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Le recrutement
Michaël Bourlet et Alain Morgat
p. 47-52
Texte intégral
1Au lendemain de la guerre franco-allemande de 1870-1871, de considérables efforts financiers et matériels permettent de réorganiser l’armée. Constatant que les effectifs instruits militairement pour défendre le pays ont été insuffisants, le haut-commandement décide de réformer l’encadrement, l’équipement des unités et surtout le recrutement. Aussi, à la fin du XIXe siècle, les engagements volontaires étant trop peu nombreux pour entretenir une armée d’active et des réserves, la France opte-t-elle pour la conscription, malgré l’hostilité de la majorité des Français. À la veille de la première guerre mondiale, « le recrutement embrasse l’ensemble des mesures ayant pour but la constitution et l’entretien de l’effectif de l’armée et de ses diverses réserves1 ».
2L’adoption des premières lois de recrutement a donné lieu à de vifs débats à l’Assemblée nationale puis à la Chambre des députés. Une partie de la droite est longtemps restée hostile à un service militaire universel et obligatoire. Elle préfère une armée de métier, la croyant seule capable de maintenir l’ordre en France et estimant que les soldats de métier sont bien meilleurs dans l’offensive que les conscrits. À gauche, beaucoup réclament une réduction de la durée des services actifs et des effectifs de l’armée permanente, tout en prônant une organisation militaire de la nation pour mener une guerre défensive. Cependant, la conscription s’impose progressivement en France avec l’idée qu’en cas de guerre, l’armée active doit supporter le premier choc d’une invasion avant d’être renforcée par une armée de réserve, encadrée par des cadres de réserve. Dès le temps de paix, la conscription doit permettre à l’armée de reconstituer ses forces, de maintenir des effectifs nombreux sous les drapeaux, de disposer de réserves instruites et d’être finalement capable de s’opposer à l’armée allemande. Néanmoins, il faut plus de trente ans (de la première grande loi sur le recrutement de 1872 à la loi de 1905) pour que la République impose la conscription universelle, obligatoire et égalitaire.
3La loi fixe la durée des services militaires dans l’armée active et sa réserve ainsi que dans l’armée territoriale et sa réserve. De 1872 à 1913, les quatre grandes lois sur le recrutement se caractérisent par un allongement de la durée des services. La première est celle du service militaire pour « tous » les Français du 27 juillet 1872. Dans les faits, il s’agit de la plus inégalitaire de toutes les lois de recrutement. Le remplacement est supprimé mais le tirage au sort est maintenu. Les bons numéros font un an de service tandis que ceux qui ont tiré le mauvais numéro sont astreints à un service de cinq ans. Certaines exemptions sont maintenues, notamment pour les enseignants et les ecclésiastiques. Cependant, le principe d’un service obligatoire est adopté.
4En 1888, une étape décisive est franchie. Un civil, Charles de Freycinet, est nommé ministre de la Guerre. La même année, le général de Miribel devient chef d’État-Major général de l’Armée. Leur intention politique est de restaurer l’unité morale de l’armée après la crise boulangiste. Tous deux polytechniciens, ils souhaitent achever la modernisation de l’armée en la dotant d’un grand état-major. Ils constatent que la loi de 1872 est inadaptée. En effet, il est difficile de maintenir deux tranches (un et cinq ans de service actif) et de conserver le tirage au sort, trop inégalitaire. La longueur du temps de service est trop coûteuse pour le budget de l’État, pour des résultats mitigés : le service actif de cinq ans ne fait pas de meilleurs soldats. Freycinet et Miribel en viennent donc à la conclusion qu’il faut mettre en place un service plus court mais aussi plus égalitaire.
5La loi du 15 juillet 1889 dispose que « tout Français doit le service militaire personnel » et que « l’obligation du service est égale pour tous ». La durée des obligations militaires passe de vingt à vingt-cinq ans, mais le service dans l’armée active est réduit à trois ans. Les engagements conditionnels sont supprimés, ainsi que les dispenses dont bénéficiaient les enseignants, les élèves des grandes écoles et les séminaristes. La loi de 1889 est aussi la loi des « curés sac au dos » ! Néanmoins, le tirage au sort est maintenu. Il permet de désigner les conscrits susceptibles d’être renvoyés dans leurs foyers au bout d’une année de service, principalement pour des raisons budgétaires. De plus, la durée du service actif est limitée à un an pour les élèves des grandes écoles, les étudiants et les séminaristes. Enfin, les conscrits remplissant certaines conditions familiales peuvent bénéficier de congés. Le service militaire est devenu universel et, indiscutablement, la nouvelle loi de recrutement représente un progrès en faveur de l’égalité.
