Version classiqueVersion mobile

Liaisons dangereuses

 | 
Pauline Picco

Deuxième partie. Des réseaux OAS aux stragi italiennes

Chapitre VI. « Inoubliable, trente ans après », le soutien français au terrorisme d’extrême droite italien (1969-1984)

Texte intégral

1De la fin des années 1960 au début des années 1980, la vie politique et la société italiennes ont été marquées par plusieurs attentats à la bombe perpétrés par des terroristes d’extrême droite. Or, les responsables des stragi de Peteano et de Bologne ont été condamnés en 1987 et 1995 ainsi que ceux de Brescia, le 22 juillet 2015, plus de quarante ans après les faits. Vincenzo Vinciguerra fut en effet identifié comme responsable de l’attentat de Peteano, et a reconnu les faits, tandis que la magistrature condamna définitivement Valerio Fioravanti, Francesca Mambro et Gilberto Cavallini, membres des Nuclei armati rivoluzionari (NAR) pour la strage de Bologne, bien que ceux-ci aient toujours nié être liés à cet attentat. Elle n’a pu en revanche identifier, et donc condamner, ses commanditaires.

  • 1 Des photos attestent de sa présence Piazza della Loggia, lieu de l’attentat, dans les moments qui (...)

2Bien que les procès des stragi de Piazza Fontana et de Brescia aient partiellement échoué à condamner de manière définitive tous les exécutants et les commanditaires de ces attentats à la bombe, les enquêtes menées par les magistrats ont tout de même permis d’identifier la matrice d’extrême droite commune à ces stragi, le groupe auquel appartenaient les exécutants – le groupe vénitien d’Ordine Nuovo – leur lien effectif avec les services de renseignements, civils et militaires et, dans le cas de Brescia, leur relation étroite avec le maréchal Delfino, chef des carabiniers de Brescia. Le 22 juillet 2015, le jugement de la cour d’Assises d’appel de Milan a confirmé ces liens. Elle a condamné à la perpétuité Maurizio Tramonte, militant d’extrême droite et collaborateur du SID accusé d’avoir participé à la préparation de la strage de Brescia1 et Carlo Maria Maggi, leader d’Ordine Nuovo en Vénétie, considéré comme l’instigateur de l’attentat. À Brescia, il aura fallu attendre quarante et un ans pour que la justice rende un jugement exceptionnel qui établit clairement les liens entre une partie des services de renseignements italiens et Ordine Nuovo, et prouve leurs responsabilités dans la série d’attentats qui touche l’Italie dans les années 1970. Moment historique où la justice soulage et conforte, en le confirmant, le propos historien.

  • 2 Digilio est un informateur de la CIA et la source « Erodoto » du SID.
  • 3 Le juge Salvini cite notamment le témoignage de Tullio Fabris, l’électricien de Freda, impliqué da (...)

3D’autre part, il est faux d’affirmer que la strage de Piazza Fontana n’a pas de coupable. Le jugement définitif de la Cour de cassation du tribunal de Milan a condamné Carlo Digilio, expert en armes et explosifs du groupe vénitien d’Ordine Nuovo, qui admit avoir fourni l’explosif utilisé dans la strage et être lié aux services américains présents en Italie2. S’il ne s’agit pas d’affirmer, dans une perspective complotiste à laquelle nous nous refusons d’adhérer, que les États-Unis ont commandité les attentats perpétrés en Italie, ils ont sans doute observé d’un œil bienveillant et peut-être favorisé, directement ou indirectement, lesdits attentats. Selon le magistrat Guido Salvini qui a instruit ce procès de 1989 à 1997, le transfert de l’instruction de Piazza Fontana dans différents tribunaux a accentué sa fragmentation. Les militants d’extrême droite, Franco Freda et Giovanni Ventura, n’ont pas été condamnés pour les faits de Piazza Fontana, pour des raisons de procédure et de prescription des faits. Ils ont en revanche été reconnus responsables de la strage, le 3 mai 2005, par la Cour de cassation de Milan. Celle-ci a ainsi affirmé que si Freda et Ventura avaient été jugés avec les éléments d’enquête transmis trop tard à la magistrature, alors qu’ils n’étaient plus susceptibles d’être poursuivis3, ils auraient été condamnés. Les jugements contradictoires rendus par les institutions judiciaires italiennes, la durée exceptionnelle de cette procédure de 1971 à 2004, l’incapacité de la justice à apporter des réponses claires et les réticences fortes de la classe politique italienne face à l’établissement de la vérité, ont pesé lourdement sur la société et la politique italiennes.

4Au-delà des renouvellements générationnels successifs, la pérennité des réseaux franco-italiens d’extrême droite favorise, à la fin des années 1960, les circulations idéologiques, mais également les soutiens opérationnels et logistiques dont bénéficient, de la part de leurs camerati français, les militants d’extrême droite impliqués dans les attentats à la bombe qui marquent la décennie 1970. Les enquêtes se sont d’abord orientées vers une piste anarchiste ou d’extrême gauche, avant d’identifier la matrice d’extrême droite.

5Dans ce cadre, la figure et l’itinéraire de Franco Freda sont essentiels pour expliquer les liens pérennes qui unissent l’extrême droite extraparlementaire des deux côtés des Alpes. Ce personnage témoigne des circulations idéologiques, politiques et militantes qui caractérisent ces relations des années 1960 aux années 1980.

Freda et les Nationalistes-Révolutionnaires français : circulations idéologiques et soutiens politiques

6L’itinéraire de Franco G. Freda est celui d’un passeur, idéologique et générationnel. Il fait le lien entre plusieurs générations de l’extrême droite italienne et a favorisé la diffusion de la pensée négationniste en Italie. Doctrinaire, mais également éditeur et libraire, il est au cœur des réseaux intellectuels et militants de l’extrême droite européenne. Érigé en martyr à la faveur de son inculpation dans l’enquête sur la strage de Piazza Fontana, il bénéficie d’un large soutien au sein de l’extrême droite française et francophone.

  • 4 CdM, Tribunal de Catanzaro, Uff. Istru, no 14/75/a/R. G. I, Actes du procès pénal contre Giannetti (...)
  • 5 Le groupe Giovane Nazione est la section italienne de la Jeune Europe de Jean Thiriart.
  • 6 CdM, Tribunal de Catanzaro, Uff. Istr., no 14/75/a/R. G. I., Dossier de procédure pénale contre Gi (...)
  • 7 L’appellation groupe de Ar a certainement été inspirée par le groupe d’Ur, créé par Julius Evola e (...)

7Né en 1941, Franco G. Freda fait son entrée en politique au sein du MSI, comme la quasi-totalité des jeunes qui, à cette époque, refusent les idéaux antifascistes, démocratiques et l’idéologie résistencialiste sur laquelle est fondée la République italienne. Au début des années 1960, il dirige le groupe universitaire San Marco, section universitaire padouane du MSI. Toutefois, son expérience au sein du MSI tourne court : il s’éloigne du parti en mai 1962, suivi par une quinzaine de militants, avant d’y revenir à l’approche des élections législatives de 1963 et d’en être définitivement exclu quelques mois plus tard. Freda et son groupe sont qualifiés par les instances locales du parti de « jeunes têtes brûlées4 ». Il se rapproche ainsi des franges les plus radicales de l’extrême droite italienne. Après avoir gravité quelque temps autour des réseaux liés au mouvement Giovane Nazione5, il crée, en 1963, à Padoue, un groupe de réflexion idéologique et culturelle : le Groupe de Ar, préfixe dérivant du sanscrit et « désignant l’homme dans sa dimension aristocratique et spirituelle6 ». Freda y défend une lutte politique menée au nom d’une conception traditionnelle de l’existence, caractérisée par le refus de la pensée progressiste, égalitaire, bourgeoise, démocratique et matérialiste. Sa vision traditionnelle, aristocratique du monde, en fait l’un des principaux disciples d’Evola7.

  • 8 Ferraresi Franco, La destra radicale, Milan, Feltrinelli, 1984, p. 40.
  • 9 Panvini Guido, Ordine nero, guerriglia rossa. La violenza politica nell’Italia degli anni Sessanta (...)

8L’élaboration doctrinale de Freda, son discours antibourgeois, sont progressivement complétés par un discours anticapitaliste qui, comme le souligne le politiste Franco Ferraresi dans son étude de 19848, constitue un passage fondamental dans l’itinéraire de Freda. À partir de 1968, alors que l’affrontement entre la droite radicale et l’extrême gauche devient évident, Freda est le principal penseur italien d’une idéologie qualifiée, par les sources judiciaires, de « nazi-maoïste ». Il se réapproprie en effet certaines thèses de la pensée révolutionnaire de gauche et envisage d’en faire une synthèse avec la pensée révolutionnaire de droite, dans une stratégie de lutte commune contre le système9.

  • 10 La notion d’« homme différencié » est développée dans l’ouvrage de Evola Julius, Chevaucher le tig (...)
  • 11 CdM, Tribunal de Catanzaro, Uff. Istr., no 14/75/a/R. G. I., Dossier de procédure pénale contre Gi (...)

