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La République à l'épreuve des peurs

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Jean-Claude Caron
, 
Philippe Bourdin
, 
Lisa Bogani
, 
et al.

Deuxième partie. Peur et exclusion civique

1848 : Liberté et peurs sociales aux Caraïbes

La citoyenneté républicaine face aux réalités coloniales

1848: Freedom and social fears in the Caribbean. Republican citizenship in front of colonial realities

Nelly Schmidt

Résumé

Un modèle républicain fut, en 1848, spécifiquement mis au point pour les colonies dans lesquelles l’esclavage était aboli par décret du 27 avril. Il se traduisit par un ensemble de décrets organiques accompagnant celui de l’abolition et par la mise en œuvre d’une politique d’oubli du passé dont les effets furent particulièrement efficaces. Il s’agissait, dans un double contexte de tension/peur sociale et d’instauration inédite de droits politiques, de faire face aux réalités et aux contraintes coloniales hors des cadres de l’esclavage. Cet ensemble de mesures – notamment le décret concernant les élections des représentants à l’Assemblée nationale au suffrage universel masculin par les « nouveaux libres/nouveaux citoyens » – porte en lui-même la négation de la liberté pourtant proclamée. La profonde crainte de troubles sociaux et politiques éprouvée par les membres des commissions qui se succédèrent alors pour régler les questions coloniales, par les planteurs comme par les autorités elles-mêmes, provoqua l’élaboration d’une « police du travail » et de mesures de contrôle social au sujet desquelles on put parler, au début des années 1870, d’« attentats à la liberté individuelle ».
Il s’agit là d’un cas d’école dans le domaine du pragmatisme politique. Il est examiné ici en mettant en parallèle les textes législatifs du nouveau système colonial – sans esclavage – et les événements des lendemains de l’émancipation dans les colonies françaises des Caraïbes et plus particulièrement en Guadeloupe, là où la tension sociale fut extrêmement vive et constante. 1848 fut ainsi la matrice, en quelque sorte, d’une évolution coloniale dite républicaine à la française, dans la longue durée – en fait du milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours – avec la thématique de l’assimilation, du schœlcherisme et de bien d’autres mythes sociaux et politiques.

Texte intégral

« La crainte de la révolte est leur cauchemar éternel : ils ne vivent pas, mais ils meurent tous les jours de terreur. » Abbé C. Dugoujon, au sujet des planteurs de Guadeloupe, 10 juin 1841.
« Nous n’avons rien de prêt pour réprimer le vagabondage après l’émancipation proclamée, il y aura nécessité de rester armé. » Rochoux, conseiller privé du gouverneur de la Guadeloupe, 27 mai 1848.

  • 1 Dans De la manière dont les conseils coloniaux ont reçu la loi et les ordonnances de 1845, rapport (...)
  • 2 Lettres sur l’esclavage dans les colonies françaises, Paris, Pagnerre Éditeur, 1845, lettre dix-neu (...)

1En 1848, le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises du 27 avril et l’ensemble des décrets organiques qui l’accompagnaient furent considérés par leurs auteurs comme inaugurant un modèle républicain spécifiquement mis au point pour les colonies. Une politique d’oubli du passé aux effets particulièrement efficaces était parallèlement mise en œuvre. Il s’agissait, dans un double contexte de peur sociale et d’instauration inédite de droits politiques, de faire face aux réalités et aux contraintes coloniales hors des cadres de l’esclavage. Aux terreurs du système esclavagiste succédait en effet une série de peurs sociales et politiques générées par la disparition des cadres légaux de la servitude. Du XVIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, arrêtés et ordonnances avaient constamment réglementé le régime de l’esclavage. Une législation dense, qui ne cessa de consolider et de légitimer un régime asocial dont les failles pouvaient se manifester à chaque menace réelle ou rumeur de rébellion. Une réglementation qui se heurta en fait à une jurisprudence sans cesse renouvelée et aux pouvoirs sans réelles limites que les planteurs exerçaient de manière exclusive sur leurs exploitations et sur leur main-d’œuvre. Des colons planteurs peu soucieux, en fait, du contenu et de l’application – ou pas – d’un texte tel que l’édit de 1685 et des règlements que le pouvoir central édicta jusqu’au milieu du XIXe siècle, constituant ainsi le vaste recueil dit du Code noir. Planteurs, grands négociants, conseils coloniaux et conseils privés avaient, sur place, le pouvoir réel, face à des autorités centrales elles-mêmes conscientes de leur impuissance. Agénor de Gasparin, dans un rapport qu’il établit sur l’application des lois modifiant, en 1845, le régime de l’esclavage dans les colonies françaises, ne relevait-il pas « l’indépendance séditieuse contre le pouvoir métropolitain » manifestée depuis toujours par les colons1 ? D’autres observateurs comparèrent les propriétaires d’esclaves des Caraïbes et des Amériques aux habitants des flancs d’un volcan qui craignent l’éruption mais restent sur place, retenus par la nature féconde de la terre volcanique. Ainsi l’abbé Dugoujon, vicaire de la paroisse de Sainte-Anne en Guadeloupe, écrivait-il à leur sujet en 1841 : « Ils ne vivent pas, mais ils meurent tous les jours de terreur […]. Je sais maintenant jusqu’à quel point la peur peut rendre les hommes cruels2. » Cette communication est essentiellement fondée sur des sources relatives à cette colonie.

Contexte caraïbe

2Les colonies européennes des Caraïbes insulaires comptèrent, au cours du XVIIIe et au début du XIXe siècle, jusqu’à 90 % d’esclaves par rapport à leur population totale. Elles furent les lieux de phénomènes de résistance de la part des esclaves qui débutèrent dès les débuts du processus colonial. Les révoltes d’esclaves et les menaces de soulèvements se succédèrent de manière très rapprochée dans le temps, entretenant des peurs sociales permanentes. Une longue tradition antiesclavagiste de la part des tout premiers concernés, les esclaves eux-mêmes, dont les traces subsistent dans la culture de ces pays, dans la survivance des camps d’esclaves fugitifs, dits esclaves marrons ou cimarrons, dans la langue, dans de multiples traditions, dans les contes et la littérature, mais dont on ne conserve que très peu de traces écrites, hormis les rapports officiels d’administrateurs ou ceux que laissèrent religieux ou voyageurs.

3Les questions, les thèmes de réflexion qu’ont induits ces résistances se sont inscrits dans un long siècle d’abolitions qui débuta lors de la révolte des esclaves de Saint-Domingue en 1791, aboutissant à une première abolition sur le plan local en 1793 puis à la première émancipation décidée par la Convention révolutionnaire à Paris en 1794. Suite aux ordres de rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802, une guerre coloniale se déclencha contre l’expédition militaire envoyée par le Premier consul dans ce territoire. Cette expédition fut vaincue en 1803 et l’indépendance de la partie occidentale de l’île fut proclamée le 1er janvier 1804 sous le nom d’Haïti. Le processus était enclenché. Le long siècle des abolitions de l’esclavage dura jusqu’à la « loi d’or » proclamée au Brésil en 1888. La Révolution haïtienne exerça quant à elle une influence déterminante dans l’ensemble des Caraïbes et des Amériques pendant plus d’un siècle.

