Introduction

1Dans un article remarquablement documenté, Demoustier et Wilson-Courvoisier (2009) ont dressé la déjà longue histoire des rendez-vous entre l’économie sociale et solidaire (l’ESS) et l’Éducation nationale (de l’école primaire jusqu’à l’université). En effet, « depuis ses origines associationnistes, mutualistes et coopératives, l’ESS a intégré un projet éducatif dans son projet économique, à la fois par nécessité (l’apprentissage de l’association) et par volonté (l’émancipation ouvrière) » (ibid., p. 60). Ce projet éducatif a le plus souvent été conduit au sein de l’éducation populaire, dans le cadre du péri-scolaire ou de la formation permanente (Poujol, 1981). Il a plus rarement trouvé sa place au sein de l’Éducation nationale où il a néanmoins connu une phase haute au début du xx^e siècle avec la conjonction non fortuite d’une dynamique sociale en faveur des coopératives, de consommation en particulier, et la création des coopératives scolaires par des instituteurs militants. Ce fut à cette époque que fut créée la chaire de la coopération au Collège de France, en 1920, dont le titulaire fut Charles Gide (Lacroix, 1993).

2Un siècle après, de nombreux signaux indiquent sans doute le début d’une nouvelle phase haute du cycle. Celle-ci commence par la conjonction entre les nouvelles entreprises sociales dont les structures de l’insertion par l’activité économique sont emblématiques (Borzaga et Defourny, 2001) et la création de chaires d’entrepreneuriat social dans les grandes écoles de commerce, à l’Essec en 2004 puis à HEC en 2009. Alors que dans leur article de 2009, Demoustier et Wilson-Courvoisier notent une limite en écrivant « que le rôle de l’université peine encore à être reconnu à côté de celui des grandes écoles de commerce » (2009, p. 68), cette diffusion gagne depuis l’université où de nombreuses chaires y sont à leur tour créées. Ce lien entre l’ESS et l’Éducation nationale est institutionnalisé par deux accords cadres de coopération visant à promouvoir l’enseignement de l’ESS dans le secondaire puis dans le supérieur, signés en 2013 pour le premier et en 2014 pour le second, entre, d’un côté, les ministères de l’Éducation nationale et de l’Économie sociale et solidaire et, de l’autre côté, des représentants institutionnels de l’ESS, dont l’économie sociale partenaire de l’école de la République (Esper).

3L’initiative partagée Coop’à-prendre, entre la chaire ESS de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPem) et la coopérative Coopaname, constitue un exemple de ce nouveau rendez-vous, largement international, entre l’école et la coopération (Riot, 2013). La restitution que nous en proposons ici, en tant que chercheurs et acteurs, va nous amener à identifier les écueils de l’éducation à la coopération à l’université, puis à montrer le rôle joué par la transmission pour dépasser ces derniers. Cette expérimentation retrouve le lien consubstantiel parfois oublié, entre transmission et coopération en tant qu’il permet d’éviter au collectif de se dissoudre dans les individus qui le composent. Cette action de formation est racontée en trois épisodes : celui d’abord de sa genèse à Coopaname ; celui, ensuite, de ses premières réalisations avec les étudiants ; celui, enfin, de son évolution vers la création d’une coopérative Coop’à-prendre sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic).

L’éducation à la coopération à Coopaname

4L’initiative pédagogique Coop’à-prendre trouve son origine dans l’évolution de la coopérative d’activité et d’emploi (CAE) Coopaname qui, après quelques années d’existence, a ressenti la nécessité d’ajouter, au-delà des activités déjà diversifiées de ses membres, une activité auprès des jeunes relevant de l’éducation populaire. Elle retrouvait, plus d’un siècle après Charles Gide, ce trait général de la coopération selon lequel celle-ci ne va jamais sans une action éducative où le souci de tous devient une réalité concrète pour chacun.

