Introduction
p. 15-18
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Cet ouvrage résulte pour l’essentiel de l’écriture remaniée d’une grande partie des contributions et des discussions échangées lors d’un colloque qui s’est tenu les 1er et 2 décembre 2005 au ministère du Travail, à l’initiative de deux équipes de recherche de l’université de Paris VIII1, ainsi que de l’Institut d’histoire sociale de la CGT (IHS CGT ). Ce colloque s’inscrivait dans le prolongement d’une réflexion amorcée et déjà bien avancée par d’autres : un numéro du Mouvement social consacré au syndicalisme sous Vichy2, le colloque organisé en 1992 par le Centre de recherche d’histoire des mouvements sociaux et du syndicalisme et par l’Institut d’histoire du temps présent sur Les ouvriers en France pendant la seconde guerre mondiale3, ainsi que les travaux de Jean-Pierre Le Crom4, de Marc Olivier Baruch5 et d’Alya Aglan6. Ces recherches, entre autres apports, laissaient toutes entrevoir une situation sensiblement plus complexe que les textes législatifs ne le donnaient à entendre, des frontières souvent brouillées entre le légal et l’illégal, et de possibles espaces de jeu, y compris dans le sens mécanique du terme. Avec une complexité à l’évidence croissante dès lors que l’on quittait le terrain des discours pour celui des pratiques, qui nous semblait présenter à tous égards un plus grand intérêt. Parallèlement, les recherches suscitées par la création en 2002 du groupement de recherche du CNRS « Les entreprises françaises sous l’Occupation » enrichissaient notre connaissance du syndicalisme patronal et ouvrier.
2De surcroît, plusieurs thèses, DEA ou maîtrises d’histoire récentes, reposant sur le dépouillement d’archives publiques et privées (de syndicats patronaux ou de salariés) nouvellement mises à jour7, incitaient à penser que l’heure était peut-être venue d’ouvrir le dossier avec des questions renouvelées. La proposition d’une collaboration faite à l’Institut d’histoire sociale de la CGT, auquel on devait une bonne part de ces archives8, fut immédiatement reçue avec un grand intérêt. Ces collaborations croisées ont d’abord permis une collecte de nouveaux fonds, inédits, à l’origine d’un grand nombre des communications ici rassemblées. Mais elles ont revêtu un caractère encore plus singulier puisque les interventions ainsi réunies émanent à la fois d’historien(ne)s spécialistes du patronat, d’autres plus rompu(e)s à l’histoire ouvrière et enfin d’anciens responsables syndicaux, qui animent aujourd’hui l’Institut d’histoire sociale de la CGT ou certains de ses instituts fédéraux. Avec la volonté, suivie d’effets, de permettre la circulation des idées entre des milieux trop souvent cantonnés dans leur seul champ de compétence.
3Que le titre initialement proposé ait été « Le syndicalisme légal sous Vichy » ne signifiait naturellement pas un quelconque projet de marginaliser l’histoire de la Résistance syndicale9, ni même d’en minorer l’importance, moins encore la volonté de réhabiliter quiconque ayant suivi d’autres voies. Notre propos, on s’en doute, ne consiste, de manière plus générale, ni à condamner, ni à acquitter ceux qui le furent en d’autres temps par les instances appropriées, d’ailleurs seules légitimes pour s’y employer et dont la démarche est, cette fois-ci en conformité à notre fonction, largement analysée, tout particulièrement dans la dernière partie de ce volume. L’un de nos soucis a consisté à tenter de restituer dans leur historicité la complexité des débats, des conflits et des trajectoires des acteurs en ces heures noires et exceptionnelles. Et pour dépeindre cette histoire tragique à bien des égards, force a été de recourir à toutes les nuances et gammes de couleur, comprenant toutefois le noir et le blanc, sans nous satisfaire de l’idée souvent trop commode d’une grisaille indifférenciée10.
4Nous avons procédé à de nécessaires rappels aux dispositifs juridiques et à un détour par l’Italie, qui constitue l’un des modèles du corporatisme de Vichy. Mais notre propos principal ne consiste pas à revenir sur une histoire aujourd’hui bien défrichée11. Notre objectif consiste à analyser des pratiques syndicales multiples dans une situation d’exception en nous interrogeant sur leurs éventuels effets sur la longue durée de l’histoire des syndicalismes et de leurs pratiques. La nature des structures institutionnelles mises en place par Vichy nous a incités à privilégier le fait syndical dans sa globalité, en interrogeant les logiques de branches et leurs possibles effets en termes de contraintes sur les fédérations ouvrières et patronales, souvent placées en miroir. Cela nous a conduit à faire se côtoyer des historien(ne)s spécialistes du syndicalisme des salariés, des fonctionnaires et des patrons. Avec in fine un constat qui corrobore en grande part celui formulé par Ian Kershaw à propos de l’Allemagne de ces mêmes années noires : « les pressions économiques de la guerre » constituent sans doute un déterminant infiniment plus probant que les choix idéologiques12.
5Comme tout colloque, celui-ci se montre tributaire des sources défrichées et des travaux engagés à leur suite. Avec, quelle que soit la richesse des archives nouvelles qu’il a contribué à mettre à jour, une certaine déception dès lors que ces sources, avant tout d’origine fédérale, réservent, sauf quelques heureuses exceptions, peu de place aux autres échelles d’observation – en particulier locale ou régionale – que nous aurions souhaité davantage mettre en évidence pour ainsi mieux cerner la diversité et la complexité des pratiques à l’œuvre. Autre question d’échelles de perception, les effets de la coupure entre la zone nord et la zone sud, et plus généralement les effets du morcellement des territoires sur la pratique syndicale, dans la courte et la plus longue durée, auraient sans doute mérité d’être plus amplement analysés. Ces sources de surcroît laissent souvent entrevoir les espaces du jeu plus qu’elles ne fournissent véritablement une matière propre à les analyser en détail.
