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À quoi sert aujourd'hui la psychologie sociale ?

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Gérard Guingouain
, 
François Le Poultier

Avant-propos sur la psychologie sociale et ses applications

Gérard Guingouain et François Le Poultier

Texte intégral

1Avant la fin du XXème siècle, la psychologie sociale sera centenaire. Les psychologues sociaux s’accordent en effet à situer historiquement l’émergence de leur discipline à la fin du siècle dernier. En 1897, fût publiée la première expérimentation en psychologie sociale réalisée par Triplett sur les effets de la compétition sur une performance individuelle ou encore, en 1898, parût l’ouvrage de Tarde intitulé “Etudes de Psychologie Sociale”. A l’échelle du temps et en comparaison d’autres disciplines, la psychologie sociale est donc relativement jeune. Pourtant, en un peu moins d’un siècle, cette branche de la psychologie a acquis un statut de discipline scientifique objectivement incontestable. Elle donne matière à un enseignement universitaire jusqu’au plus haut niveau. Elle fait l’objet de recherches fondamentales assurées, en France, par une trentaine de laboratoires dont la production est largement reconnue. Enfin, elle donne lieu à des applications dans les domaines les plus divers de l’activité humaine et sociale. Elle est ainsi en prise sur les grandes questions ou les grands problèmes qui agitent la société contemporaine. En bref, le bilan de plusieurs décennies de travaux et les perspectives à l’aube du XXIème sont plutôt positifs. Pourtant, il semble, au moins pour la psychologie sociale francophone et peut-être encore plus précisément pour la psychologie sociale française, que le domaine des applications soit un réel point faible. Quelques faits amènent effectivement à le penser.

2Dans un des bulletins de l’Association pour la Diffusion de la Recherche Internationale en Psychologie Sociale (ADRIPS), figurent les résultats d’une étude portant sur les débouchés professionnels offerts aux étudiants en psychologie sociale. L’interrogation du fichier des annonces de l’Association pour l’Emploi des Cadres (APEC) a montré que, sur les 33000 offres d’emploi couvrant une période d’un an et demi, 78 offres comportaient l’un ou l’autre des termes suivants : psychologie sociale, psychosociologie, psychologue social ou psychosociologue. Le fait se passe de longs commentaires. Autre exemple, en octobre 1993, s’est tenue une journée de l’Association des Enseignants de Psychologie des Universités (AEPU). Elle portait sur le thème de la visibilité sociale de la recherche en psychologie. Y furent naturellement abordés les problèmes liés à la vulgarisation. Lors de cette journée, la rédactrice de la revue Psychologie, dont l’objet est d’ouvrir les contenus de la psychologie à un public assez large, a signalé que des chercheurs prennent parfois des pseudonymes pour rédiger un article afin d’éviter d’être déconsidérés aux yeux de leurs collègues. Par ailleurs, nous avons assisté ou participé à nombre de journées d’études qui ont tenté de réunir des chercheurs et des utilisateurs de la psychologie sociale. Nous en avons nous mêmes organisé plusieurs dont un forum qui a fourni une grande partie de la matière de cet ouvrage. A chaque fois, nous avons constaté l’existence d’un décalage important entre les préoccupations des uns et des autres. Certes, il s’agit d’un lieu commun mais force est d’admettre qu’un fossé, pour ne pas dire un abîme, sépare souvent le domaine de la recherche fondamentale et celui des applications quotidiennes. Enfin, il semble que des secteurs d’activité dont les fondements théoriques et méthodologiques sont issus de la psychologie sociale lui échappent de plus en plus. La gestion des ressources humaines est sans doute l’exemple le plus significatif. Un ancien universitaire membre du directoire d’un groupe européen confiait, lors d’un débat, que les psychologues sont peu nombreux dans les fonctions de direction des ressources humaines et que, lorsqu’il y en a, il est difficile de les identifier dans la mesure où ils ne font pas état de leur formation antérieure de psychologue. Des milieux professionnels qui ont à traiter des problèmes qui relèvent incontestablement du champ de compétences des psychologues sociaux ne font pas appel à eux. Sans doute, le tableau des applications de la psychologie sociale est-il un peu noirci. Des collaborations réussies entre chercheurs et professionnels existent et cet ouvrage en rapporte plusieurs mais précisément leur caractère exemplaire souligne leur statut d’exceptions à la règle.

