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De l'honneur et des épices

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Dominique Le Page

Chapitre VI. Les gens des comptes de Bretagne, un corps constitué en voie de formation

Texte intégral

« Une classe sociale n’est pas un ensemble fini de familles mais bien plutôt un autobus ou un hôtel qui affiche toujours complet, bien que ce soient des gens différents qui montent ou qui descendent. »
Stone Lawrence, The Crisis of the Aristocracy, Oxford, Oxford University Press, 1985, p. 39.
« Messieurs l’advertissement de l’extrême maladie de ma femme est cause de ce mon si prompt et inopiné partement de ce lieu, non moins triste que desplaisant d’estre contrainct de rompre la compagnie sans en pouvoir prendre le congé, je prie le seigneur Dieu suppléer mon deffault et absence et la remplir de son assistance et d’aussi bon cœur que humblement je sallue vos bonnes graces après avoir supplié le bon Dieu Messieurs vous avoir en sa sainte garde et donner à tous longue et heureuse vie. À Nantes le 20 août 1570, votre plus humble et affectionné serviteur Gaultier. »
Lettre du maître Pierre Gautier aux gens des comptes pour excuser son absence, ADLA, B 588, fo 93.

  • 1 Guido Castelnuovo, « Service de l’État et identité sociale. Les chambres des comptes princières à l (...)

1Au sortir du Moyen Âge, il est permis de se demander si la Chambre des comptes de Bretagne formait déjà un véritable corps constitué. Si l’on en croit Guido Castelnuovo1, l’identité de corps suppose la primauté d’une identité administrative et de service sur les autres critères d’identification, qu’il s’agisse de l’appartenance à la ville ou à la noblesse. À la fin du XVe siècle, des progrès ont été accomplis dans le processus d’identification de la Chambre, grâce notamment à la stabilité croissante du personnel, à sa spécialisation et aussi à sa reconnaissance par les autres instances. Décisifs sur ce point ont été les privilèges accordés aux gens des comptes par le pouvoir princier en matière judiciaire, fiscale et sur le plan militaire. Ils ont par ce biais intégré la société politique et territoriale mise en place par les ducs et conforté leur appartenance aux groupes dominants. La première moitié du XVIe siècle, au cours de laquelle le duché a été intégré au royaume, n’a pas remis en cause ces acquis. Toutefois, les changements qui sont intervenus au cours de cette période au sommet de l’État, les effets aussi des réformes financières de François Ier ont introduit des éléments d’instabilité qui ont nui à la cohésion d’ensemble du personnel. De ce fait, il nous faut voir si l’achèvement du processus d’intégration de la Bretagne à la France dont on peut, dans le cas de la Chambre, marquer le terme par la promulgation en 1557 du règlement Tambonneau, lui a permis de s’affirmer et a surtout – puisque l’on se place ici dans une perspective sociale –, amené ses membres à se reconnaître en elle et à l’utiliser comme un moyen pour satisfaire leurs ambitions. Pour reprendre les perspectives esquissées par Guido Castelnuovo, il faut chercher à voir si l’entrée à la Chambre s’est accompagnée pour les officiers du développement d’une véritable stratégie qui se serait traduite par la transmission familiale des charges, un ancrage sur plusieurs générations, des mariages croisés avec d’autres lignages de magistrats et la recherche de privilèges.

2Dans cette perspective, il convient tout d’abord dans ce chapitre de montrer comment la Chambre a renforcé progressivement sa cohésion, ce qui suppose de s’intéresser aux carrières du personnel, de mettre en évidence les dynasties, de réfléchir à la volonté ou non de celles-ci de contrôler l’institution, ce qui amènera à s’interroger sur la capacité la Chambre à accueillir des « hommes neufs ».

La « cohésion » du personnel des comptes

Le temps de présence à la Chambre ou faire ses vingt ans et puis s’en aller

Données générales

3Dans la première moitié du XVIe siècle, les caractéristiques du personnel des comptes en ce qui concerne le temps de présence étaient les suivantes. Pour la majeure partie des membres, l’institution constituait soit le cadre principal d’activité, soit l’aboutissement d’une carrière. Des cas de longévité se rencontraient dans toutes les catégories qu’il s’agisse des présidents avec Guillaume Guéguen qui a siégé plus de seize ans, les maîtres – avec les vingt et un ans de Jacques Viart – ou les auditeurs comme Jean de La Rivière qui a siégé pendant vingt-neuf ans. Des disparités existaient cependant entre elles. Ainsi les présidents avaient un temps moyen d’activité plus court, du fait de la mort de certains titulaires en charge, de la mise en cause de quelques-uns lors des réformes financières des années 1530 et du départ de quelques autres vers d’autres fonctions, la charge ne constituant pour eux qu’une étape dans leur carrière. Une différence existait aussi entre les auditeurs et les maîtres : les premiers avaient un temps de présence plus long à la Chambre (40 % y ont séjourné plus de quinze ans) que les seconds qui délaissaient majoritairement leur charge au bout de sept à dix ans.

  • 2 Cf. aussi figures 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 et 15, cahier couleurs.

4Fort de ces constats, on peut voir ce qu’il en a été pour la période suivante en prenant pour cadre d’observation les trois phases que j’ai distinguées jusqu’ici, à savoir les années 1547-1605, les années 1606-1665 et les années 1666-1715. Dans les tableaux suivants2, j’ai fait figurer la durée moyenne des mandats des différentes catégories d’officiers ainsi que leur distribution par périodes de cinq années. N’ont été prises en considération que les catégories qui ont été représentées à la Chambre tout au long de la période, ce qui m’a amené à écarter les avocats généraux et les correcteurs. Les individus qui sont à cheval sur deux phases ont été comptabilisés deux fois.

Tableau 64. – Durée moyenne de mandat par catégories d’officiers.

Tableau 64. – Durée moyenne de mandat par catégories d’officiers.

Tableau 65. – Le temps d’activité des gens des comptes ayant exercé de 1547-1605.

Tableau 65. – Le temps d’activité des gens des comptes ayant exercé de 1547-1605.

Tableau 66. – Le temps d’activité des gens des comptes (1606-1665).

Tableau 66. – Le temps d’activité des gens des comptes (1606-1665).

Tableau 67. – Le temps d’activité des gens des comptes (1666-1715).

Tableau 67. – Le temps d’activité des gens des comptes (1666-1715).
  • 3 La situation parisienne serait différente. Au Châtelet, un nombre important d’officiers siègent peu (...)
  • 4 Caroline Le Mao, Parlement et parlementaires, Bordeaux au grand siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2007 (...)
  • 5 Vincent Meyzie, op. cit., p. 53.

5On remarque un allongement progressif des carrières. Alors que la seconde moitié du XVIe siècle se caractérise encore par une grande variété des profils, on constate qu’avec le temps la part des carrières courtes a tendance à diminuer et que celle des vingt ans de carrière ou plus devient la règle sous le règne de Louis XIV. Cette tendance se confirme pour le XVIIIe siècle : ainsi après 1715, on obtient, sans tenir compte des officiers dont la carrière a été interrompue en 1791 du fait de la suppression de la Chambre, une durée moyenne de 21,9 ans pour les auditeurs (pour 114 individus) et de 22,4 ans pour les maîtres (107 individus). Ce résultat révèle que l’objectif de la majorité du personnel a été progressivement de siéger pendant vingt ans, le temps d’obtenir des lettres d’honorariat. Cela confirme ce qui a été observé pour d’autres institutions provinciales3 : pour le parlement de Bordeaux, de 1643 à 1723, en enlevant les morts prématurées, les magistrats avaient un temps moyen d’exercice de 30 ans4. Pour les magistrats des présidiaux du Limousin et du Périgord, la durée moyenne des carrières est de 23,2 ans pour les magistrats importants et de 25,4 ans pour les conseillers5. La Chambre des comptes prend donc place parmi les institutions qui se caractérisent par un attachement durable du personnel.

6Des différences existent selon les catégories. Pour les premiers présidents, dans la seconde moitié du XVIe siècle, l’opposition est nette entre ceux pour qui, comme Jean I Morin ou Jean II Avril, la Chambre apparaît comme une fin de carrière – ils meurent tous les deux en charge avant d’avoir atteint le terme des vingt ans de service – et ceux qui comme Marc Fortia ou Auffray de Lescouët siègent au moins vingt ans avant de résigner, le premier pour prendre une autre charge, le second pour se retirer sur ses terres. Un seul, Jacques de Saint-Mesmin, fait un court passage dans l’institution avant de poursuivre sa carrière. Dans la première moitié du XVIIe siècle, les parcours sont plus complexes. Si l’on met à part le cas de François Becdelièvre qui meurt au bout d’un an d’exercice, trois individus – Jacques II Barrin, Louis Harouys, Jean Blanchard – font un bref passage à la tête de la Chambre, les deux premiers pour conforter leur statut avant de prendre d’autres responsabilités, le troisième afin de régler un problème de succession et pour attendre que son fils soit en âge de le remplacer. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les mandats de longue durée s’imposent avec la mainmise des de Becdelièvre sur la charge. La seule exception est constituée par Jacques Charette qui finit son parcours professionnel à la Chambre après avoir été sénéchal de Nantes, sans que l’on connaisse vraiment bien les raisons de ce choix.

  • 6 L’évolution de la charge d’avocat général est un peu similaire : elle ne trouve de réelle stabilité (...)

7Le profil ainsi défini se retrouve pour les présidents avec des explications différentes : la création de charges dans la seconde moitié du XVIe siècle entraîne la venue d’officiers qui, à l’instar de Louis Braillon ou Jacques I Barrin, ne siègent que quelques années avant d’intégrer le parlement. Plus qu’à un décès, les carrières courtes sont dues ici à des choix personnels. Dans la première du XVIIe siècle, on retrouve ces profils avec Louis Harouys, François Coquille ou Christophe I Juchault mais, à cette période, l’institution sert aussi de point d’aboutissement à des individus qui ont dû être sensibles à l’augmentation des prix et qui viennent finir leur parcours professionnel à Nantes. C’est le cas notamment de Gabriel Tromelin ou de Roland Morin qui meurent tous les deux en charge. À la fin du XVIIe siècle, la durée des mandats s’allonge, sans que cela s’accompagne de la mise en place d’un phénomène dynastique comme pour les premiers présidents. La charge de procureur général est marquée, quant à elle, par une grande instabilité jusque dans les années 1650 du fait qu’elle sert de tremplin pour accéder à une charge supérieure, soit au parlement à l’instar de Jean de Francheville ou de René I Le Prestre qui deviennent tous deux conseillers, respectivement en 1594 et en 1651, soit plus encore à la Chambre : deux procureurs généraux accèdent ainsi à une présidence – Pierre Bernard et René de Pontual – alors qu’un autre, Jean Blanchard, devient premier président, après, il est vrai, un temps d’interruption, où il a été au service du gouverneur César de Vendôme. Avec la nomination d’Yves Morice en 1651, la charge acquiert une stabilité qui est confortée ensuite par la mainmise de la famille de La Tullaye6.

8La ligne de partage de l’institution passe entre les maîtres et les auditeurs : 50 % des premiers ont fait plus de dix-huit ans alors que 50 % des seconds ont fait plus de vingt ans. Si l’on affine l’analyse, on remarque que les différences proviennent surtout de la catégorie – 0-9 ans – où les maîtres sont proportionnellement plus nombreux – et de celle des 30 ans et plus où ce sont cette fois les auditeurs qui l’emportent. Dans leur cas, on remarque un changement net entre les années 1547-1605 et les années 1606-1665, qui se traduit par une hausse sensible de la part des carrières les plus longues. L’augmentation du temps de présence des auditeurs entraîne l’élévation progressive de leur âge et permet d’expliquer le renversement de tendance qui s’est opéré sur ce point au cours de la période 1660-1680 par rapport à la catégorie des maîtres. Alors que ces derniers étaient jusque-là en moyenne plus âgés, ce sont désormais les auditeurs qui le sont. Pour les maîtres, l’allongement des carrières se fait de façon plus régulière, ce qui montre que les deux catégories ont entretenu un rapport différent avec l’institution. Pour les derniers cités, elle est davantage un lieu où l’on sert le roi durant un temps bien déterminé avant de se retirer de toute vie active alors que pour les auditeurs, elle a constitué l’élément de référence de leur vie ainsi qu’un plus fort investissement, particulièrement sur le plan financier.

9Ces observations générales ont tendance à gommer les parcours des individus d’autant que certains d’entre eux ont détenu plusieurs charges dans l’institution comme le montre le tableau 68.

Tableau 68. – Promotions au sein de la Chambre.

Nom

Premier office

Deuxième office

Auffray de Lescouët

Procureur général (1596-1597)

P. président (1596-1619)

Louis Harouys

Président (1619-1626)

P. président (1626-1632)

Jean Blanchard

Procureur général (1612-1619)

P. président (1634-1641)

G. J. B. de Becdelièvre

Maître (1709-1711)
Président (1713-1722)

P. président (1722-1733)

Trajan de La Coussaye

Maître des comptes (1588-1601)

Président (1601-1623)

Louis du Pont

Avocat général (1606-1624)

Président (1623-1643)

Pierre Bernard

Procureur général (1599-1612)

Président (1612-1618)

Jacques II Huteau

Trésorier de France (1633-1644)

Président (1644-1670)

René de Poncual

Procureur général (1638-1649)

Président (1651-1661)

Sébastien de Pontual

Maître (1659-1661)

Président (1661-1676)

Jacques III Huteau

Maître des comptes (1662-1671)

Président (1671-1678)

Joseph Rousseau

Maître (1661-1673) Trésorier de France (1673-1688)

Président (1679-1705)

Jean Bidé

Correcteur (1694-1706)

Président (1706-1727)

Jean-Baptiste-Marie Pinot

Maître (1723-1728)

Président (1728-1765)

Hilarion-Marie de Becdelièvre

Maître (1713-1721)

Président (1725-1741)

Pierre-Christophe Le Meneust

Maître (1717-1723)

Président (1723-1759)

François-Georges Bouin

Maître (1709-1724)

Président (1724-1739)

Jacques IV Langloïs

Maître (1733-1740)

Président (1741-1748)

Jean Burot

Maître (1748-1758)

Président (1758-1791)

Pierre Barnabé

Trésorier de France (1720-1766)

Président (1759-1766)

F. G. J. Henri Duval

Maître (1758-1763)

Président (1763-1782)

Guillaume de Francheville

Auditeur (1551-1557)

Procureur général (1557-1575)

Pierre I Ménardeau

Auditeur (1559-1572)

Maître (1572-1586)

Jean Picaud

Auditeur (1569-1581)

Maître (1581-1602)

Alexandre de La Tullaye

Auditeur (1571-1578)

Maître (1578-1580)

Jean I Fourché

Auditeur (1572-1592)

Maître (1592-1612)

Jean Charette

Auditeur (1572-1587)

Maître (1587-1615)

Philippe Sorée

Auditeur (1573-1578)

Maître (1580-1587)

Gilles Le Moyne

Auditeur (1575-1586)

Maître (1586-1605)

Jean de La Tullaye

Auditeur (1578-1593)

Maître (1593-1605)

Pierre Hupel

Auditeur (1582-1597)

Maître (1597-1612)

Georges Godet

Correcteur (1584-1586)

Maître (1587-1591)

Jean Mériaud

Auditeur (1587-1597)

Maître (1597-1610)

René Fradin

Auditeur (1599-1601)

Maître (1602-1621)

Louis Miron

Auditeur (1602-1606)

Maître (1606-1626)

François Raguideau

Auditeur (1651-1682)

Président (1682-1692)

Pierre de Garsanlan

Auditeur (1689-1705)

Maître (1705-1718)

10On voit que des officiers ont fait carrière au sein de la Chambre tout au long de son histoire avec des nuances toutefois selon les périodes. La seconde moitié du XVIe siècle a bénéficié surtout à des auditeurs qui ont réussi à devenir maîtres. Le cas de Guillaume de Francheville est particulier : sa promotion à la charge de procureur général est due au fait qu’il était docteur en droit ; son office d’auditeur où il a succédé à son beau-père Bernard Rocaz a dû constituer pour lui une position d’attente, un moyen de prendre pied dans le monde de l’office, en attendant qu’une charge plus digne de lui se libère. Par la suite, il n’y a plus de progression dans cette catégorie, à l’exception de François Raguideau et de Pierre de Garsanlan. Le cas du premier est original puisque, comme l’on a vu précédemment (cf. p. 202), il a pris pendant quelques années le relais d’un parent décédé. Garsanlan a profité pour sa part d’une création d’offices de maître en 1704 pour vendre la charge d’auditeur qu’il détenait auparavant, révélant ainsi le souci, inhabituel à cette période, de progresser dans la hiérarchie interne de la Chambre et d’intégrer le Bureau où se prenaient les principales décisions. Dans la première moitié du XVIIe siècle, les promotions au sein de la Chambre bénéficient surtout à des membres du parquet – avocats généraux, procureurs généraux – qui deviennent présidents à l’instar de Pierre Bernard, de Louis du Pont ou de René du Pontual voire premiers présidents comme Auffray de Lescouët ou Jean Blanchard. Quelques maîtres font de même mais il s’agit le plus souvent d’héritiers qui ont intégré la Chambre en attendant qu’un office supérieur se libère. Ceux qui accomplissent un parcours semblable au XVIIIe siècle relèvent également de cette catégorie. Pour le reste, le monopole des charges de procureur général et de premier président par deux familles empêche que la première devienne un tremplin vers de plus de hautes responsabilités et que la seconde puisse devenir un objectif pour de nouvelles familles.

Quelques piliers de l’institution

  • 7 On ne peut pas non plus écarter totalement l’hypothèse que certains individus aient dû attendre plu (...)

11Si l’on prend en considération ces officiers qui ont occupé deux fonctions pour calculer les temps de carrière, on constate que l’on retrouve l’opposition classique entre des individus qui ont siégé longtemps à la Chambre et ceux qui n’y ont fait qu’un bref passage. Dans la première catégorie figurent ceux que l’on pourrait qualifier de « piliers de l’institution ». Les records sont détenus par deux officiers ayant exercé au XVIIIe siècle, à savoir Jacques II Léonard, qui a siégé soixante-quatre ans en tant qu’auditeur puis maître, et Pierre Belon, présent soixante-trois ans. Dans la catégorie des maîtres, certains officiers font également preuve d’une belle longévité à l’instar d’Yves de Monti, de Jean Artur de La Gibonnais, d’Olivier Busson, de Charles-Joseph-Julien Proust présents pendant plus de cinquante ans. Figurent également dans ce groupe ceux qui, dans la seconde moitié du XVIe siècle, sont passés du rang d’auditeur à celui de maître, à l’instar de Guy Renouard ainsi que quelques présidents ayant exercé à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle comme Jean Grout ou Jacques Ballet qui ont été présents respectivement quarante-sept ans et trente-six ans. Les carrières longues se rencontrent à toutes les périodes mais une légère différence peut être relevée, là aussi, entre les auditeurs et les maîtres. Pour les premiers, à l’exception de Jean Guillope, les cas de longévité apparaissent surtout à partir de la fin des années 1630 et connaissent une distribution assez régulière par la suite. Pour les maîtres – qui ont en cela un comportement voisin de celui des présidents –, le phénomène se développe à partir des années 1670, sans connaître une aussi grande ampleur. Cette différence pourrait s’expliquer par l’évolution des prix : la hausse intervenue à partir de la fin des années 1630 aurait davantage affecté les catégories dans lesquelles se recrutaient les auditeurs ; pour satisfaire leur ambition, ceux-ci auraient été contraints de contracter des emprunts sur une plus longue durée et donc de siéger plus longtemps7. Les maîtres n’ont pas eu les mêmes problèmes et ce d’autant plus que leur recrutement s’est, comme on l’a vu, élargi à cette période sur le plan géographique et que des familles qui disposaient d’une réelle aisance financière, ont alors intégré l’institution, sans être contraintes d’y demeurer durablement. En revanche, l’allongement des temps de présence à partir de la fin du XVIIe siècle attesterait que les maîtres ont été recrutés dans des milieux disposant de moins de moyens financiers ou que leurs objectifs n’étaient plus les mêmes, ce qui est en quelque sorte corroboré par la réduction de la zone de recrutement qui se produit alors.

  • 8 De même le maître Alexandre I Symon siège près de trente ans (1676 à 1705), avant de céder sa charg (...)

12Si l’on s’intéresse aux motivations des individus eux-mêmes, on peut émettre quelques hypothèses pour comprendre leur attachement à l’institution. Pour certains, celle-ci a constitué le lieu de concrétisation de leurs ambitions, voire celui de leur épanouissement professionnel. C’est le cas de ceux à qui la Chambre a permis de progresser dans l’échelle des dignités en passant du rang d’auditeur à celui de maître ; c’est le cas aussi d’individus comme Jean Artur de La Gibonnais, pour qui le service à la Chambre a été une véritable vocation comme l’atteste le fait que c’est à lui que l’on doit le seul recueil des édits et ordonnances de la Chambre ou Charles-Joseph-Julien Proust, qui a continué l’Histoire de Nantes de l’abbé Travers. C’est le cas peut-être aussi – mais il est difficile de se prononcer avec certitude – pour des individus comme Mathurin Geffrard (1644-1679) François Le Tourneux (1646-1679), voire les présidents Jean Grout et Jacques Ballet, pour qui l’intégration à la Chambre a signifié un surcroît de dignité en leur permettant de se démarquer par rapport au monde dont ils étaient issus, celui de la marchandise pour le premier, celui de la finance pour le second. D’autres ont dû continuer à siéger le temps d’avoir un héritier en âge de leur succéder. Parmi eux, on peut citer Jean Artault, qui a exercé trente-cinq ans (1643-1678) avant de céder sa charge en 1678 à son fils Guy Artault, qui avait alors 27 ans – c’est-à-dire l’âge requis à ce moment-là pour exercer une telle fonction – ou l’auditeur René II Berthelot qui est demeuré en fonction quarante-quatre ans (1656-1700) puis a résigné en faveur de son fils, René III Berthelot, âgé de 28 ans8. Pour la plupart, la conservation de l’office s’explique par le fait qu’il constituait un placement sûr et stable, au même titre que les terres qu’ils possédaient ou que les prêts d’argent qu’ils effectuaient et qu’il conférait de surcroît un statut susceptible d’inspirer la confiance. Cela a sans doute été le cas de quelqu’un comme l’auditeur Jean Régnier dont la présentation du patrimoine (cf. p. 211-212) a révélé qu’il était un homme d’argent avisé. Rester longtemps en charge pouvait être enfin le signe d’un échec à l’instar de l’auditeur Jean Guillope qui, du fait des libertés qu’il a prises dans l’exercice de sa charge – il est régulièrement mis en cause pour les sommes excessives qu’il exigeait des parties quand il exerçait également la fonction de greffier –, n’a pu, à la différence de certains de ses pairs, être promu maître et est demeuré quarante ans à son poste.

Tableau 69. – Les carrières les plus longues à la Chambre des comptes.

