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    Plan détaillé Texte intégral Accéder au travail, défendre les acquis « Seul le travail paie », mais plus pour les uns que pour les autres… L’étranger, terre promise Conclusion Notes de bas de page

    Sénégal, le travail dans tous ses états

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre I : Trouver du travail et en vivre…

    p. 33-63

    Texte intégral Accéder au travail, défendre les acquis Intermédiation étatique et marché L’utilité des liens personnels Baadolo versus Lionceaux « Seul le travail paie », mais plus pour les uns que pour les autres… De l’importance du numéraire La pluriactivité comme mode de vie Les deux extrêmes : faire feu de tout bois… … et rouler en 8×8 L’étranger, terre promise Émigres sénégalais : boat-people, commerçants et intellectuels Transferts d’argent et villas sur la VDN Conclusion Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Le « marché du travail » au Sénégal n’est pas un marché comme les autres où se confronteraient aisément offre et demande, quasiment atomisées toutes les deux, et où l’équilibre s’installerait plus ou moins spontanément, grâce à la péréquation des prix, ce principe central des approches classiques de l’économie. Bien au contraire, c’est un marché profondément déséquilibré où il y a, d’un côté, une offre de travail pléthorique et, de l’autre, une demande extrêmement réduite, exprimée par un nombre limité d’employeurs potentiels : des entreprises locales ayant pignon sur rue, quelques grandes sociétés, internationales ou non, et l’État employeur. Plus encore, l’offre de travail est très hétérogène, avec une écrasante majorité d’actifs disposant d’un niveau d’éducation et de formation professionnelle faible et une petite minorité de diplômés ayant fréquenté parfois les universités les plus prestigieuses du monde ; et, entre les deux, une couche intermédiaire dont « l’employabilité » laisse souvent à désirer.

    2De la complexité de ce « marché » pas comme les autres découle aussi la grande panoplie de situations de vie concrètes, une panoplie dont l’élargissement est perceptible de visu. L’observation du vécu des acteurs et l’interprétation de leurs paroles sont sans équivoque : les richesses créées par le travail sont fort mal réparties et l’écart se creuse entre les nantis et les nécessiteux. Pour s’en apercevoir, il suffit de parcourir les banlieues dakaroises de Pikine et Guediawaye, de se rendre ensuite à la Pointe des Almadies, le must pour ce qui est des lieux de résidence dans la capitale ; et de passer aussi par le « plateau », le centre-ville, avec son nombre croissant de mendiants regroupés à certains points stratégiques, en quête de quelques pièces de monnaie destinées à la DQ comme on dit, la « dépense quotidienne ». On peut aussi quitter Dakar pour se rapprocher des villages où habitations sans eau courante et smartphones dernier cri font bon ménage1.

    3C’est donc de ce vécu au quotidien qu’il sera question dans ce chapitre. Tout modestement, il s’agira d’en éclairer certains aspects de ce vécu, ceux qui sont les plus frappants, en nous référant surtout à Dakar, véritable concentré d’oppositions. Celles-ci se manifestent, tout d’abord, au moment où les Sénégalais vont faire les démarches pour accéder au « marché du travail » ou pour améliorer leur situation professionnelle. Elles se manifestent aussi au niveau de leurs habitudes de consommation qui sont de plus en plus façonnées par la globalisation2, avec des variations considérables, en fonction de la couche sociale. Rien d’étonnant alors que beaucoup de jeunes – et de moins jeunes – rêvent d’un ailleurs, celui des pays riches notamment, un ailleurs supposé apporter la solution des problèmes rencontrés au Sénégal et faciliter l’ascension sociale, la leur tout d’abord, mais aussi celle des parents restés « au pays ».

    Accéder au travail, défendre les acquis

    Intermédiation étatique et marché

    4Les segmentations du « marché du travail » sont multiples. Les modalités susceptibles de mettre en relation l’offre et la demande de travail le sont tout autant. Il y a, en effet, peu de points communs entre les « petites bonnes » qui attendent, rue Wagane Diouf au centre-ville de Dakar, assises par terre, pour être embauchées par une « patronne » résidant dans un quartier chic de la capitale, d’une part, et une prise de contact par un « chasseur de tête » ayant repéré un candidat approprié, d’autre part. Comme il y a peu de points communs entre le manœuvre qui patiente au port de Dakar, espérant que ce sera « sa chance » pour être recruté à la journée, et ce gardien d’une villa recommandé par les locataires successifs, bénéficiant, de ce fait, d’un emploi quasiment à vie. Tantôt, la mise en relation se fait directement, tantôt par des intermédiaires plus ou moins spécialisés, plus ou moins efficaces ou… intéressés.

    5La confrontation entre offre et demande est d’autant plus malaisée que l’information présente de grandes lacunes. Même pour les demandeurs d’emploi avec un profil précis, l’État ne joue pas le rôle d’intermédiaire comme il le fait dans les pays du Nord, avec tel Pôle Emploi en France, tel Arbeitsamt en Allemagne, tel Jobcentre Plus au Royaume-Uni. Les agences de recrutement privées, elles, s’adressent surtout aux ressources humaines hautement qualifiées. Par conséquent, la rencontre entre offreurs et demandeurs de travail se fait essentiellement par le biais de connaissances et de parents. À cette occasion, des pressions exercées sur les employeurs potentiels sont omniprésentes, au nom de la proximité affective, fantasmée ou réelle entre le postulant et l’intermédiaire. Car « faire le toubab » – mot désignant « le blanc » – comme on aime le dire, au Sénégal et ailleurs en Afrique subsaharienne, pour qualifier une attitude consistant à mettre de côté des considérations sociales et à passer outre les injonctions amicales, est mal vu. Comme si l’Afrique avait le monopole de la solidarité…

    6Pour le moment, l’État sénégalais s’abstient de toute intervention directe dans la mise en relation des demandeurs d’emplois et des entreprises. Certes, il y avait le projet Accueil emploi annoncé, en décembre 2013, par le président Macky Sall. Mais début 2016, cette initiative ne s’est toujours pas concrétisée. L’État ne dispose pas non plus de données sur les flux de la main-d’œuvre. Cette absence d’intermédiation étatique est conforme au dogme néo-libéral : la rencontre entre offre et demande de travail est supposée se faire de manière quasiment naturelle ; les pouvoirs publics sont censés se concentrer sur les régulations considérées comme essentielles pour la collectivité. À cet égard, des contraintes matérielles entrent également en ligne de compte, ceci est manifeste. « L’aide à la recherche d’un emploi [par une instance publique] est une activité qui demande de grands moyens administratifs, et il est peu probable que ce soit là une solution pour les pays à revenu faible » statua la Banque mondiale au moment du consensus de Washington (Banque mondiale, 1995b, p. 130). Et de prôner la délégation au secteur privé des tâches d’intermédiation, ce qui génère des opportunités non négligeables pour ce dernier. Il n’en reste pas moins que la Banque a, depuis, assoupli son discours : à l’époque actuelle du post-consensus, certaines fonctions de l’État sont revalorisées, dont aussi celle de facilitateur en matière de travail et d’emploi. Nous y reviendrons tout au long de cet ouvrage.

    7C’est dans les années 1990, que l’on a vu apparaître les premiers cabinets privés spécialisés en ressources humaines. Qu’en est-il aujourd’hui de cette intermédiation ? Il s’agit, tout d’abord, d’une intermédiation « haut de gamme ». À Dakar notamment, un certain nombre de cabinets de ressources humaines ont pignon sur rue, c’est-à-dire disposent au moins d’un site internet opérationnel3. Ils proposent toute une panoplie de services, allant de l’audit des ressources humaines au bilan de compétences, autant de prestations qui trouvent leur prolongement quasi naturel dans les services de recrutement pour des emplois hautement qualifiés. Généralement, ces cabinets travaillent en étroite collaboration avec des établissements de formation en management, comme ceci est le cas de « Profil ». Parfois ils opèrent dans toute la sous-région et font appel à des experts européens, comme « People Development ». Leurs pratiques ne diffèrent guère de celles ayant cours dans les pays du Nord. Parmi leurs clients figurent à la fois les grandes sociétés de la place, certaines multinationales, des organisations internationales ainsi que des représentations diplomatiques. Mais leur clientèle compte aussi, et de plus en plus, de Sénégalais souhaitant retourner dans leur pays, pour, comme ils disent, fuir non seulement la crise, mais aussi la discrimination et chercher une certaine qualité de vie. Parmi eux, l’on trouve des jeunes diplômés, mais aussi des personnes ayant une solide expérience professionnelle4.

    8Parallèlement, on a pu constater que de plus en plus de vacances de poste sont annoncées dans la presse. Plus tard, les premiers sites internet consacrés aux ressources humaines ont vu le jour, permettant aux candidats à un emploi de déposer leur curriculum vitae5. Ces sites ne s’entourent pas – loin de là ! – de l’attitude feutrée qui est le propre des recruteurs professionnels. Ils donnent plutôt l’illusion qu’un emploi est accessible quasiment par un clic d’ordinateur, que l’on soit « grand maître aux dons surnaturels », capable de faire de la « saisie de documents Word et Excel », « frigoriste », voire « entraîneur personnel [qui fait] beaucoup de choses dans le sport6 ». Parfois, certains outils, tels les sites généralistes ou des forums de discussion, sont utilisés pour se faire remarquer et offrir ses services…

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    9… mais aussi pour proposer des formations susceptibles de déboucher sur un emploi :

    « Centre d’appel : Formation + Recrutement de 20 op. SOSPRESTASN EN PARTENARIAT AVEC DKCENTER CHERCHE A FORMER ET RECRUTER 20 OPERATEURS POUR LE MOIS DE MAI 2016 01 MOIS DE FORMATION (60 000 FCFA) + 01 EMPLOI GARANTI (Dans un centre d’appel aux Maristes ou Ngor) ** Début de la session de formation : mardi 12 avril 2016 – GESTI8. »

    10Une chose est certaine : ces nouveaux types d’intermédiation – où l’écrit est essentiel – jouent désormais un rôle central pour la mise en relation de l’offre et de demande de travail. Ils renvoient tous à l’émergence de relations fonctionnelles, des relations supposées être appropriées au contexte de l’économie de marché, par opposition aux relations personnalisées souvent soupçonnées d’être économiquement contre-productives. Il semble cependant difficile de faire table rase des liens personnalisés et des pressions plus ou moins amicales, comme le signale ce consultant indépendant en ressources humaines :

    « L’entreprise fait [passer une annonce] pour être protégée, pour ne pas être assaillie, etc. […] Bon, dès le moment où l’information [d’une vacance de poste] tombe, on sent tout de suite la pression démarrer et donc les gens, les parents, les tantes, tout le monde s’y met9. »

    11Ne serait-ce que dans l’imaginaire des demandeurs d’emploi – a fortiori lorsqu’ils ont un capital social10 limité et mal adapté aux exigences du monde du travail actuel – les liens personnels continuent à être déterminants.

    L’utilité des liens personnels

    12Si l’information est au centre de la rencontre entre offre et demande de travail, y accéder n’est cependant pas toujours chose facile, surtout pour les petites unités de production et les actifs peu nantis. Côté employeur potentiel, il y va des coûts de transaction qu’il s’agit de réduire autant que faire se peut. Côté demandeur d’emploi, les démarches coûtent également cher, en argent tout d’abord, mais aussi en temps. Il faut constituer un dossier, photocopier les diplômes et les faire certifier conformes, fréquenter les cybercafés ou bien solliciter des amis pour naviguer sur les sites internet, contacter telle institution où l’on a déposé un CV, s’enquérir auprès de telle entreprise pour savoir « s’il y a du nouveau », voire déménager, ne serait-ce que temporairement, pour pouvoir donner une adresse « respectable » et être à proximité des employeurs potentiels, question de limiter le temps de transport et d’éviter de se faire court-circuiter par un autre candidat. Être en mesure de réagir au moindre appel devient vital. Le recours aux relations – parents, connaissances, enseignants et camarades d’études, maîtres de stage, anciens patrons, etc. – contribue à limiter ces différents coûts en argent et en temps. Les liens tissés tout au long du parcours peuvent s’avérer utiles, ne serait-ce que pour économiser le coût d’un appel téléphonique :

    « Même après [le stage], on repassait pour les saluer. Des fois, je passe pour donner des coups de fil. Par exemple, si j’estime que payer la cabine coûte cher, je passe, je donne trois coups de fil, je bois du café (rires)11. »

    13Les relations personnelles ne sont pas seulement utiles lorsqu’il s’agit d’accéder à l’information sur les emplois disponibles, elles permettent aussi d’appuyer directement une demande d’embauche ou de faciliter l’entrée dans l’auto-emploi. La religion peut jouer un rôle déterminant. L’exemple des commerçants mourides est sans aucun doute symptomatique à cet égard. Ces commerçants – avec une forte présence à Dakar tout d’abord, tout en disposant aussi des antennes à Paris, New York, Milan, Istanbul, Canton, Hong Kong et au Cap – bénéficient des atouts d’un grand réseau. Ils en font profiter les jeunes générations lorsque celles-ci veulent ouvrir une boutique, trouver le bon emplacement pour installer un kiosque, se faire accepter à un endroit de forte affluence, dénicher le fournisseur proposant les conditions les plus avantageuses, tenter leur chance au-delà des frontières du Sénégal. L’appui de la confrérie se fait souvent – mais pas systématiquement – au prix de la soumission aux consignes données par les leaders spirituels. En tout cas, il implique le respect de l’aîné qui sert d’initiateur dans un monde souvent perçu comme hostile. Il n’en reste pas moins que l’idée selon laquelle l’appartenance à la confrérie des Mourides ouvrirait systématiquement les portes du monde du travail, cette idée semble moins pertinente à l’heure de la globalisation. L’opposition entre Mourides et non Mourides s’avère moins pertinente que par le passé (Ebin, 2010 ; Riccio, 2001). Plus que des projets réalisés au nom de l’appartenance à une quelconque communauté, ce sont des projets individuels qui semblent avoir tendance à primer.

