Conclusion générale

p. 307-313


Texte intégral

1Dans l’introduction générale, nous avons donné la parole à des jeunes manifestants réunis sur la place de l’Obélisque, lieu des défilés qui ponctuent depuis des décennies la vie politique du Sénégal. Ces jeunes expriment leur courroux par rapport à des politiques publiques qu’ils jugent inefficaces en matière d’emploi. Ils réclament des postes dans des entreprises ayant pignon sur rue ou des responsabilités dans la fonction publique. À leurs yeux, un emploi, c’est tout d’abord cela. Car, au Sénégal – et ailleurs dans la sous-région – une activité professionnelle digne de ce nom doit tout d’abord générer un revenu décent et régulier ou, mieux encore, permettre de côtoyer de près ou de loin ceux qui ont le pouvoir politique ou économique, et qui – sait-on jamais ? – sont susceptibles de procurer des avantages de toutes sortes, avantages parmi lesquels l’ouverture sur l’international fait rêver le plus. Un revenu décent, cela va de soi, et régulier, car seule la régularité permet la projection dans l’avenir, favorise l’obtention d’un prêt pour faire construire une maison ou pour satisfaire les désirs de consommation ; elle facilite la scolarisation des enfants dans des conditions correctes, donne accès à des soins de santé dignes de ce nom ; et elle peut aussi rendre possible l’ouverture d’une petite boutique pour le compte d’un parent proche, voire l’achat d’un billet d’avion pour qu’il tente sa chance aux États-Unis, en Europe ou en Chine.

2Il y a aussi ces Sénégalais qui reviennent « au pays » après une expérience à l’étranger ; parmi eux, de nombreux diplômés d’université. Disposant souvent d’un CV plus que respectable, ils tiennent à poursuivre leur carrière parmi leurs proches. Ils disent aussi vouloir se mettre au service de leur pays et contribuer à son « émergence » – terme tristement galvaudé – et se montrer reconnaissants vis-à-vis de leur entourage familial pour leur avoir permis d’accéder à une formation prestigieuse. Question de s’acquitter des obligations sociales et d’affirmer par là leur appartenance au groupe d’origine, mais aussi de se prémunir contre les coups durs de la vie. Si les prétentions de ces demandeurs d’emploi sont parfaitement compréhensibles, elles se heurtent cependant souvent aux potentialités réelles du « marché du travail ». Car, sur les 2 900 000 actifs occupés en 2013, à peine 390 000 disposent d’un emploi salarié permanent, soit 13,4 %.

3Ainsi, l’écrasante majorité des Sénégalais créent leur propre emploi, une formule qui concerne de plus en plus aussi ceux qui disposent d’un diplôme du supérieur. Les plus geek parmi eux se lancent dans des métiers liés aux nouvelles technologies – qui, pour la majorité des jeunes Sénégalais, n’ont plus rien de nouveau. Ils bénéficient, le cas échéant, d’un incubateur d’entreprises comme le CTIC Dakar et surfent sur la vague du coworking1. Une opportunité donc pour les jeunes, permettant d’apprendre et d’avancer ensemble, tout en exerçant un effet d’entraînement sur des entrepreneurs moins qualifiés. Mais ils sont aussi nombreux à proposer leurs services d’intermédiaire de toutes sortes, compte tenu d’un environnement social et économique dont les rouages sont difficiles à décrypter pour ceux dont le niveau d’instruction est faible. Car ils sont nombreux dans ce cas : seulement 54 % des hommes et 38 % des femmes de plus de dix ans déclarent savoir lire et écrire dans une langue quelconque (Sénégal, 2014a, p. 101).

4D’autres encore affrontent les aléas d’un métier bien plus modeste, le commerce tout d’abord, secteur qui fait la réputation des Sénégalais. Certains parmi eux espèrent accéder, un jour, au rang des grands commerçants, entrepreneurs et propriétaires immobiliers du pays, ces héros des success-stories que les jeunes peuvent se raconter sans relâche. Ces candidats à une voie moins lisse que celle d’un emploi salarié, mais tout aussi périlleuse que celle des jeunes membres d’entreprises start-up, savent que le monde des revenus réguliers leur est fermé, faute de formation adéquate, faute de relations utiles aussi. Et ils s’adonnent, ne serait-ce que pour commencer pensent-ils, au petit commerce, parviennent parfois à ouvrir une modeste boutique. Elle le restera sans doute, car les compétences managériales font défaut pour passer à l’échelon supérieur et que, dans un environnement où la précarité est omniprésente et le pouvoir d’achat faible, il vaut mieux multiplier les petites unités que de miser sur l’accumulation verticale, répartition des risques oblige. Cette propension vaut aussi pour d’autres métiers, que ce soit la couture, la menuiserie, la réparation.