4Les instructions aux gouverneurs, les rapports des procureurs témoignent d’une perpétuelle adaptation des mesures de contrôle et de répression à la crainte des complots politiques, des soulèvements d’esclaves et des interventions d’« agents haïtiens ». La tension était telle dans les colonies françaises qu’en 1829, le ministère de la Marine et des Colonies entreprit de procéder à une révision de l’édit de 1685 et de l’ensemble du code réglementant le régime de l’esclavage pour les réactualiser. Le bureau des Colonies procéda dans les années 1830 à la mise au point d’un Code pénal des esclaves après le laborieux rétablissement de la servitude intervenu en 1802 en Guadeloupe et en 1803 en Guyane et dans un contexte d’incessantes rébellions d’esclaves et complots de « libres de couleur ».

5Suivirent les décrets d’abolition dans les pays d’Amérique du Sud pendant la première moitié du XIXe siècle, les décrets britannique, danois, français, néerlandais, espagnol, l’émancipation aux États-Unis à l’issue de la guerre de Sécession, l’application de l’émancipation progressive espagnole à Puerto Rico en 1873, à Cuba en 1886 puis l’abolition au Brésil en 1888. Plusieurs types de procédures de suppression de l’esclavage eurent lieu. Une émancipation immédiate fut proclamée en Haïti en 1793, dans les colonies françaises en 1848. Une émancipation progressive, ou graduelle, fut mise en œuvre dans les colonies britanniques, danoises, néerlandaises, espagnoles, à Puerto Rico et à Cuba, avec l’application de la loi Moret votée par les Cortès en 1870. Les suppressions de l’esclavage se situèrent majoritairement en contextes conflictuels, comme dans l’ensemble des colonies espagnoles, que ce soit en Amérique du Sud ou aux Caraïbes, à Cuba notamment pendant la guerre de Dix Ans entre 1868 et 1878, ou aux États-Unis en 1863-1865. Les abolitions y furent proclamées dans un contexte de tension sociale majeure, comme ce fut le cas dans les colonies britanniques, suite à la grande révolte des esclaves de Jamaïque en 1831-1832 ou dans les colonies françaises de Guadeloupe et de Martinique en 1848.

6Mais partout les gouvernements centraux cherchèrent à ménager les intérêts des colons planteurs. Ce fut notamment le cas, par exemple, dans les colonies britanniques et françaises dont les planteurs furent indemnisés de manière proportionnelle au nombre d’esclaves qu’ils possédaient, les esclaves eux-mêmes ne percevant aucune terre, ni aucune indemnisation financière. Partout, également, à la liberté succéda une période de peur sociale, de renforcement des moyens de contrôle social, de discrimination, en fait de développement de l’encadrement colonial destiné à remédier à la disparition de la réglementation esclavagiste.

La décision d’abolir et les premières mesures

  • 3 Lara O. D., La liberté assassinée. Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, 1848-1856, Paris, L’ (...)

7Le 24 février 1848, un gouvernement provisoire républicain fut formé à Paris au lendemain des journées révolutionnaires que venait de connaître la capitale. Plusieurs témoignages attestent de la proclamation du principe d’abolition de l’esclavage dès le 25 février. Il s’agit en effet de l’une de ces nombreuses décisions que prit le nouveau gouvernement de manière théorique, qui reçurent plus tard une traduction légale. Dans Histoire de la Révolution de 1848, indique l’historien Oruno D. Lara3, Lamartine a relaté la journée du 25 février 1848 pendant laquelle se tint un « conseil secret » du gouvernement : « Chacun des membres présents au conseil sonda son cœur et son intelligence, pour y trouver l’initiative de quelques grandes réformes, ou de quelques grandes améliorations législatives, politiques et sociales. Ces initiatives sont la philosophie des révolutions. » Parmi ces initiatives, précise-t-il, fut proposée celle de « l’abolition instantanée de l’esclavage des noirs qui souillait la morale même de nos lois, et qui menaçait nos colonies d’une perpétuelle explosion ».

  • 4 Notamment les délégués de la Guadeloupe, Jabrun et Reiset, ceux de la Martinique, Pécoul et Froidef (...)
  • 5 Extrait de Schœlcher V., La vérité aux ouvriers et cultivateurs de la Martinique, 1849, chapitre xi (...)
  • 6 ANOM (Archives nationales d’outre-mer), Fonds de l’indemnité coloniale, correspondance, K2.

8François Arago, nouveau ministre de la Marine en charge des Colonies, pressé par les délégués de planteurs qui se succédèrent alors à l’hôtel de ville4, envoyait dès le 26 février un courrier aux gouverneurs : « Il faut que les populations des colonies attendent avec calme et confiance la solution que le gouvernement définitif ne peut manquer de donner promptement à la question de l’abolition de l’esclavage5. » Les chambres de commerce et groupes d’armateurs des grands ports intercédèrent eux aussi auprès du ministre de la Marine : indemnisation des colons, réglementation du travail, envoi de troupes et encadrement social des esclaves libérés leur apparaissaient comme les conditions à remplir en urgence afin que les colonies ne fussent pas ruinées et « perdues6 ». En fait, Arago souhaitait retarder la concrétisation de la décision prise le 25 février et en modérer les conséquences. Il attendait le retour de Victor Schœlcher à Paris. Ce dernier arriva du Sénégal où il avait mené une enquête de cinq mois sur le sort des captifs et des esclaves. Le ministre le reçut le 3 mars 1848. L’abolitionniste le persuada du danger d’une répétition des événements de Saint-Domingue/Haïti si la liberté n’était pas rapidement proclamée.

  • 7 ANOM, Généralités 162, Procès-verbaux de la Commission instituée pour préparer l’acte d’émancipatio (...)

9Le 4 mars, le gouvernement publiait un décret signé d’Arago, proclamant qu’« aucune terre française ne peut plus porter d’esclaves ». Schœlcher était nommé sous-secrétaire d’État aux Colonies avec délégation de pouvoirs d’Arago « pour régler l’affaire des colonies et de l’émancipation ». Il devenait également président de la Commission d’abolition de l’esclavage. Dès la première séance, le 6 mars 1848, Schœlcher proposait une version de l’article premier du décret, très inspirée de celui de 1794 : « L’esclavage sera entièrement aboli dans les colonies et possessions de la France six semaines après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. Tous les affranchis deviennent citoyens français. » Les objectifs étaient d’« arrêter les termes du décret qui donnera la liberté aux esclaves » et de « proposer les moyens les plus sages pour assurer le travail avec la liberté7 ».

