Préface

1Deux traités, signés à 20 ans de distance l’un de l’autre et inscrits dans la période moderne de l’histoire de l’Amérique du Nord, ont profondément changé la géopolitique mondiale et par voie de conséquence le destin de la planète entière et de tous ses continents. Cet ouvrage réunit les actes d’un colloque portant sur les traités de Paris de 1763 et de 1763 insistant sur l’importance de la période historique qui les sépare : « Paris 1763-Paris 1783 : d’un traité à l’autre. Un monde atlantique nouveau. » Importance que le colloque n’avait pas manqué de souligner par ses travaux et dont cet ouvrage se veut une fidèle expression. Entre ces deux traités, vingt années seulement encadrent une courte période qui est néanmoins fondamentale, et au cours de laquelle les rapports de forces entre les puissances ont été profondément modifiés au niveau mondial.

2Cette période constitue en effet un tournant majeur dans notre histoire contemporaine puisqu’elle est constituée de trois événements liés les uns aux autres et dont les conséquences dans le destin de la planète furent profondes :

• la naissance des États-Unis d’Amérique, devenus depuis l’une des plus grandes puissances du monde, sinon la première ;
• la cession par la France à l’Angleterre du Canada, ce qu’officialise le premier traité de Paris de 1763 mettant un terme définitif aux intentions coloniales de la France en Amérique du Nord sans pour autant que celle-ci renonce à sa volonté d’être une grande puissance, s’engageant très rapidement dans une politique de conquêtes de différents territoires bientôt réunis sous l’appellation de second Empire colonial ;
• la reconnaissance dans le second traité de Paris de 1783 par l’Angleterre, vaincue en Amérique du Nord par les colons anglo-saxons soutenus par la France, du droit accordé aux Treize Colonies sécessionnistes de se détacher de la métropole britannique pour former un seul État indépendant.

3Le premier traité, celui de la cession du Canada, fut signé à Paris le 10 février 1763. L’essentiel des négociations avait porté avant tout sur le sort de l’Amérique française, sur celui de la Guadeloupe et de la Martinique. Toutefois, Louis XV et son ministre Choiseul, étaient essentiellement préoccupés par le sort de ces deux îles, qu’ils voulaient récupérer, en particulier la Guadeloupe, grande exportatrice de sucre. La perte de ce qu’on appelait la Nouvelle-France et le devenir en Amérique du Nord de ses populations ne furent pas une priorité pour eux, leurs esprits d’abord occupés par l’avenir du commerce colonial français. Il est vrai que la tendance générale de l’opinion française à cette période était dominée par le soulagement, celui d’apprendre que la guerre se terminait, même avec de lourdes pertes. Voltaire a laissé à ce propos dans une lettre un témoignage resté célèbre jugeant que les motifs du conflit entre la France et la Grande-Bretagne étaient dérisoires, allant jusqu’à estimer la fin des combats salutaire : « Ces deux nations [la France et l’Angleterre] sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada et […] dépensent pour cette guerre plus que tout le Canada lui vaut. » Ce premier traité de Paris mettait fin à 150 ans de présence française, les Canadiens, même francophones, devenaient sujets de l’empire britannique. Le discours actuel chez les francophones en Amérique du Nord est encore dominé par le sentiment que « la mère patrie » les a abandonnés.

4Mais à ce premier traité, alors que la fin des querelles coloniales ne fut pas immédiate, il fallait une revanche et ce fut l’intervention française pour venir soutenir les armées des colonies nord-américaines décidées à prendre leur indépendance face à l’intransigeance des autorités coloniales britanniques. Finalement ceux qu’on appelait les « Insurgents » obtinrent gain de cause et, en 1783, un second traité de Paris fut signé, autorisant la naissance des États-Unis d’Amérique. Les armées américaines auraient-elles vaincu les Anglais sans l’intervention française ? La mémoire collective des citoyens nord-américains et celle des Français ont tranché en faveur du rôle nécessaire de la France. Les foules massées aux différentes étapes du récent voyage inaugural en Atlantique du vaisseau l’Hermione, reconstitué à l’identique, sur lequel La Fayette s’était embarqué pour diriger l’expédition française en sont une confirmation.