5Dans les campagnes, la modestie par rapport aux potentialités du « marché du travail » est encore davantage de mise. Même si les initiatives ne manquent pas, la prudence par rapport aux aléas de la nature est encrée dans l’habitus des populations, la pluriculture et la pluriactivité sont omniprésentes. Tantôt on continue, en famille, le chemin tracé par les générations ascendantes pour cultiver le riz ou l’arachide ; tantôt on devient quasi-salarié – avec toute la précarité que ceci implique – d’une entreprise agricole à qui l’on vend la quasi-totalité de sa récolte ; tantôt on se lance dans l’horticulture, secteur prometteur s’il en est ; tantôt l’on pratique la pêche, en dépit d’une ressource qui se raréfie de manière dramatique. Et puis, il y a aussi tous ceux qui travaillent, quasi gratuitement, au sein de l’unité domestique ; mais au moins ils sont nourris et bénéficient d’un gîte… Ces travailleurs familiaux sont généralement des femmes. Seul moyen pour tenter de s’échapper à leur condition : le petit commerce ou la transformation de produits agricoles ou halieutiques, activités qu’elles pratiquent souvent grâce au microcrédit. Celui-ci mise, justement, sur cette clientèle qui dispose pourtant de nombreuses autres sources de financement, moins formalisées mais tout aussi efficaces. D’où le risque de l’endettement excessif des femmes, d’une part, et des pratiques commerciales de plus en plus agressives de la part des agents de crédit, d’autre part. Avec, comme conséquence, l’intensification de la mise au travail des femmes, qualifiées, par la suite, de « si courageuses » par les politiques, pour les « encourager » encore davantage.

6Contrairement à ce que l’on pouvait encore croire il y a quelques décennies, l’emploi salarié ne se généralisera certainement pas et la société sénégalaise a peu de chances de devenir une « société salariale » telle qu’on la connaît (encore) dans les pays du Nord, avec les régulations qui lui sont propres et parmi lesquelles la protection sociale joue un rôle central. Il est vrai, « l’importance du travail n’est sans doute jamais aussi sensible que lorsqu’il fait défaut » (Castel, 1998, p. 25). Ce constat, fait au sujet des pays dits riches, est tout aussi vrai pour le Sénégal. C’est donc tout d’abord du travail qu’il faut, car le « marché du travail » tel qu’il existe « produit » avant tout des travailleurs en « surnombre ». Ils se disent insuffisamment occupés et, surtout, insuffisamment rémunérés. Ils aimeraient travailler plus pour gagner plus, mais la faiblesse de la demande globale ne le permet tout simplement pas et les pouvoirs publics semblent impuissants par rapport aux aspirations du « bas » de la population.

7Il serait cependant simpliste de se contenter d’une opposition entre la minorité des salariés, d’un côté, et la majorité des (auto-)entrepeneurs, apprentis et aides domestiques, de l’autre. Les situations intermédiaires sont légion, et la précarité et la souffrance hantent toutes les catégories de travailleurs. Les petits vendeurs, pour ne prendre qu’eux, qui arpentent les rues de la capitale ou d’autres centres urbains, doivent affronter le bruit, la pollution et l’indélicatesse des passants et chauffeurs et souffrent de pathologies liées à un environnement insalubre. Les cadres de grandes entreprises, eux, pâtissent souvent d’une surcharge de travail, et se plaignent de la quasi-obligation de disponibilité permanente et d’une compétition sans merci où des pratiques de harcèlement ne sont pas absentes. Celles-ci se traduisent par la rétention d’information, par le refus d’octroyer les congés dus, par le côté irréaliste des objectifs fixés par un « siège » peu au fait des réalités au quotidien. L’entreprise moderne exige une adhésion sans faille à ses valeurs, adhésion qui peut aller jusqu’au renoncement à la mise en place d’un syndicat. L’angoisse de perdre son emploi et d’être obligé de devoir céder sa place à un candidat plus jeune, souvent mieux formé, se contentant d’un salaire moins élevé et peut-être davantage armé pour faire ses preuves dans l’économie de marché, cette angoisse est réelle.

