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L'Europe des sciences et des techniques

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Liliane Hilaire-Pérez
, 
Fabien Simon
, 
Marie Thébaud-Sorger

Les lieux de savoir

Focus thématique. Les mécaniques des Pinchbeck, entre champs de foire, boutiques et dépôts de modèles

Liliane Hilaire-Pérez

Volltext

1Horloger et fabricant d’objets divers en quincaillerie (toyman), le Londonien Christopher Pinchbeck (1670-1732) illustre le rôle joué par ces artisans dans la production d’automates et la commercialisation des spectacles mais aussi les liens qui s’instaurent avec la montée d’une culture mécanicienne. Dans le cas de Pinchbeck, ces passerelles se marquent dans la géographie urbaine par l’apparition de dépôts de modèles ou repositories.

2Installé à Fleet street, haut-lieu des fabricants d’instruments et de la science newtonienne, Pinchbeck père construit sa réputation grâce à des curiosités, tel le « Grand Theatre of the Muses ». Horloge musicale qui produit des chants d’oiseaux imitant la nature à la perfection et des airs de Handel, le théâtre des Muses est itinérant. Ses annonces publicitaires dessinent la géographie des divertissements londoniens : Hyde Park Corner, Covent Garden, la salle de concert de Panton street, les foires réputées pour leurs attractions, Bartholomew et Southwark et des coffee-houses de la City. Cette itinérance trouve un point d’ancrage, en 1731, dans le magasin de Pinchbeck, où le théâtre des Muses sert de divertissement pour accueillir les clients.

3À partir des années 1730, la nouvelle génération de toymen que représentent les fils de Pinchbeck réinvestit ses savoir-faire dans la réalisation de modèles mécaniques utilitaires, au service d’investisseurs dans les mines, les routes, les équipements portuaires et urbains. Les mises en scène font une place grandissante aux modèles mécaniques.

  • 1 Bailey William, The Advancement of Arts, Manufactures and Commerce or Description of the Useful Ma (...)

4Cette inflexion sous-tend la création de la Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and Commerce, appelée couramment Society of Arts en 1754 [Académies*]. Son credo est le bien public et la philanthropie (Paskins, 2014). Les inventions sont encouragées comme moyens de réforme (emploi des pauvres, approvisionnement en grains) et la Society of Arts se distingue par son hostilité aux patents, accusés d’alimenter l’affairisme. Elle préfère les récompenses et les médailles et développe les moyens de diffusion, avec des transactions imprimées (57 volumes de 1783 à 1851), des séries de publications et un dépôt public de machines créé en 1761, le Repository. Les modèles sont nombreux (158 en 1783). Pour les inventeurs peu fortunés, qui ne peuvent accéder au coûteux système des patents, ce dépôt offre l’occasion de valoriser et de protéger leurs œuvres (Fox, 2009). Les modèles exposés sont de « véritables outils promotionnels ». De plus, ils sont connus et réputés grâce à des catalogues1. Ceux-ci connaissent une diffusion rapide : à Paris, l’hôtel de Mortagne (1782) les acquiert et des mécaniciens répliquent des modèles à partir de ces ouvrages (Hilaire-Pérez, 2012). Le Repository jouit enfin, d’un certain prestige : non seulement la Society of Arts est sise dans le quartier à la mode du Strand mais le dépôt est doublé d’expositions artistiques organisées à l’étage (moulages, dessins de fabrique). Ces collections, éclectiques, font écho aux pratiques développées par les membres de la société qui comprennent des érudits collectionneurs de médailles, de coquilles et de minéraux. La Society of Arts participe à la diversification des usages des collections auprès d’un public urbain qui s’adonne de plus à la pratique de la visite. Le Repository de la Society of Arts doit donc se comprendre aussi dans le contexte de l’essor des dispositifs de médiation visuelle (Altick, 1978), à la fois dans l’espace savant et dans la sphère marchande.