La CAE Coopaname et l’éducation à la coopération

5Dès les années 2000, alors même que les premiers initiateurs des coopératives d’activités et d’emploi n’en avaient pas encore pleinement conscience, Jean-François Draperi répétait à l’envi que la raison d’être des CAE était la formation coopérative et à la coopération. Dans son ouvrage Comprendre l’économie sociale, il consacre un chapitre aux coopératives d’activités et d’emploi dans lequel il formalise son propos en posant un parallèle entre les CAE et le Familistère de Guise. Il montre que ces deux expériences, à plus d’un siècle d’intervalle, s’attaquent au même enjeu éducatif (Draperi, 2007) : comment éduquer massivement à la coopération des personnes qui n’y sont pas préparées afin qu’elles bâtissent ensemble un outil économique d’émancipation collective ? La réponse de Godin au Familistère de Guise souligne la nécessité de faire reposer l’édifice sur la sécurité sociale, octroyée d’emblée et sans condition à chacun, sous une forme mutualiste (Draperi, 2008). Cette démarche trouve un écho dans la pratique des CAE dont le fondement même, depuis leur origine, est la sécurisation des personnes. Aussi, en continuant à se construire en tant que « mutuelles de travail », les CAE semblent devoir leur permettre de devenir ce qu’elles ont toujours été : des outils de sécurisation collective des parcours professionnels individuels. Une coopérative de production qui serait le support d’une mutuelle, dont le moteur serait la pédagogie coopérative et l’objectif, l’émancipation dans un contexte de précarité : voilà qui rapproche beaucoup du Familistère, et ancre le projet d’une CAE comme Coopaname au cœur de l’économie sociale et solidaire toute entière. À ce titre, le processus d’évolution des CAE illustre bien la démarche expérimentale qui caractérise l’économie sociale et solidaire et préside aux innovations institutionnelles qu’elle génère depuis plus de 150 ans (Sangiorgio et Veyer, 2008).

6Ainsi, même si non revendiqué au départ, il devient rapidement clair avec le temps que Coopaname retisse un lien avec l’éducation populaire ; en tant que l’éducation populaire est porteuse de l’idée que la culture, quelle qu’elle soit, est la chose la plus partagée, indissociable de la formation et de l’éducation réciproque ; que la recherche-action se fait dans la co-construction chemin faisant. Cette prise de conscience, et donc cette orientation dès lors pleinement assumée, devient de plus en plus manifeste avec le développement de ce que Coopaname nomme le « projet jeunes ». D’abord porté en 2009 par sa marraine grenobloise Vecteur Activités, en collaboration avec une association d’éducation populaire et citoyenne Cap Berriat, le projet consiste à accueillir de jeunes porteurs de projets désireux de tenter de créer leur propre emploi, seuls ou à plusieurs, qu’ils soient diplômés ou pas, issus de quartiers sensibles ou non, dans une entreprise collective qu’ils partagent plutôt que sous forme de micro-entreprise individuelle ou au sein d’associations factices. Vecteur Activités est une coopérative d’activités et d’emploi ; Cap Berriat une pépinière d’associations. Il reste alors en 2010 à créer conjointement Paprica1, une couveuse associative d’activités non marchandes, et donc non fiscalisées, portée par les jeunes et fonctionnant comme une coopérative d’activités et d’emploi au sein d’une pépinière d’activités et d’une coopérative de projet.

Un projet d’éducation populaire à Coopaname

7Dans ce projet, il apparaissait nécessaire d’accompagner les jeunes sur ce qui est susceptible de leur manquer le plus : l’expérience professionnelle. La mise en place de pratiques d’apprentissage, c’est-à-dire, l’acquisition de connaissances et de compétences par « le faire », s’impose comme une nécessité.

8Coopaname entend alors développer son engagement dans le compagnonnage. Elle définit ce « compagnonnage » par l’organisation de la transmission du savoir-faire et du savoir-être tout en y intégrant l’intérêt que l’action de formation apporte aussi au maître, et non plus seulement à l’apprenti. En 2011, Coopaname confie à Claire Mollard le projet de lancement d’une plateforme partenariale d’émergence de projets pour la citoyenneté économique des jeunes franciliens en partenariat avec Minga et l’association Plus loin. Plutôt que de considérer les jeunes comme des problèmes à traiter, le projet affirme qu’ils sont une ressource pour la société et la vie des territoires parce qu’ils portent en eux des potentiels importants en termes de créativité et d’innovation sociétale, en particulier dans le domaine économique. Cette plateforme multi-partenariale vise alors à promouvoir la citoyenneté économique des jeunes franciliens et à faciliter l’émergence de leurs projets dans une logique coopérative et équitable pour un développement durable.

