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Armer
Frédéric Guelton et Sylvain Lebreton
p. 85-94
Texte intégral
1Armer une armée ! Rien de plus naturel en soi, mais rien de plus difficile à réaliser. L’armement d’une armée moderne dans les premières années du XXe siècle dépend, en premier lieu, de la représentation de la guerre à venir que se font en temps de paix ses chefs, politiques et militaires. Il dépend, en second lieu, des capacités industrielles de l’économie, à un instant donné et dans la durée. Il dépend, enfin, de la perception que la nation exprime, à travers sa représentation parlementaire, du risque de guerre, qui la pousse à voter et à attribuer à ses ministères militaires, Guerre et Marine, des budgets plus ou moins importants. La perception de la guerre future ne s’exprime pas uniquement en termes de définition de l’ennemi, anglais, allemand, italien ou autre, mais également en termes de durée et d’intensité. Une guerre d’usure longue se fait avec des armes différentes qu’une guerre intense et courte. Une guerre offensive ne se fait pas avec les mêmes armes qu’une guerre défensive. Dans tous les cas, la réflexion tend à définir, en fonction d’une doctrine donnée, les armes et les munitions nécessaires à un instant donné, ainsi que leur renouvellement pendant un temps donné.
2Face à ces questions, le choix opéré par le commandement français et accepté comme tel par le pouvoir politique avant 1914 est le plus simple qui soit. Les raisons qui ont conduit à ce choix échappent à notre propos. Seul le constat initial nous intéresse. Le haut-commandement français pense que la guerre ne peut être que de courte durée et d’un rythme soutenu et qu’elle sera victorieuse grâce à l’impétuosité des hommes qui composent l’armée. En terme d’armement, la baïonnette l’emporte allégoriquement sur la mitrailleuse. L’avion est une fantaisie et le « Caterpillar », un engin agricole. Un tel choix doctrinal exclut de facto que l’ennemi puisse penser de même et que la guerre puisse, par sa nature même, engendrer des frictions profondes. Ce faisant, il escamote la réflexion et impose une doctrine qui a l’avantage, et l’inconvénient, d’être simple.
3Appliquée à l’armement, la doctrine le veut lui aussi simple, léger et mobile. Les approvisionnements n’ont pas besoin d’être nombreux et il n’est pas nécessaire d’envisager l’organisation d’une économie de guerre.
4Ainsi le « fameux » canon de 75, fruit d’une revanche scientifique des artilleurs polytechniciens sur leurs homologues allemands après la déconvenue de la guerre de 1870-71, n’est pas pensé comme un canon à tir rapide, grand consommateur de munitions, alors que sa cadence de tir théorique peut atteindre vingt-huit coups par minute, mais comme une arme qui tire par « rafales courtes et violentes, assez peu fréquemment renouvelées ». Cet usage, qui refuse a priori que le combat puisse se dérouler autrement qu’il a été imaginé, justifie les faibles réserves en munitions prévues pour les quelque 4 800 canons de 75 que possède l’armée française en 1914.
5Ainsi, simplifiant à l’excès la pensée du général Alexandre Vassilievitch Souvorov (1730-1800) dans son ouvrage La Science de la Victoire, les chefs militaires des années 1910 la réduisent à une expression : « La balle est folle, seule la baïonnette est sage. » En conséquence, armer l’armée française signifie l’armer « moralement », puis équiper les hommes qui la composent d’un fusil vieillissant, de quelques dizaines de cartouches et d’une baïonnette. Son appui direct lui est fourni par le canon de 75 mm, uniquement utilisé à bon escient, et quelques mitrailleuses. Pour le reste, l’armée dispose de quelques avions et de très peu d’artillerie lourde. Rares sont ceux qui envisagent, comme le colonel Estienne, que « la victoire appartiendra à celui qui, le premier, parviendra à monter un canon sur une voiture capable de se mouvoir en tous terrains ».