Nom

Catégorie

Durée

Claude II de Cornulier

Président

p. (1696-1733) = 37 ans

Pierre Le Meneust

Président

p. (1692-1723) = 31 ans

Jean Grout

Président

p. (1706-1753) = 47 ans

Jacques Ballet

Président

p. (1706-1742) = 36 ans

Pierre-Christophe Le Meneust

Président

p. (1723-1759) = 36 ans

Jean-Baptiste-Marie Pinot

Président

p. (1728-1765) = 37 ans

Nicolas J.A. de Peilhac

Président

p. (1736-1770) = 34 ans

Claude I Cornulier

Trésorier de France

t. de F. (1588-1632) = 44 ans

Louis du Pont

Avocat général, président

a. g. (1606-1623),
p. (1623-1643) = 37 ans

Jean Picaud

Auditeur puis maître

a. (1569-1581),
m. (1581-1602) = 33 ans

Guy Renouard

Auditeur puis maître

a. (1580-1586),
m. (1586-1633) = 53 ans

Jean Charette

Auditeur puis maître

a. (1572-1587),
m. (1587-1615) = 43 ans

Jacques II Léonard

Auditeur puis maître

a. (1709-1723),
m. (1723-1773) = 64 ans

Etienne Le Franc

Maître

m. (1580-1613) = 33 ans

Jacques I Constantin

Maître

m. (1621-1659) = 38 ans

Yves de Monti

Maître

m. (1624-1676) = 52 ans

René Le Marié

Maître

m. (1659-1706) =47 ans

Claude Dollier

Maître

m. (1672-1714) =42 ans

Jean Artur

Maître

m. (1678-1728) = 50 ans

François II de La Pierre

Maître

m. (1688-1727) =39 ans

Charles-Yves Macé

Maître

m. (1690-1727) =37 ans

Olivier Busson

Maître

m. (1692-1746) = 54 ans

Pierre II Godet

Maître

m. (1696-1736) =40 ans

Honoré Nepvouët

Maître

m. (1699-1744) =45 ans

François Bernard

Maître

m. (1702-1740) =38 ans

Jean-Baptiste-Marie Pinot

Maître + président

m. (1723-1728), p. (1728-1765) =42 ans

Charles-Joseph Julien Proust

Maître

m. (1725-1782) = 57 ans

Jacques François

Maître

m. 1728-1769) =41 ans

Ambroise-Julien Chaillou

Maître

m. (1743-1791) =48 ans

Jean Burot

Maître + président

m. (1748-1758),
p. (1758-1791) =43 ans

Jean Guillope

Auditeur

a. (1560-1600) =40 ans

Mathieu de Tréeouët

Auditeur

a. (1608-1646) = 38 ans

Jean Régnier

Auditeur

a. (1639-1677) =38 ans

Pierre Petiteau

Auditeur

a. (1641-1678) = 37 ans

Mathurin Geffrard

Auditeur

a. (1644-1679) =35 ans

François Le Tourneux

Auditeur

a. (1646-1679) =33 ans

Pierre I Bocan

Auditeur

a. (1650-1686) = 36 ans

René II Le Febvre

Auditeur

a. (1654-1693) = 39 ans

René II Berthelot

Auditeur

a. (1656-1700) =44 ans

Mathieu Symon

Auditeur

a. (1656-1697) =41 ans

Jacques I Léonard

Auditeur

a. (1671-1709) =38 ans

Claude Le Tourneux

Auditeur

a. (1679-1716) = 37 ans

Pierre Ragaud

Auditeur

a. (1683-1719) =36 ans

Claude Thihaudeau

Auditeur

a. (1688-1725) =37 ans

Joseph Chiron

Auditeur

a. (1690-1734) =44 ans

René Bouchaud

Auditeur

a. (1696-1731) =35 ans

Pierre Galbaud

Auditeur

a. (1702-1738) = 36 ans

Jean II Luzeau

Auditeur

a. (1702-1742) =40 ans

Pierre Belon

Auditeur

a. (1718-1781) =63 ans

Jean-Guy Le Tourneux

Auditeur

a. (1724-1763) =39 ans

François-Paul Babin

Auditeur

a. (1740-1778) = 38 ans

Jean-Augustin Frémont

Auditeur

a. (1755-1791) = 36 ans

Des carrières courtes

  • 9 Je ne reviens pas sur le cas de ceux qui comme Pierre Frain ont fait faillite et que j’ai évoqué pr (...)
  • 10 On ne sait pas ainsi ce que devient Alexandre de Complude qui n’a été maître que pendant cinq ans ( (...)
  • 11 Son père Jean était mort au bout de trente ans de présence à la Chambre (1640-1672).
  • 12 On retrouve le même cas de figure avec Marc Boutin (1632-1639) dont le père et le grand-père ont ét (...)

13Parmi ceux qui font des carrières courtes, on trouve bien sûr9 tous ceux qui meurent prématurément et dont le nombre n’est pas facile à apprécier, faute d’informations suffisamment précises sur toutes les fins de carrière10. Parmi eux, on peut citer le premier président François Becdelièvre déjà mentionné, le maître Raoul de Brégel ou l’auditeur Nathan Huzeau, après la mort duquel la Chambre diligente une enquête pour savoir si son office est vacant, ce qui nous permet de savoir dans quelles circonstances il est décédé (cf. annexe V). Ceux qui meurent rapidement en charge sont parfois des individus entrés à la Chambre en fin de carrière : c’est le cas de nombre de maîtres du XVIe siècle comme Jean Coutel qui décède en 1573 aussitôt après avoir été nommé ou, au XVIIIe siècle, de Gabriel-François Maussion, qui est institué maître à l’âge de 63 ans, après avoir été conseiller au présidial d’Angers et qui ne siège que dix ans. Dans ce groupe aux parcours brefs, on trouve aussi des individus qui ont repris momentanément une charge pour aider leur famille à régler un problème de succession, mais sans avoir l’intention de faire carrière : c’est ce que fait le maître Joachim Gencian (1682-1691) après la mort prématurée de son beau-frère Guy Artault (1678-1681), Michel de Barbère (1697-1709) après la mort, là encore, de son beau-frère Pierre II Bocan (1696-1697), ou Charles-Joseph de Saint-Pern, curé de son état et docteur en Sorbonne, qui siège quatre années (1672-1676) pour permettre à son neveu Vincent d’avoir l’âge pour être admis à la Chambre11. Avec eux, on trouve des héritiers qui refusent de perpétuer trop longtemps la tradition familiale. On les rencontre surtout dans les quelques dynasties présentes à la Chambre parmi les représentants de la troisième génération : ainsi le maître Michel III Le Lou, dont le père Yves Le Lou et le grand-père, Michel I Le Lou, ont siégé à la Chambre cède sa charge au bout de neuf années en 162412.

Tableau 70. – Les carrières les plus courtes à la Chambre des comptes (moins de 15 ans).

Nom

Catégorie

Durée

Antoine de Fargues

Procureur général

1 an (1554)

Jean de La Barre

Procureur général

2 ans (1555-1557)

René I Le Prestre

Procureur général

1 an (1650-1651)

Raoul Charette

Avocat général

6 ans (1581-1587)

Pierre André

Avocat général

4 ans (1588-1592)

Jérôme Jan

Avocat général

11 ans (1628-1639)

Gabriel Calloët

Avocat général

7 ans (1642-1649)

Jean-Baptiste Becdelièvre

Avocat général

3 ans (1646-1649)

Mathurin Mannoury

Avocat général

4 ans (1665-1669)

Louis Bitault

Maître des comptes

2 ans (1552-1553)

Louis Merceron

Maître des comptes

14 ans(1572-1586)

René Bitault

Maître des comptes

6 ans (1572-1578)

Julien Millon

Maître des comptes

4 ans (1588-1592)

Julien de Beaurepaire

Maître des comptes

9 ans (1588-1597)

Marc II de Barbère

Maître des comptes

12 ans (1593-1605)

Jean Cébret

Maître des comptes

2 ans (1597-1598)

Gilbert Chapelle

Maître des comptes

3 ans (1598-1601)

Guillaume Fouquet

Maître des comptes

2 ans (1602-1603)

Claude Picot

Maître des comptes

3 ans (1602-1605)

Claude Le Febvre

Maître des comptes

7 ans (1603-1610)

René Le Clerc

Maître des comptes

2 ans (1612-1614)

Claude Brethe

Maître des comptes

2 ans (1613-1615)

Raoul de Brégel

Maître des comptes

3 ans (1615-1618)

Michel III Le Lou

Maître des comptes

9 ans (1615-1624)

François Gabard

Maître des comptes

6 ans (1618-1624)

Raoul Avril

Maître des comptes

16 ans (1624-1640)

René du Verger

Maître des comptes

5 ans (1626-1631)

Marc Boutin

Maître des comptes

7 ans (1632-1639)

René Pinard

Maître des comptes

11 ans (1633-1644)

Alexandre de Complude

Maître des comptes

5 ans (1634-1639)

Claude de Sesmaisons

Maître des comptes

4 ans (1634-1638)

Jean Monneraye

Maître des comptes

12 ans (1637-1649)

Jean de Robien

Maître des comptes

16 ans (1638-1654)

Jean Meslou

Maître des comptes

6 ans (1644-1650)

Alain Gellouard

Maître des comptes

15 ans (1645-1660)

François Guischard

Maître des comptes

11 ans (1645-1656)

Pierre Juchaulc

Maître des comptes

7 ans (1652-1659)

Pierre Frain

Maître des comptes

9 ans (1659-1668)

Vincent Beaujouan

Maître des comptes

15 ans (1661-1676)

Jacques Gazeau

Maître des comptes

10 ans (1664-1674)

Julien Pezron

Maître des comptes

9 ans (1665-1674)

Julien II Le Meneust

Maître des comptes

12 ans (1674-1686)

Charles-Joseph de Saint-Pern

Maître des comptes

4 ans (1672-1676)

Joseph Le Gouvello

Maître des comptes

6 ans (1676-1682)

François Martineau

Maître des comptes

9 ans (1678-1687)

Joachim Gencian

Maître des comptes

9 ans (1682-1691)

François-Joseph Sorin

Maître des comptes

8 ans (1691-1699)

Paul Cassard

Maître des comptes

13 ans (1696-1709)

Mathieu Menant

Maître des comptes

8 ans (1713-1721)

Mathurin Turpin

Auditeur des comptes

8 ans (1572-1580)

Raoul Nicolon

Auditeur des comptes

8 ans (1572-1580)

Robert Hubert

Auditeur des comptes

11 ans (1573-1584)

Jean Terrien

Auditeur des comptes

8 ans (1580-1588)

Damien Morin

Auditeur des comptes

11 ans (1583-1594)

Guillaume de Bruc

Auditeur des comptes

14 ans (1592-1606)

François Dhariette

Auditeur des comptes

2 ans(1592-1593)

François Adam

Auditeur des comptes

12 ans (1596-1608)

Jean Morel

Auditeur des comptes

2 ans (1597-1598)

Gilles Thébaud

Auditeur des comptes

9 ans (1599-1608)

René Neveu

Auditeur des comptes

7 ans (1606-1613)

Pierre Adam

Auditeur des comptes

2 ans (1606-1608)

Bertrand Paignon

Auditeur des comptes

2 ans(1608-1609)

Antoine Le Bariller

Auditeur des comptes

16 ans (1633-1649)

François Madeleneau

Auditeur des comptes

11 ans (1638-1649)

Jacques Cassard

Auditeur des comptes

5 ans(1646-1651)

Augustin Picot

Auditeur des comptes

8 ans (1678-1686)

Claude Davy

Auditeur des comptes

16 ans (1680-1696)

Barthélémy Valeilles

Auditeur des comptes

12 ans (1683-1695)

Jacques II Léonard

Auditeur des comptes

14 ans(1709-1723)

Jacques Le Mercier

Auditeur des comptes

15 ans (1644-1659)

Philippe Robert

Auditeur des comptes

9 ans (1699-1708)

  • 13 Il semble que la famille Bitault se soit implantée à Paris dès le XVIe siècle.

14On y trouve aussi ceux qui ne font qu’un bref passage à la Chambre avant de résigner, sans que l’on sache toujours ce qu’ils deviennent par la suite. Certains semblent abandonner toute activité à l’instar de l’Angevin Louis Bitault, maître des comptes en 1552-155313, ou de l’Hispano-Nantais Alexandre de Complude (1634-1639). L’entrée à la Chambre a-t-elle déçu leurs attentes sur le plan social ou ont-ils voulu simplement saisir une opportunité sans intention de faire carrière ? Il est difficile de le dire même si l’on peut penser, étant donnés les moments où ce phénomène s’observe et les individus qui sont concernés que c’est la deuxième hypothèse qui est la bonne. Des officiers quittent enfin la Chambre pour poursuivre leur carrière dans une autre institution. J’ai déjà évoqué le cas des quelques présidents et procureurs généraux qui ont fait un tel choix ; avec eux, on est dans la catégorie des individus qui appartiennent aux grandes familles de la noblesse de robe de Bretagne et qui peuvent donc espérer faire carrière en dehors de la province ou, à tout le moins, servir de relais entre celle-ci et les milieux gouvernementaux. Leur cas est donc particulier.

  • 14 C’est sans doute le cas de Jean Cébret, Claude Brethe et Guillaume Fouquet.
  • 15 Une autre branche de la famille s’implante durablement au parlement de Rennes et fournit un premier (...)

15L’observation de la catégorie des maîtres est plus intéressante dans la mesure où elle permet de savoir quelles étaient les perspectives de carrière de cette catégorie du personnel. Le résultat obtenu est modeste. Si l’on met à part les Parisiens qui ont probablement poursuivi leur parcours professionnel dans la capitale14, on ne trouve que peu d’officiers qui ont quitté la Chambre pour occuper une autre charge. Deux d’entre eux sont devenus trésoriers de France à Tours : il s’agit de Julien Millon et de Claude Le Febvre. Avec le dernier nommé, on trouve le représentant, un peu oublié, de l’une des plus grandes dynasties parlementaires parisiennes dont l’ascension a débuté en province, au sein de ces milieux angevins si dynamiques au temps de la première modernité15. Un magistrat est devenu conseiller au parlement de Rennes : il s’agit de François Guischard qui a été maître de 1645 à 1676 et qui a pris la succession de son frère Mathurin Guischard, décédé.

  • 16 La première femme de ce dernier, Louise Fourché, était la fille de Mathieu Fourché, conseiller au p (...)
  • 17 « C’est lui qui fait les bannies d’appropriement de la seigneurie de Largouët dans le Vannetais ach (...)

16D’autres ont poursuivi leur parcours au service des Grands ou des ministres qui leur avaient accordé leur protection. Il en va ainsi de Jean de Robien qui, après avoir été gouverneur de Corlay (1626-1629), est devenu maître des comptes (1638-1654). Son mariage avec Guyonne II Bouriau l’a fait entrer dans la parenté de Nicolas Fouquet16 dont il est devenu l’homme de confiance17. C’est grâce à son appui qu’il aurait été nommé conseiller d’État (1657-1660). La disgrâce du surintendant ne lui a pas permis d’accéder à de plus hautes fonctions et il a terminé sa vie dans son château de Kerambourg près d’Auray. L’entrée dans la robe, qui est apparue tout d’abord comme un choix stratégique pour ce membre de la noblesse d’épée, s’est transformée ensuite pour sa famille, du fait de l’impossibilité d’intégrer le monde des serviteurs de l’État, une solution de repli, au niveau provincial, son fils devenant finalement conseiller au parlement de Rennes. L’exemple des de Robien peut être rapproché de celui de Claude de Sesmaisons, déjà évoqué. Lui-aussi ne fait qu’un bref passage à la Chambre ; sa promotion comme chevalier de l’ordre de Saint-Michel et sa nomination pour présider l’ordre de la noblesse en 1663 montrent que ses centres d’intérêt étaient ailleurs et qu’il n’avait pas l’intention d’intégrer durablement le monde de la robe. Le fait que son fils ait épousé la veuve de Jean de Robien, révèle en outre que tous deux évoluaient probablement dans les mêmes cercles voire dans les mêmes clientèles, sans qu’il soit possible, en l’état actuel des connaissances, de préciser davantage. À ce groupe, on peut joindre des individus comme René Le Clerc, maître de 1612 à 1614, dont on a vu qu’il était un protégé des Rohan voire René Pinard qui n’a fait lui-aussi qu’un bref passage à Nantes (1633-1639) et qui a été pareillement promu dans l’ordre de Saint-Michel.

  • 18 Vincent Meyzie, op. cit., p. 57.

17À l’exception de ces quelques individus qui étaient inscrits dans des réseaux plus vastes ou qui disposaient d’une noblesse plus ancienne, la Chambre ne constitue pas une étape dans un cursus professionnel. Dans une Bretagne en marge des centres de décision, les perspectives étaient limitées. Cette absence d’horizon n’avait pas que des aspects négatifs ; elle contribuait sans doute aussi à renforcer la cohésion du personnel de la Chambre à l’instar de ce que Vincent Meyzie a noté pour les magistrats des présidiaux du Limousin et du Périgord18. Comme eux, surtout à partir du XVIIe siècle, les gens des comptes avaient rarement exercé une activité antérieure et ils avaient peu d’espérance d’accéder à un emploi plus honorable. Voyant leur avenir limité à l’enceinte du palais de la Chambre, ils pouvaient être d’autant plus enclins à utiliser celle-ci pour satisfaire leurs ambitions et se montrer encore plus attachés à la défense de leurs prérogatives et de leurs privilèges.

  • 19 Le dépassement du terme des vingt ans peut être aussi mis en relation avec le temps nécessaire pour (...)
  • 20 C’est le cas aussi de Jean II Salomon qui meurt en 1695 après avoir siégé près de vingt ans.
  • 21 Le président Jean Ayrault (1583-1602) fait ainsi exactement vingt ans. Il en va de même pour le maî (...)

18Il faut noter d’ailleurs, pour conclure ce développement, que peu d’officiers se contentaient de faire les vingt ans nécessaires pour obtenir les lettres d’honorariat et que la majorité allait au-delà, montrant ainsi que leur intégration à la Chambre avait revêtu pour eux une réelle signification soit en leur conférant la dignité qu’ils recherchaient, soit en constituant une étape importante dans l’ascension de leur famille19. Si l’on met à part ceux dont la mort coïncide avec ce temps à l’instar du président Bernard de Poulpiquet (1654-1674)20, on constate que ceux qui font juste vingt ans pourraient être qualifiés de « stratèges de l’office » : on trouve parmi eux des non-originaires de Bretagne, Parisiens ou Angevins, qui font la preuve une nouvelle fois de leur capacité à mettre l’institution au service de leurs ambitions21, des Malouins comme Guillaume Artur (1656-1677) mais aussi des Nantais qui sont le plus souvent des héritiers à l’instar des maîtres Pierre II Ménardeau (1603-1623), Salomon de La Tullaye (1636-1656) ou Christophe III Juchault (1656-1676).

  • 22 Son fils Armand lui succède dans la charge de procureur de 1769 à 1779, Guillaume Porchet, Destins… (...)

19On y trouve enfin, surtout à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, ceux dont l’objectif principal en venant à la Chambre, est de bénéficier de l’anoblissement graduel. À titre d’exemple, on peut citer le cas de quelques familles poitevines qui y ont siégé au XVIIIe siècle. Ainsi François-Gabriel Duval achète-t-il en 1759 à 67 ans une charge de président, après une longue carrière à la tête de l’élection de Fontenay-le-Comte. À sa mort en 1762, son fils, qui avait acquis une charge de maître dès 1758, lui succède ; il exerce cette responsabilité pendant exactement vingt ans avant de se retirer sur ses terres en Poitou. À un degré en-dessous, Jacques Panou entre à la Chambre en 1744 à 40 ans après avoir été conseiller à l’élection de Fontenay-le-Comte (1725-1744). Il siège à Nantes jusqu’en 1764. Son fils Jacques-Louis Panou, qui n’a alors que 13 ans, achète un office de maître en 1770, à l’âge de 19 ans. Il conserve cet office jusqu’à la suppression de la Chambre en 1791, date qui coïncide avec les vingt années nécessaires pour obtenir l’honorariat. Le dernier cas que l’on peut citer est celui des Badereau. Le premier à acquérir à acheter une charge est Jude Badereau (1640-1661) : il devient auditeur en 1724 à 64 ans après avoir été procureur fiscal du marquisat de Montaigu ; il siège jusqu’à sa mort survenue en 1741 à l’âge de 81 ans. Dès 1729, il a fait pourvoir son fils Jean-Jude Badereau d’un office équivalent et après son décès prématuré en 1730, il fait en sorte que son autre fils, Armand-Gabriel-François Badereau, puisse le remplacer. Celui-ci fait ses vingt ans puis résigne en faveur d’un autre Poitevin, Mathurin-Joseph Babin. Le fait original dans son cas est qu’il ne s’est pas contenté alors, une fois son objectif atteint, de vivre de ses rentes mais qu’il a acheté en 1752, pour la somme de 80 000 livres, un office de procureur du roi au présidial et à la prévôté de Nantes, qu’il a exercé jusqu’à sa mort en 1756, fournissant ainsi une illustration supplémentaire du décloisonnement qui se produit, notamment entre le personnel des différentes institutions, à la fin de l’Ancien Régime22.

20De façon générale, l’inégale durée des carrières révèle qu’il n’y avait pas, dans ce domaine non plus, de comportement uniforme : l’institution n’était pas uniquement un moyen de satisfaire des ambitions ; elle permettait aussi de servir le roi dans un emploi honorable, une idée qui trouve confirmation dans le fait que des familles se perpétuent sur plusieurs générations à la Chambre des comptes.

Quelques dynasties de la Chambre des comptes

Différentes approches

• Préliminaires

  • 23 Soit deux officiers de 1547 à 1605 et deux entre 1606 et 1665.
  • 24 Soit quatre officiers entre 1606 et 1665 et six entre 1666 et 1715.
  • 25 Soit deux officiers entre 1547 et 1605, deux entre 1605 et 1665, huit entre 1666 et 1715.
  • 26 Soit quatre officiers entre 1547 et 1605, six entre 1606 et 1665, quatre entre 1666 et 1715.
  • 27 Soit deux entre 1606 et 1665, deux entre 1666 et 1715.
  • 28 Il s’agit pour la période 1666-1715 des Artur qui étaient apparentés sans que l’on sache le lien qu (...)
  • 29 Il s’était marié deux fois, la première avec Catherine Boury, fille d’un huissier au siège présidia (...)
  • 30 Le contrat de mariage est signé le 26 mai 1640 : la dot de l’épouse est de 30 000 livres. L’office (...)

21Des familles marquent leur attachement à la Chambre en y siégeant sur deux générations. Je les ai déjà en partie évoquées quand j’ai présenté les origines sociales des officiers et que j’ai recensé le nombre de successions père-fils. Même si leur nombre s’est accru au fil du temps, ces officiers ont toujours été minoritaires puisque l’on en trouve trente-six de 1547 à 1605, soixante-dix de 1606 à 1665 et quatre-vingts de 1666 à 1715. La donne n’est pas profondément modifiée si on y rajoute les successions entre parents ou entre alliés : on dénombre ainsi de 1547 à 1715 deux successions entre cousins23, cinq successions entre frères24, six successions entre beaux-frères25, sept successions entre beaux-pères et gendres26, deux successions d’oncle à neveu27 et, si on veut être complet, une autre succession à caractère familial dont je n’ai pas réussi à définir la nature28, soit quarante-six autres officiers. La piste qui mériterait d’être davantage explorée est celle qui consisterait à dénombrer les officiers qui ont été les seuls de leur nom à siéger à la Chambre mais qui ont marié des filles à des membres de l’institution. On peut ainsi citer le cas du maître Jacques Bonnemez, maître de 1640 à 1661. Fils de François Bonnemez29, contrôleur général des finances de Bretagne puis commis à la recette générale des décimes (mention en 1633), il devient maître des comptes en 1640, après avoir épousé Madeleine Guyton30 dont deux frères deviennent ensuite auditeurs des comptes. Il résigne sa charge après vingt ans d’exercice en 1661 ; sans héritier mâle, il marie deux de ses filles avec des maîtres des comptes : Madeleine Bonnemez avec Jacques Gazeau (1664-1674) et Marguerite Bonnemez avec Pierre I Godet (1668-1696). Dans les deux cas, il y a coïncidence entre la date du mariage et celle de l’intégration à la Chambre, ce qui montre que Jacques Bonnemez, par les dots qu’il a accordées, a favorisé la carrière de ses gendres. D’autres exemples de ce type pourraient être cités. Ils montreraient, dans une histoire du monde des offices qui serait plus attentive au rôle joué par les femmes, que l’attachement à la Chambre devrait être mesuré à une autre aune que celle de la perpétuation des mêmes patronymes mais que devraient être pris en compte aussi tous ces individus qui ont, par le biais des alliances qu’ils ont contractées, favorisé l’intégration de nouveaux membres dans l’institution et maintenu ainsi en quelque sorte leur influence en son sein.

  • 31 Guy Saupin, « Les oligarchies municipales en France sous l’Ancien Régime : réflexion méthodologique (...)
  • 32 Vincent Meyzie, op. cit., p. 239.

22Si on essaie maintenant de mettre en évidence les familles qui ont davantage investi dans la Chambre, force est de prendre pour référence le patronyme. L’objectif est de repérer les dynasties qui s’y sont constituées. On sait que celles-ci constituaient en quelque sorte la colonne vertébrale des institutions. À l’instar des officiers qui effectuaient de longues carrières individuelles, elles assuraient la transmission de leur mémoire et contribuaient à perpétuer leur autorité. Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on met derrière ce terme de dynastie. Ce sont les historiens des élites municipales qui ont poussé le plus loin la réflexion sur cette question. Pour Guy Saupin, le qualificatif de dynastie municipale « doit être réservé à un groupe centré sur une lignée illustrant un patronyme, servant de tronc central sur lequel viennent se rattacher directement des rameaux secondaires après mariage31 ». Appliquant cette définition au cas des présidiaux, Vincent Meyzie la précise et conçoit la dynastie « comme un groupe d’au moins trois magistrats appartenant à la même famille, c’est-à-dire à un lignage commun, se succédant de façon continue dans un office important et occupé pendant une durée minimale de quarante ans32 ». On peut combiner ces deux approches pour la Chambre des comptes de Nantes pour laquelle il convient également d’écarter les successions pères-fils dont le nombre est notable du fait de l’anoblissement graduel conféré par l’institution. Pour ce qui est de la qualité des offices, on ne peut en revanche faire la même différence que dans les présidiaux et ne retenir que les charges les plus importantes. On sait que les offices d’auditeurs et les correcteurs jouaient un rôle secondaire mais du fait qu’ils permettaient à leurs titulaires de bénéficier des privilèges du corps et que des individus pouvaient passer au cours de leur carrière d’une catégorie à l’autre, ils doivent être pris en considération. Le fait enfin que la Chambre était une cour souveraine amène à élargir la notion de dynastie et à ne pas prendre en compte seulement les successions sur une même charge mais à comptabiliser les familles qui y ont détenu le plus d’offices.

  • 33 Ils sont vingt si l’on va jusqu’à la suppression de la Chambre en 1791. Il faut y rajouter une dyna (...)