9Pour cela, la plateforme expérimente avec les jeunes des formes innovantes d’accompagnement multi-acteurs appliquant les principes d’une pédagogie active. Avec celle-ci, il s’agit de permettre aux participants d’être associés à l’élaboration des savoirs et d’être pilotes des actions menées. Elle porte une construction collective d’une réflexion sur l’économie et le travail, de projets économiques et de création d’emplois.

10Les objectifs de la plateforme s’articulent autour de trois axes :

• sensibilisation des jeunes à l’ESS pour un développement durable ;

• amorçage de projets professionnels de jeunes dans le cadre de l’ESS ;

• incubation de projets d’activités économiques portés par des jeunes.

11La plateforme finira par se fondre dans la déclinaison locale du projet national, Plate-forme initiative et mobilisation (des jeunes) pour entreprendre solidairement (Piments)2 dont Coopaname et sa marraine Vecteur Activités, aux côtés de Cap Berriat, sont en partie les initiateurs. Le projet Piments consacre au niveau national la rencontre entre des structures de l’éducation populaire et des entreprises de l’économie sociale. Elle vise à l’émergence et à l’accompagnement de jeunes porteurs de projets de création de leurs propres emplois, qu’ils soient dans le secteur marchand ou non marchand.

12La participation de Coopaname à la chaire ESS-Upem offrit l’opportunité de développer ces initiatives au sein de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, en lien également avec le bureau d’aide à l’insertion professionnelle, où elles prirent le nom de Coop’à-prendre.

L’initiative pédagogique Coop’à-prendre

13Cette inclinaison de la coopérative Coopaname vers l’éducation à la coopération auprès des jeunes lui fait vite rencontrer sur son chemin les actions de formation de la nouvelle chaire ESS de l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée. Créée en février 2010, cette chaire associe l’université à des partenaires de l’ESS pour faire reconnaître dans l’enseignement supérieur et la recherche les spécificités de l’ESS comme une autre économie. Pour cela, son programme de travail se structure autour de trois axes : la recherche, l’enseignement et la sensibilisation.

14Dès 2011, Coopaname devient un des membres de la chaire ESS-Upem. Son partenariat se développe dans plusieurs directions, à plusieurs niveaux : avec la licence professionnelle Management des organisations de l’économie sociale, via l’apprentissage ; avec la co-organisation des journées de l’économie équitable en 2012 au sein du collectif Minga ; avec, enfin, le projet d’une sensibilisation des étudiants de l’université à entreprendre sous forme coopérative. Le projet pédagogique Coop’à-prendre concrétise cette initiative partagée.

Les premières réalisations de Coop’à-prendre

15À l’origine, en 2011, Coop’à-Prendre s’adresse d’abord aux étudiants de premier cycle en leur proposant de créer, dans un cadre sécurisé, une réelle activité économique sous forme coopérative le temps d’une année universitaire. En lien avec un acteur du territoire, les étudiants choisissent eux-mêmes le projet qu’ils souhaitent développer. Aucun enseignement magistral n’est dispensé et les compétences nécessaires au développement du projet sont construites par les participants eux-mêmes. En groupe de cinq à dix, les étudiants sont accompagnés par un binôme de professionnels (un accompagnateur de projets économiques coopératifs et un acteur local) lors d’ateliers hebdomadaires. À chaque étape du développement du projet, les étudiants peuvent acquérir les bases de la gestion budgétaire, de l’organisation d’un projet, de sa communication et sa démarche commerciale, de la construction de partenariats, de la gouvernance coopérative, etc.

16Coop’à-prendre se développe hors cursus, s’organisant la première année avec les étudiants de deuxième année d’économie et gestion et de sciences humaines et sociales, sur la base du volontariat. Les étudiants participants le font en dehors de leurs temps de formation, sur la base d’un atelier par semaine. Lors de cette première année expérimentale, Coop’à-prendre bénéficie de la participation assidue d’un partenaire local : l’association Living Room Project. Cette association, composée principalement d’anciens étudiants de l’Upem vise le développement d’un centre social coopératif sur le Val Maubuée. Cette participation bénévole s’avère bénéfique. Elle permet un échange de bons procédés : les membres de Living Room Project apprenant « sur le tas » les techniques d’accompagnement de projets de Coopaname tandis que les étudiants de Coop’à-prendre disposaient d’une personne-ressource locale en continue.