10Une question concernait enfin, après la suppression des conseils coloniaux et des délégations de planteurs auprès du pouvoir central, le « mode d’élection pour la représentation des colonies à l’Assemblée nationale ». L’application du suffrage universel masculin dans les colonies suscita de vifs débats. L’« influence des anciens maîtres sur leurs affranchis » ne devrait-elle pas être « contrebalancée » ? François-Auguste Perrinon, chef de bataillon d’Artillerie, polytechnicien, « homme de couleur » libre originaire de la Martinique, appelé par Schœlcher à faire partie de la commission d’abolition, jugea que les esclaves n’étaient pas prêts à exercer ce droit civique. Armand Mestro, directeur du bureau des Colonies, redoutait des « choix inattendus, hétéroclites ». Les délégués des planteurs de Guadeloupe, Jabrun et Reiset, souhaitaient que « seuls les libres avant l’émancipation générale » fussent admis à prendre part aux scrutins. Froidefonds-Desfarges, s’exprimant pour ceux de la Martinique, estima que « les nègres sont de grands enfants, aussi peu capables de connaître leurs droits que leurs devoirs ». Schœlcher concluait toutefois qu’« il y a dans les assemblées populaires une lumière de raison qui se dégage comme d’elle-même et conduit aux résolutions les plus sûres »…

  • 8 ANOM, Série Généralités 119/1061.

11À la veille de l’envoi du décret d’abolition aux membres du gouvernement pour signature, Schœlcher ajoutait un considérant en marge de la minute, afin de les convaincre de l’urgence d’une suppression immédiate de l’esclavage. Il précisa en effet que « si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres8 ». Il se faisait ainsi l’écho de la crainte que les événements de Saint-Domingue/Haïti exercèrent dans les colonies françaises et, en fait, dans tous les territoires des Caraïbes-Amériques jusqu’au début du XXe siècle.

  • 9 Lettre conservée à la Bibliothèque Schœlcher, Fort-de-France, Martinique.
  • 10 Lettre conservée dans le Fonds de la British and Foreign Anti-Slavery Society, Bodleian Library, An (...)

12Il se plaignit quelques jours plus tard auprès du secrétaire du gouvernement, son ami l’éditeur Laurent Antoine Pagnerre, du retard de publication des textes signés au Moniteur universel – le décret d’abolition parut le 2 mai 1848, les décrets organiques étaient publiés du 3 au 5 mai – et de leur envoi dans les colonies : « En vérité, écrivait-il le 1er mai 1848, je ne croyais pas qu’il serait si long et si difficile de tuer l’esclavage sous la République9. » Il faisait part, toutefois, de sa satisfaction à John Scoble, de la British and Foreign Anti-Slavery Society : « Nous avons été dans le vrai, assurait-il, en procédant à cet acte d’éternelle justice et de grande réparation sans attendre l’Assemblée nationale10. »

Une liberté très organisée

  • 11 Cf. le décret organique du 27 avril 1848 sur l’ouverture d’« écoles élémentaires gratuites ». Procè (...)

13Treize décrets organiques, deux arrêtés, un texte d’« instruction » et une « résolution » accompagnaient le décret d’abolition lui-même. Ils concernaient, dans l’ordre de leur adoption, la suppression des conseils coloniaux et de la fonction de délégué des colonies, les secours « aux vieillards, infirmes et orphelins des colonies », l’instruction publique et l’ouverture d’écoles primaires gratuites et obligatoires pour les enfants, filles et garçons, âgés de six à dix ans, et l’accès à des « classes du soir et du dimanche » pour les adultes. La commission avait considéré que « la préparation de la jeunesse à la vie morale, civile et politique est un des premiers devoirs que la société ait à remplir vis-à-vis d’elle-même » et que « plus il y a d’hommes éclairés dans une nation, plus la loi et la justice sont respectées ». L’article 7 de ce décret prévoyait que le gouvernement ferait « faire, pour les écoles des colonies, des livres élémentaires où l’on mettra en relief les avantages et la noblesse des travaux de l’agriculture11 ». Schœlcher confiait ces écoles aux frères de l’Instruction chrétienne de Ploërmel et aux sœurs de Saint-Joseph de Cluny.

14Des jurys cantonaux seraient chargés du règlement des « contestations relatives au travail ». Deux décrets et deux arrêtés fixaient ainsi les modalités d’une réorganisation du travail sans esclavage. L’ouverture d’ateliers nationaux et d’ateliers de discipline permettrait l’emploi des « travailleurs sans ouvrage » et la « répression du vagabondage et de la mendicité », selon la commission qui estimait que « le travail est la première garantie de la morale et de l’ordre dans la liberté ». Elle avait également prévu l’ouverture de caisses d’épargne et un nouveau système d’imposition. Considérant que « l’esclavage a (vait) déshonoré le travail aux colonies » et qu’il importait d’« effacer par tous les moyens possibles le caractère de dégradation dont la servitude a marqué l’agriculture », la commission instituait une « fête annuelle du travail » avec remise de récompenses aux « meilleurs travailleurs […] avec tout l’appareil et toute la pompe dont il sera possible de l’entourer ».

15L’article 6 du décret d’abolition, prévoyant la représentation des colonies à l’Assemblée nationale, était complété par une longue instruction indiquant les modalités d’accès à l’électorat et d’organisation des scrutins dans les colonies. Le décret sur le régime de la presse, daté du 2 mai 1848, rappelait que « la liberté de la presse est le premier besoin d’un pays libre » et que « les colonies sont appelées désormais à jouir de tous les droits publics de la nation ». Il précisait que « si les sociétés coloniales, en présence de l’esclavage, redoutaient la libre discussion, elles doivent être affranchies aujourd’hui de toute oppression de la pensée comme de toute servitude de l’homme ». La « censure » y était ainsi « abolie », « tous les journaux » pourraient y être « imprimés et publiés sans autorisation préalable ».

16Depuis l’arrivée en Guadeloupe et en Martinique des nouvelles en provenance de Paris par la voie anglaise en mars 1848, on redoutait une rébellion lorsque l’annonce des décisions gouvernementales se répandrait dans chacune des colonies. Dès le 31 mars, le directeur de l’Intérieur de la Martinique, Louis Thomas Husson, avait informé les « cultivateurs esclaves » en ces termes, par voie d’affiches dans les communes, en français et en créole : « Mes amis […]. La liberté va venir ! Courage, mes enfants, vous la méritiez. Ce sont de bons maîtres qui l’ont demandée pour vous. » Les manipulations de l’histoire commençaient avec ces fausses nouvelles diffusées par voie d’affichage dans les bourgs. Husson ajoutait :

  • 12 Lara O. D., La liberté assassinée…, op. cit., p. 267-271.

« Mais il faut que la République ait le temps de préparer les fonds du rachat et de faire la loi de la liberté. Ainsi, rien n’est changé, jusqu’à présent. Vous demeurez esclaves jusqu’à la promulgation de la loi. Alors, M. le Gouverneur Rostoland m’enverra vous dire : la liberté est arrivée, vive la République ! Jusqu’alors il faut que vous travailliez d’après les prescriptions de la loi pour le bénéfice des maîtres. Il faut prouver que vous comprenez que la liberté n’est pas le droit de vagabonder, mais bien le droit de travailler pour soi-même […]. Mes amis, soyez dociles aux ordres de vos maîtres pour montrer que vous savez qu’il n’appartient pas à tout le monde de commander […]. Vos ennemis, ce sont les paresseux ! N’ayez pour eux qu’une parole : Allez au travail et laissez-nous mériter notre liberté… M. le curé est là pour vous dire qu’il faut travailler et se marier pour obtenir les récompenses de l’autre vie […]. Adieu, mes bons amis, je viendrai vous voir les uns après les autres. Quand vous voudrez manifester votre joie, criez :
VIVE LE TRAVAIL !
VIVE LE MARIAGE !
Jusqu’à ce que je vienne vous dire : La loi est arrivée. Vive la Liberté12 ! »

  • 13 Ibid.

