Le syndicalisme dans les transports sous Vichy
p. 225-234
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Texte intégral
1La Fédération des transports réunifiée (transports urbains, taxis, routiers notamment en région parisienne, début du transport aérien, Air France, quelques syndicats de tombeliers1, ou nettoyeurs) compte en 1938 plus de cent vingt mille adhérents, contre une quarantaine de mille pour les deux fédérations en 1935. Au sein de la Fédération réunifiée, les unitaires et confédérés se retrouvent côte à côte. Eugène Jaccoud, ex-confédéré, en devient le secrétaire général en 1935, à la suite du décès de son prédécesseur et Charles Garcias, unitaire, du syndicat des cochers-chauffeurs de Paris, entre au secrétariat fédéral2. De 1935 à 1938 la cohabitation se déroule sans trop de difficultés.
2Les décisions consécutives au Pacte germano-soviétique, la dissolution d’un nombre important de syndicats et la chasse aux militants communistes mettent en difficulté la Fédération des transports, qui ne compte plus qu’une vingtaine de milliers de cotisants à la veille de mai 1940. Le 10 juin 1940, la commission administrative de la CGT décide du repli en province des organisations confédérées. Les fédérations doivent se débrouiller pour quitter Paris3. Eugène Jaccoud entame une longue errance provinciale, au cours de laquelle il reprend contact avec Louis Laugier, secrétaire général du syndicat des tramways et autobus de Marseille, et rétablit des contacts avec divers syndicats de la zone non occupée, à Lyon, Limoges, Marseille, Carcassonne (Air France ), et Tunis. Il renoue également des contacts avec des syndicats isolés4. Le 26 août, il assiste à la réunion clandestine de militants de la zone non occupée convoquée à Sète, à laquelle participent Léon Jouhaux, Georges Buisson et Robert Bothereau5. Durant cette période, il se rend également en délégation à Vichy, notamment pour évoquer les questions de l’emploi à Air France et les problèmes de la Caisse autonome mutuelle de retraite des agents des chemins de fer d’intérêt secondaire (CAMR ), dont les affiliés n’ont pas touché leurs deux derniers trimestres6. Le 6 octobre, à Nîmes, il profite d’une réunion du comité de coordination mis en place par Vichy pour réunir les délégués régionaux (Laugier, Deilhes, Noguès et Séguy ). Lors de cette réunion, Louis Laugier est désigné pour s’occuper de la Fédération en zone non occupée.
3Sollicité par deux membres du secrétariat, Jaccoud revient le 16 octobre à Paris où la situation des transports est déplorable. L’activité du taxi est au point mort, une partie importante des véhicules a été réquisitionnée, et nombreux sont ceux qui cherchent à exercer une autre activité. Les réquisitions et les destructions d’autobus ont simultanément jeté sur le pavé des milliers de salariés de la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP). Le métro bat des records inégalés en matière d’usagers transportés, mais seules quelques centaines de bus rescapés roulent tant bien que mal dans les rues de la capitale. La commission exécutive (CE), réunie le 25 octobre, informée de la situation syndicale, prend toutes dispositions en vue de la poursuite des activités de la Fédération en zone occupée comme en zone interdite7. Les locaux de la CGT et des fédérations ayant leur siège au 213 rue Lafayette ayant été perquisitionnés et mis sous scellés, le siège provisoire de la Fédération est installé à la Bourse du travail, 3 rue du Château d’eau, dans le Xe arrondissement.