23Si l’on s’intéresse tout d’abord au critère d’au moins trois magistrats d’une même famille siégeant consécutivement à la Chambre, on constate que l’on rencontre finalement peu de cas de ce type (cf. tableaux, annexe VII). Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, on en relève dix-huit33, soit un pour les premiers présidents avec les de Becdelièvre, un pour les présidents – de Cornulier –, un pour les procureurs généraux – les de La Tullaye –, dix pour les maîtres et cinq pour les auditeurs. Les records de conservation d’une charge sont détenus, sans surprise, par les de Becdelièvre – 113 années à la première présidence avec quatre titulaires –, les de La Tullaye (quatre titulaires) – 109 années – mais aussi par des maîtres comme les de Monti qui se perpétuent pendant 104 ans (trois titulaires). Les successions peuvent se faire selon différentes configurations. La plus classique est le passage de relais père-fils sur trois ou quatre générations (les premiers présidents de Becdelièvre, les procureurs généraux de La Tullaye, les présidents de Cornulier…). La transmission peut se faire aussi entre un père puis deux de ses fils comme dans le cas des maîtres de Saint-Pern ou des auditeurs Guillermo ; l’office peut passer enfin d’un frère à un autre avant d’échoir au fils du premier comme dans le cas des Rollée.

  • 34 C’est à partir de ce moment-là aussi qu’avec l’introduction de la clause du tiers denier se met en (...)

24Si on considère les périodes qui ont permis à ce phénomène de se développer, on constate que l’on peut opérer un classement selon la hiérarchie de la Chambre : pour les présidents et les procureurs généraux, la tendance se dessine uniquement à partir de la fin du XVIIe siècle. Pour les maîtres, il en va un peu de même et les années 1670 ont constitué également un moment charnière pour eux. Ils se distinguent toutefois par le fait que dès la seconde moitié du XVIe siècle, certaines familles se sont perpétuées sur trois générations comme les Le Lou, les Boutin, les de Monti. L’année 1572 a été propice à ces implantations durables. On peut y voir un effet du doublement du personnel qui est intervenu cette année-là et qui, en mettant fin à la crise que l’institution avait traversée au cours des années 1560, a suscité la confiance des familles qui désiraient y investir des capitaux34. On remarque que les familles qui font la preuve d’un tel attachement se distinguent ensuite par leur adhésion au camp ligueur comme si le choix d’une carrière d’officier avait été chez elles le signe d’un engagement fort dans la société. Cette ambition commune a pu se conjuguer avec des motifs spécifiques : ainsi pour les de Monti qui étaient originaires de Florence, il est permis de penser que cet ancrage à la Chambre a constitué un moyen de s’enraciner dans la notabilité locale, de se doter d’un statut tout en réalisant un investissement intéressant ; pour les Le Lou, ce dernier élément a dû également jouer comme l’ont montré les liens qu’ils ont maintenus avec les milieux financiers ; il doit être associé chez eux avec une volonté d’intégrer le second ordre comme l’atteste le fait que ce sont eux qui ont mené de longues procédures dans les années 1650 pour bénéficier du partage noble. La catégorie des auditeurs se distingue une fois encore : si l’on met à part les de La Tullaye qui constituent un cas particulier, on constate que les dynasties se forment surtout à partir des années 1630-1640. On retrouve ici le même phénomène que celui qui avait été observé pour les durées de carrière. Sans qu’il faille tirer de conclusions trop définitives étant donnée la faiblesse de l’échantillon, on peut retenir que l’implantation est ici le signe d’une patrimonialisation des charges, qu’il faut mettre en liaison, pour cette catégorie, avec l’élévation du prix des offices.

  • 35 Si l’on combine ces deux indices de forte présence à la Chambre, on arriverait ainsi à un total de (...)

25Pour dénombrer les dynasties de la Chambre, il ne faut pas se contenter, me semblet-il, de cette première approche mais il faut s’intéresser aussi aux familles qui, toutes catégories confondues, ont contrôlé le plus d’offices. Si l’on prend comme critère le seuil de quatre, on en recense dix-neuf qui ont fait souche à la Chambre de 1547 à 1715. On y retrouve logiquement quelques-uns des noms rencontrés précédemment mais pas uniquement35 et l’analyse de l’échantillon ainsi constitué permet de préciser et de nuancer la perception que l’on peut avoir des familles qui ont compté dans l’histoire de l’institution.

• Les de La Tullaye, un cas modèle

  • 36 Il était le fils de Nicolas de La Tullaye et de Jeanne Censier. Celle-ci s’est remariée en 1525 ave (...)
  • 37 Elle a récupéré une partie des biens de Thomas Regis, homme d’Église qui a joué un rôle important a (...)
  • 38 Sa charge de maître est acquise par l’ancien trésorier et receveur général Georges Morin.
  • 39 Cette intervention confirme la remarque de Sébastien Jahan selon laquelle « les options professionn (...)

26Arrivent en tête les de La Tullaye avec un total de douze charges qui ont été exercées par dix individus. Avec eux on est en présence de l’une des « familles pilier » de l’institution, celle qui vient à l’esprit quand l’on pense à la Chambre des comptes de Bretagne puisqu’elle y a été représentée du XVIe au XVIIIe siècle. Le premier à y entrer a été Yves de La Tullaye qui a été auditeur-greffier (1554-1570). C’est lui qui a orienté sa famille vers le service à la Chambre36. Qu’on en juge : son fils aîné, Alexandre de La Tullaye, lui a succédé comme auditeur avant de devenir maître en bénéficiant de la résignation du Tourangeau Martin de Beaune à une période où il était possible, pour peu que l’on disposât de relations dans l’institution, de passer d’une catégorie à l’autre ; il a résigné sa première charge à son frère Jean de La Tullaye qui a été promu à son tour maître en mettant à profit les troubles de la Ligue au cours desquelles il est resté fidèle au duc de Mercœur. C’est sans doute la même protection qui a permis au troisième frère, André de La Tullaye, de devenir avocat général en 1592. À ces trois fils, il faut ajouter deux filles, prénommées toutes deux Marguerite, qui se sont mariées avec des officiers de la Chambre : la première, Marguerite I de La Tullaye, avec l’auditeur Raoul Nicolon, la seconde, Marguerite II de La Tullaye, avec l’avocat général Pierre André, celui-là même à qui a succédé André de La Tullaye. L’ancrage dans la robe a été conforté par la troisième fille, Jeanne de La Tullaye, qui a épousé le conseiller au parlement Christophe Tituau. Seul le dernier garçon, prénommé Charles de La Tullaye, est resté en dehors de ce milieu, et s’est marié avec une riche héritière, Françoise de Vaucouleurs37. Il a été lui-aussi un actif ligueur comme l’atteste le fait qu’il a été fait pensionnaire de Bretagne en 1593 et qu’il a été institué grand prévôt en 1597. C’est sur sa descendance qu’a reposé la perpétuation de la lignée à la Chambre. En effet, si Alexandre de La Tullaye est décédé en charge en 158238 alors que son fils, René de La Tullaye, n’avait que trois ans, son frère Jean de La Tullaye est demeuré en fonction jusqu’en 1605, date à laquelle il a résigné en faveur de son neveu, devenu majeur entre-temps. René a pris alors le relais jusqu’à sa mort en 1635 : son neveu, Salomon de La Tullaye, le fils de Charles de La Tullaye, a accepté alors sous la pression de ses beaux-parents – les de Lesrat – de prendre le relais et d’intégrer l’institution39. Il y a accompli les vingt années nécessaires pour obtenir l’honorariat avant de vendre son office à Guillaume Artur. Grâce à son mariage avec Marie-Anne Morice, la fille du procureur général Yves Morice, son fils Salomon-François de La Tullaye a pris à son tour la tête du parquet à partir de 1682, une responsabilité que sa famille a, on le sait, conservé jusqu’à la Révolution.

  • 40 Elle était la fille de Gabriel Bitault, conseiller au parlement en 1582, et de Renée Le Maire, veuv (...)

27Avant l’acquisition de cet office, il n’y a pas eu d’attachement des de La Tullaye à une charge précise. Ils ont su profiter des opportunités pour maintenir leur présence à la Chambre et progresser dans la hiérarchie comme les cas d’Alexandre et de Jean l’ont montré. Ils ont mené une bonne stratégie matrimoniale, ce qui leur a permis de conforter leur présence dans la robe, d’acquérir des biens – terres, maisons – et de l’argent. Particulièrement importantes ont été sur ce plan les unions contractées avec les familles angevines par l’intermédiaire de René, marié à Marguerite Bitault40 et de Salomon de La Tullaye qui a épousé Renée de Lesrat, fille du conseiller au parlement Guy II de Lesrat, puis Anne Martineau, la veuve d’un prévôt d’Anjou. Ils ont su aussi s’allier avec des gens issus de la bonne noblesse mais aussi du négoce comme le montrent, aux deux bornes chronologiques de la saga familiale, le mariage dans la seconde moitié du XVIe siècle de Jean de La Tullaye avec un membre de la famille de La Presse et au XVIIIe siècle du dernier procureur général, Augustin-Louis-Salomon de la Tullaye, avec Henriette-Julie Perrée de La Villestreux, fille de riches négociants nantais.

Figure 3. – Les de La Tullaye.

  • 41 C’est ce qui expliquerait peut-être pourquoi, ils n’ont jamais accédé à une présidence.
  • 42 Le maître René de La Tullaye (1603-1635) épouse en premières noces en 1607 Marguerite Bitault, fill (...)
  • 43 Sur cette question, cf. Danielle Haase-Dubosc, Ravie et enlevée : de l’enlèvement des femmes comme (...)
  • 44 Le père de René II Foucault était conseiller et garde-scel au présidial de Nantes ; son frère, Jacq (...)
  • 45 Après le décès de Marie-Anne Morice, Salomon-François de La Tullaye s’est remarié avec Anne Rogier, (...)

28Ils ont fait la preuve aussi d’une réelle solidarité familiale et c’est en cela que réside sans doute principalement leur force. Les de La Tullaye font figure de clan soudé qui a toutefois su s’ouvrir sur l’extérieur afin de mieux se perpétuer. Si la Chambre des comptes a constitué le socle de leur réussite et est devenu l’élément de référence de leur parcours, ils n’ont pas cherché à y acquérir une influence déterminante41. Leur transformation en dynastie s’est faite un peu par hasard et ne s’explique, comme on l’a dit, que par l’intervention des de Lesrat pour que Salomon de La Tullaye prenne la succession de son oncle René. Les alliances qu’ils ont contractées au sein de son personnel ont obéi à des fins précises : au XVIe siècle, les unions conclues révèlent des sympathies religieuses autant que professionnelles. Cela a été le cas de l’alliance passée avec l’avocat général Pierre André et du mariage de la fille d’Alexandre de La Tullaye, Marie, avec le maître aux comptes ligueur, Mathieu de Brénezay42. Après le décès de ce dernier, Marie de La Tullaye a bien épousé un autre maître, François Coustureau, royaliste celui-là, mais cette union est moins significative puisqu’elle a été célébrée à la suite d’un rapt43 que la famille a fini par légaliser en 1605. Au XVIIe siècle, les de La Tullaye ont conclu deux alliances avec des membres de la Chambre des comptes : la première par l’intermédiaire de Marquise de La Tullaye, fille de Charles de La Tullaye, qui a épousé le maître aux comptes René II Foucault (1621-1644), la seconde par le biais du fils de Salomon avec la fille du procureur général Yves Morice. Si dans le premier cas, c’est le rapprochement avec une famille bien implantée dans le monde judiciaire qui semble avoir été recherché44, dans le second, on l’a vu, c’est la prise de contrôle d’une fonction importante de l’institution qui a été visée45. La stratégie matrimoniale obéit dans ces deux cas davantage à des motifs utilitaires.

  • 46 Claire Dolan, Le notaire…, op. cit. Elle distingue trois types de comportements parmi les notaires (...)

29Au final, si l’on reprend les modèles proposés par Claire Dolan46, les de La Tullaye pourraient s’intégrer dans le groupe des familles qui ont su, à partir d’une fonction de base, diversifier leurs liens et s’assurer ainsi une promotion sociale régulière. La Chambre des comptes, un peu comme leur hôtel de La Suze à Nantes, est devenue au fil du temps un élément constitutif de leur identité, qui leur a permis d’être reconnus sur le plan local – plusieurs membres de la famille assument des responsabilités municipales – et provincial. Le service qu’ils y ont rendu a correspondu aussi probablement à la conception qu’ils avaient, en tant que membres d’une noblesse ancienne mais modeste dont l’ascension avait débuté dans les derniers temps de la principauté bretonne, de l’engagement dans le monde. Ils ont ainsi pu concilier leur fort attachement au catholicisme avec la défense des valeurs traditionnelles de la société d’ordres.

D’autres cas de figure

• Des dynasties qui mènent à une présidence des comptes

30Aucune famille n’a fait la preuve d’une présence comparable à la Chambre des comptes à l’exception peut-être des de Becdelièvre dont on a déjà parlé quand on a évoqué les premiers présidents (cf. p. 120 et suivantes) et qui ont contrôlé dix charges aux XVIIe et XVIIIe siècles. La place occupée par les de Becdelièvre et les de La Tullaye ne doit pourtant pas conduire à occulter d’autres familles qui ont été très présentes dans l’institution. Parmi elles, on peut distinguer toutes celles qui ont occupé de quatre à six charges avec en tout premier lieu, pour la période à laquelle on s’intéresse particulièrement et qui va du XVIe siècle à la fin du règne de Louis XIV, les de Cornulier.

Figure 4. – Les de Cornulier.

31Comme les de La Tullaye, ceux-ci ont fait leur entrée à la Chambre dès le XVIe siècle avec Pierre I Cornulier qui est devenu maître en 1568 dans le cadre de la reconstitution de la Chambre après la tentative de suppression menée par Charles IX. Dès 1570, en mettant à profit le décès de Jean Jallier, il est devenu trésorier de France, charge qu’il a conservée jusqu’à son décès en 1588. C’est son fils, Claude I Cornulier, qui lui a alors succédé ; il est demeuré en poste jusqu’en 1632, date à laquelle il a résigné en faveur de Jacques II Huteau. Après lui, les de Cornulier abandonnent la Chambre pendant une génération et ils n’y font leur retour qu’en 1674 par l’intermédiaire du petit-fils de Claude I Cornulier, Jean-Baptiste I de Cornulier, qui devient président après le décès de Bernard de Poulpiquet. Son fils Claude II de Cornulier (1696-1733) et son petitfils Toussaint de Cornulier lui succèdent (1733-1736). Pour ce dernier, la Chambre n’a été toutefois, semble-t-il, qu’une position d’attente et dès 1736, il a opté pour un mortier au parlement. Avec lui, la présence des de Cornulier à la Chambre prend fin. Un autre membre de la famille, Jean-Baptiste II de Cornulier, était également devenu président en 1692 grâce à son mariage avec la fille de François Raguideau, mais il était mort en 1713, sans postérité. À la différence des de La Tullaye ou des de Becdelièvre, la relation entretenue par les de Cornulier avec la Chambre a donc été moins forte ; loin d’être au cœur de leur parcours professionnel, elle relève d’un choix entre plusieurs options parmi lesquelles figurent le parlement, les eaux et forêts, le clergé et, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, l’armée. À la fin du XVIe siècle, ils ont préféré la charge de trésorier de France, qui leur conférait une dignité importante à l’échelle de la province, tout en leur permettant de jouir des privilèges de l’institution sans avoir à y siéger en permanence. Ils ont ensuite profité de la baisse des prix des charges à la fin du XVIIe siècle pour accéder à une présidence des comptes. Il ne faudrait pas voir en eux de simples opportunistes. Ainsi le président Jean-Baptiste I de Cornulier avait pour grand-mère Françoise Raoul, fille du président des comptes Guillaume I Raoul : en achetant cet office et en le conservant longtemps, il a renoué ainsi avec une tradition familiale et révélé qu’il considérait le service à la Chambre, non pas comme un simple investissement, mais comme un emploi digne d’être occupé.

  • 47 Il a résigné en faveur d’un autre Vannetais, Pierre Guydo.
  • 48 On ne peut pas écarter non plus l’hypothèse selon laquelle il aurait voulu profiter du mouvement de (...)

32Dans la même catégorie, on peut citer également les Huteau dont le parcours par certains aspects rappelle celui des de Cornulier. Trois des membres de cette famille – tous prénommés Jacques – qui était originaire de l’évêché de Vannes, ont fait partie de la Chambre et y ont occupé cinq fonctions. Le premier, Jacques I Huteau, est devenu maître en 1610 et est demeuré en charge jusqu’à son décès en 1639. Le choix de faire carrière à Nantes peut s’expliquer dans son cas par l’alliance contractée par sa sœur, Jeanne Huteau, en 1600 avec Jean II Morin, président du présidial de Vannes et fils de l’ancien premier président de la Chambre Jean I Morin. Son fils Jacques II Huteau a poursuivi dans la même voie que lui tout en faisant progresser sa famille sur le plan social. En 1633, il a en effet succédé à Claude I Cornulier à l’une des charges de trésorier de France. Cette promotion n’est pas le simple fait du hasard : elle précède en effet de peu le mariage de Jacques II Huteau avec Charlotte Thévin qui était la fille de Guillaume Thévin, conseiller au parlement de Rennes (1607-1615) et de Guyonne I Bouriau des Champneufs, elle-même héritière d’une grande famille marchande nantaise du début du XVIIe siècle. L’obtention d’un office plus important s’est donc accompagnée d’une alliance profitable avec une famille ici encore d’origine angevine. Le rapprochement avec les Thévin a dû d’ailleurs faciliter l’acquisition de la charge de trésorier de France de Claude I Cornulier puisque le père de celui-ci, Pierre I Cornulier, avait épousé Claude de Commaillé et était ainsi devenu le beau-frère de Robert Thévin, c’est-à-dire du grand-père de Charlotte. À la différence des de Cornulier, Jacques II Huteau n’a pas choisi de faire carrière à la trésorerie de France et, par réaction peut-être face aux atteintes qui étaient portées par le pouvoir central aux prérogatives de cette fonction47, il a acquis en 1644, l’office de président des comptes que lui a résigné l’Angevin Louis du Pont48. Dès 1662, son fils Jacques III Huteau a acheté une charge de maître qui a constitué pour lui tout à la fois un bon placement dans une conjoncture porteuse et une position d’attente jusqu’à ce que son père lui cède sa charge de président. Si ses espérances se sont réalisées sur ce dernier point, sur le plan financier en revanche, les choses ont tourné beaucoup plus mal, comme on l’a vu précédemment (cf. p. 201). À sa mort en 1678, il était en situation de faillite personnelle. Ironie du destin ou signe de liens maintenus par-delà les années, après l’intermède assuré par son beau-père François Raguideau, son office a été acquis par Jean-Baptiste II de Cornulier, comme si la boucle qui s’était ouverte à la génération précédente quand Jacques II Huteau avait succédé à Claude I Cornulier à la trésorerie de France, s’était alors refermée.

Figure 5. – Les Huteau.

  • 49 Par sa famille, il avait des liens avec des ligueurs comme Guillaume I Raoul, procureur syndic des (...)
  • 50 Certains de ses enfants ont été pourtant baptisés à Nantes alors que la ville était contrôlée par l (...)

33Parmi les familles qui accèdent à une présidence et qui ont également marqué la Chambre de leur présence, il faut mentionner aussi les Juchault, les Le Meneust et les Langlois. Les premiers présentent peut-être l’ascension la plus spectaculaire qu’ait connue une famille d’officiers au cours de l’histoire de la Chambre. À l’origine, on trouve René Juchault, marié à une certaine Olive Richard, qui est notaire et l’un des plus actifs procureurs auprès de la Chambre des comptes dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Son fils, Michel Juchault, contribue à conforter l’ancrage de la famille dans le monde des offices. Signalé en 1571 comme receveur ordinaire de Nantes, il devient en 1574, contrôleur des aides, tailles et taillon en l’élection de Loudun. En 1576, il fait l’acquisition d’un office de correcteur de nouvelle création où il parvient finalement à se faire recevoir en 1583. En peu d’années, il a donc réussi à passer du monde relativement instable des recettes de finances à la sécurité privilégiée d’une cour souveraine. Plusieurs facteurs expliquent ce parcours. Michel Juchault a d’abord su saisir les opportunités offertes par cette seconde moitié du XVIe siècle, fertile en créations d’offices. Il a réalisé ensuite un bon mariage en épousant en 1585 Marguerite Le Serff, fille de François Le Serffet de Marie Morin. Celle-ci était selon toute vraisemblance la sœur du premier président Jean I Morin ; cette alliance lui a donc permis d’entrer, même à la marge, dans l’orbite du réseau des marchands espagnols organisés autour d’André Ruiz dont Morin était le gendre. Le troisième facteur qui explique la réussite de Michel Juchault est son entrée au service du duc de Montpensier, gouverneur de Bretagne de 1569 à 1582, en tant que secrétaire. C’est grâce à cette protection qu’il est devenu contrôleur des tailles à Loudun – ville dont les Montpensier étaient les seigneurs – et peut-être aussi correcteur à la Chambre. Elle explique aussi, en plus de son dévouement à la maison de Retz, son ralliement, après un temps d’hésitation49 à la Chambre des comptes royaliste de Rennes en 158950. En récompense de ses états de service, il a obtenu la transformation en 1595 de sa charge de correcteur en celle d’auditeur, et a été élu échevin de Nantes en 1601-1602 puis sous-maire en 1603-1604.

  • 51 Il était le fils d’un auditeur des comptes prénommé lui-aussi Pierre (1588-1616) qui avait siégé en (...)

34Grâce à la fortune qu’il a constituée, il a pu pourvoir ses enfants de situations confortables. Sur ses trois fils, l’aîné, Claude Juchault, récupère sa charge d’auditeur à la Chambre où il siège de 1614 à 1646 ; le second, Christophe I Juchault, est pourvu d’un office de conseiller au présidial (le 27 février 1616) alors que le troisième, Julien Juchault (1593-1652), devient procureur général des eaux et forêts. Une fille, Marie I Juchault (1599-1639), épouse en 1616 le maître des comptes Pierre II Davy (1616-1629)51. L’acquisition de charges et le paiement d’une dot n’ont pas permis à Michel Juchault de marier tous ses enfants et, en dehors de Marie, seul Christophe a pu fonder rapidement un foyer en épousant en 1617, Jeanne Goulet, la fille d’un marchand de la Fosse de Nantes. Claude et Julien doivent attendre le décès de leur père en 1622 et le partage de sa succession pour s’établir. Ils épousent en 1624 deux sœurs, Louise Symon pour Claude et Claude Symon pour Julien. Parallèlement, Christophe I Juchault poursuit sa carrière au présidial en devenant en 1622 lieutenant civil et criminel. Son ascension ne s’arrête d’ailleurs pas là puisqu’en 1635, en mettant à profit le décès de Gabriel Tromelin, il accède à une présidence des comptes.

35À la génération suivante, la présence de la famille Juchault se maintient à la Chambre grâce aux enfants du président Christophe I Juchault et de l’auditeur Claude. Logiquement ce sont les descendants du premier qui connaissent la plus belle réussite. Si l’aîné, Christophe II Juchault, semble se contenter de vivre en rentier sur son domaine du Blottereau, son frère Pierre Juchault, né en 1625, siège brièvement à la Chambre comme maître de 1652 à 1659, en tirant au passage profit de la hausse du prix des offices qui est intervenue au cours de cette période. Leur sœur, Françoise Juchault, se marie quant à elle, avec René de Sesmaisons. De leur union naît Renée, qui épouse en 1678, Jean-Baptiste de Becdelièvre, permettant à celui-ci de devenir premier président à la Chambre des comptes en 1678.

36Sans connaître une telle réussite, les enfants de l’auditeur Claude Juchault confirment aussi leur attachement à la Chambre des comptes. Sur les quatre qui ont survécu, trois sont des filles. L’une d’elles, Marie II Juchault, épouse en 1646, François Le Tourneux, en faveur de qui Claude Juchault résigne son office la même année. Sur les deux autres filles, l’une, Anne, est placée au couvent des Ursulines de Châteaubriant alors que la seconde, Claude, épouse un secrétaire du grand maître de l’artillerie de France. Les espoirs de la famille semblent avoir été placés dans le fils, Christophe III Juchault, sieur de Lorme, qui acquiert en 1656 un office de maître pour le prix de 75 000 livres. Il est le dernier individu portant le nom de Juchault à figurer à la Chambre.

Figure 6. – Les Juchault.

  • 52 Il est plus que probable aussi que Christophe I Juchault appartenait à la clientèle de Richelieu en (...)
  • 53 Parmi les parrains et marraines des enfants de Michel Juchault, on relève les noms d’Anne Morin, fi (...)
  • 54 Avec ce dernier, un lien peut être établi avec les Huteau évoqués précédemment : cela laisse à pens (...)