17Les textes officiels des décrets arrivèrent début juin 1848. Les commissaires généraux de la République qui en étaient porteurs – Perrinon arrivé en Martinique le 3 juin, Gatine en Guadeloupe le 5 juin – furent toutefois mis devant le fait accompli. Une rébellion avait éclaté en Martinique le 22 mai, entraînant la proclamation de la liberté par le gouverneur en son conseil privé le lendemain 23 mai, puis en Guadeloupe le 27 mai, suite à des rassemblements et émeutes en différents points de la colonie. Selon leurs instructions, les commissaires allaient « accomplir, au nom de la République, un grand acte de réparation ». Mais quelques mois, voire quelques semaines après les proclamations de l’abolition, ils mettaient en place les cadres législatifs et policiers d’une nouvelle phase de colonisation. Une nouvelle étape de la construction coloniale, sans esclavage, qu’Oruno D. Lara a décryptée – reproductions de documents à l’appui – dans La liberté assassinée13.

18Outre le décret d’abolition de l’esclavage lui-même, une longue Instruction concernait l’organisation du droit de vote au suffrage universel masculin. Il s’agissait de la mise en œuvre de l’article 6 du décret d’abolition qui fixait que « les colonies purifiées de la servitude » seraient « représentées à l’Assemblée nationale », en exécution du décret électoral du 5 mars 1848. Les « nouveaux libres » devenaient de « nouveaux citoyens ». C’était là une exception dans le corpus des décrets d’abolition mis en œuvre aux Caraïbes, mais sur place, le langage officiel était particulièrement prudent. L’article 26 de l’Instruction prévoyait que « les électeurs, accompagnés du maire, entreront successivement dans la salle par ordre de communes. Ils déposeront leurs bulletins dès que leurs noms seront appelés ». Si le scrutin d’élection des représentants à l’Assemblée constituante de 1848 se déroula selon cette procédure, des mesures différentes furent prises en 1849, pour les élections de juin à l’Assemblée législative. Ce scrutin se déroula en fait dans différents bureaux électoraux, dans les communes ou à proximité. L’objectif des administrateurs locaux était de limiter à la fois les distances de déplacement des électeurs et leurs regroupements – ou attroupements – jugés dangereux pour le maintien de l’ordre. L’article 23 de l’Instruction précisait :

  • 14 Procès-verbaux du gouvernement provisoire, op. cit.

« Le vote sera secret, mais, à raison du nombre considérable d’électeurs, les bulletins pourront n’être pas écrits dans la salle et en présence du bureau. Chaque électeur pourra porter le sien après l’avoir écrit ou fait écrire en dehors de l’assemblée et après avoir pris soin de le plier14. »

  • 15 Cf. Schœlcher V., L’arrêté Gueydon à la Martinique et l’arrêté Husson à la Guadeloupe, Paris, Arman (...)

19Les adversaires d’une abolition « immédiate » dénoncèrent la précipitation de la mesure et l’absence de soumission au vote de l’Assemblée nationale. Les délégués des planteurs présents à Paris tentèrent d’intervenir auprès du gouvernement provisoire afin de freiner le processus d’application du décret. D’autres remirent en cause la légitimité d’un texte signé par un gouvernement provisoire. Le maintien de l’ordre public, le respect de la propriété privée, l’appel de renforts de troupes à cet effet correspondirent, par leur ampleur, à la mesure de la peur sociale qui suivit l’émancipation. La crainte de troubles sociaux et politiques éprouvée par les membres des commissions qui se succédèrent alors pour régler les questions coloniales provoqua l’élaboration d’une « police du travail » et de mesures de contrôle social au sujet desquelles on put parler, au début des années 1870, d’« attentat à la liberté individuelle15 ».

Campagnes électorales et crainte des « menées occultes »…

20Si la Martinique fut le siège d’une rébellion déterminante le 22 mai 1848 dans la région du Carbet, du Prêcheur et de Saint-Pierre – qui provoqua la proclamation de la liberté par le gouverneur en son conseil privé dès le lendemain –, la Guadeloupe connut quant à elle une agitation sociale et politique exceptionnelle. L’esclavage y fut aboli dès le 27 mai, sous l’influence des informations en provenance de la Martinique et de rassemblements d’esclaves en plusieurs points de la colonie que le gouverneur et son conseil privé craignirent de ne pouvoir contenir. La campagne électorale qui se déclencha en Guadeloupe peu après l’arrivée du commissaire général de la République Adolphe Gatine et des décrets de l’abolition inaugura une période d’ouverture politique, courte mais dense, qui demeure exceptionnelle dans son histoire, jusqu’à ce jour. Une ouverture politique qui provoqua une cristallisation des antagonismes sociaux et des peurs préexistantes.

21Le bureau des Colonies du ministère de la Marine et des Colonies reçut des messages alarmants des gouverneurs des deux colonies – Guadeloupe et Martinique – et des demandes de renforts de troupes. Les délégués des colons et planteurs, les chambres de commerce locales, les groupes de commissionnaires coloniaux et d’armateurs des grands ports atlantiques et méditerranéens concernés exprimèrent les craintes les plus vives. Les principales décisions prises en conséquence concernèrent l’épuration du personnel administratif et policier, le renforcement de l’encadrement militaire. Rochoux, conseiller privé du gouverneur et membre du conseil municipal de Pointe-à-Pitre, estimait le 27 mai, lors de la séance consacrée à la proclamation du décret d’abolition :

  • 16 ANOM, Procès-verbaux du conseil privé de la Guadeloupe, séance du 27 mai 1848.

« Nous n’avons rien de prêt pour réprimer le vagabondage après l’émancipation proclamée, il y aura nécessité de rester armé. Pour obvier à tout cela, pour conserver le travail, le calme, la tranquillité, [il demandait que la colonie soit] mise en état de siège, pensant que la force militaire nous procurera tous ses avantages16. »

22Pourtant, le gouverneur Layrle s’était efforcé de transmettre au ministère l’image d’une colonie calme, recevant la décision de l’émancipation dans le plus grand respect des décisions de l’autorité. Une messe avait été célébrée dès le 28 mai 1848, suivie de la plantation d’un arbre de la liberté. Le gouverneur décrivait la scène :

  • 17 ANOM, SG Gua (Série géographique Guadeloupe) C7 d72, lettre du gouverneur au ministre du 29 mai 184 (...)