6Afin d’y parer, nous avons tenté, à l’issue des travaux, de combler certains déséquilibres en faisant appel à de nouvelles contributions, qui ne parviennent pas néanmoins à les effacer en totalité. Sans même parler de l’absence de l’agriculture, qui à elle seule méritait d’amples développements, le volume doit à la pauvreté relative des archives13 de n’aborder que trop marginalement les syndicats de la CFTC, pratiquement pas les syndicats professionnels, et même insuffisamment les ex-unitaires de la CGT, envisagés surtout sous l’angle des stratégies, mais guère sous celui des pratiques. Les sources exploitées proviennent surtout, pour ainsi dire par nature, des archives des organisations « légales », celles des ex-confédérés, et plus particulièrement des « fédéraux » loyaux au régime, ainsi que des archives issues des syndicats patronaux. Mais les acteurs de ce syndicalisme « légal », comme le démontrent de nombreuses contributions, ne peuvent faire abstraction de celui qui l’est moins ou qui ne l’est pas du tout, sous des formes d’ailleurs souvent complexes de cohabitation…
7Au-delà de ces limites, le croisement des regards et des échelles d’observation a permis de tenter néanmoins de rendre compte des épreuves exceptionnelles subies par les syndicalismes dans leur diversité et, une fois refermée la parenthèse des années noires, des traces qu’elles y ont laissées parfois durablement.
Notes de bas de page
1 Il s’agit de l’équipe d’accueil « Histoire des pouvoirs, des savoirs et des sociétés » et de l’équipe de l’unité mixte de recherche IDHE : « Institutions et dynamiques historiques de l’économie. »
2 J.-L. Robert (dir.), « Syndicalismes sous Vichy », Le Mouvement social, n° 158, janvier-mars 1992.
3 D. Peschanski et J.-L. Robert (dir.), Les ouvriers en France pendant la seconde guerre mondiale, Paris, Institut d’histoire du temps présent (IHTP), supplément aux cahiers n° 20, 1992.
4 J.-P. Le Crom, Syndicats, nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Paris, Éditions de l’Atelier, coll. « Patrimoine », 1995, 410 p. (préface de Robert Paxton) et « La Fédération du livre face au régime de Vichy : entre réalisme et opportunisme », Le Mouvement social, n° 189, octobre-décembre 1999, p. 7-26.
5 M. O. Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997
6 A. Aglan, La Résistance sacrifiée. Le mouvement Libération-Nord, Paris, Flammarion, 1999 ; rééd. : Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2006 et « Des syndicalistes dans la Résistance ou la complexité d’un engagement », Vingtième siècle. Revue d’histoire, juillet 2000, p. 27-36.
7 F. Poirier, « Syndicats et famille professionnelle : les ouvriers de l’alimentation dans la France de Vichy », maîtrise, histoire, université de Paris VIII, 2003 ; I. Bilitza, « Les débrayages pendant l’occupation allemande dans l’ancien département de la Seine, 1940-1944 », maîtrise, histoire, université de Paris VIII, 2004 ; H. Bailly, « La Fédération générale des personnels des services publics et de la santé 1940-1944 », mémoire de DEA, histoire, université de Paris VIII, 2004. Ainsi que, du côté patronal, F. Le Bot, « La réaction industrielle. Mouvements antitrusts et spoliations antisémites dans la branche du cuir 1930-1950 », doctorat, histoire, université de Paris VIII, 2004, publiée dans une version remaniée La fabrique réactionnaire. Antisémitisme, spoliations et corporatisme dans le cuir (1930-1950), Paris, Presses de Sciences Po, 2007, 400 p. ; D. Fraboulet, Quand les patrons s’organisent. Acteurs, stratégies et pratiques dans la métallurgie au cours du premier xxe siècle, Lille, Éditions du septentrion, 2007, 437 p.
8 Ces archives sont déposées aux archives départementales de la Seine-Saint-Denis à Bobigny ou conservées par les fédérations. Le musée de la Résistance nationale de Champigny possède également des archives souvent lacunaires, mais de grand intérêt sur les comités populaires. Nos remerciements vont à Guy Krivopisco et à ses collaborateurs pour l’inventaire qu’il a bien voulu nous fournir sur le sujet.
9 Pour une bibliographie et l’état des recherches récentes, outre l’introduction de la nouvelle édition de l’ouvrage d’Alya Aglan, déjà citée, cf. L. Douzou, La Résistance française, une histoire périlleuse, Paris, Seuil, 2005 ; F. Marcot (dir.), Dictionnaire de la Résistance, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2006.
10 Ces propos nous ont été inspirés par l’intervention de Marie-Ange Rauch au colloque.
11 Cf. S. Kaplan, La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001 ; S. Kaplan et P. Minard (dir.), La France, malade du corporatisme ? xvii-xxe siècles, Paris, Belin, 2004.
12 I. Kershaw, L’opinion allemande sous le nazisme, Bavière 1933-1945, trad. fr., Paris, CNRS Éditions, 1995.
13 Nos remerciements s’adressent à Annie Kunmunch et à ses collaborateurs des archives confédérales de la CFDT pour leur inventaire et leur accueil.
Auteurs
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