L'Ouest1 : du MRP au gaullisme en passant par les Indépendants (1956-1967)
p. 141-151
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Index géographique : France
Texte intégral
1Cette région qui correspond quelque peu à l'Ouest d'André Siegfried était relativement homogène politiquement pendant la période concernée, votant majoritairement à droite ou au centre ; seuls deux départements étaient plus favorables à la gauche : les Côtes-du-Nord et la Loire-Atlantique.
2Pendant les années soixante, cette région s'est profondément transformée : modernisation rapide de l'agriculture accompagnée d'une accélération de l'exode rural, implantation d'usines nouvelles (électronique, automobile) nécessitant une main-d'œuvre nombreuse et peu qualifiée (les hommes pour l'industrie automobile et les femmes pour l'industrie électronique). La presse quotidienne comprend plusieurs titres d'importance inégale2, mais un seul couvre toute la région : Ouest-France qui depuis sa fondation en 1944 s'affichait clairement MRP et soutenait le général de Gaulle en 1958.
3Les nouvelles conditions économiques entraînèrent des mutations sociales mais il n'est pas sûr qu'elles eurent une influence immédiate sur les rapports de force et les choix politiques. En revanche, le changement de régime et surtout la figure du général de Gaulle eurent d'importantes répercussions dans des terres de droite, parfois profondément marquées par la guerre et la résistance comme la Bretagne ou la Basse-Normandie.
Une terre d'élection(s) du MRP ou des Indépendants3 ?
4Le MRP, en position dominante en Bretagne (5 départements), était concurrencé par les Indépendants dans tout l'Ouest. Depuis les élections de 1946, il subissait une lente érosion due au système des apparentements, et, en 1951, à la concurrence du RPF qui n'avait pas tout à fait la même clientèle mais le prestige du général de Gaulle, le poids des résistants gaullistes comme dans le Finistère pesèrent, en 1956, l'émergence du poujadisme et du dorgérisme y contribuèrent.
Une région de droite divisée à la veille des élections de 1956
5Les élections législatives de 1951 virent la mise en place du système des apparentements qui devaient « corriger » le système de la proportionnelle et surtout isoler le PCF et le RPF.
6Les élections de 1951 confirmèrent un Ouest votant majoritairement à droite mais une droite divisée désormais entre trois grandes forces : les Indépendants, les gaullistes et le MRP. Les Indépendants étaient plus puissants en Basse-Normandie (26 % des sièges) qu'en Bretagne (12,8 %) tandis que le MRP résistait dans cette région (26 %) et était à égalité avec les Indépendants en Basse-Normandie. Le RPF fut le grand gagnant de ces élections avec 30 % des sièges en Bretagne et le tiers en Basse-Normandie tandis que la gauche restait particulièrement faible dans celle-ci (environ 13 % des sièges). En Bretagne comme en Basse-Normandie, le succès du RPF était incontestablement dû au prestige de la Résistance dans ces régions, à celui du général de Gaulle et à des listes conduites principalement par d'anciens résistants. Enfin, le RPF pénétra certes dans des terres de droite mais aussi dans des terres radicales en Basse-Normandie.
7Son semi-échec sur le plan national affaiblit le RPF et dès les élections municipales de 1953 il perdit des sièges : un sur deux dans le Finistère par exemple4. Les treize députés RPF de cette région se représentèrent en 1956 mais seulement quatre d'entre eux le firent sous l'étiquette « gaulliste » : Pierre de Bénouville (Ille-et-Vilaine), Claude Hettier de Boislambert (Manche), Raymond Triboulet (Calvados) et Victor Golvan (Morbihan) ; huit adoptèrent l'étiquette Indépendants5 et un était sur une liste RGR.
