Les territoires repris par la France
p. 317-320
Texte intégral
1Si la « ligne bleue des Vosges » n’est pas à l’origine directe du conflit, les premiers affrontements portent sur cette région frontalière marquée, depuis la signature du traité de Francfort, par un grand poids symbolique. Aussi, lorsque les soldats conduits par le général Bonneau occupent Mulhouse, dans la soirée du 7 août 1914, une vague d’enthousiasme parcourt la France entière. Évacuée par les troupes françaises dès la nuit du 9 août, reprise le 19 par l’armée d’Alsace conduite par le général Pau, la métropole industrielle du sud de l’Alsace est définitivement reperdue le 24.
2À la suite de ces attaques et de la contre-attaque allemande qui porte jusqu’aux limites du Territoire de Belfort, la ligne de front se stabilise durablement au travers des hautes vallées de la Fecht et de la Lauch, puis descendant vers la plaine à l’ouest d’une ligne reliant Cernay, Altkirch et Pfetterhouse. En dépit des combats meurtriers du Linge et de l’Hartmannswillerkopf, ce front ne bouge plus jusqu’à l’armistice, laissant sous administration française la populeuse vallée de la Thur, ainsi que celle de la Doller et une partie du Sundgau. Ce territoire englobe pas moins de 91 communes, soit quelque soixante-dix mille habitants et un tissu industriel appréciable, susceptible d’être réorienté vers l’économie de guerre. Parmi les principales villes de ce territoire, Thann, Saint-Amarin ou Dannemarie se trouvent à portée de canon de l’ennemi, tandis que la ville de Masevaux offre plus de sécurité et se trouve, dès mars 1915, reliée à Belfort par une voie électrifiée.
3La disparition brusque et complète de tous les organismes administratifs, financiers et judiciaires du pays occupé, du fait du départ des fonctionnaires allemands, impose aux autorités militaires de prendre en charge l’administration civile du pays. Cette tâche est d’abord confiée à une administration militaire rattachée à l’état-major de la VIIe armée, installé au château de Wesserling, et l’Alsace reconquise est divisée en deux cercles : Thann avec annexes à Masevaux et Saint-Amarin, puis rattachement du cercle1 de la Fecht créé en mai 1915 ; Dannemarie administrant le Sundgau. Cette administration militaire, calquée sur celle des Affaires indigènes fonctionnant en Algérie et au Maroc, est confiée à des officiers de réserve, qualifiés en raison de leur profession civile. C’est à eux qu’incombe, sous la direction du commandement militaire, le règlement des problèmes politiques, économiques, sociaux et locaux. Cette organisation évolue en 1917, le gouvernement décidant de faire exception, en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine, aux règles d’occupation militaire ordinaires en créant une mission militaire administrative chargée de l’administration civile, qui préfigure ce que pourrait être l’administration d’un département français. Celle-ci est dirigée d’abord par François De Witt-Guizot, un officier protestant, dirigeant de la Fédération des associations chrétiennes de jeunes, puis par le commandant Henry Poulet, qui est nommé commissaire de la République à Colmar en 1918. Cette mission, qui réunit les services des trois cercles (Masevaux, Thann, Dannemarie), est flanquée d’un comité consultatif, représentant les intérêts des populations des vallées et des patrons d’industrie.
4En outre, un tribunal de bailliage aux mains des militaires est chargé d’appliquer les lois locales ; un Institut d’assurances sociales, installé à Saint-Amarin, assure quant à lui la gestion du régime local de protection sociale ; enfin, dans le domaine des cultes, la France applique le Concordat napoléonien toujours en usage en pays annexé. L’enseignement primaire est confié à des instituteurs militaires, dont le rôle est déterminant pour la diffusion de la langue française dans des communes à majorité germanophone. Les succès dans le domaine scolaire sont réels, si bien qu’à partir du 1er octobre 1916, les cours sont, en Alsace reconquise, identiques à ceux donnés en France.
5Dans la mesure où l’occupation des vallées vosgiennes s’inscrit dans la durée, elle apparaît très tôt aux yeux du gouvernement comme un laboratoire à petite échelle d’une Alsace-Lorraine française. Le gouvernement a bien conscience que l’administration de ces vallées engage la crédibilité des autorités françaises à organiser la vie civile dans un territoire jusque-là annexé au Reich. Respectant la promesse, faite par le maréchal Joffre lors d’une visite à Thann en novembre 1914, de respecter les traditions et les libertés alsaciennes, les administrateurs s’efforcent de manifester en toutes circonstances un libéralisme et une courtoisie sans failles. À l’approche de la victoire des Alliés, perceptible dès le début de 1918, ces résultats suscitent l’intérêt de la Conférence d’Alsace-Lorraine et des sous-commissions qui siègent à Paris.