« Après la messe, écrit-il, le clergé se rendit en procession au lieu désigné pour cette arboration et là, après une courte allocution de ma part et de celle du Préfet apostolique, l’arbre fut planté, béni, et un Te Deum chanté […]. Pas le moindre trouble, pas la plus petite démonstration, au milieu d’une foule compacte de toutes les couleurs et, récemment encore, séparée par une immense barrière17. »

  • 18 ANOM, SG Gua C6 d68, lettre au ministre du 28 septembre 1848.
  • 19 ANOM, SG Gua C266 d1646, lettre du 28 juin 1848.

23Gatine adressait au ministère, dès son arrivée dans la colonie, la liste des mesures qu’il avait prises pour maintenir l’ordre public. L’ouverture d’ateliers de discipline et la tenue, deux fois par semaine, de jurys cantonaux dans chaque commune afin de régler les litiges liés à la réorganisation du travail devaient assurer cet ordre mais aussi la reprise du travail sur les exploitations. Mesures qu’il résumait en ces termes : « Répression immédiate, justice prompte et sommaire, amendement des condamnés par le travail disciplinaire18. » Dans les communes les plus importantes, les juges de paix devaient tenir des audiences de police quotidiennes. Les brigades de gendarmerie furent renforcées à Basse-Terre et à Pointe-à-Pitre, secondées par les milices. Cinq ateliers de discipline étaient ouverts en Guadeloupe par arrêté du 25 septembre 1848, dont celui des Saintes pouvait recevoir deux cents prisonniers. Gatine envisageait par ailleurs la création d’une « armée noire » dans la colonie mais redoutait l’arrivée des trois compagnies dont il avait demandé l’envoi au ministère. Il souhaitait en effet ne pas « alarmer le pays », ni « compromettre la sécurité et peut-être le succès de l’émancipation19 ».

  • 20 ANOM, SG Gua C7 d71, lettre du gouverneur au ministre du 27 octobre 1848, et SG Gua C6 d68, rapport (...)
  • 21 Le Siècle, 23 novembre 1852.

24Des campagnes électorales particulièrement vives, dont les loges maçonniques furent les principaux protagonistes, s’ouvrirent dès le lendemain de l’abolition. Les premières élections législatives étaient organisées en août 1848, trois mois après la proclamation de la liberté. Des clubs politiques furent créés en juin. La participation électorale dépassa le taux de 70 % des électeurs inscrits dans certaines communes. Mais les clubs furent fermés dès septembre 1848, les journaux soumis à des droits exorbitants. Le gouverneur Fiéron, qui remplaça en octobre le commissaire de la République Gatine, déplorait à son arrivée « la constitution révolutionnaire des clubs » et leurs « menées occultes ». Leurs réunions demeuraient clandestines, « sans qu’on puisse connaître ni [leurs] lieux chaque jour variables, ni le sujet de leurs délibérations20 ». Le journal parisien Le Siècle présentait la Guadeloupe, jusqu’en novembre 1852, comme « un pays où les passions politiques ont rompu toute mesure21 »…

  • 22 ANOM, SG Gua C7 d71.
  • 23 ANOM, SG Gua C4 d49.

25Les craintes essentielles étaient motivées par les rumeurs d’un vaste complot de « mulâtres » qui mobiliseraient les anciens esclaves contre la population blanche de l’île. Selon les informations recueillies par la police et transmises à la direction de l’Intérieur, « des toasts auraient été portés au livre de Proudhon, à la République démocratique et sociale », des cris de « Vive la République Rouge » auraient été entendus au cours de banquets réunissant des membres de l’administration, de la magistrature et de la presse locales22. Le 11 décembre 1848, le gouverneur Fiéron informait le ministre de la Marine et des Colonies de la stratégie des agitateurs, « qui ne se contentent plus de pousser à la haine contre la classe blanche mais expliquent que la fortune des blancs étant la seule cause de leur influence, la destruction de cette fortune fera passer l’influence d’un autre côté23 ». Il précisait :

  • 24 ANOM, SG Gua C6 d68.

« Des bruits menaçants circulent depuis quelques jours déjà ; il y a deux versions. Suivant l’une, dimanche prochain, à l’occasion d’un dîner où doivent se réunir quelques officiers de milice et de marine, dîner qui n’a rien de général ni d’officiel, les hommes de couleur doivent attaquer les blancs : si la troupe ne s’en mêle pas, tout se passera entre les blancs et les hommes de couleur ; si elle s’en mêle, ces derniers appelleront les noirs à leur aide. Suivant l’autre version, c’est le 25, jour de Noël, que doit avoir lieu un soulèvement général pour chasser tous les blancs de la colonie […]. Je ne crois pas à un mouvement sérieux mais je redoute quelques tentatives imprudentes et insensées. Des lettres anonymes remplies de menaces d’une mort horrible et prochaine ont été écrites24… »

  • 25 ANOM, SG Gua C6 d68, lettre datée du 30 décembre 1848.

26Une lettre en provenance de l’île anglaise voisine de la Dominique confirmait l’événement annoncé pour la veille de Noël en Guadeloupe, en tant qu’aboutissement d’une « ramification » entre la Guadeloupe, la Martinique et Haïti. Des indicateurs de la police avaient signalé les rumeurs répandues d’ateliers en ateliers de plantations : « L’appareil d’une fête, la pompe des cérémonies religieuses, à côté du développement des forces militaires, cachaient le projet odieux de réunir en masse les nouveaux citoyens et de les mitrailler impitoyablement. » Il estimait que ces « tentatives désorganisatrices » puisaient leur inspiration à Paris, citant notamment l’extrait d’une lettre dans laquelle Victor Schœlcher aurait indiqué : « On veut la guerre ; eh bien soit, nous la ferons, nous ne sommes pas des gens à laisser tomber un drapeau qu’on nous a confié et la guerre qui va se faire ici aura de tristes retentissements là-bas25. »

  • 26 Par arrêté local du gouverneur en date du 30 mai 1849.
  • 27 ANOM, SG Gua C7 d71, lettre du gouverneur Fiéron au procureur Bayle-Mouillard, 22 janvier 1849.

27De juin 1849 à janvier 1850, période de nouveau scrutin en Guadeloupe suite à l’invalidation des résultats des élections législatives pour cause de fraude à Marie-Galante, émeutes et charivaris réunissant trois à quatre cents personnes furent quasiment quotidiens dans la colonie. Les incendies se multiplièrent sur les plantations, s’ajoutant aux problèmes liés à la mise en œuvre du travail rémunéré. Bannières et drapeaux étaient interdits26. Dans La Réforme, en janvier 1849, Schœlcher constatait que « pour déjouer les conspirateurs qu’il voit maintenant partout, [le gouverneur Fiéron] a établi un vaste et déplorable système d’espionnage ». La police, sur place, multipliait les contrôles aux domiciles des « individus suspects » ayant manifesté une opinion défavorable au mode de gouvernement de la colonie, et surveillait les courriers postaux. Parmi bien d’autres, Léonard Sénécal fut considéré comme l’un des plus redoutables meneurs de la Guadeloupe, capable de soulever des ateliers entiers, qualifié de « général » par les « nouveaux libres ». Son mouvement s’étendit dans les deux parties de l’île, Basse-Terre et Grande-Terre. Ses partisans distribuaient dans les campagnes des journaux clandestins, manuscrits, La Canaille et Le Brigand, dont le gouverneur Fiéron se plaignait de ne réussir à faire saisir aucun numéro. Il jugeait le mouvement guidé depuis Paris, plus précisément et de manière « à peu près exclusive », par « un des représentants des colonies », désignant ainsi Victor Schœlcher27. Fin janvier 1849, Fiéron renvoyait en France le procureur Bayle-Mouillard ainsi que le préfet apostolique Dugoujon. Il accusait le premier de collusion avec les courants politiques d’opposition dirigés par des « hommes de couleur ». Il renvoyait le second pour refus de ses ordres de réduction des périodes hebdomadaires d’enseignement dispensé par les religieux et pour diffusion auprès de la population d’une propagande alors qualifiée de « communiste ». Il fut lui-même momentanément rappelé à Paris pour justifier la sévérité de ses décisions.