La question syndicale avant et pendant la Charte du travail
4Le 16 septembre 1940, les autorités allemandes publient l’ordonnance n° 7 rendant obligatoire une déclaration dans laquelle les signataires doivent s’engager à limiter strictement leur activité au domaine corporatif et économique, ainsi libellée : « Je prends l’engagement, par la présente, l’entière responsabilité que l’activité du syndicat X se développe exclusivement pour la défense économique et sociale des travailleurs. Toute activité politique sera exclue. » La réaction fédérale s’exprime dans une circulaire datée du 4 novembre 1940 :
« En ce qui concerne l’existence des organisations syndicales – unions départementales, fédérations et syndicats – elle reste ce qu’elle était en attendant la parution du statut syndical et du statut social que le gouvernement est en train d’élaborer et qui sera porté à votre connaissance dès qu’ils auront paru au Journal officiel […]. Aussi quelle que soit la situation actuelle, le mouvement syndical subsiste et il appartient aux syndicats de continuer à remplir leurs obligations envers les unions départementales de syndicats et la Fédération8. […]
Sans méconnaître les difficultés que vous rencontrez, nous sommes persuadés que vous ferez tous les efforts nécessaires pour assurer le fonctionnement de votre organisation syndicale dont l’existence est plus que jamais nécessaire9. »
5Trente-deux de ces déclarations sont conservées dans les archives fédérales10, sans qu’on puisse savoir si les signataires partageaient les conditions imposées et entendaient les respecter. Du moins ces archives ne laissent-elles transparaître aucune réticence au sein de la direction fédérale et révèlent-elles un anticommunisme partagé. Le 12 septembre 1941, Déaud, secrétaire de l’union départementale de Maine-et-Loire, auquel on reproche d’avoir refusé de fournir l’exemplaire de sa déclaration d’obligation à la Fédération, riposte en accusant Jaccoud de complaisance passée avec les communistes. Il déclare :
« En ce qui me concerne, je me refuse à remplir cette déclaration vis-à-vis de la Fédération, mais j’ai fait le nécessaire auprès du préfet et des autorités compétentes […]. En ce qui concerne la déclaration, je suis de ceux qui ont toujours condamné les rapports entre syndicalistes et partis politiques, et on me demande de fournir une garantie au bureau fédéral à qui je reproche d’avoir prêté la main aux communistes. »
6« Il ne faut pas poser ainsi la question, ce n’est pas moi qui demande une déclaration, mais les autorités occupantes et Déaud ne se compromettrait pas pour adresser sa déclaration au secrétaire de la Fédération », rétorque Jaccoud, qui poursuit :
« Je proteste [contre le reproche d’avoir prêté la main aux communistes], et les vieux se rappellent ma position pendant la scission. J’étais un adversaire acharné de l’unité, mais celle-ci s’est faite contre ma volonté, j’ai gardé la direction et je puis dire qu’elle est toujours restée entre les mains des confédérés. Jamais les communistes n’ont agi à leur guise et si certaines décisions ont été prises sur leur initiative, il faut s’en prendre à la CE et au comité national et non au bureau fédéral […]. Entendre dire par Déaud que j’ai prêté le flanc aux communistes, c’est trop fort et je condamne de telles affirmations car il suffit que des gens tiennent un tel langage pour nuire et compromettre certains militants11. »
7Lors de cette réunion, la discussion sur la Charte révèle des différences d’approche. Déaud soutient la Charte et demande à la Fédération de le suivre dans cette voie. Jaccoud dit ne pouvoir se prononcer, faute de savoir ce que contient la Charte et dénonce ceux qui, à Vichy, refusent de fournir les renseignements sur ce qui se prépare. Malgré quelques rares avis pour « aller de bon cœur à la Charte » (ainsi, Primault de Reims), Jaccoud tient bon :
« On voudrait que les vieux militants acceptent par anticipation une Charte dont ils ignorent tout, pour l’estampiller d’une acceptation ouvrière sans doute. Eh bien non ! Quant à moi, je considère que la Charte se substituera à la loi de 1884 et engagera l’avenir pour de nombreuses années et qu’en conséquence, en l’absence totale de texte, nous avons le devoir de rester circonspects12. »
8Le 4 octobre 1941, la Charte du travail est publiée. « Nous laissons aux lecteurs du texte de loi le soin d’en tirer eux-mêmes les conclusions et de juger la Charte conformément à leur conscience, à leurs conceptions sociales et à leurs traditions syndicales », commente Jaccoud au nom de la Fédération13. Deux attitudes s’affrontent en fait en son sein : celle entendant participer activement au système vichyste en prenant place dans les structures de la Charte et celle, faite de méfiance prudente, consistant à tenter de s’accommoder de la situation en essayant de préserver tous les contacts possibles avec les syndicats issus de la loi de 1884 et de temporiser avec les pouvoirs publics et l’administration de Vichy. La technique de l’inertie va contribuer à freiner la mise en place des structures prévues par la Charte. De fait, personne ne semble pressé de s’engager dans ce que beaucoup considèrent comme un des aspects de la collaboration. Deux facteurs politiques semblent avoir été déterminants dans cette attitude : le tournant de Stalingrad et les accords du Perreux. Cela se manifeste très clairement à partir du milieu de l’année 1943, a fortiori à la fin du premier semestre 1944.
