Introduction
p. 197-199
Texte intégral
1Les politiques publiques ont un rôle essentiel à jouer pour la promotion du travail et de l’emploi. Or, le monde du travail est difficile à circonscrire, ses frontières sont floues, les acteurs multiples et les enjeux complexes. Ce qui est en jeu, ce sont des choix de société. Des choix qui font appel à des valeurs telles que l’égalité des chances et la solidarité, des valeurs qui sont enchâssées dans le contexte local tel qu’il s’est construit au fil du temps, des valeurs qui subissent aussi des influences exogènes dont les prescriptions normatives sont croissantes, dans un contexte de globalisation. Où commence et où s’arrête alors l’action politique en matière d’emploi ?
2Pour mieux saisir les différents volets des politiques publiques de l’emploi, essayons, dans un premier temps, de considérer les réalités dans les pays du Nord. Très schématiquement, les mesures en matière d’emploi sont supposées répondre à deux types de préoccupations : endiguer le chômage et lutter contre ses méfaits, d’une part ; permettre au plus grand nombre des travailleurs l’exercice d’activités génératrices de revenus, d’autre part. Dans la poursuite de ce double objectif, les pays du Nord mettent en œuvre deux catégories d’instruments, ceux dits passifs et ceux dits actifs. Les premiers consistent à rendre le chômage matériellement supportable, grâce à des allocations de toutes sortes. Les instruments dits actifs, eux, sont destinés à accroître le niveau de l’emploi dans les secteurs privé et public, à faciliter l’insertion et la réinsertion des candidats à un emploi, à améliorer leur « employabilité », notamment en leur proposant une formation adéquate. Tout en grossissant les traits, cette opposition entre mesures passives et actives met en évidence les enjeux majeurs, sachant toutefois que de nombreuses mesures renvoient simultanément aux deux facettes des politiques d’emploi. Tel est le cas des initiatives consistant à dynamiser le fonctionnement du « marché de l’emploi », comme le revenu de solidarité active (RSA), dispositif mis en place en France en 2009, et, plus généralement, les différents mécanismes de circulation de l’information et d’orientation des travailleurs, les dispositifs financiers susceptibles de faciliter la mobilité des travailleurs, sans oublier, bien entendu, la législation sur le travail.
3Dans les pays du Nord, on a pris l’habitude de comptabiliser les interventions publiques en faveur de l’emploi en les rapportant au PIB. Ainsi, l’on sait que l’Europe des 28 y consacre 1,81 % du PIB1. La majeure partie – à savoir 1,16 % du PIB – des ressources engagées l’est en faveur des mesures passives, liées essentiellement au chômage et à la retraite anticipée. Les mesures actives représentent 0,45 % du PIB, les services liés au fonctionnement du marché du travail 0,20 %. Mais on peut aller plus loin et s’intéresser à la question sociale, c’est-à-dire à la prise en charge, grâce à des mécanismes solidaires et assurantiels, des personnes temporairement ou définitivement dépourvues de ressources financières. Ainsi, dans l’Europe des 28, les dépenses relatives à la protection sociale correspondaient, en 2012, à 29 % du PIB, un taux compris entre 15 % dans le cas de l’Estonie, et 33 %, pour ce qui est de la France2.
4Dans les pays du Sud, la situation est, bien entendu, tout autre. La mise en place de mesures actives ou passives se heurte, tout d’abord, à des obstacles d’ordre juridique et financier. Ainsi, la législation ignore l’indemnisation en cas d’absence d’emploi. La catégorie des pré-retraites, en tant qu’instrument de régulation de l’emploi de type formel, n’existe pas. De même, compte tenu de la configuration du « marché du travail », les données chiffrées relatives aux contributeurs ou bénéficiaires potentiels d’aide à l’emploi présentent de grandes lacunes ou sont tout simplement inexistantes. L’État social n’a donc qu’une faible prise sur la population active, au Sénégal comme dans d’autres pays sub-sahariens. Plus encore, l’inexistence de groupes de pression représentatifs de la grande majorité des travailleurs, ceux qui vivent d’un petit métier, n’est guère propice à insuffler du dynamisme aux instances chargées des politiques publiques. Enfin, les ressources disponibles sont faibles. En effet, les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire la somme des impôts et des cotisations sociales, ne représente qu’environ 20 % du PIB (BAD, 2010, p. 18), contre plus du double en France. Autant d’éléments susceptibles de freiner les initiatives des décideurs, si bien intentionnés soient-ils. Autrement dit, à moins que ces derniers se résolvent à entreprendre des réformes en profondeur et qu’ils consentent à revoir le système de redistribution des richesses créées – par exemple en introduisant un revenu universel minimum –, les politiques publiques de l’emploi resteront réduites à leur plus simple expression. Il s’ensuit que, abstraction faite de la production de données statistiques relatives à l’emploi, les seules mesures mises en œuvre consistent à créer des emplois dans le secteur public, à inciter à l’embauche dans les entreprises privées, à encourager l’auto-emploi. Ou bien à élaborer des programmes de création d’emploi ex nihilo, sans véritablement connaître les bénéficiaires potentiels.
5Cette partie présentera les mesures prises en matière de travail et d’emploi et adoptera pour cela une approche historique. Dans un premier temps, il s’agira de retracer les grandes étapes, depuis la « mise en valeur » coloniale jusqu’aux initiatives décidées sous le régime du président Abdoulaye Wade (chapitre v). Dans un second temps, on analysera quelques projets spécifiques, ceux qui ont particulièrement marqué l’histoire récente du Sénégal et l’esprit des Sénégalais (chapitre vi).
Notes de bas de page
1 Estimation pour 2011. En 2013, la France a consacré 2,38 % aux politiques de l’emploi, l’Allemagne 1,65 %. Source : [http://ec.europa.eu/eurostat/], lien Public expenditure on labour market policies, by type of action, accès avril 2016.
2 Estimation. Ibid., lien Expenditure on social protection, accès avril 2016.
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