3Trois grandes raisons peuvent être avancées pour expliquer cette faiblesse de la psychologie sociale appliquée au sein d’une discipline pourtant globalement florissante. D’abord, la psychologie sociale est, comme beaucoup d’autres disciplines scientifiques, confrontée à un problème de supports lorsqu’il s’agit de rendre visibles ou accessibles les résultats de recherches qui pourraient donner matière à des transferts de technologies ou à des applications professionnelles. En fait, les supports ne manquent pas mais il semble que le choix en la matière se limite soit à publier dans une revue scientifique avec un taux de pénétration dans les milieux professionnels quasi insignifiant, soit à publier ou à intervenir dans des supports de plus grande diffusion mais en acceptant des contraintes qui dénaturent le contenu, caricaturent les faits ou schématisent les problèmes. “Nous avons l’obligation d’intéresser nos lecteurs, pas seulement de dire la vérité” disait un journaliste lors de la journée de l’Association des Enseignants de Psychologie des Universités évoquée plus haut. La logique de la science et celle de l’audience sont parfois difficilement conciliables.

4Une seconde raison majeure est liée à la non reconnaissance et à la non valorisation académiques de la recherche appliquée en France. La recherche en psychologie sociale s’effectue en quasi totalité dans des laboratoires dépendant des universités. Elles sont réalisées par des enseignants-chercheurs dont la promotion et l’avancement dépendent pour une bonne partie de la quantité et de la qualité des travaux de recherche produits. Or, il faut l’admettre, le poids des activités de recherches appliquées en psychologie sociale est sinon extrêmement faible en tous cas sans commune mesure avec l’importance accordée, dans l’évaluation des enseignants-chercheurs, à des productions issues de la recherche fondamentale. Un exemple parmi d’autres, avoir passé plusieurs années à réaliser un contrat de recherche avec un organisme public ou privé et avoir rédigé un série de rapports largement diffusés dans les milieux professionnels ne pèsent quasiment rien dans la carrière de son auteur par rapport à une publication en anglais dans une revue prestigieuse lue par quelques centaines de lecteurs français.

5Une troisième raison est d’un tout autre ordre. Les objets qui constituent le domaine de la psychologie sociale donnent matière à la production de connaissances immédiates. Chacun est ainsi fondé à dire quelque chose sur les relations humaines, les groupes ou les organisations parce qu’il en a quotidiennement l’expérience immédiate. Ainsi, des questions ou des problèmes qui relèvent de compétences psychosociales sont traités par des savoirs communs. Celles-ci sont portées par des personnes habitées par un tel sentiment d’évidence qu’elles en sont inaccessibles à tout raisonnement et imperméables à toute critique. Le phénomène n’est évidemment pas spécifique à la psychologie sociale mais il y est particulièrement pesant dans le mesure où ces connaissances du sens commun sont endossées et revendiquées à tous les niveaux de responsabilité dans l’organisation sociale. Ainsi, il y a quelques années le Président-directeur général d’une grande société multinationale expliquait devant un parterre de journalistes qu’il lui suffisait d’une seule question pour évaluer la personnalité de ses plus proches collaborateurs. Il s’agissait simplement de savoir s’il prenait une douche ou un bain le matin en se levant. Les “bons cadres”, expliquait-il, sont ceux qui prennent un bain parce qu’ils se donnent ainsi le temps d’être créatif, ce qui n’est pas le cas des autres intellectuellement figés par la douche. En fonction d’une autre théorie tout aussi commune, l’inverse est doté du même statut d’évidence : que dire d’un cadre qui commence sa journée en s’amollissant dans sa baignoire par rapport à un autre apte à affronter dès le matin la rigueur des éléments ? L’ennui dans cette affaire est que cette croyance prototypique des savoirs du sens commun est portée par le responsable d’une des plus grandes entreprises françaises et qu’elle a été soutenue un peu plus tard et publiquement par un ministre de la communication. Alors, il devient aisé de comprendre pourquoi la psychologie sociale à quelques difficultés à s’implanter dans des domaines d’activités où règne le recours au bon sens et s’impose le sentiment d’évidence. Comment est-il possible de faire valoir une démarche d’esprit scientifique nécessairement plus longue et plus coûteuse pour régler un problème de communication, comprendre un phénomène organisationnel ou construire un dispositif d’évaluation dans des contextes professionnels où les décideurs sont persuadés que tout cela est soluble sur un coin de table en réfléchissant deux minutes et en s’armant de bonne volonté ? Reconnaissons-le toute de suite la tâche n’est pas simple.

