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Sénégal, le travail dans tous ses états

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Eveline Baumann

Deuxième partie : Comprendre les structures, dévoiler les contraintes

Chapitre IV : La pluralité des contraintes pour la bonne marche de l’économie

Texte intégral

1Nous avons passé en revue les difficultés spécifiques auxquelles se heurtent les différents secteurs économiques et insisté sur leurs potentialités limitées quant à la création d’emploi. Il y a cependant aussi des contraintes qui sont sous-jacentes à l’ensemble du tissu économique, des contraintes qui risquent de barrer la route menant vers davantage de prospérité.

2Compte tenu des rapports de force qui règnent en régime néo-libéral – rapports de force qui désavantagent la main-d’œuvre, souvent considérée comme un élément d’ajustement par excellence –, deux contraintes liées au facteur travail sont régulièrement mises en avant : sa rémunération élevée et sa faible productivité. Il est vrai que, d’une manière générale, la productivité du travail pose problème dans les pays d’Afrique subsaharienne. À niveau d’investissement égal, la croissance n’y représente que la moitié, voire le tiers seulement de celle des pays asiatiques (Ndulu, 2007). Les faibles performances de la main-d’œuvre y seraient pour quelque chose, nous disent les investigations macro-économiques. D’où des pressions qui s’exercent sur les salaires et les conditions de travail, pressions auxquelles les syndicats tentent de résister. Les petits patrons, qui s’adressent à une clientèle confrontée à la précarité au quotidien, eux, s’adaptent tant bien que mal.

3Cependant, alors que les défenseurs les plus fervents de l’économie de marché réclament davantage de flexibilité du facteur travail, les véritables handicaps, ceux qui sont avancés par les dirigeants d’entreprise, se situent aussi et surtout ailleurs. Ils concernent l’environnement naturel, le climat des affaires et, plus généralement, le cadre politique. C’est dans ces domaines que les erreurs du passé sont les plus palpables et difficiles à effacer, que des enjeux de pouvoir particulièrement prégnants sont à l’œuvre, que les résistances au changement sont les plus tenaces. Les handicaps en question sont particulièrement difficiles à surmonter, car leur solution se trouve dans le long terme.

Le facteur travail mis en cause

Coût du travail et productivité

4La compétitivité d’une économie se mesure essentiellement à travers sa main-d’œuvre. Deux éléments clés interviennent à cet égard, le coût du travail et sa productivité. Pour ce qui est du premier, il faut se contenter d’approximations. Les données disponibles concernent les seuls revenus des travailleurs, sans prise en compte de la part patronale pour les emplois de type formel. Toutes proportions gardées, les revenus du travail sont relativement élevés dans la capitale sénégalaise, comparés à ceux d’autres capitales ouest-africaines, comme Abidjan, Bamako, Cotonou, Ouagadougou, Niamey et Lomé (tableau 8). Seule la capitale ivoirienne connaîtrait des rémunérations plus élevées, surtout dans l’administration publique et les entreprises de type moderne. Cette tendance n’est d’ailleurs pas nouvelle, car en 1995 déjà, on avait pu constater que les salaires de la plupart des catégories de travailleurs du Sénégal étaient les plus élevés de la zone Franc (CNPS et CNES, 1996, p. 163-166).

  • 1 Voir Banque mondiale, 2007, p. 39-40, qui s’appuie sur les documents du « Inves (...)
  • 2 Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, cette présence allait se prolonger davantage, du (...)

5Des travaux relatifs au climat d’investissement menés par la Banque mondiale viennent confirmer les résultats obtenus dans les sept capitales. Ils attestent, eux aussi, le niveau élevé des salaires au Sénégal, que ce soit par comparaison avec d’autres pays subsahariens ou avec l’Inde, voire la Chine1. Comment peut-on expliquer le niveau élevé des salaires au Sénégal, comparé à d’autres pays subsahariens ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées qui mériteraient, bien entendu, des investigations approfondies. Tout d’abord, le coût de la vie n’est pas le même dans les différentes capitales étudiées, à commencer par le logement ; les employeurs sont amenés à en tenir compte. On sait aussi que, du temps de la colonisation, la présence, dans la capitale de l’AOF, de fonctionnaires de la métropole – présence créatrice d’emplois et de pouvoir d’achat pour la population locale – contribuait à tirer toutes les rémunérations vers le haut. Les salaires des administrateurs coloniaux servaient d’étalon pour les postes d’encadrement dans le privé, postes, eux aussi, souvent occupés par des expatriés, et ceci jusqu’au début des années 1980, comme on a vu au chapitre précédent2. Deux facteurs cruciaux intervenaient dans la détermination des salaires de ces expatriés, leurs habitudes de consommation, marquées par les produits importés coûteux, ainsi que leur pouvoir de négociation élevé. Par la suite, ce sont les syndicats – relativement puissants au Sénégal – qui ont pris la relève pour défendre le niveau des salaires.

Tableau 8. – Revenu mensuel moyen par secteur dans sept capitales de l’Afrique de l’Ouest (en FCFA)

Administ. publique

Entreprises publiques

Privé « formel »

Privé « informel »

Tous les secteurs FCFA

Tous les secteurs €

Dakar

150 000

135 000

111 000

38 000

58 000

88

Abidjan

221 000

256 000

144 000

39 000

71 000

108

Bamako

89 000

140 000

93 000

38 000

51 000

78

Cotonou

90 000

122 000

66 000

27 000

37 000

56

Ouagadougou

95 000

100 000

74 000

20 000

37 000

56

Niamey

90 000

112 000

79 000

29 000

45 000

69

Lomé

82 000

69 000

48 000

18 000

26 000

40

Moyenne 7 cap.

139 000

148 000

111 000

33 000

54 000

82

Source : Brilleau, Roubaud et Torelli (2004) (chiffres arrondis).

  • 3 Productivité exprimée en dollar US converti en pouvoir d’achat, prix constants 2005. Voir (...)
  • 4 En revanche, si nous limitons les comparaisons à des pays sub-sahariens qui par (...)
  • 5 Sources : Penn World Table Version 7.0 et Ndulu, 2007.

6Quant à la productivité du travail, autre élément déterminant pour la compétitivité, elle mesure le rapport entre les résultats et l’effort fourni. Là aussi, on doit se contenter d’approximations pour mettre en relation des données macro-économiques, à savoir le produit intérieur brut, d’une part, et la main-d’œuvre ou, à défaut, la population d’adultes, d’autre part. Il s’avère qu’au Sénégal, un travailleur produit vingt-quatre fois moins qu’un ressortissant des États-Unis, dix-huit fois moins qu’un Français3. La portée de ces comparaisons est cependant limitée, car celles-ci nous renseignent davantage sur la structure économique d’un pays – notamment la présence d’activités à haute valeur ajoutée – que sur la productivité en tant que telle4. En revanche, c’est l’évolution de la productivité qui paraît davantage instructive, puisqu’en l’occurrence, elle donne la mesure de l’écart grandissant séparant les pays hautement avancés et les pays du Sud. À titre d’exemple, au cours des quatre décennies passées, la productivité a doublé aux États-Unis et en France, elle a été même multipliée par huit en Chine, mais n’a augmenté qu’entre 10 et 15 % au Sénégal5. Ces données relatives aux macro-échelles permettent de se faire une première image de la situation au Sénégal. Une image qu’il convient de nuancer, car entre 1990 et 2003, la progression de la productivité de la main-d’œuvre sénégalaise est supérieure à la moyenne enregistrée en Afrique subsaharienne (Ndulu, 2007, p. 51-54).

  • 6 Soit des gains de productivité de 13,6 % pour les télécommunications, de 13,3 % pour les (...)

7D’autres comparaisons peuvent s’avérer encore plus instructives, comme celles qui se réfèrent à un seul secteur économique ou bien à un type d’emploi. Ce sont les unités de type moderne qui enregistrent une productivité plus grande que les unités de type informel. A priori, il n’y a rien d’étonnant à cela. La relation serait, en moyenne, de cinq à un (Banque mondiale, 2007, p. 38). Comparée à d’autres pays de la sous-région, la productivité dans les entreprises de type moderne est relativement élevée au Sénégal, bien supérieure à celle du Mali, du Burkina Faso ou du Bénin. Notons aussi qu’elle est corrélée positivement à la taille de l’entreprise, à la vocation exportatrice de celle-ci et à l’origine étrangère du capital (Banque mondiale, 2005a, p. 63). Au courant du quart de siècle séparant 1980 et 2004, c’est dans les branches d’activités relevant du « secteur moderne » que les gains de productivité les plus importants ont été enregistrés ; les meilleures performances concernaient les activités immobilières et les communications, avec une accélération pendant la période 1998-20046.

8Pour que la productivité reste un atout, permettant aux entreprises non seulement de satisfaire la demande locale, mais aussi de conquérir de nouveaux marchés à l’étranger, il faut que le coût total du travail par output, calculé en une monnaie unique, soit avantageux par rapport aux concurrents. Ceci ne suppose pas seulement que le taux de change reste favorable, mais aussi que les salaires distribués restent stables. Or, pour les grandes entreprises implantées au Sénégal, ceci n’est pas toujours le cas : les salaires connaissent des augmentations récurrentes qui annulent les effets d’une productivité accrue. Ceci réduit d’autant les avantages comparatifs des produits sénégalais. On le voit : la productivité doit être étudiée sous plusieurs angles. Mais pour cela, l’on ne dispose pas nécessairement des éléments fiables. Le diagnostic risque ainsi d’être fort aléatoire (Golub et Mbaye, 2002).

  • 7 « Friperie et produits asiatiques, redoutables concurrents de l’artisanat sénégalais », L (...)
  • 8 Les services fiscaux ne sont cependant pas dupes : alors que tel entrepreneur à la marge (...)

9Qu’en est-il alors de la productivité du travail des unités de type informel ? À leur sujet, la mesure est encore plus délicate, compte tenu des bases statistiques fort imprécises ou bien tout simplement inexistantes. Conformément aux données disponibles, la productivité des petites unités n’est pas seulement faible, mais elle progresse très timidement, voire recule. Cette situation est particulièrement pénalisante pour la confection et la cordonnerie, deux branches qui ont du mal à prospérer du fait de la concurrence des produits importés de Chine, d’une part, du succès que rencontre la friperie provenant des pays du Nord, d’autre part7. Mais il existe aussi des exceptions par rapport à cette règle qu’est la faible productivité du travail. Ainsi, entre 1980 et 2004, celle-ci aurait augmenté de 5,9 % dans le domaine de la fabrication des produits alimentaires (Banque mondiale, 2007, Annexes, p. 32). Une catégorie restreinte semble présenter de véritables signes de dynamisme. Il s’agit d’unités que l’on peut qualifier de « haut de gamme ». Elles distribuent des salaires proches de ceux pratiqués par les entreprises de type moderne, mais évitent de se mettre en règle avec l’administration, considérant cette démarche comme une contrainte difficilement acceptable, et ceci en dépit de facilités telles que l’accès aux services bancaires ou juridiques que procurerait la « formalisation » (Banque mondiale, 2007, p. 42)8.

Une certaine rigidité du travail dans les entreprises ayant pignon sur rue

10Il est également instructif de questionner les droits et obligations régissant l’embauche et le licenciement des travailleurs. En ce qui concerne l’Afrique sub-saharienne, les bailleurs de fonds et investisseurs potentiels ont tendance à qualifier ces droits et obligations de particulièrement rigides. Les investigations effectuées, depuis 2004, par Doing Business, l’agence de benchmarking du Groupe Banque mondiale, donnent certains éclaircissements sur cette question, mais aussi, plus généralement, sur l’environnement des affaires. Ce dernier est évalué dans 189 pays9. On abordera plus loin les différents éléments composant cet indice. Notons seulement qu’au palmarès ainsi établi, le Sénégal occupe, en 2016, le 153e rang, précédé de loin par le Ghana (114e rang), mais aussi de la Côte d’Ivoire (142e rang).

11Pour ce qui est, plus particulièrement, du monde du travail, jusqu’en 2009, les conditions d’embauche et de licenciement faisaient partie intégrante des éléments pris en considération pour le ranking de Doing Business. Ceci signifiait qu’un Code du travail ultra-libéral, donnant beaucoup de libertés aux entrepreneurs mais protégeant peu les intérêts des travailleurs, était considéré comme un plus pour l’environnement des affaires10. Or, sous la pression d’un certain nombre d’acteurs internationaux, l’approche du travail a subi des aménagements pour respecter davantage les droits des travailleurs. Désormais, les questions relatives au travail sont traitées à part, en examinant une trentaine d’éléments dont notamment les difficultés relatives à l’embaucher, la rigidité du temps du travail, les conditions et le coût du licenciement11.

Tableau 9. – Les conditions d’embauche et de licenciements : Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana (2014)

  • 12 Le nombre d’astérisques traduit l’ampleur des contraintes pesant sur le (...)

Sénégal

Côte d’Ivoire

Ghana

Difficultés à embaucher

***12

**

*

Rigidité du temps du travail

***

**

*

Difficultés à licencier

***

**

**

Coûts du licenciement

**

**

***

Source : Estimations à partir de Doing Business, [http://www.doingbusiness.org/​data/​], accès avril 2016.

12Les données valident le discours des entrepreneurs : les entreprises voulant être en règle avec la législation se heurtent, au Sénégal, à des conditions d’embauche et de licenciement particulièrement contraignantes (tableau 9), et ceci en dépit de la libéralisation du Code du travail dans les années 1990, sous la pression des mesures d’ajustement structurel. En effet, il est plus difficile d’embaucher au Sénégal que, par exemple, au Ghana, « élève modèle » des agences internationales. Ainsi, contrairement à ce qui se passe au Ghana, les contrats à durée déterminée sont, au Sénégal, limités à 24 mois et le salaire minimum est trois fois plus élevé. De même, les congés annuels sont plus longs au Sénégal, 24 journées contre 15. Par ailleurs, il est aussi plus facile au Ghana qu’au Sénégal de se séparer d’un collaborateur, même si les autorités de Dakar sont moins exigeantes que celles d’Accra quant au coût du licenciement.

Du rôle des syndicats

  • 13 Pour les paragraphes qui suivent, on s’inspire notamment de BIT et Prodiaf, 2008 ; Diop B (...)

13Les contraintes pesant sur la gestion de la main-d’œuvre sont à mettre en relation avec la longue tradition syndicale dont peuvent se prévaloir les pays d’Afrique subsaharienne, et parmi eux particulièrement ceux ayant subi la colonisation française13.

  • 14 Voir le roman d’Ousmane Sembène, Les bouts de bois de Dieu, qui raconte l’histoire de la (...)