37En un siècle et demi, les Juchault ont gravi, soit directement, soit grâce à leurs alliés, tous les degrés de la hiérarchie de la Chambre, du niveau de procureur aux comptes à celui de président, voire à celui de premier président, si l’on prend en considération la promotion de Jean-Baptiste de Becdelièvre. Ils se sont affirmés ainsi comme l’une des familles importantes de la noblesse de robe bretonne. Leur ascension a été régulière ; elle a bénéficié, en dehors des facteurs initiaux que j’ai décrits à propos de Michel Juchault, de la conjoncture favorable du prix des offices dans la première moitié du XVIIe siècle52. Elle a reposé aussi sur une alliance privilégiée avec l’influente famille des Morin. On a vu (cf. p. 421) que Michel Juchault a épousé la fille de Marie Morin, la sœur de l’ancien premier président des comptes, Jean I Morin53. Le lien ainsi noué a continué à jouer par la suite. Ainsi Christophe I Juchault est-il devenu lieutenant civil et criminel au présidial de Nantes en bénéficiant de la résignation d’André Morin, fils du même Jean I Morin. En 1643, il a délaissé sa charge de président des comptes à Roland Morin qui était lui-même l’héritier de Jean II Morin, président du présidial de Vannes54. L’alliance entre les deux familles a joué une dernière fois à la fin du XVIIe siècle quand le fils du maître Christophe II Juchault (1656-1676) a épousé Louise Morin, petite-fille de l’ancien président Roland Morin.

  • 55 Christophe II Juchault était marié avec Renée d’Yrodouer, fille d’Yves et de Louise Symon.

38De façon générale, les Juchault ont su mettre en œuvre une bonne stratégie matrimoniale qui leur a permis de renforcer leurs positions à la Chambre. Les mariages des filles ont été à cet effet particulièrement « réussis ». On a vu que Marie I Juchault, la fille de l’auditeur Michel, avait épousé le maître des comptes Pierre II Davy (1616-1629). Après la mort de ce dernier, elle s’est remariée avec le président René Ferron (1628-1651), qui a donc siégé au Bureau de la Chambre avec son frère Christophe I Juchault. Jeanne Davy, la fille issue de sa première union, a épousé le maître des comptes François Guischard (1645-1656). À l’autre bout du siècle, le maître Christophe II Juchault (1656-1676) a poursuivi la même stratégie puisque l’une de ses filles, Claude, a épousé le maître des comptes Pierre II du Cassia (1694-1709) alors que l’autre, Louise Juchault, s’est mariée avec le président Jean Bidé (1706-1728). Ce choix attentif des alliances s’est doublé d’une certaine logique dans la circulation des offices. Claude Juchault a résigné sa charge d’auditeur en faveur de son gendre François Le Tourneux. Tous les transferts n’ont toutefois pas été aussi directs. Ainsi l’office de maître de Pierre II Davy a-t-il été récupéré après son décès en 1629 par un Angevin, Adrien de Crespy, qui l’a conservé jusqu’en 1652. À cette date, il s’en est démis en faveur de Pierre Juchault, fils du président Christophe I Juchault et neveu de Marie I Juchault, la veuve de Pierre II Davy, comme si, à plus de vingt années de distance, la famille de celle-ci reprenait possession d’un bien qu’elle avait contribué à financer. À la même période, en 1656, le gendre de cette dernière, François Guischard, a transmis, quant à lui, son office de maître à Christophe III Juchault, le fils de l’auditeur Claude. Vingt années plus tard en 1676, Christophe III Juchault résigne sa charge en faveur de Jeanne des Melliers, pour son fils Alexandre I Symon. Avec celui-ci, on retrouve une autre famille proche des Juchault puisque l’on a vu précédemment que deux des fils de Michel – l’auditeur Claude Juchault et le procureur aux eaux et forêts Julien Juchault – avaient épousé des sœurs de l’auditeur Mathurin Symon (1632-1636). Alexandre I Symon était apparenté à ce dernier, sans que l’on puisse dire exactement à quel degré55. Tout se passe ainsi comme si la famille Juchault avait réussi à maîtriser sur quelques décennies la circulation des offices dans son cercle d’alliés pour doter les siens d’un état et améliorer la situation de ses proches. Une fois qu’elle a atteint les objectifs qu’elle s’était fixés ou qu’elle a exploré toutes les possibilités qu’offrait la Chambre, elle a délaissé cette dernière.

  • 56 Il est signalé aussi dans les généalogies comme secrétaire des finances de Monsieur, frère du roi, (...)

39Sans faire la preuve d’une telle cohésion, les Le Meneust, les Langlois et les Bidé ont su également utiliser l’institution à leurs fins et la marquer de leur empreinte. La réussite des premiers prend ses origines au présidial de Nantes où Julien I Le Meneust était procureur. Ses deux enfants ont intégré la Chambre : l’aîné, Simon Le Meneust, est devenu auditeur dès 1650 et le cadet, Julien II Le Meneust, a acquis une charge de maître en 1674 après avoir été lieutenant des ouvriers de la monnaie de Nantes56. Si ce dernier a rapidement délaissé la Chambre, le premier est, quant à lui, mort en charge en 1671. Son fils Pierre Le Meneust a accompli une progression importante puisque, en mettant à profit les créations d’offices de 1692, il est devenu président des comptes, une charge qu’il a transmise en 1723 à son héritier Pierre-Christophe Le Meneust.

Figure 7. – Les Le Meneust.

  • 57 Son père Philippe était avocat au présidial.
  • 58 Son père était avocat au présidial.
  • 59 Son frère Jacques a été par la suite avocat général (1700-1725).
  • 60 Celui-ci a refusé de succéder en tant que maître à son beau-père dont il a possédé l’office de 1684 (...)
  • 61 Les liens avec les familles connues à la Chambre ne sont toutefois pas rompus comme en témoigne le (...)

40Celui-ci, qui était entré à la Chambre en tant que maître, a conservé cet office jusqu’à son décès en 1759. La progression des Le Meneust a été favorisée, elle aussi, par des alliances bien choisies. L’auditeur Simon Le Meneust a épousé Jeanne de Lomeau57, dont le frère Joseph de Lomeau est devenu maître à la Chambre en 1672 après avoir été conseiller au présidial d’Angers58. L’accession de son fils Pierre Le Meneust à la présidence en 1692 s’explique sans doute en grande partie par son union en 1693 avec Marie-Marguerite Jouault59, veuve du conseiller au parlement, Gilles Cosnier. Les deux filles du maître Julien II Le Meneust (1674-1686) ont convolé dans les mêmes milieux puisque l’une, Marguerite Le Meneust, a épousé Claude de Cornulier60 et que l’autre, Marie Le Meneust, s’est mariée avec François IV Boux, fils de l’auditeur François II Boux. Le président Pierre-Christophe Le Meneust a épousé pour sa part l’héritière d’une famille irlandaise installée à Nantes, les Stapleton ; avec cette union, il a amorcé sa rupture avec le milieu des offices puisque tous ses enfants, suivant en cela l’exemple des membres de leur belle-famille, ont fait carrière dans la Marine. En trois générations, les Le Meneust sont passés des niveaux inférieurs de la robe à la noblesse d’épée61 grâce à la promotion que leur a assurée la Chambre des comptes.

Figure 8. – Les Langlois.

  • 62 Son épouse Marie Caillaud était la fille du marchand Jean Caillaud, ancien échevin de Nantes.
  • 63 Il était le fils d’un conseiller au présidial de Nantes.
  • 64 Il acquiert l’office d’Yves de Monti qui met fin alors à plus de cinquante années de présence à la (...)
  • 65 Il était le fils de Pierre Mosnier, juge criminel au présidial, et de Françoise Macé, fille de l’au (...)
  • 66 Il a épousé la fille du trésorier de France Joseph-Martin de Goyon.

41La réussite des Langlois prend également sa source au présidial de Nantes où Jacques I Langlois était avocat dans la première moitié du XVIIe siècle62. Sa fille Marie I Langlois épouse le maître des comptes Roland II Bidé63 (1660-1686) : c’est elle qui ouvre le chemin de la Chambre à sa famille puisque son frère, Jacques II Langlois, acquiert un office de maître en 167664. La même année il épouse Marie Boussineau, fille d’André Boussineau, qui alliait l’activité du négoce – il a été consul des marchands – à celle de la finance – il fut receveur général des décimes en Bretagne (1687-1717). Les deux enfants qui naissent de cette union renforcent la présence de la famille à la Chambre puisque la fille, Marie II Langlois, épouse un maître des comptes, Joseph Mosnier65 (1696-1718) et que le fils, Jacques III Langlois, devient maître à la suite de son père en 1702. Il reste en charge jusqu’à son décès en 1733 date à laquelle son fils – Jacques IV Langlois – prend le relais. Son passage à une maîtrise des comptes est de courte durée puisque dès 1741, il accède à une présidence qu’il conserve jusqu’à son décès en 1748. Cédant à ce qui semble alors un effet de mode, son fils s’engage dans une carrière d’officier dans la Marine royale, loin donc de la tranquillité, un peu désuète il est vrai, de la Chambre des comptes66.

  • 67 Il est échevin de Nantes (1580-1583).
  • 68 Il se marie tour à tour avec Catherine Laurens puis avec Judith Chahu. Sa fille Éléonore se marie e (...)
  • 69 Il épouse Marie Lizière puis Catherine Poullain.
  • 70 La fille, prénommée Michelle, épouse François Berthelot, conseiller au présidial (1603-1628). Il ré (...)
  • 71 Le mariage, par les conditions imposées, semble avoir été supervisé par Étienne Bidé.

42La dernière famille dont on retrouve plusieurs membres à la Chambre et qui parvient à porter l’un de ses membres à une présidence est celle des Bidé. À l’origine, on trouve Julien I Bidé, notaire puis procureur au présidial67. Il se marie deux fois, la première avec Louise Perraudeau, la seconde avec Marguerite Boux, donnant naissance ainsi à deux branches principales. La première connaît la destinée la plus brillante avec tout d’abord Pierre Bidé qui devient lieutenant civil et criminel au présidial ligueur de Nantes. Le mariage qu’il réalise avec Michelle Dubot, la fille de Guillaume Dubot, marchand ultra-catholique – il est maire de Nantes en 1595 –, lui permet d’assurer une bonne position à son fils aîné Guillaume Bidé qui est tour à tour sénéchal de Vannes, conseiller au parlement de Paris et maître des requêtes68. Les autres enfants sont davantage confinés à Nantes : l’un, Étienne Bidé, devient conseiller au présidial (1628-1646) alors que le troisième, Roland I Bidé69 acquiert une charge d’auditeur des comptes (1616-1636)70. Cette première incursion à la Chambre n’a pas de suite immédiate et ce sont en fait, les enfants d’Étienne qui y opèrent la percée la plus nette par le biais d’une fille, Marie I Bidé, qui épouse le maître Alain Gellouard71 et de son frère Roland II Bidé qui succède à ce dernier (1659-1686). De son mariage avec Marie I Langlois, Roland II Bidé a deux fils dont l’un, prénommé Jean Bidé, accomplit une belle carrière : après son mariage avec Louise Juchault, fille du maître Christophe II Juchault (1656-1676), il achète d’abord un office de correcteur de nouvelle création (1692) puis en 1706, il récupère l’office de président laissé vacant par le décès de Joseph Rousseau. Sa promotion à la charge de ce dernier marque la naissance d’une alliance entre les deux familles, qui se traduit quelques années plus tard, en 1717, par le mariage de la fille de Jean Bidé, Marie II Bidé, avec Louis Rousseau, le fils de l’ancien président. L’acquisition d’un office de maître pour son fils Roland III Bidé, la même année, confirme son attachement à la Chambre des comptes en même temps qu’elle peut révéler une volonté de préparer son héritier à lui succéder. Celui-ci n’y fait pourtant qu’un bref passage (1717-1723), marquant ainsi la fin de la présence de cette branche de la famille Bidé à la Chambre.

  • 72 Alain Gellouard fait figure de « proie tentante » pour une famille douée d’ambition.

43Outre les conditions de départ favorables, son ascension a été permise par une bonne perception de la conjoncture de l’office comme en témoignent l’alliance contractée avec Alain Gellouard, l’achat de sa charge au moment où le mouvement des prix était à la hausse72 ainsi que l’acquisition à la fin du règne de Louis XIV d’un office de correcteur de nouvelle création. Ces Bidé ont réussi à parvenir rapidement au sommet de l’institution en nouant des alliances avec des familles qui y étaient déjà bien implantées comme les Juchault et les Rousseau. Le lien avec ceux-ci, dont la place centrale dans l’institution trouve ainsi confirmation, semble avoir été précieux. Christophe III Juchault a résigné en 1676 son office de maître à Alexandre I Symon (1676-1695) qui s’en est démis à son tour en faveur de son fils Alexandre II Symon (1706-1717). Quand celui-ci meurt en 1717, son office est racheté par Roland III Bidé, le fils du président Jean Bidé et de Louise Juchault. Les Bidé ont aussi favorisé l’intégration d’autres familles en ascension comme les Langlois et utilisé les liens tissés avec elles pour vendre des offices. On peut citer ainsi l’exemple de Roland II Bidé (1659-1686) qui résigne en 1686 son office de maître en faveur de François Guyton. Le décès prématuré de celui-ci l’année suivante, alors qu’il n’a pas pu payer le prix de son office, permet à Jean Boussineau de s’en faire pourvoir. On peut penser qu’ici le relais a été assuré par Jacques II Langlois qui était le beau-frère du nouveau promu et le neveu de l’ancien titulaire.

Figure 9. – Les Bidé.

  • 73 Il avait épousé Catherine Dugué.
  • 74 Il succède à René Bernard, fils du président des comptes Pierre Bernard.
  • 75 Il lui a vendu son office en 1678 pour 47 000 livres.
  • 76 Celui-ci était le beau-frère du président Jean Bidé du fait de son mariage en premières noces avec (...)
  • 77 À moins qu’il ne soit tout simplement l’expression d’un certain opportunisme.
  • 78 Dans le cas présent, les solidarités pourraient être de nature financière, le passage des Bidé au c (...)

44L’autre branche des Bidé connaît moins de réussite même si elle s’implante également à la Chambre. Le fils de Julien I Bidé et de Marguerite Boux, Julien II Bidé73, fait carrière comme contrôleur général des finances (1605-1633). Alors que l’un de ses fils, Sébastien Bidé, acquiert une charge de maître des comptes (1634-1659), l’autre, Claude I Bidé, après avoir brièvement assuré sa succession au contrôle général, devient, en mettant à profit l’alliance qu’il a nouée avec la famille Ménardeau, alloué et lieutenant général au présidial74. Son fils Claude II Bidé lui succède dans cette charge75 et épouse Marie du Cassia, sœur du maître des comptes Pierre II du Cassia (1694-1709). Quand celui-ci décède76, c’est le fils cadet de Claude II Bidé, Claude III Bidé qui récupère son office (1709-1725) ; il rejoint à la Chambre son frère aîné, Louis Bidé, qui a été institué maître en 1707. Les conditions dans lesquelles celui-ci est entré dans l’institution ne sont pas banales : il a en effet succédé à René Le Marié qui y siégeait depuis 1659 et qui avait lui-même bénéficié de la résignation de Sébastien Bidé. Par ce biais, on constate donc qu’un Bidé retrouve, à plus de quarante années d’intervalle un office qu’un parent avait précédemment détenu. Ce fait révèle l’attachement des familles à certaines charges bien précises ; il témoigne aussi une nouvelle fois des stratégies qu’elles pouvaient mettre en œuvre à court et moyen terme pour doter les siens d’un état77. Il suggère enfin des liens plus profonds et plus durables entre les familles concernées et qu’il est impossible de bien connaître faute d’archives suffisantes78.

• Durer pour passer du rang d’auditeur à celui de maître

  • 79 Les filles sont unies à des familles présentes au présidial.

45On rencontre ce cas de figure à deux périodes bien précises : dans la seconde moitié du XVIe siècle avec les Ménardeau et les Le Moyne et à la fin du XVIIe siècle avec les Bedeau et les Guyton. Les Ménardeau sont médecins à l’origine. Étienne Ménardeau qui pratique ce métier à la fin du XVe siècle a deux fils79 : l’un, François I Ménardeau, lui succède alors que l’autre, Pierre I Ménardeau, grâce sans doute à son mariage avec la fille de l’ancien maître des comptes Jean II Hux (1543-1546), passe du statut d’auditeur (1559-1572) à celui de maître (1572-1586).

  • 80 Elles s’expliquent en partie par le climat d’hostilité à la création d’offices qui règne à la fin d (...)
  • 81 Celui-ci descendait également d’une famille de médecins : l’alliance contractée prolongerait ainsi (...)
  • 82 Il est resté fidèle au roi pendant la Ligue.
  • 83 René Ménardeau, qui devient lieutenant au présidial (il est maire de Nantes en 1622), épouse Renée (...)

46À la génération suivante, Pierre II Ménardeau, le fils de Pierre I Ménardeau parvient, après plusieurs tentatives infructueuses80 à s’imposer comme maître en 1603. Il fait ses vingt ans et résigne en faveur de son propre fils, Jacques Ménardeau, qui meurt en charge en 1634, sans héritier. L’une des sœurs de ce dernier, Françoise Ménardeau, épouse quant à elle le maître des comptes Mathurin Boux81 (1626-1650). Pierre III Ménardeau, le fils du médecin François I Ménardeau, fait une carrière d’auditeur82 (1580-1617) mais il n’a pas de successeur à la Chambre, bien que ses fils contractent mariage avec des filles de magistrats83. La famille Ménardeau disparaît de l’institution avant le fort mouvement de hausse du prix des offices qui se produit à partir des années 1650. La destinée des Le Moyne est comparable même si le point de départ se situe ici dans la marchandise vitréenne.

Figure 10. – Les Ménardeau.

  • 84 Il a épousé successivement Jeanne Geslin puis Françoise Le Vavasseur, fille de Christophe, sieur de (...)
  • 85 Le choix des parrains de ses enfants fait apparaître des liens avec la maison des gouverneurs de Br (...)
  • 86 Son père lui a donné 16 000 livres et lui a laissé le lieu de La Grée en Sautron ainsi que18 livres (...)
  • 87 Il la prend avec « tous ses droits héritels qu’elle a à cause de la succession de ses parents et de (...)
  • 88 Il s’est marié la même année avec Angélique Ragaud, sœur de l’auditeur Jean Ragaud (1628-1648).
  • 89 Cette union s’inscrit dans le cadre d’un mariage croisé puisque François Le Moyne s’était remarié e (...)
  • 90 Le fils de François, né son deuxième mariage, opte pour une carrière militaire.

47Gilles Le Moyne, le premier membre de la famille à s’implanter à Nantes84, est tour à tour auditeur (1573-1587) puis maître (1587-1605)85. Alors que sa fille, Jeanne Le Moyne, épouse François Bourgogne, sieur de Vieillecourt, conseiller au présidial86, son fils Christophe Le Moyne lui succède en 1605 et épouse trois ans plus tard Anne Adam, la fille d’un ancien auditeur des comptes87. Sa mort en 1619 alors que l’annuel est suspendu oblige ses héritiers à racheter son office aux parties casuelles pour 14 000 livres et à le vendre à Christophe de Rollée. L’attachement de sa famille à la Chambre des comptes n’en demeure pas moins fort puisque deux des enfants de Christophe y font carrière comme auditeurs, l’un, Pierre Le Moyne de 163488 à 1656, l’autre, François Le Moyne, de 1636 à 1661. Si la fille de ce dernier épouse Jacques Brochard qui devient maître en 167089, le nom des Le Moyne disparaît ensuite de la Chambre90. La promotion de Gilles Le Moyne à une charge de maître a été quelque peu compromise par la disparition de son successeur immédiat, sans empêcher pourtant que les Le Moyne, grâce à leur passage dans l’institution, soient devenus des notables du comté nantais.

  • 91 Il a prêté serment comme avocat en 1648. Ses parents lui achètent l’office d’Étienne II Moucheron, (...)
  • 92 Il récupère l’office de Jean Serizay (1637-1653) décédé.
  • 93 Il vend sa charge le 6 septembre 1685 à noble homme Charles Moricaud, sieur de La Fleuriays, parois (...)

48Si l’on s’intéresse aux familles qui s’affirment au XVIIe siècle, on doit mentionner tout d’abord les Guyton qui ont donné sept officiers à la Chambre sur trois générations. Le point de départ de l’ascension est situé ici aussi au présidial de Nantes où Jacques I Guyton, époux de Madeleine Mocquart, était procureur au début du XVIIe siècle. Trois de ses enfants voient leur destin directement lié à la Chambre des comptes. La fille aînée, Madeleine Guyton, se marie avec le maître Jacques Bonnemez (1640-1661) alors que ses deux frères deviennent auditeurs : René Guyton91 en 1650 et Jacques II Guyton en 165392. Dans le cas de ce dernier, l’intérêt pour la Chambre est confirmé par son mariage la même année avec Jeanne Ragaud, fille de l’auditeur Jean Ragaud (1628-1648) et de Jeanne Bonfils. Si le troisième fils, Mathurin Guyton, a opté pour une autre voie – il devient juge ordinaire, maître particulier des eaux et forêts au comté de Nantes (1672-1685)93 –, il prend également femme dans le monde des gens des comptes puisqu’il épouse Marguerite Villaine, nièce de l’auditeur Pierre Villaine (1651-1676).

  • 94 Le prix est de 18 000 livres dont 11 000 livres doivent servir pour payer la taxe de l’office aux p (...)
  • 95 Son mariage peu de temps avant avec Élisabeth Le Lou pourrait accréditer cette hypothèse.
  • 96 « Suivant et conformément à la fixation » dit le traité. Le père se réserve le droit de disposer de (...)
  • 97 Verrin était domicilié dans la paroisse Saint-Saturnin. La vente, qui a lieu le 26 novembre 1685, a (...)

49À la génération suivante, l’intérêt des Guyton pour la Chambre ne se dément pas. Quand René Guyton meurt en 1672, il n’a pas d’héritier en âge de lui succéder et son office est revendu au profit de ses enfants mineurs à François Valeilles94 par ses frères Jacques II Guyton et Mathurin Guyton. Le fait que ces derniers ont dû payer une forte taxe aux parties casuelles pour récupérer la charge explique peut-être pourquoi le fils de René, François Guyton (né en 1654), n’ait pu faire son entrée à la Chambre qu’en 1686 à l’âge de 32 ans. Comme il devient maître à cette date, on ne peut écarter non plus l’idée qu’il ait voulu attendre qu’un tel office se libère pour intégrer l’institution et faire progresser ainsi sa famille dans la hiérarchie de la Chambre95. C’est en tout cas le choix qui est fait par le fils de l’auditeur Jacques II Guyton. Celui-ci – Jacques III Guyton – avait conclu un traité d’office avec son père le 31 octobre 1685 par lequel il lui avait acheté sa charge à simple procure pour 16 000 livres96 en s’engageant à ne pas la revendre sans son consentement. Du fait de cette clause, c’est sans doute avec son accord qu’il a, moins d’un mois plus tard, cédé l’office à Philippe Verrin97. En 1687, il acquiert l’office de maître de François Martineau qu’il conserve jusqu’en 1711. En faisant un tel choix, il a donc dû vouloir imiter son cousin germain ; il a eu en l’occurrence plus de chance que lui puisque François Guyton est décédé à peine un an après être devenu maître. Jacques III Guyton a alors épousé sa veuve, Élisabeth Le Lou, attestant ainsi la solidarité – et sans doute aussi la communauté d’intérêts – qui existait entre les deux branches de la famille. Celle-ci construit sa réussite sur un ancrage à la Chambre comme le confirme le fait que Jeanne Guyton, la sœur de Jacques III Guyton, ait épousé en 1685 l’auditeur Guillaume Guillermo (1681-1689).

Figure 11. – Les Guyton.

  • 98 Ce mariage consacre l’alliance conclue entre les familles Bonnemez, Guyton et Godet.
  • 99 Celui-ci avait exercé de 1649 à 1681.
  • 100 Mathurin Boux, sieur des Barres, le père de Lucrèce Boux était le fils de l’auditeur Claude Boux (1 (...)

50C’est par son intermédiaire que le nom des Guyton se perpétue indirectement à la Chambre des comptes puisque Jacques III Guyon et François Guyton n’ont pas de fils et que leurs filles prennent un époux en dehors de ce milieu, à l’exception d’Anne, héritière du dernier nommé, qui se marie avec le maître Pierre II Godet98 (1697-1737). Le rôle joué par Jeanne Guyton est intéressant puisqu’il révèle une nouvelle fois les solidarités qui pouvaient exister au sein des familles et qu’il fait apparaître clairement les objectifs que certaines d’entre elles poursuivaient. Son mari, Guillaume Guillermo, avait succédé en 1681 à son père Philippe Guillermo, dans sa charge d’auditeur99. À sa mort prématurée en 1689, c’est son frère René Guillermo qui a pris le relais jusqu’à son propre décès en 1718. Sans héritier en âge de lui succéder, son office a été alors acquis par… Mathieu Guyton, fils de l’ancien juge des eaux et forêts, Mathurin Guyton. Son entrée à un âge avancé à la Chambre – il avait alors quarante ans – peut s’expliquer par au moins trois hypothèses : la volonté de saisir une opportunité et de prendre un état, la pression de sa belle-famille, les Boux100 dont certains membres avaient été officiers des comptes, le souci enfin de conforter la noblesse de sa famille. S’il bénéficiait en tant que descendant de Jacques I Guyton, échevin en 1631, de l’anoblissement conféré par le service à la mairie de Nantes, il n’était pas, à la différence de ses parents, l’héritier d’un membre d’une cour souveraine. En intégrant celle-ci, il pouvait espérer améliorer son statut qui dépendait trop d’une noblesse de cloche, de plus en plus dépréciée. Il est décédé un an après avoir été reçu à la Chambre ; son fils Armand-Mathieu Guyton, alors trop jeune pour lui succéder, a acquis un office de correcteur en 1742 qu’il a conservé exactement vingt ans, jusqu’en 1763. Ces derniers Guyton présents à la Chambre des comptes semblent ainsi avoir été guidés par les mêmes principes que ceux qui inspiraient les officiers qui entraient dans l’institution pour obtenir l’anoblissement graduel, à savoir la présence sur deux générations et la détention des charges pendant au moins vingt ans, à moins de mort prématurée – ce qui est arrivé à Mathieu Guyton.

