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Risques industriels

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Thomas Le Roux

Quatrième partie. Risques urbains

La gestion du risque chimique en milieu urbain

Les conséquences de l’explosion du magasin Fontaine à Paris en 1869

Sacha Tomic

Texte intégral

1Il y a près d’un siècle et demi, le mardi 16 mars 1869, à quatre heures moins dix de l’après-midi, le magasin de produits chimiques d’Aristide-Pierre Fontaine (1814-1884) explose à Paris place de la Sorbonne en plein cœur du Quartier latin. Quatre personnes sont tuées sur le coup, deux autres décéderont un peu plus tard et l’on compte des dizaines de blessés. Cet événement tragique, perçu comme une catastrophe, est désormais effacé de nos mémoires. La place de la Sorbonne est associée de nos jours à la contestation estudiantine. L’accident de 1869 a pourtant défrayé la chronique de l’époque et a alimenté une littérature et une iconographie abondante.

  • 1 Annuaire et almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration (Didot- (...)

2La maison Fontaine est issue d’une longue tradition de marchands de produits chimiques qui ce sont succédés depuis sa fondation en 1820 par le pharmacien-chimiste Pierre-Jean Robiquet1. En 1825, Robiquet s’associe avec Aristide Boyveau. Initialement installé au 9 rue de la Monnaie (1er arrondissement), le magasin est alors transféré au 5 rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois (5e arrondissement) et une fabrique de produits chimiques est exploitée à Issy. Le 18 août 1834, Robiquet et Boyveau s’associent avec Joseph Pelletier et ils s’installent au 8 rue des Francs-Bourgeois-Saint-Michel (3e arrondissement). À la mort de Robiquet, la société devient Pelletier-Boyveau puis elle est dirigée par Boyveau, Jean-Baptiste Berthemot et Édouard Pelletier. En 1850, Fontaine et Véron dirigent la maison et installent en 1853 leur magasin de « produits chimiques pour les expériences scientifiques et les usages industriels » au 48 rue Monsieur-le-Prince (6e arrondissement). En 1860, Fontaine reprend seul le magasin et c’est très probablement début 1863 qu’il installe son deuxième magasin au 2 et 4 place de la Sorbonne et au 22 rue de la Sorbonne (5e arrondissement) où se produisit l’explosion de 1869.

  • 2 Walter F., Catastrophes : une histoire culturelle, XVIe -XXIe siècles, Paris, Le Seuil, 2008.
  • 3 Massard-Guilbaud G., Histoire de la pollution industrielle, France, 1789-1914, Paris, EHESS, 2010  (...)
  • 4 Fressoz J.-B., L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Paris, Le Seuil, 2012.

3L’histoire de cet événement s’inscrit à la fois dans celle de l’environnement, de la société du risque et de sa gestion et dans une histoire culturelle des catastrophes2. Les historiens de l’environnement ont montré comment au lendemain de la Révolution, les chimistes au pouvoir, Jean-Antoine Chaptal en tête, ont légitimé l’installation des établissements « dangereux et insalubres » au cœur des villes. Relayés par le Conseil de salubrité, les chimistes et les pharmaciens sont à l’origine du décret du 15 octobre 1810 qui sera à la source de nombreux conflits mais qui permettra in fine l’installation durable d’activités dangereuses dans la cité3. L’industrie chimique est l’un des moteurs essentiels de cette « libéralisation de l’environnement4 ». La création des premières sociétés d’assurances contre l’incendie à partir de 1819 accompagne cette logique libérale et industrialiste.

  • 5 Bret P., L’État, l’armée, la science. L’invention de la recherche publique en France (1763-1830), (...)
  • 6 Le Roux Th., Les paris de l’industrie, 1750-1920, Grâne, Créaphis, 2013, p. 77-101 en particulier.
  • 7 Massard-Guilbaud G., Histoire de la pollution industrielle, op. cit., p. 279.
  • 8 Le Roux Th., Letté M. (dir.), Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit, XVII (...)
  • 9 Quenet G., « La catastrophe, un objet historique ? », Hypothèses, no 1, 1999, p. 11-20.
  • 10 Letté M., « Débordements industriels dans la cité et l’histoire de leurs conflits aux XIXe et XXe (...)
  • 11 Charle Ch., Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Le Seuil, 2004.

4Les explosions sont les événements les plus spectaculaires des risques produits par l’industrialisation. Les nouveaux explosifs qui sont mis au point à partir des années 1840 augmentent la fréquence des accidents. Les chimistes qui étudient, manipulent et vendent de telles matières sont pleinement conscients des risques qu’ils prennent pour eux-mêmes et pour leur entourage. Par exemple, Joseph Pelletier est le fils de Bertrand Pelletier, disparu prématurément en 1797 à la suite d’un accident de laboratoire. Ce dernier avait notamment participé en 1796 aux tests d’une nouvelle poudre mise au point par Jacques-Pierre Champy5. Un bref coup d’œil sur la presse de l’époque, qui relègue très souvent et de manière significative l’information à la rubrique « faits divers », fait apparaître un nombre important d’accidents liés aux explosifs et autres produits chimiques qui font de la capitale et de ses environs une poudrière permanente6. La violence des explosions met les autorités et surtout la population devant le fait accompli. Selon Geneviève Massard-Guilbaud, les catastrophes fonctionnent comme des alarmes : « l’accident remplaçait les plaintes : c’est lui qui signalait le danger » d’un produit chimique pour un éventuel classement de l’établissement7. Pour Thomas Le Roux et Michel Letté, « la catastrophe est un révélateur des formes d’organisation des liens entre industrie et environnement. Elle est aussi le catalyseur de reconfigurations sociales et politiques. La survenue de l’accident pose alors autrement les bases d’une renégociation afin de redéfinir la légitimité d’exercice d’une activité qui s’avère dangereuse et parfois contestée8 ». Comme tout événement historique, une catastrophe est d’abord une mise en scène, elle « s’inscrit dans un récit, une évolution. Elle est un discours de l’après » souligne Grégory Quenet9. Plusieurs scénarios sont ainsi possibles en fonction des intérêts des différentes parties, ce que Michel Letté appelle la « configuration sociotechnique10 ». La presse et les revues de vulgarisation scientifique qui se multiplient dans la seconde moitié du XIXe siècle permettent de se placer « à hauteur d’individus » et de brosser un portrait des émotions et des opinions des divers témoins et commentateurs de l’événement11.

  • 12 Le picrate est un sel de l’acide picrique utilisé en teinture depuis les années 1780. Le picrate d (...)
  • 13 Les recherches sur le picrate s’inscrivent dans la quête de nouvelles substances explosives comme (...)

5Les conséquences de la catastrophe de la Sorbonne s’articulent autour de trois moments forts de la chaîne systémique du risque industriel. Le premier moment est celui de la médiatisation. Deux acteurs sont au centre des discussions. Un objet non humain, le produit chimique à l’origine de la catastrophe : le picrate de potassium12 (picrate par la suite) ; et le directeur du magasin, Fontaine. Comme tout produit chimique « utile » à la société, le picrate peut être considéré comme un objet-frontière. Autour de celui-ci, se construit le destin des hommes et des femmes qui l’ont conçu, fabriqué, vendu, acheté, utilisé et qui ont pris des risques à leur insu ou de leur plein gré. L’inscription de l’événement dans la mémoire collective passe par un premier temps qui est celui de l’émotion suscitée par la catastrophe et dans laquelle la presse joue un rôle déterminant. À ce temps de l’émotion succède celui de la raison. Le picrate, cette nouvelle poudre de guerre, a également suscité des polémiques et la catastrophe a servi de tribune à ses détracteurs comme à ses défenseurs13. Leurs arguments légitimant ou condamnant un commerce dangereux au sein de la cité, témoignent des opinions radicalement opposées concernant les conséquences économiques, sociales et morales des explosifs et du progrès scientifique en général.

6Le second moment est celui de la justice et de la gestion des conflits. Dans quelle mesure Fontaine est-il civilement et pénalement responsable ? Comment les avocats et les juristes interprètent-ils la législation ? Dans quelle mesure les compagnies d’assurances doivent-elles réviser leur politique d’indemnisation des risques liés au commerce des produits chimiques dangereux ?

7Le troisième moment est celui des conséquences de l’affaire Fontaine au-delà de l’événement lui-même : sur la législation des explosifs et sur la « configuration socio-technique ». Comment les riverains réagissent-ils après la catastrophe ? Comment le picrate influence-t-il la législation sur la gestion des explosifs en milieu urbain ? Comment les successeurs de Fontaine gèrent-ils le lourd passé de leur commerce ?

La médiatisation et ses conséquences

Le temps de l’émotion

  • 14 Les citations qui suivent sont principalement tirées des journaux suivants : Le Petit journal, Le (...)
  • 15 Journal des instituteurs, 12e année, no 13, 28 mars 1869, p. 185 ; The Wellington Independent, 22 m (...)
  • 16 Des extraits sélectionnés publiés sous forme de petits livrets se multiplient. L’épouvantable cata (...)
  • 17 « Great explosion at Paris (From the European Mail, March 26) », West Coast Times, 24 mai 1869, p. (...)
  • 18 Sur le rôle des citoyens-sauveteurs dans l’acclimatation des risques industriels, voir la contribu (...)

8Au lendemain de la catastrophe et jusqu’aux obsèques des victimes qui ont lieu le dimanche 21 mars, de nombreux quotidiens et périodiques couvrent l’événement14. L’émotion suscitée par la catastrophe se mesure à la « foule considérable » (estimée autour de dix mille personnes) venue assister aux funérailles15. Cette émotion est entretenue par la presse qui voit dans la foule curieuse qui a vite envahi les abords de la place de nombreux lecteurs potentiels16. La presse étrangère a fait écho de l’événement jusqu’en Nouvelle-Zélande ! Le rédacteur du West Coast Times du 24 mai 1869 conclut son article avec une pointe d’ironie : « The foreign observers cannot fail to notice that the French talent for invention is as great as ever17. » Pour la presse nationale, le moment est grave. La mise en scène de la catastrophe se construit autour de quatre moments : la violence de l’explosion et les dégâts matériels qu’elle a provoqués, le courage des sauveteurs18, la description des mutilations et des souffrances psychologiques des victimes, enfin la cérémonie des funérailles.