5C’est ce qui se confirme avec les Pinchbeck. Christopher Pinchbeck fils (1710-1783) est élu membre de la Society of Arts en 1757 (et de la Society of Civil Engineers en 1774). Il installe dans son magasin de Hay-Market, un Repository, salle de vente dans laquelle sont exposés des curiosités, des horloges et des instruments scientifiques. Au fil des années, Pinchbeck fils intègre des modèles mécaniques, « pour le plaisir et l’instruction » : parmi les objets exposés, figure une grue à roue (wheel-crane) qui évite les accidents. Le but de Pinchbeck est de vendre sa mécanique à des entrepreneurs.

6Mais cet objet participe aussi de dynamiques publiques. C’est une invention soutenue par la Society of Arts au nom de la préservation de vies. Commandée par la société à Pinchbeck en 1762, elle est installée sur un quai de la Tamise, testée par des expériences publiques et primée par une médaille d’or en 1767. Un modèle est aussi exposé dans le Repository de la société et décrit dans les catalogues des Bailey. C’est la conservation de ce modèle qui assure la pérennité et la transmission de l’invention. En effet, la grue a été délaissée sous London Bridge et est tombée en ruines. En 1786, un autre inventeur, Bunce, présente un mécanisme perfectionné et explique s’être inspiré du modèle exposé par la Society of Arts. Le sien est à son tour, patrimonialisé dans le Repository de la société.

7Le cas des Pinchbeck est illustratif de l’émergence des collections techniques à Londres au XVIIIe siècle, croisant l’économie artificieuse des spectacles d’horlogerie et l’essor d’une culture mécanicienne, portée par des médiations commerciales et savantes, comme l’atteste la polysémie du Repository, salle de vente, inscrite dans le court terme des affaires, et dépôt d’inventions, visant la constitution d’une mémoire de l’invention.

Literaturverzeichnis

BIBLIOGRAPHIE

Altick Richard, 1978, The Shows of London, Londres/Cambridge (Mass.), The Belknap Press.

Fox Celina, 2009, The Arts of Industry in the Age of Enlightenment, Londres/New Haven, Yale University Press.

Hilaire-Pérez Liliane, 2013, La pièce et le geste. Artisans, marchands et savoirs techniques à Londres au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel.

Hilaire-Pérez Liliane, 2012, « Une histoire comparée des patrimoines techniques. Collections et dépôts d’inventions en France et en Angleterre aux XVIIIe et XIXe siècles », in Christophe Prochasson et al. (dir.), Faire des sciences sociales. Comparer, Paris, éditions de l’EHESS, p. 159-189.

O’Connell Sheila, Porter Roy, Fox Celina et Hyde Ralph, 2003, London 1753, Londres, David R. Godine.

Paskins Matthew, 2014, « The Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and Commerce and the material public Sphere, 1754-1766 », in Ileana Baird (dir.), Social Networks in the Long Eighteenth Century: Clubs, Literary Salons, Textual Coteries, Newcastle, Cambridge Scholars, p. 77-95.

Anmerkungen

1 Bailey William, The Advancement of Arts, Manufactures and Commerce or Description of the Useful Machines and Models contained in the Repository of the Society of Arts, 1772; Bailey Alexander Mabyn 106 Coopper Plates of Mechanical Machines and Implements of Husbandry Approved and Adopted by the Society of Arts, 1782.

Autor

Professeur d’histoire moderne à l’université Paris Diderot et directrice d’études à l’EHESS. Elle est spécialiste de l’histoire de la culture technique et des échanges dans l’Europe moderne. Après L’expérience de la mer. Les Européens et les espaces maritimes au XVIIIe siècle (Seli Arslan, 1997), elle a publié L’invention technique au siècle des Lumières (Albin Michel, 2000) puis La pièce et le geste. Artisans, marchands et savoirs techniques à Londres au XVIIIe siècle (Albin Michel, 2013). Elle est directrice de publication de la revue Artefact. Techniques, histoire et sciences humaines.

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