    14Étant donné l’utilité des liens personnels pour faciliter l’insertion dans le monde du travail, il n’est guère étonnant que les bailleurs de fonds aient commandité des travaux visant une meilleure connaissance des potentialités inhérentes aux sociétés du Sud et de leurs capacités auto-organisatrices12. C’est ainsi qu’on a vu un véritable engouement pour les recherches sur le capital social, thème dont allaient s’emparer aussi de nombreuses organisations de la société civile. L’intérêt que suscite la confrérie des Mourides y est également lié.

    15Pour ce qui est de l’insertion dans le monde du travail, l’on remarquera une relation étroite entre le type de liens mobilisés, d’une part, le milieu social et la formation du candidat, d’autre part. Cette relation a été analysée dans plusieurs pays subsahariens (Lachaud, 1994a, p. 207-209). Elle a été confirmée, au Sénégal, dans l’industrie (B. Diouf, 1996) et sur un échantillon de diplômés de l’enseignement supérieur (Baumann, 2003a). Il s’avère que les personnes de condition modeste – qui sont généralement les moins bien formées –, ont plutôt tendance à tenter leur insertion professionnelle grâce à leurs relations familiales ; celles-ci correspondent à des liens dits forts et impliquent une certaine intensité émotive, de la confiance, ainsi que l’échange de biens matériels et de services (Granovetter, 1973). Il s’ensuit un sentiment de proximité – souvent aussi de nature spatiale – qui conduit inévitablement au partage de certaines informations, dont aussi celles relatives au monde du travail. Ce partage comporte cependant un risque, celui de la redondance de l’information, ce qui peut être contre-productif.

    16En revanche, les personnes ayant des liens faibles ne partagent pas forcément les mêmes informations, ce qui élargit la panoplie de celles-ci et peut aussi ouvrir des perspectives professionnelles plus variées. Les liens faibles sont davantage fonctionnels et se construisent tout au long de la vie, à commencer par le cursus scolaire et universitaire. La complexification des interactions propres à l’économie de marché fait reculer l’importance des liens forts, tout en favorisant l’émergence de liens plus fonctionnels, y compris dans le domaine professionnel. Leur construction doit beaucoup aux technologies modernes et à la circulation plus rapide de l’information. Les jeunes générations ont tendance à assimiler rapidement les répercussions de cette évolution, ce qui leur permet de se distinguer de leurs aînés et de prendre leurs distances par rapport à leur milieu d’origine. Alors que les conflits intergénérationnels se nourrissent de cette constellation, celle-ci permet aux jeunes de devenir des « individus » à part entière, et des acteurs du lent passage de la communauté à la société, passage de Gemeinschaft à Gesellschaft au sens de Max Weber13.

    Baadolo versus Lionceaux

    17Si le recours aux liens personnels continue à traverser toutes les couches sociales, certains de ces liens peuvent s’avérer peu efficaces. Par conséquent, les demandeurs d’emploi privilégient de plus en plus les liens utiles, prometteurs d’avantages de toutes sortes. Le recours à ceux-ci est d’autant plus nécessaire que l’insertion dans le monde du travail reproduit largement les inégalités préexistantes. Autant dire qu’il convient de relativiser le rôle de l’éducation et de la formation professionnelle.

    18Les plus chanceux parmi les candidats à un emploi sont évidemment ceux originaires de l’élite du pays. Ils contactent tel directeur d’une école de management et profitent d’une soirée entre amis, que ce soit au Lions Club – où les jeunes générations, les Lionceaux14, sont initiées aux pratiques du Club –, au Rotary, voire à l’Ordre des compagnons du Beaujolais, autant d’occasions pour se renseigner sur d’éventuelles perspectives d’emploi dans les entreprises de la place. Ou bien ils s’adressent – directement ou par un parent interposé – à tel expert qui dispose d’un important fichier d’entreprises et qui fait circuler, à titre amical, des curriculum vitae de candidats à un emploi15. D’autres mises en relation sont organisées par les établissements de formation même. Ainsi, telle école de commerce organise des rencontres entre ses diplômés et des représentants du monde des affaires :

    « The School-Enterprise Forum launched for the first time in March 2009, another major event which is now part of the sustainable socio-economic calendar of Senegal, is a real platform for direct dialogue with companies to exchange around the Employment and integration of young graduates. It has enabled hundreds of young graduates, engineers or executives seeking new career opportunities to meet national recruiters and most successful international companies. This space is a chance for the former to find a job and for the latter to find the best graduates with big potentials16. »

    19Mais il y a aussi toutes ces formes d’intermédiation implicite, qui donnent aux futurs candidats à un emploi l’occasion de se faire remarquer. Ainsi, les écoles de commerce organisent des manifestations permettant la rencontre entre leurs élèves et des chefs d’entreprise et autres décideurs. On pense, entre autres, aux Vendredi de Sup de Co, véritable institution dakaroise où interviennent, depuis les années 1990, ministres, consultants internationaux, responsables d’agences internationales, professeurs d’université, leaders syndicaux, directeurs de banque17. Ces manifestations donnent aux étudiants l’occasion de se frotter au monde professionnel, de se constituer un « carnet d’adresses », d’apprendre les codes nécessaires pour réussir dans le métier qui sera le leur. Le partenariat liant certains établissements de formation – en Afrique même mais aussi dans les pays du Nord – et le monde de l’entreprise va également dans ce sens. Les alumni clubs d’un établissement comme l’ISM18, pionnier du supérieur privé au Sénégal, contribuent, eux, à resserrer les liens entre les promotions successives des diplômés, ce qui représente un atout supplémentaire pour l’insertion dans le monde du travail.

    20Ces intermédiations sont, bien entendu, réservées à une infime minorité de la main-d’œuvre sénégalaise, celle qui, grâce à une formation dans un établissement réputé prestigieux, est bien outillée pour se rapprocher des employeurs potentiels, une minorité qui « ose » ou, plutôt, qui peut se permettre « d’oser », car dotée de suffisamment d’aisance dans les contacts avec ceux qui décident. À ce titre, la démarche adoptée par les établissements sénégalais n’est pas sans rappeler les pratiques des écoles d’élite dans les pays du Nord (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2003).

    21Les moins chanceux risquent de vivre leur statut social comme une hypothèque par rapport à leurs ambitions. Ils éprouveront davantage de difficultés à se constituer leur propre réseau de relations utiles. Ainsi, tel candidat à un emploi, pourtant diplômé d’université, se qualifiant de baadolo, de fantassin sans influence, s’estime indigne d’une place respectable dans le monde du travail et semble mal vivre le fait de ne pas être passé par un établissement ayant une certaine réputation :

    « C’est vrai que les étudiants [de l’université] ont de plus en plus du mal […] à se vendre au même titre que les élèves des écoles de commerce pour qui on fait une formation beaucoup plus spécialisée, des gens aussi qu’on dope d’une certaine manière en leur disant : “Écoutez, vous êtes bons, vous êtes ceci, vous êtes cela.” Ils sortent, ils ont la grosse tête, ils se sentent pas. Souvent, ça leur donne une force sur le marché du travail puisqu’ils se positionnent en offreurs de service et non pas en demandeurs d’emploi. C’est vrai qu’il y a cette différence. Ce sont des différences de conceptualisation, de manière d’être, d’identité même liées à ces formations qu’on reçoit et tout19… »

    22Le fait de ne pas disposer, dans son entourage, de relations influentes peut être considéré comme pénalisant :

    « EB. — Parce que, à votre avis, les nominations se font selon quels critères ?
    LN. — Je n’ai pas dit que cela se passe sur des bases subjectives […], mais vous savez, la personne humaine est… et puis nous sommes en Afrique ! Les réalités ne sont pas les mêmes, dans notre société, les relations sociales jouent beaucoup, je peux dire plus que la compétence même.
    EB. — Relations sociales, dans quel sens ?
    LN. — Nous sommes des copains, tu es un parent, tu es un cousin, mais là, ça joue beaucoup plus parfois que la compétence de l’individu. Voilà des choses qui peuvent amener des frustrations. Un tel est chef de département parce que le directeur c’est son cousin, c’est le père de l’ami de son grand-père, mais ce n’est pas une question de compétence. Ça inhibe même les ressources20. »

    23Il faut donc explorer de nouvelles voies, s’engager, par exemple, dans une ONG ou un parti politique, donner des cours de soutien dans les quartiers chics, là où habitent les « grands patrons » qui, au besoin, pourront « faire quelque chose » pour le répétiteur de leur progéniture. Et si les liens utiles font défaut, si l’argent est insuffisant pour recourir aux médias ou surfer sur le net, reste à fréquenter les lieux où l’on peut accoster directement les employeurs potentiels, en leur présentant des bouts de papier photocopiés où l’on aura marqué son nom et un numéro de téléphone, ainsi que son métier – cuisiner, gardien, bonne, etc. Ou encore aborder les touristes et autres experts de passage pour un colloque, pour leur proposer des services – en tenant le discours auquel ils s’attendent, discours ponctué de termes chers aux « développeurs », tels solidarité africaine, investissement dans l’éducation et la santé, développement durable, relations de genre, bonne gouvernance. Ou bien, enfin, se regrouper avec d’autres, dans des lieux connus pour leur rôle de « marché de travail », comme la rue Wagane Diouf évoquée à propos du recrutement des domestiques.

    « Seul le travail paie », mais plus pour les uns que pour les autres…

    De l’importance du numéraire

    24Xaalis, l’argent… Même celui qui maîtrise à peine le wolof peut s’apercevoir que ce mot ponctue souvent les conversations, dans les foyers ou dans la rue, au marché, dans les moyens de transport, dans les grand’places, lieux de regroupement où les hommes – et très, très rarement les femmes – refont le monde. Il faut en gagner pour se nourrir et se vêtir, c’est certain, mais aussi pour se soigner correctement en cas de maladie, car depuis la libéralisation du secteur de la santé, les soins sont coûteux. La protection sociale, elle, est réservée à une minorité, et de toutes les façons, elle ne protège que contre une partie des dépenses. L’argent est aussi nécessaire pour offrir une bonne éducation – voire une éducation tout court… – à ses enfants ; celle-ci est supposée indispensable pour décrocher un emploi digne de ce nom, ce qui n’est cependant pas toujours vrai… Gagner de l’argent aussi pour se déplacer, en charrette en brousse, en taxi aussi, tout comme en Ndiaga Ndiaye21 et autres « cars rapides » dakarois, pour se loger et pour s’équiper en réfrigérateur, cuisinière, télé et salon, s’offrir un téléphone portable, ceci va de soi, voire acquérir un moyen de locomotion.

    25Mais les désirs des uns et des autres vont généralement bien plus loin, car réussir sa vie, cela signifie aussi se faire construire sa propre maison, pour être à l’abri des augmentations de loyer, et pour loger d’autres membres de la famille, les parents, bien sûr, les jeunes frères et sœurs qui fréquentent encore l’école ou l’université ou qui attendent leur premier emploi, mais aussi pour accueillir des parents venus du village, voire des hôtes étrangers. On peut aussi souhaiter offrir un voyage à La Mecque à sa mère, tant que sa constitution physique le permet, ou vouloir s’y rendre soi-même, lorsqu’on estimera avoir l’âge requis. Et puis, il y a tous ces autres voyages à faire, pour s’échapper tout simplement ou bien pour se rassurer que tout va bien chez ceux qui sont partis « en aventure », à l’autre bout du monde, et dont les proches sont restés sans nouvelles depuis fort longtemps. La sacro-sainte solidarité exige aussi que l’on donne un coup de main à ce jeune parent qui souhaite s’inscrire dans un établissement scolaire ou qui veut ouvrir une boutique, en attendant peut-être le jour où il ou elle aura réuni l’argent nécessaire pour prendre une pirogue ou pour traverser le Sahara, en camion ou autres moyens de transport de fortune, espérant réaliser son rêve de l’émigration. Autant d’obligations sociales et de désirs à assouvir qui coûtent cher.

    26Alors que les femmes s’appliquent à réunir l’argent pour préparer leur trousseau de mariage, les hommes, eux, sont mis à contribution pour payer la dot de leur future épouse, celle-ci risquant d’accéder au statut de « première [épouse] » quelques années plus tard – une pratique qui semble reculer tout en étant encore bien vivante –, ce qui entraînera de nouvelles dépenses pour l’homme… Toutes les femmes, ou presque, participent aux moments de convivialité, comme les baptêmes et mariages, pour montrer qu’elles tiennent à honorer leur place dans la société (Baumann et Fall, 2013a), mais parfois aussi pour fuir une ambiance pesante au foyer. Et l’argent circule entre elles, enrichissant aussi tous ceux et celles qui chantent leurs louanges.

