (v. 8536), Onfroy Bohon (v. 8540).
201 Sur ce thème nous renvoyons à M. Billoré, « Écrire l’histoire au service du prince », op. cit. et L. Mathey-Maille, Écritures du passé. Histoires des ducs de Normandie, Paris, 2007.
202 B. Guénée, Histoire et culture historique, op. cit., p. 339. Il n’existe pas de regis anglorum cronographus dans l’espace Plantagenêt, équivalent à Rigord ou Guillaume le Breton, au grand dam de Giraud de Barri qui se serait volontiers vu investi de ce titre.
203 Dudon de Saint-Quentin et Guillaume de Malmesbury font descendre les Normands d’Anténor, tandis que Geoffroy de Monmouth et Wace rattachent les Bretons à Enée et Brutus. Dudon de Saint Quentin, De Moribus et actis primorum Normanniae ducum, éd. J. Lair, Caen, 1865; Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum, The History of the English Kings, éd. R. A. B. Mynors et alli, Oxford, 1998.
204 Geoffroy de Monmouth réveille le souvenir d’Arthur. Son Histoire des rois de Bretagne connaît un succès exceptionnel, dont attestent les quelques 215 manuscrits que nous conservons aujourd’hui mais c’est surtout Wace qui invente « un Arthur qui n’est plus le roi des Bretons, mais le roi de tous les Anglais, celtes autant qu’anglo-saxons ou normands », M. Aurell, « Les Plantagenêt, la propagande », op. cit., p. 24.
205 La généalogie des rois d’Angleterre d’Aelred de Rievaulx (1110-1167) par exemple, écrite peu de temps après la canonisation d’Édouard le Confesseur (1161) et qui coïncide avec la translation de ses reliques à Westminster (1163), renforce les fondements spirituels de la monarchie au moment même où Henri II s’oppose à Thomas Becket.
206 La Chronique des comtes d’Anjou de Jean de Marmoutiers, retouchée par plusieurs mains.
207 Richard Fitz-Nigel, Dialogus, p. 27-28.
208 The Letters and Charters of Gilbert Foliot, éd. A. Morey, C. N. L. Brooke, Cambridge, 1967.
209 Jordan Fantosme, Estoire del viel rei Henri, éd. et trad. angl. R. C. Johnston, Oxford, 1981.
210 L. Thorpe, « Gerald of Wales: a Public Reading in Oxford in 1188 or 1189 », Neophilologus, 62, 1978, p. 455-458.
211 Expression employée par A. Chauou, L’idéologie, op. cit., p. 52.
212 Letters of the Kings of England, éd. J. O. Halliwell, Londres, 1846, I, p. 1-9. À propos des évènements : Janv. 1177 : exploits devant Dax et Bayonne, Roger de Hoveden, II, p. 117 ; oct. 1191 : victoire sur Saladin, ibid., III, p. 130-133 ; jlt 1194 : prise de Taillebourg et des domaines du comte d’Angoulême, ibid., III, p. 256-257 ; sept. 1198 : victoire de Courcelles-les-Gisors, ibid., III, p. 58-59, Raoul de Coggeshall, p. 84-85. Sur ce thème, voir J. Gillingham, « Royal Newsletters », op. cit., p. 171-186.
213 Roger de Wendover, I, p. 280.
214 G. Duby, « Le Moyen Âge d’Hugues Capet à Jeanne d’Arc », Histoire de France, I, p. 260.
215 Au tournant des années 1190, les actes deviennent extrêmement nombreux comme l’a montré M. T. Clanchy, From Memory, op. cit.
216 B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 339.
217 G. Gouiran, L’amour et la guerre, op. cit., chanson no 30, IV-V, v 25-39, II, p. 620.
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