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L'entreprise en restructuration

 | 
Claude Didry
, 
Annette Jobert

Conclusion

Claude Didry et Annette Jobert

Texte intégral

1Les restructurations sont liées, pour l’entreprise, à la recherche d’un accroissement de sa rentabilité. En tant que telles, elles paraissent inhérentes à la dynamique des activités économiques dans un monde capitaliste. Cependant, elles ne sont pas assimilables à des changements incrémentaux guidés par la recherche d’une productivité accrue du travail. Elles correspondent, pour l’entreprise, à une forme d’épreuve dans laquelle se joue non seulement l’avenir des salariés, mais également celui de l’entreprise elle-même. À ce titre, les restructurations naissent au confluent entre des politiques de rationalisation de l’activité productive et une reconnaissance accrue de la place des salariés et de leurs représentants dans les décisions engageant le devenir de l’entreprise.

2Comme le montrent les contributions, les restructurations s’opèrent dans des cadres institutionnels pris comme référence par les acteurs pour établir un débat qui, autrement, n’aurait pas lieu. Ces cadres institutionnels sont eux-mêmes le résultat d’une histoire spécifique liant initiatives politiques, apprentissages des acteurs et ouverture à la négociation. L’impulsion de l’État et l’action législative sont ici primordiales pour établir des droits à un débat, sans cela, impossible. En France, la dynamique de rationalisation portée par l’État au moment de l’entrée dans le Marché Commun a pour contrepartie paradoxale la réactivation d’une forme de démocratie dans l’entreprise, à travers une institution délaissée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le comité d’entreprise. Dans ce contexte, le levier est ici d’abord la formalisation d’une procédure d’information-consultation, en relation avec des mesures sociales telles que les préretraites, en vue d’atténuer l’effet des pertes d’emplois. Ces avancées institutionnelles sont confortées au niveau européen par les directives sur le licenciement collectif (1975) et le transfert d’entreprise (1977), qui renforcent le droit des salariés et de leurs représentants à l’information-consultation et appellent à sa diffusion dans les autres pays de la Communauté puis de l’Union. Si, dans le cas allemand, ces avancées paraissent négligeables en regard de ce qui existe déjà, elles sont sources d’aménagements importants dans le cas anglais ou dans celui des pays de l’Est européen. On trouverait un écho à ces débats dans les développements de la jurisprudence canadienne, mais avec les limites que rencontre un système fondé sur l’accréditation syndicale et une pratique de la négociation qui risque de se placer sur le terrain de la compensation financière de la perte d’emploi.

3L’existence de ces cadres de débat a conduit, depuis maintenant près de quatre décennies, à une forme d’apprentissage institutionnel de la restructuration par les salariés et les directions d’entreprise. Dans nombre de cas, cet apprentissage a permis de sortir de la simple recherche de compensation à la perte d’emploi et à la mobilité externe, pour envisager en premier lieu les potentialités de l’entreprise dans le choix d’un développement cohérent avec sa spécialisation et les capacités de ses salariés. Après des périodes plus ou moins conflictuelles, une capacité d’écoute de la part des directions et de propositions de la part des représentants des salariés s’est faite jour dans des entreprises telles que les banques. Au-delà de l’entreprise particulière et de la singularité de sa trajectoire, la dynamique des restructurations fait apparaître l’importance d’un ancrage dans une branche. Ici, on voit s’esquisser un élargissement des questions ayant trait aux conditions de travail et à l’emploi, comme dans le cas des télécoms. Cependant, cette ouverture est encore à construire pour arriver par exemple à des stratégies concertées non seulement au niveau de la branche, mais aussi à une échelle dépassant l’espace national pour envisager une dimension internationale ou, à tout le moins, européenne. Ainsi, le secteur automobile apparaît comme un secteur pionnier dans la recherche d’une régulation dépassant le niveau national à travers la négociation d’accords cadres internationaux qui s’appuient sur l’expérience, déjà relativement ancienne, des comités d’entreprise européens. Mais il demeure encore à la recherche d’une stratégie industrielle au niveau de l’Union, qui permette d’envisager la question d’un arbitrage entre délocalisation vers des pays à moindre coût de main-d’œuvre et défense de l’emploi industriel quand une base syndicale forte et des institutions représentatives du personnel ont le poids suffisant pour l’imposer. En effet, dans la voie européenne vers une économie fondée sur la connaissance et l’innovation, une gestion de la main-d’œuvre focalisée sur la mobilité et l’ajustement au niveau des marchés paraît suicidaire. En l’absence d’une double logique d’engagement – celui de l’entreprise sur l’emploi et celui du salarié dans son travail – il est difficile d’envisager une activité véritablement innovante qui repose en premier lieu sur l’investissement des salariés. Dans le même temps, le nécessaire rattrapage de développement des pays nouvellement intégrés à l’Union implique d’accepter que des entreprises s’y implantent. Cette logique de délocalisation ne peut porter ses fruits que si l’Union cesse de considérer l’ouverture commerciale au reste du monde comme une ardente obligation s’imposant au mépris de la dignité des travailleurs. Un certain courage politique sera sans doute nécessaire, pour faire en sorte que la liberté des échanges au-delà de l’Union soit conditionnée à la reconnaissance de conditions de travail décentes en préservant pour se faire l’existence d’un « marché intérieur ».