9À travers le groupe de Ar de Padoue, il contribue à la formation et à la « préservation de ces “divisions d’hommes différenciés” », voués à la Tradition10. Il refuse toutefois le titre d’intellectuel ou de maître, préférant celui de professeur. Malgré ses différends avec la direction du MSI, il maintient ainsi des rapports continus avec de jeunes militants du Fronte Universitario di Azione Nazionale (FUAN), fédération universitaire du MSI dans lequel il recrute de jeunes disciples11. S’il n’a jamais officiellement adhéré au Centro studi Ordine Nuovo, il admet toutefois des points communs avec ce dernier et avec le Movimento Politico Ordine Nuovo de Clemente Graziani, lié au terrorisme noir des années 1970.

Freda le doctrinaire

  • 12 Stellati Chiara, Una ideologia dell’origine. Franco Freda e la controdecadenza, Padoue, edizioni d (...)
  • 13 Ferraresi Franco, La destra radicale, op. cit., p. 38.

10Freda participe d’un processus de mise en discussion et de simplification de la pensée évolienne en Italie. En 1963, il écrit une critique de Cavalcare la tigre qui, selon Chiara Stellati, pose « les bases d’une nouvelle stratégie de lutte et d’une nouvelle façon d’envisager une opposition de droite au régime démocratique et au monde moderne12 ». Il s’oppose fermement à une interprétation défaitiste du concept d’apolitia développé par Evola dans son ouvrage. Freda perçoit l’apolitia comme le refus de s’insérer dans le système politique de l’époque : il comprend l’engagement politique comme une forme de « vie héroïque », de « guerre sainte », comme « la forme la plus authentique de réalisation spirituelle13 ». Il contribue ainsi, grâce à ses critiques, sinon à vulgariser, du moins à rendre accessibles les œuvres de Julius Evola, difficilement intelligibles pour une grande majorité de militants italiens, peu formés idéologiquement.

  • 14 Stellati Chiara, Un’ideologia…, op. cit., p. 60.
  • 15 Freda Franco, La disintegrazione del sistema, Padoue, Edizioni di Ar, 1969.
  • 16 Lebourg Nicolas, Le monde vu de la plus extrême droite, Perpignan, Presses universitaires de Perpig (...)

11On trouve en germe dans la critique de Chevaucher le tigre, la mise en pratique effective d’une action subversive antibourgeoise14, antisystème, que Freda exprime clairement dans La désintégration du système15, ouvrage dont l’apport théorico-doctrinal est fondamental pour l’extrême droite d’après-guerre, en ce qu’il participe de son « décloisonnement » idéologique16.

12La désintégration du système paraît en août 1969, dans un contexte qu’il convient de rappeler. L’année 1969 est marquée en Italie par une radicalisation de l’affrontement social caractérisée par la poursuite des contestations estudiantines et ouvrières de l’« automne chaud ». Dans le même temps, Giorgio Almirante accède à la direction du MSI et la frange du Centro politico Ordine Nuovo, dirigée par Pino Rauti, rentre dans le giron du parti. C’est donc dans une période de recomposition politique et idéologique de l’extrême droite italienne, et dans un contexte social troublé, que paraît l’ouvrage majeur de Franco G. Freda.

  • 17 Freda Franco, La disintegrazione del sistema, op. cit., p. 10 ; p. 29 sq.

13Dans un premier temps, il remet en cause l’horizon européen de la lutte et affirme son soutien verbal à la lutte palestinienne, à celle des partisans du Nord Vietnam ou encore aux guérilleros latino-américains. L’Europe serait, selon ses propos, « contaminée », « esclave des États-Unis et de l’URSS ». Freda propose non seulement un discours antibourgeois mais également anticapitaliste, et il formule l’hypothèse d’une solidarité théorique avec l’extrême gauche, en lutte contre le « système ». Il définit en outre la physionomie de ce qu’il considère comme le véritable État, un « État organique » qui se fonderait sur une « nouvelle humanité », avant de présenter son mode opératoire17. Il inscrit son action au sein d’une logique subversive et appelle à la destruction du système par la violence.

Les réseaux italiens de Freda

  • 18 Panvini Guido, Ordine nero, guerriglia rossa…, op. cit., p. 100.
  • 19 Prochasson Christophe, « Les correspondances : sources et lieux de mémoire de l’histoire intellectu (...)

14Sa pensée trouve un écho au sein des organisations extra-parlementaires italiennes, en rupture avec le MSI, et favorables à l’action politique violente. L’historien Guido Panvini écrit, à propos de la stratégie de lutte exposée dans La désintégration du système, qu’il n’est pas évident de tracer une « ligne de démarcation nette entre une réelle stratégie révolutionnaire et la mise en scène d’une provocation18 ». Toutefois, Freda a indéniablement contribué à l’accentuation des tensions politiques dans un contexte italien déjà fortement troublé, en donnant à une génération de jeunes militants d’extrême droite une réponse – l’appel révolutionnaire à la subversion du système – à des aspirations violentes que le MSI, parti parlementaire, ne pouvait et ne réussissait plus à contenir. Ses théorisations d’une lutte commune à mener entre les franges les plus radicales des extrêmes, ainsi que sa critique positive de la révolution chinoise et des œuvres de Mao ont en outre contribué à un renouvellement majeur de la pensée de la droite radicale au début des années 1970. Théorisations qui connurent un écho international, les nationalistes-révolutionnaires français instituant La désintégration du système, en texte fondateur. Les correspondances de Freda, récupérées par la magistrature à la faveur de plusieurs perquisitions au domicile, à la librairie et dans la cellule du détenu Freda, permettent ainsi « de dessiner les milieux et les réseaux qui constituent les cadres décisifs de l’échange intellectuel, militant, politique19 ».

15Les réseaux liés au groupe Ordine Nuovo constituent, dans les années 1960, le principal relais de la pensée de Freda. Celui-ci, conscient des limites que son implantation à Padoue pose à la diffusion de ses idées, entretient de bonnes relations avec les dirigeants d’Ordine Nuovo et avec leur librairie, la librairie Europa de Rome, insistant sur la complémentarité des deux structures éditoriales.

  • 20 « Solidarietà a Freda », Ordine Nuovo Azione, I, 1, 4 novembre 1972, p. 15.
  • 21 Les responsables de l’organisation Lotta di Popolo affirment agir en dehors des institutions bourg (...)
  • 22 Voir sur ce point Lebourg Nicolas, Le monde vu de la plus extrême droite, Perpignan, Presses unive (...)

16La proximité idéologique et les liens qui unissent le groupe et les éditions de Ar et les réseaux Ordine Nuovo sont manifestes lors de l’incarcération de Freda. Le MPON diffuse ainsi un communiqué dans lequel le groupe, dirigé par Clemente Graziani, exprime sa solidarité à l’égard de l’éditeur dans le journal Ordine Nuovo Azione publié en novembre 1972 : « Le “cas Freda” est un fait politique qui concerne et implique tout le milieu de la révolution nationale20. » En outre, Freda est étroitement lié, à partir de 1969, au groupuscule Lotta di Popolo, créé par un groupe d’étudiants d’extrême droite de l’université de Rome qui préconise une révolution totale contre le système21 et entretiennent des liens étroits avec l’Organisation Lutte du Peuple, du français Yves Bataille22.

Solidarité française, soutiens d’ailleurs

17Les diverses procédures judiciaires dans lesquelles Freda est impliqué, et notamment celle de la strage de Piazza Fontana, contribuent à la publicisation de son œuvre idéologique et à l’internationalisation de son influence doctrinale. La France et les pays francophones s’inscrivent ainsi dans l’aire de diffusion de la pensée et de l’action de Franco G. Freda.

Freda l’activiste : la construction d’une figure de martyr d’extrême droite

  • 23 CdM, Tribunal de Milan, Uff. Istruz. Pen. Sez. 8, Dossier de procédure pénale no 1197/72-ARGGI, vo (...)

18Dès 1972, Freda est érigé, au sein des extrêmes droites italiennes et européennes, en martyr du système ; victime, comme l’écrit Adriano Romualdi le 25 février, de la « persécution » d’institutions démocratiques qui s’attachent à « punir le délit d’opinion23 ».

  • 24 Tribunal de Milan, Uff. Istruz. Pen. Sez. 8, Dossier de procédure pénale no 1197/72-ARGGI, fasc. 4 (...)
  • 25 Salvatore Francia affirme que c’est Stefano Delle Chiaie qui publie le journal Orden Nuevo.
  • 26 CdM, Tribunal de Milan, Uff. Istruz. Pen. Sez. 8, Dossier de procédure pénale no 1197/72-AGI, fasc (...)

19Durant toute son incarcération, les réseaux de l’extrême droite euro-péenne se mobilisent et font de Freda le modèle du militant, martyr de la cause antibourgeoise et antisystème. En avril 1973, dans un courrier, l’un de ses collaborateurs lui décrit la liste des publications qui se font l’écho de ses ennuis judiciaires, témoignant de la diversité des soutiens dont il bénéficie dans les milieux intellectuels francophones24. Il insiste ainsi sur le soutien du « Courrier du Continent de Lausanne […], La Flamme de Nantes [Yves Bataille], Notre Europe, L’Europe réelle de Bruxelles, Nuevo Orden de Barcelone25, Défense de l’Occident de Paris26 ». Freda est notamment soutenu par Gaston-Armand Amaudruz et son Nouvel Ordre Européen, par la Fédération d’Action Nationale et Européenne (FANE), par les Nationalistes-Révolutionnaires français ou encore par le groupe évolien réuni autour de la revue Totalité.