8Mais l'apparition de deux « trouble-fête » les poujadistes et les dorgéristes modifia la donne en 1956. Sauf dans la Manche, ils présentaient une ou deux listes. Elles reflétaient tout un pan traditionnel de l'économie (les artisans, les commerçants et certains agriculteurs), inquiet des changements économiques en cours. Les listes poujadistes obtinrent leurs scores les plus élevés dans l'Ouest intérieur : Ille-et-Vilaine, Sarthe, Vendée et surtout la Mayenne et le Maine-et-Loire. Quant aux dorgéristes, leur liste recueillit près de 16 % des suffrages en Ille-et-Vilaine, le département qui vit la création du premier comité de défense paysanne en 1929. Les suffrages obtenus sont éphémères non seulement à cause du changement de république mais aussi parce que les candidats de ces listes furent peu nombreux à se représenter même sous une autre étiquette6. Les listes gaullistes en 1956 obtinrent moins de 5 % des voix en Bretagne et moins de 8 % en Basse-Normandie ; le seul élu gaulliste fut Raymond Triboulet. Cela profita au MRP qui recueillit un peu plus de 22 % des voix (- 2 points) en Bretagne et 17,5 % des voix en Basse-Normandie soit une perte de 3 points, mais sans perdre de sièges et en Bretagne il gagna même un siège. Les Indépendants progressèrent dans cette dernière région avec huit sièges contre cinq mais stagnèrent en Basse-Normandie. Enfin la gauche était à peu près étale avec toutefois une progression en voix mais pas en sièges.
9Le résultat des législatives de 1956 dans l'Ouest modifia le rapport des forces politiques moins du fait de la formation du Front républicain que de la décomposition du RPF entraînant une poussée des Indépendants et du mécontentement d'un secteur économique traditionnel qui s'exprima à travers les listes poujadistes et dorgéristes mais sans lendemain car leurs mouvements respectifs n'arrivèrent pas à s'organiser durablement comme le montre l'exemple du Finistère où Pierre Poujade dut intervenir lui-même à plusieurs reprises7.
10Ces élections de 1956 révélaient un Ouest rural inquiet et mécontent. Inquiétude face à la croissance d'un exode rural qui alimentait principalement la région parisienne, inquiétude et mécontentement d'une population rurale (agriculteurs, commerçants et artisans des communes rurales) devant les transformations économiques, parfois l'affaiblissement du pouvoir d'achat, ce qui était fortement ressenti en Bretagne où l'agriculture était encore archaïque qu'il s'agisse de l'équipement ou du fonctionnement.
Un basculement hésitant vers le gaullisme
11Dans cet Ouest majoritairement à droite, l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle pouvait signifier une stabilité retrouvée et souhaitée et, apparemment au-dessus des partis — ce qui séduisit la Basse-Normandie — ainsi que le règlement annoncé de la question algérienne (avec l'ambiguïté que l'on connaît) ; de Gaulle symbolisait encore plus la résistance et, dans les régions normandes et bretonnes, cela joua un rôle-clé comme le prouve l'exemple du Finistère.
12Dès janvier 1957, le délégué national à la propagande des républicains sociaux était venu dans ce département pour sonder l'hypothèse d'un retour au pouvoir du général de Gaulle et spécialement la popularité d'une telle attitude. L'année 1958 fut encore plus révélatrice. Très symboliquement, une pétition fut déposée à l'Élysée par deux marins, le 28 avril 1958, et signée par tous les habitants de l'île de Sein demandant le retour au pouvoir du général de Gaulle. De même le 17 mai 1958, un Comité de salut public fut créé à Brest avec à sa tête un ancien FFL, François Creignou, président départemental de l'association des Français libres et ancien RPF. Quant à l'Association nationale pour le soutien à l'action du général de Gaulle, elle apparut dans le Finistère en juin 1958 sous l'impulsion de Charles Le Goasguen, compagnon de la Libération8 ; elle aurait eu dès le début août 1958 entre huit à dix mille adhérents si l'on en croit les inspecteurs des renseignements généraux...
