1Quand Hans Lipperhey, opticien en la ville de Middelbourg, située dans la province de Zélande, présente, en septembre 1608, sa nouvelle invention aux États généraux des Provinces Unies, à La Haye, ce sont les applications militaires de l’instrument qui principalement enchantent les témoins. Bien que Lipperhey reçoive 300 florins pour cet appareil d’optique – et la promesse d’en empocher 600 de plus lorsqu’il en livrera trois autres – il n’obtient pas le privilège exclusif (patent) qu’il souhaite, étant donné que deux autres personnes déclarent presque aussitôt connaître « l’art de voir les choses lointaines comme si elles étaient toutes proches ». Il semble donc ne pas y avoir de « secret » à protéger pour la fabrication de cet appareil, qu’on nomme alors en néerlandais instrument om verre te sien. En effet, la nouvelle de cette invention – et des exemplaires de l’instrument pour observer les choses lointaines – se diffuse rapidement à travers l’Europe par l’entremise, entre autres, du réseau diplomatique. En quelques mois, des fabricants des grandes capitales placent sur leurs étals des spécimens, habituellement de piètres qualités, de cet appareil d’optique.

2Ce n’est qu’à la mi-juillet 1609, soit neuf mois après la présentation initiale de Lipperhey, que Galilée entend finalement parler de cet instrument d’optique lors d’une courte visite à Venise. De retour à Padoue, il découvre en l’espace d’une journée le « secret » de cet occhiale di canna. Vers la fin du mois d’août, Galilée présente une version grandement améliorée de l’instrument (grossissement fois neuf) au Doge et au Sénat de Venise, qui lui octroient aussitôt un poste à vie de professeur de mathématiques à l’université de Padoue où il enseigne déjà (fig. V dans le cahier iconographique). Ce sont, une fois de plus, les avantages militaires de l’instrument qui valent à Galilée cette récompense inhabituelle. Or, ce n’est pas l’emploi terrestre de cet instrument qui fera la gloire de Galilée, mais bien son usage céleste.

3Galilée n’est pas le premier à tourner son regard vers les étoiles avec un « télescope ». Le substantif telescopium (formé du grec τηλε, tele, pour loin et σκοπεῖν, skopein, pour regarder), n’a été formé qu’en 1611 par le prince Federico Cesi, fondateur de l’Accademia dei Lincei. Galilée, avant d’utiliser le nom de telescopium, se sert, entre autres, de l’appellation latine perspicillium. Bien qu’il pointe dès septembre ou octobre 1609 son télescope en direction de la lune, Galilée ne se lance dans une observation systématique du ciel qu’après avoir fabriqué un instrument produisant un grossissement fois vingt. À partir du mois de novembre, il découvre une lune avec des montagnes et des vallées, loin d’être la sphère parfaite et lisse décrite dans la cosmologie des Anciens. En janvier 1610, une série d’observations lui fait constater une chose des plus admirables : d’autres « étoiles » orbitent autour de la planète Jupiter. Cette révélation est si puissante qu’il délaisse l’italien pour le latin lors de la prise de notes d’observation – en prévision de la publication du Sidereus Nuncius, le messager des étoiles. Il ne s’arrête pas là. Il remarque que la Voie lactée est composée d’innombrables étoiles, composant cette trainée laiteuse au sein du firmament. Fin janvier, il dénombre plus de 40 étoiles autour des sept, visibles à l’œil nu, que compte la constellation des Pléïades ; il fait de même au début février avec les étoiles formant la ceinture et l’épée d’Orion. À peine quatre mois après le début des observations célestes de Galilée, soit le samedi 13 mars 1610, le Sidereus Nuncius sort des presses vénitiennes de Tommaso Baglioni. L’ouvrage fait immédiatement sensation.

4Le succès de Galilée repose sur la fabrication et le polissage des lentilles qui composent ses télescopes. Il s’agit avant tout d’un savoir-faire artisanal, que Galilée perfectionne chez les opticiens de Venise et qu’il combine à une théorie optique tirée de la tradition médiévale. Personne, au début des années 1610, n’est en mesure d’égaler les instruments de Galilée. Ce dernier, d’ailleurs, cherche à tout prix à préserver ce monopole des télescopes puissants (soit vingt fois et plus). Contrairement aux ouvrages de mathématiques dits usus et fabrica, le Sidereus Nuncius est plutôt silencieux quant à la notion de fabrica. L’ouvrage est habilement rédigé pour octroyer le maximum de crédit à Galilée et le minimum d’information aux possibles compétiteurs. C’est dans le même ordre d’idée que Galilée ne fait parvenir ses télescopes qu’à des princes et des cardinaux, sachant pertinemment qu’ils pourront accréditer ses observations astronomiques cependant que leur position sociale les empêchera de faire concurrence à un « vulgaire » mathématicien – statut dont il cherche à se défaire. En baptisant les satellites de Jupiter Medicea sydera, ou étoiles médicéennes, Galilée obtient, après négociation, le titre de philosophe de la cour du Grand Duc de Toscane, Cosme II de Médicis. Cette position exceptionnelle, qui rapporte à Galilée la jolie somme de mille scudi par année (comparable au salaire du Maggiordomo Maggiore, le plus haut responsable de la cour florentine), lui procure avant tout une protection et une liberté intellectuelle sans égale.

5Après l’observation des phases de la planète Vénus à l’automne 1610, il ne fait plus aucun doute dans l’esprit de Galilée que le système héliocentrique décrit par Nicolas Copernic dans son De revolutionibus orbium cœlestium (1543), dans lequel la terre est mise en mouvement autour du soleil, est véridique, bien qu’il aille à l’encontre des saintes écritures. Les découvertes télescopiques de Galilée sont tellement persuasives – et dangereuses pour le statu quo de l’Église tridentine – qu’elles forcent la congrégation de l’Index de Rome à prohiber en 1616, après plus de 70 ans, l’ouvrage de Copernic, qui pourtant avait bénéficié d’une étude approfondie tout au long du XVI^e siècle. La mise à l’index de l’ouvrage de Copernic est un avertissement à peine voilé de l’Église à l’endroit de Galilée lui-même. Ce dernier n’y aura pas formellement égard, une attitude qui mènera à sa propre condamnation par le Saint-Office le 22 juin 1633.