6Le propos de cet ouvrage collectif et plus généralement de la collection dans laquelle il s’inscrit a pourtant cette ambition : convaincre de l’utilité de la psychologie sociale dans différents secteurs en montrant que ses apports ne se limitent pas à octroyer un supplément d’âme ou un éventuel “plus” culturel à des professionnels mais peuvent aider efficacement à la compréhension de phénomènes psychosociaux et à la conception de dispositifs impliquant des personnes, des groupes ou des organisations.

7Avant d’introduire cet ouvrage en présentant brièvement les différentes contributions, il est sans doute intéressant de mentionner qu’il est dans son ensemble marqué par quelques unes des grandes lignes de force ou caractéristiques de la psychologie sociale contemporaine au premier rang desquelles il faut citer la prédominance d’un esprit scientifique. Adopter une telle perspective en psychologie sociale ne se réduit pas à l’énoncé d’une position de principe ou à l’exposé d’une affiliation méthodologique. Elle revient à mettre en oeuvre quelques règles de bases qui ont été rappelées par Monteil et Fayol dans l’avant-propos d’un ouvrage sur la psychologie scientifique et ses applications. Toutes les contributions à cet ouvrage collectif ont en commun de “recourir à des méthodes rigoureuses de recueil de données et d’administration de la preuve” et “d’articuler des modèles théoriques et des faits empiriques” (1989, p. 9).

8Un autre trait de la psychologie sociale actuelle se retrouve dans cet ouvrage. Il est relatif au niveau ou plus exactement au type de compétences impliquées dans le traitement des questions ou des objets qui fournissent la matière des différentes contributions. Les termes d’expertise et d’ingénieur ou d’ingénierie sont utilisés à plusieurs reprises par différents auteurs. Les appellations ne sont pas abusives. En effet, si le traitement d’un problème humain ou social implique de puiser dans une culture scientifique psychosociale suffisamment large et solide, de concevoir ensuite un processus complexe impliquant le recours à plusieurs techniques puis d’en assurer la régulation et l’évaluation finale, le terme d’ingéniérie est loin d’être usurpé. Quant à l’activité d’expertise, est-il besoin de rappeler que la plupart des modèles statistiques et notamment les analyses factorielles ont été développés, sur le plan des applications, dans le domaine de la psychologie et que très probablement les meilleurs méthodologues se rencontrent chez les psychologues ? Les psychologues sociaux ont des savoirs qui leur conférent des “utilités d’ingénieur” pour reprendre l’expression de Ghiglione et Beauvois (1989), la plus grande difficulté étant sans doute de les faire reconnaître.