6Dès l’entrée en guerre, toutes les théories concernant l’armement s’effondrent et un phénomène connu, car intemporel, se produit. La puissance de feu est ressentie comme insuffisante, aussi bien en volume qu’en qualité. Pour y remédier, il faut produire en plus grande quantité les armes existantes, réparer celles qui ont été endommagées lors des combats et en développer de nouvelles, plus puissantes et répondant aux attentes des combattants. Cette évolution impose une adaptation de l’outil industriel aux besoins nouveaux exprimés par le GQG. Fruit de la nécessité davantage que de la réflexion, le mode d’adaptation retenu par la France prend la forme d’une coopération entre l’État et les industriels français ; la réquisition des usines, procédure légale, n’est que très rarement utilisée car elle est, en raison de son caractère coercitif, contre-productive. Le partenariat qui se met en place prend tout d’abord la forme de commandes passées dans l’urgence des premiers mois de guerre. Il permet à des industriels, menacés de faillite depuis la mobilisation de leurs ouvriers, de relancer des chaînes de production aménagées à la hâte. Deux hommes, Albert Thomas, puis Louis Loucheur, incarnent ensuite, avec la création du ministère de l’Armement, la volonté de mobiliser l’économie nationale tout en laissant une liberté presque totale aux chefs d’entreprises que sont les Renault, Citroën, Schneider, Voisin, Bréguet, et en s’appuyant sur le tissu industriel de la France non occupée. Cet effort industriel exceptionnel est enfin permis par le retour dans les usines des ouvriers indispensables à la production, qui demeurent d’ailleurs « mobilisés à l’usine », et l’arrivée sur le marché du travail des femmes, par dizaines puis centaines de milliers.
7Les hécatombes de 1914, les plus meurtrières de la guerre, poussent le commandement à réclamer tout de suite des munitions en quantités phénoménales et sans rapport avec les capacités de production. La question de la production des obus de 75 en est l’exemple le plus typique. Le 2 août 1914, le stock d’obus de 75 est de 4 800 000 et la production journalière, de 13 600. Mais la consommation atteint 40 000 obus par jour pendant les deux premiers mois de guerre. Fort naturellement, voyant son stock diminuer, Joffre demande que la production soit portée à 40 000 obus par jour, ce qui est impossible : la production moyenne journalière à la fin de l’année 1914 est inférieure à 15 000 obus car, depuis la mobilisation générale, l’industrie a perdu toute capacité d’adaptation de l’offre à la demande. La situation est tellement délicate, les demandes nouvelles si nombreuses, que l’équilibre n’est rétabli, pour les obus de 75 comme pour presque tout l’armement, qu’en 1917. À la fin de cette année-là, quand Pétain demande 190 000 obus, l’industrie, privée et d’État, en produit quotidiennement 170 000.
8La production d’obus n’est qu’un des aspects des questions d’armement qui se posent lorsque la réalité l’emporte sur les fantasmes de l’avant-guerre. Il en va de même des mitrailleuses. En septembre 1914, la production de la Saint-Étienne mod. 07 reprend à un rythme insignifiant de 100 par mois, puis 200 par mois en 1915. Mais, tout le monde le sait, cette mitrailleuse est trop complexe. C’est pourquoi sa rivale privée, l’Hotchkiss mod. 14, commence à être produite au même rythme qu’elle en 1915. En 1916, les fabrications des deux mitrailleuses s’équilibrent à environ 1 000 pièces par mois. Puis, en 1917, l’Hotchkiss remplace définitivement la Saint-Étienne. Sa production atteint 1 500 exemplaires par mois, rythme qui demeure constant jusqu’à la fin de la guerre. Cette évolution permet de doter, à partir de 1917, tous les régiments d’infanterie de trente-six mitrailleuses contre six en 1914. Parallèlement, l’infanterie remplace petit à petit ses vieux fusils Lebel par le fusil de 8 mm mod. 07-15 puis mod. 16, approvisionné par une lame chargeur de trois puis cinq cartouches. Enfin, une arme nouvelle, hybride, le fusil mitrailleur CRSG mod. 15, plus connu sous le nom de « Chauchat », apparaît modestement avant de se généraliser en 1916. Entre 1915 et 1918, environ 270 000 Chauchat sont produits.
9En plus des armes collectives tirant la cartouche réglementaire de 8 mm, l’infanterie se dote peu à peu de sa « propre artillerie ». Sa première composante, la plus rudimentaire, la grenade à main, oubliée depuis quelques décennies, fait sa réapparition. Elle est relayée en portée et en efficacité par le fusil lance-grenades (tromblon Viven-Bessière ou VB), le canon à air comprimé Brandt, le canon d’accompagnement de l’infanterie de 37 mm et enfin le mortier Stokes de 81 mm d’origine britannique. Le développement de nouvelles armes, l’extension des gammes existantes et leur production en masse ne sont en rien anodins. S’ils répondent aux demandes du commandement, ils traduisent également un phénomène plus large qui oppose fondamentalement l’Entente et la Triplice. La production en masse d’armes nouvelles, de pièces détachées et des munitions associées n’est rendue possible que par la mobilisation totale de l’économie qui emploie en 1918, pour les seules fabrications d’armement, 1 700 000 hommes et femmes, ingénieurs et ouvriers. Sur ce point, les deux camps sont sur un pied d’égalité macroéconomique. Il n’en va pas de même pour la question de l’approvisionnement en énergie et en matières premières. La France et la Grande-Bretagne en disposent en quantités suffisantes parce qu’elles possèdent la maîtrise des mers, qui leur procure un accès à tous les marchés mondiaux. Subissant les effets du blocus maritime, les puissances centrales sont contraintes à des choix parfois difficiles. Ainsi, lorsque les Allemands, à la différence des Français, décident de ne pas se lancer dans la production des chars, c’est en partie parce qu’ils ne croient pas en ses capacités de combat, mais surtout parce qu’ils ne possèdent pas suffisamment de matières premières pour construire simultanément des canons, des sous-marins et des chars.