13Ouest-France s'était déclaré favorable à de Gaulle et soutenait le oui au référendum. Tout l'Ouest a donné une large majorité au Oui9 ; en Bretagne et Basse-Normandie, il recueillit plus de 80 % des voix (95 % dans le nord Finistère10) et même plus de 90 % en Basse-Normandie ; un seul département, les Côtes-du-Nord, était plus réticent ; avec 78 % des suffrages en faveur du oui, ce département restait fidèle à son image de département de gauche, même si en l'occurrence nombre d'électeurs de gauche, socialistes mais aussi communistes avaient voté oui, ici comme ailleurs. L'arrivée au pouvoir du général de Gaulle et le changement constitutionnel furent bien accueillis ; l'Ouest de la France rejoignait l'Est dans cette large approbation. Toutefois, dans cette région comme ailleurs, les législatives montrèrent le décalage entre la pratique référendaire de type bonapartiste en 1958 et les élections « locales ».
Pas de raz-de-marée en 1958
14Ces élections, en rupture avec celles de 1956, étaient les premières de la Ve République et se déroulèrent au scrutin majoritaire à deux tours et non plus à la proportionnelle. 64 sièges furent attribués à l'Ouest soit 13,76 % des sièges, représentant 13,69 % des inscrits en France. Les députés dans cette région « pesaient » de 55 000 (Basse-Normandie) à 62 000 inscrits (Bretagne). Le découpage des circonscriptions ne correspondait plus aux arrondissements comme sous la IIIe République, mais prenait en compte les choix électoraux antérieurs. Par exemple, dans les Côtes-du-Nord11, les cantons de Rostrenen et Saint-Nicolas-du-Pelem qui votaient communistes et appartenaient au même arrondissement, furent rattachés à la circonscription de Loudéac, assurant a priori des élections plus favorables au nouveau pouvoir, ou en tout cas à la droite.
15Les législatives intervinrent deux mois après le référendum sur la nouvelle constitution et le nouveau parti gaulliste, l'UNR (Union pour la nouvelle République), même s'il réactivait ici ou là l'ancien RPF, n'avait été créé que deux mois à peine avant la nouvelle échéance électorale. Contrecoup du référendum, deux types de candidats se réclamèrent du gaullisme : ceux investis par l'UNR et ceux s'étiquetant Indépendants tout en se réclamant du général de Gaulle12. Certains hommes politiques rejoignirent l'UNR pour s'approprier l'étiquette gaulliste et ne la conservèrent que le temps de ces élections ; en 1962 ils redevinrent modérés ou Indépendants (dans leur profession de foi) ; d'autres comme Gabriel de Poulpiquet de Brescanvel (Landerneau) adhérèrent à l'UNR et gardèrent l'étiquette du parti gaulliste dans les élections ultérieures. L'UNR ne présenta pas partout des candidats soit pour ménager des figures locales « gaullistes » comme René Pleven dans la circonscription de Dinan, soit en raison de la faiblesse de son implantation ; en Bretagne, elle avait des candidats dans 23 circonscriptions sur 33, en Basse-Normandie dans 10 circonscriptions sur 13, au total l'UNR était absente dans 17 circonscriptions sur les 64 du grand Ouest. Parmi les candidats de l'UNR en 1958, certains étaient d'anciens députés RPF comme Pierre Guillain de Bénouville, élu en 1951 en Ille-et-Vilaine, qui se présenta dans la circonscription de Fougères, d'autres étaient des députés gaullistes sortants comme Raymond Triboulet dans le Calvados (circonscription de Bayeux). D'autres encore avaient été des militants actifs du RPF comme Corentine Piriou à Brest ; outre les candidats désignés par l'UNR, d'autres se déclarèrent gaullistes sans avoir reçu l'investiture comme Suzanne Ploux dans la circonscription de Châteaulin13 et nombreux furent les Indépendants qui se réclamèrent du général de Gaulle comme Jean Le Duc à Morlaix. Comme au RPF, se réclamer du général de Gaulle ne signifiait pas avoir été résistant et inversement, parmi les candidats Indépendants ne se réclamant pas du général de Gaulle comme parmi les candidats et futurs élus MRP, nombre d'entre eux étaient d'authentiques résistants ce qui put jouer en leur faveur y compris contre un gaulliste. Le nombre de candidats présentés par l'UNR révélait les limites de son implantation et le fait que se réclamaient du général de Gaulle, des candidats non UNR, était évidemment symptomatique de la captation de l'image du général de Gaulle.