L’activité de la Fédération et les critiques des illégaux
9Durant l’Occupation, l’activité de la Fédération apparaît très limitée en raison de son légalisme. Dès lors qu’elle a abandonné les formes tradi- tionnelles de l’action revendicative, elle se cantonne à des contacts directs ou par courrier avec les administrations de Vichy et les caisses de retraites. Elle organise parfois des délégations auprès des services publics et des directions d’entreprises de services concédés, sans que des résultats soient obtenus. Cette inertie est violemment dénoncée par ceux qui sont engagés dans l’action clandestine. En septembre 1943, Pouget signale « les attaques virulentes dont sont l’objet les militants dans des tracts répandus à profusion » et Boudet14 ajoute « que cela n’a pas échappé à la Fédération qui a déjà signalé en haut lieu, que la politique antisociale pratiquée actuellement alimente dans une certaine mesure cette propagande laquelle trouve dans le mécontentement général, un certain crédit15 […] ». Le 23 décembre 1943, une déclaration de l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne (directions illégales des syndicats du personnel du Métro – réseau souterrain et surface), renchérit :
« Faisant le point d’une année d’activité, les militants des directions illégales des deux syndicats du Métro, enregistrent avec satisfaction qu’à leur appel, des milliers d’ouvriers et d’employés de notre corporation, ont rejoint les organisations syndicales.
Par ce geste conscient, éclairé, vous avez enfin compris que nos syndicats, n’étaient pas l’apanage et la propriété que de quelques usurpateurs les Pouget, Leymarie, Picard, ou Bergeret, dont la servilité au patronat, aux pouvoirs publics et à l’occupant est connue de tous.
Ce premier geste accompli vient signifier votre ferme intention de gagner la bataille pour toutes vos revendications, et en particulier celle des salaires.
Les nombreuses actions, au cours de l’année (arrêts de travail, manifestations, dépôts de cahiers de revendications, délégations) ont permis d’obtenir quelques avantages matériels que la direction, à la hâte, nous a accordés à ces deux dernières payes16. »
10La déclaration dénonce l’insuffisance des promesses patronales, et poursuit : « Nous nous attendions bien à voir Leymarie, Pouget et consorts s’adjuger le mérite de ces résultats substantiels ; s’il en était ainsi, que ne les ont-ils pas montrés plus tôt, au lieu d’avoir laissé ravir sans réagir tous les avantages de 1936 et ceux garantis par le statut ? » Elle rappelle les revendications exigées par le congrès des délégués ex-STCRP du 2 décembre 1943 et la CE du syndicat du Métro, puis met en cause ceux qui les ont trahis :
« Se démasquant et se jugeant eux-mêmes comme saboteurs de l’action ouvrière, Pouget, Leymarie et consorts font la démonstration que les avantages obtenus sont à l’actif de ceux qui ont su mener le bon combat en opérant la mobilisation du personnel, pour ses revendications et contre l’envahisseur.
Par la résistance victorieuse contre les déportations, par les différents mouvements revendicatifs engagés sous toutes les formes (pétitions, cahiers de revendications, mouvements de grève des ateliers de Championnet, d’Ivry, de Choisy, de Fontenay, de Billancourt, de Saint-Ouen, etc.) par le regroupement au sein des syndicats et enfin par l’action constante dirigée par tracts, par nos journaux, par tout le matériel de nos directions illégales, par le changement survenu dans les conjonctures politiques présentes, qui s’observe dans le recul sérieux du fascisme, le personnel du Métro a imposé aux pouvoirs publics ces revendications.