  • 27 Le terme « spontaneista » désigne les militants qui réfutèrent la hiérarchie qui prévalait au sein (...)
  • 28 Malliarakis Jean-Gilles (textes réunis par), L’éditeur emprisonné, Paris, Librairie française, 1985

20La figure de Freda a ainsi été reprise par des groupes idéologiquement divers, et concurrents. Son engagement intellectuel et activiste connaît également, à la fin des années 1970, une postérité singulière : il devient un référent exemplaire pour la génération de militants « spontanéistes » de l’extrême droite italienne27. La constitution d’une figure de « martyr » de l’extrême droite, d’éditeur emprisonné28, comme le qualifie Jean-Gilles Malliarakis en 1985, a également contribué à la formation et au renforcement de ces réseaux militants qui composent la droite radicale européenne entre le début des années 1960 et le début des années 1980.

21Outre le soutien propagandiste au détenu Freda, les Français manifestent leur appui aux groupes et militants impliqués dans les attentats à la bombe qui ont ensanglanté le territoire italien.

Les réseaux activistes européens

22On trouve, dans le carnet d’adresses du dirigeant du MPON Clemente Graziani, saisi lors de son arrestation à Londres, les noms d’un certain nombre de militants et dirigeants de l’extrême droite italienne, française, belge, suisse, et espagnole. Ils confirment les relations entre les différents réseaux activistes européens. Les coordonnées d’extrémistes espagnols en délicatesse avec les autorités ibériques et celles de dirigeants de l’extrême droite française et francophone y figurent : Alain Robert voisine avec Pierre Clementi, Amaudruz ainsi que la revue « Nouvelle École » d’Alain de Benoist. Une adresse, « 4 bd Paoli, Pietra Nera », confirmerait également les relations entretenues par Graziani avec Orlando Moscatelli, bastiais indirectement impliqué dans l’enquête sur l’assassinat du juge Vittorio Occorsio, magistrat en charge de l’extrême droite au parquet de Rome, le 10 juillet 1976 par un membre d’Ordine Nuovo. Nous reviendrons sur l’importance des réseaux corses de soutien.

  • 29 CdM, Dossier de procédure pénale no 92/97 mod. 21, Rapport d’expertise no 32 d’Aldo Giannuli comma (...)

23Graziani conserve également les coordonnées de membres du MSI et de plusieurs militants du Movimento Politico Ordine Nuovo dissout le 23 novembre 1973, notamment celles de Salvatore Francia, leader du MPON turinois recherché par la magistrature italienne dans la deuxième moitié des années 197029. L’itinéraire de S. Francia met d’ailleurs en lumière les relations de ces réseaux qui mêlent activistes espagnols et italiens aux Français. Au début des années 1970, il aurait trouvé refuge en France, d’où il aurait notamment organisé, en mai 1972, un camp paramilitaire dans la région des Alpes de Haute-Provence frontalière de Bardonecchia.

  • 30 CdM, Dossier de procédure pénale no 9/82 A, fasc. « Ordine Nuovo », lettre du ministère de l’Intér (...)

24Les services italiens n’excluent d’ailleurs pas que des rencontres entre dirigeants d’Ordre Nouveau et du MPON aient eu lieu à Trente, en septembre 1972. Lors de la perquisition de la librairie de Salvatore Francia en août 1972, les enquêteurs mettent effectivement la main sur les coordonnées de Pascal Gauchon, membre du conseil national d’Ordre Nouveau30.

25Le SDECE fait également état de l’existence des relations entretenues par certains mouvements néo-nazis français avec des ressortissants italiens. En juillet 1974, un jeune Italien âgé de 19 ans est arrêté en possession de deux talkies-walkies, de huit calculatrices électroniques, d’une importante somme d’argent et de nombreux documents à caractère « fasciste » rédigés en italien. Ils auraient été destinés, selon l’enquête de la Police aux Frontières (PAF) de Modane, au leader turinois du MPON. Le SDECE soutient en outre que,

  • 31 AN, 1997002, Article 56, Pochette Italie, Sous-dossier « l’extrême droite française et le MSI (mov (...)

« selon des renseignements qui n’ont pas pu être vérifiés, des exercices d’entraînement au tir, à l’escalade et à l’emploi d’explosifs auraient été organisés par des mouvements d’extrême droite italiens et français dans le massif du Gouta, situé en territoire italien à environ 3 km de la frontière française aux environs de Breil sur Roy, respectivement en octobre 1973 et en juin 197431 ».

26Des ressortissants français auraient participé à ces activités et se seraient rendus à bord de véhicules de tourisme en Italie : ils y auraient rejoint des militants d’Ordine Nuovo.

  • 32 Lettre du ministre de l’Intérieur au ministre de la Défense, Direction générale du SDECE, 21 octob (...)

27Les services français considèrent toutefois, en 1974, qu’« à ce jour, aucun élément ou fait matériel précis n’a permis d’établir que des attentats fascistes commis en Italie étaient préparés à partir de réseaux constitués en France32 ».

  • 33 Pochette 1975, 4 avril 1975.
  • 34 Opuscule « Qu’est ce que c’est “Ordine Nuovo”. Ses principes et sa Weltanschauung ».

28Le territoire français a néanmoins constitué une base arrière du terrorisme italien : la majorité des Italiens impliqués dans les épisodes stragistes ont transité ou résidé en France, à un moment ou à un autre, et y ont trouvé le soutien de leurs camerati français. Les RG français signalent notamment, en avril 1975, la présence à Paris de Clemente Graziani33. Lors de son arrestation, celui-ci est effectivement trouvé en possession de plusieurs publications francophones parmi lesquelles le numéro 1 d’Année Zéro, numéro unique de ce « mensuel de lutte contre le régime » et « supplément aux Cahiers européens notre Europe », daté de mai 1976. Ce document, dont la francisque, symbole du MPON est représentée sur la couverture, témoigne de la proximité d’une partie de l’extrême droite parlementaire française, conduite notamment par François Duprat, avec le mouvement d’extrême droite italien dissout, mais qui poursuit son activité subversive et officieuse sous la direction de Graziani. Le journal présente un texte de la direction politique d’Ordine Nuovo désignée comme la « formation la plus efficace de la Droite extra-parlementaire d’Italie, dissoute par le Régime ploutocratique ». Les enquêteurs mettent également la main sur un document en langue française intitulé « Qu’est ce que c’est “Ordine Nuovo”. Ses principes et sa Weltanschauung », opuscule de propagande destiné à un public militant français. En une dizaine de pages, l’auteur rappelle les principaux points doctrinaux qui régissent l’idéologie du groupe activiste italien34.

Des réseaux français NR au service des activistes italiens

  • 35 Entretien avec Fabrizio Zani, 22 mars 2010.

29Les réseaux nationalistes-révolutionnaires sont activés pour favoriser l’accueil de terroristes italiens, la solidarité militante transcendant les différends idéologiques. Le témoignage d’un ancien militant, acteur de cette « lutte armée révolutionnaire » menée par l’extrême droite, est sur ce point éclairant. Il affirme que « durant ces années, la solidarité [militante] était monstrueuse parce qu’à l’époque, être fasciste était en soi un acte d’héroïsme35 ». Il complète son propos et affirme que « l’appui des camerati français, pour moi, en 2010, est inoubliable », précisant l’aide logistique dont il bénéficia en 1980, après la strage de Bologne. Il nie avoir exercé une activité politique en France, mais admet néanmoins s’y être procuré de faux documents et y avoir acheté des armes. Il indique ainsi avoir bénéficié de l’aide de militants parisiens et mentionne le nom d’Yves Bataille, responsable de l’organisation Lutte du Peuple, « personnage splendide » qui lui aurait fourni un alibi pour une affaire dont nous ignorons la teneur. Il indique également avoir été en contact avec Jeune Nation Solidariste et Gérald Penciolelli, membre du PFN et de l’Institut de recherches et d’études politiques (IREP), organisation sur laquelle nous reviendrons, dans la coordination de l’aide aux réfugiés de l’extrême droite italienne. Il est fort probable que les dirigeants du groupe d’extrême droite Terza Posizione réfugiés en France, ainsi que certains membres des NAR, aient également bénéficié de ces réseaux. L’un d’entre eux est d’ailleurs arrêté en septembre 1982, après une tentative de braquage d’une armurerie rue de Rennes à Paris, au cours de laquelle il est blessé.

La FANE et les Italiens

30Parallèlement, la FANE relaie largement, dans son périodique, le combat italien et l’un de ses militants, par ailleurs inspecteur des Renseignements généraux, se rend à Bologne, Pérouse et Rome au mois de juillet 1980 où il rencontre plusieurs représentants de l’extrême droite. Cette visite, à la veille de la strage de Bologne, attire l’attention des enquêteurs italiens sans que cette piste n’aboutisse.