8Les maux dont souffre le monde du travail au Sénégal trouvent leur explication dans le contexte de la globalisation actuelle, c’est certain, mais aussi et surtout dans l’histoire et dans le difficile passage à l’économie de marché. À l’époque coloniale, l’accent fut mis sur les productions primaires. Par la force des choses, il s’agissait d’une économie essentiellement extravertie où l’arachide devait jouer un rôle central et devenir le secteur clé de l’économie sénégalaise. De nous jours, son rôle économique est mineur – en 2013, l’arachide contribuait deux fois moins aux recettes d’exportations que le ciment ! – mais sa valeur symbolique est toujours grande, ce qui handicape la reconversion des exploitations agricoles. Le démantèlement de l’AOF a profondément désarticulé l’économie du pays, tout en favorisant des investissements dans des unités de production nationales, unités qui devaient vite s’avérer suréquipées par rapport à la demande effective. La « cure d’amaigrissement » ordonnée, dans le cadre des Programmes d’ajustement structurel, par les bailleurs de fonds n’a eu qu’un effet limité en termes de dynamisme économique. Elle a été particulièrement préjudiciable à la main-d’œuvre salariée du pays, ce qui explique aussi le foisonnement actuel de petits métiers. Grand handicap de l’économie sénégalaise : la productivité reste faible et les produits sont peu compétitifs, à l’intérieur d’abord, mais aussi sur le marché mondial, notamment par rapport aux produits d’origine chinoise. Les exportations sénégalaises sont à faible valeur ajoutée. Les niches potentielles se heurtent à une série d’obstacles, tel que le déficit en structures de stockage et de transformation pour les produits horticoles. Parmi les facteurs les plus pénalisants : l’absence d’un approvisionnement en électricité satisfaisant, c’est-à-dire suffisant et sans ruptures intempestives. Tous ces éléments freinent la progression vers davantage de prospérité et une meilleure qualité de vie. Et pourtant, le Sénégal dispose de potentialités non négligeables. Indépendamment de l’atout que représentent la proximité spatiale par rapport au marché de l’Union européenne avec son demi-milliard de consommateurs, les infrastructures de communication performantes et une stabilité politique incontestable, les potentialités du Sénégal se situent avant tout dans les ressources humaines. Leur créativité se manifeste notamment à travers les entreprises innovantes, les initiatives locales prises par la société civile ainsi que dans le domaine artistique.

9L’économie sénégalaise est globalisée, c’est un fait2. Les relations marchandes sont omniprésentes, dans la vie locale de tous les jours et au niveau macro-économique, compte tenu des liens avec le marché mondial, des importations de denrées alimentaires ou d’hydrocarbures, et des exportations comme les phosphates, les produits halieutiques et le ciment, pour ne prendre que les flux de biens les plus importants. Pour les producteurs sénégalais, ceci signifie qu’ils sont amenés à affronter la concurrence, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, du riz thaïlandais, des tissus en provenance de la Côte d’Ivoire ou du Pakistan, du poisson marocain ou sud-est asiatique, des huiles supposées moins problématiques pour la santé que l’huile d’arachide, etc. Les relations marchandes globalisées interviennent aussi en amont de la production, lorsqu’il s’agit d’accéder à un prêt, d’acheter des intrants, d’effectuer des investissements. Plus encore, la globalisation se manifeste par le flux des normes et des valeurs qui sont le propre de l’économie de marché.

10En même temps, des rapports non marchands continuent à jouer un rôle essentiel dans la vie économique. Permettant d’amortir la fonctionnalité froide des marchés, ils constituent autant d’obstacles et de résistances à la généralisation du marché, tout en perpétuant les pratiques qui contribuent à la cohésion sociale. Le non-marchand concerne tout particulièrement le foncier et le travail. Pour ce qui est du premier, il n’est que partiellement inséré dans l’univers marchand, car pour des raisons qui renvoient à des référents multiples – relevant de l’histoire, du social, du religieux, du juridique, etc. –, la terre n’est qu’exceptionnellement aliénable. Son utilisation peut être la conséquence de transactions non-marchandes. Celles-ci vont d’arrangements entre individus ou familles pour le prêt d’un lopin de terre, à l’octroi, sans titre de propriété, d’un terrain en guise de récompense pour services rendus à un dignitaire religieux, en passant par la mainmise illicite sur des sites en bordure de mer. Ces pratiques peuvent handicaper des projets touristiques ou agricoles ; l’on pense notamment à l’installation de complexes hôteliers, à la création de plantations horticoles ou à l’aménagement de casiers irrigués pour la riziculture.