Fig. 1 – Plan général place Sorbonne avec magasin Fontaine et différents commerces (Archives de Paris, P/11851/B, plan parcellaire reconstitué (1871-1896), 5e arrondissement, quartier Sorbonne, 14e feuille, échelle 1/500).

  • 19 Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, 16 mars 1869 !, La question légale, Paris, L (...)

9Le moment du drame nous est connu grâce à un témoin habitant l’immeuble en face du magasin, Xavier Brau de Saint Pol Lias19. Le magasin Fontaine est une sorte de grand espace ouvert qui occupe le rez-de-chaussée des entrées no 2 et 4 de la place de la Sorbonne et dont l’entrée principale donne sur le no 22 rue de la Sorbonne (fig. 1 et 2). L’explosion s’est produite alors que les employés, sur ordre de Fontaine, transvasaient du picrate de potassium livré le jour même à partir d’une tourie vers des récipients plus petits en vue de son expédition à l’arsenal de Toulon. Onze personnes se trouvaient dans le magasin au moment de l’explosion dont quatre sont mortes sur le coup : Rendu (23 ans, commis de magasin), Bal (36 ans, préparateur), Dautresme (39 ans) et Fontaine fils (21 ans ; on visualise son trajet du laboratoire F vers le magasin de dépôt D). Fontaine père se trouvait au bureau, situé à l’opposé du lieu de l’explosion. Le commis de vente Gaumier a été sauvé par un pilier et a été projeté violemment entre les deux comptoirs (trajectoire en pointillé).

Fig. 2 – Plan du magasin Fontaine avec position du personnel au moment de l’explosion (Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit., p. 57).

  • 20 Tissandier G., La Houille, Paris, Hachette et Cie, 1869.

10Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire la violence de cette « formidable » explosion « qui a fait trembler le sol » et a été perçue comme un « tremblement de terre » (fig. 3 et 4). Le bruit de l’explosion est comparé à un « coup de canon » entendu à un kilomètre à la ronde20. Des milliers de vitres ont volé en éclats et les rues sont jonchées de débris de verre qui provoquent un « cliquetis effroyable ». Des lieux symboliques ont été touchés (lycées Saint-Louis et Louis-le-Grand, Sorbonne) ainsi que de nombreux commerces mitoyens et surtout les bâtiments situés en face du magasin comme l’hôtel du Périgord, la blanchisserie et « le magasin de M. Pfister, papetier-relieur, [qui] est haché et bouleversé comme après un bombardement ». La panique qui suit immédiatement l’explosion est décrite comme un véritable enfer. Le rédacteur en chef du Petit journal, Thomas Grimm, décrit un spectacle « d’épouvante » de « folie de la terreur », de « stupeur » et de « visages et de mains ensanglantés ».

11Pour la Petite Presse, le feu qui émet

  • 21 La Petite Presse, 17 mars 1869.

« des flammes aux reflets fantastiques, pareilles à des feux de Bengale, jaillissaient à travers la fumée, et au milieu de ce décor vraiment infernal on voyait s’agiter et s’enfuir, en proie à une terreur indicible, des hommes, des femmes, des enfants, les uns sains et saufs, mais les vêtements en désordre, le cheveux épars ou hérissés, les yeux hagards, les traits contractés par le délire ou par l’effroi, les autres nus, sanglants, mutilés, quelques-uns dépouillés de leurs habits et même de leur peau, objets d’horreur et de pitié21 ».

Fig. 3 – Le moment de la « formidable » explosion dont le souffle a entraîné le corps de deux employés (Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit., couverture).

12Les secours et les édiles de la ville arrivent très vite sur place et l’incendie est rapidement maîtrisé. Les journaux sont unanimes pour saluer le courage des pompiers spontanément assistés par de nombreux passants et habitants du quartier. La catastrophe fait fi des classes sociales et crée sur le moment une solidarité qui fait apparaître la diversité de la population parisienne : sergents de ville, étudiants, ouvriers, matelot, concierge, artiste, libraire, ébéniste, bandagiste, blanchisseuse, corroyeur, logeurs, négociants, maître d’armes, professeurs, pharmaciens, médecins, etc.

  • 22 L’inhalation d’oxygène selon un procédé inventé par le pharmacien Stanislas Limousin n’a pas permi (...)

13Le bilan humain est ressenti comme une « calamité publique ». La liste officielle des quatre personnes tuées sur le coup n’est connue que le vendredi 19 mars. Une cinquième victime, Julia Biot, âgée de 20 ans, décède le lendemain de l’explosion. Une sixième victime, Pauthier, étudiant en médecine, décède le 21 avril « des suites des brûlures qui avaient atteint les bronches22 ». Les blessés se comptent par dizaines et sont transportés à l’Hôpital des cliniques installé à l’Hôtel Dieu. Parmi le personnel du magasin, Fontaine père est « blessé aux mains et à la figure en cherchant à éteindre le feu qui avait pris aux vêtements » de son employé Veyer, sorti « tout en feu » de la boutique à cause de l’inflammation de solvants. Gaumier, miraculeusement rescapé, est blessé à la tête. Parmi les commerçants, plusieurs relieurs ont eu le bras cassé. De nombreux passants et clients, hommes, femmes et enfants ont reçu des éclats de verre et ont subi un traumatisme lié au soule et au bruit de l’explosion comme c’est le cas des enfants d’un certain Lecomte.

Fig. 4 – L’explosion a produit d’épaisses fumées toxiques (Le Monde illustré, 27 mars 1869).

  • 23 Tardieu A., « Étude médico-légale sur les blessures par imprudence, l’homicide et les coups involo (...)
  • 24 Le Temps, 15 avril 1869.

14Sur ordre du procureur général de la cour de Paris, les autopsies sont faites à la morgue par Ambroise Tardieu, professeur de médecine légale à la faculté de médecine, qui déclare ne pas « avoir procédé jamais à une opération plus saisissante. Des cinq cadavres que j’avais à examiner, trois étaient réduits pour ainsi dire en lambeaux, le quatrième était entièrement carbonisé23 ». Les journalistes procèdent à leur manière à une autopsie et ne manquent pas de qualificatifs pour décrire la scène d’horreur (« fragments d’os et de mâchoire », « corps pantelants, membres en lambeaux, troncs sans bras, sans jambes », « bouts de cervelles sur les murs », etc.). Et le calvaire continu puisque trois semaines après la catastrophe, la presse signale la découverte des restes d’un corps humain dans les décombres de l’explosion qui ont été transportés sur la berge du quai de Montebello (en face de Notre-Dame)24. Bref, pour la presse anglo-saxonne: « [Bodies] have been blown to atoms. »

  • 25 Le Petit Journal, 20 mars 1869. En réalité, Fontaine a un autre fils, Gaston, qui lui succède en 1 (...)

15Aux yeux des commentateurs, Fontaine apparaît comme la figure d’un héros tragique. Pour Brau, la perte du fils de Fontaine « a dû provoquer chez lui de terribles méditations… Personne, du moins, n’a songé à le maudire ». Pour Grimm « l’infortuné a perdu il y a six mois une fille de seize ans ; il ne lui restait que son fils25 ». Une fois l’émotion passée, deux noms sont sur toutes les lèvres : le picrate de potassium, un nouvel explosif, et celui de Fontaine, à la fois héros et martyr.

Le temps des explications et des critiques

  • 26 Designolle G. L. G., « Des carbazotates considérés comme poudre de guerre, et de leurs application (...)
  • 27 Payen A., « Notes relatives à une réclamation de priorité présentée au sujet de la fabrication de (...)
  • 28 David P., Journal des Débats, 17 mars 1869.
  • 29 À la suite de l’accident, l’Allemagne interdit le transport des picrates de soude et de potasse su (...)

16La catastrophe alerte le public sur l’existence d’une poudre particulièrement destructrice qui intrigue autant qu’elle inquiète. Chimistes et vulgarisateurs s’empressent de présenter ce nouvel explosif. Comparé à la classique poudre noire, le picrate possède un double avantage. Ses propriétés brisantes surtout lorsqu’il est mélangé au chlorate en font un explosif redoutable ; et il laisse peu de résidus et de fumées ce qui limite l’encrassement des armes. Avantages vite repérés par l’armée et quelques industriels. Trois fabricants mettent au point leurs propres poudres au cours des années 1860 : Fontaine, Gustave Louis Gabriel Designolle d’Auxerre et John Casthelaz26. Fontaine, qui a reçu le titre de Chevalier de la Légion d’honneur le 19 août 1863, réclame la priorité et affirme que ces premières expériences remontent aux débuts des années 1860. Sa collaboration avec l’armée et son « désintéressement » sont saluées par Anselme Payen qui le présente comme un patriote27. Pour des raisons stratégiques et de concurrence, Fontaine ne dévoile pas sa recette et débite sa poudre dans son usine d’Issy à partir de 1865. Ses magasins à Paris jouissent d’une excellente réputation, ses produits chimiques sont « très purs » et Fontaine, « chimiste de talent », est considéré comme l’un des « notables commerçants de Paris28 ». À la fin des années 1860, la poudre Fontaine et les poudres Designolle apparaissent comme des explosifs complémentaires de premier choix qui viennent s’ajouter à la panoplie des matières explosives au service de la guerre, en France comme à l’étranger. Au moment où les chimistes français mettent au point leur poudre, l’explosion en 1867 d’une usine allemande exploitant le picrate vient rappeler les dangers d’exploitation d’une telle substance29.

  • 30 Bulletin hebdomadaire de l’Association scientifique de France, t. 5, no 112, 21 mars 1869, p. 177.
  • 31 Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit.
  • 32 Journal officiel cité par Le Temps, 22 mars 1869.
  • 33 Le Temps, 22 mars 1869.

17Ces informations sont surtout connues des spécialistes mais le public ne prend réellement conscience des dangers de la poudre qu’après la catastrophe. Les opinions se divisent alors en deux camps. D’un côté les « picratophobes » dénoncent les risques et évoquent deux arguments : la concentration urbaine et une question de morale. Le président de l’Association scientifique de France, l’astronome Urbain Le Verrier exprime parfaitement le premier argument : « Comment pouvait-on penser qu’on se livrât à de telles préparations non seulement au sein d’une ville, mais dans un quartier populeux, au milieu de la jeunesse des écoles et des lycées30 ? » Brau fait l’historique du décret de 1810 et s’interroge sur le respect des limites légales imposées aux industriels31. Les autorités seraient-elles laxistes ? suggère-t-il. La réponse officielle ne se fait pas attendre. Face à l’émotion de « l’opinion publique » pour une « industrie aussi dangereuse », l’administration rejette la responsabilité sur Fontaine et affirme qu’il a commis une infraction car il « n’avait aucune autorisation qui lui permit de préparer ou d’avoir en dépôt [du picrate], soit à Paris, soit à Issy32 ». Le rédacteur du Temps n’est pas satisfait de cette « espèce de condamnation administrative » et rappelle aux autorités qu’elles doivent prendre leurs responsabilités en matière de « sécurité publique33 ».