10C’est donc bien l’accès aux ressources mondiales associé à la mobilisation industrielle qui permet à une arme comme l’artillerie, devenue centrale à partir de 1915, de se développer au-delà de toutes attentes. Sa gamme, pour ainsi dire limitée à la seule artillerie de campagne en 1914, s’étend vers l’artillerie lourde, l’artillerie lourde à grande puissance, à grande portée, sur voie ferrée, de tranchée, anti-aérienne et même « spéciale » ou « d’assaut » avec les chars. L’omnipotence du 75 n’est pas remise en cause. Elle est relativisée et complétée par la fabrication de canons étudiés avant la guerre mais que la doctrine et les budgets n’avaient pas permis de produire, comme le 105 long Schneider ou le 155 long à grande puissance. Le premier programme d’artillerie est lancé en octobre 1914. D’autres suivent jusqu’à la fin de la guerre. En 1918, l’armée française, qui a commencé la guerre avec seulement quelque 4 000 pièces de campagne (75 mm) et 100 d’artillerie lourde (155 mm), en possède en ligne plus de 13 000 et en a fabriqué plus de 33 000, depuis le modeste 65 mm de montagne jusqu’au 400 mm de l’artillerie lourde sur voie ferrée (ALVF). Elle a parallèlement produit plus de 270 000 000 d’obus. Et les seuls canons de 75 mm, qui tiraient 40 000 obus par jour au moment de la première bataille de la Marne, peuvent en tirer 300 000 par jour au moment de la deuxième bataille de la Marne.
11Parallèlement, et grâce à la force de persuasion du colonel Estienne, l’armée française fait le choix, au début de 1916, de renforcer la protection de ses fantassins en les faisant accompagner sur le champ de bataille par des canons motorisés, protégés par un blindage et susceptibles de se déplacer en tout terrain grâce à des chenilles. Une première commande de 400 chars Schneider (13,5 tonnes, un canon de 75 mm, six hommes) est passée auprès des usines éponymes en février 1916. Les délais de fabrication, six mois escomptés, sont presque doublés. Il en va de même pour une seconde commande de 400 chars, passée en avril à la Société des forges et aciéries de la Marine et d’Homécourt, qui donne naissance aux chars Saint-Chamond (23 tonnes, un canon de 75 mm, neuf hommes). Construits à la hâte, engagés au feu dès 1917 dans des conditions tactiques non anticipées, ces chars obtiennent des résultats très moyens. Mais les capacités de production sont telles qu’il est possible d’étudier, en même temps que ces deux premiers chars « moyens », un char léger original dont les essais commencent en avril 1917. À l’été de 1917, 1 150 chars légers FT (6,5 tonnes, un canon de 37 mm ou une mitrailleuse, deux hommes) ont déjà été commandés. Quelques dizaines sont engagées face aux offensives allemandes de mars 1918. Ils sont plus de 2 000 lors de la deuxième bataille de la Marne et plus de 2 600 à la veille de l’armistice, alors que l’industrie expérimente, aux antipodes du char léger FT, un char lourd dit « char 2 C » (70 tonnes, un canon de 75, douze hommes) dont une première commande de 300 exemplaires est passée en juin 1918.
12La production d’avions suit un cheminement proche de celui des chars à deux différences près. En 1914, une direction de l’aéronautique militaire existe déjà et l’armée française dispose en ligne d’environ 150 avions d’observation. Mais, surtout, la France, pays pionnier de l’aviation, possède une structure industrielle florissante quoique morcelée. Après les balbutiements de 1915, les programmes de construction se succèdent à un rythme accéléré à partir de 1916. En août, on prévoit la fabrication de 1 950 avions. En mars 1917, on passe à un programme de 2 600 avions, chiffre porté à 2 870 en septembre et à 4 000 en octobre. Enfin, un programme de 6 000 avions est lancé en avril 1918, puis interrompu en novembre. En novembre 1918, l’aviation militaire compte environ, en ligne, 1 450 avions de chasse, 1 200 avions d’observation et 360 avions de bombardement. Enfin, à la différence notoire des chars dont il n’existe que trois types principaux, l’industrie française produit pendant la guerre, reflet de sa structure industrielle en la matière, une cinquantaine de modèles d’avions différents dans les usines d’une quinzaine de sociétés, pour une production totale de plus de 50 000 avions et près de 100 000 moteurs.