11C’est dans le domaine du travail que « l’incomplétude du marché » (Hugon, 2011, p. 334) est particulièrement prégnante, mais aussi problématique, car source de tensions multiples. L’omniprésence de l’auto-entrepreneuriat est la manifestation la plus patente de cette « incomplétude du marché ». Plus encore, compte tenu de l’instabilité des marchés, s’appuyer sur la main-d’œuvre familiale, est souvent inévitable. L’apprentissage renvoie également à ce handicap de l’instabilité et de la précarité. Même dans les entreprises d’une certaine envergure, les recrutements se font souvent pour « arranger » un parent ou un ami de longue date. Les méthodes de sélection par des professionnels, méthodes supposées neutres et compatibles avec l’impératif de compétitivité, sont là pour court-circuiter ces pratiques, avec un succès qu’il reste parfois à prouver.

12La coexistence d’éléments marchands et non-marchands ne se fait pas sans heurts. Les articulations entre ces différents éléments sont amenées à s’ajuster en fonction de la progression de la pensée néolibérale et de son acceptabilité par les populations. Et alors que la rationalité économique s’étend à des sphères de plus en plus nombreuses et vastes et que les relations interpersonnelles deviennent plus fonctionnelles (Leimdorfer et Marie, 2003 ; Marie et al., 1997), le contrat social est amené à s’adapter à la nouvelle donne. C’est cela le prix à payer non seulement pour que la paix sociale soit garantie, mais aussi pour que l’économie de marché puisse être assimilée sans trop de tensions. Le monde du travail et son pendant, la prise en charge de ceux qui, temporairement ou définitivement, ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins, sont au cœur de cette évolution.

13Il est manifeste que les individus poursuivent de plus en plus leurs projets personnels – comme l’investissement dans un atelier, la création d’une petite unité de production, l’ouverture d’une boutique, l’installation en tant que prestataire de services – et qu’ils tiennent à se montrer entreprenants. Alors que, depuis les Programmes d’ajustement structurel, le discours relatif au travail les incite dans ce sens, la société, elle, accepte de plus en plus mal l’oisiveté. Or, ces initiatives supposent aussi que les projets professionnels puissent se réaliser dans une certaine sécurité d’entreprendre, à l’abri de risques liés à la maladie et aux accidents du travail. Et qu’ils s’accompagnent d’une prise de distance par rapport à la famille élargie, car des sollicitations personnelles trop insistantes risqueraient d’être économiquement contreproductives. Il est vrai que les solidarités s’effritent pour se concentrer tout d’abord sur la famille nucléaire3. Il s’ensuit que la protection contre la maladie est de plus en plus difficile à assurer et que souvent, les familles peinent à prodiguer les soins nécessaires à un parent devenu impotent et incapable d’exercer une activité génératrice de revenus. En effet, le système de santé est géré selon les principes de l’économie de marché. Cela signifie que les établissements de santé doivent équilibrer leur budget, une contrainte qui rend les traitements de plus en plus onéreux. Le système public de protection sociale, basé sur la répartition, formule qui met à contribution les salariés – et le budget de l’État pour ce qui est des fonctionnaires –, ce système est en panne : le nombre des contributeurs augmente à peine, ce qui interdit, dans la pratique, l’élargissement des mécanismes de protection à d’autres segments de la population. L’extension du système tel qu’il a été conçu à l’époque coloniale s’avère, enfin, également délicate du point de vue de la justice sociale et en raison d’un risque de résistance des contributeurs.