  • 34 Le Moniteur Belge. Journal officiel, no 79, 20 mars 1869, p. 1001. Commentaire similaire dans Le Te (...)
  • 35 Le Figaro, 26 août 1870.
  • 36 Pellarin Ch., « Considérations sur les progrès et la classification des sociétés », extraits des B (...)
  • 37 Brau X., La Vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit., p. 95.

18Le second argument d’ordre moral est surtout évoqué par ceux qui critiquent les effets destructeurs d’une nouvelle forme de guerre, moins noble car « se faisant à distance » et « au bruit du canon ». Elle n’est plus un « art » mais « une catastrophe permanente, une extermination radicale et réciproque34 ». Cette « tuerie bête » se concrétise lors de la guerre franco-prussienne que différents témoins dénoncent pour sa barbarie35. Au lendemain de l’affrontement, le médecin de la marine et anthropologue Charles Pellarin constate avec amertume la direction du progrès scientifique vers une guerre sans pitié36. Brau enfin s’interroge sur « la lenteur du progrès moral » qu’il déplore et « la rapidité du progrès scientifique » qui l’effraie : « Lorsqu’une invention nouvelle est proposée, propre à augmenter le bienêtre ou l’agrément social, fait-on entrer en ligne de compte les dangers qu’elle peut offrir dans son application ? l’efficacité des moyens que l’on pourra employer pour obvier à ces dangers37. »

  • 38 Tissandier G., « Le picrate de potasse et les poudres fulminantes », Revue des cours scientifiques (...)
  • 39 Tissandier G., Le National, 20 mars 1869.
  • 40 Fressoz J.-B., L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 273.

19Ces questions, qui expriment à leur manière la trilogie bénéfice-risque-prévention, sont au cœur de la régulation des matières explosives et des établissements dangereux en zone urbaine. Les partisans d’une telle approche de la gestion du risque chimique sont principalement représentés par des vulgarisateurs comme Louis Figuier, Henri de Parville, Gaston Tissandier ou le manufacturier-chimiste Gustave Augustin Quesneville. Pour ces « picratophiles » imprégnés de positivisme, attaquer le picrate c’est attaquer la chimie, donc la science. Tissandier invite les citoyens à faire preuve d’indulgence car « sans la chimie, l’industrie tout entière cesse d’exister ; sans elle nous n’aurions ni pain ni vin, ni télégraphes électriques, ni photographie ; il faudrait nous passer d’éclairage et de teinture ; en un mot, de tout ce qui est sans cesse d’un usage journalier et d’une utilité de premier ordre38 ». Pour Tissandier, « tout est dangereux, mais tout est nécessaire39 ». Aux yeux de ces « picratophiles », les bénéfices de la poudre sont supérieurs aux risques. La poudre tue également l’ennemi, permet de creuser des tunnels et d’exploiter les mines plus efficacement. L’intérêt du plus grand nombre et la défense nationale passent par ces « quelques rares martyrs » des catastrophes industrielles relégués au rang d’épiphénomènes nécessaires au progrès scientifique. Comme le souligne Jean-Baptiste Fressoz à propos des accidents de chemins de fer, « la catastrophe, d’accusatrice, devient rédemptrice. Elle oblige à donner un but au progrès technique : elle est le sacrifice nécessaire qui fait advenir la civilisation40 ».

  • 41 Mangin A., Délassements instructifs. Les télégraphes, Les feux de guerre, Tours, 1893, p. 135.
  • 42 Tissandier G., L’Illustration, journal universel, t. 53, 27 mars 1869, p. 198 ; id., La Houille, P (...)

20Au-delà des divergences sur l’évaluation des bénéfices et des risques liés au picrate (et des produits de la chimie et de la science en général), les dégâts humains et matériels nécessitent une réparation. Il faut pour cela élucider les causes de l’accident et désigner des responsables. Ici aussi, les avis divergent. Pour Arthur Mangin, Fontaine est seul responsable41, alors que pour Tissandier « la responsabilité de cet acte si téméraire ne concerne pas seulement M. Fontaine ; elle réside ailleurs, et c’est ce qu’une enquête, devenue nécessaire, indispensable, devrait faire savoir42 ».

Les conséquences judiciaires

Le procès pénal : de l’employé-coupable aux caprices du ciel

  • 43 Le procès est intégralement retranscrit en style direct dans la Gazette des tribunaux que la press (...)
  • 44 Le Figaro, 6 décembre 1869.

21Le 14 août 1869, Fontaine est cité à comparaître devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de Paris pour délits d’homicide et blessures par imprudence. Il risque de trois mois à deux ans d’emprisonnement et une amende de 50 à 600 francs (art. 319 du Code pénal). Le procès de cette « grave affaire » s’ouvre huit mois après la catastrophe, le 13 novembre 186943. La présidence est assurée par le juge Crescent, Fontaine est défendu par Maître Nicolet et l’avocat impérial Aulois occupe le siège du ministère public. Maître Charles représente Lecomte père, un passant qui se porte partie civile et réclame 4 000 francs de dommages-intérêts pour le préjudice subi par ses fils blessés lors de l’explosion. Le climat est parfois électrique comme lors de la quatrième audience où la chambre a été « le théâtre d’une lutte ardente [et] passionnée44 ».

  • 45 Larousse P., Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, t. 12, Paris, Administration du Grand di (...)
  • 46 Rapport lu par Jacquot ingénieur en chef des mines dans la séance du 2 avril 1869. Rapport général (...)
  • 47 Poggiale A.-B., « Explosion qui a eu lieu, le 16 mars, place de la Sorbonne. Acide picrique et pic (...)

22Les discussions se focalisent sur la nature de la poudre et les causes de son explosion. La question de la pureté du picrate est cruciale pour la ligne de défense de l’avocat car elle a soulevé de nombreuses interrogations notamment en raison d’une « sorte de mystère » qui entoure ces nouvelles poudres de guerre et qui n’a fait qu’entretenir les conjectures45. La commission du Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine chargée d’élucider les causes de la catastrophe n’avait « fourni sur ce point aucun résultat exact » écrit le pharmacien-chimiste Antoine-Baudoin Poggiale46. Lui-même avait émis des réserves laissant planer le doute d’un mélange picrate-chlorate bien plus destructeur et qui explose au moindre choc47. Lors du procès, Fontaine affirme que sa poudre était du picrate pur mais il est contredit par ses propres employés, Jublin et Gaumier qui, se fondant sur la couleur de la poudre, affirment que c’est un mélange picratechlorate. « C’est infâme ! » s’exclame Fontaine ; « Ceci est grave » objecte l’avocat Nicolet car cela remet en cause la parole de Fontaine et celle d’une « maison qui se respecte ».

  • 48 Journal des Débats, 18 mars 1869.
  • 49 De Parville H., « Les substances explosives », Causeries scientifiques. Découvertes et inventions, (...)
  • 50 Balland A., Luizet D., Haller A., Le chimiste Z. Roussin. Chimie-Physiologie-Expertises médicoléga (...)

23Concernant les causes de l’explosion de la poudre, Fontaine affirme que « c’est l’incendie qui l’a fait éclater ; ce n’est pas cette substance qui a causé l’incendie ». Fontaine ne fait que réitérer la thèse de l’employé-coupable qu’il avait émise dès le lendemain de la catastrophe : l’accident a eu lieu « soit par suite d’un choc soit par suite de l’imprudence d’un de ses employés qui fumait en opérant le travail » de transvasement48. Cette thèse de « l’insouciance et de l’imprudence d’un des opérateurs » est reprise par de nombreux commentateurs comme Figuier et de Parville ainsi que par la commission du Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine49. Un certain Devilliers, témoin de la scène affirme pourtant avoir vu un début d’incendie avant l’explosion. Mais les experts-chimistes François-Zaccharie Roussin50, Victor de Luynes et Eugène Boutmy sont formels : ni le choc ni le frottement du pied sur un sol bitumé n’ont pu enflammer le picrate qui ne peut exploser que s’il est brutalement chauffé au-dessus de 310 ° C ou bien lorsqu’il est mis en contact avec une flamme. Les experts évoquent un seul cas où un choc a pu provoquer l’explosion, mais qu’ils jugent insignifiant. L’avocat en profite pour minimiser la dangerosité de la poudre Fontaine et fait remarquer que des substances plus dangereuses que le picrate (éther, sulfure de carbone, huile de pétrole, benzine) sont en vente libre dans de nombreux magasins de la capitale.

  • 51 Des voisins avaient signalé en 1865 les « exhalaisons nuisibles » de l’usine d’Issy mais la visite (...)

24Maître Charles, pour qui Fontaine « ne peut sortir acquitté de cette enceinte », reprend à son compte les témoignages de Jublin, Gaumier et Devilliers qui contredisent ceux des experts et dénonce les imprudences de Fontaine (transvasement d’un produit dangereux à quelques mètres des passants). Sur le plan légal, Charles doit prouver que le picrate, qui n’est pas explicitement mentionné dans les textes, est bien une matière fulminante qui appartient à la première classe des établissements industriels dangereux (décret du 15 octobre 1810, ordonnance du 25 juin 1823). L’administration elle-même n’avait-elle pas condamné Fontaine via le Journal officiel ? Charles dénonce une certaine ambiguïté cultivée par les scientifiques à propos de la définition des matières fulminante et détonante, ce qui a permis à Fontaine d’échapper au classement du picrate lors de la visite de l’inspecteur Grosjean dans ses magasins en 186551. Maître Charles n’a pas d’autre choix que de procéder par analogie avec d’autres poudres pour considérer le picrate comme un produit fulminant.

  • 52 Seul l’acide picrique est mentionné. Sa fabrication est jugée particulièrement nocive par les hygi (...)