17Plus précisément, le développement de l’expérimentation 2011-2012 se déroule en quatre phases.

Phase 1 : construction d’une équipe et première approche de l’économie sociale et solidaire

18Les étudiants participants, tous issus des sciences sociales et fréquentant les mêmes travaux dirigés ne se connaissent pas avant le projet. Les premiers ateliers sont donc consacrés à la nécessaire construction d’une relation de confiance et d’interconnaissance entre les étudiants, et avec leur accompagnatrice. Ils acquièrent ainsi les bases d’une démarche d’auto-formation, dans une relation de groupe non hiérarchique. Échange sur les attentes réciproques, détermination collective de règles de fonctionnement du groupe, rencontre avec les enseignants référents et réflexion collective sur les principes et valeurs de l’économie sociale et solidaire ont permis de finaliser la phase 1.

Phase 2 : création et définition du projet commun

19Pour déterminer leur projet, le groupe s’est donné comme règle et méthode la nécessaire réponse du projet aux aspirations socioprofessionnelles de chacun. Sur cette base, plusieurs séances de créativité permettent au groupe de travailler sur la création de lien social entre les étudiants sur le campus, et plus spécifiquement autour des bâtiments du Bois de l’Étang. Faire « du bruit », travailler ensemble, s’amuser, créer des événements, être en lien avec son territoire, bien manger « local et frais », avoir un endroit pour se détendre et débattre le projet « Le Boukan », bar coopératif géré par et pour les étudiants du Bois de l’Étang était né.

Phase 3 : exploration des possibilités et consolidation

20En initiant la mise en œuvre du « projet rêvé », les participants comprennent la nécessité de connaître les attentes des étudiants vis-à-vis d’un tel lieu, ainsi que l’environnement social et économique de leur projet. Pour cela, ils développent et administrent un questionnaire à une centaine d’étudiants (mettant en œuvre les savoir faire acquis en matière d’enquête sociologique) et étudient leur « zone de chalandise » et la « concurrence ». En parallèle, ils explorent les partenaires potentiels sur le territoire, en particulier les fournisseurs en « circuit court » ainsi que les acteurs socioculturels. En parallèle, l’accompagnatrice, les enseignants et le partenaire local permettent au groupe de rencontrer un certain nombre de personnes ressources internes et externes à l’université : autres projets étudiants ayant des points communs, acteurs extérieurs avec projets similaires, personnes ressources sur le fonctionnement des institutions universitaires, etc.

Phase 4 : premiers développements et réalisations opérationnelles

21Pour réaliser le projet, et commencer à le mettre en œuvre, le groupe monte un dossier et le soumet aux autorités universitaires et teste leur idée sous forme de « Boukan éphémère ». Ainsi, ils mènent en parallèle le développement d’un projet global, qui suppose l’attribution d’un espace physique par l’université, et un événement ponctuel, qui a lieu le 18 octobre 2012.

Ambitions et difficultés de Coop’à-prendre

22En conformité avec la philosophie de la chaire ESS-Upem, le projet Coop’à-prendre vise à inscrire l’ESS au cœur de l’université, notamment en élargissant sa présence et sa visibilité au-delà des formations qui lui sont dédiées. Ainsi, Coop’à-prendre a vocation à s’adresser à tous les étudiants de l’Upem. En lien avec le projet de Coopaname, Coop’à-prendre vise à faire découvrir aux jeunes étudiants un nouveau mode d’entrepreneuriat, collectif et solidaire, en le pratiquant avec des professionnels porteurs d’une pédagogie active. Celle-ci induit un ensemble de tâches dans lesquelles tous peuvent s’impliquer et jouer un rôle actif qui peut varier en fonction des intérêts et des disponibilités de chacun.