14À ce propos, il n’est pas sans intérêt de retracer l’histoire syndicale. Dans l’AOF, les premières actions syndicales datent du lendemain de la Première Guerre mondiale. Elles avaient pour objectif d’obtenir l’indexation des salaires sur l’inflation (B. Fall, 2001, p. 101 et suiv.). Compte tenu de l’absence d’un cadre institutionnalisé des relations professionnelles, les premières prises de parole des travailleurs se sont faites dans la douleur, d’où sans doute le radicalisme (y compris actuel) des syndicats. Un rôle clé revenait à cet égard aux cheminots14 et autres professionnels du transport, capables de paralyser le commerce colonial et tout particulièrement l’acheminement de l’arachide. Les ouvriers du bâtiment ainsi que les instituteurs réclamaient, eux aussi, une amélioration de leurs conditions de vie. Pour l’introduction des normes relatives au travail, l’intermédiation du Bureau international du travail fut déterminante. Faisant campagne contre l’esclavage et le travail forcé dans les colonies, le BIT permit d’accélérer la mise en place d’une réglementation de ce qui fut appelé le « travail indigène ». L’application des règles reposait sur la collaboration entre l’administration coloniale et les chefferies, religieuses ou traditionnelles. Ceci étant, seule une petite partie de la main-d’œuvre était concernée par cette réglementation, celle qui avait des contrats de travail. En revanche, la main-d’œuvre des exploitations familiales, omniprésentes, restait exclue. Abstraction faite de cette dualité particulièrement saillante, d’autres clivages traversaient le monde des travailleurs, clivages opposant Européens et Africains, ressortissants des quatre communes et sujets français, titulaires et journaliers, travailleurs qualifiés employés dans les entreprises industrielles et bénéficiant de conventions collectives et travailleurs recrutés sous la coercition, etc. Cette pluralité des situations devait aussi se traduire par l’éclatement du mouvement syndical – on dénombrait une quarantaine de syndicats en 1937, toujours ne représentant que les travailleurs embauchés par les entreprises ayant pignon sur rue ! –, éclatement qui n’était pas sans rappeler la situation en métropole (B. Diop, 1992, p. 480). L’arrivée du Front populaire en France, en 1936, fut décisive pour un plus grand respect de la législation du travail, y compris dans les colonies ; c’est à ce moment que l’on vota, entre autres, le salaire minimum obligatoire, complété d’ailleurs par une ration alimentaire, et que fut promulgué un décret sur le travail des femmes et des enfants (B. Fall, 2011, p. 120-121). Un certain irréalisme caractérisa cependant les textes en question : ils ne concernaient que les travailleurs ayant une certaine qualification, alors que la majorité de la main-d’œuvre était composée de manœuvres ; plus encore, seuls avaient droit d’adhérer à un syndicat les travailleurs sachant lire, écrire et parler le français et disposant d’un certificat d’études primaires. Ce fut aussi sous le Front populaire que l’on essaya de mieux connaître le monde du travail. D’où deux enquêtes aux résultats mitigés, car on « se rend[ait] compte que les enquêtes sur la main-d’œuvre menées sont loin de refléter le tableau de la réalité du monde du travail » (ibid., p. 115). Trois conclusions peuvent être tirées de ces premières mesures relatives aux travailleurs du Sénégal. Elles étaient, tout d’abord, largement motivées par le souci de la puissance coloniale de contrôler la main-d’œuvre à travers le syndicalisme, en entérinant l’opposition entre la minorité des travailleurs dans les entreprises ayant pignon sur rue, d’une part, et la majorité silencieuse de ceux qui exerçaient un petit métier, d’autre part. Les mesures intervenaient, ensuite, sur un fond d’éclatement du mouvement syndical, ce qui ne pouvait être que contre-productif par rapport à l’avancée de la cause des travailleurs. Enfin, compte tenu du décalage des mesures par rapport à la situation réelle, les répercussions sur le monde du travail dans son ensemble étaient limitées. Près de quatre-vingts ans plus tard, la situation n’a pas profondément changé…

  • 15 Privatisation abandonnée à la suite d’un certain nombre de déconvenues. Le syndicat de ce (...)

15Non sans surprise, le régime de Vichy devait contribuer au recul de l’action syndicale. Mais c’est par la suite qu’un rapprochement s’opéra entre les différents segments des syndiqués, d’une part, entre syndicats et certains partis politiques, d’autre part. Ce rapprochement allait faciliter la lutte pour l’indépendance du pays. Pendant la période qui devait suivre, le syndicalisme s’exprimait tantôt par de vives contestations qui allaient jusqu’à coûter des vies humaines et causer des dizaines de blessés, comme en 1963, tantôt par la proximité avec le pouvoir, ce qui devait même aboutir à l’octroi de postes ministériels et de sièges à l’Assemblée nationale à des leaders syndicaux. Une telle situation se produisit aussi au lendemain du mouvement de mai 1968 (B. Diop, 1992, p. 483-486). Agissant tantôt dans la clandestinité, tantôt à titre d’opposition officielle, les syndicats représentaient une menace non négligeable pour le président Senghor, fragilisé par les répercussions des sécheresses successives et les pertes considérables de pouvoir d’achat des travailleurs. Son successeur Abdou Diouf se heurta, lui aussi, au « syndrome de la contestation syndicale », une contestation ravivée par les Plans d’ajustement structurels (ibid., p. 488). La parade du régime ne se fit cependant pas attendre. Elle consista à favoriser le morcellement du mouvement – syndicats proches du pouvoir d’un côté, syndicats autonomes de l’autre – et à attirer dans son camp d’éminents cadres syndicaux. Les luttes furent âpres, surtout lorsqu’il s’agissait de procéder à la privatisation des grandes sociétés publiques et parapubliques telles que la Sénélec15, la Sonatel ou la Sococim.

  • 16 Pour la suite, on s’inspire notamment de Dioh, 2011, et de l’émission radiophon (...)

16On le voit : l’action syndicale au Sénégal, tantôt tolérée, tantôt réprimée par la puissance publique, a une solide tradition. Avec la création des organisations professionnelles des employeurs, les conditions pour les concertations tripartites furent réunies. Celles-ci ont notamment donné lieu à l’adoption d’un nouveau Code du travail en 1997, à la signature d’une charte nationale sur le dialogue social en 2002, à un accord sur l’âge de la retraite en 2005 et un autre sur les salaires, en 200816. Mais, d’une manière générale, les retards s’accumulent et les avancées sont trop modestes par rapport aux enjeux actuels. Pour ce qui est des conventions collectives – une trentaine –, la plupart d’entre elles ont été signées avant l’indépendance du Sénégal. Par conséquent, elles ne répondent que très partiellement aux défis de l’époque actuelle, tels que la flexibilité tant réclamée par les décideurs – ne serait-ce que par rapport au renouvellement des CDD (contrats à durée déterminée) –, le travail à temps partiel, la sous-traitance, les exigences en termes de formation professionnelle. Si les progrès sont modestes, c’est aussi parce que la cible des travailleurs susceptibles d’adhérer à un syndicat est étroite, car elle se limite toujours aux entreprises d’une certaine envergure. Il est d’ailleurs difficile de connaître le taux de syndicalisation au Sénégal, tant le paysage est émietté : une vingtaine de centrales regroupant une centaine de syndicats dont certains peuvent avoir moins de cent membres ! D’après certaines estimations, la syndicalisation concerne, dans les entreprises de type moderne, deux travailleurs sur cinq (Dioh, 2011, p. 26). Il s’ensuit que les ressources financières des syndicats sont modestes, et ceci d’autant plus que les contributions mensuelles des travailleurs sont limitées à 500 FCFA, soit moins de 80 centimes d’euro. Or, les handicaps ne se situent pas seulement au niveau des ressources financières, ils renvoient aussi à la formation des leaders, ceux-ci manquant, semble-t-il, de capacités de négociation. De même, le renouvellement du personnel dirigeant est insuffisant, ce qui peut amener de jeunes leaders ambitieux à créer leur propre syndicat et à attiser l’émiettement.

17En dépit d’une certaine cacophonie persistante, un pas décisif a été fait au début de l’année 2013 lorsqu’il s’agissait de déterminer la représentativité des syndicats pour leur participation aux concertations tripartites. Désormais, cinq centrales syndicales sont admises autour de la table de négociation. 94 % des travailleurs sont ainsi représentés, des travailleurs des grandes entreprises, s’entend. Même si certaines professions moins structurées ont fait le nécessaire pour disposer de leur syndicat, à savoir les travailleurs des transports routiers ainsi que les boulangers. Autrement dit, le fond du problème persiste : les syndicats sénégalais ne représentent qu’une minorité des travailleurs. Leur effet d’entraînement sur la société civile reste, par conséquent, limité.

La perception du monde des affaires

18Productivité globalement faible mais fort hétérogène, potentialités des entreprises de type moderne insuffisamment exploitées, foisonnement des petits métiers peu productifs sont autant de caractéristiques mises en avant par ceux qui, conformément au credo néo-libéral, réclament davantage de flexibilité en matière de travail. Or, dans la pratique, le niveau salarial et la productivité du travail ne sont que des éléments parmi d’autres qui interviennent dans le calcul des entrepreneurs. D’autres handicaps, incontestablement plus pesants, pèsent sur le « développement » de l’emploi.

Une pluralité de handicaps

  • 17 [http://wbginvestmentclimate.org], accès avril 2016. En dehors du rapport annuel de Doing (...)
  • 18 Les entreprises de type formel peuvent cependant tout aussi externaliser certaines contra (...)
  • 19 Voir « Délocalisation des services informatiques (offshoring). Le Sénégal, 26e (...)

19Les connaissances sur le monde des affaires au Sénégal se sont considérablement enrichies avec les travaux réalisés par le Groupe de la Banque mondiale, et ceci dans un souci comparatiste17. En dehors du rapport annuel de Doing Business déjà mentionné et sur lequel nous reviendrons plus loin, l’on dispose aussi de renseignements sur le climat d’investissement tel qu’il est perçu par les entrepreneurs. Ces renseignements résultent d’une étude réalisée auprès d’un échantillon comprenant environ 350 entreprises de type formel dont trois sur quatre dans le secteur manufacturier, le reste dans les services (Banque mondiale, 2005a). L’une des conclusions par rapport à notre thématique est la suivante : la main-d’œuvre ne semble pas être une préoccupation majeure des responsables d’entreprises, ni en ce qui concerne la formation, ni pour ce qui est de la réglementation18. Celle-ci peut d’ailleurs se révéler assez souple, par exemple lorsqu’il s’agit de promouvoir des types d’entreprise comme les centres d’appel. En effet, ces derniers sont généralement agréés au régime des entreprises franches d’exportation ; ils peuvent, à ce titre, embaucher selon la formule des contrats à durée déterminée, renouvelables indéfiniment sur une période de cinq ans19.

  • 20 Les banquiers, eux, soulignent le fait que peu de projets présentés sont effectivement (...)

20Les contraintes effectivement ressenties telles par les chefs d’entreprises renvoient tout d’abord aux conditions de financement (tableau 10). Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait que les taux débiteurs sont élevés au Sénégal et que l’accès aux prêts à moyen et long terme est souvent difficile (BCEAO, 2011). En effet, en absence de banques de développement qui, traditionnellement, accordent des prêts à long terme, les entrepreneurs sont amenés à s’adresser aux banques commerciales. Celles-ci, particulièrement frileuses par rapport aux engagements à long terme, préfèrent accorder des prêts d’une durée inférieure à un an, à raison des trois quarts de la masse des crédits distribués20.

21S’il y a des contraintes qui semblent particulièrement handicaper les entreprises sénégalaises, toutes catégories confondues, ce sont bien celles liées aux consommations intermédiaires. L’accès à celles-ci est largement régulé par les autorités publiques ; il est conditionné par l’histoire, des lacunes structurelles locales ainsi que l’environnement international. Les entreprises, elles, n’ont à l’égard des consommations intermédiaires qu’une marge de manœuvre extrêmement limitée. Seules les télécommunications semblent rencontrer la satisfaction des entrepreneurs, alors que d’autres, comme l’électricité, le transport, l’accès au foncier posent problème (Sénégal, 2008c).

Tableau 10. – Les contraintes des entreprises, vues par leurs responsables (secteur manufacturier)

Taille de l’entreprise (nombre d’employés)

Moins de 9

10 à 49

50 à 99

100 à 499

Plus de 500

Coûts du financement

65

71

52

56

40

Accès au financement

63

64

35

31

25

Taux de taxation

37

55

48

74

20

Pratiques « informelles », anti-concurrentielles

34

53

61

58

60

Application législation fiscale

41

48

60

55

40

Corruption

38

40

47

44

40

Règles douanières
et commerciales

34

37

33

44

40

Transport

26

38

35

59

40

Incertitudes politique
éco/cadre règlement.

26

32

33

34

40

Électricité

23

35

33

38

40

Accès à la terre

29

37

12

28

-

Instabilité macro-économique

20

34

17

19

60

Compétence/éducation
des travailleurs

10

23

10

25

20

Réglementation du travail

4

17

23

31

25

Crime, vol, désordres

14

16

10

19

20

Cadre légal,
résolution des conflits

3

19

17

20

20

Permis d’opération,
licences commerciales

7

7

4

14

Télécommunications

4

4

6

Source : Banque Mondiale (2005a, p. 84) (valeurs en termes de fréquence des contraintes exprimées).

22Pour compléter cette présentation, il paraît instructif de revenir sur les rapports Doing Business relatifs au Sénégal. Ils s’appuient sur des enquêtes effectuées auprès de plus de 600 unités d’une certaine envergure, même si les experts soulignent régulièrement vouloir aussi incorporer, dans leurs analyses, des unités de plus faible importance. Le classement retrace les grandes tendances de la vie des affaires, vues sous le seul angle de l’économie « formelle » (tableau 11). Sur un ensemble de 189 pays passés en revue, le Sénégal est placé 161e dans le Rapport 2016. Parmi les 49 pays subsahariens, le Sénégal se situe au rang 29. Trois critères paraissent particulièrement handicapants pour ceux qui veulent entreprendre au Sénégal : l’accès à l’électricité, le paiement des impôts et taxes et l’enregistrement de la propriété. À la fin de la décennie 2000, le Sénégal a pu (légèrement) améliorer sa position, notamment grâce à l’allégement des formalités relatives au commerce transfrontalier (rang 4 sur les 49 pays subsahariens), d’une part, à la simplification des démarches nécessaires à la création d’entreprise (rang 10), d’autre part. En quelque sorte, des « petites mesures » à « grands effets » comme explicité ci-dessus… En tout cas, le pays se situe loin derrière les « bons élèves » de la Banque que sont l’île Maurice (1er rang parmi les pays sub-sahariens, 28e dans le classement général), l’Afrique du Sud (23e et 43e rangs respectivement) et le Ghana (4e et 70e rangs respectivement).

Tableau 11. – La facilité de faire des affaires selon Doing Business 2015 : Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana

Sénégal

Côte d’Ivoire

Ghana

Classement d’ensemble 2014
(sur 189 pays)

161

147

70

Création d’entreprise

90

44

96

Octroi de permis de construire

151

180

106

Accéder à l’électricité

183

161

71

Transfert de propriété

167

124

43

Obtention de prêts

131

131

36

Protection des investisseurs

122

146

56

Paiement des taxes et impôts

183

175

101

Commerce transfrontalier

79

158

120

Exécution des contrats

142

72

96

Fermeture d’entreprise

99

85

161

Embauche de travailleurs (2009)
(sur 183 pays)

172

129

133

Source : Doing Business [http://www.doingbusiness.org/​], accès août 2015.

  • 21 Un exemple patent nous est présenté par Schueth, 2011.