  • 36 AN, 19970002, article 40, Classeur Copernic, autres déclarations syndicats police et presse, délib (...)
  • 37 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, ROS Rome, Documentation acquise auprès du SISMI (...)
  • 38 AN, 19970002, article 40, Classeur Copernic, Procès verbal, ministère de l’Intérieur, DGPN, 14/09/ (...)

31Une note de la direction générale de la police nationale française confirme toutefois ces relations étroites et indique que « les responsables de la FANE entretiennent des relations suivies avec diverses organisations d’extrême droite étrangères parmi lesquelles », pour l’Italie, « Avant garde nationale36 ». Les Français identifient également, en Marco Affatigato, un militant étranger de la FANE, ce que confirment les services italiens37. Celui-ci, condamné par la magistrature italienne pour reconstitution de parti fasciste, accusé par ses camerati italiens d’être impliqué dans l’arrestation d’un militant d’extrême droite, se serait réfugié en France en octobre 1978. Il aurait bénéficié de l’hospitalité d’un ancien militant d’Ordre Nouveau38 et aurait rapidement contacté les milieux niçois proches du PFN. L’un de ces militants français témoigne avoir rencontré Affatigato en décembre 1978 à Nice dans un local de la permanence du PFN. Selon lui :

  • 39 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Actes acquis auprès du dossier de procédure pénale (...)

« Affatigato prétendait qu’il était d’extrême droite et qu’il avait appartenu au mouvement Ordre Nouveau italien. En arrivant à Nice, il était entré au PFN. Affatigato prétendait avoir appartenu au MSI. Comme le PFN et le MSI font partie intégrante de l’Eurodroite, il était normal qu’il se trouve au PFN. […] J’ai expliqué à Pierre que Marco avait la réputation d’être un traître en Italie, ou plus exactement “louche” […]. Dans notre milieu de droite, on pense que Affatigato voulait soit entraîner la droite dans des actions plus directes, soit au contraire la desservir en créant la zizanie entre différents groupes39. »

  • 40 CdM, Dossier de procédure pénale no 22/86 RG contre Delle Chiaie Stefano +1, vol. dibattimento no (...)

32Il est particulièrement délicat de retracer l’itinéraire et de déterminer la nature précise des activités exercées par Affatigato sur le territoire français. Celui-ci est en effet successivement soupçonné d’être au cœur d’un trafic d’explosifs et d’entretenir des relations avec la Phalange libanaise de Gemayel. Aucun élément probant ne permet de confirmer ces suppositions. Les déclarations d’Affatigato lui-même sont soumises à caution : il déclare à la magistrature italienne, en décembre 1984, avoir obtenu un permis de séjour des autorités françaises en échange de sa collaboration active avec le SDECE. Il explique ainsi avoir été en contact avec des agents de la CIA à Montecarlo qui lui auraient remis des chèques visant à financer la clandestinité de Clemente Graziani. Ses allégations corroborent l’hypothèse d’une extrême droite italienne, et plus spécifiquement vénitienne, financée et manipulée par des agents de la CIA présents en Europe. Il est probable qu’Affatigato ait utilisé cette affiliation présumée, et extrêmement suspecte, au SDECE pour justifier de ses agissements et de sa présence en France. Il fait également état d’un projet d’attentat contre Stefano Delle Chiaie auquel il aurait pris part, dans le cadre d’un règlement de compte interne à l’extrême droite italienne40, le projet ayant finalement été abandonné en raison de différends personnels. Là encore, aucun élément ne permet de corroborer ses dires.

33Il dément en outre avoir eu une activité politique en France, ce que les témoignages de sympathisants ou de militants de l’extrême droite niçoise viennent contredire.

34Durant les années 1970, les échanges militants franco-italiens ont été marqués par le soutien effectif des militants d’extrême droite français aux fuorusciti italiens impliqués dans les enquêtes pour stragi. Entre 1969 et 1983, ce sont, au fil des attentats et procès, quasiment tous les dirigeants de l’extrême droite italienne extra-parlementaire qui sont en effet contraints à un exil à la durée variable.

Soutiens d’ailleurs : réseaux corses et libanais

  • 41 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, lettre du Centro CS de Cagliari au Chef du repa (...)

35Le soutien français s’opère en outre par l’intermédiaire de la Corse et de ses réseaux historiques de relations et d’échanges avec les Italiens. Comme nous l’avions mentionné plus haut, l’agenda de Graziani fait mention d’un certain Orlando Moscatelli résidant à Bastia, en Corse. En 1976, les RG français confirment l’aide et l’assistance apportée aux « ressortissants italiens connus dans les milieux d’extrême droite et recherchés pour leurs activités terroristes par les autorités italiennes » par leurs « compatriotes établis en Corse ». Ces informations sont corroborées par les services de renseignements italiens41. Moscatelli bénéficie d’une aura certaine dans les cercles de l’extrême droite italienne et il entretient notamment d’étroites relations avec Clemente Graziani. Le restaurant de Moscatelli aurait ainsi été fréquenté non seulement par des néofascistes italiens, mais aussi par le dirigeant autonomiste corse connu pour sa proximité avec l’OAS et pour ses sympathies d’extrême droite. La pizzeria dite « Chez Anna » à Bastia aurait également fait figure de lieu de rencontre des activistes italiens vivant en Corse. L’auteur des RG français conclut ainsi :

  • 42 AN, 1997002, Article 56, Pochette Italie, Sous-dossier « l’extrême droite française et le MSI (Mov (...)

« En définitive, les militants de l’extrême droite italienne ont certainement bénéficié en Corse, par l’intermédiaire de Moscatelli, de certaines amitiés qui lui ont permis de subsister. Par contre, aucun indice précis ne permet d’affirmer que les néo fascistes italiens ont eu, à l’occasion de leur séjour, des relations suivies avec les autonomistes corses42. »

  • 43 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, lettre du Centro CS de Cagliari au Chef du repa (...)

36La police française est en effet convaincue qu’il existe une logique d’affinités et d’intérêts entre les néofascistes italiens et les Corses qui permettrait aux Italiens impliqués dans des activités terroristes de trouver refuge auprès de leurs amis corses, en bénéficiant notamment du « sens de l’omertà de la population locale, peu disposée à collaborer avec les organes de l’État43 ».

  • 44 CdM, Tribunal de Catanzaro, Ufficio Istruzione, Dossier de procédure pénale contre Stefano Delle C (...)
  • 45 CdM, Tribunal de Catanzaro, Ufficio Istruzione, Dossier de procédure pénale contre Stefano Delle C (...)

37Outre Clemente Graziani, Franco Freda aurait également séjourné en Corse, quelques années après son compatriote. En juin 1979, un telex pour la France fait savoir « que le clandestin Franco Freda se trouverait à Calvi (Corse) auprès d’un détachement de la légion étrangère44 ». Il est peut-être entré en contact avec d’anciens militants d’extrême droite engagés dans la légion. Les autorités italiennes informent leurs homologues français pour obtenir une confirmation de l’information et des détails dignes d’intérêt. Un mois plus tard, une autre source vient confirmer la première : elle signale en effet que « Freda aurait quitté Calvi avec deux légionnaires le 27-28 juin. Le clandestin se trouverait actuellement au Mexique […]. Le sujet aurait rejoint la localité mexicaine citée par avion provenant de Nice (on ignore la date)45 ».

  • 46 CdM, Tribunal de Catanzaro, Ufficio Istruzione, Dossier de procédure pénale contre Stefano Delle C (...)

38Plusieurs sources mentionnent en outre l’utilisation, par les activistes d’extrême droite Franco Freda, Giovanni Ventura et Sandro Saccucci, du port de Marseille pour se rendre en Amérique du Sud, Paraguay ou Argentine, sans que l’information n’ait vraisemblablement été confirmée46.

  • 47 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Commission rogatoire internationale transmise par l (...)

39Les militants d’extrême droite, français et italiens, ont également bénéficié, successivement ou en parallèle, des réseaux libanais de formation mis en place par la Phalange chrétienne de Gemayel. À partir du milieu des années 1970, les réseaux phalangistes sont mis à profit par l’extrême droite européenne qui envoie une partie de ses militants se former au maniement des armes et des explosifs, dans un contexte de conflit armé. C’est le cas des activistes de l’extrême droite française au milieu des années 1970, à l’image d’Olivier Danet, militant du PFN proche des dirigeants du « groupe action » d’Ordre Nouveau, actif dans la campagne électorale de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Danet se rend, en 1976 et 1979, combattre aux côtés des Phalanges libanaises, avant de s’engager aux côtés des mercenaires de Bob Denard au Bénin. Il est soupçonné par la magistrature italienne d’avoir été en contact avec Stefano Delle Chiaie, sans que ces relations n’aient pu être prouvées. La présence d’un nom tel que celui de Gérald Penciolelli sur son agenda témoigne toutefois qu’ils appartiennent à des réseaux susceptibles d’être entrés en contact47. Outre Gérald Penciolelli, Olivier Danet entretient également des relations, comme le montre son agenda, avec Patrick Pimbert : leur activité commune de mercenariat et leur militantisme à l’extrême droite expliquent ces liens.

  • 48 CdM, Dossier de procédure pénale no 31 344 GI, copie indagini concernenti attività eversiva di cit (...)