9Un autre aspect singulier de la psychologie sociale traverse l’ensemble des contributions à cet ouvrage. Il s’agit d’une large amplitude théorique que Doise et Monteil (1988) ont appelé “éclectisme éclairé”. Au risque d’être accusé de verser dans un exposé pro domo, nous dirions volontiers que la psychologie sociale est la branche la plus ouverte de la psychologie ou la moins sectaire. Elle est plus ouverte à ses propres contributions. Elle est plus ouverte aussi à l’apport des autres disciplines. Certes, les chapelles existent et l’ostracisme y fonctionne comme ailleurs mais probablement de manière moins exclusive et moins dogmatique. La raison ne tient pas à la valeur des hommes qui portent la discipline. Ils ne sont sans doute ni meilleurs ni pires que les autres. La différence provient de la matière elle-même où il s’impose à l’évidence scientifique qu’une théorie est à elle seule dans l’incapacité de rendre compte de l’intégralité d’un phénomène psychosocial saisi dans sa quotidienneté. Cette relativité des théories est un des fondements même de la discipline et impose nécessairement cette disposition intellectuelle particulière, sans doute ce regard psychosocial qu’évoque Moscovici (1984, p. 8). Mais que le lecteur ne se méprenne pas. Il ne s’agit pas d’une vision sommaire ou d’une attitude dilettante d’un psychologue qui, confronté à l’ampleur et à la complexité des phénomènes, en resterait à la surface. Il suffit de demander aux psychologues sociaux qui, travaillant sur l’évaluation des personnes ou le jugement social, ont du intégrer les développements récents des travaux sur la mémoire. Ils n’ont pas fait comme de la Garanderie et ses disciples qui, pour étayer leurs idées sur la gestion mentale, empruntent leurs arguments théoriques aux philosophes du XIXème siècle et négligent sans vergogne les milliers de travaux et publications scientifiques qui sont parus depuis sur le sujet et qui en démontrent pourtant le caractère totalement infondé (voir Lieury, 1990). Cette ouverture de la psychologie sociale à des théories diverses et néanmoins approfondies nous semble aussi pouvoir caractériser globalement cet ouvrage sur les applications. Même si une majorité de contributions relève plus ou moins directement de la psychologie sociale cognitive, il n’y a pas une ligne théorique unique ou un paradigme dominant qui organise l’ensemble des contributions. Les théories mobilisées sont celles qui ont semblé aux auteurs les plus appropriées pour comprendre les fonctionnements psychosociaux étudiés. Ainsi, il n’y a rien d’incohérent à voir cohabiter dans une même bibliographie Lreud dont nous avons oublié qu’il était aussi un théoricien du groupe avec les cognitivistes les plus radicaux.

10Dans cette présentation, il convient de préciser aussi que ce volume fait suite à un forum chercheurs-praticiens-décideurs qui s’est tenu en septembre 1992 à Rennes sur le thème des applications de la psychologie sociale aujourd’hui. Mais il ne s’agit pas des actes de cette manifestation dans lesquelles les exposés auraient été retranscrits. Chacun des onze chapitres qui constituent cet ouvrage est une manière de répondre à la question posée dans le titre : A quoi sert aujourd’hui la psychologie sociale ? Les réponses sont évidemment de nature différente. Globalement, elles pourraient être classées en deux catégories. La moitié des contributions donne essentiellement un éclairage théorique ou méthodologique sur un processus ou sur un phénomène psychosocial et fournit des exemples expérimentaux qui supportent la théorie ou l’orientation méthodologique proposée mais qui invitent aussi à réfléchir sur les applications dans un ou divers champs de pratiques professionnels. En bref, y prédomine une volonté d’informer les pratiques par les théories psychosociales dans ce qu’elles peuvent avoir de plus récents et de plus heuristiques. L’autre moitié des contributions sont davantage contruites à partir de la restitution d’une expérience, d’une étude, d’un programme de recherches ou d’interventions demandées par une organisation : entreprises, pouvoirs publics, collectivités locales, etc. Mais, comme indiqué plus haut, le traitement de la demande est argumenté théoriquement et méthodologiquement. Nous aurions pu faire le choix éditorial de construire ce volume en deux parties, l’une et l’autre correspondant à chacune des deux catégories. Mais cette disposition ne nous a pas semblé la plus opportune dans la mesure où elle aurait contribué, implicitement peut-être, à maintenir ou renforcer cet écart que nous déplorions entre la recherche à tendance fondamentale et les applications de la psychologie sociale. Les contributions à ce volume ont donc été présentées autrement. Elles suivent une progression allant schématiquement des fonctionnements psychosociaux intra-individuels à des fonctionnements psychosociaux organisationnels. Elles ont été ainsi regroupées dans quatre parties.