23La démarche de Coop’à-prendre est porteuse d’un double décloisonnement, d’une part, au sein de l’université entre ses composantes et, d’autre part, entre l’université et le monde professionnel par des expériences partagées d’apprentissage. Ouvrir un espace d’apprentissage collectif à l’université, en dehors des cours, dans lequel des professionnels accompagnent un groupe d’étudiants à travers une pédagogie active de projet en lien avec des enseignants-chercheurs, c’est tenter de résoudre la quadrature du cercle. Néanmoins, grâce à l’engagement des étudiants, des professionnels de Coopaname et des référents universitaires, cet espace prend corps et amène à des premières réalisations.

24Compte tenu des contraintes respectives de ces deux univers, la collaboration université/entreprise est néanmoins confrontée à quelques difficultés, notamment en raison de son caractère innovant et expérimental. L’organisation de l’événement « Boukan éphémère » prévu à la mi-mai, rencontra des problèmes techniques et administratifs qui obligèrent à reporter sa concrétisation de quelques mois. Ces contretemps confortent Coopaname dans l’idée qu’un certain chemin reste à faire au sein de l’Upem pour sensibiliser enseignants-chercheurs et personnels à l’importance et l’avantage du modèle coopératif par rapport au modèle associatif auquel ils sont plus habitués.

25Reconduite en 2012-2013, l’initiative partagée Coop’à-prendre rencontre les mêmes difficultés faisant l’objet d’un constat partagé : la nécessité d’inscrire ces pratiques d’un nouvel apprentissage à l’entrepreneuriat collectif au sein de l’université et dans le cursus des étudiants ainsi que la nécessité de rendre plus accessibles aux étudiants ces pratiques en les inscrivant dans la longue durée. Ces deux constats amènent à réfléchir à la mise en place de ponts moins précaires et mieux (re)connus entre la coopération et l’université afin que le projet éducatif Coop’à-prendre puisse s’y déployer.

La future coopérative Coop’à-prendre

26Des échanges et réflexions dans le cadre de la chaire ESS-Upem conduisent à faire évoluer le projet. Afin d’apporter une réponse à la difficulté de transmission entre les étudiants d’une année sur l’autre et afin de faire avancer l’inscription du modèle coopératif dans les pratiques enseignantes et étudiantes, il est décidé de lancer le projet de création d’une coopérative Coop’à-prendre au sein de l’université. L’idée est que l’activité économique de Coop’à-prendre devienne le support de son activité pédagogique en termes de sensibilisation des étudiants à l’entreprendre coopératif et à leur accompagnement dans leurs projets. Au sein de l’université, ce projet s’inscrit dans le programme d’entrepreneuriat étudiant « Pepite », en complémentarité avec la création de la coopérative Solidarité étudiante.

27Le projet de création d’une coopérative Coop’à-prendre au sein de l’université s’appuie sur un comité de pilotage afin de réunir l’ensemble des parties prenantes impliquées. Dans son projet, la coopérative Coop’à-prendre doit avoir une gestion par les étudiants, constituant pour eux un modèle concret d’entreprendre coopératif. Son animation stratégique impliquera par ailleurs les personnels enseignants et administratifs de l’université aussi bien que d’autres acteurs du territoire, sur le modèle de la société coopérative d’intérêt collectif. Ce projet s’appuie enfin sur le master Insertion et entrepreneuriat social et solidaire au travers d’un projet tuteuré réunissant un groupe d’étudiants volontaires pour conduire l’étude de faisabilité de la coopérative Coop’à-prendre.

Coopérer pour apprendre à transmettre

28Le projet tuteuré Coop’à-prendre fonctionne en 2013-2014 et 2014-2015 avec un groupe d’étudiants volontaires de master sur une année universitaire. La dynamique coopérative au sein du groupe d’étudiants, accompagnés par Coopaname et la chaire ESS-Upem, est intimement liée à la question de la transmission. En effet, il s’agit pour les étudiants de coopérer entre eux afin de pouvoir transmettre les avancées du projet en vue de sa reprise par le groupe d’étudiants de l’année suivante.