25Nicolet rejette les analogies de son confrère qui ne sont que des hypothèses et qui ne peuvent mettre « en mouvement l’action pénale ». Il réfute les témoignages de Jublin et Gaumier, peu fiables à ses yeux devant le « savant estimé » et la notoriété de Fontaine qui est également une victime de la catastrophe par la perte de son fils et un négociant prudent puisqu’il a pris toutes les précautions contre le feu. L’avocat s’appuie sur l’ordonnance impériale du 31 décembre 1866, qui ne cite à aucun moment le picrate, pour l’exclure des matières fulminantes52. Pour Nicolet, la partie civile ne juge pas la faute mais « l’événement, le fait accompli » et l’« opinion publique » à tort de réclamer des « victimes expiatoires ».

  • 53 Sur le rôle croissant des experts, voir Chauvaud F., Dumoulin L., Experts et expertise judiciaire. (...)
  • 54 Le Figaro, 6 décembre 1869.

26Le ministère public représenté par Aulois approuve la conclusion de son confrère Charles, mais son réquisitoire est plus nuancé. Comme Charles, il s’appuie sur le témoignage de Devilliers et considère que le picrate est un produit fulminant et que Fontaine n’aurait pas dû se « soustraire » à l’ordonnance de 1823 lors de la visite de son usine en 1865, mais il rejette catégoriquement les « insinuations » de Jublin et Gaumier sur la pureté de la poudre s’en tenant comme Nicolet à la parole des experts53. Fontaine a « péché par négligence » et a commis un délit. Aulois conclut son réquisitoire en indiquant qu’il est « impossible que la justice se tût […] sur un événement qui a si vivement ému l’opinion publique et jeté dans tant de familles le deuil avec la misère » mais il n’ignore pas que le tribunal « abaissera jusqu’à ses limites extrêmes la répression encourue par M. Fontaine ». Comme le fait remarquer Le Figaro : « M. Aulois a conclu en ne s’opposant pas à ce que le tribunal admit en sa faveur des circonstances atténuantes54. »

  • 55 Delamare E., « Action de l’ozone sur le picrate de potasse. Détonation qu’il causerait », Le Monit (...)

27Le verdict tombe sans surprise lors de l’audience du 9 décembre et Fontaine est acquitté. Le tribunal retient que la cause de l’accident, « malgré les investigations les plus minutieuses, reste encore inconnue ». S’appuyant sur l’autorité des experts et des scientifiques, le tribunal estime qu’au moment des faits le picrate n’était pas considéré comme une matière fulminante. Concernant les produits classés, le tribunal indique que l’ordonnance du 25 juin 1823 ne désigne dans sa nomenclature que l’acide picrique « produit qui diffère d’ailleurs essentiellement du picrate de potasse ». En conséquence, le tribunal déclare « qu’il est permis, assurément, d’admettre que cette catastrophe a pu être déterminée par un fait d’imprudence personnel à l’un ou à l’autre des individus qui en ont été les premières victimes ; qu’il est évident que, dans ce cas, la responsabilité civile du prévenu serait seule engagée ». Plus surprenant, le tribunal reprend à son compte la thèse de l’ozone atmosphérique évoquée par Roussin lors de sa déposition et émise par les chimistes rouennais, Félix Césaris et Auguste Houzeau quelques mois plus tôt. Des expériences ont montré que l’inflammation du picrate avait été causée par l’ozone alors présent en quantité importante dans l’air de Paris55. Pour le Journal des débats du 11 décembre, « le tribunal a basé sa décision sur ce que la cause de l’explosion restait inexpliquée, et que cette explosion peut être attribuée plutôt à certaines conditions atmosphériques dont les mystères échappent encore à la science qu’à l’imprudence ou à l’absence de précautions de la part de Fontaine ».

  • 56 Layet A., Hygiène des professions et des industries, Paris, J.-B. Baillière, 1875, p. 140.

28Au final, cinq éléments ont permis d’éviter à Fontaine une condamnation au pénal : l’absence de témoins directs, les lacunes de la législation, la notoriété du chimiste, la mort de son propre fils et les caprices du « ciel ». La thèse de l’ozone ne sera pratiquement jamais citée par la suite. Les auteurs qui évoquent la catastrophe préfèreront la version de l’employé-responsable et de ses variantes sur l’origine de la source d’ignition (choc ? frottement ? flamme ?), ou bien admettront comme l’hygiéniste Alexandre Layet que l’explosion est restée sans explication56.

L’« arrêt Fontaine » et la question de l’indemnisation

  • 57 Le XIXe siècle, 6 avril 1872.
  • 58 Chevallier A., « Dangers de l’emmagasinage et du maniement des substances explosives. Responsabili (...)
  • 59 Le Petit Journal, 4 avril 1869 ; Thomereau A., « La catastrophe du 16 mars », Le Moniteur des assu (...)

29Les procédures judiciaires en matière civile, fondées en particulier sur l’article 1382 du Code civil, s’avèrent un peu plus compliquées pour Fontaine qui « se débat au milieu d’une avalanche de procès qui l’ont assailli à la suite de sa désastreuse catastrophe57 ». Pour Brau et le pharmacien-chimiste Alphonse Chevallier, Fontaine est civilement responsable58. Les victimes n’ont pas attendu ces avis et dès le mois d’avril 1869, plusieurs plaignants saisissent l’audience et le juge des référés d’une demande en nomination d’experts pour constater les dégâts matériels et corporels59. Parmi les plaignants qui ont perdu « des positions lucratives », on compte Guillemot, marchand de vin pour 12 066 francs et surtout Motte de Vareille, propriétaire des immeubles 2 et 4 place de la Sorbonne, assuré à la Mutuelle immobilière de Paris, qui réclame 48 180 francs (35 990 francs pour l’immeuble et 12 190 francs pour les maisons voisines).

  • 60 Thomereau A., « La catastrophe du 16 mars », art. cit., p. 170.

30La Mutuelle immobilière exerce son recours contre Fontaine et ses assureurs, La Nationale et le Phénix. Fontaine s’appuie sur le jugement correctionnel de décembre 1869 qui le dégage de toute responsabilité personnelle et se fonde ainsi sur l’autorité de la chose jugée pour opposer une fin de non-recevoir. Face à ses propres assureurs, il s’estime en droit de demander 69 612,70 francs de dommages-intérêts pour réinstaller son magasin mais ceux-ci rejettent la responsabilité sur Fontaine pour non-respect de contrat. Contrairement à Fontaine, ils estiment que c’est l’explosion qui a déterminé l’incendie, ce qu’elles ne sont pas tenues de garantir. En outre, ils reprochent à Fontaine d’avoir « manipulé » dans son magasin des marchandises non déclarées « aggravant les chances d’incendie » pour lesquelles il n’a pas payé la prime supplémentaire. L’avocat et rédacteur en chef du Moniteur des assurances, le très libéral Alfred Thomereau, confirme leur point de vue60. La suite de l’histoire va lui donner tort.

  • 61 Le Journal des assurances, t. 21, 1870, p. 409 ; Le Moniteur des assurances, t. 3, mars 1871, p. 4 (...)
  • 62 Ibid., p. 438.
  • 63 Mémorial du commerce et de l’industrie, deuxième partie, t. 29, 2e série, 1873, p. 144-149 ; Journa (...)

31Devant la complexité de l’affaire, le juge des référés commet deux experts, l’architecte Favé et l’expert-chimiste Boutmy qui remettent leur rapport le 28 décembre 1869. Le jugement est rendu le 29 juillet 1870 par la quatrième chambre du tribunal civil de la Seine (l’appel a lieu en août 1872)61. Le tribunal repousse l’exception de la chose jugée et estime que la responsabilité de Fontaine est engagée62. Le tribunal condamne Fontaine, le Phénix et La Nationale à payer à la Mutuelle immobilière la somme de 48 180 francs et aux frais de justice pour moitié supportés par Fontaine et pour moitié par les assurances. Le tribunal est en revanche favorable au recours en garantie de Fontaine contre ses assureurs. La thèse de l’employé-responsable étant retenue, l’incendie a donc précédé l’explosion ce qui « rentre dans les prévisions de la police d’assurance ». Le tribunal estime que Fontaine a le droit d’introduire sans déclaration le picrate comme tout objet de son commerce, et qu’il a le droit de « manipuler » (au sens commercial) c’est-à-dire de manier, de mettre en paquet ou de transvaser des produits destinés à la vente. Fontaine n’a pas fait de faute grave et il peut prétendre aux bénéfices de sa police. Fontaine et les compagnies d’assurances font appel. Le 13 août 1872, la cinquième chambre de la cour d’appel de Paris confirme tous les points du tribunal d’instance, sauf un élément clé pour les assureurs : elle n’« attache pas une importance sérieuse » au témoignage de Devilliers et, étant donné que les causes demeurent inconnues, considère que « l’inflammation et l’explosion doivent être envisagées comme un fait simultané, unique et indivisible63 ». Cet arrêt dédouane Fontaine de toute responsabilité « directe ou indirecte » et la cour lui attribue une somme de 60 000 francs versée par la Phénix et La Nationale. Ces dernières doivent en outre la somme de 36 000 francs à la Mutuelle immobilière. Le jeu des indemnités est finalement un compromis qui satisfait toutes les parties, sauf la Phénix et La Nationale et les assurances des propriétaires des maisons voisines.

  • 64 Dalloz É., Vergé Ch., Griolet G., Jurisprudence générale, Paris, Bureau de la jurisprudence généra (...)
  • 65 Ibid., p. 21, note 1.

32Cet arrêt de la cour d’appel de Paris fait jurisprudence. Le tribunal civil du Mans du 26 août 1873 se fonde sur l’« arrêt Fontaine » pour dédouaner un vendeur de produits chimiques à la suite de l’incendie involontaire et de l’explosion d’un fût d’essence de pétrole. Les rédacteurs du Dalloz approuvent cette nouvelle jurisprudence car la distinction chronologique entre feu et explosion « enlèverait, dans un grand nombre de cas, au contrat d’assurance la plus grande partie de son utilité pour l’assuré64 ». L’« arrêt Fontaine » réduit singulièrement la marge de manœuvre dont disposaient les compagnies d’assurances pour contester une décision de justice. La simultanéité des phénomènes d’explosion et d’incendie profite à l’assuré qui échappe ainsi à une peine civile, ce qui est un point toujours délicat à établir concernant les fabricants de produits chimiques, soulignent les juristes65.