C’est ce que la CGT reconstituée préconise chaque jour, c’est le secret de la victoire totale pour nos salaires. En avant, camarades du Métro et de l’ex- STCRP par notre union et notre action continue, nous vaincrons17. »
11La critique est encore plus nette et la fracture entre certains militants plus évidente encore lors de la commission exécutive du 7 mars 194418. La logique de la Charte éternue, lorsque les représentants ouvriers décident de ne plus siéger au Comité social national concernant les routiers, à la suite du refus patronal de revaloriser les salaires bloqués depuis 1936. Jaccoud s’en félicite et certains membres de la CE proposent même que les délégués ouvriers ne participent plus à aucun organisme de la famille des Transports. Déaud, fidèle à son orientation collaborationniste, pense « qu’il ne faut pas étendre cette décision à tous les organismes de la famille ». Boudet partage cet avis et explique « que c’est pour ça qu’il n’a pas jugé utile d’en informer les syndicats19 ».
12À Lyon et à Roanne, les syndicats agissent contre la Charte parce qu’ils sont en désaccord avec elle et un débat s’engage à ce propos. Jaccoud constate : « On fait le travail dans le Comité social national et l’on peut croire que l’intention est de laisser mourir la Fédération. Devant de tels faits certains camarades peuvent évoquer qu’on ne tient pas compte des réserves formulées dans notre résolution et réclamer un nouvel examen de la question. » Cazal estime qu’il faut reconsidérer la question de la Charte en réunissant un congrès ou, à défaut, un comité national. « La question est grave, dit-il, la Charte étant un syndicalisme imposé qui rencontre l’hostilité des travailleurs20. » Mais ceux qui s’engagent ainsi dans un parasitage de la Charte sont ceux-là mêmes qui freinent la réunification syndicale prévue dans les accords du Perreux.
L’impossible réunification syndicale
13Une lettre émanant de la direction illégale de la Fédération des moyens de transports21 relate les péripéties de sa tentative de rapprochement avec la fédération légale entre juillet 1943 et avril 1944. Elle évoque plusieurs courriers et de multiples tentatives infructueuses de rencontres. Laroche (Jean Thomasson ) et Roland ont été désignés en juillet 1943 pour prendre contact avec un dirigeant fédéral légal désigné comme résistant par un représentant du bureau confédéral22, mais les contacts peinent à se nouer. Vacances, maladie, obstacles de toute sorte empêchent les rendez-vous convenus, obligeant Laroche à un long courrier circonstancié qui regrette ces atermoiements et se conclut en ces termes : « Dans l’espoir mon cher camarade, que tu seras d’accord avec moi pour reconnaître que le bureau confédéral a raison de s’étonner que l’unité ne soit pas encore réalisée dans notre fédération et comptant sur un rendez-vous cette semaine, je te serre cordialement la main. » Faute de réponse, il demande à Roland d’effectuer une nouvelle démarche. Une entrevue prévue pour le 4 avril 1944 ne peut, une nouvelle fois, se concrétiser. X finit par accepter une rencontre le vendredi suivant, à 12 heures. Laroche note :
« Pour la première fois depuis juillet 1943, j’ai pu avoir enfin une entrevue avec X (huit mois après nos premières démarches). Je dois dire que cette entrevue fut des plus cordiales, et que le camarade X m’apparut plein de bonnes intentions, c’est ce qui nous permit, après avoir fait un tour d’horizon parmi les syndicats parisiens et de province, de tomber d’accord pour tenir une réunion commune le vendredi 14 avril où il viendrait avec son collègue C. »
14Laroche n’a pas le loisir de se réjouir longtemps, car le matin même du vendredi 14 avril, Roland reçoit de X la lettre suivante :