16Pendant la campagne électorale, la gauche était quasiment hors course ou incapable de s'unir au second tour. Les affrontements se firent surtout à l'intérieur de la droite et du centre-droit ; ils furent très vifs entre les gaullistes et les candidats MRP qui se disputaient la même clientèle électorale ainsi qu'envers certaines figures de la IVe République comme dans la circonscription de Lisieux où Joseph Laniel, ancien ministre et président du Conseil, affirmait faire confiance au général de Gaulle pour faire une « paix française » en Algérie, mais était manifestement plus réticent pour les affaires intérieures14.
17Les résultats du premier tour, influencés par les conséquences du nouveau mode de scrutin et du découpage des circonscriptions, étaient aussi le reflet du reclassement en cours des forces politiques dû aux suites de la crise de mai 1958. Rares furent les candidats élus au premier tour et dans l'Ouest, l'UNR ne faisait pas l'unanimité. La région restait une terre du MRP avec 27 % des voix contre 14 % sur le plan national et la Bretagne lui accordait environ un tiers des voix au premier tour. À l'inverse, la Basse-Normandie s'avérait une terre résolument gaulliste avec 25 % des voix (16 % en Bretagne). Les quatorze élus du premier tour étaient presque tous des députés sortants, un seul était un nouveau venu comme député, Robert Bisson, UNR, le vainqueur de Joseph Laniel ; il l'emporta avec plus de 62 % des suffrages exprimés et 47 % des inscrits. Près de la moitié des autres élus sortants étaient MRP, souvent solidement installés comme Alexis Méhaignerie dans la circonscription de Vitré ; René Pleven, fortement engagé dans le développement de sa région comme président du CELIB (Centre d'études et de liaison des intérêts bretons), venait de quitter l'uDSR et se présentait sous l'étiquette très floue de « républicain d'union » : il fut l'un des mieux élus de France avec plus de 69 % des voix15.
18Lors du second tour, le désistement ne fut pas la pratique la mieux partagée à droite ; la circonscription d'Avranches battit une sorte de record avec trois indépendants et un gaulliste, outre un candidat de gauche. Si la gauche pratiqua plus volontiers le désistement républicain, il est des refus qui marquèrent durablement les esprits comme dans la circonscription de Guingamp avec le maintien du candidat socialiste empêchant la réélection du député communiste sortant16.
19Ces premières élections législatives de la Ve République virent l'écrasement de la gauche non seulement en nombre de sièges, mais aussi en pourcentage de voix. Pour la première fois depuis le Second Empire, la Bretagne n'avait aucun élu de gauche et celle-ci n'obtint que 26 % des suffrages ; quant à la Basse-Normandie et aux Pays de Loire, ils avaient un député SFIO chacun (les circonscriptions de Cherbourg et la 3e du Mans). La droite et le centre-droit dominaient dans tout l'Ouest. Sur l'ensemble de la région, et en nombre de sièges, l'UNR arrivait en 3e position (18 élus) derrière les Indépendants et le MRP. Un regard plus précis montre que l'UNR avait le plus d'élus en Basse-Normandie, en Bretagne c'était le cas du MRP (phénomène accentué par les suffrages exprimés)17. Dans les Pays de Loire, le Maine-et-Loire à lui seul envoya à l'Assemblée nationale cinq députés sur les six du département et sur les huit, élus par la région. Trois départements n'élirent aucun député UNR : les Côtes-du-Nord, la Mayenne et la Sarthe ; ce furent les Indépendants et le MRP qui en profitèrent.