40Le témoignage de Patrick Pimbert, mercenaire formé au sein de la Légion étrangère, engagé en Rhodésie en 1978 et au Liban, est édifiant. Arrêté par la police italienne à Rome en janvier 1981, il surprend par sa verve : les autres acteurs se montrent bien plus circonspects et réticents à collaborer avec les forces de police. Pimbert raconte ainsi, avec force détails, son parcours de mercenaire au sein des Phalanges maronites, depuis son recrutement dans un bar parisien tenu par un ancien mercenaire, jusqu’au Liban, en passant par l’Italie, la Grèce et enfin, clandestinement, par Chypre48. Au fil des interrogatoires, Pimbert donne de nombreux détails sur l’organisation du recrutement et de la formation des mercenaires étrangers qui combattent aux côtés des milices phalangistes. Il raconte avoir combattu contre les Palestiniens en effectuant des opérations de sabotage avant de faire office d’instructeur dans le maniement d’explosifs, grâce à son expertise acquise au sein de la Légion étrangère.

  • 49 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Rapporti giudiziari, vol. VI, cartella no 296, Inte (...)

41Au Liban, Pimbert rencontre l’un des dirigeants du Fronte della gioventù (Fdg) de Trieste, en contact étroit avec le FUAN romain. Cet instructeur lui aurait proposé de venir « travailler en Italie49 », afin d’y enseigner le maniement des explosifs, en échange d’une rétribution équivalente à celle qu’il percevait au Liban. Dès le début de l’année 1979, le SISDE s’intéresse au recrutement d’extrémistes italiens dans des camps paramilitaires de la Phalange libanaise pour s’entraîner à l’utilisation d’armes et d’explosifs. Plusieurs sources concordantes affirment ainsi qu’un prêtre se serait rendu à la section du MSI-DN de via Ottaviano à Rome pour y recruter des jeunes à envoyer au Liban. Le SISDE, visiblement sollicité pour éclaircir le problème, active une source

« bien introduite dans le secteur moyen-oriental qui excluait catégoriquement la présence [d’Italiens] dans des camps “phalangistes” libanais même si elle admettait la possibilité que quelques individus isolés aient pu, à titre personnel, s’y rendre pour recevoir une instruction militaire ».

  • 50 CdM, Dossier de procédure pénale no 31 344 GI, copie indagini concernenti attività eversiva di cit (...)
  • 51 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Indagini concernenti attività eversivi di cittadini (...)

42Aux mois d’octobre et novembre 1980, plusieurs notes de l’UCIGOS signalent le départ ou la présence au Liban de huit citoyens italiens, provenant quasiment tous de la province de Trieste, parmi lesquels les frères Lai et Filippo Artelli. Les services français confirment ainsi, en avril 1979, à leurs homologues italiens, « l’existence, au Liban, de camps paramilitaires organisés par la “Phalange” auxquels participaient des extrémistes de droite de divers pays européens50 ». De leur côté, les Forces libanaises de Gemayel se défendent d’héberger des camps d’entraînement et réfutent tout contact avec le terrorisme international, soucieux d’« attir[er] l’attention de l’opinion occidentale sur les risques de la désinformation systématique entreprise par la propagande palestinienne51 ».

  • 52 Livio Lai est l’un des dirigeants du Fronte della gioventù (Fdg) de Trieste, en contact étroit ave (...)
  • 53 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Rapporti giudiziari vol. VI, cartella no 296, Inter (...)

43Pimbert raconte par la suite avoir effectué un premier séjour en Italie en février ou mars 1980, où il rencontra une première fois les camerati du Fronte Universitario d’Azione Nazionale (FUAN) dont il aurait eu les coordonnées à Paris. Il se rend à nouveau en Italie après la strage de Bologne, en août 1980, alors que le milieu, frappé par les enquêtes de la magistrature, est fortement déstabilisé et que, de nombreux militants sont emprisonnés. Il explique avoir dispensé une formation au maniement d’explosifs dans l’appartement de l’un des frères Lai52, avec des « explosifs de fortune, c’est-à-dire ceux qui peuvent se préparer avec des matériaux que l’on trouve facilement comme le chlorate de soude ». Il ajoute : « puisqu’il s’agissait d’incompétents, je ne pouvais pas leur enseigner l’usage d’explosifs professionnels ». Il explique ainsi avoir appris à ses interlocuteurs à construire une « “roquette”, c’est-à-dire une bouteille de champagne remplie avec du plastic commercial, et si on veut, du chlorate : on la fait partir en l’allumant avec une mèche et, si elle est dirigée contre des blindés, elle peut les perforer car elle développe une chaleur de 1 500-2 000 degrés53 ». Selon Pimbert, le cours aurait duré deux jours et il aurait dû toucher la somme de 6 millions de lires. L’intéressé ajoute qu’il est revenu en Italie à la fin du mois de décembre, après un séjour de deux ou trois mois en France, « parce qu’en janvier ou février je devais effectuer une activité, c’est-à-dire la construction d’une bombe professionnelle ».

44Nous ignorons si cette piste a été suivie par la magistrature.

Réactiver des réseaux subversifs franco-italiens

Le Comité Tricolore des Italiens de France (CTIF)

  • 54 Né le 14 juin 1933 à Oran. Proche de l’OAS, il est interpellé le 20 septembre 1962 à Paris en comp (...)
  • 55 Voir notice biographique en annexe.
  • 56 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, ROS, Reparto Anti Eversione, à la Procura della (...)
  • 57 Filippo Artelli dit « Carlo » est né le 18 mars 1946 à Trieste où il milite au sein de l’extrême d (...)
  • 58 Archives privées.
  • 59 Archives privées.
  • 60 Archives privées.

45Au cours de ses années de cavale, Delle Chiaie séjourne régulièrement en France et bénéficie notamment du soutien de Jacques Bonomo54, relation de J. J. Susini et de Jean-Marcel Zagamé55. Jacques Bonomo est en outre soupçonné d’être lié à l’évasion d’Albert Spaggiari en 1977. En 1985, Jacques Bonomo aurait hébergé à son domicile Stefano Delle Chiaie, confirmant les relations étroites qui unissent alors les deux hommes56. Au début des années 1980, Bonomo aurait également été en contact avec Filippo Artelli57, responsable de la section parisienne du Comité Tricolore des Italiens du Monde (CTIM). L’organisation créée en 1972 par le MSI visait à accroître l’influence de l’idéologie missine sur les Italiens résidant à l’étranger. La formation politique d’Artelli au sein de l’extrême droite triestine connue pour sa radicalité contribue à expliquer le soutien apporté par le militant installé à Paris aux Italiens en cavale. Au début des années 1980, la section parisienne du Comité Tricolore des Italiens de France (CTIF) est, à l’image du parti, divisée en deux tendances : la première, légaliste et alignée sur les positions d’Almirante, la seconde, influencée par Pino Rauti, adopte une position bien plus ambiguë face au terrorisme d’extrême droite. Si la position d’Artelli est, au début des années 1980, régulièrement contestée par la section lyonnaise du CTIF et par la direction du CTIM, attachée aux principes légalistes, celui-ci réussit progressivement à mettre la main sur la section parisienne du mouvement. Après son escapade libanaise, Carlo Artelli entreprend de former, à Paris, un noyau de militants sûrs, liés entre eux par des liens idéologiques et parfois personnels. Le premier souci du CTIF est d’assurer l’hébergement et éventuellement un emploi aux militants italiens en fuite. En quelques années, Artelli développe considérablement les activités du centre constitué, au milieu des années 1980, d’un bar-restaurant privé, de plusieurs salles de réunion, d’un centre de conseils juridiques, et il envisage de créer une école privée, un centre de formation pour les Italiens de France, une agence de voyages et une radio libre. Artelli s’attelle également, à la même époque, à créer des structures qui permettraient l’entraînement physique des militants, formés au sein d’une école de guérilla, sans que le projet n’aboutisse en raison de différends financiers et personnels58. Parallèlement à ces activités, Artelli s’est constitué, au sein de l’extrême droite française, un réseau de relations composites notamment par l’intermédiaire de son association Connaître l’Europe, créée en 1983. Sous couvert de faire découvrir le patrimoine culturel, artistique, folklorique, architectural et gastronomique du continent européen, elle a permis aux militants néo-fascistes résidant à Paris de recruter tant dans les milieux de l’extrême droite française qu’à l’étranger59. Artelli entretient ainsi des relations avec un certain nombre de groupuscules français à l’audience ultra-confidentielle comme Le Devenir européen d’Yves Jeanne, mais également avec des militants appartenant aux principaux groupes et partis qui composent l’extrême droite française, ces relations se limitant parfois à des liens personnels n’impliquant nullement, par exemple, la hiérarchie du Front national ou du GRECE. Malgré le rapprochement entre députés européens du MSI et du FN, la formation de Jean-Marie Le Pen semble avoir conservé une prudente réserve face aux avances de la section parisienne du CTIF. Outre ces deux organisations, il semble qu’Artelli ait également établi des contacts avec d’anciens membres du Service d’Action Civique (SAC), de la FANE, du GUD et de l’IREP de Gerald Penciolelli et Sixte-Henri de Bourbon-Parme60.