    27Et que dire de toutes ces dépenses difficiles à avouer et pourtant bien réelles et surtout récurrentes, un véritable abonnement parfois, des dépenses qui consistent à rémunérer un marabout pour qu’il fasse revenir « amour, bonne santé et prospérité » ou pour qu’il éloigne la jalousie, celle qui met en péril le foyer ou qui empoisonne l’ambiance sur le lieu de travail ? Ces dépenses peuvent peser bien lourd dans un budget, bien plus que les quelques jetons qu’on donne en guise d’aumône, en bon musulman ou en bon chrétien, des jetons derrière lesquels peut se cacher une superstition qui ne dit pas son nom22.

    28Une chose est certaine : la réussite se mesure largement en choses matérielles, qu’il s’agisse de petits objets futiles ou high-tech, d’un mouton haut sur pattes pour la Tabaski, comme on appelle l’Aid el Kebir au Sénégal, d’un salon cossu, d’un écran de télé de taille respectable, de bijoux ou de boubous richement brodés. Pour certains, une toute petite minorité sans doute, les stars servent de modèle ; leurs petits et grands caprices sont décrits par le menu dans Buss.sn ou feelingdakar.com, « votre premier magazine d’informations people et business du Sénégal ». La grande majorité, elle, a bien d’autres préoccupations…

    La pluriactivité comme mode de vie

    29« Seul le travail paie » peut-on lire sur une pancarte fixée sur la devanture d’une boutique à Saint-Louis. Un éloge du travail qui reflète une éthique profondément empreinte de convictions religieuses. La religion – que ce soit l’islam ou le catholicisme – permet de tempérer les tensions liées aux conditions de vie fort inégales. En effet, la grande disparité des revenus est sans aucun doute l’une des caractéristiques les plus perceptibles dans les pays du Sud. Elle est, généralement, exprimée à travers l’indice Gini23. Au Sénégal, celui-ci est de 0,40 (2012), ce qui signifie que les inégalités sont plus grandes que par exemple en France (0,30), mais sensiblement inférieures à celles observées au Brésil (0,53 en 2012), pays connu pour des disparités particulièrement élevées. Mais que représentent ces inégalités au quotidien ? Comment les différentes couches de la population vivent-elles de leurs revenus ? Voici quelques éclairages.

    30Un premier constat s’impose : les conditions de vie varient considérablement en fonction du lieu de résidence, zone rurale, d’une part, milieu urbain, d’autre part24. Mais là aussi, il convient de nuancer. Dans les campagnes, la vie au jour le jour peut, a priori, paraître plus difficile qu’en ville, car les ménages sont exposés aux risques climatiques avec leurs conséquences souvent désastreuses pour la quasi-totalité de la population. Cependant, les pertes d’une activité sont susceptibles d’être compensées, ne serait-ce que partiellement, par d’autres sources de revenus. En effet, la pluriactivité, stratégie anti-risque par excellence, est bien enracinée dans les pratiques en milieu rural. Plus encore, les mécanismes d’inclusion sociale, résultat de l’histoire longue, sont restés davantage intacts que dans les villes. Si tout se passe bien, l’on peut compter sur la solidarité des descendants, a fortiori lorsqu’ils possèdent un emploi en ville, même si ce dernier est souvent fantasmé plus rémunérateur qu’il ne l’est en réalité. L’un de ces citadins l’exprime ainsi :

    « Je prends déjà en charge la famille au Fouta, j’envoie chaque fin de mois de l’argent (rires) et puis, ce sont des gens qu’on ne peut pas […], ils passent quand ils veulent, ils écrivent quand ils veulent. Ils viennent quand ils veulent, et puis, souvent, on vous envoie des malades, il faut les amener à l’hôpital, etc. Souvent il n’y a pas que la famille au village, mais il y a d’autres parents aussi qui sollicitent de l’aide et tout ça. On essaie de faire face dans la mesure du possible […]. Ce n’est pas évident, mais il faut faire le maximum25. »

    31En revanche, dans les villes, les sources d’insécurité matérielle sont plus nombreuses, et ceci d’autant plus que le numéraire est davantage indispensable, que ce soit pour accéder aux produits alimentaires, pour se déplacer, pour se soigner ou pour donner une éducation digne de ce nom à ses enfants, nous l’avons dit. C’est également dans les villes que la pauvreté se trouve concentrée, dans les banlieues surtout, quasiment à l’abri du regard des observateurs et autres experts étrangers, de passage à Dakar, circulant entre le centre-ville et la Pointe des Almadies et ignorant tout, ou presque, de quartiers tels que les HLM ou les Parcelles assainies, sans parler de Pikine et de Guediawaye. Et c’est, enfin, aussi dans les grandes villes que se trouve concentrée la richesse, avec ses manifestations parfois violentes, alors que les exclusions sont multiples – frappant l’accès à la santé, à l’éducation, au financement d’une petite activité et, bien sûr, à l’emploi –, et que les repères risquent de se perdre et les liens sociaux s’effriter.

    32Que l’on vive en milieu rural ou urbain, risques et incertitudes caractérisent le quotidien, a fortiori lorsque l’on travaille pour son propre compte. Les aléas sont liés aux conditions naturelles, nous l’avons dit, mais aussi aux revirements de la vie politique avec la fréquente impunité de ceux qui sont mieux placés, à tel ou tel acte arbitraire commis par les forces de l’ordre, aux déguerpissements pour lutter contre « les encombrements humains26 », à l’exposition des individus à des maladies difficilement maîtrisables, à la faiblesse des protections, toutes catégories confondues, etc. Autant d’éléments qui génèrent, voire accentuent les fluctuations des revenus du travail et des dépenses au quotidien, fluctuations qu’il convient d’amortir. Les transferts d’argent, accélérés par le mobile banking, s’avèrent fort utiles, dans ce pays qui compte désormais quasiment autant de téléphones portables que d’habitants. On y reviendra dans le chapitre iii.

    33Les stratagèmes susceptibles de garantir le maintien d’un certain niveau de vie sont multiples. On fait du foratou, c’est-à-dire on essaie de « se débrouiller en ramassant quelque chose ». Ainsi, on peut restreindre son espace vital pour louer une partie de la maison, se faire rémunérer pour des petits services auparavant rendus à titre bénévole, faire le « clando » comme on dit pour ces taxis clandestins qui partent, entre autres, du marché Sandaga au centre-ville de Dakar pour desservir la banlieue. Et l’on peut vendre ses charmes un après-midi ou pendant deux semaines, le temps qu’un toubab, toujours supposé richissime, est de passage, et nourrir par là l’espoir de décrocher un visa pour un pays du Nord. La prostitution est un « mode de vie », parfois choisi sciemment27, parfois accepté nolens volens, y compris par certains parents de jeunes filles ; il en est de même du trafic de stupéfiants et de la petite délinquance au quotidien.

    34Il arrive aussi que des motifs spirituels soient invoqués, pour mettre en valeur une activité apparemment peu prestigieuse, comparée à un poste salarié dans l’administration publique ou dans le privé :

    « Il y a un de nos grands marabouts qui disait que “nul n’est plus pauvre que celui qui sait combien il doit gagner en un mois”. Parce que les possibilités de gains d’une personne sur la terre n’ont pas de limite. Donc, si l’on se limite à : “Je vais gagner tant pendant le mois”, alors que le mois n’a pas encore démarré, c’est être pauvre au départ. C’est un peu ce qui pousse les Mourides… Ils sont tellement ambitieux et ils sont galvanisés par cette réflexion28… »

    35Parmi tous les stratagèmes, la pluriactivité – au sein du ménage et au niveau individuel – est centrale. C’est ainsi que s’explique le taux d’activité croissant des femmes ainsi que la mise au travail des enfants, que ce soit après les classes ou à la place de l’école, une question qui sera abordée dans le prochain chapitre. La pluriactivité est aussi omniprésente parmi ceux qui vivent d’un petit métier. Souvent, elle semble correspondre à de l’improvisation au jour le jour, à du taqale, comme on dit en wolof, au rafistolage. Improvisation apparente seulement, car miser sur une seule activité serait trop risqué. Seule la multiplication des sources de revenus est susceptible de lisser les fluctuations des rentrées d’argent. Toute projection dans le temps long serait illusoire et même imprudente, et ce sont les considérations à court terme qui prévalent, du moins en apparence :

    « EB. — Quand vous dites informel, qu’est-ce que c’est pour vous ?
    ID. — Pour moi c’est, comme on dit au Sénégal, le goorgoorlou29, l’homme qui se bat sur tous les plans. Là où il peut obtenir de l’argent, il s’y engage. Maintenant la sommation de ses revenus peut être importante… Personnellement, j’estime que le marché de l’emploi est un peu difficile, mais il faut s’y adapter et c’est la raison pour laquelle, comme je l’ai dit tantôt, je gère mon petit commerce, le magasin de PMU et ensuite je sais que le chemin alternatif, c’est l’informel. Donc, je m’adonne à des activités de photographie par moments, des reportages dans les cérémonies de baptême, de mariage. En plus, je dispense des cours particuliers à domicile aux élèves du primaire et du secondaire30. »

    36La pluriactivité ne concerne pas seulement le bas de l’échelle des activités économiques, elle se trouve aussi à l’autre extrémité, indépendamment du degré de formalisation de l’emploi. Mais là, c’est évidemment moins une question de répartition des risques que de l’occupation de niches porteuses et d’accumulation pure et simple. À titre d’exemple, cet architecte connu au-delà des frontières du Sénégal qui dit être aussi « dans le pétrole, dans l’énergie, dans le financement, dans l’industrie, dans l’agrobusiness31 ».

    37La pluriactivité est d’ailleurs aussi courante parmi ceux qui ont un emploi régulier, y compris ceux de la fonction publique. Selon la formule chère aux commerçants modou modou, ceux qui font du commerce dans les pays du Nord, répliquant les pratiques du marché de Sandaga : « L’argent, on ne le gagne pas, on se débrouille pour en avoir. » C’est ainsi que des prestations de service de toutes sortes foisonnent : tantôt on fait de la consultance pour une ONG, tantôt on sert de facilitateur pour régler un dossier administratif d’un émigré, pour obtenir un permis de construire, effectuer une opération en douane ou faire toute autre démarche chronophage, etc. Autant de démarches qui, auparavant, auraient donné lieu à de la petite corruption auprès de l’administration et qui auraient été récompensées par un « petit geste » envers l’intermédiaire. Dans le contexte actuel, elles engendrent des rémunérations officielles. Économie de marché oblige.

    38Le commerce rencontre un succès particulièrement grand auprès de tous ceux qui, salariés ou non, souhaitent améliorer leur situation matérielle. Les moins aventureux œuvrent comme bras prolongé d’un émigré ou s’approvisionnent eux-mêmes en Gambie, aux îles Canaries ou au Maroc ; les plus courageux vont en Côte d’Ivoire, en Turquie ou en Arabie Saoudite ; les téméraires se déplacent jusqu’en Chine où les attendent des compatriotes, intermédiaires pour les usines de Canton. Même des séminaires de formation à l’étranger peuvent donner lieu à des activités lucratives, ou bien un pèlerinage à La Mecque, tout comme un déplacement pendant un simple week-end ou une fête religieuse, voire les congés annuels. Autant d’occasions pour s’approvisionner en marchandises de toutes sortes, parfois en allant jusqu’à faire remplir un conteneur. Le rapatriement des produits n’est pas un problème, les intermédiaires sénégalais sont sur place, prêts à régler les documents pour la douane et le transport, pluriactifs, eux aussi…

    39Si la pluriactivité, formule privilégiée pour assurer une certaine régularité des revenus, vise tout d’abord le court terme, le long terme n’est pas pour autant absent des considérations des acteurs. L’éducation des enfants – question de leur donner les outils nécessaires pour qu’ils puissent se prendre en charge eux-mêmes et, au besoin, leurs ascendants – doit être considérée sous cet angle, tout comme l’investissement immobilier puisqu’il est susceptible de générer des revenus, surtout après la cessation de l’activité économique. De même, la préparation d’un projet professionnel pour un cadet renvoie au long terme, puisqu’il permettra de décharger la famille d’une bouche à nourrir et qu’il dédommagera – peut-être, un jour… – le bienfaiteur, sous une forme ou une autre :

    « AK. — Cette année, [le jeune frère] dit qu’il veut aller à l’aventure ou à défaut faire du commerce. Je suis en train de réunir des fonds, si j’arrive à avoir 400 000 francs [environ 600 €], je les donne et je lui dis : “Débrouille-toi.”
    E.B. — Vous ne voulez pas le laisser partir à l’aventure ?
    AK. — Non, il est jeune, il n’a pas d’expérience professionnelle, il n’a pas les diplômes suffisants, je ne sais pas ce qu’il peut faire, vendre des objets dans la rue comme tout le monde. Je ne peux pas le laisser partir dans ces conditions. Alors, on lui a dit de faire du commerce. Nous sommes à la recherche de fonds, si on a 500 000 francs [760 €], on les lui donne d’autant plus qu’il y a des créneaux qui sont porteurs dans ces petits villages32. »

    40On le voit : une activité de type informel ne saura être automatiquement assimilée à une stratégie de survie. Plus encore, devenir son propre patron peut aussi être un choix positif. En effet, nombreux sont ceux qui choisissent délibérément un métier bien déterminé, qui tiennent à être artisan comme leur père ou leur mère, convaincus que c’est cela, leur voie. Cette approche concerne les métiers castés comme la bijouterie ou le travail du bois, mais pas seulement. Si modestes que puissent paraître, surtout aux yeux de l’observateur extérieur, les fruits du travail, la profession renvoie, dans de nombreux cas, « à une certaine mystique du travail, en rapport avec des responsabilités sociales » (M. A. Fall, 2010, p. 401).