23Ce classement doit cependant être interprété avec beaucoup de prudence et l’on ne saura lui attribuer des qualités qu’il ne peut avoir. En effet, il s’appuie sur la réglementation en cours et non sur l’utilisation concrète qui en est faite. Ainsi, des modifications ponctuelles en matière de législation ou de démarches administratives peuvent améliorer le classement d’un pays de manière sensible, sans que l’environnement général ne change véritablement. Il s’ensuit que les milieux politiques peuvent instrumentaliser cet outil à des fins politiciennes et court-termistes et prendre telle ou telle mesure mineure qui, in fine, a des répercussions spectaculaires sur le classement de leur pays21. L’agence même a tendance à encourager cette instrumentalisation, car elle propose un outil de simulations permettant d’évaluer les effets de telle ou telle mesure envisagée. Le risque est, par conséquent, que Doing Business soit mis au service de mesures court-termistes et que des visées se référant à un avenir plus lointain soient négligées. Ainsi, l’on peut lire dans un document émanant de l’APIX :

« Le Doing Business de la Banque mondiale constitue un précieux outil de mesure de l’environnement réglementaire et l’objectif d’intégrer le Top 10 Africa doit être définitivement atteint dans le prochain classement. » (Sénégal, 2008c, p. 15.)

24D’où aussi le souci exprimé lors d’une rencontre initiée par le Premier ministre du régime Macky Sall, en décembre 2012 :

  • 22 Pari non gagné : dans le classement 2014, le Sénégal avait perdu deux points, p (...)

« [Les] réformes devront porter en particulier sur le domaine d’évaluation du Rapport Doing Business, notamment sur les indicateurs qui tirent le rang du Sénégal vers le bas (paiement de taxes, permis de construire, accès à l’électricité, transfert de propriété, exécution des contrats et protection des investisseurs). Des améliorations très significatives de l’environnement des affaires, en particulier dans le prochain classement Doing Business 2014 sont encore possibles dès 2013. Pour cela, les réformes déjà proposées par le Conseil présidentiel de l’investissement devront être effectivement appliquées par les administrations d’ici fin mars 2013 […]. Il s’agit plus spécifiquement […] de réformes ciblées, à entreprendre à brève échéance et qui permettent rapidement au pays, non seulement de gagner des points dans le classement du Doing Business, mais aussi et surtout, d’améliorer sensiblement son environnement des affaires22. » (Sénégal, 2012b, p. 2-3.)

25Parmi les handicaps auxquels se heurtent les entreprises, c’est l’accès à l’électricité qui occupe la première place, selon Doing Business. Un avis largement partagé par les entrepreneurs même.

Ces coupures d’électricité qui coûtent cher

  • 23 Voir les différentes livraisons des Perspectives économiques en Afrique de l’OCDE, access (...)

26Que l’accès aux consommations intermédiaires pose problème au Sénégal est un fait régulièrement souligné par les dirigeants d’entreprise, indépendamment de la taille de celle-ci. Prenons tout d’abord l’électricité. D’une part, elle coûte cher aux unités de production et représenterait, au Sénégal 12 % des coûts de production, contre un peu plus de 2 % en Afrique du Sud, 3 % en Chine (Ramachandran, 2008a, p. 2). Les prix sont, au Sénégal, sensiblement plus élevés qu’en Côte d’Ivoire ou bien au Ghana23. Plus encore, c’est l’accès même qui est coûteux et il implique des démarches fastidieuses et coûteuses (tableau 12).

Tableau 12. – Procédures et coût d’accès à l’électricité pour une PME : Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana (2014)

Sénégal

Côte d’Ivoire

Ghana

Rang (sur 185 pays)

183

161

71

Coût d’accès en % du revenu national p. c.

5 862

2 824

1 778

Nombre de jours

11

55

79

Nombre de procédures

8

8

4

Source : Doing Business, [http://www.doingbusiness.org/​], accès février 2015.

  • 24 Voir, entre autres, « Une marée humaine assoiffée de révolte. Marche des populations de G (...)

27D’autre part – et ceci est un facteur encore plus pénalisant –, l’approvisionnement est loin d’être garanti et les délestages peuvent être fréquents, à un point tel que « pour travailler sur des marchés étrangers, il vaut mieux ne pas avoir à expliquer à son donneur d’ordres que la matinée de travail a été perdue à cause d’une panne d’électricité ». Cette remarque, faite par le responsable d’un centre d’appel24, pourrait s’appliquer à tout autre secteur, comme le montre le constat suivant, mettant en cause les capacités de l’État même :

  • 25 Source : « Délestage prolongé à Pikine, Guediawaye, Parcelles, Thiaroye. Toute la banlieu (...)

« [Dans] l’atelier […] d’un maître menuisier bois […]. L’homme oisif confie n’avoir pas pu travailler correctement depuis la semaine dernière. “Si le pouvoir en place ne peut pas offrir aux jeunes Sénégalais un travail, qu’il nous laisse au moins nous débrouiller. Mais à cet instant, il fait de nous des chômeurs. Nous, tout ce que nous voulons, c’est qu’on nous permette de travailler et de gagner nos vies25.” »

28Des secteurs entiers sont susceptibles d’être affectés par les coupures de courant intempestives :

« Dans la transformation et la conservation de viande et de poisson, la fermeture pendant deux mois d’une des principales entreprises du sous-secteur, en liaison notamment avec la baisse des débarquements de la pêche industrielle conjuguée aux perturbations du réseau électrique ont conduit à un recul de l’activité de 8,7 % en 2011. » (Sénégal, 2011f, p. 13.)

29Les professionnels du secteur évaluent le déficit des capacités de production d’électricité à 10 %, un déficit qui pourrait bientôt atteindre 50 %, et ceci sans prise en compte de l’importante demande latente (Sénégal, 2011b). L’on estime que les difficultés liées à l’approvisionnement d’électricité auraient abaissé, en 2010, la croissance de 1,4 point (Sénégal, 2011f, p. 12).

  • 26 Voir « Électricité : le coût des délestages », Le Soleil, 30 septembre 1994.
  • 27 Cf. Sénégal, 2011b. La construction d’une centrale nucléaire a été évoquée pendant un tem (...)
  • 28 « Sénégal : la Sénélec se lie avec les producteurs privés », jeuneafrique.com, 8 mai (...)

30Le phénomène de la couverture déficiente des besoins n’est d’ailleurs pas nouveau, car dès 1994, on signale que les « délestages intempestifs » – d’une durée moyenne de cinq heures par jour – correspondraient à près de 20 % de la production annuelle totale26. Au cours des dernières années du mandat d’Abdoulaye Wade, les problèmes devinrent politiquement explosifs, d’où le lancement, en 2011, d’un plan d’urgence, le « Plan Takkal ». Il a prévu notamment la mise en place de nouvelles capacités de production, y compris par le biais de la location, la diversification des combustibles en recourant notamment au charbon et la sensibilisation de la population à l’utilisation des ampoules à basse tension27. Il s’agit d’un projet ambitieux dont le coût s’élève à 90 millions d’euros. Quatre années plus tard, les problèmes sont loin d’être résolus. En dépit de contacts tous azimuts – auprès d’investisseurs belges, italiens, sud-coréens, susceptibles de proposer des solutions allant du charbon et aux énergies solaire et éolienne28 –, les Sénégalais sont invités à s’armer de patience jusqu’à… 2017 pour voir la fin des délestages. En attendant, les grandes sociétés sont obligées de parer au plus pressé. Ainsi, trois entreprises de type « modernes » sur quatre sont désormais équipées d’un groupe électrogène (ibid., p. 12). Certaines très grandes entreprises – comme les ICS, la société Kirène (eau minérale) et la cimenterie Sococim – disposent même de leur propre centrale électrique.

  • 29 Voir « Rapport Cour des comptes sur la gestion 2005-2008. Les plaies de la Sénélec », La  (...)

31Une série de facteurs sont responsables de la situation déplorable dans laquelle se trouve le secteur de l’énergie, situation dont la presse se fait régulièrement l’écho, s’appuyant, entre autres, sur les rapports de la Cour des comptes29 : vétusté des infrastructures et faiblesse des capacités de production, d’où exploitation en flux tendus, difficultés d’approvisionnement en produits pétroliers, irrégularités flagrantes dans la gestion, trésorerie sous tension croissante ne permettant pas de faire face aux besoins à court terme comme l’achat de combustible, etc. À ce handicap majeur qu’est l’approvisionnement en énergie s’ajoutent les problèmes liés au transport.

Les aléas du transport

32En ce qui concerne le transport, les problèmes renvoient à la fois à l’insuffisance et la faible qualité des infrastructures, au coût élevé ainsi qu’aux aspects sécuritaires. Certes, les autorités du pays ont profité de l’organisation de la Conférence islamique pour mettre en œuvre d’importants travaux routiers dans la capitale, nous l’avons dit. Alors que pendant des années, Dakar a connu des embouteillages préjudiciables à toute velléité d’investissement (Bertholet, 2004), la construction d’une dizaine d’échangeurs a rendu la circulation plus fluide, temporairement du moins. De même, la construction de l’autoroute Dakar-Diamniadio est sur la bonne voie. Ceci étant, la densité du réseau routier dans son ensemble reste particulièrement modeste. Entre 1978 et 2005, soit en l’espace de plus d’un quart de siècle, il n’a été élargi que de 7 %. À peine un tiers des voies sont goudronnées30. Les zones rurales continuent à être largement enclavées : certains marchés sont difficilement accessibles, obligeant les agriculteurs à renoncer à la commercialisation de leurs produits périssables et à se contenter de la production de subsistance, ce qui ne fait qu’accentuer le déséquilibre entre zones urbaines et rurales (OCDE, 2008, p. 595-596 ; Sénégal, 2011g).

33Le déploiement de structures censées contribuer à l’amélioration des transports est impressionnant. Exceptées l’APIX et l’AART (Agence autonome des travaux routiers), devenue Ageroute, on peut mentionner l’Agence nationale des aéroports du Sénégal. Sous Macky Sall, les questions de transport relèvent de deux ministères, le ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement et le ministère du Tourisme et des Transports aériens. Il en fut de même sous la présidence d’Abdoulaye Wade où le gouvernement comptait le ministère des Transports terrestres, des Transports ferroviaires et de l’Aménagement du territoire, d’une part, le ministère de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Énergie, d’autre part ; ce dernier avait été confié, en 2009, à Karim Wade, fils du président. Or, d’après le deuxième document sur la réduction de la pauvreté, les dysfonctionnements dans l’exécution des projets et programmes seraient nombreux :

« La plupart des projets et programmes routiers ont connu des retards et même des arrêts de chantier. Les multiples causes de ces retards sont dues essentiellement au non-respect des procédures des bailleurs ; à la recherche et localisation des carrières de matériaux et à l’indisponibilité des contreparties financières dévolues à l’État […]. Globalement, le développement des transports rencontre des difficultés liées pour la plupart à l’obsolescence des ports et de la réglementation. D’autres contraintes sont relatives à l’absence d’un schéma directeur routier, à la limitation des tirants d’eau des ports secondaires, l’absence d’une flotte nationale importante et diversifiée, la hausse effrénée du taux de fret, la pénurie croissante d’officiers et de personnels navigants qualifiés, l’absence d’une politique et d’un plan de développement du réseau de voies ferrées locales et sous-régionales en relation avec l’identification des zones de croissance. » (Sénégal, 2010c, p. 18-19.)

34Dit autrement, il paraît toujours difficile de déceler les grandes lignes d’une politique de transport au Sénégal, avec une hiérarchie des priorités clairement définie (Lombard, 2005). Bien au contraire, la dérégulation excessive correspond essentiellement à une fuite en avant, générant des rentes de situation pour les lobbies des transporteurs. Autant dire que les inégalités entre zones géographiques vont en croissant, au détriment de l’intérêt général, de la sécurité des usagers, des bienfaits pour les opérateurs économiques.

  • 31 Voir Teravaninthorn et Raballand, 2008.
  • 32 Les prix ont considérablement baissé en janvier 2015. Ainsi, le président Sall a pu honor (...)

35Le coût du transport mérite également d’être pris en considération comme facteur susceptible de handicaper la bonne marche des entreprises. En Afrique subsaharienne, et notamment en Afrique de l’Ouest, les coûts de transport ne sont pas sensiblement plus élevés qu’en Europe31. Le Sénégal n’y fait pas exception. Les coûts sont surtout grevés par le prix relativement élevé du carburant – 690 FCFA (1,05 €) pour le litre de gazole depuis janvier 2015, 795 FCFA (1,21 €) pour le super32 –, l’âge des véhicules en tant qu’élément contribuant à la consommation de carburant, ainsi que le mauvais état des routes. Seul le faible niveau des salaires permet de contenir les coûts.

  • 33 Source : « Déraillement du train express Bamako-Dakar. Le Rta/S dénonce le laxisme crimin (...)

36En dehors du coût, l’insécurité des transports pose également problème au Sénégal. Elle n’est pas seulement le propre des routes, mais concerne aussi le transport maritime et ferroviaire. Le naufrage du Diola, en 2002, l’a montré d’une manière on ne peut plus brutale. Alors que ce bateau reliant Dakar à Ziguinchor, capitale de la Casamance, ne devait prendre que 550 passagers, ils étaient près de 2000 personnes à perdre la vie dans le naufrage. Pour ce qui est du réseau ferroviaire, créé dans les années 1920, il est aujourd’hui plus réduit qu’au moment de l’indépendance. Sa maintenance laisse à désirer, comme en témoignent les nombreux déraillements, souvent mortels. Aux dires d’un responsable syndical : « La direction de Transrail [i. e. le propriétaire privé] n’a jamais accepté d’investir dans la rénovation des rails, refusant ainsi de respecter le cahier des charges établi lors de la privatisation. [… Ainsi,] les 20 % du budget alloués à la maintenance du réseau ferroviaire ont dégringolé pour se retrouver à 6 %33. »

  • 34 Les valeurs du LPI sont comprises entre 1 (valeur la plus faible) et 5. Le scor (...)

37Une dernière remarque concerne les services logistiques dont l’indice de performance, LPI (Logistics Performance Index), mesure les perceptions relatives à l’efficacité des processus de dédouanement, la qualité des infrastructures commerciales et des infrastructures de transport, la compétitivité des prix de transport, la traçabilité des opérations et le respect des délais. Généralement, les performances en la matière sont faibles en Afrique subsaharienne, plus faibles qu’en Amérique latine ou en Asie. Or, comparé aux autres pays de la sous-région, le Sénégal, lui, dispose de services logistiques relativement satisfaisants et occupe le 101e rang sur un ensemble de 16034. C’est surtout grâce à la qualité de l’expédition des marchandises (ease of arranging competitively priced shipments) que le score du Sénégal est même supérieur à celui de la Grèce, pays membre de l’Union européenne…

38Solutionner les problèmes de l’accès à l’énergie et du transport nécessite beaucoup de moyens et du temps, c’est certain. Mais ces problèmes sont, en principe, maîtrisables. Or, s’il est un domaine particulièrement difficile à maîtriser, c’est celui du milieu naturel dont il sera question par la suite. On verra qu’il souffre de dégradations multiples appelant des réponses dont les effets n’engagent pas seulement les populations actuelles, mais aussi les générations futures.

Ressources renouvelables et accès à la terre

La dégradation du milieu naturel, un cercle vicieux

  • 35 On pense notamment aux inondations ayant frappé le nord du pays en 2002, causant d’import (...)