L’Institut européen de recherches et d’études politiques (IREP)

46L’exemple de la section parisienne du CTIF témoigne des relations troubles entretenues par les organisations parlementaires françaises et italiennes avec les groupes et militants qui composent l’extrême droite extra-parlementaire qui a fait de la lutte armée son mode d’expression politique principal entre 1978 et 1982. L’IREP en est un autre exemple. Cette organisation témoigne de l’implication directe de certaines franges de l’extrême droite française parlementaire et légaliste dans le soutien aux terroristes italiens. Les passerelles entre groupes parlementaires et extraparlementaires s’avèrent, en France comme en Italie, beaucoup moins imperméables que ne le clament leurs dirigeants. Dans la péninsule, la direction du MSI va, au début des années 1980, jusqu’à requérir la peine de mort pour les terroristes impliqués dans les stragi, afin de réfuter les soupçons de complicité qui éloignent du MSI une frange non négligeable de son électorat.

  • 61 Voir notice biographique en annexe.
  • 62 Voir notice biographique en annexe.
  • 63 Voir notice biographique en annexe.
  • 64 Voir notice biographique en annexe.
  • 65 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Interrogatoires, dossier 9 Adriano Tilgher, Interro (...)

47En décembre 1978, un certain nombre de dirigeants du Parti des forces nouvelles, parti formé en 1974 suite à la dissolution d’Ordre Nouveau, créent l’Institut européen de recherches et d’études politiques (IREP) dont dépend la revue intitulée Confidentiel créée en 1979. Jean-Marc Brissaud61, Catherine Barnay62, Sixte-Henri de Bourbon-Parme63 et Gérald Penciolelli64, tous liés aux instances dirigeantes du PFN, participent à la création de cette structure internationale qui vise à promouvoir l’idéal européen sous toutes ses formes et par tous les moyens. Penciolelli est le principal animateur de la revue, essentiellement financée par Sixte-Henri de Bourbon-Parme. Ses antennes italienne et argentine sont mises sur pied quelques mois plus tard65.

48Comme en atteste l’encadré qui détaille la composition de l’édition italienne de Confidentiel, ses responsables sont Mario et Adriano Tilgher ; or, ce dernier est l’un des dirigeants d’Avanguardia Nazionale et bras droit de Stefano Delle Chiaie. Le responsable de l’édition espagnole, Ernesto Mila Rodriguez, est lui aussi étroitement lié au dirigeant d’Avanguardia Nazionale. Des noms familiers de l’extrême droite française, italienne et espagnole apparaissent et attestent de la participation de ces collaborateurs aux activités de la revue Confidentiel. Outre ses responsables, un certain Bonomo, Roland Gaucher, Francisco Alemany, Pierre Hofstetter sont mentionnés parmi les collaborateurs de la revue. Si l’organisation publie régulièrement sa revue anticommuniste qui atteste de la pérennité de certains réseaux d’extrême droite, il semble néanmoins que cette activité officielle cache une activité officieuse et subversive dont se défendent ses principaux responsables.

  • 66 CdM, lettre du ministero dell’Interno, Dipartimento della pubblica sicurezza aux préfectures de Po (...)

49Le 8 juin 1981, une perquisition au siège de l’IREP permet aux autorités françaises de mettre la main sur une une caisse en bois sur laquelle est écrit : « Militants d’Ordine Nuovo – par secteurs – incomplet ». Elle contient un fichier avec les noms et adresses des militants, classés par ordre alphabétique et par pays. Il s’agit probablement du fichier ayant appartenu à Clemente Graziani, dirigeant du Movimento Politico Ordine Nuovo qui vit alors dans la clandestinité pour échapper à la magistrature italienne. Cette découverte confirme les relations de l’organisation avec l’extrême droite extra-parlementaire et subversive italienne. En outre, la saisie de documents appartenant à Mila Rodriguez lors de son arrestation permet de compléter ce panorama de l’extrême droite subversive européenne : Mila aurait été en contact avec un certain « Gérald », qui désigne vraisemblablement Penciolelli, avec François Duprat et un certain Michel « Focci » – Faci66. Il entretient également des relations avec un « militant connu de l’extrême droite romaine », propriétaire d’une société « Assierre » qui héberge dans ses locaux, via Alessandria, 129, le siège italien de l’IREP. C’est justement dans le sous-sol de cet immeuble qu’est découvert, le 14 décembre 1979, un véritable arsenal appartenant aux Nuclei Armati Rivoluzionari (NAR). S’il n’est pas formellement exclu qu’il s’agisse d’une coïncidence, la présence d’armes dans les sous-sols de l’immeuble du siège de l’IREP doit être soulignée à deux titres. Elle confirmerait l’action subversive cautionnée par l’IREP et mettrait également en évidence les relations entre générations terroristes, celle de Delle Chiaie et celle des NAR.

  • 67 CdM, Tribunal de Catanzaro, Dossier de procédure pénale no 9/82-A, « Atti trasmessi dai servizi di (...)

50Les relations subversives entre le responsable de l’IREP, Sixte-Henri de Bourbon-Parme et Stefano Delle Chiaie sont en outre attestées par un épisode criminel advenu en mai 1976 en Espagne, à Montejurra. Les autorités italiennes soupçonnent en effet très fortement Stefano Delle Chiaie d’avoir été engagé par Sixte-Henri de Bourbon-Parme pour régler une querelle familiale de succession et peut-être, un différend idéologique. Un commando mené par Stefano Delle Chiaie attaque à la matraque et à l’arme à feu une manifestation carliste en faveur du prince Carlos-Hugo de Bourbon-Parme, frère et rival de Sixte-Henri, près de Montejurra. L’agression fait deux morts et de nombreux blessés. Selon l’informateur du SISDE, cette action aurait été utilisée par le gouvernement espagnol pour « provoquer une scission au sein du pouvoir carliste, en opposant les deux frères, Carlos-Hugo, membre de l’aile philo-marxiste appuyée par l’ETA et Sixte-Henri de Bourbon Pame, représentant de l’aile traditionaliste67 ». La présence de Stefano Delle Chiaie dans les locaux de la société Veronica, propriété de Sixte-Henri de Bourbon-Parme, est attestée tandis qu’il aurait été hébergé dans les locaux de l’IREP, rue de Richelieu.

  • 68 CdM, Rapport du Commissario Capo di P. S. dott. Mario Fasano, dirigeant de la DIGOS auprès de la P (...)

51La période est trouble, l’Europe est marquée par une série d’attentats à la bombe : à l’attentat de Bologne, le 2 août 1980, succède celui de la synagogue de la rue Copernic à Paris, le 3 octobre 1980. Parmi les pistes retenues, les enquêteurs français identifient alors une piste espagnole : un Espagnol, Ernesto Mila Rodriguez, identifié plus haut comme un proche de Delle Chiaie, est soupçonné d’être « l’homme à la Suzuki », responsable de l’attentat de la rue Copernic. La piste n’aboutit pas car Mila Rodriguez est protégé par un alibi opportunément fourni par son « ami » Yves Bataille68.

  • 69 La société Veronica est liée à la société de sécurité Normandy dirigée par Fernand Lousteau, ancie (...)

52Cette enquête permet néanmoins de mettre au jour une structure vaste et ramifiée composée de l’« IREP, AFCOM », de la revue Confidentiel et de la société Veronica69, financée par le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme et dont on ne peut exclure qu’elle « ait dissimulé, derrière les soi-disant activités culturelles et commerciales, une organisation centrale de gestion d’activités subversives à caractère international ». L’existence d’éditions italienne et espagnole de Confidentiel constitue vraisemblablement « un canal de liaison » entre l’extrême droite française et les extrêmes droites italienne et espagnole.

  • 70 CdM, Rapport du Commissario Capo di P.S. dott. Mario Fasano, dirigeant de la DIGOS auprès de la Pr (...)
  • 71 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Interrogatoires, dossier 9 Adriano Tilgher, Interro (...)

53Les relations personnelles qui sont mises en évidence mettent en lumière les ramifications de ces réseaux d’extrême droite européens : Sixte-Henri de Bourbon-Parme admet connaître Francisco Alemany, tandis qu’Ernesto Mila Rodriguez confirme être un vieil ami et camerata de Stefano Delle Chiaie, rencontré à plusieurs reprises et dans plusieurs pays depuis sa fuite d’Italie70. Quant à Adriano Tilgher, il affirme s’être rendu cinq ou six fois au siège de l’IREP pour la seule année 1979, y avoir rencontré Gérald Penciolelli et Jean-Marc Brissaud mais n’avoir pas fait connaissance avec Ernesto Mila Rodriguez71.

  • 72 Il s’agit en réalité du modèle M 10 calibre 9, surnommé M19 par les usagers de ce type d’armes.
  • 73 CdM, Rapport du Commissario Capo di P.S. dott. Mario Fasano, dirigeant de la DIGOS auprès de la Pr (...)