20Le changement de République, l'ambiguïté sur la question algérienne entraînèrent lors des élections une nouvelle répartition des forces de droite dans la région et laminèrent la gauche. Des députés MRP ou CNIP se substituèrent à elle. Les députés MRP ou CNIP les plus anciennement implantés se maintinrent tels Marie-Madeleine Dienesch dans les Côtes-du-Nord ou Paul Ihuel dans le Morbihan. Si le MRP fut parfois battu par l'UNR, il sortit gagnant face à des députés sortant de gauche. Quant à l'UNR, ses élus étaient parfois totalement nouveaux, cas le plus rare, car le plus souvent il s'agissait d'anciens adhérents du RPF, voire d'anciens élus de celui-ci comme Raymond Triboulet.
21Le nouveau rapport de forces était incontestablement favorable à l'UNR et se faisait au détriment des Indépendants en Bretagne, aux dépens également des Indépendants mais aussi du MRP en Basse-Normandie. La mutation n'était cependant pas achevée et les gaullistes, exceptés Raymond Triboulet et Louis Terrenoire, députés sortants, devaient confirmer leur score.
Vers l'enracinement du gaullisme (1962-1967) ?
22Entre les scrutins législatifs de 1958 et 1962, l'Ouest témoigna à plusieurs reprises son soutien à la personne du général de Gaulle et à sa politique. Lors des élections au suffrage universel indirect à la présidence de la République, les élus de l'Ouest élirent le général de Gaulle, président de la République avec le pourcentage de voix le plus élevé de France (77,5 %) ; la Basse-Normandie lui donna même 93,5 % des voix de ses élus. Lors des référendums sur l'autodétermination de l'Algérie ou les accords d'Évian, le Oui l'emporta toujours plus largement que dans le reste du pays18. En revanche, lors des votes à l'Assemblée concernant la loi d'orientation agricole ou encore l'Europe, les députés de l'Ouest, MRP ou Indépendants, prirent souvent leurs distances. Le plus révélateur fut le débat sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Lors du vote de la motion de censure du 5 octobre 1962, une large majorité de députés de l'Ouest l'ont votée (41 d'entre eux sur 64) : les deux députés SFIO, la quasi-totalité des députés MRP, René Pleven, la majorité des Indépendants. Parmi ceux qui refusèrent de voter la motion de censure, outre les députés UNR, des Indépendants comme Olivier de Sesmaisons, ancien résistant19. Le vote positif de la motion de censure provoqua la réaction immédiate du général de Gaulle qui décida de dissoudre l'Assemblée nationale et plaça les élections trois semaines après le référendum sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct.
23Les résultats du référendum (28 octobre 1962) montraient le désaccord entre les élus et la population qui infligeait un désaveu à ses élus puisque l'Ouest approuvait le projet constitutionnel avec 74 à 77 % (moyennes régionales) en faveur du Oui (62,2 % en France). Les deux départements les plus contestataires (les Côtes-du-Nord avec 67 % et la Sarthe avec 63 % de oui) étaient encore au-dessus de la moyenne nationale et les dix autres départements avaient voté oui entre 72 à 80 %. Le désaccord était réel mais à nuancer en raison du caractère plébiscitaire pris par le référendum. Les législatives de novembre allaient permettre de clarifier la position des uns et des autres.
1962 : un enjeu crucial pour les gaullistes
24Le scrutin législatif se déroula alors que le conflit algérien était officiellement terminé. Si la population approuvait largement la politique algérienne du président de la République, les élus étaient plus critiques en politique intérieure comme venait de le montrer la motion de censure.
25Pour ces élections, les gaullistes étaient présents dans la quasi-totalité des circonscriptions. Lorsqu'ils ne désignaient pas de candidats, c'était pour laisser la place libre à des candidatures de MRP ou d'Indépendants qui n'avaient pas voté la motion de censure tel Olivier de Sesmaisons à Ancenis ou qui bénéficiaient de faveur tel René Pleven à Dinan.