39La dégradation du milieu naturel est une réalité au Sénégal. Particulièrement préjudiciable au secteur primaire, elle est imputable tant aux perturbations climatiques qu’à des facteurs anthropiques. Ceci est tout d’abord frappant pour l’agriculture qui, plus que d’autres activités, est caractérisée par une multitude de risques (Banque mondiale, 2006b). Le seul fait que, depuis les années 1930, les isohyètes se soient déplacées de plusieurs centaines de kilomètres vers le sud – avec une accélération du phénomène depuis une cinquantaine d’années – permet de mesurer l’ampleur de la dégradation et du préjudice causé aux activités liées à la terre. Les champs et les pâturages pâtissent d’une diminution générale de la pluviométrie, diminution à laquelle viennent s’ajouter des déficits pluviométriques récurrents, environ une année sur trois. D’une manière générale, la pluviométrie peut varier du simple au double, d’une année à l’autre (Sénégal, 2013c, p. 301). La qualité des sols laisse à désirer, un fait essentiellement lié à leur épuisement, à l’érosion éolienne, l’acidification et la salinisation. Cette dernière frappe surtout la région du fleuve du Sénégal, la Casamance et le Sine Saloum (J. Faye et al., 2007, p. 48). Les dunes de sables, elles, ont tendance à ensevelir une partie des dépressions humides dans les Niayes, première zone de maraîchage. Les cultures sont aussi régulièrement menacées de prédateurs, tels que les oiseaux rizophages et les acridiens. L’élevage, lui, n’est pas à l’abri d’épizooties et d’intempéries35. Le travail de la terre et l’élevage sont donc soumis à de multiples aléas, d’où d’importantes fluctuations de la production et des répercussions inéluctables pour la main-d’œuvre et sa rémunération.

40Si la dégradation du milieu naturel paraît difficile à surmonter, c’est aussi parce que la pression sur les ressources est forte, pression qui s’exprime tant par la structure de l’offre que la nature de la demande. Étant donné que la population rurale – et, dans des proportions comparables aussi la population agricole – a quasiment quadruplé entre 1960 et 200836, cette pression interne au secteur conduit au morcellement des exploitations et à la diminution drastique de la surface cultivée par travailleur ou, dit autrement, au nivellement vers le bas des unités pratiquant la culture sous pluie. Ainsi, un actif cultivait, en 1998, à peine un demi-hectare, contre le double en 1960 (ibid., p. 114). Sachant que pour vivre de manière décente, il faudrait environ 4 ha par actif – objectif que s’était fixé la recherche agricole dans les années 1970 (ibid., p. 179) ! –, on mesure la gravité de la situation.

41De plus en plus, la disponibilité de terres cultivables pour l’agriculture vivrière connaît d’étroites limites. On peut donner la parole à Jacques Faye, l’un des meilleurs spécialistes de la question :

  • 37 « Crise alimentaire : GOANA ou la pluie des milliards », Sud Quotidien, 25 avri (...)

« Les quelques jachères que l’on peut voir le long des routes n’ont pas été semées par manque de semences ou parce que les semis avec des semences de mauvaise qualité n’ont pas germé. Depuis le début de l’alternance, le régime donne l’impression qu’il y a abondance de terres au Sénégal, que les paysans sont incapables de les mettre en valeur et qu’il faut un “retour à l’agriculture” pour les mettre en valeur. L’idée de faire émerger une génération spontanée d’entrepreneurs agricoles est aussi obsédante dans la pensée des plus hautes autorités de l’État. L’abondance de terres et la génération spontanée d’entrepreneurs sont de fausses bonnes idées37. »

42La situation se présente différemment pour ce qui est du foncier destiné à la culture irriguée, la riziculture avant tout. Des terres irrigables sont encore largement disponibles, notamment dans la vallée du fleuve Sénégal où seul un tiers des terres sont effectivement exploitées. Cette situation plutôt propice au développement de la riziculture irriguée va cependant de pair avec des conflits. En effet, au cours des années passées, les décideurs ont mis une partie des terres à la disposition d’acteurs supposés motivés par la riziculture. Mais cette mesure semble avoir répondu davantage à des considérations de clientélisme politique et de prestige qu’à un soutien à l’entrepreneuriat agricole. Ceci pourrait expliquer le manque de professionnalisme quant aux aménagements et à l’entretien des installations, autant d’éléments susceptibles de contribuer à la faible qualité du riz. Nous y reviendrons.

43La pression exercée sur les ressources naturelles ne touche pas seulement l’offre de produits agricoles, elle est aussi liée à une demande croissante. En données absolues, la production alimentaire sénégalaise a doublé depuis 1960. Mais compte tenu du dynamisme démographique, la production de denrées alimentaires par habitant a été divisée par deux (Brüntrup et al., 2006, p. 23). Un autre élément mérite d’être pris en considération, l’autoconsommation alimentaire. En effet, les familles d’exploitants agricoles sont à la fois productrices et consommatrices. Ainsi, une grande partie de la production est autoconsommée. Le riz produit localement, par exemple, n’est mis sur le marché qu’à raison de 40 à 50 % (ibid., p. 24) ! Si la demande rurale a augmenté de manière impressionnante, ceci est encore davantage vrai pour la demande émanant des agglomérations urbaines, car, depuis 1960, leur population a été multipliée par sept. Cette urbanisation s’accompagne de changements des habitudes de consommation alimentaire : le pain se généralise – au détriment de la bouillie de mil local –, la demande de fruits et légumes augmente, le mil et le sorgho sont progressivement remplacés par le riz comme aliment de base ; plus rapide à préparer que les céréales locales, il correspond désormais à 18 % des dépenses des ménages urbains. D’où aussi l’essor du maraîchage, de l’élevage bovin et de l’aviculture dans les zones périurbaines, essor qui n’empêche cependant pas l’accélération des importations alimentaires, tant le déséquilibre se creuse entre offre et demande nationales.

  • 38 Sources : « Greenpeace dénonce le “pillage organisé” des eaux sénégalaises sous le régime (...)
  • 39 Voir Surpêche. La fin du poisson à foison, documentaire (42’, Allemagne, 2013), réalisé p (...)
  • 40 Sources : « Au Sénégal, la ruée des Russes et des Asiatiques sur la pêche artis (...)

44Quant à la pêche, les problèmes se posent en des termes comparables. L’activité halieutique doit, elle aussi, faire face à une demande accrue d’origine nationale et internationale. Sur le plan national, elle est impulsée non seulement par le dynamisme démographique de la population sénégalaise en général, mais aussi par l’émergence d’une couche moyenne grande consommatrice de poisson et le développement de la restauration en milieu urbain. Pour ce qui est du niveau international, la pression sur la ressource est liée à la présence d’acteurs étrangers dans la zone économique exclusive, ZEE, du Sénégal, présence évoquée dans le chapitre précédent. Les années de la présidence d’Abdoulaye Wade ont connu une recrudescence impressionnante de la présence de chalutiers étrangers dans la ZEE38. Parmi eux, un grand nombre pratiquent la pêche de manière illégale, c’est-à-dire sans disposer des autorisations nécessaires. Alors que, par le biais de passe-droits, chaque tonne pêchée rapporterait aux représentants des autorités environ 120 USD – les données exactes font cependant défaut… –, la pêche illégale priverait l’État sénégalais de recettes fiscales, 67 millions d’euros par an, selon un documentaire récent39. Les captures se dirigent soit directement vers les marchés du Nord, soit elles alimentent les usines implantées près des lieux de débarquement. Celles-ci ont pour objectif la transformation du poisson sénégalais en farine destinée à l’aquaculture et à l’élevage asiatique et européen40. Leur demande est telle que, dans la ville de Joal par exemple, elle risque d’absorber l’intégralité de la production. Autrement dit, la transformation locale pourra être amenée à disparaître, et avec elle de nombreux emplois.

45Certes, il existe une législation censée contrôler l’effort de pêche, c’est-à-dire la quantité d’engins de pêche ou d’embarcations mise en œuvre, moyennant notamment par l’octroi de licences. Or, des incertitudes quant au nombre des embarcations opérationnelles dans la pêche artisanale, d’une part, et les pratiques frauduleuses liées à la présence de grands chalutiers étrangers, d’autre part, ne facilitent guère la tâche de la surveillance, a fortiori que l’État sénégalais ne dispose que de quatre bateaux pour surveiller les 500 kilomètres de sa côte…

46Cette pression accrue sur une ressource – renouvelable, certes, mais dans certaines limites seulement – a engendré la raréfaction parfois dramatique de certaines espèces. Comme on verra plus bas, les politiques d’ajustement structurel ne sont pas étrangères aux difficultés que traverse la pêche actuellement, loin s’en faut ! Mais il convient aussi de nuancer, car si la surexploitation est un fait avéré, des migrations « naturelles » des stocks de poissons sont, elles aussi, susceptibles de contribuer à la diminution des prises. Autrement dit, il est difficile de faire la part entre la responsabilité de l’homme et l’évolution « naturelle » de l’écosystème. Ainsi, des politiques publiques adéquates sont indispensables – comme le repos biologique pour certaines espèces décrété en 2012 –, et ceci d’autant plus que l’aquaculture n’est qu’à ses balbutiements.

  • 41 Le prix des céréales non transformées a augmenté de 43 % au courant de l’année (...)
  • 42 « Sénégal. Le riz local enfin apprécié », Syfia Info, 19 septembre 2008 et « Sé (...)
  • 43 Il s’agit d’un poisson d’élevage de la famille des siluridae. Voir « Poisson in (...)

47Les défis lancés aux acteurs nationaux par des événements extérieurs méritent également d’être pris en considération. Ainsi, en absence de régulations étatiques appropriées, les prix particulièrement bas de certains produits d’origine étrangère sont susceptibles de provoquer des évolutions contrastées. Ils peuvent donner lieu à une exploitation plus intensive des ressources – voire à leur surexploitation – et/ou bien freiner le développement des productions nationales. Le riz fournit sans aucun doute l’exemple le plus frappant. Pendant longtemps, le riz importé coûtait moins cher au consommateur sénégalais que celui produit localement, ce qui devait incontestablement contribuer à la stagnation de la production nationale. Il a fallu les goulets d’étranglement de l’année 200841 et le renchérissement de cette céréale sur le marché mondial, d’une part, l’arrêt des subventions dont bénéficiait, au Sénégal, le riz importé, d’autre part, pour que le riz local gagne en compétitivité, avec des prix au consommateur jusqu’à 40 % plus bas que ceux des importations d’origine asiatique42. Un autre exemple concerne les produits halieutiques. Sur leur marché traditionnel qu’est la France, le poisson sénégalais se heurte, entre autres, à la concurrence de produits d’élevage asiatiques, une situation qui concerne aussi la sole. Achetée un euro le kilo aux pêcheurs, elle est proposée au consommateur français au prix de quatorze euros pour le filet, alors que le pangasius vietnamien est vendu à moins de dix euros43. Il est évident que la dégradation du pouvoir d’achat des consommateurs français risque de faire opter ces derniers pour le poisson vietnamien – produit dans des conditions pourtant problématiques –, de qualité gustative bien moindre, au détriment d’un poisson comme la sole sénégalaise.

  • 44 Voir « Trafic de bois au Sénégal : la Casamance menacée de déforestation d’ici deux ans » (...)

48Un sous-secteur dont on entend peu parler lorsqu’il est question du renouvellement des ressources naturelles est la sylviculture. Celle-ci concerne tout particulièrement la Casamance, région située au Sud de la Gambie et dont les bois tropicaux représentent une richesse écologique sans commune mesure. Fin mai 2016, l’exploitation clandestine d’une essence protégée, le bois de vène – connu aussi sous le nom de « palissandre du Sénégal » –, a été portée à la connaissance de l’opinion publique sénégalaise et a fait des vagues au-delà des frontières du pays. Selon El Ali Haidar, ancien ministre de l’Environnement, le bois serait exporté vers la Chine dont les statistiques reflètent une « explosion » de l’importation de bois en provenance du continent africain44. Le phénomène constaté en Casamance prendrait des proportions telles que « d’ici deux ans […] le seuil de non-retour » serait atteint, mettant en danger le renouvellement de la ressource et la fertilité du sol, avec des effets désastreux non seulement pour l’agriculture, mais aussi pour le tourisme. Et l’ancien ministre de fustiger le manque de volonté politique pour juguler ce trafic qui impliquerait à la fois des Sénégalais, des Gambiens et des Chinois…

49Quelles sont, dans ce contexte de dégradation de l’environnement naturel, les stratégies adoptées par les producteurs ? En ce qui concerne les agriculteurs, deux critères paraissent essentiels, la couverture des besoins alimentaires du ménage, d’une part, la rémunération attendue des différents produits, d’autre part. Les petits exploitants, soucieux avant tout de la reproduction de la cellule familiale, sont ainsi amenés à répartir les risques. D’où des réponses allant de la diminution des jachères à la pluriactivité, en passant par l’installation sur des terres neuves – dans le Sud du pays notamment où convergent ceux qui quittent le bassin arachidier –, le remplacement des céréales à cycle long par des variétés à cycle court (maïs, mil), la pratique de cultures exondées, le départ en transhumance, la réduction de l’élevage bovin au profit des petits ruminants (J. Faye et al., 2007, p. 130-141). Nombreux sont aussi ceux qui espèrent pouvoir résoudre « leurs problèmes » grâce à l’émigration, clandestine ou non, question évoquée au chapitre ii.

  • 45 Source : calculs à partir de Sénégal, 2013c, p. 297-299.
  • 46 « Un entrepreneur agricole chinois au Sénégal », jalons, 8 juin 2009. À partir de l’émiss (...)

50Une caractéristique majeure des stratégies est incontestablement l’abandon progressif de l’arachide au profit des céréales de type traditionnel, une évolution qui a fait s’inverser, entre le début des années 1960 et la fin de la décennie 1970, le rapport entre les terres consacrées à l’arachide et celles réservées aux céréales comme le mil et le sorgho : entre 2005 et 2009, l’arachide n’occupe plus que 33 % des terres45, contre le double au moment de l’indépendance (J. Faye et al., 2007). La reconversion des exploitants de l’arachide peut aller jusqu’à la culture du sésame, pour le comte d’un entrepreneur chinois, fin connaisseur du marché sénégalais, qui semble maîtriser toute la filière, depuis la fourniture des semences jusqu’à la commercialisation de l’huile sur le marché chinois. Rien ne semble indiquer qu’il s’agirait, en l’occurrence, d’accaparement de terres, phénomène qui fait de plus en plus la hantise des populations rurales et dont il sera question plus loin46.

51D’après les données disponibles, c’est aussi par la main-d’œuvre agricole que les ajustements ont pu se faire, allant dans le sens d’un recours plus systématique à des travailleurs non rémunérés, surtout de sexe féminin (tableau 13). Vu sous cet angle, les acteurs du milieu rural font comme ceux qui s’activent dans des petites activités de type informel lorsqu’ils se tournent davantage vers la main-d’œuvre familiale. Celle-ci, soumise à l’obligation implicite de contribuer à la reproduction de la cellule domestique, ne peut se soustraire au surcroît de travail. C’est cela, le prix de la « flexibilité » tant valorisée par les agences internationales…

Tableau 13. – Auto-employés et travailleurs non rémunérés dans le secteur primaire (en % de la main-d’œuvre totale)

1994

2001

Auto-employés

73

55

Travailleurs non rémunérés

26

42

Non rémunérés : hommes

26

36

Non rémunérées : femmes

29

50

Source : Banque mondiale (2003a, Annexes, p. 21).