54Les enquêteurs français identifient également, dans les correspondances saisies lors de l’arrestation de Mila Rodriguez, la mention « Réveillon », selon toute vraisemblance le château de Réveillon dans la Marne, lieu d’entraînement paramilitaire d’Occident puis d’Ordre Nouveau. Une telle hypothèse paraît renforcée par sa bonne connaissance des milieux d’Ordre Nouveau dont témoignent ses relations au sein de l’extrême droite française et sa fonction de formateur à l’usage de certains types d’armes pour l’extrême droite européenne. L’Espagnol est en effet soupçonné par la magistrature italienne, d’avoir, en juillet 1980, donné des cours de maniement d’armes en Espagne et en particulier du modèle de mitraillette Ingram modèle M1972, relativement rare. Les enquêteurs italiens signalent à ce propos que le juge romain Vittorio Occorsio, en charge de l’enquête sur l’extrême droite italienne et considéré par ce monde comme le responsable de la dissolution de ses deux principales organisations extra-parlementaires, fut assassiné par un militant d’Ordine Nuovo, le 10 juillet 1976, avec une mitraillette Ingram provenant d’Espagne, qui lui aurait été fournie par Stefano Delle Chiaie73.

  • 74 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, Rapport d’expertise no 32 d’Aldo Giannuli, fasc (...)

55Une note datant du mois d’août 1980 complète ce tableau d’une extrême droite européenne subversive, liée à l’IREP. Elle fait état de l’arrestation, en Espagne, de plusieurs individus appartenant à l’extrême droite qui « visait à la création de groupes d’action pour l’attaque contre des personnes et des organisations d’idéologie opposée ». Le Service espagnol affirme que Ernesto Mila Rodriguez, qui figure parmi les individus arrêtés, aurait eu divers entretiens au siège de la revue Confidentiel, dans la deuxième moitié du mois de septembre 1978, à Paris, avec Stefano Delle Chiaie. Celui-ci lui aurait proposé de créer un Groupe Révolutionnaire d’Action, opérationnel au niveau international « afin de parvenir à la victoire du national-socialisme par l’intermédiaire de la lutte armée74 ».

56Dans un contexte marqué par l’accélération du processus d’émancipation des peuples colonisés, les périodiques d’extrême droite français et italiens font de la dénonciation du danger migratoire une thématique de lutte commune qui trouve bientôt, dans le soutien à la présence blanche en Afrique, un exutoire particulièrement fécond. C’est en effet au nom de solidarités occidentalistes, dans le cadre du combat anticommuniste, que les groupes d’extrême droite entrent en contact avec les régimes autoritaires portugais et espagnols où se déplacent, au milieu des années 1960, les réseaux d’extrême droite européens. Bénéficiant de la bienveillance et des financements des régimes en place, des réseaux anticommunistes proches des services de renseignements s’attachent à contrer la supposée subversion communiste en Afrique puis en Europe. L’Italie occupe, dans ce cadre, une place centrale et elle semble avoir bénéficié des compétences de ces réseaux activistes issus de l’OAS qui participèrent sans doute du maintien de son axe politique au centre-droit. Intégrés au sein de réseaux européens ramifiés, les relations entre activistes d’extrême droite français et italiens s’intensifient et le soutien offert aux extrémistes italiens par l’extrême droite française apparaît alors fondamental. Loin d’être soutenus uniquement par les franges extra-parlementaires de l’extrême droite française, les activistes italiens bénéficient également de l’action trouble de certains représentants des principaux partis d’extrême droite français des années 1970. Les relations transnationales établies, depuis le début des années 1970, entre membres des « partis-frères » français et italiens ont certainement facilité cette solidarité d’outre-Alpes.

Notes

1 Des photos attestent de sa présence Piazza della Loggia, lieu de l’attentat, dans les moments qui suivent l’explosion.

2 Digilio est un informateur de la CIA et la source « Erodoto » du SID.

3 Le juge Salvini cite notamment le témoignage de Tullio Fabris, l’électricien de Freda, impliqué dans l’achat des minuteurs utilisés pour faire exploser la bombe du 12 décembre. Fabris expliqua en 1995, comment dans le cabinet d’avocat de Freda, il participa à des essais de fonctionnement des minuteurs qui furent utilisés comme détonateurs de la bombe. Salvini insiste également sur la meilleure connaissance des liens organiques unissant les militants d’extrême droite et des membres des services secrets militaires et le bureau Affari riservati. Enfin, le juge mentionne le témoignage de Paolo Emilio Taviani, qui, quelque temps avant sa mort, raconta avoir appris d’un agent du SID que l’après-midi du 12 décembre 1969, il était sur le point de partir pour Milan afin d’empêcher les attentats.

4 CdM, Tribunal de Catanzaro, Uff. Istru, no 14/75/a/R. G. I, Actes du procès pénal contre Giannettini Guido e altri, cartella no 34, fasc. no 92, fascicoletto no 2, note du SID du 10 octobre 1963, transmise au Tribunal de Catanzaro, demande du juge d’instruction de Milan au SID du 4.2.1975.

5 Le groupe Giovane Nazione est la section italienne de la Jeune Europe de Jean Thiriart.

6 CdM, Tribunal de Catanzaro, Uff. Istr., no 14/75/a/R. G. I., Dossier de procédure pénale contre Giannettini Guido e altri, cartella no 34, fasc. no 92, fascicoletto no 2, note du SID du 3 juin 1971 transmise au Tribunal de Catanzaro, demande du juge instructeur de Milan au SID du 4.2.1975.

7 L’appellation groupe de Ar a certainement été inspirée par le groupe d’Ur, créé par Julius Evola en 1927.

8 Ferraresi Franco, La destra radicale, Milan, Feltrinelli, 1984, p. 40.

9 Panvini Guido, Ordine nero, guerriglia rossa. La violenza politica nell’Italia degli anni Sessanta e Settanta (1966-1975), Turin, Einaudi, 2009, p. 41.

10 La notion d’« homme différencié » est développée dans l’ouvrage de Evola Julius, Chevaucher le tigre, Paris, La Colombe, 1964.

11 CdM, Tribunal de Catanzaro, Uff. Istr., no 14/75/a/R. G. I., Dossier de procédure pénale contre Giannettini Guido e altri, cartella no 34, fasc. no 92, fascicoletto no 2, note du SID du 05/12/1969, transmise au Tribunal de Catanzaro, demande du juge d’instruction de Milan au SID du 04/02/1975.

12 Stellati Chiara, Una ideologia dell’origine. Franco Freda e la controdecadenza, Padoue, edizioni di Ar, 2001, p. 59. Cette monographie sur Freda, dont la préface est signée par Anna K. Valerio, compagne de Franco Freda, est fortement marquée par la partialité de sa réflexion et ses analyses témoignent, sinon d’une proximité idéologique, au moins d’une certaine empathie pour son objet d’étude.

13 Ferraresi Franco, La destra radicale, op. cit., p. 38.

14 Stellati Chiara, Un’ideologia…, op. cit., p. 60.

15 Freda Franco, La disintegrazione del sistema, Padoue, Edizioni di Ar, 1969.

16 Lebourg Nicolas, Le monde vu de la plus extrême droite, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, p. 45.

17 Freda Franco, La disintegrazione del sistema, op. cit., p. 10 ; p. 29 sq.

18 Panvini Guido, Ordine nero, guerriglia rossa…, op. cit., p. 100.

19 Prochasson Christophe, « Les correspondances : sources et lieux de mémoire de l’histoire intellectuelle », Cahiers du Centre de Recherches historiques, 1991/8, [en ligne], mis en ligne le 18 mars 2009, consulté le 12 avril 2013.

20 « Solidarietà a Freda », Ordine Nuovo Azione, I, 1, 4 novembre 1972, p. 15.

21 Les responsables de l’organisation Lotta di Popolo affirment agir en dehors des institutions bourgeoises, contre le capitalisme et l’impérialisme. Lors de sa création, l’organisation est composée d’une quarantaine de militants.

22 Voir sur ce point Lebourg Nicolas, Le monde vu de la plus extrême droite, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2010, p. 39.

23 CdM, Tribunal de Milan, Uff. Istruz. Pen. Sez. 8, Dossier de procédure pénale no 1197/72-ARGGI, vol. 18, perquisition effectuée à Padoue au sein de la Librairie Ezzelino de Franco Freda, le 15 février 1973, lettre de Adriano Romualdi à Franco Freda, 25 février 1972.

24 Tribunal de Milan, Uff. Istruz. Pen. Sez. 8, Dossier de procédure pénale no 1197/72-ARGGI, fasc. 4, correspondance du détenu Freda, lettre de Umberto Balestreri à Franco Freda, 11 avril 1973.

25 Salvatore Francia affirme que c’est Stefano Delle Chiaie qui publie le journal Orden Nuevo.

26 CdM, Tribunal de Milan, Uff. Istruz. Pen. Sez. 8, Dossier de procédure pénale no 1197/72-AGI, fasc. 4, correspondance du détenu Freda, lettre de Umberto Balestrieri à Franco Freda, jour illisible avril 1973.

27 Le terme « spontaneista » désigne les militants qui réfutèrent la hiérarchie qui prévalait au sein des organisations d’extrême droite et ont fait du « spontaneismo armato » leur mode d’action terroriste, de 1978 à 1982. Les Nuclei armati rivoluzionari (NAR) romains furent les principaux défenseurs de ce mode d’organisation.