14Pour surmonter ce handicap et répondre en même temps aux injonctions des bailleurs de fonds, l’État sénégalais a récemment introduit ce qu’il appelle la couverture médicale universelle, couverture qui n’a d’universalité que le nom. Si elle consiste en la gratuité de certains soins de base, l’idée centrale est de « responsabiliser » les citoyens et de les inviter à pourvoir à leur propre protection sociale par le biais d’une adhésion volontaire à des mutuelles de santé. Mais cette responsabilisation ne peut se faire que si certaines conditions sont réunies, ce qui n’est pas le cas dans le Sénégal contemporain. En effet, l’existence des mutuelles privées est soumise au bon vouloir des bailleurs de fonds. À cause de cette dépendance, elles ont forcément une existence incertaine et limitée dans le temps. Dit autrement, la responsabilisation des citoyens est supposée se faire sans que les structures mutuelles, elles, puissent être responsabilisées. Plus encore, ces structures ne peuvent pleinement jouer leur rôle que s’il existe une infrastructure sanitaire efficace, ce qui est loin d’être le cas. La fédération de ces structures qui conduirait à la couverture de l’ensemble du territoire, semble techniquement difficile à réaliser, ne serait-ce qu’à cause de la grande dispersion géographique des populations.

15Or, sont en cause moins des questions techniques que le modèle même de société que sous-entend ce type de protection contre les risques et aléas de la vie. Du fait de leur hétérogénéité, en termes de philosophie propre aux différents bailleurs, et du manque d’inscription dans le temps long, les mutuelles ne peuvent remplir cet autre rôle traditionnellement dévolu à la protection sociale, celui d’assurer la cohésion sociale. Celle-ci est promue par l’identification des populations à une structure qui les réunit toutes et par leur adhésion aux normes et valeurs sous-jacentes.

16D’un point de vue moral aussi, la responsabilisation des individus, appelée « technique de gouvernementalité néolibérale » (Hache, 2007) à la suite des développements faits, dès les années 1970, par Michel Foucault (2004), paraît problématique. Accompagnée de la notion d’empowerment, elle vise à engendrer des « unités-entreprises » – le capital santé étant indissociable de celui qui le détient – délivrées de tout lien, des unités supposées se diriger vers des opportunités qui se présentent au jour le jour – ou ne se présentent pas. Cette formule peut paraître séduisante pour les sociétés où l’auto-emploi foisonne. Elle est néanmoins déjà problématique pour les pays du Nord et néglige le fait que dans un pays du Sud, les populations n’ont qu’un nombre extrêmement restreint d’options, puisque le niveau d’instruction et de formation est modeste et que la flexibilité n’est, concrètement, donnée qu’aux mieux formés, une infime minorité.

17Ce sont donc des considérations d’ordre sociétal et moral qui devraient amener les décideurs à se distancer des innovations introduites en 2014. Pour résoudre la question sociale, si essentielle pour le monde du travail, d’autres pistes méritent d’être explorées, comme celle de la mise en place d’une protection sociale financée par le budget de l’État. Ce système serait-il trop coûteux comme certains peuvent le prétendre ? Les estimations faites par des spécialistes et des membres l’Association internationale de la sécurité sociale contredisent cet argument. Sans négliger l’aspect financier, la promotion de la protection de tous est essentiellement une question politique. Elle renvoie à la redistribution des fruits de la croissance et à la justice sociale.

18Vues sous cet angle, les questions du travail et de l’emploi dépassent de loin la seule collecte de données fiables, la mise en place de programmes d’appui à tel ou tel secteur, la syndicalisation des travailleurs précaires, les réformes du code du travail, l’élimination de blocages de toutes sortes. Elles renvoient à des choix de société et engagent l’avenir. Il y va du bien-être immédiat et futur de tous les citoyens, qu’ils aient ou non un travail.

Notes de bas de page

1 On lira avec intérêt le dossier consacré par le journal Le Monde aux débats « Le Monde Afrique » à Abidjan, les 10 et 11 septembre 2015.

2 Mais elle n’est pas nécessairement globalisante, si l’on fait abstraction de domaines spécifiques (et limités) comme la mode et la musique. Dans les paragraphes qui suivent, on s’inspire de Hugon, 2011 et Laville, 2001.

3 Même si, par ailleurs, la cohabitation peut prendre de l’ampleur, surtout dans les villes. Mais la cohabitation n’exclut pas la multiplication des budgets individuels, comme le montrent, entre autres, la généralisation du téléphone portable ou la consommation alimentaire dans des taangna, cafés de fortune dressés à même la rue.


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