  • 28 ANOM, SG Gua C5 d61, rapport du procureur général Rabou au gouverneur de la Guadeloupe, 25 mai 1850
  • 29 ANOM, SG Gua C7 d74.

28La violence des antagonismes politiques et sociaux s’accrut lors de la campagne électorale que Cyrille Bissette, « homme de couleur » martiniquais, entreprit en Guadeloupe en 1849. Le « parti de la rue », selon les termes du procureur général Rabou, prit le dessus dans cette flambée de violence contre le candidat qui s’était allié aux colons martiniquais en la personne de leur délégué auprès du gouvernement central, Auguste Pécoul. Abolitionniste de la première heure, ayant devancé Schœlcher sur ce terrain en demandant dès juillet 1835 l’abolition immédiate de l’esclavage dans les colonies françaises, Bissette avait vivement critiqué certains aspects des publications de ce dernier. Son alliance électorale avec un béké de Martinique où il était appelé « Papa Bissette » en souvenir de l’injuste procès politique qui l’avait banni de l’île pendant dix ans, lui valut en Guadeloupe, à partir de 1848, le qualificatif de « traître ». Bissettistes et schœlcheristes s’affrontaient lors de chaque réunion publique, de chaque défilé28. Police et gendarmerie multipliaient les rapports au sujet de manifestations publiques dans les plus petites communes, au sein desquelles plusieurs personnes portaient cravates et foulards rouges. Le 26 juillet 1849, le bâtonnier de l’ordre des avocats estimait que « les agitateurs sont en majorité dans le pays. Leur but est de substituer la suprématie des races noires et jaunes à celle de la race blanche ». Il réclamait en conséquence « une législation exceptionnelle qui ne laisse rien au suffrage universel29 ».

Les comités de défense des planteurs

29Les planteurs constituèrent quant à eux des comités de défense de l’industrie sucrière destinés à faire pression sur les autorités locales et sur le gouvernement central après la suppression de leurs délégations parisiennes. Leur apparent retrait des sphères politiques en Guadeloupe – ils ne se présentèrent quasiment pas aux élections législatives, leurs rares candidats n’obtinrent aucun siège, et se retirèrent majoritairement des postes municipaux au moment de l’abolition de l’esclavage – se doubla par contre d’une prompte défense de leurs intérêts économiques. Réclamations d’une indemnité coloniale proportionnelle au nombre d’esclaves possédés, mémoires en faveur de la réduction des taxes pesant sur les sucres de canne, demande urgente d’ouverture des banques prévues par la commission d’abolition et par celle de l’indemnité coloniale, de travailleurs recrutés sur contrats et rémunérés par des salaires quatre fois moindres que les taux légaux dus aux nouveaux libres, telles étaient leurs revendications dès le mois de février 1848. Ces comités de défense étaient organisés selon une hiérarchie allant du groupe communal aux comités centraux des plus grandes villes, qui étaient chargés des relations avec leurs délégués de Paris.

  • 30 ANOM, SG Gua C7 d71, Rapport du procureur au gouverneur du 8 décembre 1848.

30Le procureur général Bayle-Mouillard s’inquiétait auprès du gouverneur : « Cette association, expliquée et légitimée dans une certaine mesure par l’échec électoral qu’ont subi les propriétaires de la Guadeloupe, a ses électeurs, ses conseils communaux, son conseil colonial, son impôt, ses percepteurs et enfin ses délégués. » Il s’interrogeait : « Est-ce un gouvernement occulte établi dans la Guadeloupe parallèlement au gouvernement régulier et se choisissant une députation exceptionnelle pour faire concurrence aux représentants de la colonie30 ? »

31La crainte immédiate des planteurs était celle d’une augmentation du vagabondage. De rares mais précises descriptions de la réalité sociale dès le lendemain de la proclamation de l’abolition font apparaître des « bandes » d’esclaves ayant quitté leurs plantations, vendu leurs hardes, errant d’une extrémité de l’île à l’autre, de Grande-Terre vers la Basse-Terre de Guadeloupe notamment, à la recherche d’emploi. La misère était générale, les conflits entre nouveaux libres et anciens maîtres étaient les plus fréquents. Le système de l’association de travail en métayage entre les deux parties fonctionnait peu en Guadeloupe, contrairement à la Martinique. La confiance était rare.

32Sur la plantation Reiset, au Lamentin en Guadeloupe, le géreur Xavier Reiset décrivait ainsi les lendemains immédiats de la proclamation de l’abolition en mai 1848 :

  • 31 ANOM, AP 170, Fonds de l’Habitation Reiset, Lettres de X. Reiset.

« Tout ce que je puis vous dire, c’est que chacun ici avait grand peur pour sa peau et que nous venons de passer quelques jours dans un état d’alarme et de qui vive que ne justifie que trop l’absence et l’éloignement de toute espèce de troupe ou justice quelconque31. »

  • 32 Ibid.
  • 33 Ibid.

33En juillet, les relations sociales entre l’administrateur de la plantation et les « nouveaux libres » ne s’étaient guère améliorées. Une « émeute » avait éclaté sur la plantation dont il avait dû chasser un quart des femmes : « Je ne marche plus aujourd’hui qu’avec une paire de pistolets dans les poches, dont la seule vue tient à distance les plus mutins32. » Le 9 août 1849, Reiset indiquait que le travail avait « grand peine à reprendre et les esprits à se calmer, malgré les nombreuses arrestations qui ont eu lieu ». Il ajoutait : « Les geôles et les forts regorgent de prisonniers », regrettant le départ du gouverneur Colonel Fiéron, alors momentanément rappelé en France pour se justifier des rigueurs de son administration face aux « menées de Schœlcher et autres montagnards de sa trempe qui sont aujourd’hui cause de tous nos troubles, et détournent par leurs conseils les Noirs du travail33 ».

État de siège et procès politiques

  • 34 Je renvoie le lecteur aux travaux et dossiers publiés par Oruno D. Lara au sujet de l’affaire Sénéc (...)