6Par la suite, pendant près de quinze ans, l’État légifère peu en matière de recrutement : seule la loi de 1892 réorganise les réserves. En 1905, malgré les oppositions venant notamment de certains généraux, le gouvernement parvient à faire inscrire dans la loi l’abandon du tirage au sort et la réduction à deux ans de la durée du service obligatoire dans l’armée active. La loi du 21 mars 1905 est celle du service égal pour tous. Plus de 80 % des jeunes hommes d’une même classe sont désormais incorporés dans les armées pour accomplir un service actif de deux ans. Seuls sont exempts les jeunes déclarés inaptes physiquement par le conseil de révision. Le service militaire devient égalitaire. Cependant, le 7 août 1913, pour compenser l’infériorité numérique de l’armée française par rapport à l’armée allemande, une nouvelle loi allonge la durée des services. Elle ne fait pas l’unanimité. Les socialistes et certains radicaux y sont hostiles. Elle est pourtant votée par la droite et une partie de la gauche et permet d’imposer un service actif de trois ans alors que les obligations militaires passent à vingt-huit ans. Ainsi, à population inférieure, la France parvient à maintenir sous les drapeaux des effectifs comparables à ceux de l’armée allemande.
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Loi de… |
1872 |
1889 |
1905 |
1913 |
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Le recensement s’effectue à |
20 ans |
20 ans |
20 ans |
19 ans |
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Le temps dans l’armée active est de |
5 ans |
3 ans |
2 ans |
3 ans |
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Le temps dans la réserve de l’active est de |
4 ans |
7 ans |
11 ans |
11 ans |
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Le temps dans l’armée territoriale est de |
5 ans |
6 ans |
6 ans |
7 ans |
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Le temps dans la réserve de la territoriale est de |
6 ans |
9 ans |
6 ans |
7 ans |
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La durée des obligations militaires est de |
20 ans |
25 ans |
25 ans |
28 ans |
7À la veille de la première guerre mondiale, plusieurs étapes jalonnent les obligations militaires de tous les Français aptes au service armé. Après le recensement et le passage devant le conseil de révision, les conscrits sont appelés pour servir dans des unités de l’armée active : cette période est souvent appelée, improprement, le service militaire. Au terme de cette période, ils retournent à la vie civile et passent dans la réserve de l’armée active. Ils sont astreints à des périodes d’instruction et, en cas de mobilisation, ils doivent rejoindre leur affectation dans une unité d’active, de réserve ou dans un dépôt. Une fois cette étape longue de plusieurs années achevée, les Français passent dans l’armée territoriale et servent au sein de régiments territoriaux en cas de mobilisation. Enfin, la réserve de l’armée territoriale clôt les obligations militaires. Chaque nouvelle loi de recrutement s’applique à tous les Français, y compris à ceux qui ont déjà entamé leurs obligations militaires sous le régime d’une autre loi. En août 1914, trois classes sont encore sous les drapeaux, en raison de la loi des trois ans de 1913. Pour combler les pertes, la classe 1914 est appelée par anticipation deux mois avant la date prévue. Par la suite, une classe est appelée chaque année de la guerre, mais avec onze mois d’avance sur la date théorique d’incorporation pour la classe 1915 et plus d’un an et demi d’avance pour les classes 1916 à 1919. Ainsi, au lieu d’avoir vingt ans au moment de leur incorporation, les recrues n’en avaient que dix-huit ou dix-neuf.
8Il a fallu du temps au pouvoir politique pour imposer un service militaire obligatoire, universel et égalitaire en France. En 1914, tous les jeunes Français déclarés aptes doivent un service militaire personnel. Cette obligation est égale pour tous et dure vingt-huit ans. En 1914, contrairement à 1870, l’armée française, forte de ses effectifs nombreux, peut couvrir les frontières dès la déclaration de la guerre, avec l’armée active. Ensuite, au cours des premières semaines du conflit, les troupes de couverture sont renforcées par les unités de réservistes. De cette manière, en août 1914, 3 600 000 Français sont mobilisés et répartis dans 72 divisions d’infanterie, parmi lesquels 1 300 000 soldats engagés au front. Dans le même temps, l’armée allemande engage près de 4 000 000 de soldats dont 1 500 000 au front. Au total, pendant la guerre, 8 700 000 Français appartenant à 32 classes différentes sont mobilisés (classes 1887 à 1919).
9Michaël Bourlet
***
Les archives
10Les archives liées au recrutement militaire de la première guerre mondiale sont largement réparties dans les différents services publics d’archives de France. L’ensemble le plus massif est indéniablement constitué par les registres matricules militaires conservés dans les séries R des services d’Archives départementales. Ce sont d’ailleurs ces collections qui ont fait l’objet de l’opération globale de numérisation et de mise en ligne la plus massive liée au conflit, puisqu’elle est déjà effective dans un grand nombre de départements et se prépare dans la plupart des autres, dans la perspective des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale et du projet de Grand Mémorial lancé par le président de la République.