52L’ajustement par la main-d’œuvre est aussi une caractéristique des unités de pêche artisanale. Ainsi, les patrons de pêche exploitent des eaux dans les pays voisins, la Mauritanie notamment, en prolongeant leurs sorties en mer. Les investissements réalisés à la suite de l’ouverture du secteur permettent d’aller dans ce sens. Les dispositifs de réfrigération, si modestes soient-ils, y contribuent également.

53L’articulation entre le milieu naturel et les unités de production du secteur primaire s’avère fort complexe. D’un côté, il y a des exploitations familiales. Elles se heurtent au morcellement des terres, pâtissent de l’appauvrissement des sols arables et des pâturages, sont confrontées à la raréfaction des ressources et la baisse tendancielle des rendements. Et de l’autre côté, il y a des unités sur lesquelles se focalise toute l’attention des décideurs, des unités de types modernes, supposées être gérées selon des méthodes orthodoxes. Mais les perspectives d’avenir de ces unités ne sont pas nécessairement prometteuses pour autant, car leur création répond souvent davantage à un souci de prestige social et à des considérations de clientélisme politique qu’à de « pures logiques économiques » (Broutin et al., 2003, p. 25).

La difficile sécurisation du foncier

54L’accès au foncier et sa sécurisation sont un autre sujet de préoccupation des entrepreneurs sénégalais. Il s’agit là d’un problème dont la gravité semble unanimement reconnue. Toutefois, le dossier avance timidement, d’où le constat suivant, fait au sein du Conseil présidentiel de l’investissement :

« La réforme du droit de la terre, indispensable, notamment, pour améliorer la sécurisation du foncier, n’a pas encore connu de début d’exécution. Cette situation est préoccupante. Il s’avère, en effet, que, tant dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie de Croissance Accélérée, d’une manière générale, que dans celui, plus spécifique, de la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA), les besoins de terres aménagées non satisfaits exprimés par les investisseurs se sont accrus au point que cette problématique est en passe de devenir le principal obstacle à l’investissement productif. À titre d’exemple, le portefeuille d’investissements agréés à l’APIX mais non encore réalisés, faute de terres disponibles et sécurisées, se chiffre à environ 20 milliards de FCFA [soit 30,5 millions €]. » (Sénégal, 2008f, p. 11.)

55En milieu rural, la sécurisation des droits à la terre est particulièrement problématique. Selon les textes, plus de 95 % des terres agricoles relèvent du domaine national (J. Faye et al., 2007, p. 100-101 ; Sene, 2006). A priori, il n’existe pas de marché foncier proprement dit. Les choses sont d’autant plus compliquées que le droit dit traditionnel a tendance à primer sur le droit positif. Conformément à celui-là, est considéré « propriétaire » celui qui exploite les terres, pourvu qu’il soit de sexe masculin. Les femmes, elles, ne peuvent accéder aux terres agricoles, ce qui ne fait qu’ajouter un élément pénalisant de plus à la condition féminine. Cependant, grâce à certains projets de développement, elles peuvent solliciter, auprès du conseil régional, l’octroi d’un à deux hectares, voire davantage si la terre est exploitée en groupe. Des transactions – comme la location et le prêt – se pratiquent couramment, mais en dehors de tout cadre légal. Il s’ensuit qu’au nom de la loi domaniale, l’État peut, à tout moment, confisquer des terres cultivées. L’immatriculation des propriétés foncières, avec délivrance d’un titre foncier, n’est qu’à ses tout débuts. En zone rurale, elle n’est pratiquée qu’exceptionnellement, compte tenu de la lourdeur et du coût. Cette situation se traduit par une grande insécurité qui handicape tout investissement.

  • 47 Voir, par exemple, « Tambacounda-GOANA et sécurisation de leurs terres. Pour une évaluati (...)

56En même temps, les autorités encouragent la constitution de grands domaines, tout en perpétuant des pratiques clientélistes bien connues : elles affectent des terres à des hommes politiques, aux milieux d’affaires, à des membres influents de la communauté des Mourides, tout en court-circuitant les instances locales. Ces « largesses » sont susceptibles de donner lieu à des conflits – ouverts ou larvés – entre (néo-)propriétaires haut placés et populations locales. Au courant de la présidence d’Abdoulaye Wade (2010-2012), les acquisitions à grande échelle concerneraient près de 30 % des surfaces arables disponibles (I. M. Faye et al., 2011, p. 19). Des programmes tels que la GOANA et le REVA (Retour vers l’agriculture) – ils seront présentés dans la section suivante – ont servi de stimulateurs pour cette ruée vers la terre. La situation est particulièrement fragile dans la vallée du fleuve Sénégal où les terres « appartiennent » essentiellement aux Toucouleur, une ethnie dépourvue de tradition agricole. Cependant, à partir du moment où l’exploitation des terres, que ce soit pour le riz ou pour d’autres spéculations, devient plus rentable, les populations autochtones accordent davantage d’attention à leur patrimoine foncier, quitte à le défendre contre les « étrangers ». En d’autres termes, les ingrédients pour des conflits sociaux sont présents. Ils le sont dans la vallée du fleuve Sénégal, mais aussi ailleurs47.

  • 48 Voir « Sénégal : contribution de la filière biocarburant au développement local », riaed (...)

57Si au courant de l’ère d’Abdoulaye Wade, le foncier est devenu un enjeu de plus en plus vital dans la vallée du fleuve Sénégal, l’on peut penser que bientôt seront aussi affectées d’autres zones, celles susceptibles d’être exploitées en vue de la production d’agrocarburants (I. M. Faye et al., 2011 ; IPAR, 2012). Cette dernière rencontre un intérêt incontestable de la part des autorités et de certains investisseurs, comme le montrent des événements qui se sont produits début 2015 lorsque, dans le département de Dagana, la population s’est opposée aux travaux de la société Senhuile-Senéthanol, considérant l’implantation de l’entreprise comme un fléau comparable… au virus d’Ebola48.

58L’accès au foncier est aussi une question délicate dans la capitale. Sa surface présente 0,3 % du territoire national, alors que 80 % de l’activité économique du pays s’y trouvent concentrés. Compte tenu de la spéculation, les prix des terrains au centre-ville ont atteint des niveaux quasiment européens. Pour ce qui est plus particulièrement des emplacements destinés aux unités industrielles, le domaine industriel de la Sodida affiche complet. Quant au domaine public maritime du Cap Vert, d’après une étude menée pour l’ONG Aide Transparence, les violations – perpétrées essentiellement par des nationaux – seraient nombreuses (Sy et al., 2008).

59Une dernière série de contraintes renvoie aux lacunes des politiques publiques et aux connivences entre les décideurs et certains notables. Souvent, ces phénomènes accentuent les difficultés qu’affrontent les opérateurs économiques. Là aussi, le milieu naturel est en cause.

Les politiques publiques du « développement » en cause

Le secteur primaire et les ratés des politiques publiques

60La dégradation des ressources naturelles n’est pas sans lien avec l’un des aspects majeurs des politiques relatives au secteur primaire : la poursuite d’objectifs productivistes. Celle-ci s’oppose au souci exprimé « par le bas » et consistant à garantir tout d’abord la sécurité alimentaire des exploitants et de leurs familles.

  • 49 Pour les paragraphes suivants, voir aussi Fall B., 1997 ; Faye J. et al., 2007 ; Touré, 2002 ; Van (...)

61Les objectifs productivistes se sont essentiellement traduits par la monoculture arachidière. Elle dominait le paysage économique jusqu’au début des années 198049. Introduite au Sénégal au xve siècle par des traitants portugais, l’arachide était d’abord une culture de subsistance pour devenir, à l’époque coloniale, une culture de rente dont l’exploitation allait dépendre étroitement des besoins en oléagineux de la métropole. Profitant de l’abolition de l’esclavage, la puissance coloniale lança une vaste opération de colonisation des terres inoccupées, et ceci non seulement en mettant au travail les populations locales, mais en faisant aussi largement appel à la force du travail de toute l’Afrique occidentale française, dans le cadre du navétanat, ces migrations saisonnières évoquées au chapitre ii. La greffe devait prendre assez facilement, étant donné que : « Le paysan est libre d’investir sa force de travail dans une graine dont la culture n’est pas codifiée par la société. [… Il] connaît ainsi une véritable promotion en occupant les anciennes positions de l’aristocratie du temps de la traite négrière : il va produire, vendre et acheter. » (Mbodj, 1992, p. 97.)

62Dans cette « mise en valeur » coloniale, les populations locales étaient assujetties à l’impôt de capitation, moyen par excellence pour les inciter à se tourner vers des activités génératrices de revenus monétaires. Les notables de la confrérie des Mourides servaient de courroie de transmission. Des relations commerciales basées sur l’exclusivité se nouaient entre l’AOF et la métropole, la première fournissant des matières premières à l’industrie française, la seconde exportant les produits manufacturés. C’est ainsi que la colonie et ses populations furent intégrées dans un nouveau système de rapports marchands. Jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les paysans bénéficiaient de conditions de vie relativement satisfaisantes, plus satisfaisantes en tout cas que celles de la main-d’œuvre urbaine. Les prix d’achat de l’arachide étaient garantis. Progressivement, les exploitants allaient aussi bénéficier des retombées de la recherche agronomique, en se voyant octroyer des semences améliorées. Mais alors que la production augmentait régulièrement, la productivité de travail, elle, ne progressait guère.

63Par la suite, l’implantation d’usines de transformation ne fit qu’accentuer cette extraversion de l’économie sénégalaise, l’huile d’arachide étant essentiellement destinée au marché européen. Les effets néfastes de l’approche productiviste en matière d’arachide devaient apparaître au grand jour, dans les années 1950. On commença à fustiger la « tyrannie de l’arachide », car les paysans n’arrivaient que difficilement à couvrir leurs besoins en céréales « traditionnelles » destinées à la consommation familiale. Pour pallier le déficit de céréales et en maîtriser les prix, les autorités coloniales commencèrent à importer du riz produit en Indochine, autre colonie française (Brüntrup et al., 2006). La dépendance du Sénégal par rapport au riz asiatique remonte à cette époque-là, même si, parallèlement, les premiers casiers rizicoles devaient voir le jour dans la région du fleuve (J. Faye et al., 2007, p. 53). Nous y reviendrons.

64Pendant longtemps, le Sénégal a éprouvé d’autant plus de difficultés à se libérer du poids de la culture de l’arachide que les conditions d’écoulement et de commercialisation étaient particulièrement avantageuses, tant pour les paysans que pour l’État indépendant. La suppression, en 1964, de ces conditions devait conduire à une sorte de fuite en avant. Soucieux de compenser la perte à gagner et de garantir de nouvelles recettes d’exportation, indispensables à sa politique de développement, l’État sénégalais s’engagea dans l’intensification de la culture arachidière, intensification qui devait entraîner les agriculteurs dans une spirale de l’endettement. Plus encore, cette évolution ne devait pas seulement se solder par l’épuisement des sols, elle allait aussi compromettre la diversification de la production céréalière. Ainsi, la politique agricole s’acheminait vers une impasse : l’autosuffisance alimentaire est proclamée comme un objectif à atteindre, alors que l’État continue à forcer la culture de l’arachide, dans un contexte mondial pourtant défavorable, tant pour l’arachide que pour le riz.

65Examinons de près la production de riz locale et les importations massives de riz d’origine asiatique. Depuis l’époque coloniale, le Sénégal souffre d’un déficit structurel de cette céréale dont un Sénégalais consomme, en moyenne, 70 kg de riz par an (Brüntrup et al., 2006, p. 24), un déficit qui ne cesse de croître. Les 750 000 tonnes de riz importées en 2012 (Sénégal, 2015a, p. 304), soit plus de 70 % de la consommation des Sénégalais, correspondant à 7 % de l’ensemble des importations. En termes absolus, le Sénégal est désormais le deuxième importateur de riz de l’Afrique subsaharienne, le dixième à l’échelle mondiale (ibid., p. 23). Si préoccupant que puisse paraître le déficit en riz, ce dernier n’est pas la seule céréale que le Sénégal est amené à importer, bien au contraire. En ce qui concerne le blé, le pays est entièrement dépendant des importations, et, plus généralement, la moitié des céréales consommées, 183 kg par an et par habitant, sont importées.

66Mais revenons au riz. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer la situation problématique de la filière. Jusqu’au milieu des années 1990, l’État – à travers le fonds de stabilisation des prix – avait le monopole de l’importation du riz. Il imposait des quotas, fixait le prix du riz importé et du riz local, organisait également la commercialisation et encaissait des taxes d’importations considérables, dans l’objectif de promouvoir la riziculture locale, de financer le fonds de stabilisation… et le parti au pouvoir (ibid., p. 25). Malgré sa forte taxation, le riz d’importation était accessible pour les populations, et ceci d’autant plus que, jusqu’à sa dévaluation de 50 % en 1994, le franc CFA était surévalué. D’où la faible attractivité de la riziculture locale. Ceci explique que, pendant très longtemps, les casiers rizicoles aménagés dans la vallée du fleuve Sénégal n’ont eu qu’un succès limité. De même, les tentatives d’amélioration de la riziculture de mangrove en Casamance n’ont généré que des résultats médiocres. La libéralisation du commerce a même contribué à l’accélération du déficit de riz, et ceci d’autant plus que les importations sont désormais moins taxées qu’avant les Programmes d’ajustement structurel.

  • 50 Source : Antil, 2013, p. 8. Il s’agit d’une moyenne. Il est évident que la riziculture re (...)
  • 51 « Riz importé en Afrique : une chaîne alimentaire juteuse », Financial Afrik, 13 octobre (...)

67D’autres facteurs encore réduisent l’intérêt pour la riziculture locale. Tout d’abord, l’omniprésence du riz asiatique – sous forme de brisure – a modifié les habitudes de consommation. Il s’ensuit que le riz local est généralement moins apprécié. Plus encore, le riz produit localement est cher. Les coûts de production – 210 USD pour une tonne de paddy50 – sont plus élevés qu’au Vietnam ou en Thaïlande, où ils sont de 130 USD et de 190 USD respectivement. Enfin, la promotion de la filière du riz local semble également entravée par les velléités des grands commerçants importateurs. Depuis la généralisation de l’économie de marché, ceux-ci bénéficient de situations rentières par rapport à l’importation du riz, devenue une affaire « juteuse51 ». Les moyens financiers dont disposent ces grands commerçants ainsi que leur entregent semblent suffire pour saper le développement d’une filière de riz nationale rivale (Antil, 2010, p. 15).

68Il est vrai qu’à la suite du goulet d’étranglement provoqué, en 2008, par l’embargo des exportations de l’Inde, du Brésil et de la Chine et les perturbations qui s’ensuivirent sur le marché international, le riz local commença à attirer l’intérêt de grands investisseurs. L’on ne saurait cependant préjuger de la persistance de cet intérêt, tant le marché du riz peut être capricieux. Une chose est certaine : pour favoriser la production d’un riz local compétitif et promouvoir en même temps l’emploi agricole, les décideurs auraient tout intérêt à prendre en considération tous les maillons de la chaîne alimentaire du riz, des producteurs jusqu’aux distributeurs, en passant par les transformateurs, les transporteurs et les banques (ibid., p. 18), au lieu d’agir seulement par à-coups, en fonction des urgences et sous la pression de la rue, comme ceci fut le cas en 2008.