26Dès le premier tour, trente députés sur 6420 furent élus, et, fait majeur, l'Ouest donnait à l'UNR le tiers de ses députés élus au premier tour, confirmant son attachement au gaullisme. Qui étaient-ils et pourquoi furent-ils élus dès le 18 novembre ? La Basse-Normandie élit onze de ses treize députés, tous gaullistes dont les deux sortants, la Bretagne élit également onze députés mais sur 33 avec une majorité de MRP, 2 UNR et 3 RI (Républicains indépendants), tandis que les autres départements des Pays de Loire élirent sept gaullistes et 2 MRP. L'impact de la motion de censure et du référendum très proche fut profond et explique des résultats très favorables à l'UNR dès le premier tour tandis que le MRP subissait le contrecoup de son vote en faveur de la motion de censure, même si en Bretagne il réussissait à conserver des fiefs. Les députés UNR étaient des députés sortants (Raymond Triboulet, Louis Terrenoire, etc.) mais aussi des nouveaux venus21 à la députation mais disposant d'une assise électorale non négligeable comme Suzanne Ploux. Les Indépendants et les MRP élus au premier tour étaient des députés sortants souvent maires et conseillers généraux — Henri Fréville à Rennes —, voire anciens ministres — René Pleven à Dinan, Christian Bonnet à Auray (Morbihan).
27La percée du gaullisme se confirma au second tour avec une implantation plus large. Au final, les gaullistes remportèrent 38 sièges sur les 64, le MRP seulement 13 sièges. La gauche réapparaissait en Bretagne et Pays de Loire avec un élu SFIO à Saint-Nazaire22, un PSU à Morlaix23 et un PCF au Mans24 Les grands perdants, aux côtés du MRP, étaient les Indépendants réduits à la portion congrue y compris les Républicains indépendants25 !
28L'omniprésence des gaullistes continuait de s'imposer dans le Maine-et-Loire (tous les sièges) et en Basse-Normandie avec les trois quarts des sièges ; cette dernière était l'autre grande région gaulliste avec l'Alsace. La Bretagne était la plus réticente à la pénétration gaulliste, l'UNR obtenant un peu plus de la moitié des sièges, le Finistère étant le département le plus gaulliste avec six élus sur huit. Le MRP gardait quelques fiefs en Ille-et-Vilaine, en Mayenne.
29Ces élections virent l'affirmation de la république gaullienne et l'Ouest en devenir un de ses bastions en laminant les Indépendants mais en ne s'imposant que difficilement dans les terres démocrates-chrétiennes en particulier bretonnes. Ces mêmes terres qui avaient vu le vote de la motion de censure par leurs députés et les révoltes paysannes violentes du début des années soixante26.
Stabilisation et enracinement ?
30Les élections législatives de 1967 se déroulèrent à échéance normale pour la première fois depuis 1951, après une période de paix27 et de croissance économique mais non sans de fortes transformations sociales. Dans l'Ouest, la conjoncture commençait à se retourner en faveur de la région en particulier en Bretagne ; des entreprises traditionnelles fermaient mais d'autres ouvraient fortement consommatrices de main-d'œuvre (Citroën, Michelin, etc.) suite à une politique volontariste de l'État. Cette évolution accompagnait une forte baisse de la population active agricole (- 15 000 par an) et les ouvriers, les cadres moyens, les employés voyaient leur part augmenter dans la population active.
31Sur le plan national, le scrutin présidentiel de 1965 avait accéléré une réorganisation des forces politiques. La gauche non communiste, désormais structurée en une fédération souple, la FGDS, avait signé un accord de désistement pour le second tour avec le PCF. D'autre part, le Centre démocrate s'efforçait de rassembler les anciens du MRP, des membres du CNI voire des éléments de centre gauche.