28 Malliarakis Jean-Gilles (textes réunis par), L’éditeur emprisonné, Paris, Librairie française, 1985.

29 CdM, Dossier de procédure pénale no 92/97 mod. 21, Rapport d’expertise no 32 d’Aldo Giannuli commandité le 11 février 2000, fasc. O « Garcia Rodriguez Luis », annexe 9, lettre du ministère de l’Intérieur, DGPS, Servizio di sicurezza, divisione I au juge Alberto Corrieri, Tribunal de Florence, Rome, 28 septembre 1977.

30 CdM, Dossier de procédure pénale no 9/82 A, fasc. « Ordine Nuovo », lettre du ministère de l’Intérieur, DGPS, Ispettorato generale per l’azione contro il terrorismo all’Ill.mo Dr Vittorio Occorsio, Substitut du Procureur de la République de Rome, 11 juillet 1974.

31 AN, 1997002, Article 56, Pochette Italie, Sous-dossier « l’extrême droite française et le MSI (movimento socialista italiano depuis les élections législatives de 1973) », Sous-dossier 1974, lettre du ministre de l’Intérieur au ministre de la Défense, Direction générale du SDECE, 21 octobre 1974, Confidentiel. Les notes suivantes proviennent du même fonds d’archives.

32 Lettre du ministre de l’Intérieur au ministre de la Défense, Direction générale du SDECE, 21 octobre 1974, Confidentiel.

33 Pochette 1975, 4 avril 1975.

34 Opuscule « Qu’est ce que c’est “Ordine Nuovo”. Ses principes et sa Weltanschauung ».

35 Entretien avec Fabrizio Zani, 22 mars 2010.

36 AN, 19970002, article 40, Classeur Copernic, autres déclarations syndicats police et presse, délibérations diverses, etc. ; note du 30 juin 1980 sur la FANE.

37 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, ROS Rome, Documentation acquise auprès du SISMI, 10 septembre 2002, fasc. « Donini Francesco », note du SISDE, 6 août 1980.

38 AN, 19970002, article 40, Classeur Copernic, Procès verbal, ministère de l’Intérieur, DGPN, 14/09/1980, Audition d’un inspecteur à la BRI de Nice.

39 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Actes acquis auprès du dossier de procédure pénale no 343/80 RGGI, contre Marco Affatigato, Commission rogatoire internationale (Italie) CR-no 459/80, Cour d’appel d’Aix en Provence, Tribunal de Grande instance de Nice, Déposition de Marc Gillet, 21 août 1980.

40 CdM, Dossier de procédure pénale no 22/86 RG contre Delle Chiaie Stefano +1, vol. dibattimento no 8, Interrogatoire de Mario Affatigato mené le 5 décembre 1984 par Libero Mancuso.

41 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, lettre du Centro CS de Cagliari au Chef du reparto « D », 14 janvier 1977, note intitulée « Attività di neofascisti italiani in Corsica ».

42 AN, 1997002, Article 56, Pochette Italie, Sous-dossier « l’extrême droite française et le MSI (Movimento socialisto italiano) depuis les élections législatives de 1973 », Sous-dossier 1976, note du 29 novembre 1976.

43 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, lettre du Centro CS de Cagliari au Chef du reparto « D », 14 janvier 1977, note intitulée « Attività di neofascisti italiani in Corsica ».

44 CdM, Tribunal de Catanzaro, Ufficio Istruzione, Dossier de procédure pénale contre Stefano Delle Chiaie + 1, formale istruzione, cart. 11, fasc. 2, atti trasmessi dai servizi di informazione SISMI-SISDE, « telex per la Francia », 10 juin 1979.

45 CdM, Tribunal de Catanzaro, Ufficio Istruzione, Dossier de procédure pénale contre Stefano Delle Chiaie +1, formale istruzione, cart. 11, fasc. 2, atti trasmessi dai servizi di informazione SISMI-SISDE, « tel per M. I. », Rome, 16 juillet 1979.

46 CdM, Tribunal de Catanzaro, Ufficio Istruzione, Dossier de procédure pénale contre Stefano Delle Chiaie +1, formale istruzione, cart. 11, fasc. 2, atti trasmessi dai servizi di informazione SISMI-SISDE, Telex per la Francia, Rome, 15 février 1979 ; Telex per la Francia, Rome, 9 mars 1979.

47 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Commission rogatoire internationale transmise par le tribunal de Bologne aux autorités judiciaires françaises concernant Olivier Danet, Demande transmise au magistrat Gilles Boulouque, documents remis le 5 juillet 1982 au Tribunal de Bologne, scellé no 38, côte no 61, agenda de Danet et différentes feuilles manuscrites.

48 CdM, Dossier de procédure pénale no 31 344 GI, copie indagini concernenti attività eversiva di cittadini Italiani e Stranieri in Libano, vol I, note du SISDE, 8 juin 1981.

49 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Rapporti giudiziari, vol. VI, cartella no 296, Interrogatoires de Patrick Pimbert, 24-28 janvier 1981.

50 CdM, Dossier de procédure pénale no 31 344 GI, copie indagini concernenti attività eversiva di cittadini Italiani e Stranieri in Libano, vol I, note du SISDE, 8 juin 1981.

51 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Indagini concernenti attività eversivi di cittadini italiani e stranieri in Libano, lettre des Forces libanaises du 1er juillet 1981.

52 Livio Lai est l’un des dirigeants du Fronte della gioventù (Fdg) de Trieste, en contact étroit avec le FUAN romain.

53 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Rapporti giudiziari vol. VI, cartella no 296, Interrogatoires de Patrick Pimbert, 24-28 janvier 1981.

54 Né le 14 juin 1933 à Oran. Proche de l’OAS, il est interpellé le 20 septembre 1962 à Paris en compagnie de Jean-Marcel Zagamé. Il apparaissait dans la procédure contre Gilles Buscia, arrêté le 22 février 1963. Il aurait ensuite servi comme mercenaire en Afrique sub-Saharienne.

55 Voir notice biographique en annexe.

56 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, ROS, Reparto Anti Eversione, à la Procura della Repubblica di Brescia, Servizio per le informazioni e la sicurezza militare all’ufficio del direttore, 1a divisione, Raggruppamento centri CS, annexe à la note du 10 juillet 1985.

57 Filippo Artelli dit « Carlo » est né le 18 mars 1946 à Trieste où il milite au sein de l’extrême droite locale dans les années 1970. Membre d’Ordine Nuovo, il s’installe en France en 1978.

58 Archives privées.

59 Archives privées.

60 Archives privées.

61 Voir notice biographique en annexe.

62 Voir notice biographique en annexe.

63 Voir notice biographique en annexe.

64 Voir notice biographique en annexe.

65 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Interrogatoires, dossier 9 Adriano Tilgher, Interrogatoire du 13 mai 1983. Effectivement, un accord entre Jean-Marc Brissaud et Mario Tilgher est signé le 1er septembre 1979. CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI A, Rapporti giudiziari, vol XIII, Cartella no 446.

66 CdM, lettre du ministero dell’Interno, Dipartimento della pubblica sicurezza aux préfectures de Police de Bologne et Rome, 10 avril 1983. Michel Faci, né le 13 avril 1956 à Paris. Militant d’extrême droite, proche de François Duprat, il milite à la FANE où il est rédacteur en chef de Notre Europe, en charge des relations avec les mouvements d’extrême droite belges et français.

67 CdM, Tribunal de Catanzaro, Dossier de procédure pénale no 9/82-A, « Atti trasmessi dai servizi di informaz. SISDE-SISMI », fasc. 2, note « réservée » SISDE transmise à M. le Procureur général auprès de la Cour d’Appel de Catanzaro, 16 mars 1982.

68 CdM, Rapport du Commissario Capo di P. S. dott. Mario Fasano, dirigeant de la DIGOS auprès de la Préfecture de police de Florence, à M. Le directeur de l’UFIGOS, Rome, 30 avril 1982.

69 La société Veronica est liée à la société de sécurité Normandy dirigée par Fernand Lousteau, ancien para membre de l’OAS.

70 CdM, Rapport du Commissario Capo di P.S. dott. Mario Fasano, dirigeant de la DIGOS auprès de la Préfecture de police de Florence, à M. Le directeur de l’UFIGOS, Rome, 30 avril 1982.

71 CdM, Dossier de procédure pénale no 344/80 GI, Interrogatoires, dossier 9 Adriano Tilgher, Interrogatoire du 13 mai 1983.

72 Il s’agit en réalité du modèle M 10 calibre 9, surnommé M19 par les usagers de ce type d’armes.

73 CdM, Rapport du Commissario Capo di P.S. dott. Mario Fasano, dirigeant de la DIGOS auprès de la Préfecture de police de Florence, à M. Le directeur de l’UFIGOS, Rome, 30 avril 1982.

74 CdM, Dossier de procédure pénale no 91/97 mod. 21, Rapport d’expertise no 32 d’Aldo Giannuli, fasc. O1/67 Spagna « Gruppi e movimenti eversivi di estrema destra », note non datée, annexe à une lettre du ministère de l’Intérieur, DGPS, Investigazione generali operazioni speciali, ufficio centrale, 2a divisione aux Préfets de police de Rome et Bologne, 7 août 1980.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search