  • 52 Selon l’activiste environnementaliste George Monbiot, cette formule serait même imposée p (...)

69Si la focalisation des politiques publiques sur la culture d’arachide devait freiner le développement de la riziculture, elle conduisait aussi à la négligence d’un secteur aussi vital que la pêche artisanale maritime, en sous-estimant les bénéfices potentiels de la valorisation sur place. À partir des années 1950, les ports sénégalais ont vu arriver des chalutiers français pratiquant la pêche thonière, résultat de la raréfaction des ressources ichtyiques dans les eaux européennes. Par la suite, un grand nombre de licences furent accordées à des flottes étrangères, générant des recettes appréciables pour l’État, alors que les unités artisanales, elles, en étaient – et sont toujours – exemptes d’autorisations. Dans ce contexte, la pêche artisanale a fait preuve de capacités d’adaptation assez remarquables, en fournissant les chalutiers étrangers (Dahou, 2002). Ainsi, les unités artisanales n’ont pas seulement contribué à l’accélération de la raréfaction de la ressource, mais aussi à l’extraversion du secteur. Cette tendance devait s’intensifier au moment des politiques d’ajustement structurel. À l’époque, les décideurs visaient avant tout la promotion des exportations, d’où d’importantes subventions pour les embarcations et les investissements en technologie de pointe tels les outils de navigation GPS et les sondeurs pour détecter les bancs de poissons, outils qui font maintenant quasi systématiquement partie de l’équipement standard des embarcations. La dévaluation de 50 % du franc CFA en 1994, rendant, du jour au lendemain, le poisson sénégalais deux fois plus compétitif, ainsi que la forte demande du marché mondial devaient attiser la pression sur la ressource (Thiao et al., 2012). La limitation des licences est supposée favoriser la reconstitution des stocks de poissons menacés. En cela, l’initiative est indubitablement salutaire. Ceci étant, comme dans d’autres domaines, des pratiques en marge de la légalité abondent. Ainsi, les patrons des bateaux étrangers mettent en œuvre des « arrangements », par exemple en créant des joint ventures avec une société locale, « sénégalisant » ainsi un chalutier français, espagnol ou chinois52. Autrement dit, la responsabilité des milieux politiques dans la crise de la pêche est manifeste ; elle est le résultat d’une fuite en avant, d’une part, de l’absence de politiques à long terme, d’autre part.

70Vu la complexité du secteur primaire, dans un pays sahélien fragilisé par des mesures politiques ponctuelles, sur fond d’extraversion et de visées productivistes, l’élaboration de politiques économiques cohérentes apparaît un défi difficile à relever. Et les populations sénégalaises de s’impatienter : les ruraux aspirent à des conditions de vie plus décentes, les citadins sont pressés d’accéder à des produits alimentaires compatibles avec leur budget. C’est sans doute aussi cette pression « par le bas » qui permet d’expliquer que, depuis des décennies, les programmes ponctuels abondent. Souvent, ils répondent d’abord à des objectifs politiciens, tout en manquant cruellement et de préparation sérieuse et de véritable évaluation digne de ce nom.

L’ère du président Wade : promesses d’abondance

  • 53 Voir « Organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’agriculture. Enjeux et état des lie (...)
  • 54 Voir « Sept nouvelles variétés de riz Nerica au Sénégal », Sénégal Business, 4 mars (...)
  • 55 « Sénégal : Le manioc, la meilleure alternative au riz pour les populations sénégalaises  (...)

71Au cours des deux présidences d’Abdoulaye Wade, initiées en 2000, la liste des programmes de « développement » s’est allongée de manière impressionnante et le rythme de leur mise en place s’est accéléré. Mais il est difficile d’y voir des éléments véritablement innovants : l’on pense au Programme national de développement agro-sylvo-pastoral (PNDASP), à la Stratégie de la croissance accélérée avec son insistance sur la « grappe » agriculture, au plan REVA (Retour vers l’agriculture), à la Loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (LOASP), etc. L’on constate que, dans un premier temps, le président Wade s’est donné comme objectif de réduire encore davantage le rôle joué par l’arachide, en favorisant les cultures vivrières. C’est dans cet esprit que fut décrété le Programme d’urgence de relance des cultures vivrières. D’où aussi le souci de promouvoir la culture du maïs, grâce au Programme spécial maïs qui, officiellement, aurait donné lieu à des résultats sans précédent, résultats que contestent cependant les organisations paysannes et les spécialistes (J. Faye et al., 2007, p. 83). Les agriculteurs, eux, se plaignent de la mauvaise qualité reproductrice des graines prélevées sur les récoltes, un phénomène jamais constaté avec les variétés traditionnelles, affirment-ils. L’État aurait-il distribué une variété génétiquement modifiée ? Les informations fiables font défaut, mais l’on sait que le président Wade était, d’une manière générale, favorable à l’introduction d’OGM53. Il encourageait aussi vivement la diffusion du riz Nerica (New Rice for Africa), une espèce hybride qualifiée de « plante miracle » par les uns – généralement ceux qui plaident pour l’agrobusiness –, de malédiction par les autres – les petits exploitants soucieux de sauvegarder leur patrimoine végétal qu’ils estiment mieux adapté aux réalités climatiques locales54. Sans avoir fait l’objet d’une évaluation, le Programme spécial maïs fut suivi du Programme spécial de relance de la filière manioc. Une fois de plus, il s’agissait d’un projet insuffisamment préparé, passant outre à l’organisation des marchés et aux habitudes de consommation, d’où de nouveau des résultats mitigés55.

  • 56 À titre d’information : pendant la campagne 2014-2015, les agriculteurs ont produit (...)
  • 57 Sources : « Une initiative indispensable. GOANA ou les mirages de l’abondance » (...)
  • 58 « Célébration, ce lundi, de la fête de la GOANA sur fond de polémique », Sud Quotidien, 2 (...)

72Pour ce qui est de la GOANA (Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance), élaborée à une allure qui peut laisser perplexe, à la suite des « émeutes de la faim » de 2008 déjà évoquées, les hauts responsables réitèrent l’impératif de l’indépendance alimentaire. L’objectif est impressionnant : produire non seulement 500 000 tonnes de paddy, mais aussi deux millions de tonnes de maïs et autant d’autres céréales, sans parler des trois millions de tonnes de manioc56. Impressionnant, peut-être, mais irréaliste lorsque l’on y regarde de près, car le Sénégal ne dispose pas suffisamment de terres agricoles pour réaliser ces objectifs, « à moins [que ne se produise] une progression des rendements agricoles qui serait unique dans l’histoire mondiale de l’agriculture, à moins de multiplier par un et demi la surface du pays57 ». Quelques mois seulement après le lancement de la GOANA, le président Wade et son équipe se sont félicités de l’efficacité des mesures prises. Une efficacité attribuée à tort à la seule GOANA. Car si les récoltes 2008-2009 ont été particulièrement bonnes – 408 000 tonnes de paddy contre 193 000 tonnes l’année précédente, doublement de la production de mil, presque triplement de celle du sorgho (Sénégal, 2010d, p. 269) –, ce n’est pas seulement parce que l’emblavement a connu un bond de plus de 50 % par rapport à la campagne précédente, mais aussi et surtout parce que la pluviométrie avait été exceptionnelle58. Ceci étant, même après la récolte 2008-2009, le bon niveau de la production de céréales s’est maintenu, car celle-ci dépasse 1,7 million de tonnes en 2009-2010 et 2010-2011, dont plus d’un million de tonnes de mil et 600 000 de tonnes de paddy.

  • 59 Voir « Sénégal : adieu la Goana », Jeune Afrique, 3 octobre 2012.

73L’équipe ayant succédé à celle de A. Wade a aussi tourné la page de la GOANA59. Désormais, les Sénégalais se moquent de ce nième programme parmi tant d’autres, devenu, dans le parler quotidien, synonyme du mirage de l’abondance… Quoi qu’il en soit, la production céréalière a augmenté dans des proportions remarquables.

74Quelles sont les conclusions que l’on peut tirer de ces évolutions au cours de l’histoire récente, notamment celles concernant le secteur primaire ? Indépendamment des grands projets agricoles présentés à force de campagnes médiatiques sans pour autant recueillir l’adhésion des populations, le secteur agricole a des potentialités indiscutables, pour autant que certaines conditions soient réunies. Parmi celles-ci une partie seulement peut en être maîtrisée par l’homme, grâce aux technologies de toutes sortes. Ces conditions vont d’une pluviométrie suffisante à la sécurisation du foncier, en passant par la facilité d’accès aux intrants, la professionnalisation de l’encadrement, des dispositifs d’irrigation entretenus correctement, un régime fiscal favorable, sans oublier, bien entendu, des circuits de distribution compétitifs et des prix de vente suffisamment attractifs.

75Les potentialités de l’agriculture font que, depuis 2008, la riziculture dans la vallée du fleuve bénéficie d’un afflux d’entrepreneurs agricoles jusqu’alors inconnu. Ils sont mieux formés que leurs prédécesseurs et surtout conscients des enjeux économiques. Le riz local est ainsi devenu compétitif par rapport au riz importé ; les qualités gustatives sont en train de s’améliorer grâce à l’investissement dans des décortiqueuses plus performantes – alors qu’auparavant des graines brisées et entières étaient mélangées – ; les grandes banques de la place disposent de lignes de crédit procurant aux riziculteurs le fonds de roulement indispensable à l’acquisition des semences entre les deux récoltes, levant par là une hypothèque de taille qui pesait jusqu’alors sur la seconde campagne de l’année.

76Le problème de fond n’est pas réglé pour autant. La culture d’arachide continue à représenter un enjeu de taille pour le Sénégal, pour des raisons symboliques, bien entendu, mais aussi parce qu’elle occupe toujours une partie non négligeable des paysans. Ceux-ci subissent les répercussions d’une politique caractérisée par des mesures relevant plus de la tactique imposée par le moment que par une vision à long terme ; ils sont pénalisés par la fixation tardive du prix de vente de l’arachide, voire par le non-paiement des bons d’achat. Autant d’éléments les poussant à contourner les circuits de commercialisation officiels, à chercher des solutions dans la débrouille. Autant d’éléments qui handicapent la création d’emplois et la génération de revenus pour les plus démunis, ceux qui mettent en valeur des terres peu fertiles et disposent seulement de petites parcelles éclatées. L’on peut craindre que la tendance actuelle qui, de fait, confirme la volonté de passer à l’agriculture d’entreprise, ne soit favorable qu’aux grands producteurs, ceux qui ont un capital financier et relationnel important. Ce sont eux qui vont recevoir les plus grandes quantités d’intrants, alors que les petits exploitants, eux, recevront les reliquats, et ceci souvent trop tard pour les valoriser. Dit autrement, les modalités de passage harmonieux d’une agriculture familiale à une agriculture plus moderne restent à inventer. Un processus politiquement difficile à gérer et humainement douloureux à accepter, car il risque de laisser de côté l’écrasante majorité des exploitants.

Un environnement institutionnel qui décourage…

77Depuis de nombreuses années, les décideurs poursuivent assidûment un objectif : faire du Sénégal un « pays émergent ». Alors qu’en 2012, l’on prétend que le pays est « sur la rampe de l’émergence » (Sénégal, 2012b), l’équipe du président Macky Sall présente le Plan Sénégal émergent (Sénégal, 2014e). Une seule voie semble guider ce plan, le respect des consignes des bailleurs de fonds. Ainsi, les décideurs veillent à améliorer le score de Doing Business et se félicitent lorsque Standard & Poor’s continue à maintenir la note de B+. Or, il est un fait que, derrière la façade d’une économie relativement prospère, le processus de démocratisation est mis à mal par des pratiques néo-patrimoniales des équipes au pouvoir, et l’on pense tout particulièrement à l’ère Wade. La paix sociale est loin d’être garantie et la colère gronde, et ceci semble-t-il de façon croissante. Décourageant la prise de risque et la projection dans le temps, cette situation ne peut être que préjudiciable à l’économie.

  • 60 « Deux jeunes tués, des locaux saccagés. Kédougou à feu et à sang », Sud Quotidien, 24 dé (...)
  • 61 Voir, entre autres, « Hivernage à Dakar. Le transport urbain en difficulté ! », (...)

78Les Sénégalais saisissent de plus en plus souvent l’occasion pour exprimer leur colère. Régulièrement, ce sont les problèmes liés à l’approvisionnement en électricité qui déclenchent des troubles. Comme lors des émeutes du dernier trimestre de 2008 déjà évoquées à plusieurs reprises. Peu après – à Kédougou, à l’extrême sud-est du pays, là où le sol recèle des richesses minières, dont de l’or – des jeunes, protestant contre la vie chère et réclamant des éclaircissements par rapport à la gestion des ressources, mettent le feu et saccagent des locaux administratifs. La répression est violente, disproportionnée par rapport aux menaces réelles pour l’ordre public60. Enfin, durant le mois de carême de 2009, alors que des pluies particulièrement abondantes ont inondé de nombreux quartiers périphériques de la capitale, les coupures d’électricité sont fréquentes, représentant une épreuve supplémentaire pour les populations. La colère est d’autant plus grande que les hauts responsables politiques pêchent par leur absence sur le terrain61.

  • 62 Et accédé au rang de ministre sous la présidence de Macky Sall.

79Les événements qui se sont produits en juin 2011 représentent une autre preuve du malaise social. Des manifestations particulièrement violentes ont eu lieu non seulement dans la capitale, mais aussi dans des villes secondaires. L’étincelle qui avait mis le feu aux poudres : à quelques mois des élections présidentielles, le président – âgé de 85 ans – veut faire approuver une réforme de la constitution consistant à instaurer un « ticket présidentiel », c’est-à-dire un « tandem » composé d’un président et d’un vice-président. L’élection des deux serait acquise avec seulement 25 % des suffrages exprimés. L’objectif ne fait pas de doute, il s’agit de permettre à l’impopulaire Karim Wade – celui même qui, en 2009, a échoué aux élections municipales à Dakar – de succéder à son père. La rue sénégalaise s’enflamme et même le chanteur Youssou N’Dour, icône indétrônable de la chanson sénégalaise62, sort de sa réserve et dénonce « une forfaiture » susceptible « d’hypothéquer l’avenir du pays ». Les milieux diplomatiques s’émeuvent, eux aussi, craignant pour la démocratie. Le projet de loi est retiré, le mois de carême semble calmer les esprits.

  • 63 Voir « Le Pr Souleymane Bachir Diagne analyse les élections : “Il faut les lire (...)
  • 64 Sources : allocution lors de la fête nationale du 4 avril 2009 (précédemment sur : [http: (...)