  • 66 Gazette des tribunaux, no 14649, 27 mai 1874, p. 504 ; Carré A., Compétence judiciaire des juges d (...)

33Entre temps, d’autres « moindres » victimes ont saisi le tribunal de Paix du cinquième arrondissement. Le 12 janvier et le 2 février 1870, Fontaine est condamné à verser 150 francs à Ahier, logeur place de la Sorbonne. D’autres voisins tel le papetier-relieur Pfister font de même mais Fontaine fait appel. Cinq ans après la catastrophe, le 9 mai 1874, la première chambre du tribunal civil de la Seine confirme la responsabilité civile de Fontaine et le déboute de son appel66. La chose jugée ne peut s’appliquer car ces questions de responsabilités « sont étrangères aux parties demanderesses » et que, par ailleurs, l’arrêt du 13 août 1872 concerne uniquement Fontaine et les compagnies d’assurances. Le tribunal affirme que le transport à Paris et le transvasement du picrate commandé par Fontaine témoignent de la connaissance de celui-ci pour le « danger inhérent » de la poudre. Le papetier-relieur Pfister est finalement dédommagé pour le préjudice subi pour une somme de 981 francs avec intérêts à laquelle s’ajoutent 123 francs pour les frais payés à l’expert.

34L’affaire Fontaine illustre une forme de justice à deux vitesses. Il a fallu environ deux fois plus de temps pour indemniser les « petits » commerçants que les notables, propriétaires fonciers ou marchands de produits chimiques. Les indemnités allouées sont sans commune mesure avec ceux des industriels qui peuvent poursuivre leur commerce de produits dangereux en toute légalité.

Au-delà de l’affaire Fontaine : régulation et mémoire

La régulation des explosifs en question

  • 67 Dabot H., Souvenirs et impression d’un bourgeois du quartier latin de mai 1854 à mai 1869, Péronne (...)
  • 68 Journal des Débats, 24 mars 1869.
  • 69 Le Moniteur de l’armée, no 21, 11 avril 1869, p. 2.

35L’explosion de la place de la Sorbonne n’a pas uniquement contribué à compléter la jurisprudence en matière d’assurances. Elle a également pour conséquence de relancer le débat autour de la régulation de la fabrication et du stockage des matières explosives. Les premiers visés, les riverains, ne sont pas rassurés. Un bourgeois du Quartier latin, avocat à la cour d’appel, Henri Dabot, signale la circulation d’une pétition des habitants « pour l’éloignement des établissements dangereux. […] Depuis la catastrophe au picrate nous ne vivons plus. À chaque pas dans nos rues se trouvent des établissements aussi scientifiques que périlleux et dangereux67 ». La contestation parisienne gagne la province. Des pétitions circulent dans plusieurs villes « pour demander que les poudrières soient le plus possible éloignées des habitations ». Les habitants d’Angers, vivent « sur un volcan »68. L’armée tente de rassurer les citoyens69.

  • 70 Chevallier A. fils, « Catastrophe de la place Sorbonne. Nécessité de placer les dépôts de tout pro (...)
  • 71 Journal officiel, 7 février 1871.
  • 72 Le Temps, 7 octobre 1870 ; Le Rappel, Le Figaro, Le Temps, 8 octobre 1870 ; Le Figaro, 9 octobre 1 (...)
  • 73 Le Rappel, 26 et 27 octobre 1870 ; Le Temps, Le Figaro, 26 octobre 1870.
  • 74 Journal des débats, 26 octobre 1870 ; Journal des assurances, 1870, p. 74.

36Le vide juridique concernant le picrate a bénéficié à Fontaine. Il existe bien des ordonnances qui réglementent la fabrication, la vente et le transport des explosifs et de certaines poudres fulminantes comme le fulminate de mercure (ordonnance royale du 30 octobre 1836) ou les feux d’artifice et allumettes fulminantes (ordonnance royale du 24 novembre 1843), mais le picrate n’est jamais explicitement mentionné. Dès les premiers jours de la catastrophe, certains hygiénistes réclament une nouvelle législation afin de bannir le picrate et autres explosifs du « cœur de Paris »70. C’est pour combler cette lacune que la commission du Conseil d’hygiène publique et de salubrité présente le 28 mai 1869 des propositions qu’elle soumet au préfet de police et qui visent à classer le dépôt des matières fulminantes dont le picrate dans la première classe. La guerre franco-prussienne ajourne le projet. L’heure est à la défense nationale. Pendant que certains scientifiques comme Berthelot évaluent la force relative des poudres71, les industriels augmentent les cadences de production ce qui accentue les risques. Le 7 octobre 1870 une usine fabricant du picrate située rue de Javel explose et fait treize morts72. Deux semaines plus tard, le 24 octobre 1870, une autre explosion impliquant également le picrate survient dans une usine de fabrications de bombes (26 impasse Massonnet-2 rue des Poissonniers, 8e arrondissement)73. Un ouvrier est tué et trois autres sont blessés. L’usine n’avait pas d’autorisation et les autorités réagissent : le « gouvernement de la défense nationale » ne peut tolérer le « laisser faire » en matières d’explosifs (fig. 5)74.

Fig. 5 – Avis du ministère des Travaux publics pour encadrer la vente des explosifs (Journal des débats, 11 novembre 1870).

  • 75 Mémorial du commerce, 1874, p. 289-290.

37Malgré ces dispositions finalement peu contraignantes, les explosions de fûts d’essences et d’amorces continuent à ponctuer le quotidien des Parisiens. Au cours de l’année 1874, la législation se durcit et la question de la dangerosité des matières explosives pour les populations prend une autre tournure. Le décret du 12 août 1874 sur le transport des explosifs classe les picrates dans la première catégorie, celle des « matières explosibles ou très dangereuses et dont le transport exige les plus grandes précautions », en particulier en prescrivant l’absence de voyageurs dans les trains correspondants75. Aux yeux des législateurs, les picrates sont aussi dangereux que la nitroglycérine, la dynamite, le coton-poudre et d’autres matières fulminantes. Le décret du 12 août est complété par l’arrêté du 1er décembre 1874 qui fixe les conditions de transport de matières dangereuses par chemins de fer. Là encore, le picrate fait partie de la première catégorie sur les quatre prévues par le décret.

  • 76 Lamy C.-A., Troost L.-J., Bouchardat A., Meugy J.-A., Poggiale A.-B., « Rapport sur l’explosion du (...)
  • 77 Lors de l’Exposition universelle de 1878 les inspecteurs sont chargés de vérifier des flacons expo (...)
  • 78 Bezançon F., Rapport général, op. cit., p. 716. Sur Bezançon, voir Archives nationales, base Léono (...)
  • 79 Bezançon F., Rapport général, op. cit., p. 716. L’humidification de la poudre est pratiquée par le (...)

38Le projet de décret de la commission d’hygiène ressurgit dans ce contexte alors qu’une nouvelle explosion meurtrière impliquant le nitrate de méthyle se produit le 19 novembre 1874 dans l’usine de Poirrier à Saint-Denis. Dans un rapport du Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine du 4 décembre 1874, les chimistes Claude-Auguste Lamy et Joseph-Louis Troost comparent cette catastrophe à celle de la Sorbonne et demandent une nouvelle fois le renforcement de la législation. Leur « réglementation sévère » qui « ne saurait, sans doute, empêcher les explosions dues à l’imprudence des ouvriers » vise moins à interdire le stockage des fulminates (pas plus de 3 kg par paquet de 250 g) qu’à rendre impossible leur préparation « au milieu des populations que l’administration a le droit et le devoir de protéger76 ». Un projet de décret est soumis au ministère de l’Agriculture et du Commerce « et il fut ordonné de surseoir provisoirement à l’instruction de la demande d’autorisation » : les membres du Conseil supérieur des arts et manufactures n’ont pas écouté les sages recommandations du Conseil d’hygiène publique et de salubrité. Est-ce parce que ces derniers avaient proposé une « réglementation [trop] sévère » ? Aux yeux de l’administration, les dépôts de picrate en ville y compris leur manipulation demeurent autorisés… et la mauvaise réputation du picrate se répand inexorablement dans la société77. Comme le fait remarquer le rapporteur Fernand Bezançon, le décret du 7 mai 1878 a bien rangé le nitrate de méthyle dans la première classe mais le picrate « n’est pas compris nommément dans les nomenclatures des établissements classés78 ». Néanmoins, « l’Administration n’est pas désarmée vis-à-vis d’elle » car elle peut s’appuyer sur l’ordonnance royale du 25 juin 1823 et le décret du 31 décembre 1866. Bezançon semble ignorer l’insuffisance de cette législation comme l’a prouvée l’affaire Fontaine. Pour prouver que la loi peut s’appliquer, il donne l’exemple d’un « accident grave » impliquant le picrate qui se produisit le 20 octobre 1877 dans une usine de Boulogne-Billancourt. L’enquête de l’inspecteur Antelme conclut à une erreur de manipulation d’un ouvrier. La préfecture ordonne l’arrêt immédiat de la fabrication du picrate mais l’industriel réclame de poursuivre la production afin « de remplir les clauses de son marché » passé avec le gouvernement. Sur une proposition du chimiste Eugène-Melchior Péligot, le Conseil d’hygiène accorde l’autorisation « avec interdiction formelle à l’industriel d’entreprendre de nouveau, après le 15 décembre [1877], la fabrication du picrate de potasse, même humide, dans l’usine de Billancourt79 ». Cette usine que Bezançon ne nomme pas, appartient aux successeurs du magasin Fontaine.

Le lourd héritage de Fontaine pour ses successeurs

  • 80 Cité par Garnier L., Dauvert P., Jurisprudence des conseils de préfecture. Recueil périodique de j (...)
  • 81 Il poursuit néanmoins son activité dans son second magasin rue Monsieur-le-Prince mais abandonne e (...)
  • 82 Médaille d’or à l’Exposition universelle de 1878, Grand prix en 1889.
  • 83 Dans leur mémoire sur « Le mode de décomposition de quelques explosifs », Émile Sarrau et Paul Vie (...)
  • 84 Bizet P., « Explosion d’une fabrique de produits chimiques », Le Gaulois, 29 octobre 1870.
  • 85 Le XIXe siècle, 15 avril 1874. Il n’y a pas eu de victimes mais les dégâts sont estimés à 100 000 (...)
  • 86 Le XIXe siècle, 2 novembre 1874 ; id., 2 et 3 novembre 1877.
  • 87 Le Figaro, 31 octobre 1877 ; Le Rappel, 2 novembre 1877 ; La Presse, 3 novembre 1877.