29En 2013, le premier groupe d’étudiants s’organise pour étudier plusieurs pistes d’activités au sein de l’université. Une première piste d’activité est la gestion d’un espace culturel qui est en cours de création au sein de l’université. Cet espace sera un lieu de conférences et de colloques, un lieu d’exposition et de restauration. Il sera ouvert sur le territoire en accueillant des événements organisés par ses acteurs. Une deuxième piste d’activité concerne l’usage des espaces verts de l’université, y compris de ses toits terrasses, dans un projet d’agriculture urbaine autour de jardins partagés et pédagogiques. Enfin, une troisième piste d’activité se développe autour du tri et valorisation des papiers utilisés par l’université. Au terme de l’année 2013-2014, le premier groupe d’étudiant transmet le relais au deuxième groupe d’étudiants en indiquant que la piste prioritaire à court terme doit être celle de l’activité de tri et valorisation du papier. Il fait cette préconisation dans le cadre d’un rapport remis à l’ensemble des parties prenantes du projet Coop’à-prendre.

30Le deuxième groupe d’étudiants prend le relais en s’appuyant sur la mise en place d’un comité de pilotage dédié au suivi de la mise en place de l’activité tri et valorisation du papier au sein de l’université et présidé par le président de l’université. Ce comité réunit des membres internes et externes à l’université. La dynamique du groupe d’étudiants les amène jusqu’à la création de l’association de préfiguration de Coop’à-prendre dont ils ont été la cheville ouvrière avec la rédaction des statuts. Le 10 avril 2015, lors d’une assemblée générale constitutive, l’association de préfiguration de la Scic Coop’à-prendre a été créée. Si la coopérative Coopaname et les membres de la chaire en sont membres de droit, ses statuts prévoient expressément une gestion par les étudiants, lesquels ont donc été élus pour former le bureau de l’association.

31Les deux difficultés de l’initiative Coop’à-prendre, à savoir la transmission des projets et l’inscription du modèle coopératif au sein de l’université, trouvent des premières résolutions grâce auxquelles le projet Coop’à-prendre continue d’avancer. Sans être encore au bout de la création de la coopérative Coop’à-prendre, ce projet expérimental livre des premiers enseignements sur le lien entre coopération et transmission.

Le territoire comme commun à transmettre

32Depuis 2011, la dynamique autour de l’initiative Coop’à-prendre remet la transmission au cœur du projet coopératif. La coopération n’est plus seulement un mode d’entreprendre qui vise l’émancipation de chacun à travers sa participation à une action collective, elle est aussi un mode de transmission qui intègre une coopération intergénérationnelle, se concrétisant par la prise de relais par rapport aux anciens étudiants et le passage de relais au bénéfice des futurs nouveaux étudiants. Cette orientation a été rendue possible par l’évolution de la coopération autour d’activités économiques au sein de – ou en lien avec – l’université, qui allaient devenir l’activité commune à transmettre et le support de la sensibilisation.

33En second lieu, si la transmission fait sens pour les étudiants aujourd’hui, c’est parce qu’elle dépasse largement le périmètre de l’université. En effet, si nous prenons l’activité de tri et valorisation du papier, l’association de préfiguration de la coopérative Coop’à-prendre est porteuse de sa réalisation à l’échelle du territoire sur lequel est située l’université, c’est-à-dire le territoire de la Cité Descartes et de ses acteurs publics et privés. L’idée est ici de considérer le papier à recycler comme une ressource commune dont la future Scic Coop’à-prendre sera l’opérateur de coopération autant que de gestion au service des acteurs du territoire associés dans cette activité. Les étudiants sont ainsi engagés dans la réalisation d’un événement dans le cadre du festival francophone le Temps des communs qui est une marque supplémentaire de « la renaissance des communs » (Bollier, 2014) ? Cette renaissance dans laquelle Dardot et Laval (2014) voient les germes d’une révolution.

Conclusion

34Dans sa version actuelle de création d’une coopérative, Coop’à-prendre est axée sur la mise en œuvre d’un processus permanent de transmission, mais pas uniquement des savoirs. Une coopérative n’appartient pas à ses coopérateurs, mais se définit plutôt comme un bien commun dont l’usufruit est confié au groupement des travailleurs et autres parties prenantes qui la gèrent. Les coopératives ont donc l’obligation de se transmettre de mains en mains. Le défi consiste donc à créer une coopérative viable économiquement pilotée principalement par les étudiants qui aura l’obligation de veiller à sa transmission dans un cycle relativement court puisque les étudiants sont eux-mêmes dans une logique de passage temporaire dans ce statut.