    Les deux extrêmes : faire feu de tout bois…

    41Le contraire étonnerait : côté dépenses aussi, les acteurs déploient une panoplie de stratagèmes pour faire des économies. C’est tout d’abord l’alimentation, premier poste des dépenses qui préoccupe, les ménagères surtout33. Chez les plus pauvres, les hommes désertent souvent les foyers et se retrouvent dans les grand’places. C’est là qu’ils trompent leur faim, en remplaçant la nourriture solide par des verres de thé, moins sucrés toutefois que par le passé… C’est là aussi qu’ils vont aux nouvelles, y compris celles relatives au monde du travail. Tout repas pris à l’extérieur du foyer – dans un taangna, café de fortune dressé à même la rue ou chez un ami supposé mieux nanti – permet de mieux nourrir les enfants, même si, eux aussi, peuvent voir leur ration alimentaire diminuer. Et de toutes les façons, les aliments prestigieux – viande, œufs, salade – sont réservés aux jours de fête. En temps normal, on achète par micro-quantités – bien plus coûteuses tout compte fait, mais seule solution envisageable si le numéraire se fait rare – et on diminue le nombre de repas par jour. Ce sont les aliments bon marché qui sont au menu, comme le pain rassis, tout aussi « efficace » mais beaucoup moins cher que le pain frais.

    42Les économies ne se limitent pas à l’alimentation, elles concernent aussi les habits. Notamment parmi les jeunes, on se prête des vêtements, ce qui permet de varier la présentation, de donner à l’entourage l’impression d’avoir une garde-robe bien fournie. De même, l’on s’approvisionne dans les friperies ou chez les commerçants chinois installés, depuis le début de la décennie 2000, le long du Boulevard du centenaire, Chinatown de Dakar :

    « Une jeune fille […] m’explique : “Presque toutes mes courses je les fais ici. La vie est dure, pourquoi aller dans les vitrines pour acheter des hauts et des pantalons à 15 000 francs CFA [22,70 €] la pièce alors que grâce à l’offre chinoise avec 10 000 francs CFA [15 €] je vais quitter ce marché avec un minimum de deux paires de chaussures, deux hauts et deux pantalons !” Elle est confortée dans ses propos par sa copine, qui fait aussi ses emplettes, et qui ajoute : “Ce n’est pas cher, en plus il y a de belles choses, maintenant même les commerçants des vitrines vendent la marque chinoise, ils changent juste l’étiquette et le revendent hyper cher en nous faisant croire que ce sont des hauts de Paris, d’Italie ou des États-Unis, donc à quoi bon aller y acheter lorsqu’on peut en trouver ici34 ?!” »

    43Ou bien l’on achète des chaussures et autres vêtements en provenance de la Gambie, moins chers que le made in France, l’on préfère à un wax hollandais un tissu de moindre qualité, comme le legos ou un produit de contrefaçon venant du Pakistan. Pour les fêtes, le boubou neuf reste, en principe, de rigueur, mais rien n’empêche le consommateur impécunieux de revendre sa tenue de fête le lendemain, au marché de Colobane ou ailleurs.

    44Pour ce qui est du logement, les frais peuvent être limités grâce à la cohabitation. Ainsi, à Dakar, l’on observe une tendance croissante à la cohabitation intergénérationnelle35. Pour les jeunes, elle prend de l’ampleur et se prolonge souvent dans le temps, parce qu’ils ne sont pas en mesure de réunir l’argent de la dot et qu’il leur est de plus en plus difficile d’accéder à l’immobilier, mais aussi parce que les parents âgés manquent de moyens pour subvenir à leurs propres besoins (Diagne et Lessault, 2007). La cohabitation ne donne pas seulement lieu à des économies d’échelle – électricité, eau, entretien de la maison –, elle permet aussi de rendre des services comme la garde des enfants, la préparation des repas et les soins prodigués aux personnes âgées. Ainsi, toutes les parties prenantes sont susceptibles de trouver leur compte. En même temps, de nouveaux rapports de force peuvent émerger de cette cohabitation, au cas où « les jeunes » apporteraient de l’argent liquide, alors que « les vieux », privés de revenus, ne sont plus en mesure de « tenir rang ». Ce « renversement des dépendances » (ibid., p. 36) fait que les jeunes participent davantage aux prises de décision et s’émancipent36. Il n’en reste pas moins que la dépendance résidentielle risque d’être vécue comme pesante, ne serait-ce que par certains. Pour beaucoup, le seul moyen d’y mettre fin – et de s’émanciper peut-être pour de bon – semble être l’émigration, projet de plus en plus individuel que communautaire, nous l’avons dit (Mezger et Beauchemin, 2010).

    45Si la cohabitation n’est plus envisageable et qu’un jeune, en couple ou non, décide de quitter le foyer familial, les dépenses de logement peuvent peser lourd dans son budget. En effet, payer un loyer mensuel de 25 000 FCFA (38 €) à Yeumbeul, par exemple, ce quartier populeux de la capitale, n’est pas donné à tout le monde. Par conséquent, louer une chambre à plusieurs n’est pas chose rare. Dans certains quartiers, le système des « doubles flux » – allusion aux salles de classe occupées en permanence pour faire face au manque de locaux – est monnaie courante, plusieurs personnes occupant un lit à tour de rôle37. En dehors de la promiscuité – quatre personnes en moyenne par pièce à Pikine ou à Guediawaye –, l’insécurité relative au logement est récurrente. Elle peut d’ailleurs frapper autant les locataires que les propriétaires. Les premiers sont nombreux à « bénéficier » d’un bail pouvant être remis en question sans préavis, les seconds risquent de connaître des situations tout aussi précaires, parce que leur titre foncier s’avère faux ou qu’ils sont menacés de déguerpissement.

    46Les économies concernent aussi les communications téléphoniques de tous les jours. Ainsi, l’on renonce aux appels depuis sa propre ligne – qui ne servira désormais qu’à recevoir des appels – pour téléphoner depuis la cabine la plus proche… à moins que la généralisation du téléphone portable ne l’ait déjà fait disparaître. Certains vont jusqu’à faire supprimer le téléphone fixe, toujours source de conflits dans les familles nombreuses, et incitent les membres du ménage à utiliser leur propre téléphone portable, une individualisation qui ne fait qu’augmenter la facture totale… En effet, téléphoner coûte cher. Autant faire semblant, pour garder la face… ou la perdre de plus belle, comme le relate, sous forme humoristique, cet extrait d’un petit ouvrage fort succulent :

    « Souvent, quand elle sort dans la rue, son portable, pendu à une chaînette en or autour de son cou, se balance ostensiblement sur sa poitrine, manière de faire savoir à tous qu’elle possède cet appareil.
    Elle est prompte à communiquer son numéro, sans pour autant demander celui de son interlocuteur : cela la dispense d’émettre des appels, surtout parce qu’elle ne dispose presque jamais de crédit d’appel. Tout juste se contente-t-elle de quelques centaines de francs de crédit, pour envoyer de brefs Sms ou pour “bipper” un ami qui se charger, lui, de l’appeler.
    Quand elle reste des jours sans recevoir d’appel, elle attend d’être avec ses amis pour tripoter son appareil, en le faisant elle-même sonner, pour répondre ensuite à un appel inexistant. Mais elle n’a plus recours à un tel manège, depuis le jour où son portable a réellement sonné, alors qu’elle faisait semblant de s’adresser à un correspondant, en parlant dans le vide38. »

    47Autre souci, les trajets longs et coûteux entre la banlieue et le centre nerveux de la capitale, que ce soit pour se rendre au travail ou tout simplement pour s’enquérir auprès d’une société où l’on a déposé, depuis belle lurette, un dossier pour un hypothétique emploi. Déplacements pourtant indispensables, puisque l’inactivité est stigmatisée. Alors, au lieu de prendre un taxi, on se replie sur la solution de ces « clandos » évoqués ci-dessus et qui roulent souvent comme par miracle. C’est cela le prix à payer pour donner l’impression d’être « dans des activités », au lieu de passer ses journées à domicile, boire du thé, surfer sur le web et attendre que la nourriture soit servie, sans pourtant pouvoir contribuer à la fameuse DQ.

    48Pour les chefs de famille, des difficultés à maintenir son niveau de vie et la menace du déclassement social sont des expériences douloureuses. Alors autant retirer les enfants de l’école pour que, eux aussi, contribuent au budget familial, à moins de les confier à un marabout, ce qui fera également une bouche en moins à nourrir. Lorsque la santé est en jeu, la réduction des dépenses peut s’avérer particulièrement désastreuse : au lieu de consulter un médecin, tel malade se rend « en brousse » chez un guérisseur, il pratique l’auto-médication, achète les remèdes au marché, sans la moindre garantie quant à la qualité du produit. Et pour se blanchir la peau, telle femme troque le xessal « haut de gamme » contre des produits à effets rapides vendus sur les marchés, au grand dam des médecins qui sonnent l’alerte par rapport à cet enjeu pour la santé publique39.

    49On le voit, la liste des astuces susceptibles de limiter les dépenses, collectives et individuelles, est longue. On peut y ajouter toutes les stratégies d’évitement par rapport aux sollicitations jugées inopportunes. Celles-là consistent à créer une distance physique par rapport à tous ceux qui, apparentés ou non, risquent de demander de l’aide : élire un lieu d’habitation loin des transports est une formule bien connue, s’absenter du domicile à des moments de forte demande sociale, comme la veille des fêtes religieuses, en est une autre, tout comme l’habitude de ne garder sur soi qu’une somme minimale d’argent liquide, destinée au transport du retour à la maison. Mais on peut aussi s’imposer des contraintes pour maîtriser le budget, comme s’obliger à épargner en adhérant à une tontine ou confier son argent au boutiquier.

    50Et quand toutes les solutions sont épuisées, restent des manœuvres en marge de la légalité :

    « Eh bien, il travaille toujours dans ce secteur des transports. Je l’ai rencontré, la semaine dernière, sur l’une de nos routes nationales. À l’entrée d’une ville, un agent de la circulation lui avait intimé l’ordre d’arrêter son véhicule.
    La camionnette bâchée de ton drôle de type ne devrait transporter que vingt personnes. Il y en avait vingt-huit à l’intérieur. Ce n’était pas tout. Ton énergumène faisait voyager sur la toiture du véhicule une dizaine de passagers, un mouton et deux sacs de charbon. Sans parler de l’apprenti et des quatre personnes qui se tenaient sur le marchepied, à l’arrière.
    Je ne sais comment il avait fait pour ne pas tomber sous le coup de la loi, puisqu’après cinq minutes de palabres et une poignée de main très appuyée avec l’agent de la circulation, il avait repris la route dans les mêmes conditions40. »

    51Des manœuvres en marge de la légalité, certes, mais qui rendent service et pimentent la vie.

    … et rouler en 8×8

    52Le tableau dressé ci-dessus – qui concerne, à des degrés variables, une très grande partie des Sénégalais – est bien différent de ce que vivent les plus aisés du pays, une infime minorité, cela va sans dire. Les informations sur ce milieu sont rares. Dans la fameuse liste des milliardaires (en dollars des États-Unis) dressée par le journal Forbes, ne figurent généralement qu’un très petit nombre d’Africains, liés essentiellement à l’exploitation des ressources du sol41. En ce qui concerne le Sénégal, seul Jeune Afrique s’aventure sur ce terrain délicat des grandes fortunes, prétendant que le Sénégalais le plus riche serait Yérim Sow, et qu’il « pèserait » 150 milliards FCFA (230 millions €). C’est à ce fils d’un entrepreneur en bâtiment, qui intervient aussi dans les télécommunications, que l’on doit des investissements tels que l’hôtel de luxe Radisson Blu, le Sea Plaza, premier mall du Sénégal, des immeubles de bureau et le complexe immobilier haut de gamme Waterfront42. Tous situés en bord de mer, ces lieux de luxe s’adressent à une clientèle au pouvoir d’achat élevé, internationale, certes, mais aussi sénégalaise, prête, en tout cas, à payer des prix comparables à ceux pratiqués dans les grandes villes des pays du Nord. En ce qui concerne, plus particulièrement, le mall Sea Plaza, on peut rester quelque peu dubitatif par rapport aux visées affichées par l’investisseur : les grandes enseignes – les bagagistes tels que Vuitton, les grands créateurs de mode et de parfums, français et italiens – n’ont pu être attirées, mais on y trouve des marques comme Etam, 1-2-3, Desigual et Hugo Boss ainsi que des succursales de magasins installés au centre-ville. La direction du Sea Plaza compte sur un « panier mensuel moyen […] de 55 000 FCFA (84 €) “bowling” inclus43 » et des achats « plaisir » compris entre 20 000 et 30 000 FCFA (30 à 46 €). Pendant que les clients « libèrent [leurs] envies », comme les y invite la publicité sur le site internet, les enfants pourront être confiés à la garderie La Récré, moyennant 12 000 FCFA (18,30 €) pour trois heures…

    53Il est cependant difficile de savoir qui sont ces Sénégalais disposant d’un pouvoir d’achat suffisamment élevé pour suivre les modèles de consommation des pays dits « riches », pour envoyer leurs enfants dans des « grandes universités étrangères, car c’est aussi à cela que sert l’argent », comme le dit l’un d’entre eux44. Une grande discrétion entoure ce milieu. Il faut donc s’en tenir à des signes extérieurs de richesse, comme les villas les plus cossues, celles de la pointe des Almadies. Leurs propriétaires sont dans le bâtiment ou le commerce, mais aussi dans le show-business et le sport. Reste à savoir comment distinguer les vraies grandes fortunes de tous ceux qui étalent des symboles de richesse, sans en être forcément propriétaire – à commencer par ces Hummers, appelés 8×8 avec l’humour bien sénégalais, garés, le samedi soir, devant les discothèques à la mode, le Nirvana Club ou le Duplex – et qui font la une de la presse « people ».