80Ces manifestations de colère ne sont que l’expression d’un grand malaise, engendré par la déception qu’a progressivement fait naître « l’alternance ». D’opposant populiste, Maître Abdoulaye Wade s’est mué en un chef de l’État omniprésent, sur les écrans de la télévision nationale, mais aussi dans les grands forums internationaux où il fait régulièrement office de « sage ». En 2007, Me Wade avait encore été renouvelé dans ses fonctions avec un score appréciable. La même année, sa majorité avait aussi remporté les élections législatives. Mais les élections régionales d’avril 2009 furent un vote de sanction par excellence, pour ce doyen des chefs d’États africains qui gérait les affaires de « son » pays en privilégiant l’opacité et les pratiques politiques « informelles ». Ce qui semble faire défaut c’est – pour le dire avec le philosophe sénégalais Bachir Diagne – une « politesse démocratique élémentaire » qui consisterait à être véritablement à l’écoute des populations et à proposer des choix politiques, un modèle de société et des projets économiques à long terme63. À la place, niant le malaise qui règne dans la société sénégalaise, l’équipe au pouvoir semblait avoir pris l’habitude de gérer les affaires du pays par à-coups et revirements spectaculaires. Les discours d’Abdoulaye Wade prononcés lors du Nouvel An et de la fête nationale représentaient autant d’occasions par excellence pour annoncer les nombreux nouveaux grands projets du président, grands projets qui, généralement confiés à l’une des agences évoquées et donnant lieu à des « dépassements budgétaires », échappaient à l’approbation des élus. Ces mêmes grands projets pouvaient aussi faire l’objet d’un verdict présidentiel tout aussi spectaculaire qu’inattendu. Ainsi, commentant les effets de la GOANA, le président en vantait ses « excellents résultats […], fruit d’un engagement patriotique sans précédent », pour, cinquante jours plus tard seulement, regretter que « les moyens colossaux alloués à la GOANA, la subvention des semences, [n’aient pas donné lieu à un] impact positif sur le niveau de vie des paysans, leurs conditions de vie64 ».

  • 65 Sources : « Sénégal. Rupture de contrat, menaces, volte-face, environnement juridique : l (...)

81Les revirements du président et ses interprétations cavalières des lois et contrats devaient aussi être préjudiciables aux relations avec des investisseurs et bailleurs étrangers. Le projet d’une nouvelle ville industrielle à Diamniadio, à 35 kilomètres de la capitale a défrayé la chronique65. Prévu sur 6 500 hectares, plateforme et zone de servitudes comprises, et doté d’infrastructures de pointe, ce projet devait bénéficier d’un don d’un milliard de USD, octroyé dans le cadre du Millenium Challenge Account. Les conditions posées par les États-Unis consistaient notamment en l’administration de la plate-forme par un opérateur privé choisi par un appel international. Or, côté sénégalais, tout a été mis en place pour que l’APIX, privatisée pour l’occasion, devienne l’autorité de régulation et que la gestion soit confiée à un opérateur privé, Jafza, une société basée à Dubaï. Cette interprétation avait tout pour déplaire aux partenaires américains, d’où leur retrait. Un projet de « rechange », bien plus réduit et nécessitant, cette fois-ci, de l’endettement, semblait tout autant convenir aux autorités sénégalaises, un projet impliquant la même société Jafza. Or, il semblerait que compte tenu de la crise financière et de perspectives plus favorables au Ghana voisin, la société arabe ait pris le parti de renoncer à son investissement au Sénégal.

  • 66 Sources : « Destruction du stade Assane Diouf : Lu Shaye confirme son remplacement par un (...)

82Un autre revirement était lié à la construction d’un centre des affaires, Kawsara. Il mettait en cause les relations avec un promoteur immobilier chinois, au sujet de la réalisation d’un projet de 200 millions USD qui devait voir la destruction d’un stade66. Sous la double pression des jeunes du quartier et de la défaite de la majorité présidentielle aux élections régionales de mars 2009, le projet fut stoppé… pour renaître de ses cendres deux mois plus tard. Temporairement.

  • 67 Pour ce paragraphe, voir « Sénégal : rapport Afrimap-Osiwa sur la bonne gouvern (...)
  • 68 « La présidentielle en ligne de mire », Jeune Afrique, 14 mai 2009.
  • 69 Voir Coulibaly, 2009. Certains ouvrages ont mis des années avant d’être réceptionnés, com (...)

83Une certaine légèreté caractérise le rapport qu’entretenaient le président Wade et son proche entourage avec les institutions de la République67. Ainsi, le doute semblait planer par rapport au vote effectif de la loi permettant les expropriations foncières dans le cadre du projet de Diamniadio mentionné ci-dessus. Certains informateurs prétendaient que cette loi n’aurait jamais été votée, d’autres encore parlaient d’un vote fait par une dizaine de députés. Les observateurs, que ce soit Transparency International ou l’Open Society Initiative for West Africa, constataient de nombreux écarts par rapport à la « bonne gouvernance » ; les magistrats sortaient de leur réserve pour regretter des atteintes à l’indépendance qui est censée caractériser leur métier. Report d’élections, dissolution arbitraire de conseils municipaux, ruraux et régionaux, emprisonnement d’opposants politiques et d’entrepreneurs, la liste est longue des faux pas commis sous « l’alternance ». En neuf ans, la constitution avait connu seize amendements dont celui évoqué plus haut. Personnage central dans les manœuvres autour de la succession du président Wade : son fils Karim, à partir 2001 conseiller auprès du chef de l’État68. En tant que directeur de l’ANOCI, Karim Wade s’était vu reprocher une gestion opaque donnant lieu à d’importants dépassements budgétaires69. Une nouvelle étape fut sa candidature malheureuse à la mairie de Dakar en mars 2009, nous l’avons évoquée. Lors du remaniement ministériel de la même année, Karim Wade, « privé » de la mairie de Dakar, s’était néanmoins vu confier l’un des ministères les plus puissants parmi les trente-cinq que comptait le gouvernement.

  • 70 « Sénégal : la société civile dans tous ses états », Jeune Afrique, 16 août 2011.

84En attendant les échéances électorales, la société civile s’organisait, sous la houlette du mouvement Benno Siggil Senegal. Elle était encouragée par des jeunes rappeurs ayant lancé le mouvement « Y’en a marre » (sic !). Comme avant l’accession au pouvoir d’Abdoulaye Wade, la jeunesse semblait jouer un rôle décisif dans l’expression du ras-le-bol généralisé. La réponse du pouvoir ne se fit pas attendre : surveillance rapprochée des journalistes et intimidations à l’adresse des opposants les plus virulents. On peut en prendre pour preuve l’arrestation d’un des co-fondateurs de « Y’en a marre », retenu pendant trente heures à la Division des investigations criminelles70.

  • 71 Il s’agit de près de 12 millions de documents confidentiels issus du cabinet d’avocats pa (...)

85La dernière page de la carrière de Karim Wade est loin d’être écrite. Incarcéré depuis 2014 pour enrichissement illicite et détournements de fonds, son nom est mentionné dans les Panama Papers, tout comme celui de l’architecte Goudiaby Atepa, président de la Bourse des valeurs et proche de la famille Wade71. De quoi mettre en émoi la presse en ce deuxième trimestre 2016, et d’attiser le courroux des Sénégalais.

86Mais revenons, pour finir, au paysage politique, tel qu’il se présentait jusqu’à la veille des élections présidentielles en 2012. Il n’était pas nécessairement à même d’inspirer confiance au milieu des affaires, qu’il s’agisse d’entrepreneurs étrangers ou nationaux. Les premiers, refroidis par la crise qui sévit depuis 2008 risquaient de préférer des pays moins exposés à des revirements incessants de la part de leurs décideurs. Pour ce qui est des entrepreneurs nationaux, bien qu’habitués aux incessantes volte-face du milieu politique, éprouvaient des difficultés à se projeter dans l’avenir et ceci d’autant plus que, depuis des années, le Sénégal semble être en campagne électorale. Dans un tel contexte, la tentation est grande de se tourner vers des solutions de débrouillardise individuelle, notamment sous forme de « coups commerciaux » immédiatement rentables. Les conséquences néfastes pour l’emploi sont évidentes.

Conclusion

87Le discours quelque peu stéréotypé de l’économie néo-libérale voudrait que la main-d’œuvre – sa cherté et sa qualification insuffisante – soit considérée comme la source majeure des difficultés auxquelles se heurte l’appareil de production. Or, les déclarations des dirigeants d’entreprises dûment enregistrées au Sénégal sont plus nuancées. Certes, les conditions d’embauche et de licenciement sont lourdes et l’on est loin d’une certaine flexibilité qui ne pourrait être que bénéfique. Mais il est aussi manifeste que la grande jeunesse des actifs, d’une part, l’offre grandissante d’enseignements et de formations professionnelles de qualité, d’autre part, représentent un atout et que les entreprises n’éprouvent pas trop de difficultés à embaucher du personnel qualifié. Il n’en reste pas moins que la productivité de la main-d’œuvre est faible, surtout lorsqu’elle est comparée avec celle des pays du Nord. C’est là un handicap tant pour les entreprises d’une certaine envergure que pour les petites unités de type informel. Mais ce handicap semble intériorisé et accepté, tant d’autres éléments exercent des effets bien plus pénalisants pour les activités économiques.

88Ainsi, la dégradation de l’environnement naturel est préoccupante, une dégradation dont les origines remontent à l’époque coloniale et renvoient au souci productiviste par rapport au secteur primaire. L’on pense aussi à la cherté des consommations intermédiaires et les difficultés d’accès. C’est tout particulièrement l’électricité qui en est concernée, à un degré tel qu’en 2010, les nombreux délestages auraient été responsables d’une réduction d’un quart de la croissance globale, 4,2 %, déjà insuffisante pour relever les nombreux défis auxquels est confronté le pays. Ces délestages ne pénalisent pas seulement les Sénégalais en tant qu’opérateurs économiques – le tailleur dont la machine à coudre s’arrête, le menuisier qui ne peut se servir de sa scieuse, c’est-à-dire tous ces petits patrons qui ne disposent pas de groupe électrogène –, ils les handicapent aussi dans leur quotidien de consommateurs, lorsque les denrées congelées s’avarient et que pour l’éclairage il faut recourir à la bougie. Depuis une vingtaine d’années, la résolution de ce problème crucial est présentée comme étant quasiment imminente, sans que l’on ressente une amélioration notable dans la vie de tous les jours. Et la consommation de continuer à croître, accélérée par l’urbanisation et l’augmentation indiscutable du niveau de vie de certaines couches sociales, les quelques rares gagnants de la situation actuelle. Par ailleurs, les décideurs, préoccupés par le classement effectué par les agences internationales, proposent des mesures ponctuelles et à court terme, sans avoir apparemment une vision d’ensemble des politiques publiques à mener. Rien d’étonnant alors que les populations semblent perdre confiance en leurs décideurs et qu’au lieu de se projeter dans l’avenir, ils contournent les risques autant que faire se peut, en privilégiant des options réversibles.

Notes

1 Voir Banque mondiale, 2007, p. 39-40, qui s’appuie sur les documents du « Investment Climate Assessment » de la Banque Mondiale [http://web.worldbank.org/]. On peut aussi consulter Diagne, 2002.

2 Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, cette présence allait se prolonger davantage, du fait d’une implantation particulièrement massive d’entreprises françaises jusqu’à une date récente.

3 Productivité exprimée en dollar US converti en pouvoir d’achat, prix constants 2005. Voir Heston A., Summers R. et Aten B., Penn World Table Version 7.0, Center for International Comparisons of Production, Income and Prices at the University of Pennsylvania, mai 2011, [http://pwt.econ.upenn.edu/php_site/pwt70/pwt70_form.php]. Pour le Sénégal, cette source ne fournit pas de données récentes sur la productivité des travailleurs ; il n’existe pas non plus de données sur la production par heure travaillée, d’où le choix de la productivité des adultes. Sur les problèmes de mesures de la productivité du travail, voir Ahmad et al., 2005.

4 En revanche, si nous limitons les comparaisons à des pays sub-sahariens qui partagent certaines caractéristiques comme la prépondérance du secteur primaire, on s’aperçoit que la productivité du travail est, au Sénégal, plus élevée qu’en Côte-d’Ivoire ou au Mali, de 12 % et 44 % respectivement.

5 Sources : Penn World Table Version 7.0 et Ndulu, 2007.

6 Soit des gains de productivité de 13,6 % pour les télécommunications, de 13,3 % pour les activités immobilières. Source : Banque mondiale, 2007, Annexes, p. 31. Base des calculs : comptabilité nationale et Banque mondiale.

7 « Friperie et produits asiatiques, redoutables concurrents de l’artisanat sénégalais », Le Soleil, 24 mars 2009 ; « Concurrence des produits chinois et “loumas”, insécurité… : Colobane, un marché en perte de vitesse », Le Soleil, 26 juillet 2011. Le commerce de la friperie est, lui aussi, de plus en plus contrôlé par des Chinois.

8 Les services fiscaux ne sont cependant pas dupes : alors que tel entrepreneur à la marge de « l’informel » ne déclare pas ses revenus, il n’a pas non plus la possibilité de récupérer la TVA payée sur les consommations intermédiaires.

9 Voir le site [http://www.doingbusiness.org/], accès avril 2016.

10 Une terminologie assez virulente par rapport au travail caractérisait d’ailleurs les premiers rapports où l’on parlait de « Hiring and Firing », dénomination remplacée, en 2007, par « Employing Workers ».

11 Pour plus de détails, voir [http://www.doingbusiness.org/methodology/employing-workers et http://www.doingbusiness.org/data/exploretopics/employing-workers], accès avril 2016.

12 Le nombre d’astérisques traduit l’ampleur des contraintes pesant sur les entrepreneurs. Trois astérisques signifient des contraintes fortes. Données relatives à 2013.

13 Pour les paragraphes qui suivent, on s’inspire notamment de BIT et Prodiaf, 2008 ; Diop B., 1992 ; Fall B., 2011 ; Gueye O., 2011 ; Sooth, 1992 ; Webster, 2008.

14 Voir le roman d’Ousmane Sembène, Les bouts de bois de Dieu, qui raconte l’histoire de la grève des cheminots en 1947-1948 du Dakar-Niger.

15 Privatisation abandonnée à la suite d’un certain nombre de déconvenues. Le syndicat de cette société productrice d’électricité, Sutelec, est sans doute l’un des syndicats les plus craints du pays.

16 Pour la suite, on s’inspire notamment de Dioh, 2011, et de l’émission radiophonique « L’entreprise citoyenne », Radio Sénégal Internationale, 26 janvier 2013. Je remercie Amath Ba, concepteur et animateur de l’émission, d’avoir bien voulu me communiquer l’enregistrement de cette émission.

17 [http://wbginvestmentclimate.org], accès avril 2016. En dehors du rapport annuel de Doing Business, les travaux comprennent des enquêtes auprès des entreprises et une banque de données sur plus de 130 000 entreprises dans le monde.

18 Les entreprises de type formel peuvent cependant tout aussi externaliser certaines contraintes, en sous-traitant des opérations à des petites unités informelles qui, elles, prennent davantage de libertés par rapport à la réglementation.

19 Voir « Délocalisation des services informatiques (offshoring). Le Sénégal, 26e destination la plus attractive », Sud Quotidien, 26 mai 2009.

20 Les banquiers, eux, soulignent le fait que peu de projets présentés sont effectivement bancables.

21 Un exemple patent nous est présenté par Schueth, 2011.

22 Pari non gagné : dans le classement 2014, le Sénégal avait perdu deux points, pour améliorer sensiblement son score l’année d’après.