34L’état de siège fut bientôt instauré dans cette colonie en 1850, en pleine période dite de « complot du feu », puis en Martinique l’année suivante. Les procès politiques jugés en conseils de guerre envoyèrent aux bagnes de Guyane plusieurs dizaines de personnages jugés « dangereux », incendiaires et autres « meneurs » dont les condamnations devaient être exemplaires. Le procès le plus célèbre eut lieu en septembre-octobre 1851 en cour d’assises de Basse-Terre. Il fut intenté à Léonard Sénécal, né esclave en Guadeloupe, libre patenté, accusé d’incitation à la guerre civile, de complot d’incendie, meneur dont le colonel Fiéron et le procureur général Rabou décidèrent de faire un exemple pour éradiquer de la colonie toute tentative de « séparatisme », pour reprendre le terme de cette époque, c’est-àdire d’indépendantisme. Sénécal et ses partisans furent en effet accusés de vouloir répéter en Guadeloupe les événements de Saint-Domingue/Haïti, c’est-à-dire de préconiser l’indépendance de la colonie et d’encourager les travailleurs à abandonner la culture de la canne au profit de denrées vivrières. Sénécal fut condamné aux travaux forcés à perpétuité et envoyé au bagne de Guyane qui ouvrait à la même époque. Il fut libéré dix ans plus tard avec interdiction de s’établir dans une colonie française. Il choisit de partir pour Haïti où il mourut au début des années 1870. Ses coaccusés subirent des peines d’emprisonnement et d’amendes diverses34.

35À partir de 1852, des accords furent conclus avec le gouvernement britannique en vue du recrutement, jusqu’à la fin du siècle, de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs sous contrat, sous-payés, en Inde, en Afrique puis en Chine. Des « immigrants » qui connurent des conditions de vie que certains contemporains comparèrent à un « second esclavage »… En 1856-1857, des arrêtés sur la « police du travail » rendaient obligatoire la possession d’un livret de travail et d’un « passeport intérieur » pour tout déplacement d’une commune à l’autre, sous peine de sanction pour vagabondage.

Expulsion des « individus dangereux »

36Le phénomène d’expulsion d’individus jugés indésirables dans les colonies fut une pratique très fréquente sous l’esclavage. L’administration de la Guadeloupe expulsa ainsi par voie de vente de nombreux esclaves estimés « dangereux » vers la colonie espagnole de Puerto Rico. Pendant la première moitié du XIXe siècle, des esclaves et « libres de couleur », accusés de complot, furent déportés vers le Sénégal. Dès le lendemain de l’abolition de l’esclavage, cette politique fut à nouveau envisagée. En septembre 1848, le ministre de la Marine et des Colonies Verninac de Saint-Maur envoya en Guadeloupe et en Martinique Émile Thomas, un collaborateur de la Commission du gouvernement pour les travailleurs qu’avait dirigée Louis Blanc, avec pour mission d’« étudier la question de l’immigration des travailleurs ». L’objectif était le maintien du niveau de la production sucrière et celui du commerce transatlantique. Thomas devait également donner des avis sur la « situation des travailleurs noirs » face aux besoins de main-d’œuvre des usines sucrières centrales dont la construction avait débuté en Guadeloupe en 1844, à la suite du tremblement de terre de février 1843 qui avait anéanti une grande partie des unités de production existantes. Le gouvernement français se montrait alors favorable à une politique similaire à celle des États-Unis et du Brésil en recourant à l’expulsion d’esclaves récemment libérés dont le nombre était estimé dangereux pour l’ordre public.

  • 35 Voir au sujet des écrits de J. C. L. de Sismondi sur l’abolition de l’esclavage et la réorganisatio (...)
  • 36 Thomas É., Rapport à M. le Ministre de la Marine et des Colonies sur l’organisation du travail libr (...)

37Dans le Rapport à M. le Ministre de la Marine et des Colonies sur l’organisation du travail libre aux Antilles françaises et sur les améliorations à apporter aux institutions coloniales qu’il remit le 15 avril 1849, Émile Thomas reprochait aux planteurs leurs « allures » de « grands seigneurs d’autrefois ». Il estimait toutefois, au vu des rapports qui s’étaient établis entre les « nouveaux libres » de Martinique et Cyrille Bissette qu’ils appelaient « Papa », qu’« avec des cérémonies religieuses et des fanfares militaires on peut mener les Nègres où l’on veut »… Il jugeait par ailleurs que les « sangmêlé » constituaient la « classe la plus nombreuse » mais aussi « la plus dangereuse ». Convaincu de leur paresse et de leur dangerosité politique par les planteurs, leurs délégués et les administrateurs locaux qu’il avait consultés, il suggérait de les éloigner des colonies et de les remplacer par des « ouvriers agricoles, industriels et commerciaux » qui seraient regroupés dans des « fermes modèles » et travailleraient en système de métayage, bénéficiant ainsi d’un progressif accès à la petite propriété. Il s’agissait là d’un savant mélange entre le modèle des socialistes utopistes, notamment du phalanstère de Fourier que Schœlcher préconisa longtemps pour les colonies où l’esclavage serait aboli, et le métayage toscan vanté par Sismondi35. Thomas voyait là un double avantage : celui de « débarrasser la métropole des ouvriers inactifs qui encombr(ai) ent les cités » d’une part, et celui de « procurer aux colonies un élément suffisant de vitalité par l’abondance de la main-d’œuvre industrielle » d’autre part. Ces « bataillons d’ouvriers militaires et coloniaux » – deux par colonie selon Thomas – signeraient des contrats d’une durée de cinq ans et percevraient la solde de soldats du Génie. Quant aux « mulâtres » qui quitteraient Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion, ils constitueraient des groupes de « volontaires créoles africains » employés au maintien de l’ordre en Algérie et au Sénégal. Il se montrait persuadé qu’ils accepteraient la « transportation en Algérie sous le régime militaire comme un véritable bienfait, sous les couleurs brillantes de l’uniforme et des armes36 ».

*

  • 37 ANOM, SG Gua 4-48, rapport au ministre de la Marine et des Colonies du 8 février 1854.

38La politique d’oubli du passé favorisa des manipulations historiques qui firent de l’abolition de l’esclavage l’acte ponctuel d’un gouvernement, voire d’un seul homme, Victor Schœlcher, autour duquel se développa un mythe historique et politique assez puissant pour exercer dans ces colonies une influence encore présente aujourd’hui, aux dépens de la perception d’un processus historique beaucoup plus complexe et contradictoire. Les peurs sociales, les craintes politiques furent gommées dans un contexte de suppression de tout exercice électoral dans les colonies entre 1851 et 1871, de mainmise sur l’enseignement, de contrôle de la presse et de renforcement du centralisme gouvernemental. L’instauration d’un régime colonial de longue durée sans esclavage supposa, comme le précisait le gouverneur de la Guadeloupe Bonfils, de nouvelles formes de pouvoir. Prétendant ramener au travail, « notamment celui des champs, la jeunesse qui s’en éloignait de plus en plus », il écrivait au ministre de la Marine et des Colonies en 1854 : « Il faut aujourd’hui s’emparer de l’esprit public et le diriger37… » Mais si l’on tenta de masquer ces peurs collectives, si les gouverneurs s’efforcèrent de transmettre des rapports rassurants au ministère de la Marine et des Colonies, elles n’en continuèrent pas moins d’être bien réelles. Les sources témoignent en effet, dans les décennies qui suivirent l’abolition de l’esclavage, d’une adaptation continue des réglementations locales à une tension sociale permanente.