    54Quoi qu’il en soit, il y a une grande violence dans cet étalement de richesses, une violence qui nourrit les fantasmes d’un ailleurs plus clément, un ailleurs permettant de se construire une nouvelle identité, celle de l’émigré, avec tout ce que cela sous-entend comme réussite économique et reconnaissance sociale…

    L’étranger, terre promise

    Émigres sénégalais : boat-people, commerçants et intellectuels

    55Les migrations des populations du Sud sont entourées d’un grand nombre d’idées préconçues, des idées qui sont malencontreusement entretenues par l’arrivée, sur les plages des îles Canaries et des rives Nord de la Méditerranée, de ces centaines, voire des milliers d’Africains ayant emprunté des pirogues. Pendant l’été 2007, la vue de ces boat-people, parmi lesquels beaucoup étaient d’origine sénégalaise, a ému l’opinion européenne. Elle a aussi exacerbé le malaise par rapport à la pauvreté insupportable dans un Sud inexorablement victime du Nord. Elle a, enfin, sensibilisé les Européens – peut-on espérer… – au caractère irraisonné d’un départ par des moyens de transport de fortune, au désespoir des mères voyant partir, et souvent périr, leurs fils45 (Bouilly, 2008). En France, la médiatisation de ces Africains, exténués et au regard hagard, intervint à un moment où « l’immigration choisie » fit son apparition dans le discours pré-électoral des présidentielles de 2007. L’immigré desperado qui « pose problème » d’un côté, celui, diplômé, qui est attendu, quasiment à bras ouverts, de l’autre… Les réalités sont bien plus complexes et ne sauraient être réduites à cette opposition simpliste.

    56Un fait mérite d’être signalé tout d’abord : les Africains quittent peu leur continent et les migrations des populations sub-sahariennes concernent tout d’abord des destinations en Afrique même (Ndiaye et Robin, 2010). Seul un Africain sur cent a émigré en Europe et ils y restent minoritaires. Ainsi, en 2008, l’Espagne, l’un des premiers pays d’immigration de l’Union européenne, ne comptait, parmi ses habitants nés à l’étranger, que 3 % originaires d’Afrique subsaharienne. En ce qui concerne les migrants sénégalais, les chiffres exacts font défaut, ce qui est lié au fait que seul un émigré sur trois se fait enregistrer auprès des services consulaires sénégalais (Sénégal, 2010c, p. 25). Et pour cause : de nombreux émigrés se trouvent dans une situation irrégulière. Les autorités estiment que près de deux millions de Sénégalais peuvent être considérés comme des émigrés. Il s’agit d’une population jeune, car les deux tiers auraient entre 18 et 35 ans.

    57Les migrations sont tout aussi plurielles que les motifs qui animent leurs acteurs, elles évoluent sous l’effet des législations qui changent, voient leur espace tantôt s’élargir, tantôt se rétrécir, se prolongent ou se raccourcissent en fonction des opportunités ou contraintes du moment46. Un pays peut, successivement ou parallèlement, être pays de départ, espace d’accueil et zone de transit pour les migrations. Tel est le cas du Sénégal. Les migrations y ont une histoire longue de plusieurs décennies. Liées tout d’abord aux travaux agricoles, elles se limitaient à l’espace sous-régional, donnant lieu au navétanat47. Ensuite, les migrations étaient le fait de ruraux, essentiellement originaires des zones arachidières sinistrées par la sécheresse, qui partaient vers les centres urbains. Les premiers foyers d’émigration vers la France se situaient dans de la vallée du fleuve Sénégal. Progressivement, la réduction des coûts du transport aidant, le spectre des destinations allait s’élargir vers l’ensemble de l’Europe, dont l’Italie – aujourd’hui sans doute toujours première destination des Sénégalais – et l’Espagne, la France n’étant plus une destination prioritaire. Et comme l’espace Schengen est de plus en plus verrouillé, les frontières Nord-Sud de la Méditerranée se sont déplacées vers le Sahara, un phénomène qui ne fait qu’encourager des formules comme les départs en pirogue. Depuis les années 1980, les États-Unis sont une destination particulièrement appréciée par les Mourides. Leur communauté a mis en place une véritable diaspora dotée de notables qui jouent un rôle fédérateur. La Chine n’est pas en reste ; les Sénégalais y contribuent activement au commerce inter-continental. Depuis peu, l’Amérique latine attire de plus en plus de candidats à l’émigration48. On dit que les immigrés n’hésiteraient pas à se faire passer pour des réfugiés politiques. En Argentine, où ils accèdent après une escale au Brésil ou au Nicaragua, les Sénégalais représenteraient la majorité des demandeurs d’asile.

    58Les types des migrations évoluent : tantôt elles sont saisonnières et réservées aux hommes qui laissent au foyer femmes et enfants ; tantôt elles consistent à faire partir, à tour de rôle, les fils d’une même famille ; tantôt elles sont de longue durée, par choix ou par nécessité du fait du caractère illégal du séjour. Tout durcissement des réglementations – ou de la perception des étrangers par les populations locales – dans les pays d’accueil peut provoquer un frein aux nouvelles arrivées et générer davantage de situations irrégulières. Toute mesure de régularisation des migrants sans papiers – comme à la fin de la décennie 2000 en Espagne et, auparavant, en Italie – attire de nouveaux flux de migrants (Tall, 2008 ; Willems, 2008). Les migrations ne partent plus seulement des zones rurales, les déplacements concernent aussi les populations urbaines et, de plus en plus, les ressources qualifiées (Sénégal, 2010c, p. 25). Il s’agirait là d’une tendance qui concerne aussi le milieu universitaire et scientifique. À titre d’exemple, au début des années 2000, M. C. Diop signale que, sur les douze universitaires composant un groupe de recherche constitué dans les années 1980 et se proposant d’éclairer le fonctionnement de l’État au Sénégal, six avaient quitté le Sénégal (Diop M. C., 2002a, p. 17, note 15).

    59Les motifs pour « aller en aventure » sont toujours nombreux. La littérature est riche à cet égard : difficulté de trouver un emploi digne de ce nom ; différence entre le niveau de vie sur place et celui, souvent fantasmagorique, des pays du Nord ; souci de trouver un compromis entre la réussite personnelle, valorisée par l’économie de marché, d’une part, et les obligations sociales auquel le Sénégalais, bon musulman ou bon catholique, est supposé se plier, d’autre part ; désir de se montrer digne de sa famille en envoyant régulièrement un mandat, voire en finançant aux parents – la mère tout d’abord – un pèlerinage à La Mecque ; aspiration au statut d’homme (ou de femme) adulte dans une société fortement hiérarchisée ; envie de « faire un mariage réussi », avec tout ce que cela suppose comme dépenses préalables et, ensuite, récurrentes ; projet de revenir au pays pour réaliser un projet, pour soi-même, mais aussi pour la famille, voire pour le village.

    60Pour beaucoup, une chose paraît certaine :

    « Quand on veut réaliser quelque chose, il faut un peu s’éloigner de la famille. On ne peut échapper à certaines dépenses incontournables, mais quand on est loin, ils peuvent trouver d’autres moyens49. »

    61Un constat que confirme tel émigré à Paris, commerçant :

    « Ici, chaque matin on va au travail. Ce qui est impossible au Sénégal ! Il faut acheter un mouton dès qu’il y a un nouveau-né. Ensuite, donner à la mère un minimum de 25 000 francs [38 €] ! Sortir de l’argent même à l’occasion des décès ! De même, lors de la célébration des anniversaires de disparition, il faut acheter du riz et du bétail. C’est la fête pour une moindre occasion. Et il faut passer la journée chez l’intéressé. Le jour du Magal, il faut aller à Touba. C’est pourquoi le commerce marche mieux ici qu’au Sénégal. Entre musulmans, on ne peut pas refuser les frais. Certains ont la foi et se comportent comme tel. Ils sont convaincus que plus leur dépense est élevée, plus Dieu leur ouvre les portes de la fortune. De mon point de vue, il faut surtout penser à l’avenir, se poser des questions et se dire quand cesserai-je de payer le loyer ? Au Sénégal, les gens travaillent beaucoup mais les frais sont immenses, les charges sont énormes ! Ici, on est loin de ses parents [relations de sang] […] ! Bref, ici, dès que tu as 1 000 francs [1,50 €], tu peux les garder dans ton compte bancaire50. »

    62S’émanciper de son milieu d’origine (Mbodji, 2008), certes. Mais ce qui peut paraître comme un souci de réussite personnelle, peut aussi revêtir une dimension collective. Tel groupe de jeunes d’un même village décide de partir coûte que coûte – selon la devise « Barça ou barsakh », « Barcelone ou périr » –, telle famille, désireuse de pouvoir, enfin, compter parmi les siens un émigré d’Italie ou d’ailleurs, se cotise pour financer le saut dans l’inconnu – rite d’initiation des temps modernes – pour attendre, anxieuse, le coup de fil annonçant la fin heureuse du périple51…

    63L’on connaît peu les effets des migrations, temporaires ou définitives, sur le « marché du travail » local. Certes, la fuite des cerveaux et ses effets sur le renouvellement de l’intelligentsia des pays du Sud font régulièrement débat. Mais l’on sait moins que l’exode rural peut aussi être problématique pour les propriétaires des grandes exploitations agricoles, ceux qui ont l’habitude de faire appel à la main-d’œuvre des villages environnants, louée à la saison, voire à la journée. Ces employeurs en mal de travailleurs peuvent être amenés à recourir à des stratagèmes inédits pour attirer des jeunes prêts à travailler la terre. À moins qu’ils s’engagent dans un processus d’intensification à base de capital technique (Oya, 2007, p. 487).

    Transferts d’argent et villas sur la VDN

    64Ce qui caractérise les migrants aux yeux de ceux restés au pays, c’est avant tout leur statut. Plusieurs éléments en témoignent. Il existe, depuis un certain nombre d’années, un ministère spécifique censé s’occuper de ces Sénégalais pas comme les autres. Les autorités misent explicitement sur l’argent de la diaspora pour relancer l’économie52. De nombreux séminaires sont organisés qui vantent le dynamisme des émigrés dont l’État souhaite drainer l’épargne. Ces derniers sont aussi courtisés par l’ADEPME, l’Agence de développement et d’encadrement de la petite et moyenne entreprise, et la BHS, la Banque de l’habitat du Sénégal. D’une manière générale, les banques sont nombreuses à avoir ouvert des agences en banlieue, là où arrivent les transferts d’argent de l’étranger. L’ampleur de ces transferts augmente d’année en année. En 2013, ils correspondaient à 14 % du PIB, soit trois points de plus que l’aide publique au développement53.