23 Voir les différentes livraisons des Perspectives économiques en Afrique de l’OCDE, accessibles en ligne, [http://www.oecd.org/]. Voir le site de la Compagnie ivoirienne d’électricité, [http://www.groupecie.net] et celui de la Sénélec, [http://www.senelec.sn/]. Les comparaisons sont cependant difficiles, puisque les différentes catégories de prix ne se recoupent que partiellement. Voir aussi UPDEA (Union des producteurs, transporteurs et distributeurs d’énergie électrique en Afrique), Étude comparative des tarifs d’électricité pratiqués en Afrique, décembre 2009, 16 p., [http://www.updea-africa.org/].

24 Voir, entre autres, « Une marée humaine assoiffée de révolte. Marche des populations de Guédiawaye contre la vie chère », Sud Quotidien, 8 décembre 2008.

25 Source : « Délestage prolongé à Pikine, Guediawaye, Parcelles, Thiaroye. Toute la banlieue dakaroise dans le noir », Sud Quotidien, 18 août 2009. Voir aussi « Coupures intempestives d’électricité. Les populations menacent de descendre dans les rues », Sud Quotidien, 18 août 2009.

26 Voir « Électricité : le coût des délestages », Le Soleil, 30 septembre 1994.

27 Cf. Sénégal, 2011b. La construction d’une centrale nucléaire a été évoquée pendant un temps très limité ; elle semble relever essentiellement d’un effet d’annonce bien connu en temps de pannes récurrentes. Voir « Sénégal : Karim Wade reçu par Sarkozy. Une centrale nucléaire civile au Sénégal », Le Soleil, 27 août 2008 ; « Centrale nucléaire. Retour sur une chimère de Wade », S3 : Science-Société-Sénégal. Premier blog scientifique du Sénégal, 4 mars 2011, [http://aronts3.mondoblog.org/?s=centrale+nucl%C3%A9aire&x=0&y=0], accès avril 2016 (erreur en 2017).

28 « Sénégal : la Sénélec se lie avec les producteurs privés », jeuneafrique.com, 8 mai 2013 ; « Fin des coupures d’électricité : les Sénégalais invités à garder leur mal en patience… jusqu’en 2017 », seneweb.com, 16 mai 2013.

29 Voir « Rapport Cour des comptes sur la gestion 2005-2008. Les plaies de la Sénélec », La Gazette, 2 février 2011 ; « Contentieux entre la Sénélec et ses fournisseurs », La Gazette, 19 février 2011 ; « Sénégal : Karim Wade et la guerre du pétrole », Jeune Afrique, 24 février 2011.

30 Sources : Agence autonome des travaux routiers (AATR), [http://www.aatr.sn/] et Ageroute, [http://www.ageroute.sn/].

31 Voir Teravaninthorn et Raballand, 2008.

32 Les prix ont considérablement baissé en janvier 2015. Ainsi, le président Sall a pu honorer l’une de ses promesses électorales.

33 Source : « Déraillement du train express Bamako-Dakar. Le Rta/S dénonce le laxisme criminel des autorités », Sud Quotidien, 27 mai 2009. Voir aussi « Accident dans le département de Goudiry. Le train Dakar-Bamako déraille et fait cinq morts et 37 blessés », Le Soleil, 15 mai 2009.

34 Les valeurs du LPI sont comprises entre 1 (valeur la plus faible) et 5. Le score moyen des pays ouest-africains est de 2,46, celui du Sénégal de 2,62. Quant à la qualité des expéditions, elle est notée 3,03 pour le Sénégal contre 2,97 pour la Grèce, par exemple. Voir [http://lpi.worldbank.org/] ainsi que Briceño-Garmendia et al., 2011.

35 On pense notamment aux inondations ayant frappé le nord du pays en 2002, causant d’importantes pertes de bétail.

36 Source : [http://perspective.usherbrooke.ca/].

37 « Crise alimentaire : GOANA ou la pluie des milliards », Sud Quotidien, 25 avril 2008. On lira aussi avec intérêt la contribution du même auteur : « Une initiative indispensable. GOANA ou les mirages de l’abondance », Sud Quotidien, 24 avril 2008.

38 Sources : « Greenpeace dénonce le “pillage organisé” des eaux sénégalaises sous le régime de Wade », Jeune Afrique, 11 octobre 2012.http://www.jeuneafrique.com/173905/politique/
greenpeace-d-nonce-le-pillage-organis-des-eaux-s-n-galaises-sous-le-r-gime-de-wade/
 ; Greenpeace, 2013.

39 Voir Surpêche. La fin du poisson à foison, documentaire (42’, Allemagne, 2013), réalisé par Frank Diederichs, diffusé sur Arte le 27 janvier 2015.

40 Sources : « Au Sénégal, la ruée des Russes et des Asiatiques sur la pêche artisanale », Le Monde, 30 janvier 2014 ; « Senegal fears its fish may be off the menu for local consumption », The Guardian, 18 février 2014.

41 Le prix des céréales non transformées a augmenté de 43 % au courant de l’année 2008, soit dix fois plus que l’indice global des prix à la consommation. Source : Indice harmonisé des prix à la consommation, ANSD, décembre 2008.

42 « Sénégal. Le riz local enfin apprécié », Syfia Info, 19 septembre 2008 et « Sénégal. Le riz local enfin apprécié », AllAfrica.com, 20 janvier 2009. Voir aussi Konaté et Diarra, 2008.

43 Il s’agit d’un poisson d’élevage de la famille des siluridae. Voir « Poisson inéquitable. Le cauchemar de Dakar », NouvelObs.com, no 2299, semaine du 27 novembre 2008. Au sujet du panga, on peut consulter [http://changerlereve.blogspot.com/2009/02/pas-cher-le-panga.html], accès avril 2016. Depuis ce premier reportage, d’importantes mesures de « blanchiment » de la production du panga ont été prises.

44 Voir « Trafic de bois au Sénégal : la Casamance menacée de déforestation d’ici deux ans », Sciences et avenir, 26 mai 2016, [http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/ 20160526.AFP6496/trafic-de-bois-au-senegal-la-casamance-menacee-de-deforestation- d-ici-deux-ans.html], accès 30 mai 2016 (erreur en 2017). El Ali Haidar a été élevé au rang d’officier de l’Ordre national du mérite et de l’Ordre de la légion d’honneur française pour son engagement en faveur de la protection de l’environnement et du développement durable. Voir le site de l’organisation écologiste Océanium qu’il avait présidée pendant plusieurs années : [http://www.oceaniumdakar.org], accès 30 mai 2016.

45 Source : calculs à partir de Sénégal, 2013c, p. 297-299.

46 « Un entrepreneur agricole chinois au Sénégal », jalons, 8 juin 2009. À partir de l’émission Complément d’enquête (France 2, 8 juin 2009), [http://fresques.ina.fr/jalons/impression/fiche-media/InaEdu05245/
un-entrepreneur-agricole-chinois-au-senegal.html
], accès avril 2016.

47 Voir, par exemple, « Tambacounda-GOANA et sécurisation de leurs terres. Pour une évaluation sans complaisance », Sud Quotidien, 18 octobre 2008 ; « Fury over Senegal’s private land buyers », farmlandgrab.org, 24 juin 2014, [http://farmlandgrab.org/23654], accès avril 2016.

48 Voir « Sénégal : contribution de la filière biocarburant au développement local », riaed (Réseau international d’accès aux énergies durables), 18 mars 2009, [http://www.riaed.net/] ; « Sénégal : inauguration de la première usine de bioéthanol », riaed, 4 décembre 2007 ; « Le Sénégal se fixe une production de 1,2 milliard de litres d’éthanol brut », Agence de presse sénégalaise, 13 avril 2010 ; « Dégâts collatéraux des engins de Senhuile-Senéthanol : des squelettes de morts de 37 villages déterrés », farmlandgrab.org, 21 janvier 2015; [http://farmlandgrab.org/24450], accès avril 2016 ; « Des terres agricoles pour le plus offrant », Natura-Sciences.com, 11 avril 2011, [http ://www.natura-sciences.com/agriculture/accaparement-des-terres-agricoles.html], accès août 2015.

49 Pour les paragraphes suivants, voir aussi Fall B., 1997 ; Faye J. et al., 2007 ; Touré, 2002 ; Van Chi-Bonnardel, 1978.

50 Source : Antil, 2013, p. 8. Il s’agit d’une moyenne. Il est évident que la riziculture recourant à des motopompes coûte plus cher que le riz de culture irriguée telle qu’elle est pratiquée dans la vallée du fleuve Sénégal.

51 « Riz importé en Afrique : une chaîne alimentaire juteuse », Financial Afrik, 13 octobre 2013.

52 Selon l’activiste environnementaliste George Monbiot, cette formule serait même imposée par l’Union européenne. Voir « “Food Colonialism” Increasing Hunger in Africa », Modern Ghana News, 6 mai 2009.

53 Voir « Organismes génétiquement modifiés (OGM) dans l’agriculture. Enjeux et état des lieux en Afrique de l’Ouest », Le grand soir, 7 septembre 2005, [http://www.legrandsoir.info/spip.php ?article2645], accès avril 2016 ; « Abdoulaye Wade favorable à la culture des OGM au Sénégal », Afrik.com, 17 mai 2008.

54 Voir « Sept nouvelles variétés de riz Nerica au Sénégal », Sénégal Business, 4 mars 2009 ; « Introduction de semences de riz Nerica au Sénégal, un autre piège pour les petits producteurs », Sénégal Business, 6 avril 2009 ; GRAIN, 2009.

55 « Sénégal : Le manioc, la meilleure alternative au riz pour les populations sénégalaises », Walfadjri, 9 mai 2008.

56 À titre d’information : pendant la campagne 2014-2015, les agriculteurs ont produit 690 000 tonnes de maïs et autres céréales ainsi que 260 000 tonnes de manioc. Source : ANSD, Bulletin mensuel de statistique, mai 2015, p. 9-10.

57 Sources : « Une initiative indispensable. GOANA ou les mirages de l’abondance », Sud Quotidien, 24 avril 2008 ; « Crise alimentaire : GOANA ou la pluie des milliards », Sud Quotidien, 25 avril 2008. Ces deux textes sont rédigés par Jacques Faye, ancien directeur de l’ISRA (Institut sénégalais de la recherche agricole). Voir aussi : « GOANA : Wade aurait mal plagié un jeune auteur ! », Sud Quotidien, 25 mai 2008. On peut rappeler qu’en 2008-2009, les céréales (mil, sorgho, maïs riz, fonio) ont connu une récolte record de 1,8 million de tonnes, soit une augmentation de 136 % par rapport à la campagne précédente. On est donc encore loin des 4,5 tonnes projetés par la GOANA. La récolte du manioc a triplé, passant à plus de 900 000 tonnes. Là aussi, on est loin des 3 millions de tonnes envisagés. Voir Ubifrance et Missions économiques, 2009.

58 « Célébration, ce lundi, de la fête de la GOANA sur fond de polémique », Sud Quotidien, 27 octobre 2008 ; « Le mensonge statistique est un crime économique », Sud Quotidien, 28 octobre 2008.

59 Voir « Sénégal : adieu la Goana », Jeune Afrique, 3 octobre 2012.

60 « Deux jeunes tués, des locaux saccagés. Kédougou à feu et à sang », Sud Quotidien, 24 décembre 2008 ; « Sénégal-Kédougou. Lourdes peines pour les émeutiers. Film d’un procès », Sud Quotidien, 11 janvier 2009. On peut aussi voir les différents rapports d’Amnesty International : [http://thereport.amnesty.org/fr/regions/africa/senegal]. Plus généralement, on regardera avec intérêt le film de Joseph Gaï Ramaka Et si Latif avait raison ! (2006), ainsi que la vidéo Wade vu par Canal Plus (2006) : [http://www.dailymotion.com/video/x58q4_wade-vu-par-canal-plus], accès avril 2016.

61 Voir, entre autres, « Hivernage à Dakar. Le transport urbain en difficulté ! », Sud Quotidien, 25 août 2009 ; « Dans la banlieue de Dakar inondée, on mange et on prie “dans l’eau” », leral.net, 27 août 2009. Ces inondations n’ont rien d’exceptionnel, elles sont récurrentes dans la banlieue dakaroise. Voir [https://www.youtube.com/watch?v=WZjX5ecSJUM], situation en 2013 ; accès avril 2016.

62 Et accédé au rang de ministre sous la présidence de Macky Sall.

63 Voir « Le Pr Souleymane Bachir Diagne analyse les élections : “Il faut les lire comme un miroir qui a été tendu à la société sénégalaise” », Sud Quotidien, 13 juillet 2008.

64 Sources : allocution lors de la fête nationale du 4 avril 2009 (précédemment sur : [http://www.gouv.sn/spip.php?article788]) et « Après la Goana : Wade lance “la révolution verte” », Sud Quotidien, 20 mai 2009.

65 Sources : « Sénégal. Rupture de contrat, menaces, volte-face, environnement juridique : les obstacles des investisseurs », PressAfrik, 2 avril 2009 ; « Sénégal : financement de la plateforme de Diamniadio, les Américains disent niet », Sud Quotidien, 28 juin 2007 ; « Enquête d’Abdou Latif Coulibaly : le Sénégal renonce à 500 milliards FCFA. Comment et pourquoi ? », Sud Quotidien, 16 juillet 2007 ; « Hypothèque sur la zone économique spéciale : Jafza s’éloigne du Sénégal », Le Quotidien, 16 janvier 2009.

66 Sources : « Destruction du stade Assane Diouf : Lu Shaye confirme son remplacement par une cité des affaires », Sud Quotidien, 14 avril 2008 ; « Cité des affaires Kawsara. Les promoteurs gardent espoir », Le Soleil, 11 mai 2009 ; « Projet Kawsara : le site du stade Assane Diouf refilé aux Chinois », L’As, 19 mai 2009.

67 Pour ce paragraphe, voir « Sénégal : rapport Afrimap-Osiwa sur la bonne gouvernance. L’alternance, maître dans l’art de violer l’état de droit », Walfadjri, 8 décembre 2008 ; « Mal gouvernance au Sénégal. La gestion à deux vitesses », Sud Quotidien, 18 mai 2009 ; « Les manœuvres pour l’après Wade. La face cachée d’une vice-présidence », Nettali, 17 mai 2009 ; « Projet de révision du mandat présidentiel : Wade ruse avec l’article 27 », Le Quotidien, 13 mai 2008.

68 « La présidentielle en ligne de mire », Jeune Afrique, 14 mai 2009.

69 Voir Coulibaly, 2009. Certains ouvrages ont mis des années avant d’être réceptionnés, comme le tunnel de la corniche, en réparation permanente.

70 « Sénégal : la société civile dans tous ses états », Jeune Afrique, 16 août 2011.

71 Il s’agit de près de 12 millions de documents confidentiels issus du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, détaillant des informations sur plus de 214 000 sociétés offshore. Voir [https://panamapapers.icij.org/] ; « Fraude fiscale – Panama Papers : l’Afrique n’y échappe pas », Le Point Afrique, 4 avril 2016, [http://afrique.lepoint.fr/actualites/panama-papers-l-afrique-n-y-echappe-pas-04-04-2016-2029808_2365.php], accès avril 2016 ; « Panama Papers – Sénégal : Pierre Goudiaby Atepa : un parcours à part », Le Point Afrique, 14 avril 2016, [http://afrique.lepoint.fr/economie/panama-papers-senegal-pierre-goudiaby-atepa-un-parcours-a-part-13-04-2016-2032065_2258.php], accès avril 2016.

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