11Les premiers registres matricules apparaissent en 1859, mais les séries sont continues à partir de 1867. À partir de 1905 et de la fin du tirage au sort, tout individu de sexe masculin doit se faire recenser auprès du bureau de recrutement dont relève son domicile. Il entre alors dans une classe et se voit attribuer un numéro de matricule et un dossier. Ces dossiers, regroupés en registres matricules, ont été conservés par le bureau du Service national jusqu’au cinquantième anniversaire des membres de la classe concernée, puis transférés au Service historique de la Défense (SHD) à Pau (Centre des archives du personnel militaire) avant d’être versés, au bout de quarante-deux ans, aux Archives départementales du lieu de recrutement. Les états signalétiques des services des combattants de la Grande Guerre ne se distinguent pas forcément de ceux de leurs aînés dans leur forme, si ce n’est qu’ils sont particulièrement fournis, au point d’être parfois pourvus de retombes impressionnantes de plus d’un mètre !
12Même si ces documents sont les plus emblématiques, ils ne sont pas les seuls relevant des séries R des Archives départementales à prendre en considération : il convient aussi d’étudier les listes de recrutement et de recensement cantonal, les procès-verbaux des séances du conseil de révision et les dossiers nominatifs de certaines catégories passées devant le conseil de révision, qui forment tous des collections particulières de documents.
13Il est également important de noter, d’une part, qu’il convient de ne pas limiter ses recherches aux archives du département de résidence puisqu’un individu peut se faire recenser à sa demande dans n’importe quel département, même s’il n’y séjourne que temporairement, et, d’autre part, que les limites territoriales des bureaux de recrutement ne s’inscrivent pas toujours dans celles des départements. Il convient enfin de signaler les listes de recensement militaire conservées dans les séries H (Affaires militaires) des Archives municipales.
14En ce qui concerne les officiers de l’armée de Terre, chacun d’eux possède depuis 1791 un dossier individuel. Les dossiers de carrière sont classés par ordre alphabétique ou numérique au sein de plusieurs ensembles chronologiques ou catégoriels regroupés dans la série GR, Y du SHD à Vincennes. L’armée de Terre a longtemps tenu par ailleurs des registres de contrôle de troupes. Il s’agit de documents comptables, qui permettent aux services administratifs de l’armée de vérifier la présence d’un homme au sein d’une unité. Pour la période contemporaine, ce sont de gros registres constitués d’une succession de fiches individuelles précisant l’état civil, le signalement, les états de service de chaque individu. Ils sont conservés au SHD à Vincennes, dans la sous-série GR, Yc. Ils tendent toutefois à disparaître après les années 1880 et ne sont plus tenus que pour certains corps.
15Le recensement systématique des gens de mer pour leur enrôlement au service de l’État est une pratique beaucoup plus ancienne, puisqu’elle remonte à la création du système des classes par Colbert, qui souhaitait ainsi améliorer le recrutement des équipages de la flotte royale. Comme ils ont été tenus jusqu’à la fin du système dit de l’Inscription maritime, qui disparaît au cours des années 1960, leurs collections englobent la période de la première guerre mondiale. Elles sont conservées pour l’essentiel dans la série P des antennes portuaires du SHD (Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort et Toulon), mais une partie d’entre elles ont été transférées ou déposées aux Archives départementales (Seine-Maritime, Calvados, Loire-Atlantique, Gironde et Haute-Corse en particulier). La collection de matricules des gens de mer conservés au SHD fait actuellement l’objet d’un projet de numérisation financé par le ministère de la Défense.
16En ce qui concerne les personnels militaires de carrière de la Marine, l’essentiel des informations liées à leur recrutement et au déroulement de leur carrière est à rechercher dans les séries M des antennes portuaires du SHD. Il faut toutefois accorder une place à part aux officiers, dont les dossiers individuels de carrière forment les sous-séries CC7 alpha et CC7 4e moderne des archives centrales de la Marine conservées au SHD à Vincennes.
17Alain Morgat
Bibliographie
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BIBLIOGRAPHIE
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Corvisier André (dir.), Histoire militaire de la France. De 1871 à 1940, t. III, sous la direction de Guy Pedroncini, Paris, Presses universitaires de France, 1992.
10.14375/NP.9782070346837 :Crépin Annie, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard, 2009.
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La Gorce Paul-Marie de, La République et son armée, Paris, Fayard, 1963.
Roynette Odile, « Bons pour le service ». L’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 2000.
Notes de bas de page
1 Dictionnaire militaire. Encyclopédie des sciences militaires, Berger-Levrault, 1910, p. 2397.
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