« Je viens de prendre connaissance du bulletin officiel de l’union départementale de la région parisienne n° 8 de mars 1944 qui me fait confirmer le caractère politique donné au mouvement et à l’activité de la CGT illégale au nom de laquelle est édité ce bulletin. Désirant, en toutes circonstances conserver à notre mouvement syndical sa complète indépendance, je crois devoir t’indiquer que je ne saurais poursuivre plus loin la conversation engagée l’autre jour. »
15Laroche déplore l’attitude assez surprenante de X, qui se targue d’être résistant :
« X est en liaison avec [un représentant du bureau confédéral], peut-être celui-ci pourrait-il lui faire comprendre que la CGT illégale est une des principales organisations de la Résistance, qu’avec toutes ces organisations politiques ou confessionnelles, elle constitue ce puissant mouvement de résistance aux envahisseurs et qu’elle adhère au CFLN au sein duquel elle a ses représentants officiels. »
16Et de poursuivre :
« Dans la région parisienne nous avons, en juin 1943, adressé des propositions d’unité aux syndicats suivants : syndicat du personnel de la STCRP (Leymarie ), du Métro (Pouget ), des contrôleurs de la STCRP (Gionta ), du personnel catégorie A de la STCRP (Delhomme ), du personnel administratif du Métropolitain (Boucher ), syndicat des camionneurs de la Seine (Huguet ), syndicat des cochers-chauffeurs de Paris (Viteaux [sic]). Tous ces syndicats sauf un23, ayant des directions collaboratrices ne nous ont pas répondu ou bien nous ont attaqué avec violence tels que ceux du Métro et de la STCRP. Nous avons donc créé des directions illégales composées d’ex-unitaires et d’ex-confédérés et avons déclenché de nombreuses actions au Métro et à la STCRP. Ces discussions clandestines, n’apparaissent pas dans les comptes rendus écrits de la CE, et pour cause24. »
17L’activité clandestine, de fait, se développe dès 1941 comme cela ressort des attestations rédigées par Jean Thomasson pour de nombreux militants25. Dès février 1941, Robert Bardet est chargé des distributions de tracts dans les ateliers, la rue, le métro ainsi que des jets de tracts depuis le métro aérien. En mars 1941, Georges Duez organise un comité populaire à l’atelier central de Championnet et rédige, édite et diffuse des tracts et journaux clandestins. L’aide aux prisonniers est organisée. Progressivement, des organisations s’implantent dans divers dépôts et ateliers et des groupes FTP sont créés, qui effectuent des sabotages sur les voies ferrées et dans les sous-stations. Une fabrique d’armes, mise en place en 1943 dans le métro, produit balles, bombes, engins antichars, grenades, crève pneus, etc.26. À l’atelier central, des sabotages sont organisés. Une bombe est ainsi placée sous une aléseuse spéciale de lignes d’arbres pour les moteurs de chars tigre et panzers. La machine est immobilisée pour quinze jours.
18Avec la défaite allemande à Stalingrad, l’état d’esprit se modifie. Le 3 février 1943, à Championnet, un os énorme est déposé sur le bureau du responsable de la Reischsbahn avec un billet indiquant « Stalingrad – il est dur à digérer ». Quelques jours plus tard, des panneaux de tôle d’un mètre sur un portant l’inscription « Vive l’Armée rouge ! » sont hissés au plafond à l’aide de poulies27. Au Métro et à la STCRP, l’action prend de l’envergure. À l’atelier central, des sabotages effectués sur des moteurs et à la chaudronnerie entraînent l’arrêt répété des chaînes de fabrication. Une manifestation est organisée pour commémorer la mort de Danielle Casanova, sous l’égide du Front national … Dans le métro, les coupures de courant par retrait des barrettes ou coupure des boyaux de raccord de frein provoquent des ruptures de trafic, etc. Pendant cette période, ceux des militants illégaux qui prennent leur place dans les syndicats légaux et les adhérents parviennent parfois à chasser des directions syndicales les militants jugés collaborationnistes, tel Bergeret à Championnet.