5Le colloque, qui se déroula les 20, 21 et 22 novembre 2013, demanda trois journées entières pour évoquer tous les aspects que ces deux traités offraient à l’analyse des historiens, des archivistes mais aussi du public curieux d’histoire. Il apporta ainsi des éclairages nouveaux sur l’histoire de ces deux traités : leurs négociations, le rôle des diplomates, la rédaction des textes, les conséquences de ces traités en Amérique mais aussi en France. Ces trois journées se déroulèrent en trois lieux différents, leur prise en charge étant assurée par trois institutions : le premier jour avait au programme l’examen du premier traité de Paris. Les participants furent accueillis par le directeur des Archives diplomatiques, qui avait ouvert pour la journée les locaux de La Courneuve pour la tenue des travaux. Signalons au passage que les Archives diplomatiques avaient, à cette occasion, préparé et présenté une exposition du plus grand intérêt qui avait été confiée à Isabelle Nathan, réunissant divers documents, archives et objets datant de la signature du premier traité de Paris. Les actes du colloque publient au centre de l’ouvrage un cahier comprenant plusieurs documents de cette exposition. Le deuxième jour, le colloque se déroula dans les locaux de l’Hôtel national des Invalides où un amphithéâtre lui était réservé. À l’ouverture de ce colloque, auquel la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DMPA) a apporté une forte contribution financière, son Directeur prononça une allocution soulignant l’importance du premier traité dans l’évolution de la doctrine militaire de la France. En fin de matinée, Michel Robitaille, Délégué général du Québec en France, remercia tous les acteurs de ce colloque en soulignant la qualité des communications. La DMPA offrit en fin de journée aux Invalides, un concert de musique de chambre, avec en particulier, une composition de William B. de Krifft intitulée The Siege of Quebec. Le dernier jour, le colloque se tint à Pierrefitte-sur-Seine dans l’auditorium des nouveaux locaux des Archives nationales. Toutes ces journées avaient été préparées dans les locaux du ministère des Affaires étrangères à Paris où notre Commission, la CFQLMC, géra le calendrier des rencontres. La collecte des textes et leur relecture furent confiées à trois directeurs scientifiques : Philippe Joutard qui avait exposé la conclusion générale du colloque, Didier Poton et Laurent Veyssière.

6L’un des derniers thèmes traités au cours de ce colloque a pour titre : « Histoire et mémoire du Canada français ». Thème qui en traitant du destin du Canada, du Québec, et plus généralement de l’Amérique du Nord à la suite de la signature de ces traités a conduit à faire une place à ce que la mémoire collective en a conservé. À l’écoute des propos entendus, on a pu remarquer que le fait historique, lorsqu’il est connu et reconnu scientifiquement, relève sans difficulté du domaine commun. En dehors des commentaires et de ses interprétations, il entre, comme fait dans l’usage commun. Par contre, la mémoire collective est beaucoup moins disposée à faire évoluer ses points de vue. Il n’y a pas de mémoire collective commune, en France et au Québec, combien même il y a une histoire commune. Ce colloque fut, à plusieurs reprises l’occasion de le constater.

7Ce qui est encore plus évident, c’est que ces traités de Paris ont sérieusement modifié le cours de notre histoire et qu’ils ont eu de fortes répercussions en Amérique du Nord, en France, en Grande-Bretagne, en Afrique et, somme toute, dans tout le reste du monde. La guerre de Sept Ans – guerre qui avec ses enjeux et ses principaux théâtres d’opération, en Europe, en Amérique du Nord mais aussi en Afrique et en Inde fut, au dire de certains historiens, la première guerre de dimension mondiale avant la guerre de 1914-1918 – se termine par le traité de Paris de 1763 mais il faut attendre le second traité de Paris de 1783 pour que l’Amérique du Nord retrouve la paix.