    65Les émigrés sont généralement entourés de beaucoup de prestige. Certains parmi eux contribuent à l’entretenir, parfois de manière outrancière, lorsqu’ils sont de retour au pays pour les congés. On en veut pour preuve la distribution généreuse de cadeaux, la voiture de location pour les déplacements, les démarches savamment orchestrées auprès de la future belle-famille. Peu de choses sont cependant connues sur les migrations qui se soldent par un échec. Bien sûr, la presse relate de manière récurrente les traversées en pirogues, avec leur lourd tribut en vies humaines. Mais la pudeur interdit à ceux qui ont échoué, voire qui ont été rapatriés parfois quasiment manu militari, d’étaler leurs mésaventures. Seuls quelques témoignages sur des sites internet donnent une idée des souffrances :

    « Je suis senegalais vivant en Engleterre depuis 8 mois je suis en regle mais je n’arrive pas a trouve du boulot j’etais en gambie avant de venir a londre j’avais un bon boulot mais ici je n’arrive pas a trouve du boulot les boulot qu’il m’offre je ne peux pas les faires je dois accepte pour survivre le conseil que je donne et de bien reflechir avant de quitter le pay c’est d’ifficil d’y croire mais pour mener une belle vie en Europe le seul moyen et de vendre la drogue et que dieu nous en garde de cette argent salle. je ne peux pas rentre au pay avec les main vide mais avec une petite some pour ouvrir un petit bussiness je dirais aurevoir a l’EUROPE et a dieu l’immigration54. »

    66De même, chercher fortune en Chine n’est pas non plus une entreprise de tout repos, car les rapports de force sont rudes :

    « Les gens ont cru que la Chine ça allait être facile, qu’ils allaient tout avoir et puis au bout d’un moment ils ont vu les difficultés […]. En décembre 2006, il devrait y avoir une ouverture totale : jusqu’à présent les services, comme les banques par exemple, étaient un secteur fermé aux étrangers […]. Le trading est encore très limité pour les étrangers. C’est plus facile d’ouvrir une usine que de faire du commerce en Chine […]. Ce sont de grands hommes d’affaires africains qui peuvent avoir le capital nécessaire ; des Sénégalais ont une usine pour la production du real wax dans une province à côté de Shanghai et ils ont installé leur bureau à Guangzhou, à côté, dans un autre immeuble55. »

    67En effet, le succès est rarement au rendez-vous tout de suite, comme le montre aussi ce témoignage d’un originaire du Fouta, recueilli en 2003 par messagerie électronique, une année après son installation au Canada :

    « EB. — Comment ça va outre-Atlantique ? J’espère que le marché du travail te sourit…
    AD. — Non pas vraiment. Je fais de petits boulots pour survivre en attendant de trouver mieux. J’ai commencé aussi à prospecter à l’international. Mais c’est vraiment pas évident pour un immigrant de travailler au Canada. »

    68Et pourtant, pour son départ du Sénégal, AD s’était entouré de beaucoup de précautions et avait recouru aux services d’un avocat canadien, ce qui lui avait permis d’arriver au Canada muni d’une carte de résident pour lui-même et sa famille. Les diplômes sénégalais étant très moyennement appréciés par les employeurs canadiens, AD ne voyait pas d’autre solution que de se réinscrire à l’université. En 2008, le ton de mon interlocuteur est résolument plus optimiste : « J’ai acquis la citoyenneté et j’en ai profité pour trouver du travail au gouvernement du Canada […] mais je cherche à retourner dans la coopération internationale [dans le système des NU] ! » Son vœu semble exaucé en 2012 : il fait des allers-retours réguliers entre le Canada et l’Afrique subsaharienne où l’appellent ses obligations professionnelles, justement, dans la coopération internationale. Lorsque je le rencontre en janvier 2014 – il fait escale à Paris, après les congés passés dans sa famille au Canada –, son discours dénote une certaine distance critique par rapport à l’évolution du Sénégal. Et les vrais amis commencent à se faire plus rares à Dakar, les liens se distendent. Sa vie est désormais ailleurs.

    69Le parcours d’AD constitue une très belle réussite. D’autres expériences encore, elles, sont relatées dans la presse sénégalaise. Ainsi, tel journal en ligne, WorkoSenegal, consacre une rubrique spécifique à ceux qui réussissent à l’étranger, « Diaspora Success56 ». Cosmopolites, ils sont généralement passés par des universités du Nord, du Canada ou des États-Unis. Et ils font carrière dans la finance, la consultance, la mode, le show-biz ou le sport.

    70Mais c’est l’image suivante qui correspond incontestablement davantage au vécu plus « classique » des émigrés et de leur famille :

    « Aïssata est soulagée. “L’argent est arrivé”, dit-elle en souriant. Depuis huit jours, elle attendait un signe de son mari, émigré en France. Le téléphone a sonné au petit matin. Mustaph avait envoyé une partie de son salaire. Le montant de la somme, objet de jalousies, reste un secret. La manne disparaîtra vite. À Dalifort, immense quartier populaire du sud de Dakar où s’alignent des maisons de ciment construites à la hâte, les pécules envoyés par les “hommes” sont presque le seul moyen de survivre. “Il n’y a pas de travail ici. Mais Mustaph me permet d’acheter la nourriture, les vêtements et de payer les factures”, dit Aïssata. Comme elle, les enfants, les belles-soeurs, les neveux et les nièces guettent, chaque mois, le jour de fête, ou de déception si le mandat se révèle petit. Plus de vingt personnes survivent des efforts du seul Mustaph, parti il y a onze ans à Nantes. “Il a quitté en avion et avec un visa”, s’empresse d’ajouter sa femme, un rien inquiète. Elle avoue ignorer le métier de son mari, qui n’est pas venu depuis trois ans. Aïssata “ne se plaint pas”. Une décennie de labeur a permis à la famille de Mustaph de passer pour des bourgeois auprès du voisinage. La petite maison familiale est devenue, aux regards des autres, une vaste construction57. »

    71Ignorer – ou feindre d’ignorer – le métier de celui qui est parti n’a rien d’exceptionnel. La bonne éducation veut que l’on ne pose pas ce genre de question. Ce qui importe, c’est le niveau de vie de la famille laissée au Sénégal et la scolarité des enfants. Mais il y a aussi des émigrés qui, en plus des mandats envoyés par la Western Union, Money Gram, Money Express, Wari ou autres opérateurs, investissent dans des infrastructures collectives, bureaux de poste, écoles et centres de soins, contribuant par là à des conditions de vie plus décentes, notamment en milieu rural (Tall, 2008). De plus, des activités économiques se développent grâce à leur entremise : ils font acheminer des voitures utilitaires depuis l’Europe – la Belgique de préférence ou l’Allemagne – pour les faire exploiter par un proche parent qui s’improvisera chauffeur de taxi ; ils achètent des moulins à moudre et autres machines à coudre ; et quand c’était à la mode, ils faisaient ouvrir des télécentres (Marfaing, 2003, p. 174 et suiv.). Les données précises font cependant défaut et, à en juger par les résultats d’une étude récente, la prudence s’impose quant aux répercussions des transferts sur la création d’emplois :

    « Nous avons […] observé que les migrants de la Moyenne vallée du Sénégal disposent, à la faveur des cotisations mensuelles, d’importantes sommes qui ne sont affectées qu’à des réalisations communautaires, mais non à des investissements privés et/ou créateurs d’emplois. En effet, rares sont les migrants qui peuvent se prévaloir d’avoir contribué à la mise sur pied d’une unité de service ou de production même familiale. » (P. D. Fall, 2010, p. 33.)

    72D’après une autre source, il semblerait que seulement une famille réceptrice de transferts sur dix affecte l’argent reçu à des investissements productifs58. Rien d’étonnant à cela : il faut du personnel compétent pour s’en occuper.

    73Le signe infaillible de la réussite de l’émigré est incontestablement l’investissement immobilier, au village, certes, mais aussi dans la banlieue dakaroise – là où l’habitat locatif des émigrés pallie l’absence de logements sociaux (Tall, 2008, p. 214-234) – ainsi que dans des quartiers comme Liberté V, Sacré Cœur ou le quartier Foire Nord, le long des axes routiers prestigieux, comme la VDN (Voie de dégagement Nord). Depuis quelques années, c’est la pointe des Almadies qui est devenue le must de la localisation, a fortiori depuis que Washington y a installé ses services diplomatiques. Les motifs d’investissement des émigrés traduisent un compromis entre contraintes économiques, desiderata personnels et réponses aux obligations sociales. Les émigrés investissent pour eux-mêmes et leur famille, dans le souci de posséder un pied à terre pour des séjours temporaires, de disposer d’un revenu régulier engendré par la mise en location et d’une sécurité matérielle au moment de la retraite59. Mais le souci spéculatif n’est pas absent non plus, avec tout ce que cela peut entraîner comme flambées des prix qui peuvent se révéler fort néfastes en termes macro-économiques et sociaux (Daffé, 2009).

    74Reste la question du retour. Il est vrai que la réinsertion peut être problématique, comme l’attestent un certain nombre d’études (Barro, 2008 ; Marfaing, 2003). Analysant le parcours d’expatriés sénégalais en Allemagne, Marfaing (2003, p. 172-180) montre que pour être parmi les gagnants, il peut être opportun de perpétuer « l’entre-deux », de miser sur la demande de produits sénégalais sur le marché européen par exemple, de faire valoir son savoir du Sud dans un emploi au Nord ou bien de travailler au Sud tout en étant rémunérés conformément aux barèmes en vigueur au Nord. Les consultants fournissent l’exemple le plus probant à ce propos. Un retour définitif est souvent jugé trop risqué, surtout si les enfants n’ont connu que les réalités européennes. L’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade avait encouragé maints Sénégalais de l’extérieur à rentrer « au pays » et à s’investir pour le « développement » de leur pays. Le président fraîchement élu n’avait-il pas ramené de Ouagadougou des jeunes Sénégalais, un geste qui allait marquer les esprits au début de son mandat (ibid., p. 183-184) ? Mais les espoirs furent vite déçus, comme l’exprime l’un d’eux : « [Wade] est en train de fragiliser l’équilibre du pays en jouant sur les sensibilités ethniques et religieuses des populations, alors que les régimes précédents avaient pu circonscrire ces problèmes jusque dans leurs plus simples expressions60. »

    75L’émigration peut donner lieu à des réalisations remarquables, et ceci pas seulement en termes d’investissements immobiliers. On peut en prendre pour preuve le parcours de Baba Tandian, imprimeur et figure bien connue de la vie économique du Sénégal. Naissance dans le Futa, parents divorcés, enfance à la Medina, parcours scolaire plutôt chaotique : les conditions de départ ne laissèrent point présager une ascension sociale impressionnante. Selon l’intéressé, « tout a été fait pour [l]’éloigner de [son] père61 ». D’où aussi sa détermination de « montrer quelque chose à [ses] parents ». C’est sans doute la discipline acquise dans le domaine sportif – le basket-ball – qui allait lui faciliter la tâche, lors de son expatriation en Allemagne tout d’abord, en France ensuite. Expatriation qu’il a mise en valeur, d’une part, pour acquérir les connaissances nécessaires à son projet économique, le développement de l’imprimerie paternelle, et, d’autre part, pour se constituer un capital de départ, sans flamber son salaire de joueur professionnel de basket-ball, à Clermont-Ferrand et Toulouse :

    « J’ai tellement économisé que je ne pouvais même pas acheter une bonne chemise […] j’ai gardé et porté le même manteau pendant dix ans […] j’avais une frénésie, une boulimie à économiser à mort même sur les billets d’avion. Je cherchais un billet qui coûtait 75 000 francs où il fallait aller à Moscou, passer par Bruxelles pour regagner Dakar62. »

    76De retour au Sénégal, après une douzaine d’années à l’étranger, il n’hésite pas à se rapprocher des hommes politiques les plus influents du pays, les présidents Diouf et Wade, les ministres Mamadou Diop et Jean Collin. Fier de son entregent et de son patrimoine – « je pèse environ 7 milliards » –, il ne recule pas devant des accointances politiciennes pour réaliser ses rêves de réussite. Indubitablement, l’économique et le politique font bon ménage, au Sénégal comme ailleurs…

    Conclusion

    77Dans les pages qui précèdent, nous nous sommes intéressés aux réalités quotidiennes des travailleurs sénégalais, à la manière dont ils accèdent au monde du travail, à leurs conditions de vie, aux stratégies leur permettant d’affronter ou de contourner les risques et incertitudes au jour le jour. Le Sénégal a désormais adopté les principes d’une économie basée sur la concurrence. Ces principes supposent que, dans les interactions quotidiennes – et a fortiori dans le monde professionnel –, les acteurs agissent en tant qu’individus détachés de leurs appartenances familiales, ethniques, religieuses, pour ne faire intervenir que leurs qualités humaines et leurs compétences acquises grâce à l’éducation et à la formation professionnelle. Or, les réalités semblent souvent être tout autres. Car dans la pratique, les Sénégalais continuent à mobiliser leurs réseaux sociaux, tout en faisant valoir leurs compétences, a fortiori lorsqu’elles sont acquises dans des établissements scolaires prestigieux. Leurs réseaux se sont complexifiés et enrichis d’attributions plus fonctionnelles, adaptées à une économie monétarisée où la réussite professionnelle compte incontestablement davantage que par le passé, mais où le politique et le religieux continuent à jouer un rôle essentiel.

    78Pour faire face aux difficultés au quotidien, pour parer la faiblesse et l’irrégularité des revenus, les stratégies employées sont nombreuses et fort variées. Rien d’étonnant à cela. Dans une société fortement conditionnée par le rural et les aléas de toutes sortes qui lui sont propres, on connaît de l’intérieur la nécessité de répartir les risques, d’avoir plusieurs horizons temporels : d’être dans le court terme parce que la flexibilité est de mise ; dans le long terme parce qu’il s’agit de préserver les acquis et de garantir la reproduction de la cellule familiale. Faire feu de tout bois semble être la devise de la personne auto-employée autant que du fonctionnaire ou du cadre dans une entreprise ayant pignon sur rue. Aller à l’information là où elle se trouve, chez les proches, dans les associations de toutes sortes, dans les médias, sur le web, et dénicher les opportunités. L’émigration peut en être une, pour s’acquitter des obligations sociales vis-à-vis de la société, mais aussi pour affirmer son statut social, pour réussir son projet de vie et en laisser une trace visible.