13Ces armes, toutes à la pointe du progrès technique en 1918, deviennent dès 1919 un fardeau insupportable pour l’armée française. Produites en trop grand nombre pour les besoins d’une armée démobilisée, elles engloutissent tous les crédits d’équipement des années 1920. Lorsque l’heure de leur renouvellement massif et simultané sonne, le Parlement vient de voter les lois de 1927 sur l’organisation de la nation en temps de guerre, qui incluent le financement des nouvelles régions fortifiées. Les crédits d’équipements continuent à diminuer et l’armement, qui vieillit de façon accéléré, n’est modernisé qu’au compte-goutte.
14Frédéric Guelton
***
Les archives
15La première guerre mondiale n’est certes pas la première guerre industrielle, mais elle a vu l’emploi, pour une des premières fois en France, de matériels standardisés et produits à grande échelle. Une guerre industrielle, menée dans des usines tant étatiques que privées, est une nouveauté pour un pays où la production publique a toujours été privilégiée, souvent au détriment de la qualité. Cette production publique ne suffisant plus dès 1914, le recours aux entreprises, dont la production a longtemps été tournée vers l’exportation, est devenu nécessaire. Une telle démarche se doit d’être accompagnée par l’État, tant dans la définition de la production que dans ses suivis et contrôles, par le biais d’un ministère de l’Armement montant en puissance après sa création en 1916. Cette évolution en termes de méthodes et de relations change les rapports entre le prescripteur étatique et l’industriel. Le passage d’une production d’atelier à une production industrielle s’accompagne d’une réalité documentaire nouvelle. Un suivi étatique s’impose, accompagné de typologies inédites : cahiers des charges, commandes, plans, rapports d’essais, procès-verbaux de réception, contrôles qualité. L’État passe du rôle de producteur à celui de prescripteur, qu’il n’a plus quitté depuis. La production d’armement avant et pendant la guerre voit une inflation documentaire : autant de sources pour le chercheur en histoire des sciences ou en histoire économique. Les archives de cette production sont conservées aux Archives nationales (site de Pierrefitte), aux Archives nationales du monde du travail (ANMT) et au Service historique de la Défense (Centre historique des archives à Vincennes et Centre des archives de l’armement et du personnel civil à Châtellerault).
16Que ce soit avant ou pendant la guerre, le processus d’acquisition d’un matériel suit globalement un même circuit. Chaque phase de ce cycle voit des intervenants différents et a sa propre production documentaire. Cette présentation n’est pas exhaustive mais apporte un éclairage particulier sur chaque phase.
Définir
17La phase initiale de la vie d’un matériel est certainement la plus « politique », puisqu’y interviennent les différentes instances relevant du ministre de la Guerre puis de l’Armement (états-majors, cabinets, direction et comités de l’artillerie). Elle fait l’objet de spécifications, de rapports d’expertise, de cahiers des charges produits par des officiers experts dans leur domaine. Les constructeurs, tant publics que privés, établissent des projets et construisent des prototypes soumis aux instances de l’État. Les ressources documentaires de cette phase sont riches scientifiquement et techniquement. Les combats livrés entre les nations se déroulent aussi dans les laboratoires et les bureaux d’étude.
18La production documentaire de cette phase initiale est répartie le plus souvent dans les fonds d’archives publiques de l’administration centrale : cabinet du ministre de la Guerre (SHD/GR, 5 N, 6 N ; Arch. nat., fonds Painlevé, 313 AP), État-Major de l’Armée (SHD/GR, 7 N), ministère de la Marine (SHD/MV, DD1 et SS Z), ministère de l’Armement (SHD/GR, 10 N ; Arch. nat., fonds Albert Thomas, 94 AP ; Arch. nat., fonds Breton, 398 AP), comités et sections techniques de l’artillerie (SHD/GR, 3, 4, 6, 7 et 13 W) ou du Génie (SHD/GR, 2 V). Certains établissements sont des services d’expertise venant en appui des spécificateurs précédents, comme l’atelier de précision d’Arcueil (SHD/AA, 1 F 3), le laboratoire central de la Marine (SHD/AA, 1 I 2), la commission de la Défense nationale (archives de l’Académie des sciences, sous-série DG). Les armées elles-mêmes sont souvent sources de définition de matériels, par retour d’expérience directe du front : section technique de l’artillerie, GQG (SHD/GR, 15 N ; SHD/AI, A).