  • 101 La famille s’est, semble-t-il, enrichie dans le commerce du drap de soie au XVIe siècle.
  • 102 En 1652, son épouse Marguerite Blanchard fait partie avec le premier président des comptes César-Au (...)
  • 103 Quatre d’entre eux, qui étaient en location, étaient situés dans la paroisse Saint-Denis et le dern (...)
  • 104 Jean I de Moayre est devenu auditeur grâce aux créations de 1632. Par le contrat de mariage, son pè (...)
  • 105 Il succède à Luc Viaudet et se marie en 1645 avec une fille d’avocat, Marguerite Milsent. L’acte de (...)
  • 106 Il épouse Marie Bourgogne en 1647.
  • 107 Il s’est marié en 1678 avec Anne Guy, fille de l’auditeur Pierre Guy et de Françoise Villaine. La t (...)

51Une autre famille, contemporaine des Guyton, accomplit elle aussi une ascension remarquable par le biais de la Chambre et lui donne plusieurs officiers : c’est celle des Bedeau. Le premier membre qui se distingue101 est Pierre I Bedeau (1575-1652) : il se fait connaître comme médecin ordinaire des rois (Henri IV et Louis XIII) et du gouverneur César de Vendôme et comme doyen de la faculté de médecine de Nantes. Échevin de cette ville de 1613 à 1616, il participe aussi à diverses spéculations finan102, ce qui lui permet d’accumuler une fortune notable dont témoigne la prisée de ses biens établie après sa mort en 1658 : il fait apparaître qu’il possédait, outre sa demeure campagnarde de Saint-Lo dans la paroisse de Doulon, dont le prix n’est pas indiqué, cinq logis à Nantes pour une valeur de 48 220 livres103. Son aisance matérielle se remarque aussi par la position qu’il assure à ses enfants. Ceux-ci se partagent pour la majeure partie d’entre eux, selon un rythme alternatif presque parfait, entre le présidial et la Chambre des comptes. Si l’aînée, Marguerite Bedeau, épouse en 1631 René Godet, conseiller au présidial, la seconde, Louise Bedeau, se marie en 1640 avec l’auditeur des comptes Jean I de Moayre104. De même l’aîné des garçons, Mathurin Bedeau105, devient auditeur des comptes en 1644 alors que son cadet Pierre II Bedeau intègre le présidial de Nantes comme procureur du roi106. Seule la dernière fille, Marie I Bedeau, « échappe » au monde des gens des comptes en épousant un certain René du Rocher. À la génération suivante, le fils de Mathurin Bedeau prénommé Mathieu revend l’office d’auditeur de son père et achète, en 1677, l’office de maître de Joseph Rousseau qu’il exerce jusqu’à sa mort en 1694107. On se retrouve ainsi dans le cas de figure des Guyton où l’attachement à la Chambre des comptes se traduit par une progression dans la hiérarchie sur deux générations. Deux des enfants de Pierre II Bedeau gardent des liens avec la Chambre : une fille, Marie II Bedeau, par son mariage avec le maître Jean-François Ravenel (1676-1690) et un garçon, Guillaume I Bedeau, qui devient maître des comptes en 1682. Après sa mort en 1708, c’est son fils, Guillaume II Bedeau, qui perpétue le nom des Bedeau dans l’institution jusqu’en 1743, date à laquelle il résigne. Les fils de Mathieu Bedeau avaient opté dès la fin du XVIIe siècle pour une autre voie et seules les filles, Anne Bedeau par son mariage avec le maître Jacques III Langlois (1702-1733) et Thérèse Bedeau avec le maître Honoré Nepvouët (1699-1745), avaient maintenu un lien avec la Chambre.

Figure 12. – Les Bedeau.

• Quelques implantations durables de familles d’auditeurs

  • 108 Jeanne de Moayre, dame de La Courosserie, fille de Pierre, sieur de La Mordronnais et de Jeanne Tan (...)
  • 109 En 1585, le président Georges Le Mignot, pour écarter l’auditeur Jean I Fourché de l’examen de son (...)
  • 110 Il a résigné le 22 mars 1648 en faveur d’Yves de Santodomingue (demeurant à Paris, rue Notre-Dame-d (...)
  • 111 Jean I de Moayre avait d’abord résigné l’office le 7 juillet 1679 pour René Moricaud, avocat en la (...)

52Certaines familles se perpétuent sur une charge d’auditeur. Il en va ainsi des de Moayre, des Le Mercier et à un moindre degré des Madeleneau. Les premiers sont issus du monde judiciaire avec Pierre I de Moayre qui est signalé comme avocat en parlement dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Il était apparenté à des officiers de la Chambre comme les Fourché108 et les Avril109. Son fils, Pasquier de Moayre, entre à la Chambre comme auditeur des comptes en 1599 et épouse Jeanne I Davy, fille de l’auditeur Pierre (1588-1616). Ses quatre enfants renforcent les liens de la famille avec la Chambre des comptes. L’aînée, Jeanne, née en 1606, épouse l’auditeur René Marques (1627-1650) alors que son frère, Pierre II de Moayre, succède à son père dans la charge d’auditeur en 1631 et se marie en 1634 avec Jeanne Le Mercier, fille de l’auditeur Pierre et de Jacquette Marques. Le deuxième fils, Jean I de Moayre, est pourvu d’un office créé en 1632 et se marie en 1640 avec Louise Bedeau, fille de l’auditeur Mathurin Bedeau. La dernière fille, Françoise de Moayre, est mariée, quant à elle, avec le maître des comptes Jean I Salomon (1639-1676). Cette politique systématique d’achat d’offices et d’alliances n’a pas d’équivalent à la génération suivante. Pierre II de Moayre meurt en charge 1648 sans héritier pour prendre la relève110. Son frère, Jean I de Moayre, siège 33 ans à la Chambre et résigne en 1675 en faveur de son fils, Jean II de Moayre, qui a atteint l’âge requis pour occuper une telle charge. La mort de ce dernier en 1679 contraint Jean I de Moayre à reprendre le contrôle de l’office qu’il finit par vendre à Jean Touzé, avocat en parlement111. Du fait de ce décès prématuré, qui vient s’ajouter à celui de Pierre survenu en 1648, la famille de Moayre disparaît de l’institution à la fin du XVIIe siècle.

Figure 13. – Les de Moayre.

  • 112 Il succède à Jean I Fourché qui a été promu maître. Le choix des parrains et des marraines de ses e (...)
  • 113 En tant que fils de magistrat, il aurait bénéficié en l’occasion de la faveur des gens des comptes (...)
  • 114 La succession de Pierre I Le Mercier est partagée en 1637 entre Jacques Le Mercier, sieur de Léclus (...)

53Proche du cas des de Moayre, est celui des Le Mercier qui leur étaient d’ailleurs alliés. L’origine de cette famille est mal connue. L’un de ses membres, Pierre I Le Mercier, met à profit la crise ligueuse pour acquérir en 1592 un office d’auditeur dans la Chambre des comptes restée fidèle au duc de Mercœur à Nantes112. Il se marie l’année suivante avec Jacquette de Marques, fille de Michel, conseiller au présidial de Vannes. Son fils aîné, Jacques Le Mercier, lui succède en 1619113 alors que le deuxième, Pierre II Le Mercier, achète en 1626 un office de correcteur de nouvelle création, dans lequel il parvient à se faire recevoir en 1632. Sur les deux autres fils, l’un Guillaume, devient avocat, alors que l’autre, Maurice, porte seulement la qualité de sieur. Une fille épouse, quant à elle, l’auditeur Pierre II de Moayre (1632-1649) précédemment évoqué114. La solidarité familiale se remarque en 1644 à la mort du correcteur Pierre. Son frère Jacques résigne alors son office d’auditeur pour prendre sa succession. Les raisons de ce choix sont mal connues. À cette date, Jacques est auditeur depuis vingt-cinq ans. Il a alors trois filles : Jeanne, née en 1629 – elle épouse en 1650 le conseiller au présidial François Bachelier –, Françoise, née en 1632, Sébastienne, née en 1642 – elle épouse le correcteur Charles Lamoureux. Son fils, François, né en 1645, entre dans le clergé. Jacques Le Mercier conserve quinze ans l’office de correcteur, jusqu’en 1659, date à laquelle il résigne en faveur de Mathurin Cosnier. Celui-ci meurt dès 1661 et, fait exprès ou coïncidence, celui qui lui succède est alors Charles Lamoureux (1661-1683). Jacques Le Mercier a peut-être voulu jouer sur l’évolution des prix tout en préservant les intérêts de sa famille et de son neveu Julien. Né en 1637, celui-ci entre en effet à la Chambre en 1669 sur une charge d’auditeur à l’âge de 32 ans. En vendant son office de correcteur en 1659, alors que les cours étaient à la hausse, Jacques Le Mercier a réalisé sans doute une opération financière intéressante dont il a pu utiliser les gains pour doter sa fille ; il a pu encourager ensuite son neveu à prendre un état une fois que le prix des charges d’auditeur avait baissé, lui permettant ainsi de bénéficier à un moindre coût des privilèges de la Chambre. Tout cela n’est bien entendu qu’hypothèses mais coïncide suffisamment bien avec la chronologie des prix pour paraître vraisemblable. Quoi qu’il en soit, Julien Le Mercier est présent à la Chambre jusqu’en 1697. En l’absence d’héritier, il est le dernier membre de sa famille à y siéger.

Figure 14. – Les Le Mercier.

  • 115 Il était le fils d’un marchand de draps de soie, consul des marchands en 1609 et juge-consul en 161 (...)
  • 116 Sa fille Anne épouse Jean Harouys, conseiller du roi en ses Conseils d’État et privé.

54Il est une autre famille qui, sans s’y perpétuer sur autant de générations, investit fortement la Chambre au XVIIe siècle : c’est celle des Madeleneau. La source de l’enrichissement se situe ici dans le commerce avec Laurent Madeleneau, qui est marchand à Nantes dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Ce sont ses deux filles qui ouvrent indirectement le chemin de la Chambre des comptes à l’ensemble de la famille en épousant des maîtres des comptes : Michel Chrétien (1603-1621) pour l’aînée, Jeanne, et Jacques Viau (1616-1632) pour sa sœur Louise (née en 1597). Forts de ces appuis, deux de leurs frères deviennent auditeurs : Pierre tout d’abord en 1616 puis Guillaume en 1618. Lors de sa réception, ce dernier fait une déclaration des parents et des alliés dont il dispose à la Chambre : outre son frère Pierre, on découvre que parmi les premiers, figure aussi « messire » Pierre Bernard (1612-1619), président, et parmi les seconds, en dehors de « nobles gens » Michel Chrétien et Jacques Viau, il mentionne les parents de son épouse, à savoir « monsieur Jacques Ménardeau, maître, cousin second de damoiselle Jacquette Le Vavasseur, sa compagne, monsieur Christophe Le Moyne, cousin germain de ladite Le Vavasseur » et l’auditeur Albert Padiolleau (1613-1638). Loin donc de s’aventurer en terrain inconnu, Guillaume Madeleneau peut, en intégrant la Chambre, espérer le soutien et la solidarité d’une parentèle notable. Le dernier fils de Laurent Madeleneau, François Madeleneau, opte pour une carrière dans les finances en devenant receveur des fouages dans l’évêché de Vannes. À la génération suivante, Guillaume Madeleneau a des filles dont l’une, Guillemette, épouse en 1644, Jean Sesbouez, receveur des fouages dans l’évêché de Vannes (il a sans doute succédé à François Madeleneau) ; une deuxième, Thérèse, se marie avec l’auditeur Pierre Villaine115 (1651-1676) et la troisième avec un membre de la noblesse qualifié d’écuyer. Pierre marie sa fille aînée à l’auditeur René Drouet (1634-1640) et transmet sa charge d’auditeur à son fils François en 1638116. Celui-ci demeure en charge jusqu’en 1650, date à laquelle il résigne et met fin à la présence de sa famille à la Chambre.

  • 117 La marchandise n’apparaît que de façon exceptionnelle comme avec les Madeleneau.
  • 118 Comme on l’a vu pour les familles Boutin, de Monti et Le Lou.

55Les exemples précédemment développés font apparaître différents types de « dynasties ». Les plus proches de ce que l’on entend traditionnellement par ce terme sont sans nul doute les de Becdelièvre et les de La Tullaye qui se sont perpétués durablement à la Chambre et qui ont fini par monopoliser une fonction – premier président et procureur général. La Chambre a été la principale institution qui leur a permis de s’illustrer. Viennent ensuite les familles de la grande noblesse de robe pour qui la Chambre n’a été que l’un des secteurs, le plus souvent après le parlement, où elles ont fait occasionnellement carrière. Du fait de leurs états de service, leurs membres y ont été reçus sans difficulté. C’est le cas des de Cornulier ou des Barrin. On trouve enfin les familles pour qui l’implantation à la Chambre a constitué le moyen privilégié pour s’élever dans la société. Cela correspond à la majeure partie des exemples que nous avons développés. Le cas emblématique pourrait être celui des Juchault dont on a vu la spectaculaire réussite à partir de la seconde moitié du XVIe siècle. Ces familles ont des points de départ différents : cela peut être la finance117 mais le plus souvent il s’agit du secteur de la justice. Le présidial de Nantes a été le vivier où ont débuté les principales ascensions que ce soit dans les charges de procureur ou dans celles de conseiller. Les stratégies déployées présentent toutes un peu les mêmes caractéristiques. L’introduction dans l’institution s’est faite soit à la faveur d’une création d’offices – l’année 1572 a été sur ce point particulièrement favorable118 –, soit en s’alliant avec la fille d’un officier des comptes, soit en bénéficiant des relations préalablement établies par la famille dans le monde de la robe. Le rôle des femmes a été, dans cette phase, important : leur mariage avec un officier des comptes a ouvert très souvent la voie de l’institution à leurs frères comme on l’a vu dans le cas des Bedeau, des Langlois, des Bidé ou des Madeleneau. Elles ont servi ainsi en quelque sorte d’éclaireurs à l’ensemble de leur clan. L’implantation à la Chambre a été consolidée par une stratégie matrimoniale qui a privilégié le monde de l’office. C’est ce que l’on a vu avec Yves de La Tullaye ou avec Michel Juchault. Si la Chambre des comptes a constitué un point de référence important, rares sont les familles qui se sont limitées à son horizon. Les tribunaux des eaux et forêts, le présidial, voire le parlement pour les familles les plus ambitieuses, l’armée constituent aussi des institutions et des catégories où rechercher des époux/ses pour les enfants. Le nombre et la qualité des alliances ainsi contractées révèlent tout à la fois l’origine professionnelle des familles concernées, la cohésion ou non des réseaux dans lesquels elles étaient inscrites mais aussi leurs ambitions. Ce n’est qu’au fil du temps, grâce le plus souvent à une progression dans la hiérarchie de la Chambre, que celle-ci est devenue un marqueur fort de l’identité familiale.

  • 119 Sa sœur Jeanne épouse l’auditeur François Le Moyne.

56Sur chaque lignage sont venus se greffer, grâce aux alliances nouées, des rameaux secondaires dont certains ne se sont pas développés alors que d’autres ont formé des branches autonomes. L’illustration la plus nette de cela est fournie là encore par la famille Juchault qui a permis à au moins deux familles d’entrer à la Chambre. La première est celle des Symon que l’on a déjà évoquée. L’orientation de cette famille vers les Comptes s’est faite sans doute à la suite du mariage des deux filles de Mathieu Symon avec les fils de l’auditeur Michel Juchault. Grâce à cet appui et à l’alliance contractée avec Gratienne Gorgeteau119, Mathurin Symon est devenu auditeur des comptes (1632-1656). Trois de ses enfants ont continué dans la voie ainsi ouverte : son fils Mathieu en prenant sa succession à partir de 1656 et deux filles en épousant, l’une un auditeur des comptes, Jacques I Léonard (1671-1709), l’autre, Julien Moucheron, fils de l’auditeur Étienne II Moucheron. Les Symon se sont perpétués encore sur deux générations à la Chambre avec Mathieu (1656-1698) et son fils François (1698-1727).

  • 120 Le troisième François (1656-1719) devient curé de Sainte-Radegonde.
  • 121 L’ancrage des deux familles à la Chambre se confirme à la génération suivante puisque la fille de G (...)
  • 122 Christophe, auditeur de 1687 à 1710, noue des relations avec la noblesse d’épée : il se marie en ef (...)
  • 123 Parmi ses enfants, Louise Le Tourneux (1680-1756) épouse en 1700 l’auditeur Luc Guillay ; Françoise (...)

57Les Juchault ont contribué également à mettre le pied à l’étrier aux Le Tourneux dont le parcours est des plus classiques puisqu’il a commencé au XVIe siècle dans le commerce du drap de soie avec Laurent Le Tourneux qui est consul des marchands de Nantes en 1616 et juge consul en 1614. L’un de ses fils, Gilles Le Tourneux, marié avec Françoise Boucaud, la fille d’un garde des monnaies de Nantes, acquiert un office de receveur du fouage dans l’évêché de Léon. Grâce à son mariage avec la fille de l’auditeur Claude Juchault, son héritier François Le Tourneux devient, suite à la résignation faite en sa faveur par ce dernier, auditeur des comptes en 1646. Il peut alors développer sa propre stratégie : deux de ses fils120 font carrière à la Chambre, l’un Claude, qui prend sa succession en 1679 et l’autre, Christophe, qui devient maître à partir de 1687. Une fille contracte mariage dans le même cercle en épousant le sénéchal des régaires Guillaume Paulus – il est le frère de l’auditeur Nicolas II Paulus –, alors que l’autre est mariée à Julien Proust, membre des élites municipales nantaises – il devient maire de la ville121. Par la suite122, Claude Le Tourneux, qui a épousé la sœur de l’auditeur Julien Martin, poursuit une politique d’alliance avec des membres du personnel des comptes123 sans chercher toutefois (ou sans réussir) à perpétuer le nom de sa famille dans l’institution. Quand il résigne son office en 1719 après quarante ans de présence à la Chambre, le nom des Le Tourneux s’efface des tablettes du personnel. S’ils ont réalisé alors leurs ambitions, cela ne saurait faire oublier que, comme les Symon, ils ont dû une part de leur réussite à leur rapprochement avec les Juchault. Le rôle d’intermédiaire joué par ceux-ci a été également rempli par les autres « dynasties ». Ainsi les de Moayre, toutes proportions gardées, ont facilité l’intégration des Salomon ou encore des Bedeau. Dans beaucoup de cas, il paraît difficile d’entrer à la Chambre sans nouer une alliance avec des officiers qui y sont déjà présents et sur ce plan, le rapprochement avec les membres de familles qui y sont solidement établies est un sésame particulièrement précieux.

58La stratégie matrimoniale développée par les membres des « grandes familles de la Chambre » s’est accompagnée d’un certain contrôle de la circulation des offices. Cela s’est traduit bien sûr par des transmissions entre parents – père-fils, frères… – entre alliés (beaux-pères/gendres, beaux-frères) mais aussi, comme on l’a vu avec les Bidé ou les Juchault, par des mécanismes plus complexes grâce auxquels des familles ont repris, à des années d’intervalle, le contrôle d’une charge. Ces pratiques s’expliquent par des considérations financières, avec la nécessité de s’acquitter du prix des offices, mais peut-être aussi par la volonté tout à la fois d’assurer un état aux membres du réseau et de leur faire bénéficier des privilèges octroyés par la Chambre dont celui de l’anoblissement.

  • 124 Thomas de Rollée décède en 1650 en laissant des filles : son office est acheté par Jacques III Hute (...)
  • 125 Le fils du président Jacques IV Langlois (1741-1753) est officier de la Marine royale.
  • 126 On retrouve ici les conclusions faites par Vincent Meyzie à propos des présidiaux qu’il a étudiés. (...)

59À l’exception des de La Tullaye dont le cas est exceptionnel, les dynasties de la Chambre ont une durée de vie qui ne dépasse pas trois à quatre générations. Certaines d’entre elles disparaissent faute d’héritiers mâles pour en assurer la pérennité. C’est ce qui s’est produit pour les plus modestes d’entre elles comme les de Moayre ou les Madeleneau mais aussi pour des familles de maîtres comme les Boutin dont le dernier représentant Marc, qui était sans alliance, se retire en 1643 après onze ans d’exercice124. D’autres s’achèvent quand la possibilité s’ouvre de faire carrière dans une cour de justice supérieure, comme cela s’est passé pour les de Cornulier au XVIIIe siècle. Si celles qui prennent fin à cause d’une faillite sont rares – le seul cas serait celui des Huteau –, le plus grand nombre disparaît quand les objectifs ont été atteints. La Chambre des comptes n’a jamais été l’objet unique de leurs préoccupations. Tout au long de leur ascension, les familles ont noué des relations avec des membres de la noblesse d’épée ; elles ont placé des filles dans les couvents qui se sont développés dans le cadre de la Réforme catholique et orienté des fils vers le clergé (grosses cures de la ville de Nantes, chapitres cathédraux). Les voies privilégiées pour les héritiers ont été les carrières militaires125 ou tout simplement la vie de rentier. Loin de constituer une finalité, la Chambre des comptes, à l’exception des charges de premier président et de procureur général, n’a donc été qu’un point de passage, une sorte de sas où faire oublier ses origines bourgeoises et progresser dans l’échelle des dignités avant d’aborder les rives de la noblesse d’épée126.

60La forte présence de quelques familles à la Chambre des comptes amène à se demander si celle-ci a été contrôlée tout au long de son histoire par quelques réseaux ou si elle a été au contraire une institution « ouverte », accueillante à l’égard des « hommes nouveaux ».

Reproduction sociale et « hommes neufs »

Une tendance à la fermeture

  • 127 Voir notamment Benoît Musset (dir.), Hommes nouveaux et femmes nouvelles de l’Antiquité au XXe sièc (...)
  • 128 On peut se demander si la volonté manifestée par certains historiens de démontrer l’existence d’une (...)

61À une époque où l’on parle fréquemment de blocage de l’ascenseur social, les historiens spécialistes de l’Ancien Régime sont de plus en plus sensibles aux thèmes de la reproduction des élites, de la mobilité sociale, de la réussite mais aussi des échecs de carrières127. À la suite des spécialistes d’histoire urbaine qui ont montré qu’il n’existait pas de caste municipale, les chercheurs qui s’intéressent aux officiers, qu’il s’agisse de ceux des parlements ou des présidiaux, remettent en cause l’idée d’institutions contrôlées tout au long de l’Ancien Régime par un nombre limité de lignages et affirment que les cours, loin d’être des mondes clos, repliés sur eux-mêmes, ont continué à intégrer des familles nouvelles et donc à se renouveler. Ces analyses, où les préoccupations idéologiques ne sont pas absentes128, peuvent être reprises dans le cas de la Chambre des comptes de Bretagne qui offre un angle original d’observation dans la mesure où elle est une cour souveraine, ce qui la différencie des présidiaux, tout en étant à un rang secondaire par rapport au parlement, dont elle se distingue aussi par une hiérarchie spécifique.

  • 129 D’autres font des erreurs d’orientation comme Golven de Kerchrist.
  • 130 Certains d’entre eux sont difficilement mesurables comme le montre l’exemple du maître Pierre I Cor (...)

62De prime abord, l’idée que la Chambre est une institution ouverte peut difficilement être récusée. Des individus meurent sans héritiers, des enfants refusent de continuer sur les traces de leur père, des officiers font faillite et sont contraints de vendre leur charge129, des familles enfin délaissent la Chambre quand elles ont atteint leurs objectifs ou quand elles sont en mesure de s’engager dans une voie plus prometteuse. De façon générale, on l’a vu, peu de familles se perpétuent très longtemps dans l’institution. En conséquence, des offices se libèrent qui reviennent à ceux qui ont les moyens de les acheter. Cette impression d’ouverture est contrebalancée par une série d’éléments130. Dans le tableau qu’il brosse du palais de la Chambre des comptes en 1636, Dubuisson-Aubenay décrit ainsi le Bureau :

  • 131 Alain Croix (dir.), La Bretagne d’après l’Itinéraire…, op. cit., p. 697-698.