39À la suite des plaintes de voisinage, une enquête de commodo et incommodo est effectuée du 29 juin au 17 juillet 1869 par le commissaire de police du quartier de la Sorbonne et un rapport du service des architectes de la préfecture de Police est remis le 1er juillet 186980. Les rapports sont favorables à la continuité du commerce et c’est sans doute au cours du deuxième trimestre 1869 que Fontaine revend son magasin de la Sorbonne à Billault et Billaudot81. Il existe une grande continuité entre les activités de Fontaine et celles de Billault & Billaudot. Outre le maintien du prestige de la maison82, les chimistes sont également propriétaires d’une usine située à Billancourt et préparent des poudres explosives dont le picrate, bien après « l’interdiction formelle » du Conseil d’hygiène et de salubrité publique83. Leur usine a été l’objet de plusieurs accidents. Une première fois le 28 octobre 1870 à cause de l’explosion du fulmi-coton qui blesse quatre personnes dont le frère de Billault84 ; un incendie a eu lieu le 12 avril 187485 puis c’est l’explosion du 20 octobre 1877 mentionnée par Bezançon86. Chaque explosion est l’occasion pour la presse de rappeler à la « mémoire publique » le souvenir de la catastrophe du 16 mars 1869 du désormais « tristement célèbre » magasin87.

  • 88 Garnier L., Dauvert P., Jurisprudence des conseils de préfecture, op. cit., p. 205-208.
  • 89 Layet A., Hygiène des professions, op. cit., p. 217-223.

40Le maintient d’un commerce de produits chimiques de la Sorbonne est loin de plaire aux voisins, en particulier à Haucourt, propriétaire de la maison mitoyenne du 6 place de la Sorbonne qui se plaint des « vapeurs méphitiques et dangereuses facilement inflammables », du « danger pour la salubrité, la sécurité [pour] la vie des personnes et pour les maisons voisines, parmi lesquelles se trouve la Sorbonne, avec toutes ses collections88 ». Le 30 octobre 1883, Haucourt dépose une pétition demandant la suppression du magasin Billault, désormais seul propriétaire, et l’annulation de l’arrêté du 29 septembre 1871 qui autorise l’établissement à tenir dépôt de substances inflammables et explosibles de la première classe dans la limite de moins de 1 050 litres. Le préfet de police Ernest Camescasse répond par lettre du 20 novembre 1883. Il évoque la circulaire ministérielle du 22 novembre 1811 qui « s’en rapporte à l’administration pour la fixation des distances à observer » et maintient l’autorisation. Haucourt s’appuie à son tour sur le décret du 19 mai 1873 qui réforme celui du 31 décembre 1866 en ce qui concerne les matières très inflammables89 mais le préfet avance la non-rétroactivité du décret. Haucourt dépose alors une requête le 3 janvier 1884 et dénonce l’absence de visites réglementaires permettant de constater « des manipulations effectuées journellement dans le sous-sol au moyen de machines, de cornues et d’alambics ». Le 11 janvier 1884, Maître Defert, avocat de Billault et Billaudot estime qu’Haucourt a attendu trop longtemps et s’appuie sur le décret du 15 octobre 1810 qui « n’a imparti aucun délai pour former opposition contre un arrêté d’autorisation ». Le préfet confirme l’interprétation de Defert par lettres des 14 et 17 janvier 1884 et rejette la réclamation d’Haucourt qui a donné « une sorte d’acquiescement à l’arrêté d’autorisation ».

  • 90 Le XIXe siècle, 30 janvier 1884.
  • 91 Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 29 mars 1884, p. 535 ; Garnier L., Dauvert P., J (...)
  • 92 « La justice, 16 juin 1884 » ; Revue de droit commercial, industriel et maritime, deuxième partie, (...)
  • 93 Garnier L., Dauvert P., Jurisprudence des conseils de préfecture, op. cit., p. 203. Le Conseil est (...)

41C’est une nouvelle fois un accident qui donne finalement raison à Haucourt. Le 29 janvier 1884, un incendie se produit dans une cave mitoyenne à celle de Billault provoquant un début de panique90. Dans la séance du Conseil municipal du 28 mars 1884, Henri Michelin rappelle le souvenir de la catastrophe au temps de Fontaine et demande à l’administration « d’étudier la question de très près91 ». Le 30 avril 1884, Haucourt saisit le Conseil de réfecture de la Seine présidé par Émile Laurent qui nomme trois experts « à l’effet de rechercher si l’établissement est installé dans des conditions telles qu’il ne puisse constituer un danger permanent pour la sûreté publique92 ». L’ingénieur en chef des mines Anatole Bère et les chimistes Louis-Désiré L’Hôte et Charles Bardy déposent leur rapport le 8 avril 1885. Le Conseil de préfecture de la Seine se prononce le 7 juillet 1885 et estime qu’à la vue du rapport, le magasin constitue un « danger permanent » dans un « quartier populeux » et qu’il y a donc lieu « de donner suppression d’un [tel] établissement93 ». Il annule l’autorisation du 21 septembre 1871 et condamne Billault à supporter les frais d’expertise qui accepte et renonce à se pourvoir auprès du Conseil d’État.

  • 94 Le XIXe siècle, 18 août 1892 ; Le Petit Parisien, 21 août 1892.
  • 95 Le Figaro, 17 août 1892.
  • 96 La Lanterne, Le Rappel, 18 août 1892 ; L’Express du Midi, La Croix, 17 août 1892 ; Le Petit Parisi (...)

42Billault et Billaudot ont-ils renoncé à stocker certains produits dangereux et ont-ils aménagé les caves ? Toujours est-il que les habitants du quartier vivent une nouvelle fois une grande frayeur lorsque le 16 août 1892, une « terrible explosion » se produit à la cave et secoue l’immeuble. L’employé Paul Delune a approché trop près sa lampe d’une bonbonne d’alcool qui a pris feu et a explosé. Horriblement brûlé, il décède quatre jours plus tard94. Billault estime les dégâts à 10 000 francs95. La presse rappelle une nouvelle fois le souvenir du 16 mars 1869 vieux de pratiquement un quart de siècle, mais « dont les vieux habitants du Quartier latin ont gardé le triste souvenir96 ».

43Cet événement tragique a semble-t-il décidé (ou contraint ?) Billault à arrêter l’activité de son magasin place de la Sorbonne tout en poursuivant celle de son usine à Billancourt. Le magasin a continué d’exister et il a eu deux autres propriétaires : les pharmaciens-chimistes Chenal, Ferron et Douilhet en 1895, année où la veuve Haucourt surélève de deux étages l’immeuble du 6 place de la Sorbonne, puis le pharmacien Toraude à partir de 1921 jusqu’à la fermeture définitive du magasin au début des années 1980 et à sa transformation en un atelier de reprographie nettement moins dangereux.

Conclusion

  • 97 Le Roux Th., « Accidents industriels et régulation des risques : l’explosion de la poudrerie de Gr (...)
  • 98 L’ouvrage est une suite de monographies de produits chimiques et la technicité demandée explique e (...)
  • 99 Bonnaud L., Martinais E., « Des usines à la campagne aux villes industrielles », Développement dur (...)

44Que nous apprend la catastrophe de la place de la Sorbonne sur les conflits et les débordements en matière de gestion du risque industriel ? Tout d’abord, elle illustre et complète différentes observations relevées par les historiens de l’environnement. Celle de la politique du fait accompli qui profite des lacunes de la loi sur les nouveaux explosifs et l’effet catalyseur des accidents dans l’évolution de la législation et des mécanismes d’indemnisation. Contrairement au premier grand accident industriel parisien, l’explosion de la poudrerie de Grenelle le 31 août 1794, la catastrophe de la Sorbonne est source de droit97. Le risque industriel se rationalise avec le progrès scientifique et les inspecteurs doivent s’adapter au cas par cas, ce qui donne lieu à la publication d’un ouvrage de référence sur l’assurance des industries chimiques publié en 1894 par le directeur-adjoint de la Compagnie Métropole-Incendie, Albert Candiani98. Cette politique d’indemnisation a ses limites. Ce n’est que par la persévérance de certains riverains à réclamer non pas des indemnités mais le droit à la sécurité que la législation évolue dans un sens favorable aux habitants du quartier de la Sorbonne. L’affaire de l’approbation du recours d’Haucourt contre Billault par le Conseil de préfecture de la Seine en 1885 est ressentie comme une faille du décret de 1810 par les industriels. La rétroactivité concédée aux riverains est un argument cité par Bezançon et approuvé par certains parlementaires fidèles à la pensée libérale, pour dénoncer le manque de garantie des industriels et qui justifie un raccourcissement des délais de recours dans la loi du 19 décembre 191799. Ainsi, c’est paradoxalement une avancée en matière de protection des citadins qui a contribué à durcir la législation sur les droits de recours.

  • 100 Zimmer A., « Le brouillard mortel de la vallée de la Meuse (décembre 1930). Naturalisation de la c (...)

45Cette catastrophe illustre également des permanences observées sur la longue durée. Comme dans le cas de l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794, l’expertise scientifique a démontré l’innocuité de la poudre et a rejeté la responsabilité sur l’employé. L’un des arguments de l’acquittement de Fontaine au pénal – la présence anormalement élevée d’ozone dans l’atmosphère, n’est pas sans rappeler la configuration météorologique exceptionnelle invoquée pour naturaliser le brouillard mortel d’acides azotés de la Meuse en Belgique en décembre 1930100.

  • 101 L’une des dernières références à la catastrophe remonte à 1961 lorsque l’écrivain et journaliste Y (...)

46Comparée à l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 qui fit des centaines de morts, la catastrophe de la Sorbonne avec ses six victimes a suscité une émotion qui peut sembler disproportionnée. D’autres facteurs propres à l’événement ont contribué au souvenir de la catastrophe : le lieu hautement symbolique de l’événement en plein cœur du Quartier latin avec ses nombreux élèves et étudiants ; la vision des atroces mutilations subies par les victimes ; et la série noire des accidents qui ont ponctué la vie du magasin et des habitants du quartier de la Sorbonne. Si le nom de Fontaine a très vite été oublié, le mot « picrate » en revanche est passé à la Belle Époque dans le langage populaire et a concurrencé le mot « piquette » pour désigner un vin rouge de mauvaise qualité au goût acide… ou pour qualifier des filles aux mœurs légères. La circulation du mot picrate au sein de la société a été entretenue par de multiples acteurs, simples témoins, journalistes, anarchistes, vulgarisateurs, scientifiques, citoyens anonymes ou écrivain, qui ont tous, à leur manière, contribué à inscrire durablement la catastrophe dans la mémoire collective101.