Notes

1 Dans De la manière dont les conseils coloniaux ont reçu la loi et les ordonnances de 1845, rapport manuscrit établi en janvier 1848, contenu dans les Papiers Victor Schœlcher, BnF (Bibliothèque nationale de France), Département des manuscrits, Nouvelles acquisitions françaises 22135, ff. 1 et suiv.

2 Lettres sur l’esclavage dans les colonies françaises, Paris, Pagnerre Éditeur, 1845, lettre dix-neuvième, 10 juin 1841, Basse-Terre. Voir également : Schmidt N., Abbé Dugoujon. Lettres sur l’esclavage et l’abolition dans les colonies françaises, 1840-1850, Paris, L’Harmattan, 2015.

3 Lara O. D., La liberté assassinée. Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, 1848-1856, Paris, L’Harmattan, 2005. L’ouvrage contient un ensemble très complet de documents émanant du gouvernement central et des pouvoirs locaux sur ces événements et cette période.

4 Notamment les délégués de la Guadeloupe, Jabrun et Reiset, ceux de la Martinique, Pécoul et Froidefonds-Desfarges et de La Réunion, Daboval, Dejean-Labatie et Sully-Brunet.

5 Extrait de Schœlcher V., La vérité aux ouvriers et cultivateurs de la Martinique, 1849, chapitre xiv.

6 ANOM (Archives nationales d’outre-mer), Fonds de l’indemnité coloniale, correspondance, K2.

7 ANOM, Généralités 162, Procès-verbaux de la Commission instituée pour préparer l’acte d’émancipation immédiate des esclaves dans les possessions de la France, Première séance, 6 mars 1848, document manuscrit, p. 1-2. Les comptes rendus des séances furent publiés en octobre 1848 sous le titre Abolition de l’esclavage. Procès-verbaux, rapports et projets de décrets de la commission instituée pour préparer l’acte d’abolition immédiate de l’esclavage, Paris, Imprimerie nationale.

8 ANOM, Série Généralités 119/1061.

9 Lettre conservée à la Bibliothèque Schœlcher, Fort-de-France, Martinique.

10 Lettre conservée dans le Fonds de la British and Foreign Anti-Slavery Society, Bodleian Library, Anti-Slavery Papers, Rhodes House, Oxford.

11 Cf. le décret organique du 27 avril 1848 sur l’ouverture d’« écoles élémentaires gratuites ». Procèsverbaux du gouvernement provisoire et de la commission du pouvoir exécutif, 24 février-22 juin 1848, Comité national du centenaire de 1848, Paris, Imprimerie nationale, 1950.

12 Lara O. D., La liberté assassinée…, op. cit., p. 267-271.

13 Ibid.

14 Procès-verbaux du gouvernement provisoire, op. cit.

15 Cf. Schœlcher V., L’arrêté Gueydon à la Martinique et l’arrêté Husson à la Guadeloupe, Paris, Armand Le Chevalier, 1872, p. 3.

16 ANOM, Procès-verbaux du conseil privé de la Guadeloupe, séance du 27 mai 1848.

17 ANOM, SG Gua (Série géographique Guadeloupe) C7 d72, lettre du gouverneur au ministre du 29 mai 1848.

18 ANOM, SG Gua C6 d68, lettre au ministre du 28 septembre 1848.

19 ANOM, SG Gua C266 d1646, lettre du 28 juin 1848.

20 ANOM, SG Gua C7 d71, lettre du gouverneur au ministre du 27 octobre 1848, et SG Gua C6 d68, rapport du 10 novembre 1848.

21 Le Siècle, 23 novembre 1852.

22 ANOM, SG Gua C7 d71.

23 ANOM, SG Gua C4 d49.

24 ANOM, SG Gua C6 d68.

25 ANOM, SG Gua C6 d68, lettre datée du 30 décembre 1848.

26 Par arrêté local du gouverneur en date du 30 mai 1849.

27 ANOM, SG Gua C7 d71, lettre du gouverneur Fiéron au procureur Bayle-Mouillard, 22 janvier 1849.

28 ANOM, SG Gua C5 d61, rapport du procureur général Rabou au gouverneur de la Guadeloupe, 25 mai 1850.

29 ANOM, SG Gua C7 d74.

30 ANOM, SG Gua C7 d71, Rapport du procureur au gouverneur du 8 décembre 1848.

31 ANOM, AP 170, Fonds de l’Habitation Reiset, Lettres de X. Reiset.

32 Ibid.

33 Ibid.

34 Je renvoie le lecteur aux travaux et dossiers publiés par Oruno D. Lara au sujet de l’affaire Sénécal et des procès politiques de cette période qui eurent lieu en Guadeloupe et en Martinique en cours d’assises et en conseils de guerre, notamment à l’ouvrage Guadeloupe. Le dossier Sénécal. Aux origines de notre indépendance, avec trois escales : Martinique, Guyane, Haïti, Paris, Éditions du CERCAM, Centre de recherches Caraïbes-Amériques, 2012 ; voir également, Lara O. D., Léonard Sénécal, le rebelle écartelé. La Guadeloupe au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2013.

35 Voir au sujet des écrits de J. C. L. de Sismondi sur l’abolition de l’esclavage et la réorganisation du travail dans les colonies : Schmidt N., Abolitionnistes de l’esclavage et réformateurs des colonies. 1820-1851. Analyse et documents, Paris, Karthala, 2000, p. 212-214 et 597-601.

36 Thomas É., Rapport à M. le Ministre de la Marine et des Colonies sur l’organisation du travail libre aux Antilles françaises et sur les améliorations à apporter aux institutions coloniales, 1848, Paris, Imprimerie nationale, décembre 1849, p. 35.

37 ANOM, SG Gua 4-48, rapport au ministre de la Marine et des Colonies du 8 février 1854.

Auteur

Directrice de recherche au CNRS, université Paris 4-Sorbonne, membre du Centre Roland Mousnier et du CERCAM (Centre de recherches Caraïbes-Amériques). Elle est présidente du Comité scientifique international du projet de l’Unesco « La route de l’esclave : résistance, liberté, héritage ». Ses travaux portent sur l’esclavage, ses abolitions et leurs lendemains. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, notamment Victor Schœlcher (Fayard, 1994), Abolitionnistes de l’esclavage et réformateurs des colonies (Karthala, 2000), Histoire du métissage (La Martinière, 2003), L’abolition de l’esclavage. Cinq siècles de combats, XVIe-XXe siècles (Fayard, 2005), La France a-t-elle aboli l’esclavage ? (Perrin, 2009) et Les abolitions de l’esclavage, Exposition virtuelle, Archives nationales de France, ANOM, [lesabolitions.culture.fr]. Son prochain ouvrage est intitulé Esclavage et liberté aux Caraïbes. Une plantation de Guadeloupe au XIXe siècle, 2016.

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