4On le voit, les dynamiques institutionnelles conduisent à l’ouverture de débats dans l’entreprise qui nécessairement poussent à s’interroger sur l’élaboration de politiques industrielles et commerciales au niveau des différentes branches. Mais, dans le même temps, cette ouverture est loin d’être acquise dans les situations concrètes de restructuration, où se dessinent dans les pratiques des acteurs, des orientations contradictoires tant au niveau des directions d’entreprise que des salariés et de leurs représentants.

5Une première orientation consiste dans un évitement du débat collectif soit par la fuite vers les licenciements individuels, soit par la recherche de transactions sur les départs. Cette dimension transactionnelle conduit à mettre l’accent sur les contreparties financières au départ des salariés dans les situations de suppression d’emplois, que ces contreparties soient discutées individuellement ou collectivement. Cette orientation est à l’œuvre dans de nombreuses situations de licenciements, où la négociation et les luttes tendent à se focaliser sur le niveau de la prime face à des directions de filiales ou d’établissements de groupes multinationaux étrangers à la logique du débat dans l’entreprise. Elle est parfois renforcée par le souci de privilégier les départs volontaires, en tablant sur les incitations que peuvent produire des primes substantielles. L’urgence dans laquelle s’enferment les acteurs s’oppose au temps long qu’implique le débat sur l’avenir de l’entreprise.

6Face à une orientation fondée sur la volonté de solder la rupture, la familiarisation avec les cadres institutionnels de la restructuration encourage une orientation vers un approfondissement du débat sur le devenir des salariés dans l’entreprise et sur le devenir de l’entreprise. Certes, cette orientation est aujourd’hui fragilisée par la crise économique et l’urgence qu’elle tend à faire peser sur les entreprises. Elle a cependant émergé, à partir du souci du législateur de donner du poids aux propositions économiques des représentants des salariés, de donner du temps au débat et de réorienter la négociation en passant de la question des suppressions d’emplois à celle de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Les restructurations tendent ainsi à lier le devenir de l’entreprise à celui des salariés, sur la base d’une conception renouvelée de l’emploi. En effet, l’emploi dont il s’agit ne se réduit plus à un volume, voire une masse salariale, il correspond au collectif des salariés dans l’entreprise, collectif dont il s’agit d’évaluer la cohérence à un moment donné, mais aussi dans le temps. Cela oblige à prendre en compte non seulement la capacité de l’entreprise à honorer ses commandes, à répondre aux marchés, mais aussi à envisager la trajectoire des salariés dans et en dehors de l’entreprise. À ce titre, la réflexion sur les marchés transitionnels engagées par B. Gazier et G. Schmitt ne se conçoit pas simplement dans une logique d’insertion réparant les dégâts de la désindustrialisation. Elle s’applique également à l’emploi dans l’entreprise, c’est-à-dire au devenir de l’activité des salariés et à leur carrière. De là une conception renouvelée de l’anticipation qui, au-delà de la prise en compte visionnaire de grandes tendances de l’économie, envisage les salariés comme des acteurs de la réussite de l’entreprise, un potentiel à valoriser au-delà de l’ajustement d’une quantité de main-d’œuvre aux fluctuations du chiffre d’affaires.

7Cette ouverture encore balbutiante implique une prise de conscience de la part des acteurs, tant en ce qui concerne les acteurs économiques et syndicaux que l’État. Elle appelle à un effort de cohérence et de dédramatisation des enjeux, à la fois pour éviter que le temps du débat ne soit écrasé par la recherche de compensations financières à court terme des pertes d’emplois et pour faire en sorte que la logique de la flexibilité ne balaie les bases institutionnelles d’une logique de l’engagement.

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