11Dans la première sous l’intitulé “stratégies d’influence et changements individuels”, figurent deux contributions. La première, celle de Joule, rend compte des applications de la théorie de l’engagement dans trois cas : celui de la réinsertion professionnelle de chômeurs, celui d’un programme d’économie d’énergie et celui d’une action de prévention du SIDA. Les résultats sont probants dans la mesure où il montre qu’une stratégie de changement fondée sur l’engagement des personnes dans un comportement est dans tous les cas plus efficace que les stratégies classiques fondées par exemple sur la persuasion. La seconde contribution, celle de Mugny et Pérez, propose un modèle permettant d’analyser de manière systématique toutes les formes de conflit opposant le point de vue d’une personne à celui des autres. Cette contribution est un exemple significatif de la manière dont les théories psychosociales peuvent éclairer la pratique. Là où le sens commun pense volontiers que tous les conflits entre personnes se ressemblent et obéissent aux mêmes règles de fonctionnement, les psychologues sociaux montrent qu’au contraire les conflits peuvent relever de logiques fort différentes et conduire ou ne pas conduire selon les cas aux effets de changement espérés. Delà à imaginer une véritable technologie d’utilisation des propriétés du conflit, il n’y a qu’un pas que le lecteur est d’ailleurs invité à franchir, les auteurs donnant trois exemples à propos du tabagisme, de la xénophobie et du racisme.

12La seconde partie de l’ouvrage rassemble trois contributions sous le thème “analyse de l’activité humaine et aide à la décision”. Celle de Monteil relate une expérience menée dans une entreprise de production industrielle confrontée à un problème de défaut de fabrication imputable à un facteur humain apparemment paradoxal : les opérateurs les plus expérimentés produisent plus d’erreurs que les débutants. Une analyse approfondie de l’activité humaine en jeu dans la situation étayée par un solide traitement expérimental permet d’identifier clairement les raisons “théoriques” de cette défaillance qu’une observation sommaire aurait pu attribuer à une baisse de motivation ou au dilettantisme des opérateurs. Elle fournit aussi des éléments concrets de remédiation. La contribution de Pithon et Samatan trouve sa principale justification dans une nécessité : celle de promouvoir ou développer l’activité évaluative notamment dans le domaine de la formation et de l’éducation. Les développements techniques de l’informatique ont permis un changement d’échelle dans la manière de traiter, par exemple, l’évaluation en temps quasi réel des acquis des personnes suivant une formation. Les deux auteurs ont formalisé leur démarche dans un logiciel à usages multiples dont les principales applications sont présentées et illustrées. Le texte de Roques et Gelpe est aussi afférent à l’activité humaine ou plus exactement aux activités humaines. Il repose en effet sur la théorie du système des activités dont l’objet est de formaliser les interdépendances qui existent chez une personne entre les sphères : professionnelle, sociale et personnelle. L’intérêt de cette théorie est montré à propos d’une série de travaux qui ont impliqué des populations bénéficiaires du Revenu minimum d’insertion et des demandeurs d’emploi. Cette contribution est un apport à la compréhension de situations psychosocialement problématiques et rien n’exclut qu’au delà ne puissent être envisagées d’autres manières de les traiter en fonction précisément de l’interdépendance des domaines de vie des personnes concernées.