    Notes de bas de page

    1 En milieu rural, seul un ménage sur trois dispose d’un robinet d’eau dans sa cour ou dans son logement. Source : Sénégal, 2014a, p. 335. En février 2016, parmi les 14,5 millions d’habitants que compte le pays, 14 millions sont propriétaire d’un téléphone portable équipé d’un G2 ou G3. Source : Statistiques trimestrielles de l’Agence de la régulation des télécommunications et des postes, [http://www.artpsenegal.net/], accès avril 2016.

    2 À ce sujet, on lira avec intérêt Guérin et Selim, 2012.

    3 Voir les sites respectifs [http://www.profil.sn/], [http://www.peopledev.net/], [http://www.creationdentreprise.sn/training-power-sarl] (erreur en 2017), [http://www.africtalents.com/], etc., accès avril 2016. Selon toute évidence, les disparitions de cabinets sont fréquentes. Ainsi, on ne retrouve plus de trace de RTM, DIS, Innov’action, repérés au début des années 2000. En revanche, le cabinet le plus ancien, Éco-Afrique, [http://www.ecoafrique.net/], créé en 1993, continue à offrir ses services. On peut aussi voir Baumann, 2003a, texte dont sont reprises ici certaines idées clés.

    4 On peut écouter « Le retour des cerveaux », émission sur RFI du 11 octobre 2015 [http://www.rfi.fr/emission/20151011-le-retour-cerveaux-afrique], accès avril 2016.

    5 Voir, par exemple, [http://www.job-senegal.com/] et [http://www.senjob.com/], accès avril 2016.

    6 [http://www.planete-senegal.com/].

    7 Source : forum de discussion lié à l’article « Enseignement supérieur : le contrat de performance veut remettre l’Ucad sur la voie de l’excellence », Dakaractu, 17 janvier 2013, [http://www.dakaractu.com/Enseignement-superieur-Le-Contrat-de-
    performance-veut-remettre-l-Ucad-sur-la-voie-de-l-excellence_a37798.html
    /], accès janvier 2013. L’orthographe a été conservée.

    8 [http://www.planete-senegal.com/]. La présentation et l’orthographe ont été conservées, accès avril 2016.

    9 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AMDI, homme, 40 ans, patron d’un établissement de formation.

    10 Au sens de relations mobilisables en cas de nécessité. Voir Bourdieu, 1980.

    11 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AAF, homme, 32 ans, volontaire de l’éducation nationale.

    12 Voir notamment [http://web.worldbank.org/], lien « Social Development ». L’approche de la Banque mondiale consiste à penser le capital social plus comme des capacités sociétales et collectives, par opposition à l’approche bourdieusienne.

    13 Voir Weber, 1995 ; Marie, 1997.

    14 à ne pas confondre avec ces autres Lionceaux que sont les membres de l’équipe nationale de football !

    15 « J’essaie de ne diffuser que des CV de candidats ayant de l’expérience, car sinon je passerais mes journées à diffuser des CV de jeunes tant la demande est forte. Sans indicateur de mesure précis, il semble que les candidats pour lesquels je diffuse les CV sont sollicités de temps en temps par les entreprises. » (Communication personnelle, Ph. B., avril 2012.)

    16 Source : [http://www.supdeco.sn/Les-evenements-Supdeco.html], accès avril 2016. La communication est en langue anglaise, ce qui en dit long de l’affichage de l’ouverture sur l’international.

    17 Ibid. et chapitre vii du présent ouvrage.

    18 Voir [http://ism-alumni.com/], accès avril 2016. Les alumni de l’ISM disposent d’antennes en France et ailleurs sur le continent africain.

    19 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AG, homme, 32 ans, conseiller en ressources humaines.

    20 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : LN, homme, 38 ans, comptable dans une société d’assurance.

    21 Bus Mercedes appartenant au transporteur le plus célèbre du pays, né en 1931 et élevé au grade de grand officier de l’Ordre national du mérite par le président de la République. « L’incroyable saga du célèbre transporteur Ndiaga Ndiaye », L’Obs, 14 décembre 2015 [http://www.igfm.sn/portrait-lincroyable-saga-du-celebre-transporteur-ndiaga-ndiaye/], accès avril 2016.

    22 Comme le décrit si bien Aminata Sow Fall dans son roman La grève des Bàttu paru aux Nouvelles éditions africaines en 1979.

    23 Compris entre 0 et 1, le coefficient de Gini compare l’état de la répartition et une situation théorique d’égalité parfaite. Plus il est proche de zéro, plus on s’approche de l’égalité (tous les individus ont le même revenu). Plus il est proche de un, plus on est proche de l’inégalité totale (un seul individu reçoit tous les revenus). Sources : pour la France, Observatoire des inégalités, [http://www.inegalites.fr/], pour le Sénégal et le Brésil, Banque mondiale, [http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SI.POV.GINI], accès avril 2016.

    24 Voir aussi Fall A. S., 2007, p. 21-23 ; Fall A. S. et Ba, 2001.

    25 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AK, 32 ans, prestataire de services.

    26 Voir Collignon, 1984. Le terme d’encombrement humain revient régulièrement dans le discours public. Les initiatives de lutte contre ce phénomène se multiplient généralement la veille de manifestations internationales où il s’agit de présenter aux hôtes de prestige une image « respectable » de la capitale du Sénégal.

    27 Voir « “Sex and the city” à Dakar », Walfadjri, 25 novembre 2011.

    28 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : IG, homme, 37 ans, journalier dans l’industrie chimique et prestataire de services.

    29 Homme de situation modeste rendu célèbre par le caricaturiste T. T. Fons.

    30 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : ID, homme, 34 ans, gestionnaire d’une boutique de PMU.

    31 Connu jusqu’au Panama, serait-on tenté de dire. Source : « Panama Papers – Sénégal : Pierre Goudiaby Atepa : un parcours à part », Le Point Afrique, 14 avril 2016, [http://afrique.lepoint.fr/economie/panama-papers-senegal-pierre-goudiaby
    -atepa-un-parcours-a-part-13-04-2016-2032065_2258.php
    ], accès avril 2016. Voir aussi [http://cristalagency.com/atepa/] et le chapitre iv du présent ouvrage.

    32 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AK, homme, 32 ans, prestataire de services.

    33 Sources : presse quotidienne ; Fall A. S., 2007 ; Minvielle et al., 2005 ; Ndione, 1992 et 1993.

    34 « Le bon plan pour la crise, c’est d’acheter chinois », [http://dakarblog.info/news/le-bon-plan-pour-la-crise-c-est-d-acheter-chinois-2], posté le 11 mai 2009, accès 24 avril 2012 (erreur en 2017).

    35 Le départ de la maison parentale n’est d’ailleurs pas la règle pour les jeunes adultes mariés, comme il l’est dans les pays du Nord. Bien au contraire, le fait de rester dans la maison paternelle peut même être considéré comme un quasi-droit. Ainsi, tel père saint-louisien, mécontent de son fils, qui enjoint ce dernier de quitter la maison familiale, s’entend rétorquer : « Démouma fènn, fii sama keur papala ! » (« Je ne vais nulle part, c’est la maison de mon père ici ! ») Je remercie Mouhamedoune Abdoulaye Fall de m’avoir communiqué cette information.

    36 Un renversement qui peut aussi s’opérer au sein de la fratrie même. C’est de plus en plus celui qui dispose de moyens matériels – et qui en fait bénéficier les autres, ceci va sans dire ! – qui sera mieux placé dans la hiérarchie, indépendamment de son rang de naissance.

    37 Voir « Concurrence des produits chinois et “lumas”, insécurité… Colobane, un marché en perte de vitesse », Le Soleil, 26 juillet 2011.

    38 Diène, 2008, p. 130-131.

    39 La dépigmentation de la peau, pratique favorisée par la généralisation des critères de beauté venus du Nord, fait partie des stratégies professionnelles et matrimoniales. Les produits utilisés vont de l’hydrochinone à l’eau de javel, en passant par les corticoïdes. Voir [http://www.youtube.com/watch?v=bTJXox_m4WI] et [http://www.youtube.com/watch?v=9plu-K5XUtI&feature=related], accès avril 2016.

    40 Diène, 2008 p. 25-26.

    41 Voir [http://www.forbes.com/billionaires/list/], consultations de 2011 à avril 2016. Dans l’édition 2015, on trouve seulement un seul Africain du Sud du Sahara, originaire du Nigéria.

    42 Voir « Yérim Sow, l’insaisissable golden boy sénégalais », Jeune Afrique, 22 février 2011, ainsi que [http://www.seaplazadakar.sn/] (erreur en 2017) et [http://www.waterfront.sn/], accès avril 2016.

    43 Voir « Sea Plaza : un temple sénégalais à la recherche de ses adeptes », Jeune Afrique, 11 mars 2011.

    44 C’est Ahmed Khalifa Niasse, issu de la famille des marabouts niassènes, spécialisé dans l’immobilier et le tourisme qui s’exprime ainsi. Voir « Sénégal : chic, cher et en vitrine », Jeune Afrique, 2 septembre 2011.

    45 Voir aussi le film La Pirogue de Moussa Touré (France-Sénégal, 2012, 85 min), diffusé sur Arte le 24 juin 2015.

    46 Pour approfondir, on peut consulter les travaux de Ba, 1996 ; Bredeloup, 1992 ; Robin, 1995, et, plus récemment, Diop M. C., 2008 ; Fall et  P. D., 2010 ;NdiayeRobin, 2010 ; Tall, 2008 et 2009.

    47 Les navétanes furent des migrants saisonniers souvent originaires de Guinée. Leur migration était essentiellement liée à la culture de l’arachide. Travaillant généralement trois jours par semaine pour leur employeur, celui-ci mettait à leur disposition un lopin de terre et les rémunérait en semences d’arachide. Voir David, 1980 ; Oya, 2007. Depuis les années 1980, le phénomène a régressé au profit de l’emploi saisonnier. Étymologiquement, le terme s’explique par le mot wolof pour la saison des pluies, nawete.

    48 « L’Argentine connaît une immigration soudaine d’origine africaine », Le Monde, 21 octobre 2009 et « Immigration africaine en Amérique centrale et du Sud », Hispanioo, 21 octobre 2009, [http://www.hispanioo.com/index.php/post/2009/10/21/Immigration-africaine-en-Amerique-centrale-et-du-sud], accès août 2015.

    49 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : ID, homme, 34 ans, gestionnaire d’une boutique de PMU.

    50 Source : Ndiaye M., 1998, p. 396. Le Magal est le pèlerinage annuel à Touba, ville sainte des Mourides.

    51 Les mises en garde contre l’émigration clandestine se perpétuent, indice que le phénomène n’a pas cessé complètement. En témoigne la vidéo « Comment les immigrants illégaux risquent leur vie en essayant d’atteindre les côtes espagnoles ! » diffusée sur seneweb video, le 6 avril 2013 [http://www.seneweb.com/news/Immigration/video-comment-les-immigrants
    -illegaux-risquent-leur-vie-en-essayant-d-atteindre-les-cotes-espagnoles_n_92552.html
    ], accès avril 2016.

    52 Voir, entre autres, Marfaing, 2003.

    53 Source : BCEAO.

    54 Message posté par un certain Amadou le 19 juin 2006 [http://www.seneweb.com/news/article/2656.php], consulté le 27 juin 2006 (erreur en 2017). L’orthographe de l’auteur a été conservée.

    55 Source : Bertoncello et Bredeloup, 2007, p. 104. L’interlocuteur a été rencontré à Guangzhou en juillet 2006.

    56 Voir [http://actualite.workosenegal.com/category/portrait/diaspora-success/], accès avril 2016 (erreur en 2017).

    57 Source : « Pour les Sénégalais, l’exil favorise l’ascension sociale », [www.lefigaro.fr], 14 octobre 2007, accès avril 2016.

    58 Contre 46 % des familles réceptrices au Mali. Source : BAD, 2007, p. 42.

    59 Pour la « sécurité-patrimoine », voir aussi le chapitre viii.

    60 Message électronique reçu le 14 juin 2003 de la part d’un Sénégalais diplômé d’université.

    61 « En public, en privé avec Baba Tandian : “Moi Baba Tandian, je pèse environ 7 milliards” », Le populaire, 15 janvier 2011. Voir aussi le dossier consacré à B. Tandian par Sud Quotidien, 29 janvier 1996.

    62 « En public, en privé avec Baba Tandian… », art. cité.

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    1 En milieu rural, seul un ménage sur trois dispose d’un robinet d’eau dans sa cour ou dans son logement. Source : Sénégal, 2014a, p. 335. En février 2016, parmi les 14,5 millions d’habitants que compte le pays, 14 millions sont propriétaire d’un téléphone portable équipé d’un G2 ou G3. Source : Statistiques trimestrielles de l’Agence de la régulation des télécommunications et des postes, [http://www.artpsenegal.net/], accès avril 2016.

    2 À ce sujet, on lira avec intérêt Guérin et Selim, 2012.

    3 Voir les sites respectifs [http://www.profil.sn/], [http://www.peopledev.net/], [http://www.creationdentreprise.sn/training-power-sarl] (erreur en 2017), [http://www.africtalents.com/], etc., accès avril 2016. Selon toute évidence, les disparitions de cabinets sont fréquentes. Ainsi, on ne retrouve plus de trace de RTM, DIS, Innov’action, repérés au début des années 2000. En revanche, le cabinet le plus ancien, Éco-Afrique, [http://www.ecoafrique.net/], créé en 1993, continue à offrir ses services. On peut aussi voir Baumann, 2003a, texte dont sont reprises ici certaines idées clés.