« Montez l’escalier et entrez par la salle ou vestibule des procureurs, dans le grand bureau, qui est une grand chambre bien dorée par le plancher, devant de cheminée et ornée de peintures, et tendue de tapicerie. Au ault bout ou intérieur de la table, il y a quatre chaizes à bras, de velours bleu, pour les quatre présidens, deux de chaque séance de mars et de septembre. […] Et à chaque costé de la table, il y a huit chaizes sans bras et jointes l’une à l’autre, comme si c’estoit un long banc à dossier, de velours bleu aussy, esquels costés se séent les douze maistres des comptes de la séance de mars et les onze de celle de septembre. Au bas bout, il y a un banc pour seoir deux auditeurs, quand il faut qu’ils viennent audit grand bureau et soient présenz131. »

  • 132 Jean (1593-1605), René (1606-1635), Salomon (1636-1656).
  • 133 On rencontrerait toutefois une situation équivalente avec l’office acquis en 1572 par Raoul Boutin. (...)

63Ce qui retient l’attention dans cette description, c’est la disposition des maîtres qui se tiennent étroitement les uns à côté des autres sur deux bancs, suggérant ainsi l’unité du corps dont ils faisaient partie. Quand un membre vendait sa charge, outre les notions de prix, il devait donc aussi se demander si l’acquéreur était digne de lui succéder. Quelque chose, qui était de l’ordre de l’indicible, jouait dans la transmission des offices. Incontestable pour la charge de premier président, cet élément est plus difficile à cerner pour celles de présidents et de maîtres. Certaines successions donnent toutefois à réfléchir. Ainsi l’un des offices créés en 1572 qui a été détenu pendant trois générations (1572-1676) par les de Monti – Bernard, Pierre, Yves –, est récupéré ensuite par les Langlois qui se le transmettent également sur trois générations (1676-1740) avant d’accéder à une présidence. De même la charge de maître qui a été créée par le duc de Mercœur au profit de Jean de La Tullaye en 1593 demeure-t-elle pendant trois générations dans cette famille132 avant de revenir aux Artur, Guillaume (1656-1677) puis surtout Jean (1678-1728), auteur du Recueil des édits et ordonnances de la Chambre. Ces deux exemples tendraient à prouver que le souvenir des officiers – et de leur famille – qui avaient occupé telle ou telle charge se perpétuait et influait sur les transmissions. La situation semble cependant avoir été exceptionnelle133.

64Plus largement, la Chambre assurait le contrôle de ses membres en s’appuyant sur le principe de la cooptation. Les enfants d’officiers en place étaient privilégiés et ce bien avant l’instauration de la paulette. Les familles tissaient, par ailleurs, entre elles des liens et s’efforçaient de réserver à leurs membres les charges qui se libéraient. Pour être admis, on devait ensuite correspondre peu ou prou à l’image que les magistrats se faisaient d’eux-mêmes et dont on a vu les caractéristiques quand on a étudié les informations de vie et de mœurs. L’institution, comme les quelques cas de refus l’ont montré, n’accueillait pas automatiquement tous ceux qui avaient de l’argent pour acheter une charge. La combinaison de ces différents éléments favorisait un phénomène de reproduction sociale.

65L’examen du tableau 71 montre ainsi que la part des résignations en faveur de proches a eu tendance à croître au fil du temps. Le phénomène est particulièrement net dans les années 1666-1715 pour la catégorie des auditeurs dans laquelle plus d’un tiers des offices sont transmis à des parents ou des alliés.

Tableau 71. – Liens entre résignants et résignataires.

Tableau 71. – Liens entre résignants et résignataires.
  • 134 1572 correspond à l’année du doublement du personnel, 1598 est celle de la reconstitution de la Cha (...)

66Le phénomène ainsi mis en évidence est confirmé et précisé dans les deux tableaux suivants (72 et 73), où j’ai indiqué pour la catégorie des maîtres et des auditeurs la qualité des successeurs des officiers en place à sept dates différentes134.

Tableau 72. – Qualité du successeur (le cas des maîtres des comptes).

Tableau 72. – Qualité du successeur (le cas des maîtres des comptes).

Tableau 73. – Qualité du successeur (le cas des auditeurs des comptes).

Tableau 73. – Qualité du successeur (le cas des auditeurs des comptes).
  • 135 C’est sans doute l’effet d’une application plus stricte de la législation. Un édit de juillet 1669 (...)

67Pour la catégorie des maîtres, on constate que les officiers institués en 1572 ont privilégié une transmission à des proches comme si la solidarité née des combats à mener pour défendre les prérogatives de la Chambre ou des tensions religieuses avait accentué un processus de cooptation. Les officiers en poste en 1598 ont en revanche moins cherché à se perpétuer ; il en a été de même pour ceux qui étaient en charge dans les années 1630, la hausse du prix des offices ayant permis ici un réel renouvellement du personnel. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, les familles en place ont exercé à nouveau un plus grand contrôle sur les transmissions de charges. Cette tendance culmine en 1715 ; si elle décroît quelque peu par la suite, elle se caractérise toujours par le fait que ce ne sont pas les transmissions entre parents ou alliés qui dominent mais celles qui s’opèrent entre des familles gravitant dans le cercle de la Chambre et qui sont en relations, plus ou moins étroites avec l’un de ses membres. La catégorie des maîtres paraît ainsi moins ouverte au XVIIIe siècle que dans la première moitié du XVIIe siècle. L’évolution de la catégorie des auditeurs est quelque peu différente. Si la génération de 1572 n’a pas tenté de se perpétuer, on constate ensuite, tout au long du XVIIe siècle, une tendance là aussi à un contrôle grandissant des charges par les familles en place. C’est à cette période-là d’ailleurs que l’on trouve mention de lettres de dispense de parenté accordées135. Le XVIIIe siècle se caractériserait en revanche par une ouverture plus grande de cette catégorie.

Tableau 74. – Lettres de dispense de parenté accordées à des officiers de la Chambre.

  • 136 Reçu maître dès 1696, il doit acquérir des lettres de dispense de parenté sept ans plus tard quand (...)

Bénéficiaire

Office

Parent

Qualité

Office

Taxe

Guillaume Lair, 1676

Maître

Pierre Petiteau

Beau-père

Auditeur

1 000 l.

Guillaume I Bedeau, 1682

Maître

J.F. Ravenel

Beau-frère

Maître

Pierre Ragaud, 1683

Auditeur

René Bernard

Beau-frère

Maître

Jacques III Guyton, 1686

Maître

G. Guillermo

Beau-frère

Auditeur

Ch. Yves Macé, 1690

Maître

Pierre Macé

Frère

Maître

Olivier Busson, 1692

Maître

Jean Boussineau

Beau-frère

Maître

Joseph Billon, 1692

Maître

Joseph Geffrard

Beau-frère

Auditeur

Jean Bidé, 1694

Correcteur

J. Langlois

Oncle

Maître

André Bridon, 1694

Maître

F. Bachelier

Beau-frère

Maître

Nicolas II Paulus, 1699

Auditeur

Pierre Macé

Beau-frère

Maître

Jacques Jouault, 1700

Av. général

Pierre Le Meneust

Beau-frère

Président

François Bernard, 1702

Maître

Pierre Ragaud

Oncle

Auditeur

Jacques III Langlois, 1702

Maître

Jean Boussineau

Oncle

Maître

Joseph Mosnier136, 1703

Maître

Jacques II Langlois

Beau-frère

Maître

Jacques Poullain, 1706

Correcteur

Guy Poullain

Frère

Maître

Louis Bidé, 1707

Maître

Pierre II du Cassia

Oncle

Maître

La question des « hommes neufs »

Définitions

  • 137 Pour reprendre la définition donnée par Vincent Meyzie, il s’agit des « individus qui sont les prem (...)

68Le personnel qui siégeait à la Chambre n’a donc pas eu une attitude uniforme tout au long de la période étudiée : s’il a toujours pu faire prévaloir ses intérêts et s’il a eu une tendance grandissante à se reproduire, il a toujours su s’ouvrir à des « hommes neufs137 ».

69Pour définir ce qu’est un « l’homme neuf », on peut se référer au travail de Vincent Meyzie sur les officiers « moyens ». Pour lui, cette qualité doit être réservée aux individus qui associent quatre critères distincts : le père de l’officier ne doit pas appartenir au monde de l’office « moyen », l’individu concerné ni son père ne doivent pas avoir été maires ou consuls dans la ville ; il ne doit pas avoir contracté d’alliance directe avec une famille présidiale avant son entrée au tribunal, il ne doit pas posséder de lien de parenté avec son prédécesseur dans l’office. Si l’un de ces critères fait défaut, on doit parler non d’« homme neuf » mais d’« homme nouveau ».

  • 138 Il est difficile notamment de connaître les dates des mariages et donc de savoir si ceux-ci ont pré (...)

70Cette définition, qui suppose que l’« homme neuf » est tout à la fois quelqu’un qui, en achetant un office « moyen », progresse sur le plan social et s’impose par ses seules qualités ou ses seules capacités puisqu’il ne peut s’appuyer sur des parents ou des alliés, peut être reprise dans le cas de la Chambre des comptes avec quelques nuances. La première tient à la difficulté, surtout pour les périodes reculées comme le XVIe siècle de connaître, du fait de l’absence de sources, la situation exacte des individus et de leurs parents ainsi que des liens que les uns et les autres avaient pu tisser au cours de leur existence138.

71Des nuances tiennent aussi au caractère de cour souveraine de la Chambre des comptes. De ce fait, elle suscite des attachements, parfois sur de longues périodes, que l’on ne retrouve pas pour les présidiaux ; des individus devaient voir leur réception facilitée en raison de la présence dans leur généalogie d’un officier des comptes. Cela est évident pour des dynasties de la noblesse de robe comme les de Cornulier dont a vu qu’ils ont siégé à la Chambre par intermittence. Cela est perceptible aussi pour des familles moins renommées. J’en veux pour preuve deux exemples de présidents : René Ferron et Gabriel Tromelin. Le premier est président des comptes de 1628 à 1651 à la suite de Victor Binet qui a résigné. A priori, il présente toutes les caractéristiques de l’« homme neuf » tant par son origine géographique – il habitait Rennes – que par la fonction qu’il occupait précédemment puisqu’il était conseiller au présidial de cette ville. Au moment où il intègre l’institution, il n’y dispose ni de parent ni d’allié, même si son mariage en 1630 avec Marie I Juchault, veuve du maître Pierre II Davy, laisse à penser qu’il était déjà en relation avec certaines des familles qui y jouaient un rôle important. Quand on examine en fait sa généalogie, on se rend compte qu’il était le descendant d’un ancien trésorier et receveur général du duc de Bretagne François II (1458-1488). De ce fait, les gens des comptes qui le reçoivent l’ont-ils considéré vraiment comme un « homme neuf » ou comme quelqu’un qui était, par ses ancêtres, digne de siéger parmi eux ? Le cas de Gabriel Tromelin est similaire. Promu président en 1632 à la suite du Parisien François Coquille, il fait figure d’« homme neuf » puisqu’il était originaire de l’évêché de Léon et qu’il était précédemment sénéchal de Lesneven. Le grand nombre de témoins mobilisés lors de son enquête de vie et de mœurs atteste la qualité de sa naissance. Ce n’est toutefois peut-être pas le seul élément qui a joué en sa faveur. Quand on examine sa généalogie, on constate en effet qu’il était le descendant d’un ancien auditeur des comptes (1511-1525) ; sa venue à Nantes a pu constituer, à plus d’un siècle d’intervalle, la poursuite d’une certaine tradition familiale, celle-ci ayant pu en retour favoriser son intégration à la Chambre. Toutefois faute de certitude sur l’existence de ce que l’on pourrait qualifier de mémoire de l’institution, aussi bien René Ferron que Gabriel Tromelin doivent être considérés comme des « hommes neufs ».

  • 139 La France est en retard sur ce point. Michel Bertrand a montré que la vénalité a reculé dans les In (...)
  • 140 Le renouvellement qui s’opère doit être mis en corrélation aussi avec le fait que les « hommes neuf (...)

72Des difficultés viennent aussi du fait que la Chambre ne recrute pas uniquement son personnel à Nantes ; pour ceux qui viennent d’autres villes, doit-on prendre en considération le fait qu’ils y ont exercé des charges municipales ? Le phénomène joue surtout pour les Angevins qui sont venus à Nantes dans la seconde moitié du XVIe siècle après avoir assumé des responsabilités à la tête de la ville. On pense notamment aux Bitault ou à Jean Ayrault. Du fait de la solidarité qui existait au sein des différents groupes de non-originaires, du fait aussi de l’importance qui était reconnue, au moins au temps de la première modernité, à ce type de fonctions, j’ai choisi de le prendre en considération et de comptabiliser les individus qui les ont exercées non comme des « hommes neufs » mais comme des « hommes nouveaux ». Une même précaution devrait être prise à l’égard de ceux qui ont exercé des responsabilités aux états en tant que représentants de leur ville et qui se sont fait ainsi connaître à l’échelle de la province. Cet élément est noté dans les lettres d’anoblissement délivrées par le roi ; il devait donc jouer aussi pour les admissions à la Chambre des comptes – d’autant que celle-ci n’exigeait pas que ses membres fussent gradués – mais faute d’informations suffisantes, on ne peut le prendre ici en considération. Toutes ces incertitudes mettent en lumière la difficulté à définir ce que l’on entend par « homme neuf ». Si l’on prenait le terme au pied de la lettre, il devrait être réservé aux individus complètement étrangers à l’institution qui s’imposeraient par leurs seuls mérites et qui ne bénéficieraient d’aucune protection – ni d’un Grand, ni de la part d’un grand lignage de la robe – ; dans les conditions sociales de l’Ancien Régime, cela est impossible et il a fallu attendre, on le sait, la mise en place de concours de recrutement pour qu’un changement net s’opère dans ce domaine139. Ce que l’on recherche en fait, avec les « hommes neufs », c’est, pour paraphraser la citation de Lawrence Stone mise en exergue à ce chapitre, ceux qui ont réuni les qualités suffisantes pour, à un moment donné, être admis à la Chambre des comptes140.

  • 141 Cela pose des problèmes pour apprécier l’importance de certaines fonctions faute d’un classement ad (...)

73Ces réserves étant faites, j’ai repris les éléments de la définition donnés par Vincent Meyzie en les adaptant au cas de la Chambre. Peut donc être considéré comme « homme neuf », tout officier dont le père n’a pas été précédemment membre d’une cour souveraine141, ni, pas plus que lui-même, maire ou échevin, celui aussi qui n’a pas contracté d’alliance avec une famille de la Chambre des comptes avant d’y faire son entrée et qui ne possède pas de lien de parenté avec son prédécesseur dans l’office. Cela amène à considérer comme héritier celui qui a récupéré l’office de son père mais aussi celui qui est entré à la Chambre sur un office différent, de même niveau ou de niveau inférieur du fait que l’attachement des familles à la Chambre ne se mesure pas tant à la conservation d’un office précis qu’au souci d’y perpétuer une présence. Cela a l’avantage aussi de tenir compte du fait que l’héritage ne se limite pas à un bien possédé mais recouvre aussi des dimensions sociales et culturelles. Le classement a parfois posé problème comme dans le cas des de Rollée : Christophe de Rollée, maître de 1619 à 1626, a été remplacé par son frère Nicolas qui siège vingt-deux ans et qui laisse la place à Thomas, fils de Christophe, en 1650. Du fait de ce mode de transmission particulier, j’ai considéré Nicolas et Thomas comme des héritiers. Un cas similaire se présente avec René de La Tullaye (1606-1635) qui succède à son oncle Jean (1598-1605) et qui laisse sa place à Salomon (1636-1656). Comme René était le fils du maître des comptes Alexandre de La Tullaye, il est considéré comme un héritier ; j’ai fait de même pour Salomon qui, bien que son père Charles n’ait pas été membre de la Chambre des comptes et qu’il n’ait lui-même intégré celle-ci que sous la pression de sa belle-famille, a utilisé son nom comme un sésame pour intégrer l’institution.

  • 142 Pour ne pas entrer dans trop de nuances, je n’ai pas tenu compte des évolutions qui se sont produit (...)
  • 143 Robert Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la (...)

74Est classé comme « homme nouveau » celui à qui il manque l’un des quatre marqueurs de « l’homme neuf ». J’ai mis aussi dans cette catégorie ceux dont le père était officier à la Chancellerie de Bretagne142, ceux qui pouvaient être alliés à un membre de la Chambre des comptes : ainsi René Vergé qui devient président suite au doublement de personnel de 1572 et qui était le beau-frère du maître des comptes Bernard de Monti – il est admis dans l’institution à la même période –, a-t-il été rangé dans cette catégorie. De même le président François Le Bloy, qui était le cousin de son prédécesseur Claude Méance, a-t-il fait l’objet d’un classement identique. Il en a été de même pour des individus qui étaient des héritiers indirects d’officiers qui avaient détenu précédemment des charges dans l’institution à l’instar du président Roland Morin (1643-1654) qui était le petit-fils du premier président Jean I Morin (1573-1584) ou de ceux qui étaient les fils de titulaires de fonctions inférieures en dignité à celles qu’ils ont acquises, comme le président Christophe I Juchault, fils de l’auditeur Michel. Comme les recensements sont faits par fonction, les individus qui en ont occupé deux à la Chambre, ont été comptabilisés deux fois, ce qui a pu amener à les considérer successivement comme des « hommes neufs » puis comme des « hommes nouveaux ». L’avantage de la catégorie des « hommes nouveaux » se dégage ainsi au fil de la classification en permettant de nuancer la distinction entre les héritiers et les « hommes neufs » et de prendre en compte les différentes tâches exercées par les individus – notamment au sein des municipalités – et qui contribuaient sans nul doute à faciliter leur intégration à la Chambre, ce qui confirme l’idée de Robert Descimon selon laquelle « la reproduction sociale n’est pas conditionnée par la détention immuable d’une même charge mais s’accommode au contraire de l’exercice d’une pluralité de fonctions143 ».

Quelques résultats

  • 144 Cf. figures 11, 12 et 13, cahier couleurs.

75Les tableaux suivants144 donnent les résultats obtenus catégorie par catégorie selon les trois périodes habituelles que j’ai choisies pour l’observation :

Tableau 75. – Renouvellement des présidents de la Chambre des comptes (1547-1715).

Tableau 75. – Renouvellement des présidents de la Chambre des comptes (1547-1715).

Tableau 76. – Renouvellement des maîtres de la Chambre des comptes.

Tableau 76. – Renouvellement des maîtres de la Chambre des comptes.

Tableau 77. – Renouvellement des auditeurs de la Chambre des comptes.

Tableau 77. – Renouvellement des auditeurs de la Chambre des comptes.
  • 145 Je ne reviens pas sur la question de leur profil qui m’amènerait à me répéter par rapport à ce qui (...)
  • 146 Celui-ci avait épousé Jacqueline de La Rivière, veuve de Victor de Cornulier.
  • 147 René de Pontual devient président en 1651, c’est-à-dire la même année où il épouse Prudence-Marie L (...)

76La première donnée qui s’impose est que la Chambre a accueilli régulièrement des « hommes neufs145 ». Plus on s’élève toutefois dans la hiérarchie et plus l’on constate que l’ouverture décroît. Les charges de présidents ont ainsi toujours été moins accessibles que celles de maîtres et d’auditeurs ; si elles n’avaient pas le prestige de celle de premier président, elles ont conféré à leurs détenteurs une dignité et sans doute aussi des revenus plus importants qui ont amené les familles qui les ont acquises à les conserver, au moins un temps. La seconde présidence a été ainsi relativement contrôlée aux XVIe et XVIIe siècles tout en laissant la place à quelques « hommes neufs ». Après avoir été gérée par les binômes de Kermenguy et Le Bloy-Méance, elle est revenue à Louis Braillon qu’il convient de classer comme un « homme nouveau » du fait qu’il était le gendre de l’ancien maire de Nantes, Guillaume I Harouys. Après lui, Nicolas Coustureau fait figure d’« homme neuf » bien qu’il ait, on le sait, bénéficié de la protection du duc de Montpensier, gouverneur de Bretagne, pour obtenir cette charge. À partir de la fin du XVIe siècle, trois « hommes nouveaux » se succèdent avec Guillaume I Raoul – gendre d’un auditeur et ancien procureur syndic des états –, Pierre Bernard, fils d’un ancien maire et gendre de Charles Harouys, Louis Harouys, qui a ainsi succédé à son beau-frère. On trouve ensuite deux « hommes neufs », François Coquille et Gabriel Tromelin, qui ne disposaient d’aucune alliance au sein de l’institution au moment où ils y ont été admis. Après eux, à l’exception de Bernard de Poulpiquet, qui était toutefois précédemment président du présidial de Nantes, l’office revient à des « hommes nouveaux » – Roland Morin146, les de Cornulier – dont la famille appartenait à la bonne noblesse de robe provinciale. Le profil des deux autres présidences créées en 1572 est voisin. L’une d’elles, après avoir été détenue par deux « hommes neufs » – René Vergé et Jean Ayrault –, est devenue l’apanage d’« hommes nouveaux » – Victor Binet (il était le gendre du maître Michel I Le Lou), René de Pontual147 (il était précédemment procureur général) et d’héritiers (Sébastien de Pontual, Joseph Rousseau et Jean Bidé). Le seul « homme neuf » est René Ferron, avec les réserves que j’ai déjà formulées. L’autre charge de président a été exercée presque constamment par des « hommes nouveaux » dont certains étaient issus du parlement – comme Jacques I Barrin ou Jacques Charlet – ou avaient exercé préalablement des charges inférieures dans l’institution – Trajan de La Coussaye, Louis du Pont – et des héritiers comme les deux membres de la famille Huteau. Pour les maîtres et les auditeurs, les successions n’obéissent pas à une même logique et chaque office a son histoire qui dépend, en l’absence d’une volonté des familles de les conserver sur une longue durée, des aléas de la vie, de l’évolution des prix, des buts recherchés par les différents titulaires. Grâce à ces facteurs des « hommes neufs » ont pu régulièrement s’introduire dans l’institution.

77L’observation des tableaux confirme ensuite des remarques faites précédemment à propos des résignations. On constate, sans surprise, que la période qui a été la plus ouverte pour toutes les catégories correspond à la deuxième moitié du XVIe siècle. Par la suite, l’institution a eu tendance à se fermer, le phénomène atteignant son apogée au cours des années 1666-1715 où la part des héritiers et des « hommes nouveaux » dans toutes les catégories est majoritaire. Le résultat ainsi obtenu l’a été par des voies différentes par les présidents et les maîtres d’une part et par les auditeurs d’autre part. Chez les premiers, c’est le nombre des « hommes nouveaux » qui a surtout progressé, confortant ainsi l’idée que pour accéder à ces charges, il fallait déjà bénéficier d’une certaine reconnaissance sociale. Pour les auditeurs, en revanche, la relative fermeture est due surtout à l’augmentation du nombre des héritiers. On est ici au sein d’un groupe d’officiers moins huppés qui a cherché à consolider ses positions en faisant la preuve d’une plus grande solidarité familiale.

  • 148 On y a tenu compte aussi des offices de trésoriers de France, de trésoriers et receveurs généraux e (...)

78Si l’on veut préciser la chronologie de l’arrivée des « hommes neufs », on peut s’appuyer sur le mouvement des mutations de charges. Le tableau 78148 fait apparaître le nombre de changements par décennies. La moyenne s’établit à trente-deux pour chacune d’elles.

Tableau 78. – Nombre de changements d’officiers par décennie.

Tableau 78. – Nombre de changements d’officiers par décennie.

79Parmi les décennies qui sont au-dessus de ce nombre, figurent logiquement celles qui ont été marquées par des créations d’offices : c’est le cas des années 1571-1580, 1581-1590, 1630-1640, 1690-1700 et 1701-1710. On y retrouve aussi la décennie des guerres de la Ligue qui a provoqué d’importantes mutations. On y relève enfin deux autres décennies – 1641-1650 et 1671-1680 – qui ne correspondent ni à des créations d’offices ni à des événements politiques importants. Cette analyse est confortée par l’observation des changements intervenus année par année : parmi celles qui connaissent le plus de variations, on trouve celles qui correspondent aux créations de charges – 1572-1573, 1588, 1633, 1692, 1705-1706, ou à la Ligue – 1592 – mais aussi d’autres qui s’inscrivent dans les deux décennies mises en évidence précédemment comme 1650, 1672, 1676 ou qui sont plus « isolées » comme 1606 (huit mutations), 1619 (huit mutations), 1661 (huit mutations). Aux causes déjà évoquées de changements – créations, problèmes politiques –, il faut donc en ajouter d’autres qui révèlent les pulsations de la Chambre, sa vie « interne » en quelque sorte. Des mutations importantes interviennent aussi quand il y a coïncidence entre plusieurs éléments : décès d’officiers en charge, libération de postes du fait de promotions ou du retrait d’individus qui ont atteint leurs objectifs, c’est-à-dire quand ils ont fait au moins vingt ans et quand ils ont disposé éventuellement d’un héritier en âge de leur succéder. C’est ce que l’on remarque en 1606 où sur huit changements, deux sont dus à des décès, trois à des résignations d’officiers ayant fait plus de vingt ans, un à une promotion, deux à des retraits d’officiers au bout de quelques années de carrière. De même en 1619, un changement est dû à un décès, un autre à une résignation avant le terme de vingt ans, et les autres à six résignations après plus de vingt ans de carrière. En 1650, les dix changements s’expliquent par une promotion (René de Pontual), une destitution, quatre remplacements d’officiers qui n’ont pas fait vingt ans sans que l’on sache si leur départ est dû à un décès ou à un retrait volontaire, et quatre résignations après vingt ans. En 1676 enfin, huit changements sur les neuf sont liés à des résignations après vingt ans de présence, la dernière étant un cas particulier puisqu’elle concerne Vincent-Gabriel de Saint-Pern qui bénéficie de la résignation de son frère qui n’a exercé qu’un intérim de quatre ans après le décès de leur père. Avec le temps, le nombre de changements dus aux résignations après vingt ans de carrière grandit même si une part d’impondérable demeure du fait des décès ou des quelques promotions dont bénéficient quelques membres du personnel.