Essayer et accepter
19La phase la plus critique de la vie d’un matériel est souvent celle des essais, suivis de l’acceptation ou du refus. Les prototypes proposés par les industriels ou les arsenaux de l’État sont essayés dans les établissements spécialisés (commission d’expériences de Bourges experte en artillerie de campagne, commission d’expériences de Gâvres en artillerie navale).
20La documentation dans ce domaine est riche, grâce à la production de nombreux rapports et comptes rendus d’essais, notamment des commissions d’expériences (SHD/AA, 3 F ; SHD/GR, 9 N). Les armées interviennent également directement dans cette étape, notamment par la section technique de l’artillerie (SHD/AA, 4 H 2). Les décisions d’acquisition relèvent également des directions (SHD/GR, 9 N). Ces rapports, souvent riches, portent témoignage de l’évolution des techniques et des préoccupations issues du terrain. Ils offrent aussi des sources secondaires insoupçonnées (par exemple, des relevés météorologiques quotidiens).
Commander, fabriquer et livrer
21Grâce notamment aux productions privées et à la création de nouvelles manufactures d’État (par exemple, Roanne en 1916), la production d’armement a connu un essor sans précédent durant le conflit malgré la perte des usines du nord-est de la France. Étatique ou privée, la fabrication est toujours précédée de la commande formalisée et accompagnée des contrôles de conformité.
22Cette phase se traduit en termes documentaires par la passation de commande accompagnée de sa typologie technique (gammes, plans). Le contrôle de cette production par les agents de l’État, y compris dans les entreprises privées, s’effectue au moyen de procès-verbaux de recette ou de réception, de registres de suivi de production. Les plans se font plus précis et détaillés après 1870. Le souci de standardisation se traduit également dans les procès-verbaux de recette, où la tolérance se réduit au fur et à mesure de l’augmentation des productions, et dans les registres des inspecteurs, où apparaît la moindre unité produite.
23Les commandes sont généralement passées par l’échelon central : directions d’armes (SHD/GR, 9 N), ministères de l’Armement (SHD/GR, 13 N) et de la Marine (SHD/MV, DD4). Les commandes faites à l’étranger sont sous le contrôle du ministère des Affaires étrangères (MAE, série Guerre 1914-1918). La production étatique est réalisée par les manufactures d’armes (SHD/AA, 2 H ; SHD/GR, Xd), les ateliers de fabrication (SHD/AA, 3 H ; SHD/GR, 9 N ; SHD/GR, Xd), les poudreries (SHD/AA, 2 G ; SHD/GR, Xr), les arsenaux (SHD/AA, 2 I ; SHD/MV, DD1 et G ; SHD/échelons portuaires, série H ; Arch. nat., DD2).
24Une partie de la production relève des entreprises – seule l’aéronautique est exclusivement privée – et se déroule selon leur organisation propre, mais sous le contrôle direct de l’État via ses services, tels que la direction du Contrôle (SHD/GR, 8 N), les inspections des fabrications (SHD/GR, 9 N ; SHD/MV, DD4) ou encore l’inspection des forges (ex. : au Creusot, SHD/AA, 3 A 4). Leurs archives sont privées et certaines sociétés les ont conservées elles-mêmes (dont Renault) ou via des associations (Berliet). Certains fonds industriels sont entrés par voie extraordinaire dans les services d’archives : Batignolles-Châtillon (ANMT, 89 AQ, 168 AQ, 170 AQ), Panhard-Levassor (ANMT, 186 AQ), Nieuport (ANMT, 99 AQ), Châtillon-Commentry (ANMT, 175 AQ), compagnie des forges et artillerie de Marine et d’Homécourt (SHD/AA, 2 J 2 ; ANMT, 139 AQ). Certains services d’Archives départementales et municipales conservent également des archives privées d’entreprises. L’interaction avec les autorités civiles et militaires locales y fait alors l’objet d’une riche documentation (gestion de la main-d’œuvre, aides sociales).
25Sylvain Lebreton
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Crouzet François, « Recherches sur la production d’armements en France, 1815-1913 », Revue historique, no 509, janvier-mars 1974, p. 45-84.
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Hartcup Guy, The War of Invention ; Scientific Developments, 1914-18, Londres, Brassey’s Defence Publishers, 1988.
Kogej Jean, Économie et technologie, 1880-1945, Paris, Ellipses, 1996.
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