13Avec la troisième partie du volume, le lecteur entre dans le domaine des croyances et des effets de celles-ci sur les jugements que les personnes portent sur les autres ou sur elles-mêmes. Dans sa contribution, Meyer montre que, si les personnes ont évidemment des théories implicites concernant les états mentaux et les compétences intellectuelles de l’être humain, elles en attribuent également aux machines avec lesquelles, le progrès aidant, elles sont de plus en plus souvent amenées à dialoguer. Convaincues de la supériorité de l’homme par rapport à la machine, il suffit que les personnes croient avoir à faire à une machine pour que le traitement de l’information qui leur parvient en soit affecté. Delhomme traite une composante essentielle d’un vaste et épineux problème : celui du facteur humain dans les accidents routiers. L’auteur s’intéresse plus particulièrement à une croyance qui se traduit chez certains conducteurs par une surestimation de leurs compétences en matière de conduite automobile. Cette supériorité que s’attribuent certains conducteurs est analysée sur le plan théorique notamment en relation avec le processus de comparaison sociale puis elle donne matière à une série d’expériences dans une tâche de simulation de conduite automobile. La contribution de Gosselin et Guingouain achève cette troisième partie en proposant les résultats d’une étude expérimentale portant sur la jugeabilité. Il s’agit d’une sorte de “disposition mentale acquise” qui conduit une personne, juge ou évaluateur, à penser qu’elle détient suffisamment d’informations sur une autre personne pour pouvoir la juger ou l’évaluer. Cet apport renvoie aussi à des questions plus larges dont les implications professionnelles sont évidentes : pourquoi, dans le domaine de l’évaluation d’autrui, les personnes se contentent-elles souvent de très peu d’informations et pourquoi ont-elles cette tendance assez affirmée à se croire volontiers fort expertes en la matière ? Un professionnel du recrutement expliquait, dans une revue spécialisée sur la recherche d’emploi, qu’il lui suffisait de quelques secondes pour accéder à la personnalité d’un candidat à un poste : sa manière de serrer la main, la couleur de sa cravate, le débit de la voix...

14La quatrième et dernière partie de l’ouvrage rassemble trois contributions qui impliquent à des degrés divers un des domaines de prédilection des psychologues sociaux : celui des organisations. Chapet, Le Dreff et Le Poultier exposent le déroulement d’un programme d’évaluation du plan de formation des cadres d’un ministère. La démarche présentée a un double intérêt. D’abord, elle montre comment des acquis de la psychologie sociale cognitive peuvent être transférés dans l’activité de conception, de mise en place et de régulation d’un programme d’évaluation au sein d’une vaste organisation. Ensuite, elle est l’occasion de souligner à nouveau l’importance d’une analyse psychosociale pour comprendre la complexité des rapports entre les groupes sociaux qui composent une organisation. Ce thème de l’organisation et des groupes est central dans la contribution d’Agnoletti et Defferard. En réponse à la demande d’une grande entreprise publique en voie de privatisation et en état de crise identitaire, ils ont mis en place une approche de type diagnostic mettant en œuvre des techniques classiques de recueil de données et des modèles multidimensionnels de traitement. Elle conduit à une identification des lignes de fracture dans la perception que les salariés ont de leur entreprise. Les commanditaires disposent alors d’une visualisation précise de ce qui pourrait être appelé “le climat social” de l’organisation. Les groupes dans l’organisation sont encore la matière de la dernière contribution à cette partie et à l’ensemble de l’ouvrage, celle de Beauvois. Mais la perspective est différente, moins globale et sans doute davantage méthodologique bien qu’elle soit associée à un argumentaire théorique explicite. Les personnes expriment des jugements à propos des catégories de personnes qui constituent une organisation. Mais que traduit exactement le contenu de ces jugements ? Une étude menée avec des femmes–cadres d’une entreprise montre que selon le support technique utilisé, entretiens ou échelles, les personnes ne produisent par les mêmes jugements à propos des mêmes catégories de personnes. Que faut-il en conclure, sinon qu’il ne s’agit pas d’un simple problème technique lié à l’outil mais que cette contradiction interroge le sens de la démarche du psychologue social dans l’organisation ?

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