  • 149 Les deux charges de correcteurs créées en 1626 ont été accaparées par des familles d’officiers : l’ (...)
  • 150 Trois maîtres sur trois en 1692, trois sur quatre en 1704 (l’autre est un « homme nouveau »), un hé (...)
  • 151 Trois « hommes neufs » et un « homme nouveau » en 1692 ; un « homme nouveau » et un « homme neuf » (...)
  • 152 Un héritier et un « homme nouveau » en 1692 ; trois « hommes neufs » et un « homme nouveau » en 170 (...)
  • 153 Un « homme nouveau » en 1692 ; un héritier et deux « hommes neufs » en 1704.

80Quand on fait le lien entre les années de forts changements et l’arrivée d’« hommes neufs », on constate que celles qui ont été les plus favorables à ces derniers ont été les années de création d’offices. Cela a été net en 1572 : sur les neuf charges de maîtres créées, six sont revenues à des « hommes neufs » alors que cela a été le cas pour cinq charges d’auditeurs sur dix. L’introduction de la clause de non-originaire qui a joué surtout pour les maîtres, a favorisé alors un élargissement du recrutement. Cette ouverture s’observe encore en 1588, mais davantage pour les auditeurs qui sont, à l’exception d’un seul, des « hommes neufs », alors que les deux offices de maître créés sont acquis par des individus apparentés à des officiers en place. Dans la première moitié du XVIIe siècle, le mouvement de création a été en partie contrôlé par des membres de l’institution. En 1632, les charges de maîtres reviennent pour l’une à un « homme nouveau » – Sébastien Le Meneust – et pour l’autre, à un « homme neuf », Claude de Sesmaisons – alors que celles d’auditeurs sont acquises par un héritier et par un « homme nouveau149 ». Il faut attendre les créations de la fin du règne de Louis XIV pour voir un nombre important d’« hommes neufs » s’imposer à nouveau. Cela joue à tous les degrés de la hiérarchie : sur les neuf offices de maîtres créés entre 1692 et 1711, six reviennent à des individus étrangers à l’institution150. Pour les auditeurs, c’est le cas de quatre offices sur six151 ; la situation est, en revanche, plus partagée pour les correcteurs avec trois « hommes neufs » pour six offices créés152 et pour les présidents avec deux « hommes neufs » sur quatre153. Globalement donc, les créations d’offices ont permis un certain renouvellement du personnel.

81Pour les autres années qui ont connu d’importants mouvements de personnel, une évolution se dessine également, inverse de celle qui vient d’être décrite. En 1606, les huit changements bénéficient à trois « hommes nouveaux », trois héritiers et deux « hommes neufs » ; en 1619, ils profitent à quatre « hommes neufs », deux héritiers et deux « hommes nouveaux ». L’année 1650 est exceptionnelle puisqu’elle voit l’arrivée de sept « hommes neufs », d’un héritier et de deux « hommes nouveaux ». En 1676, la situation est plus partagée puisque les neuf changements permettent l’intégration de quatre à cinq « hommes neufs » – le cas d’Alexandre I Symon est discutable – et de quatre héritiers. Les deux dernières années prises en considération sont nettement moins favorables au changement : ainsi en 1696, les dix offices sont acquis par cinq héritiers et par cinq « hommes nouveaux » et en 1709, les huit offices reviennent à cinq héritiers et à trois « hommes nouveaux ». Si les données ainsi réunies ne valent bien entendu que pour les années prises en considération, elles mettent en évidence une évolution plus fine que celle que l’on a indiquée précédemment : le XVIIe siècle serait marqué, dans sa première moitié, par une ouverture grandissante puis, dans la seconde moitié, par une fermeture progressive, ce qui coïncide globalement avec ce que l’on a dit à propos du mouvement des prix et du recrutement des officiers sur le plan géographique.

Le renouvellement du personnel

82Malgré cette évolution, « hommes neufs », héritiers et « hommes nouveaux » ont cohabité, pendant la majeure partie de la période, dans des proportions variables à la Chambre ; celle-ci aurait fonctionné elle aussi comme une noria et permis l’affirmation de familles qui une fois leurs objectifs atteints, auraient laissé la place à d’autres, désireuses de bénéficier des privilèges qu’elle accordait. Le renouvellement qui s’est opéré au fil du temps ne doit toutefois pas faire oublier que la priorité dans les recrutements a été accordée aux héritiers d’officiers en place, à leurs alliés ou à ceux qui étaient déjà introduits dans les cercles de la notabilité et que les « hommes neufs » ne se sont imposés que lorsqu’il n’y avait pas d’autre candidat disponible ou à la faveur d’opérations de créations d’offices. Cette analyse est confortée par l’observation des transmissions de charges de maîtres existant en 1572, une année qui est, du fait du doublement du personnel, une date « fondatrice » de l’institution.

Tableau 79. – Transmission des offices de maîtres de 1572.

Tableau 79. – Transmission des offices de maîtres de 1572.
  • 154 La remarque vaut pour l’office de Louis Merceron qui est exercé par les Renouard père et fils puis (...)

83On constate que les évolutions sont contrastées : certaines charges font une large place aux « hommes neufs » comme celles qui ont été détenues à l’origine par René Bitault, Pierre I Ménardeau ou encore Jean I Gautier. D’autres en revanche se transmettent dans des cercles étroits : c’est net, bien sûr, pour celles sur lesquels des familles se sont maintenues sur plusieurs générations – de Monti, Boutin – mais aussi pour celles qui ont circulé dans les mêmes « milieux » géographiques ou professionnels154 : on le voit bien pour l’office de Pierre Gautier qui est exercé ensuite par trois Angevins puis par deux fils de parlementaires – Brégel et Gabard. Ce n’est que lorsque ces familles ont tiré tous les « profits » qu’elles pouvaient espérer de l’office qu’il est revenu à quelqu’un d’étranger au milieu des comptes en la personne de Raoul Avril. Comme ce dernier exemple le montre, l’« homme neuf » a pris souvent les traits, surtout dans la première moitié du XVIIe siècle, d’un individu non originaire de Nantes ou, pour être encore plus précis d’une ville où il n’y avait pas de cour souveraine : c’est le cas des Frotet, de Gellouard, de Jacques I Huteau, de Jean Jousselin. Ce n’est toutefois pas systématique comme l’illustrent les exemples de Louis du Pas ou de Jacques II Langlois qui étaient Nantais.

  • 155 Ce qui aurait pu se produire si une majorité d’officiers avaient fait exactement vingt ans et avaie (...)

84De façon générale, on peut relever l’existence d’un certain phénomène générationnel, sans que celui-ci ait revêtu bien entendu une régularité mathématique155. En partant de 1572, et si l’on tient compte surtout des officiers qui ont fait la preuve d’une logique de transmission soit sur le plan familial, soit sur le plan géographique, on pourrait distinguer une première période qui irait jusque dans années 1610. C’est à ce moment-là que s’effacent certaines des dynasties qui s’étaient formées à partir de 1572 comme les Le Lou mais aussi les premières familles angevines qui s’étaient implantées à la Chambre et plus généralement celles qui ont été mêlées aux troubles liés aux guerres de la Ligue. Les unes et les autres laissent la place à une deuxième génération allant jusque dans les années 1640 : elle se compose d’individus qui ont compris la portée des changements intervenus dans la nature de l’office du fait de la mise en place de la paulette et qui cherchent à en tirer profit. On y trouve les premiers Vannetais – les Huteau –, des Malouins – les Frotet –, des Vitréens, des Rennais et quelques nouvelles familles d’Angevins comme les Jousselin. Une troisième « génération », au recrutement géographique encore diversifié, s’affirmerait des années 1640 aux années 1670 et trouverait une certaine cohésion dans le fait d’avoir traversé le mouvement de hausse des prix.

85La relève d’une partie de ces officiers expliquerait l’importance des changements intervenus en 1676. L’observation de la composition du groupe des maîtres cette annéelà révèle en fait qu’en quelques années (1674-1678) le personnel de la Chambre a été totalement renouvelé. Cela est dû à la conjonction de plusieurs phénomènes : le départ de quelques piliers de l’institution comme Yves de Monti, le retrait de ceux qui ont commencé leur carrière dans les années 1650, ainsi que celui de quelques officiers qui ont débuté la leur au début des années 1660 et qui ont vu leur parcours perturbé par la forte hausse des prix. Si l’on prolonge l’observation, on constate que le personnel connaît ensuite un nouveau cycle d’une vingtaine d’années, nuancé ici et là par des morts prématurées ou par le maintien prolongé de quelques officiers, en attente d’un héritier. Quand on considère ainsi le comportement des sept maîtres qui ont été institués en 1676, on constate que trois d’entre eux cèdent leur charge au bout de vingt ans (V. Gabriel de Saint-Pern, Guillaume Lair, Jean II Salomon), que l’un meurt au bout de quatorze ans de présence, qu’un autre se retire après six ans, sans que l’on en connaisse vraiment bien la raison et que deux – Jacques II Langlois et Alexandre I Symon – siègent plus longtemps (respectivement vingt-six ans et vingt-neuf ans) avant que leur office revienne à leur fils. Les créations de la fin du règne de Louis XIV viennent ensuite modifier la donne et estomper quelque peu le phénomène générationnel qui s’était mis progressivement en place, sans modifier profondément la physionomie du personnel.

Tableau 80. – Les maîtres à la Chambre des comptes en 1676 et leurs successeurs.

Tableau 80. – Les maîtres à la Chambre des comptes en 1676 et leurs successeurs.
  • 156 Deux d’entre eux étaient des fils de marchands – Du Cassia et Cassard –, un autre – Bachelier – éta (...)
  • 157 C’est aussi le cas de Neveu.

86Si, en un dernier aperçu, on s’intéresse aux successeurs des maîtres présents à la Chambre en 1676, on obtient une photographie assez fidèle de la Chambre à la fin du règne de Louis XIV et des mécanismes qui y étaient alors à l’œuvre. Six charges reviennent à des fils d’officiers (Guy Artault, Pierre II Godet, François Bernard, Pierre Lair, Jacques III Langlois, Alexandre II Symon), une à un beau-frère (Julien Charette), trois à des parents ou à des alliés (Jean Artur, Louis Bidé, Guillaume I Bedeau), deux à des fils d’auditeurs (François Guyton et Mathurin Bedeau), trois à des fils d’édiles municipaux156 (Bachelier, Du Cassia, Cassard) et deux à des enfants de notaires et secrétaires du roi (Neveu et Le Brun). Les « hommes neufs » qui s’imposent appartiennent pour la plupart au monde du négoce et de la finance comme le Malouin Girault157, les Macé de Saint-Brieuc, François II de la Pierre voire Philippe-Joseph Le Gril. Ils ont acquis leurs offices dans le cadre de relations d’affaires et de solidarités géographiques. Ainsi les Macé prennent-ils respectivement la succession d’un Vannetais (Le Gouvello) et d’un Rennais (Ravenel) alors que François II de La Pierre récupère la charge du Vannetais René de Lohéac. Seul François Martineau fait figure d’homme étranger au milieu d’où venait ordinairement le personnel de la Chambre.

87Les transmissions qui s’opèrent par la suite confirment cette impression de recrutement dans un cercle limité : les offices reviennent le plus souvent là encore à des héritiers qui marquent le terme d’une implantation de leur famille comme Les Langlois ou les Lair ou qui confirment l’ancrage de la leur comme les Macé, les de La Pierre ou les Bachelier, des fils de magistrats en mal d’ascension au sein de l’institution comme Mathurin Couradin, Joseph de La Coudraye, Pierre II Bocan, Jean-Jacques Talour, des familles enfin comme les Bidé, les Bedeau, les Guyton qui ont fait de la Chambre un pôle de référence de leur horizon professionnel. Le fils du négociant-financier André I Boussineau pourrait faire figure d’« homme neuf » mais il était le beau-frère du maître Jacques II Langlois, qui a dû faciliter son intégration à la Chambre. Seuls l’Angevin Henri-Louis-Charles Gillot, fils du premier gentilhomme servant de la duchesse de Montpensier et Siméon Clément, sur lequel on est peu renseigné, apparaissent comme des éléments insolites dans une institution qui est alors sous le contrôle d’une série de familles qui se perpétuent dans les charges qu’elles ont acquises.

*

88La Chambre des comptes est devenue, surtout à partir de 1572, une institution de référence non seulement à Nantes mais aussi en Bretagne et dans les provinces limitrophes. Elle a suscité l’attachement d’un grand nombre d’individus qui y sont venus accomplir au moins vingt années de service et en tout cas l’essentiel de leur carrière. Passé le temps de la première modernité qui a été marqué par l’achèvement du processus d’intégration du duché de Bretagne au royaume et par les guerres de Religion, elle n’a plus constitué un tremplin pour l’accession à d’autres emplois. De façon plus discrète mais néanmoins efficace, elle n’en a pas moins contribué à l’ascension de familles moyennes, dont certaines, en s’y perpétuant, ont connu une réelle amélioration de leur condition. Si elle a toujours été ouverte aux « hommes neufs », elle a connu un phénomène progressif de fermeture. Comme la hausse du prix des charges avait provoqué un renouvellement du personnel, notamment par le biais de l’élargissement de son recrutement sur le plan géographique, il semblerait que la mise en place de la fixation de Colbert ait entraîné un changement de comportement chez les magistrats et les ait amenés à mieux contrôler la circulation des offices, à renforcer leur présence, au moins un temps, dans l’institution, et donc à en limiter l’accès. Cette évolution se serait accompagnée d’une mutation des raisons qui amenaient les individus à y faire carrière : alors qu’au XVIe siècle, la Chambre accueillait ceux qui avaient les capacités, les moyens financiers ou les appuis pour intégrer le monde de l’office et que dans la première moitié du XVIIe siècle, elle a attiré ceux qui ont compris les changements intervenus sur le plan de la vénalité, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, elle a séduit surtout ceux qui recherchaient l’anoblissement graduel qu’elle accordait à ses membres, une hypothèse que l’on peut vérifier en étudiant les privilèges des gens des comptes.

Notes

1 Guido Castelnuovo, « Service de l’État et identité sociale. Les chambres des comptes princières à la fin du Moyen Âge », Revue historique, t. CCCIII/2, avril-juin 2001, p. 489-510.

2 Cf. aussi figures 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 et 15, cahier couleurs.

3 La situation parisienne serait différente. Au Châtelet, un nombre important d’officiers siègent peu longtemps du fait de la possibilité qui leur est donnée d’accéder aux cours souveraines.

4 Caroline Le Mao, Parlement et parlementaires, Bordeaux au grand siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2007, p. 212.

5 Vincent Meyzie, op. cit., p. 53.

6 L’évolution de la charge d’avocat général est un peu similaire : elle ne trouve de réelle stabilité qu’à partir des années 1660-1670. Jusqu’à cette date, elle sert de position de repli pour des magistrats comme Guillaume de Francheville qui a été auparavant procureur général et permet à certains de ses titulaires de progresser dans l’institution : c’est le cas de Louis du Pont (il exerce la fonction dix-huit ans), de Roland Morin qui deviennent présidents, de Yves Morice (1649-1651) qui obtient la charge de procureur général ou de Jean-Baptiste Becdelièvre (1646-1649) qui, après avoir imposé le dédoublement de l’office en 1646, part au parlement.

7 On ne peut pas non plus écarter totalement l’hypothèse que certains individus aient dû attendre plus longtemps afin de trouver un acquéreur pour leur charge ou qu’ils aient patienté pour connaître l’évolution des cours.

8 De même le maître Alexandre I Symon siège près de trente ans (1676 à 1705), avant de céder sa charge à son fils, Alexandre II Symon, né en 1680. On retrouve un cas voisin avec les Guillermo : Philippe, auditeur de 1649 à 1681, résigne en faveur de son fils Guillaume né en 1653 – l’âge requis pour devenir auditeur est alors porté à 27 ans –, qui meurt prématurément en 1689 ; l’office revient au deuxième fils, René, qui meurt en charge en 1718 à l’âge de 63 ans.

9 Je ne reviens pas sur le cas de ceux qui comme Pierre Frain ont fait faillite et que j’ai évoqué précédemment.

10 On ne sait pas ainsi ce que devient Alexandre de Complude qui n’a été maître que pendant cinq ans (1634-1639).

11 Son père Jean était mort au bout de trente ans de présence à la Chambre (1640-1672).

12 On retrouve le même cas de figure avec Marc Boutin (1632-1639) dont le père et le grand-père ont été maîtres respectivement de 1593 à 1631 et de 1572 à 1593. Pierre Juchault, fils du président Christophe, ne demeure maître que sept ans sans que l’on sache si ce départ prématuré est dû à son décès ou à son retrait de la vie active.

13 Il semble que la famille Bitault se soit implantée à Paris dès le XVIe siècle.

14 C’est sans doute le cas de Jean Cébret, Claude Brethe et Guillaume Fouquet.

15 Une autre branche de la famille s’implante durablement au parlement de Rennes et fournit un premier président à la fin du XVIIe siècle.

16 La première femme de ce dernier, Louise Fourché, était la fille de Mathieu Fourché, conseiller au parlement en 1610 et de Guyonne I Bouriau (mariée en premières noces au conseiller au parlement, Guillaume Thévin), Gaëtan d’Aviau de Ternay, op. cit., p. 142.

17 « C’est lui qui fait les bannies d’appropriement de la seigneurie de Largouët dans le Vannetais achetée en 1656 par le nouveau surintendant des finances », Gauthier Aubert, Le président de Robien, gentilhomme et savant dans la Bretagne des Lumières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, p. 20.

18 Vincent Meyzie, op. cit., p. 57.

19 Le dépassement du terme des vingt ans peut être aussi mis en relation avec le temps nécessaire pour amortir le prix d’achat de l’office. Certains officiers ne quitteraient ainsi la Chambre que lorsqu’ils auraient acquitté complètement leur dette, cf. Jean Meyer, op. cit., p. 179.

20 C’est le cas aussi de Jean II Salomon qui meurt en 1695 après avoir siégé près de vingt ans.

21 Le président Jean Ayrault (1583-1602) fait ainsi exactement vingt ans. Il en va de même pour le maître Joseph de La Marqueraye (1596-1617). Il est à noter que certains auditeurs qui ont été promus maître tiennent à siéger vingt ans dans cette dernière fonction : c’est le cas de René Fradin et de Louis Miron.

22 Son fils Armand lui succède dans la charge de procureur de 1769 à 1779, Guillaume Porchet, Destins…, op. cit.

23 Soit deux officiers de 1547 à 1605 et deux entre 1606 et 1665.

24 Soit quatre officiers entre 1606 et 1665 et six entre 1666 et 1715.

25 Soit deux officiers entre 1547 et 1605, deux entre 1605 et 1665, huit entre 1666 et 1715.

26 Soit quatre officiers entre 1547 et 1605, six entre 1606 et 1665, quatre entre 1666 et 1715.

27 Soit deux entre 1606 et 1665, deux entre 1666 et 1715.

28 Il s’agit pour la période 1666-1715 des Artur qui étaient apparentés sans que l’on sache le lien qui les unissait.

29 Il s’était marié deux fois, la première avec Catherine Boury, fille d’un huissier au siège présidial de Nantes et la seconde avec Jeanne Mériaud, fille de l’auditeur Guillaume (1584-1613).

30 Le contrat de mariage est signé le 26 mai 1640 : la dot de l’épouse est de 30 000 livres. L’office de maître des comptes est considéré comme le propre du mari, car il s’engage à le payer de ses deniers. Jacques Bonnemez fait don à son épouse d’une tierce partie de tous ses biens.

31 Guy Saupin, « Les oligarchies municipales en France sous l’Ancien Régime : réflexion méthodologique sur l’analyse historique de leur reproduction sociale à partir de l’exemple de Nantes », dans Claude Petitfrère (éd.), op. cit., Selon cette définition, il n’y aurait eu que quatre dynasties municipales à Nantes au XVIIe siècle : les Poullain, les Charette, les Harouys et les Bidé.

32 Vincent Meyzie, op. cit., p. 239.

33 Ils sont vingt si l’on va jusqu’à la suppression de la Chambre en 1791. Il faut y rajouter une dynastie de présidents avec les Bouin et une dynastie de correcteurs avec les Gautreau.

34 C’est à partir de ce moment-là aussi qu’avec l’introduction de la clause du tiers denier se met en place l’un des instruments favorisant la patrimonialisation des charges.

35 Si l’on combine ces deux indices de forte présence à la Chambre, on arriverait ainsi à un total de trente-six familles.

36 Il était le fils de Nicolas de La Tullaye et de Jeanne Censier. Celle-ci s’est remariée en 1525 avec Charles Le Frère qui avait été tour à tour sénéchal de Vannes et de Nantes et conseiller aux Grands Jours de Bretagne. C’est grâce sans doute à sa protection qu’Yves de La Tullaye a pu s’engager dans la carrière des offices.

37 Elle a récupéré une partie des biens de Thomas Regis, homme d’Église qui a joué un rôle important au service de Charles VIII et de Louis XII en Italie, Anobli par François Ier en 1523, il est devenu clerc de la chambre apostolique en 1524. À sa mort, il a laissé une fortune estimée à plus de 100 000 livres dont une maison à Rome près de la chancellerie pontificale, Flaminia Bardati, « Le corps à Rome, le cœur à Nantes. La chapelle Saint-Thomas et son commanditaire », dans Nicolas Faucherre et Jean-Marie Guillouët (dir.), Nantes Flamboyante, 1380-1530, Bulletin de la Société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, numéro hors série, 2014, p. 87-95.

38 Sa charge de maître est acquise par l’ancien trésorier et receveur général Georges Morin.

39 Cette intervention confirme la remarque de Sébastien Jahan selon laquelle « les options professionnelles des individus sont parfois déterminées par l’intervention de la parenté extérieure à la cellule domestique », Sébastien Jahan, op. cit.

40 Elle était la fille de Gabriel Bitault, conseiller au parlement en 1582, et de Renée Le Maire, veuve de Guy I de Lesrat, conseiller au parlement (et elle-même fille de Guillaume Le Maire, sénéchal de Nantes) ; son grand-père, Louis Bitault, était maître à la Chambre des comptes.

41 C’est ce qui expliquerait peut-être pourquoi, ils n’ont jamais accédé à une présidence.

42 Le maître René de La Tullaye (1603-1635) épouse en premières noces en 1607 Marguerite Bitault, fille de Gabriel, conseiller au parlement ligueur (1582-1597).

43 Sur cette question, cf. Danielle Haase-Dubosc, Ravie et enlevée : de l’enlèvement des femmes comme stratégie matrimoniale au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1999.

44 Le père de René II Foucault était conseiller et garde-scel au présidial de Nantes ; son frère, Jacques, était conseiller au parlement.

45 Après le décès de Marie-Anne Morice, Salomon-François de La Tullaye s’est remarié avec Anne Rogier, fille de François, sieur de Crévy, et de Renée Foucault, fille du maître René.

46 Claire Dolan, Le notaire…, op. cit. Elle distingue trois types de comportements parmi les notaires aixois : celui qui est incarné par les Borelli qui construisent un réseau fortement homogamique. Aixois depuis des générations, ils cherchent des alliances en dehors de la ville pour continuer de s’unir dans le métier. Ils ont peu d’enfants, ne se remarient pas et connaissent une faible promotion sociale. Celui des Alphéran-Hugoleni qui entretiennent une double relation avec leur localité d’origine : la branche des Alphéran coupe dès son arrivée à Aix-en-Provence tout lien avec celle-ci pour nouer des alliances avec des Aixois incontestables. Les Hugoleni jouent sur les deux tableaux : ils négocient des alliances aixoises et maintiennent des liens avec leur région, ce qui leur permet de servir d’intégrateurs aux jeunes praticiens attirés par Aix comme centre administratif et judiciaire. Celui des Estienne et des Mazargues qui ne s’allient qu’avec des familles aixoises, appartenant ou non au milieu du notariat. Les unions avec le monde marchand, gages de promotion sociale, sont particulièrement recherchées.