Notes

1 Annuaire et almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration (Didot-Bottin réunis), Paris, Firmin Didot frères, années 1850 à 1862 ; Warolin Ch., « Pierre-Jean Robiquet (1780-1840) », Revue d’histoire de la pharmacie, vol. 87, no 321, 1999, p. 97-110.

2 Walter F., Catastrophes : une histoire culturelle, XVIe -XXIe siècles, Paris, Le Seuil, 2008.

3 Massard-Guilbaud G., Histoire de la pollution industrielle, France, 1789-1914, Paris, EHESS, 2010 ; Le Roux Th., Le laboratoire des pollutions industrielles : Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011. Paris et sa banlieue se transforment en un paysage industriel, Guillerme A., Lefort A.-C., Jigaudon G., Dangereux, insalubres et incommodes. Paysages industriels en banlieue parisienne, XIXe - XXe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2004.

4 Fressoz J.-B., L’apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Paris, Le Seuil, 2012.

5 Bret P., L’État, l’armée, la science. L’invention de la recherche publique en France (1763-1830), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 275-279.

6 Le Roux Th., Les paris de l’industrie, 1750-1920, Grâne, Créaphis, 2013, p. 77-101 en particulier.

7 Massard-Guilbaud G., Histoire de la pollution industrielle, op. cit., p. 279.

8 Le Roux Th., Letté M. (dir.), Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit, XVIIIe - XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 15.

9 Quenet G., « La catastrophe, un objet historique ? », Hypothèses, no 1, 1999, p. 11-20.

10 Letté M., « Débordements industriels dans la cité et l’histoire de leurs conflits aux XIXe et XXe siècles », Documents pour l’histoire des techniques, no 17, 2009, p. 163-173.

11 Charle Ch., Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Le Seuil, 2004.

12 Le picrate est un sel de l’acide picrique utilisé en teinture depuis les années 1780. Le picrate de potassium s’obtient facilement par action d’une solution de sel de potassium (comme le carbonate de potassium) sur l’acide picrique et apparaît sous forme d’un précipité jaune qui se forme au fur et à mesure de la réaction. Les propriétés explosives du picrate sont connues depuis la fin des années 1790 et les plus grands chimistes ont étudié ses propriétés.

13 Les recherches sur le picrate s’inscrivent dans la quête de nouvelles substances explosives comme la nitrocellulose (fulmicoton ou coton-poudre), la nitroglycérine, la dynamite ou encore le TNT. D’un point de vue chimique, tous ces explosifs possèdent un point commun : ce sont des substances azotées issues de l’action de l’acide nitrique sur un composé organique pur ou un mélange plus ou moins complexe.

14 Les citations qui suivent sont principalement tirées des journaux suivants : Le Petit journal, Le Siècle, la Petite presse, la Presse, le Journal des débats, Le Temps, le Droit ; des revues scientifiques et de vulgarisation comme le Journal de pharmacie et de chimie, le Journal de chimie médicale, pharmacie et toxicologie, les Annales d’hygiène publique et de médecine légale, L’Année scientifique et industrielle ou le Moniteur scientifique. Ces sources sont explicitement signalées lorsque la citation qui en est extraite est jugée importante.

15 Journal des instituteurs, 12e année, no 13, 28 mars 1869, p. 185 ; The Wellington Independent, 22 mai 1869.

16 Des extraits sélectionnés publiés sous forme de petits livrets se multiplient. L’épouvantable catastrophe de la place de la Sorbonne, Paris, Ve Aubert, 1869 ; id. Paris, Ve Roger, 1869 ; La grande catastrophe de la place Sorbonne, Paris, Alphonse Duchenne, 1869.

17 « Great explosion at Paris (From the European Mail, March 26) », West Coast Times, 24 mai 1869, p. 3.

18 Sur le rôle des citoyens-sauveteurs dans l’acclimatation des risques industriels, voir la contribution de Frédéric Caille dans ce volume.

19 Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, 16 mars 1869 !, La question légale, Paris, L. Dentu et Librairie du Petit Journal, juin 1869.

20 Tissandier G., La Houille, Paris, Hachette et Cie, 1869.

21 La Petite Presse, 17 mars 1869.

22 L’inhalation d’oxygène selon un procédé inventé par le pharmacien Stanislas Limousin n’a pas permis de sauver le jeune homme, Limousin S., Contributions à la pharmacie et à la thérapeutique, Paris, Asselin et Cie, 1878-1879, p. 88-92.

23 Tardieu A., « Étude médico-légale sur les blessures par imprudence, l’homicide et les coups involontaires », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, t. 35, 2e série, 1871, p. 376.

24 Le Temps, 15 avril 1869.

25 Le Petit Journal, 20 mars 1869. En réalité, Fontaine a un autre fils, Gaston, qui lui succède en 1884.

26 Designolle G. L. G., « Des carbazotates considérés comme poudre de guerre, et de leurs applications à la pyrotechnie », Bulletin hebdomadaire de l’association scientifique de France, t. II, décembre 1867, Paris, Gauthier-Villars, p. 373-374 ; Casthelaz J., « Note sur les principaux picrates employés dans la fabrication des poudres et la pyrotechnie », Le Moniteur scientifique, 1er avril 1869, p. 305-310.

27 Payen A., « Notes relatives à une réclamation de priorité présentée au sujet de la fabrication de la poudre de guerre à base de picrate de potasse, par M. Fontaine », Bulletin de la Société pour l’encouragement de l’industrie nationale, t. 16, 2e série, 1868, p. 122.

28 David P., Journal des Débats, 17 mars 1869.

29 À la suite de l’accident, l’Allemagne interdit le transport des picrates de soude et de potasse sur les chemins de fer, « Explosion produite dans une fabrique par le picrate de soude », Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, t. 14, 2e série, 1867, p. 56 ; Figuier L., « Explosion due au picrate de soude », L’année scientifique et industrielle, 12e année (1867), Paris, Hachette et Cie, 1868, p. 302.

30 Bulletin hebdomadaire de l’Association scientifique de France, t. 5, no 112, 21 mars 1869, p. 177.

31 Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit.

32 Journal officiel cité par Le Temps, 22 mars 1869.

33 Le Temps, 22 mars 1869.

34 Le Moniteur Belge. Journal officiel, no 79, 20 mars 1869, p. 1001. Commentaire similaire dans Le Temps, 20 mars 1869.

35 Le Figaro, 26 août 1870.

36 Pellarin Ch., « Considérations sur les progrès et la classification des sociétés », extraits des Bulletins de la société d’anthropologie (séance du 21 mars 1872), Paris, Masson, 1872, p. 41.

37 Brau X., La Vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit., p. 95.

38 Tissandier G., « Le picrate de potasse et les poudres fulminantes », Revue des cours scientifiques, 6e année, no 25, 22 mai 1869, p. 395.

39 Tissandier G., Le National, 20 mars 1869.

40 Fressoz J.-B., L’apocalypse joyeuse, op. cit., p. 273.

41 Mangin A., Délassements instructifs. Les télégraphes, Les feux de guerre, Tours, 1893, p. 135.

42 Tissandier G., L’Illustration, journal universel, t. 53, 27 mars 1869, p. 198 ; id., La Houille, Paris, librairie Hachette et Cie, 1869, p. 250.

43 Le procès est intégralement retranscrit en style direct dans la Gazette des tribunaux que la presse relaie avec plus ou moins de commentaires et de variantes dans les dialogues. Références pour la Gazette des tribunaux : 1re séance (13 novembre) : no 13294, 14 novembre 1869, p. 111 ; 2e séance (20 novembre) : no 13300, 21 novembre 1869, p. 1138 ; 3e séance (27 novembre) : no 13308, 1er décembre 1869, p. 1170 et no 13310, 3 décembre 1869, p. 1178 ; 4e séance (4 décembre) : no 13315, 10 décembre 1869, p. 1201-1202 ; 5e séance (9 décembre) : no 13315, 10 décembre 1869, p. 1201-1202. L’intégralité de l’« affaire Fontaine » est publiée dans Le Moniteur scientifique, t. 12, 1er janvier 1870, p. 1-23 ; mais curieusement, la partie concernant la plaidoirie de l’avocat Nicolet lors de la troisième audition n’est pas intégrée.

44 Le Figaro, 6 décembre 1869.

45 Larousse P., Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, t. 12, Paris, Administration du Grand dictionnaire universel, 1875, p. 951.

46 Rapport lu par Jacquot ingénieur en chef des mines dans la séance du 2 avril 1869. Rapport général sur les travaux du Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine depuis 1867 jusqu’à 1871, Paris, p. 265.

47 Poggiale A.-B., « Explosion qui a eu lieu, le 16 mars, place de la Sorbonne. Acide picrique et picrate de potasse », Journal de pharmacie et de chimie, t. 9, 4e série, avril 1869, p. 254.

48 Journal des Débats, 18 mars 1869.

49 De Parville H., « Les substances explosives », Causeries scientifiques. Découvertes et inventions, progrès de la science et de l’industrie, 9e année, 1869, Paris, J. Rothschild, 1870, p. 295.

50 Balland A., Luizet D., Haller A., Le chimiste Z. Roussin. Chimie-Physiologie-Expertises médicolégales, Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1908.

51 Des voisins avaient signalé en 1865 les « exhalaisons nuisibles » de l’usine d’Issy mais la visite effectuée par l’inspecteur principal n’avait pas mis en évidence la présence de matières non classées.

52 Seul l’acide picrique est mentionné. Sa fabrication est jugée particulièrement nocive par les hygiénistes en raison des risques d’explosions et des « vapeurs nuisibles et délétères ayant une action grave sur la santé des ouvriers et sur la végétation environnante ». Les industries produisant de l’acide picrique entrent dans la première classe si les gaz nuisibles (dioxyde de carbone et dioxyde d’azote) ne sont pas brûlés et dans la troisième classe si ces mêmes gaz sont détruits. Les précautions d’usages sont recommandées (éloignement des usines des habitations et cheminées d’au moins trente mètres). Le décret du 3 mai 1886 conservera la classification de 1866. Bunel H., Établissements insalubres, incommodes et dangereux, Paris, André, Daly Fils & Cie, 1887, p. 158-159 ; Layet A., « Hygiène industrielle » inRocard J. (dir.), Encyclopédie d’hygiène et de médecine publique, t. 6, Paris, L. Bataille, 1894, p. 181, 238 et 340.