19La séance du 13 juin 1944 de la CE fédérale révèle l’existence de désaccords qui n’exclut pas un légalisme toujours partagé. Les représentants routiers de l’organisation de Vichy, sous l’impulsion de Boudet, vichyste convaincu, décident de participer de nouveau aux travaux du Comité social national bien que les problèmes de salaires n’aient pas été réglés. Cazal leur demande des comptes, approuvé en cela par Jaccoud28.
Épuration syndicale et reconstitution de la Fédération
20La CE en date du 16 novembre 1944 voit le retour des ex-unitaires, et l’implication de militants qui se sont illustrés dans la Résistance, tels Charles Garcias revenu d’Algérie où il avait été déporté. Paris s’est libéré, les militants des transports y ont pris une part active, les illégaux sont sortis de l’ombre. Les contacts ont donc abouti hors du cadre formel des réunions de la direction fédérale et sous la pression des événements et de l’activité des militants illégaux et légaux ayant reconstitué l’unité syndicale dans l’orientation définie par les accords du Perreux. De l’ancienne équipe, il reste Jaccoud, toujours secrétaire général, Molard, Viteau et Camus.
21Quelques jours après cette réunion, Jaccoud adresse à la Commission nationale de reconstitution des organisations syndicales la liste des dirigeants de la Fédération déchus de leurs mandats syndicaux en raison de leur attitude en faveur de la Charte du travail, de leur activité pour en hâter l’application et, plus généralement, de leur position collaborationniste. Laugier, Leymarie, Bergeret, Dechartre, Pouget, Primault figurent sur la liste. Déaud est passé pour sa part devant la Commission d’épuration en qualité de secrétaire de l’union départementale de Maine-et-Loire et de vice-président du Comité ouvrier de secours immédiat.
22La nouvelle direction fédérale (Jaccoud, Garcias, Thomasson, Molard, Dujoncquoy, Viteau, Violet, Bardet, Allyn, Carrié, Camus, Lamy, Viard, Saint-Genest, Bosredon29), réunie le 16 novembre 1944, entame ses débats par les questions des salaires et des retraites. Elle pose aussi un certain nombre de questions sur les structures à venir de la CGT30. Celles des 16 février, 6 avril, 20 juin et 2 octobre 1945, qui préparent des élections régionales de délégués et le congrès fédéral de Montreuil, qui se réunit du 28 au 30 novembre 1945, procède à un renouvellement très important de la direction fédérale : Charles Garcias remplace Eugène Jaccoud au poste de secrétaire général31. Le comité national fédéral comprend alors des délégués régionaux. Y figurent encore Dedieu et Molard, ex-confédérés. Jaccoud, malade, décède en 1947. En 1948, il ne reste pratiquement que les ex-unitaires à la direction fédérale ou de nouveaux militants issus de la Résistance et Marcel Dedieu, ancien secrétaire général du syndicat de la Compagnie des omnibus et tramways de Lyon, qui devient secrétaire fédéral et membre de la commission administrative de la CGT.
Notes de bas de page
1 Conducteurs de tombereaux à traction hippomobile.
2 Il est élu secrétaire général adjoint lors du congrès de Nantes en 1938.
3 Selon Eugène Jaccoud (Archives de la Fédération nationale des syndicats de transports CGT [Arch. de la FNST CGT], sans cote, Bulletin fédéral imprimé, juillet 1941, comptes rendus des réunions de 1940 et du premier semestre 1941, procès-verbal analytique de la CE du 25 octobre 1940) : « Nous devions alors nous replier sur Poitiers et des camions avaient été prévus pour emmener les archives, mais certaines fédérations ayant pris l’initiative de leurs propres déménagements, il nous fut donné la liberté de gagner la province par nos propres moyens. J’ai décidé d’aller à Nantes rejoindre Molard [Tramways de Roubaix, secrétaire fédéral]. Les archives étaient prêtes, mais le mardi 11, malgré le concours de Viteau, [Taxis parisiens ] il me fut impossible de trouver un taxi ou une voiture. J’ai quitté Camus [Métropolitain ] le mardi soir et le mercredi 12, il n’y avait plus de train pour Nantes, sauf à la gare de l’Est, où, après une nuit passée dans la gare, j’ai pu avoir, le jeudi 13, un train. Après cinq jours et six nuits dans ce train, j’ai échoué à Clermont-Ferrand. De là je me suis rendu chez un ami au Pic par Saint-Jean-des-Ollières. Pendant un mois je fus bloqué dans ce pays, sans nouvelles et sans moyen de communication. » Nous savons pourquoi, désormais, une partie des archives fédérales fut saisie par les autorités d’occupation, transportée en Allemagne et récupérée par l’Armée rouge qui l’emporta en Union soviétique, d’où elles ont été récemment rapatriées et remises à disposition de la CGT.