    4 On peut écouter « Le retour des cerveaux », émission sur RFI du 11 octobre 2015 [http://www.rfi.fr/emission/20151011-le-retour-cerveaux-afrique], accès avril 2016.

    5 Voir, par exemple, [http://www.job-senegal.com/] et [http://www.senjob.com/], accès avril 2016.

    6 [http://www.planete-senegal.com/].

    7 Source : forum de discussion lié à l’article « Enseignement supérieur : le contrat de performance veut remettre l’Ucad sur la voie de l’excellence », Dakaractu, 17 janvier 2013, [http://www.dakaractu.com/Enseignement-superieur-Le-Contrat-de-
    performance-veut-remettre-l-Ucad-sur-la-voie-de-l-excellence_a37798.html
    /], accès janvier 2013. L’orthographe a été conservée.

    8 [http://www.planete-senegal.com/]. La présentation et l’orthographe ont été conservées, accès avril 2016.

    9 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AMDI, homme, 40 ans, patron d’un établissement de formation.

    10 Au sens de relations mobilisables en cas de nécessité. Voir Bourdieu, 1980.

    11 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AAF, homme, 32 ans, volontaire de l’éducation nationale.

    12 Voir notamment [http://web.worldbank.org/], lien « Social Development ». L’approche de la Banque mondiale consiste à penser le capital social plus comme des capacités sociétales et collectives, par opposition à l’approche bourdieusienne.

    13 Voir Weber, 1995 ; Marie, 1997.

    14 à ne pas confondre avec ces autres Lionceaux que sont les membres de l’équipe nationale de football !

    15 « J’essaie de ne diffuser que des CV de candidats ayant de l’expérience, car sinon je passerais mes journées à diffuser des CV de jeunes tant la demande est forte. Sans indicateur de mesure précis, il semble que les candidats pour lesquels je diffuse les CV sont sollicités de temps en temps par les entreprises. » (Communication personnelle, Ph. B., avril 2012.)

    16 Source : [http://www.supdeco.sn/Les-evenements-Supdeco.html], accès avril 2016. La communication est en langue anglaise, ce qui en dit long de l’affichage de l’ouverture sur l’international.

    17 Ibid. et chapitre vii du présent ouvrage.

    18 Voir [http://ism-alumni.com/], accès avril 2016. Les alumni de l’ISM disposent d’antennes en France et ailleurs sur le continent africain.

    19 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AG, homme, 32 ans, conseiller en ressources humaines.

    20 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : LN, homme, 38 ans, comptable dans une société d’assurance.

    21 Bus Mercedes appartenant au transporteur le plus célèbre du pays, né en 1931 et élevé au grade de grand officier de l’Ordre national du mérite par le président de la République. « L’incroyable saga du célèbre transporteur Ndiaga Ndiaye », L’Obs, 14 décembre 2015 [http://www.igfm.sn/portrait-lincroyable-saga-du-celebre-transporteur-ndiaga-ndiaye/], accès avril 2016.

    22 Comme le décrit si bien Aminata Sow Fall dans son roman La grève des Bàttu paru aux Nouvelles éditions africaines en 1979.

    23 Compris entre 0 et 1, le coefficient de Gini compare l’état de la répartition et une situation théorique d’égalité parfaite. Plus il est proche de zéro, plus on s’approche de l’égalité (tous les individus ont le même revenu). Plus il est proche de un, plus on est proche de l’inégalité totale (un seul individu reçoit tous les revenus). Sources : pour la France, Observatoire des inégalités, [http://www.inegalites.fr/], pour le Sénégal et le Brésil, Banque mondiale, [http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SI.POV.GINI], accès avril 2016.

    24 Voir aussi Fall A. S., 2007, p. 21-23 ; Fall A. S. et Ba, 2001.

    25 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AK, 32 ans, prestataire de services.

    26 Voir Collignon, 1984. Le terme d’encombrement humain revient régulièrement dans le discours public. Les initiatives de lutte contre ce phénomène se multiplient généralement la veille de manifestations internationales où il s’agit de présenter aux hôtes de prestige une image « respectable » de la capitale du Sénégal.

    27 Voir « “Sex and the city” à Dakar », Walfadjri, 25 novembre 2011.

    28 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : IG, homme, 37 ans, journalier dans l’industrie chimique et prestataire de services.

    29 Homme de situation modeste rendu célèbre par le caricaturiste T. T. Fons.

    30 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : ID, homme, 34 ans, gestionnaire d’une boutique de PMU.

    31 Connu jusqu’au Panama, serait-on tenté de dire. Source : « Panama Papers – Sénégal : Pierre Goudiaby Atepa : un parcours à part », Le Point Afrique, 14 avril 2016, [http://afrique.lepoint.fr/economie/panama-papers-senegal-pierre-goudiaby
    -atepa-un-parcours-a-part-13-04-2016-2032065_2258.php
    ], accès avril 2016. Voir aussi [http://cristalagency.com/atepa/] et le chapitre iv du présent ouvrage.

    32 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : AK, homme, 32 ans, prestataire de services.

    33 Sources : presse quotidienne ; Fall A. S., 2007 ; Minvielle et al., 2005 ; Ndione, 1992 et 1993.

    34 « Le bon plan pour la crise, c’est d’acheter chinois », [http://dakarblog.info/news/le-bon-plan-pour-la-crise-c-est-d-acheter-chinois-2], posté le 11 mai 2009, accès 24 avril 2012 (erreur en 2017).

    35 Le départ de la maison parentale n’est d’ailleurs pas la règle pour les jeunes adultes mariés, comme il l’est dans les pays du Nord. Bien au contraire, le fait de rester dans la maison paternelle peut même être considéré comme un quasi-droit. Ainsi, tel père saint-louisien, mécontent de son fils, qui enjoint ce dernier de quitter la maison familiale, s’entend rétorquer : « Démouma fènn, fii sama keur papala ! » (« Je ne vais nulle part, c’est la maison de mon père ici ! ») Je remercie Mouhamedoune Abdoulaye Fall de m’avoir communiqué cette information.

    36 Un renversement qui peut aussi s’opérer au sein de la fratrie même. C’est de plus en plus celui qui dispose de moyens matériels – et qui en fait bénéficier les autres, ceci va sans dire ! – qui sera mieux placé dans la hiérarchie, indépendamment de son rang de naissance.

    37 Voir « Concurrence des produits chinois et “lumas”, insécurité… Colobane, un marché en perte de vitesse », Le Soleil, 26 juillet 2011.

    38 Diène, 2008, p. 130-131.

    39 La dépigmentation de la peau, pratique favorisée par la généralisation des critères de beauté venus du Nord, fait partie des stratégies professionnelles et matrimoniales. Les produits utilisés vont de l’hydrochinone à l’eau de javel, en passant par les corticoïdes. Voir [http://www.youtube.com/watch?v=bTJXox_m4WI] et [http://www.youtube.com/watch?v=9plu-K5XUtI&feature=related], accès avril 2016.

    40 Diène, 2008 p. 25-26.

    41 Voir [http://www.forbes.com/billionaires/list/], consultations de 2011 à avril 2016. Dans l’édition 2015, on trouve seulement un seul Africain du Sud du Sahara, originaire du Nigéria.

    42 Voir « Yérim Sow, l’insaisissable golden boy sénégalais », Jeune Afrique, 22 février 2011, ainsi que [http://www.seaplazadakar.sn/] (erreur en 2017) et [http://www.waterfront.sn/], accès avril 2016.

    43 Voir « Sea Plaza : un temple sénégalais à la recherche de ses adeptes », Jeune Afrique, 11 mars 2011.

    44 C’est Ahmed Khalifa Niasse, issu de la famille des marabouts niassènes, spécialisé dans l’immobilier et le tourisme qui s’exprime ainsi. Voir « Sénégal : chic, cher et en vitrine », Jeune Afrique, 2 septembre 2011.

    45 Voir aussi le film La Pirogue de Moussa Touré (France-Sénégal, 2012, 85 min), diffusé sur Arte le 24 juin 2015.

    46 Pour approfondir, on peut consulter les travaux de Ba, 1996 ; Bredeloup, 1992 ; Robin, 1995, et, plus récemment, Diop M. C., 2008 ; Fall et  P. D., 2010 ;NdiayeRobin, 2010 ; Tall, 2008 et 2009.

    47 Les navétanes furent des migrants saisonniers souvent originaires de Guinée. Leur migration était essentiellement liée à la culture de l’arachide. Travaillant généralement trois jours par semaine pour leur employeur, celui-ci mettait à leur disposition un lopin de terre et les rémunérait en semences d’arachide. Voir David, 1980 ; Oya, 2007. Depuis les années 1980, le phénomène a régressé au profit de l’emploi saisonnier. Étymologiquement, le terme s’explique par le mot wolof pour la saison des pluies, nawete.

    48 « L’Argentine connaît une immigration soudaine d’origine africaine », Le Monde, 21 octobre 2009 et « Immigration africaine en Amérique centrale et du Sud », Hispanioo, 21 octobre 2009, [http://www.hispanioo.com/index.php/post/2009/10/21/Immigration-africaine-en-Amerique-centrale-et-du-sud], accès août 2015.

    49 Corpus Baumann, Sénégal/DES/1994-2005 : ID, homme, 34 ans, gestionnaire d’une boutique de PMU.

    50 Source : Ndiaye M., 1998, p. 396. Le Magal est le pèlerinage annuel à Touba, ville sainte des Mourides.

    51 Les mises en garde contre l’émigration clandestine se perpétuent, indice que le phénomène n’a pas cessé complètement. En témoigne la vidéo « Comment les immigrants illégaux risquent leur vie en essayant d’atteindre les côtes espagnoles ! » diffusée sur seneweb video, le 6 avril 2013 [http://www.seneweb.com/news/Immigration/video-comment-les-immigrants
    -illegaux-risquent-leur-vie-en-essayant-d-atteindre-les-cotes-espagnoles_n_92552.html
    ], accès avril 2016.

    52 Voir, entre autres, Marfaing, 2003.

    53 Source : BCEAO.

    54 Message posté par un certain Amadou le 19 juin 2006 [http://www.seneweb.com/news/article/2656.php], consulté le 27 juin 2006 (erreur en 2017). L’orthographe de l’auteur a été conservée.

    55 Source : Bertoncello et Bredeloup, 2007, p. 104. L’interlocuteur a été rencontré à Guangzhou en juillet 2006.

    56 Voir [http://actualite.workosenegal.com/category/portrait/diaspora-success/], accès avril 2016 (erreur en 2017).

    57 Source : « Pour les Sénégalais, l’exil favorise l’ascension sociale », [www.lefigaro.fr], 14 octobre 2007, accès avril 2016.

    58 Contre 46 % des familles réceptrices au Mali. Source : BAD, 2007, p. 42.

    59 Pour la « sécurité-patrimoine », voir aussi le chapitre viii.

    60 Message électronique reçu le 14 juin 2003 de la part d’un Sénégalais diplômé d’université.

    61 « En public, en privé avec Baba Tandian : “Moi Baba Tandian, je pèse environ 7 milliards” », Le populaire, 15 janvier 2011. Voir aussi le dossier consacré à B. Tandian par Sud Quotidien, 29 janvier 1996.

    62 « En public, en privé avec Baba Tandian… », art. cité.

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    Ce livre est cité par

    • Servet, Jean-Michel. (2015) La finance autrement ?. DOI: 10.4000/books.septentrion.8287
    • Servet, Jean-Michel. (2016) Critical Studies on Corporate Responsibility, Governance and Sustainability Finance Reconsidered: New Perspectives for a Responsible and Sustainable Finance. DOI: 10.1108/S2043-905920160000010028
    • Berrou, Jean-Philippe. Combarnous, François. Eekhout, Thomas. Mellet, Kevin. (2020) Mon mobile, mon marché. Réseaux, N° 219. DOI: 10.3917/res.219.0105

    Sénégal, le travail dans tous ses états

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    Baumann, E. (2016). Chapitre I : Trouver du travail et en vivre…. In Sénégal, le travail dans tous ses états (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.46497
    Baumann, Eveline. « Chapitre I : Trouver du travail et en vivre… ». In Sénégal, le travail dans tous ses états. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2016. https://doi.org/10.4000/books.pur.46497.
    Baumann, Eveline. « Chapitre I : Trouver du travail et en vivre… ». Sénégal, le travail dans tous ses états, Presses universitaires de Rennes, 2016, https://doi.org/10.4000/books.pur.46497.

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    Baumann, E. (2016). Sénégal, le travail dans tous ses états (1‑). Presses universitaires de Rennes, IRD Éditions. https://doi.org/10.4000/books.pur.46484
    Baumann, Eveline. Sénégal, le travail dans tous ses états. Rennes: Presses universitaires de Rennes, IRD Éditions, 2016. https://doi.org/10.4000/books.pur.46484.
    Baumann, Eveline. Sénégal, le travail dans tous ses états. Presses universitaires de Rennes, IRD Éditions, 2016, https://doi.org/10.4000/books.pur.46484.
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