6Les vallées de la Thur et de la Doller sont l’objet de visites de nombreuses personnalités, donnant lieu à des manifestations d’enthousiasme : le président Poincaré s’y rend à cinq reprises, suivi du roi d’Italie Victor-Emmanuel III, du président du Conseil Georges Clemenceau, de plusieurs ministres, généraux et ecclésiastiques. Louis Barthou, président de la conférence d’Alsace-Lorraine, parcourt les Vosges en mars 1915 et retire la plus vive satisfaction de son voyage.
7Si l’administration des vallées vosgiennes recouvrées est régulièrement citée dans des études récentes portant sur l’Alsace-Lorraine, elle a principalement donné lieu à des articles d’historiens locaux parus dans des revues telles que Patrimoine Doller, publiée par l’active société d’histoire basée à Masevaux.
8Joseph Schmauch
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Les archives
9Le principal gisement d’archives publiques intéressant l’administration des vallées vosgiennes pendant la guerre de 1914-1918 se trouve conservé aux archives départementales du Haut-Rhin, formant une sous-série cotée 16 AL 2. Ce fonds, issu de la sous-série AJ/30 des Archives nationales et transféré vers Colmar compte tenu de son évident intérêt pour l’histoire locale, comprend à la fois les documents des états-majors des armées installées dans les Vosges dès l’été 1914, des archives provenant du Service d’Alsace-Lorraine parisien et surtout les archives des administrateurs militaires établis à Masevaux, Thann et Dannemarie, dans le cadre de la Mission militaire administrative mise en place à partir de 1917.
10On peut y consulter avec les rapports établis au moment de la réorganisation de l’administration de l’Alsace reconquise en juin 1917, les comptes rendus adressés par François de Witt-Guizot et Henry Poulet sur la situation politique, la participation des industries de la vallée de Thann à l’effort de guerre français ou les progrès de l’enseignement du Français. Ces mêmes archives rendent compte de l’important effort de propagande développé vis-à-vis des populations des territoires occupés : conférences, films cinématographiques, diffusion d’un Bulletin d’information s’appuyant sur le travail mené par le docteur Pierre Bucher, cheville ouvrière du service de renseignements de Réchésy.
11Les archives municipales des communes vosgiennes, notamment celles de Thann ou de Masevaux, rendent compte des relations des autorités locales avec l’administration militaire et de la vie quotidienne d’une population en état de siège ; elles témoignent aussi des visites de personnalités étrangères, qui ne manquent pas de signer le livre d’or municipal lors de leur passage.
12Au vu de l’intérêt porté par le gouvernement à la situation en Alsace libérée, on peut consulter avec profit les procès-verbaux de la Conférence d’Alsace-Lorraine (BnF ou BNUS), les préconisations formulées par celleci pour l’après-guerre s’appuyant souvent sur des expérimentations faites en Haute-Alsace.
13Jean-Luc Eichenlaub et Joseph Schmauch
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Administration militaire de l’Alsace, Rapport sur l’organisation des territoires (1914-1916), Thann, Impr. Lefranc, 1917.
Limacher René, « Masevaux (1914-1918) : l’occupation française », Patrimoine de la Doller (Bulletin de la société d’histoire de la vallée de Masevaux), no 5 spécial, 1995, p. 16-40.
Notes de bas de page
1 Traduction française de la circonscription allemande dénommée Kreis.
Auteurs
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Joseph Schmauch
Conservateur du patrimoine et directeur des archives départementales du Territoire de Belfort, Joseph Schmauch est membre du comité départemental du centenaire de la guerre 1914-1918. Archiviste paléographe, il a soutenu en 2004 une thèse d’École des chartes intitulée Les services d’Alsace-Lorraine face à la réintégration des départements de l’Est (1914-1919). Doctorant au sein de l’équipe de recherche ARCHE de l’université de Strasbourg, il prépare, sous la direction de Jean-Noël Grandhomme, une thèse de doctorat intitulée Réintégrer les provinces perdues : le gouvernement et les services d’Alsace-Lorraine (1914-1919). Il est l’auteur d’articles récents publiés dans Boches ou Tricolores ? Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre (sous la direction de Jean-Noël Grandhomme, La Nuée bleue, 2008), dans la Revue d’Alsace et dans la revue électronique In Situ.
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Jean-Luc Eichenlaub
Conservateur général du patrimoine, directeur des archives départementales du Haut-Rhin, Jean-Luc Eichenlaub est membre du comité scientifique du Mémorial d’Alsace-Moselle à Schirmeck et membre du conseil scientifique et du comité éditorial de la Revue d’Alsace.
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