47 Il a résigné en faveur d’un autre Vannetais, Pierre Guydo.

48 On ne peut pas écarter non plus l’hypothèse selon laquelle il aurait voulu profiter du mouvement de hausse des prix que connaissaient alors les charges de président pour réaliser un investissement intéressant, alors que les offices de trésorier de France voyaient leur valeur stagner.

49 Par sa famille, il avait des liens avec des ligueurs comme Guillaume I Raoul, procureur syndic des états provinciaux – il est le parrain de sa deuxième fille, Claude, née en 1589 – et époux de Françoise Symon, fille de l’auditeur François Symon (1568-1587) et de Françoise Gourdet ou comme Michel Gazet, qui était le fils de Jean Gazet, sieur de La Briandière et de La Tour et de Jeanne Morin.

50 Certains de ses enfants ont été pourtant baptisés à Nantes alors que la ville était contrôlée par le duc de Mercœur : c’est le cas notamment de Julien en octobre 1593.

51 Il était le fils d’un auditeur des comptes prénommé lui-aussi Pierre (1588-1616) qui avait siégé en même temps que Michel Juchault.

52 Il est plus que probable aussi que Christophe I Juchault appartenait à la clientèle de Richelieu en Bretagne comme le prouverait le fait que c’est grâce à l’appui du maréchal de La Meilleraye qu’il est devenu maire de Nantes en 1643.

53 Parmi les parrains et marraines des enfants de Michel Juchault, on relève les noms d’Anne Morin, fille du premier président des comptes Jean, Françoise Ruiz, André Morin, lieutenant au présidial.

54 Avec ce dernier, un lien peut être établi avec les Huteau évoqués précédemment : cela laisse à penser que la transmission des charges de président ne devait rien au hasard et qu’elle se faisait dans un cercle de familles qui se connaissaient bien.

55 Christophe II Juchault était marié avec Renée d’Yrodouer, fille d’Yves et de Louise Symon.

56 Il est signalé aussi dans les généalogies comme secrétaire des finances de Monsieur, frère du roi, cf. Gaëtan d’Aviau de Ternay, op. cit., p. 292.

57 Son père Philippe était avocat au présidial.

58 Son père était avocat au présidial.

59 Son frère Jacques a été par la suite avocat général (1700-1725).

60 Celui-ci a refusé de succéder en tant que maître à son beau-père dont il a possédé l’office de 1684 à 1686.

61 Les liens avec les familles connues à la Chambre ne sont toutefois pas rompus comme en témoigne le mariage de Jeanne-Marguerite Le Meneust, la fille de Pierre-Christophe Le Meneust, avec Nicolas-Modeste Grout, capitaine des vaisseaux de la Compagnie des Indes et fils du président des comptes Jean Grout.

62 Son épouse Marie Caillaud était la fille du marchand Jean Caillaud, ancien échevin de Nantes.

63 Il était le fils d’un conseiller au présidial de Nantes.

64 Il acquiert l’office d’Yves de Monti qui met fin alors à plus de cinquante années de présence à la Chambre.

65 Il était le fils de Pierre Mosnier, juge criminel au présidial, et de Françoise Macé, fille de l’auditeur Jean Macé (1616-1645). Il a récupéré l’office de Mathieu Bedeau (1677-1696) qui était le beau-père de Jacques II Langlois (1702-1733).

66 Il a épousé la fille du trésorier de France Joseph-Martin de Goyon.

67 Il est échevin de Nantes (1580-1583).

68 Il se marie tour à tour avec Catherine Laurens puis avec Judith Chahu. Sa fille Éléonore se marie en 1663 avec Jacques III Barrin, conseiller au parlement. Son fils Joseph Bidé est conseiller au Grand Conseil en 1660, maître des requêtes en 1671, intendant du Limousin, président du parlement de Bretagne (1679).

69 Il épouse Marie Lizière puis Catherine Poullain.

70 La fille, prénommée Michelle, épouse François Berthelot, conseiller au présidial (1603-1628). Il résigne sa charge en faveur de son beau-frère Étienne Bidé.

71 Le mariage, par les conditions imposées, semble avoir été supervisé par Étienne Bidé.

72 Alain Gellouard fait figure de « proie tentante » pour une famille douée d’ambition.

73 Il avait épousé Catherine Dugué.

74 Il succède à René Bernard, fils du président des comptes Pierre Bernard.

75 Il lui a vendu son office en 1678 pour 47 000 livres.

76 Celui-ci était le beau-frère du président Jean Bidé du fait de son mariage en premières noces avec Claude Juchault (1698), la fille du maître Christophe III Juchault.

77 À moins qu’il ne soit tout simplement l’expression d’un certain opportunisme.

78 Dans le cas présent, les solidarités pourraient être de nature financière, le passage des Bidé au contrôle général des finances les ayant mis en relation avec les familles qui géraient les impôts de la province comme les Saintodomingue auxquels Le Marié était allié.

79 Les filles sont unies à des familles présentes au présidial.

80 Elles s’expliquent en partie par le climat d’hostilité à la création d’offices qui règne à la fin des guerres de la Ligue.

81 Celui-ci descendait également d’une famille de médecins : l’alliance contractée prolongerait ainsi une solidarité professionnelle ancienne.

82 Il est resté fidèle au roi pendant la Ligue.

83 René Ménardeau, qui devient lieutenant au présidial (il est maire de Nantes en 1622), épouse Renée de Crespy, fille du maître Julien de Crespy (1592-1615) alors que François II Ménardeau est marié à Madeleine Millon, fille du maître Julien Millon (1588-1592).

84 Il a épousé successivement Jeanne Geslin puis Françoise Le Vavasseur, fille de Christophe, sieur de La Gendronnière, et de Jeanne Ménardeau. Son deuxième mariage marque son intégration à Nantes.

85 Le choix des parrains de ses enfants fait apparaître des liens avec la maison des gouverneurs de Bretagne et avec les milieux financiers (François Miron, François Trottereau auquel Gilles Le Moyne succède comme maître des comptes).

86 Son père lui a donné 16 000 livres et lui a laissé le lieu de La Grée en Sautron ainsi que18 livres de rente foncière dues sur plusieurs maisons de Nantes suivant le partage fait entre ses enfants du premier et second lit du 21 septembre 1606, ADLA, 4 E 2/326.

87 Il la prend avec « tous ses droits héritels qu’elle a à cause de la succession de ses parents et de son frère François et outre 15 880 livres 10 sols qu’elle a promis de bailler en argent et en obligations avant le jour de la bénédiction nuptiale dont 4 666 livres que son frère lui doit pour la tierce partie de la vente de l’office d’auditeur de François, 2 139 livres en argent comptant et ses meubles estimés à 1 000 livres ».

88 Il s’est marié la même année avec Angélique Ragaud, sœur de l’auditeur Jean Ragaud (1628-1648).

89 Cette union s’inscrit dans le cadre d’un mariage croisé puisque François Le Moyne s’était remarié en 1649 avec Françoise Bourdin, la mère de Jacques Brochard.

90 Le fils de François, né son deuxième mariage, opte pour une carrière militaire.

91 Il a prêté serment comme avocat en 1648. Ses parents lui achètent l’office d’Étienne II Moucheron, l’année même où il s’est marié avec Marie Rouxe.

92 Il récupère l’office de Jean Serizay (1637-1653) décédé.

93 Il vend sa charge le 6 septembre 1685 à noble homme Charles Moricaud, sieur de La Fleuriays, paroisse de Sainte-Croix pour 14 000 livres à simple procure. Le paiement doit se faire en six ans avec intérêt au denier dix-huit, ADLA, 4 E 2/1260.

94 Le prix est de 18 000 livres dont 11 000 livres doivent servir pour payer la taxe de l’office aux parties casuelles et le sol la livre.

95 Son mariage peu de temps avant avec Élisabeth Le Lou pourrait accréditer cette hypothèse.

96 « Suivant et conformément à la fixation » dit le traité. Le père se réserve le droit de disposer de la somme « en principal et intérêts ainsi que bon luy semblera ».

97 Verrin était domicilié dans la paroisse Saint-Saturnin. La vente, qui a lieu le 26 novembre 1685, a été faite pour 19 600 livres (16 000 livres + 3 600 livres de nouveaux gages). Cette somme devait être payée dans un délai de neuf ans avec un intérêt au denier dix-huit, ADLA, 4 E 2/636.

98 Ce mariage consacre l’alliance conclue entre les familles Bonnemez, Guyton et Godet.

99 Celui-ci avait exercé de 1649 à 1681.

100 Mathurin Boux, sieur des Barres, le père de Lucrèce Boux était le fils de l’auditeur Claude Boux (1633-1665).

101 La famille s’est, semble-t-il, enrichie dans le commerce du drap de soie au XVIe siècle.

102 En 1652, son épouse Marguerite Blanchard fait partie avec le premier président des comptes César-Auffray Blanchard, Jean de Choisy, seigneur de Ballery, conseiller du roi en ses Conseils, messire Louis du Plessis, chevalier, seigneur de Genonville, messire Guy I du Pont, seigneur d’Eschuilly, conseiller au parlement, de ceux qui afferment pour quatre ans à Nicolas Thouvenin, sieur de Saint-Germain de Rennes, l’exercice des greffes des insinuations des contrats « afin d’appropriement » des sénéchaussées de Rennes, Nantes, Vannes, Hennebont, Concarneau, Quimper, Châteaulin, Saint-Renan, Brest, Lesneven, Saint-Brieuc et Dinan, ADLA, 4 E 2/162.

103 Quatre d’entre eux, qui étaient en location, étaient situés dans la paroisse Saint-Denis et le dernier, où résidaient Marguerite Blanchard et son fils Pierre, procureur du roi au présidial, dans la paroisse Notre-Dame, ibid., 4 E 2/1432.

104 Jean I de Moayre est devenu auditeur grâce aux créations de 1632. Par le contrat de mariage, son père, Pasquier de Moayre qui a été lui-même auditeur de 1599 à 1631, promet de lui donner son office en avancement de succession. La dot de l’épouse est de 18 000 livres. Le contrat est signé par René Marques, Coupperie, Pierre II Davy et Jean II Fourché.

105 Il succède à Luc Viaudet et se marie en 1645 avec une fille d’avocat, Marguerite Milsent. L’acte de procompt entre Mathurin Bedeau et son père a été étudié précédemment, cf. supra, p. 142.

106 Il épouse Marie Bourgogne en 1647.

107 Il s’est marié en 1678 avec Anne Guy, fille de l’auditeur Pierre Guy et de Françoise Villaine. La transmission de l’office de maître s’est faite, là encore, dans un cercle de familles « alliées ». Joseph Rousseau avait acheté cette charge à Jacques Bonnemez en 1661 ; celui-ci a marié l’une de ses filles à Pierre I Godet, maître de 1668 à 1696. Celui-ci, qui n’était autre que le cousin de Mathieu Bedeau, a pu jouer un rôle d’intermédiaire dans cette transaction.

108 Jeanne de Moayre, dame de La Courosserie, fille de Pierre, sieur de La Mordronnais et de Jeanne Tanguy, avait épousé Pierre Fourché, père de Jean I Fourché, auditeur aux comptes (1572-1590), puis maître (1590-1612).

109 En 1585, le président Georges Le Mignot, pour écarter l’auditeur Jean I Fourché de l’examen de son dossier, l’accuse d’être cousin du premier président Jean II Avril « à cause des de Moayre dont ils sont sortis ».

110 Il a résigné le 22 mars 1648 en faveur d’Yves de Santodomingue (demeurant à Paris, rue Notre-Dame-des-Victoires) mais du fait de sa mort survenue en mai 1648 (il est inhumé le 16 mai) ce sont ses héritiers, à savoir « écuyer Jean I de Moayre, auditeur, messire Jean I Salomon, époux de Françoise de Moayre et René Marques, écuyer, sieur de La Vérye, père et garde naturel des enfants de son mariage avec défunte demoiselle Jeanne de Moayre » qui ont pris le contrôle des opérations. Santodomingue a été pourvu par le roi le 11 novembre 1648 mais il s’est démis de l’office pour Philippe Guillermo après avoir payé le marc d’or et la taxe de résignation.

111 Jean I de Moayre avait d’abord résigné l’office le 7 juillet 1679 pour René Moricaud, avocat en la cour : celui-ci a levé la quittance de finance puis il a accepté (17 mai 1680) que les lettres soient réformées au nom de Jean Touzé. L’origine vannetaise de ce dernier laisse deviner que les Salomon, avec lesquels les de Moayre s’étaient alliés à la génération précédente et qui étaient eux-aussi originaires de cette zone, ont dû jouer un rôle dans la transmission de cette charge.

112 Il succède à Jean I Fourché qui a été promu maître. Le choix des parrains et des marraines de ses enfants confirme des sympathies ligueuses. On y trouve les noms de Fourché, de Davy, de Brénezay, de Moayre, Bonfils. Cela n’a pas empêché toutefois la conclusion d’alliances avec des familles royalistes comme les Ménardeau ou les Martineau.

113 En tant que fils de magistrat, il aurait bénéficié en l’occasion de la faveur des gens des comptes qui n’auraient pas cherché à vérifier son âge réel : contrairement à ce qui est dit dans son information de vie et de mœurs par l’un des témoins, il n’avait pas 28 ans mais 20 ans.

114 La succession de Pierre I Le Mercier est partagée en 1637 entre Jacques Le Mercier, sieur de Lécluse, auditeur, Pierre II Le Mercier, sieur de Guénomain, correcteur, Guillaume, avocat en la cour, Michel Le Mercier, sieur des Fleurenceaux, Pierre II de Moayre, sieur des Mortiers, auditeur, et Jeanne Le Mercier sa compagne.

115 Il était le fils d’un marchand de draps de soie, consul des marchands en 1609 et juge-consul en 1619.

116 Sa fille Anne épouse Jean Harouys, conseiller du roi en ses Conseils d’État et privé.

117 La marchandise n’apparaît que de façon exceptionnelle comme avec les Madeleneau.

118 Comme on l’a vu pour les familles Boutin, de Monti et Le Lou.

119 Sa sœur Jeanne épouse l’auditeur François Le Moyne.

120 Le troisième François (1656-1719) devient curé de Sainte-Radegonde.

121 L’ancrage des deux familles à la Chambre se confirme à la génération suivante puisque la fille de Guillaume Paulus épouse le président Jacques Ballet et que le fils de Julien Proust devient maître à la Chambre des comptes.

122 Christophe, auditeur de 1687 à 1710, noue des relations avec la noblesse d’épée : il se marie en effet en 1694 avec Charlotte de La Bourdonnaye, fille d’un capitaine de cavalerie, gentilhomme de la reine régente du Portugal, petite-fille d’un sénéchal de Ploërmel. Signe du chemin parcouru, leurs enfants s’unissent avec des membres de la famille de Cornulier : Charlotte se marie avec Claude de Cornulier, sieur de Monteuil, et Françoise épouse Charlemagne de Cornulier. La dernière, Anne, est ursuline.

123 Parmi ses enfants, Louise Le Tourneux (1680-1756) épouse en 1700 l’auditeur Luc Guillay ; Françoise-Prudence Le Tourneux (1691-1767) se marie en 1715 avec Bonaventure Guy, fille du correcteur du même nom. Ses deux fils quittent le monde des gens des comptes : Claude Le Tourneux (1685-1756) est recteur de Sainte-Radegonde alors que Bonaventure Le Tourneux (1686-1756) est capitaine d’infanterie et chevalier de Saint-Louis. À noter toutefois qu’il se marie en 1715 avec Louise Luzeau, fille de l’auditeur Claude Luzeau.

124 Thomas de Rollée décède en 1650 en laissant des filles : son office est acheté par Jacques III Huteau. Le dernier représentant de la famille Macé, Bernard-Hyppolite, meurt en 1759, doyen de la Chambre et sans héritier.

125 Le fils du président Jacques IV Langlois (1741-1753) est officier de la Marine royale.

126 On retrouve ici les conclusions faites par Vincent Meyzie à propos des présidiaux qu’il a étudiés. Comme à la Chambre, les familles privilégient à la première génération, des mariages endogames ; par la suite, les alliances se diversifient, Vincent Meyzie, op. cit., p. 251 et suivantes.

127 Voir notamment Benoît Musset (dir.), Hommes nouveaux et femmes nouvelles de l’Antiquité au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

128 On peut se demander si la volonté manifestée par certains historiens de démontrer l’existence d’une mobilité dans les sociétés d’Ancien Régime n’est pas inspirée avant tout par la conviction, d’inspiration libérale, qu’un tel processus est toujours à l’œuvre dans les sociétés actuelles, et par la croyance que l’individu, quelles que soient ses conditions de départ, s’il le veut et s’il fait les efforts suffisants, peut améliorer sa situation.

129 D’autres font des erreurs d’orientation comme Golven de Kerchrist.

130 Certains d’entre eux sont difficilement mesurables comme le montre l’exemple du maître Pierre I Cornulier qui promet à Louis Merceron, à qui il veut vendre son office, de le faire recevoir par les gens des comptes.

131 Alain Croix (dir.), La Bretagne d’après l’Itinéraire…, op. cit., p. 697-698.

132 Jean (1593-1605), René (1606-1635), Salomon (1636-1656).

133 On rencontrerait toutefois une situation équivalente avec l’office acquis en 1572 par Raoul Boutin. Ses héritiers conservent l’office jusqu’en 1639. Après l’intermède Jean Lorial qui n’est pas parvenu à s’imposer c’est la famille Artault et ses alliés qui se perpétue jusqu’en 1691.

134 1572 correspond à l’année du doublement du personnel, 1598 est celle de la reconstitution de la Chambre après la crise ligueuse, 1635 a été choisie parce qu’elle correspond, pour reprendre une expression de Pierre Goubert, à une date charnière du XVIIe siècle (elle constitue aussi, comme on l’a vu précédemment, un moment important dans l’évolution du prix des charges) ; 1665 est l’année de la mise en place de la tarification de Colbert, 1676 est une année de mouvements importants au sein du personnel, 1715 correspond à la fin du règne de Louis XIV et la date de 1750 a été retenue pour avoir un aperçu de l’évolution qui s’est produite au XVIIIe siècle.

135 C’est sans doute l’effet d’une application plus stricte de la législation. Un édit de juillet 1669 a précisé que « les parents au premier degré, second et troisième degré qui sont de père et fils, de frères, oncle et neveu, ensemble leurs alliés jusqu’au second degré qui sont beau-père, gendre et beaux-frères ne pouvaient être reçus ni exercer conjointement leur office ». Un arrêt de juin 1679 a décidé que dans les compagnies supérieures et inférieures les avis des officiers titulaires, honoraires, vétérans qui se trouvent parents, alliés aux degrés père en fils, oncle et neveu, beau-père et gendre ne seront comptés que pour un.

136 Reçu maître dès 1696, il doit acquérir des lettres de dispense de parenté sept ans plus tard quand il épouse la sœur du maître Jacques II Langlois.

137 Pour reprendre la définition donnée par Vincent Meyzie, il s’agit des « individus qui sont les premiers de leur famille, au sens du lignage patronymique, à intégrer l’institution judiciaire sans bénéficier de liens sociaux, matrimoniaux ou vénaux avec les juges présidiaux ou les élites urbaines », Vincent Meyzie, op. cit., p. 269.

138 Il est difficile notamment de connaître les dates des mariages et donc de savoir si ceux-ci ont précédé ou suivi l’entrée à la Chambre des comptes. Nous ne savons pas ainsi la date du mariage du procureur général Pierre Bernard avec Françoise Harouys, sœur du président Louis Harouys.

139 La France est en retard sur ce point. Michel Bertrand a montré que la vénalité a reculé dans les Indes orientales dès la seconde moitié du XVIIIe siècle et que l’entrée dans l’administration s’est, dès cette période, fondée sur les concours, la production d’états de service, des dossiers personnels. Il en a été de même dans la Bohème étudiée par Martina Grecenkova. Cette évolution entraîne une baisse de la part des nobles dans l’administration, Michel Cassan, « De l’État “moderne” à ses administrateurs “moyens”, dans État et administrateurs de rang moyen à l’époque moderne », HES, no 4, 2004, p. 467-472.

140 Le renouvellement qui s’opère doit être mis en corrélation aussi avec le fait que les « hommes neufs » qui s’imposent bénéficient de l’effacement de catégories qui dominaient jusqu’alors et qui se retirent soit parce qu’elles ont atteint les objectifs qu’elles s’étaient fixées, soit parce qu’elles n’ont plus les capacités pour faire face à de nouvelles contraintes pour obtenir les charges, que ce soit sur le plan de la formation ou sur celui du coût financier, soit encore parce qu’elles ne les jugent plus dignes de leur condition.

141 Cela pose des problèmes pour apprécier l’importance de certaines fonctions faute d’un classement admis par tous les historiens.

142 Pour ne pas entrer dans trop de nuances, je n’ai pas tenu compte des évolutions qui se sont produites au fil du temps. Pour être vraiment précis, il aurait fallu considérer le fils d’officiers de chancellerie comme des « hommes nouveaux » au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe siècle alors que la noblesse conférée par ces charges n’était pas encore assurée. Les enfants des contrôleurs et de trésoriers généraux ont été considérés comme des « hommes nouveaux » et non comme des héritiers.

143 Robert Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, “essence” ou rapport social », RHMC, t. 46/1, janvier-mars 1999, p. 5-21.

144 Cf. figures 11, 12 et 13, cahier couleurs.

145 Je ne reviens pas sur la question de leur profil qui m’amènerait à me répéter par rapport à ce qui a été dit sur les origines sociales et géographiques des officiers.

146 Celui-ci avait épousé Jacqueline de La Rivière, veuve de Victor de Cornulier.

147 René de Pontual devient président en 1651, c’est-à-dire la même année où il épouse Prudence-Marie Le Lou, veuve du procureur général René Rousseau. Il transmet sa charge à son fils Sébastien (qui a épousé la fille de René Rousseau en 1657) ; son successeur après son décès en 1679 est Joseph Rousseau, le fils de René (1679-1706).

148 On y a tenu compte aussi des offices de trésoriers de France, de trésoriers et receveurs généraux et de contrôleurs généraux.

149 Les deux charges de correcteurs créées en 1626 ont été accaparées par des familles d’officiers : l’une revenant à Pierre II Le Mercier, fils d’un auditeur, et l’autre étant achetée par un auditeur, Charles du Bouchet.

150 Trois maîtres sur trois en 1692, trois sur quatre en 1704 (l’autre est un « homme nouveau »), un héritier en 1708, un héritier et un « homme neuf » en 1711.

151 Trois « hommes neufs » et un « homme nouveau » en 1692 ; un « homme nouveau » et un « homme neuf » en 1704.

152 Un héritier et un « homme nouveau » en 1692 ; trois « hommes neufs » et un « homme nouveau » en 1704.

153 Un « homme nouveau » en 1692 ; un héritier et deux « hommes neufs » en 1704.

154 La remarque vaut pour l’office de Louis Merceron qui est exercé par les Renouard père et fils puis par Pierre Le Gouvello et enfin par Ferdinand Girault. On devine ici une logique de transmission liée à la participation aux mêmes affaires financières.

155 Ce qui aurait pu se produire si une majorité d’officiers avaient fait exactement vingt ans et avaient poursuivi les mêmes ambitions.

156 Deux d’entre eux étaient des fils de marchands – Du Cassia et Cassard –, un autre – Bachelier – était le fils d’un conseiller au présidial.

157 C’est aussi le cas de Neveu.

Table des illustrations

Titre Tableau 64. – Durée moyenne de mandat par catégories d’officiers.
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Titre Tableau 65. – Le temps d’activité des gens des comptes ayant exercé de 1547-1605.
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Titre Tableau 66. – Le temps d’activité des gens des comptes (1606-1665).
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Titre Tableau 67. – Le temps d’activité des gens des comptes (1666-1715).
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Légende Figure 3. – Les de La Tullaye.
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Légende Figure 4. – Les de Cornulier.
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Légende Figure 5. – Les Huteau.
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Légende Figure 6. – Les Juchault.
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Légende Figure 7. – Les Le Meneust.
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Légende Figure 8. – Les Langlois.
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Légende Figure 9. – Les Bidé.
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Légende Figure 10. – Les Ménardeau.
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Légende Figure 11. – Les Guyton.
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Légende Figure 12. – Les Bedeau.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/46307/img-14.jpg
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Légende Figure 13. – Les de Moayre.
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Légende Figure 14. – Les Le Mercier.
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Titre Tableau 71. – Liens entre résignants et résignataires.
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Titre Tableau 72. – Qualité du successeur (le cas des maîtres des comptes).
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Titre Tableau 73. – Qualité du successeur (le cas des auditeurs des comptes).
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Titre Tableau 75. – Renouvellement des présidents de la Chambre des comptes (1547-1715).
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Titre Tableau 76. – Renouvellement des maîtres de la Chambre des comptes.
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Titre Tableau 77. – Renouvellement des auditeurs de la Chambre des comptes.
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Titre Tableau 78. – Nombre de changements d’officiers par décennie.
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Titre Tableau 79. – Transmission des offices de maîtres de 1572.
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Titre Tableau 80. – Les maîtres à la Chambre des comptes en 1676 et leurs successeurs.
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