53 Sur le rôle croissant des experts, voir Chauvaud F., Dumoulin L., Experts et expertise judiciaire. France, XIXe et XXe siècles, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 2003.

54 Le Figaro, 6 décembre 1869.

55 Delamare E., « Action de l’ozone sur le picrate de potasse. Détonation qu’il causerait », Le Moniteur scientifique, 1er mai 1869, p. 464.

56 Layet A., Hygiène des professions et des industries, Paris, J.-B. Baillière, 1875, p. 140.

57 Le XIXe siècle, 6 avril 1872.

58 Chevallier A., « Dangers de l’emmagasinage et du maniement des substances explosives. Responsabilité qui, en cas d’accidents, peut incomber aux patrons et aux fabricants », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, t. 32, 2e série, 1869, p. 110.

59 Le Petit Journal, 4 avril 1869 ; Thomereau A., « La catastrophe du 16 mars », Le Moniteur des assurances, Paris, Armand Anger, t. 2, no 16, 15 avril 1869, p. 168.

60 Thomereau A., « La catastrophe du 16 mars », art. cit., p. 170.

61 Le Journal des assurances, t. 21, 1870, p. 409 ; Le Moniteur des assurances, t. 3, mars 1871, p. 413-418 ; Bonneville de Marsagny L., Jurisprudence générale des assurances, Paris, 1882, p. 436-439.

62 Ibid., p. 438.

63 Mémorial du commerce et de l’industrie, deuxième partie, t. 29, 2e série, 1873, p. 144-149 ; Journal des assurances, t. 24, 1873, p. 51-58 ; Bonneville de Marsagny L., Jurisprudence générale des assurances, op. cit., p. 436-441.

64 Dalloz É., Vergé Ch., Griolet G., Jurisprudence générale, Paris, Bureau de la jurisprudence générale, 1873, p. 220, note 5.

65 Ibid., p. 21, note 1.

66 Gazette des tribunaux, no 14649, 27 mai 1874, p. 504 ; Carré A., Compétence judiciaire des juges de paix en matière civile, Paris, Imprimerie et librairie générale de jurisprudence, 1875, p. 100.

67 Dabot H., Souvenirs et impression d’un bourgeois du quartier latin de mai 1854 à mai 1869, Péronne, Imprimerie E. Quentin, 1899, p. 275. Pétition signalée le 25 avril 1869.

68 Journal des Débats, 24 mars 1869.

69 Le Moniteur de l’armée, no 21, 11 avril 1869, p. 2.

70 Chevallier A. fils, « Catastrophe de la place Sorbonne. Nécessité de placer les dépôts de tout produit inflammable ou explosible hors des villes », Moniteur d’hygiène, t. 4, avril 1869, p. 138-142.

71 Journal officiel, 7 février 1871.

72 Le Temps, 7 octobre 1870 ; Le Rappel, Le Figaro, Le Temps, 8 octobre 1870 ; Le Figaro, 9 octobre 1870.

73 Le Rappel, 26 et 27 octobre 1870 ; Le Temps, Le Figaro, 26 octobre 1870.

74 Journal des débats, 26 octobre 1870 ; Journal des assurances, 1870, p. 74.

75 Mémorial du commerce, 1874, p. 289-290.

76 Lamy C.-A., Troost L.-J., Bouchardat A., Meugy J.-A., Poggiale A.-B., « Rapport sur l’explosion du 19 novembre 1874 », inBezançon F., Rapport général sur les travaux du Conseil d’hygiène publique et de salubrité du département de la Seine depuis 1872 jusqu’à 1877 inclusivement, Paris, Imprimerie de la préfecture de Police, 1880-1881, p. 620.

77 Lors de l’Exposition universelle de 1878 les inspecteurs sont chargés de vérifier des flacons exposés dans les vitrines, Le Rappel, 24 mai 1878.

78 Bezançon F., Rapport général, op. cit., p. 716. Sur Bezançon, voir Archives nationales, base Léonore, LH/230/48.

79 Bezançon F., Rapport général, op. cit., p. 716. L’humidification de la poudre est pratiquée par les industriels car comme le rappelle l’ingénieur des arts et manufactures J. Daniel, « ce qui rend le picrate de potasse particulièrement dangereux, c’est que, s’il est sec et réduit en poussière fine, des parcelles pulvérulentes s’enflamment aisément à distance et font détonner toute la masse dont elles émanent », Daniel J., Poudres et explosifs. Dictionnaire des matières explosives, Paris, Dunod, 1902, p. 616.

80 Cité par Garnier L., Dauvert P., Jurisprudence des conseils de préfecture. Recueil périodique de jurisprudence et de législation administratives, Paris, Bureaux de la jurisprudence, 1884, p. 205-208. Aucune trace de ces rapports n’a pu être retrouvée.

81 Il poursuit néanmoins son activité dans son second magasin rue Monsieur-le-Prince mais abandonne en revanche la production et la vente de produits chimiques que son successeur et fils Gaston va reprendre à sa mort en 1884 et poursuivre jusqu’en 1912.

82 Médaille d’or à l’Exposition universelle de 1878, Grand prix en 1889.

83 Dans leur mémoire sur « Le mode de décomposition de quelques explosifs », Émile Sarrau et Paul Vieille indiquent avoir effectué leurs expériences à la poudrerie de Sevran avec 5 000 kg de picrate de potasse fournis par Billault-Billaudot : Sarrau E., Vieille P., Mémorial des poudres et salpêtres, t. 2, Paris, Gauthier-Villars, 1884-1889, p. 132.

84 Bizet P., « Explosion d’une fabrique de produits chimiques », Le Gaulois, 29 octobre 1870.

85 Le XIXe siècle, 15 avril 1874. Il n’y a pas eu de victimes mais les dégâts sont estimés à 100 000 francs.

86 Le XIXe siècle, 2 novembre 1874 ; id., 2 et 3 novembre 1877.

87 Le Figaro, 31 octobre 1877 ; Le Rappel, 2 novembre 1877 ; La Presse, 3 novembre 1877.

88 Garnier L., Dauvert P., Jurisprudence des conseils de préfecture, op. cit., p. 205-208.

89 Layet A., Hygiène des professions, op. cit., p. 217-223.

90 Le XIXe siècle, 30 janvier 1884.

91 Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 29 mars 1884, p. 535 ; Garnier L., Dauvert P., Jurisprudence des conseils de préfecture, op. cit., p. 205-208.

92 « La justice, 16 juin 1884 » ; Revue de droit commercial, industriel et maritime, deuxième partie, 1885, p. 318-320.

93 Garnier L., Dauvert P., Jurisprudence des conseils de préfecture, op. cit., p. 203. Le Conseil estime qu’il n’y a pas de délai de réclamation, suivant ainsi l’interprétation de Dufour-raffier G., Traité pratique des ateliers insalubres dangereux ou incommodes, Paris, Cosse, Marchal et Cie, 1858, p. 76-79. Cette vision favorable aux voisinages s’oppose à celle de Denis Serigny en 1865 pour qui s’applique la maxime « qui ne dit mot consent » : Serigny D., Traité de l’organisation, de la compétence et de la procédure en matière contentieuse administrative dans leurs rapports avec le droit civil, t. 3, Paris, Auguste Durand, 1865, p. 51.

94 Le XIXe siècle, 18 août 1892 ; Le Petit Parisien, 21 août 1892.

95 Le Figaro, 17 août 1892.

96 La Lanterne, Le Rappel, 18 août 1892 ; L’Express du Midi, La Croix, 17 août 1892 ; Le Petit Parisien, 18 août 1892 ; Gil Blas, 18 août 1892.

97 Le Roux Th., « Accidents industriels et régulation des risques : l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 58-3, juillet-septembre 2011, p. 34-62.

98 L’ouvrage est une suite de monographies de produits chimiques et la technicité demandée explique en partie la mise en place d’une formation des inspecteurs des assurances. Candiani A., L’Assurance des industries chimiques. Étude théorique et pratique sur les industries chimiques, leurs procédés de fabrication, leurs dangers d’incendie et les primes y relatives, Paris, Warnier et Cie, 1894. Sur ces questions, voir la contribution de Raymond Dartevelle dans ce volume.

99 Bonnaud L., Martinais E., « Des usines à la campagne aux villes industrielles », Développement durable et territoires [revue en ligne], 2005.

100 Zimmer A., « Le brouillard mortel de la vallée de la Meuse (décembre 1930). Naturalisation de la catastrophe », in Le Roux Th., Letté M. (dir.), Débordements industriels, op. cit., p. 115.

101 L’une des dernières références à la catastrophe remonte à 1961 lorsque l’écrivain et journaliste Yves Grosrichard publie un roman, Le Haut du Pavé, dans lequel il effectue une mise en abyme de la catastrophe de la Sorbonne : Petit J., Roman 61. Anthologie des principaux romans français publiés en 1961, Paris/Bruxelles, Didier, 1961, p. 40-46.

Table des illustrations

Légende Fig. 1 – Plan général place Sorbonne avec magasin Fontaine et différents commerces (Archives de Paris, P/11851/B, plan parcellaire reconstitué (1871-1896), 5e arrondissement, quartier Sorbonne, 14e feuille, échelle 1/500).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/47426/img-1.jpg
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Légende Fig. 2 – Plan du magasin Fontaine avec position du personnel au moment de l’explosion (Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit., p. 57).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/47426/img-2.jpg
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Légende Fig. 3 – Le moment de la « formidable » explosion dont le souffle a entraîné le corps de deux employés (Brau X., La vérité sur la catastrophe de la Sorbonne, op. cit., couverture).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/47426/img-3.jpg
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Légende Fig. 4 – L’explosion a produit d’épaisses fumées toxiques (Le Monde illustré, 27 mars 1869).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/47426/img-4.jpg
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Légende Fig. 5 – Avis du ministère des Travaux publics pour encadrer la vente des explosifs (Journal des débats, 11 novembre 1870).
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/47426/img-5.jpg
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