4 Il n’avait, selon ses dires, aucun moyen de reprendre contact avec les syndicats et militants de la zone occupée.
5 Arch. de la FNST CGT, sans cote, Bulletin fédéral, juillet 1941, comptes rendus des réunions de 1940 et du premier semestre 1941.
6 Ibid.
7 Idem, compte rendu de la CE du 25 octobre 1940.
8 Idem, circulaire du 4 novembre 1940.
9 Au cours de l’année 1941, de nouveaux syndicats (Taxis de Bordeaux, de Lille, Tramways de Bourges, Tramways de Rouen, Brest, Lorient …) reprennent contact avec la Fédération.
10 Arch. de la FNST CGT, sans cote, originaux.
11 Arch. de la FNST CGT, sans cote, compte rendu ronéoté de la réunion fédérale d’information du 12 décembre 1941.
12 Ibidem.
13 Archives FNST CGT, sans cote, compte rendu imprimé des réunions de la CE fédérale de février 1942.
14 À la Libération, Pouget et Boudet seront sanctionnés par la Commission nationale de reconstitution des organisations syndicales.
15 Arch. de la FNST CGT, sans cote, compte rendu manuscrit de la réunion de la CE du 14 septembre 1943.
16 Arch. de la FNST CGT, sans cote, déclaration sous forme de tract ronéoté du 23 décembre 1943.
17 Arch. de la FNST CGT, sans cote, tract ronéoté du 23 décembre 1943.
18 Arch. de la FNST CGT, sans cote, compte rendu de la CE du 7 mars 1944.
19 Ibid.
20 Ibid. La position de Lyon et de Roanne contre la Charte illustre la position de Cazal.
21 La fédération illégale a vraisemblablement été créée au cours du premier semestre 1943.
22 L’identité du dirigeant de la Fédération légale n’est pas mentionnée. X suffit à le désigner.
23 Vraisemblablement celui des cochers-chauffeurs.
24 Arch. de la FNST CGT, sans cote, lettre de six pages tapées à la machine, adressée au bureau confédéral de la CGT le 17 avril 1944, rédigée par la direction illégale de la Fédération des moyens de transports et signée Laroche (pseudonyme de Jean Thomasson), Roland et Yvon.
25 Arch. de la FNST CGT, sans cote, attestations d’activité pendant la Résistance rédigées par Jean Thomasson pour la reconnaissance des services rendus.
26 Arch. de la FNST CGT, sans cote, note sur l’activité clandestine au Métropolitain et à la STCRP, comptes rendus dactylographiés d’activité de l’inter-branche n° 5 de juin et juillet 1944.
27 Cet épisode, relaté par René Thoirain dans Nicolas Duffour, Croire en l’homme (Paris, Comité de la régie d’entreprise de la RATP, coll. « Ma Résistance », s. d., 123 p.), est repris à l’époque par la radio de Londres.
28 Arch. de la FNST CGT, sans cote, compte rendu de la CE fédérale du 13 juin 1944.
29 René Thoirain rejoint quelque temps plus tard la direction fédérale. Arch. de la FNST CGT, sans cote, registre cartonné des procès-verbaux de réunions des CE fédérales (septembre 1943-octobre 1945).
30 Ibid.
31 Arch. de la FNST CGT, sans cote, Bulletin fédéral, compte rendu du congrès de Montreuil de la Fédération nationale des moyens de transports (28-30 novembre 1945).
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