32Dans la région, lors des élections de 1967, à gauche, le PCF était comme toujours présent partout tandis que la FGDS était absente de quelques circonscriptions soit par faiblesse soit en raison d'accords passés avec le PSU. L'UD-Ve, quant à elle, n'était absente que dans huit circonscriptions où se présentaient des ralliés, centristes ou indépendants, comme Christian Bonnet, Raymond Marcellin, Michel d'Ornano. Le Centre démocrate se présentait presque partout avec 59 candidats. Les électrices et les électeurs élirent 23 candidats dès le premier tour ; deux départements donnèrent la victoire à la majorité : le Morbihan avec quatre élus républicains-indépendants et le Maine-et-Loire avec cinq élus gaullistes. Au second tour, la gauche bénéficia de la réorganisation de ses forces et les accords de désistement lui permirent une remontée significative avec quatre socialistes élus, deux PSU et un communiste ce qui ne s'était pas vu dans la région depuis 1958. Le Centre démocrate avec onze sièges confirmait son déclin, laminé entre le gaullisme et la gauche ; il souffrait aussi de ralliements entre 1962 et 196728.
33En 1967, on assiste à une stabilité globale des élus. Les gaullistes dominaient avec 36 députés et étaient majoritaires dans les trois régions de l'Ouest ; ils étaient renforcés par dix républicains indépendants. Toutefois, ces élections révélaient une gauche réorganisée, conquérant des sièges dans des circonscriptions qui lui étaient a priori acquises (Lorient, Nantes -2, Saint-Brieuc). La gauche avait été victime de ses divisions en 1958 avec des triangulaires ; en 1962, le contexte de la fin de la guerre d'Algérie et de la croissance économique ne lui était guère favorable. L'élection présidentielle et la recomposition des forces qui la suivit, lui permirent de répondre à de nouvelles attentes.
34De 1956 à 1967, le paysage politique de l'Ouest se reconfigura en suivant plus ou moins rapidement les évolutions nationales. Progressivement, le mouvement gaulliste s'est enraciné avec une terre acquise en Basse-Normandie et une Bretagne, démocrate-chrétienne, favorable à de Gaulle lors des référendums mais plus difficile à convertir pour les autres scrutins. Enfin, 1967 voyait réapparaître la gauche non communiste, reconquérant ses terres, signe avant-coureur des bouleversements des années soixante-dix.
Notes de bas de page
1 L'Ouest tel qu'il est entendu ici comprend les régions de programme : Basse-Normandie, Bretagne, Pays de Loire.
2 Dont Le Télégramme de Brest qui rayonne sur la moitié ouest de la Bretagne, Presse-Océan sur les pays de Loire, etc.
3 Pour les résultats électoraux, cf. entre autres Michel Boivin, Jean Quellien, Bernard Garnier, Atlas historique et statistique de la Normandie occidentale à l'époque contemporaine, vol. 2 : Élections 1871-1994, Caen, CRHQ, éd. diffusion du Lys, 1995, 392 p., Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, Rennes, éd. Ouest-France Université, 1989, 500 p. et sous la direction de François Lebrun, Histoire des pays de Loire, Toulouse, éd. Privat, 1972,462 p.
4 Cf. Jacqueline Sainclivier, « Les élus RPF en Bretagne, des hommes neufs ? », dans De Gaulle et le Rassemblement du peuple Français (1947-1955), éd. par la Fondation Charles de Gaulle et l'université de Bordeaux 3, Armand Colin, 1998, p. 363.
5 Maurice Grimaud, Joseph Pinvidic, Michel Raingeard, Olivier de Sesmaisons, Étienne Toublanc pour la Bretagne et Pierre Couinaud, Pierre Hénault et Paul Pelleray pour la Basse-Normandie.
6 En Ille-et-Vilaine, le seul à le faire en 1958 est Dorgères dans la circonscription de Redon et il est battu par un Indépendant. Voir aussi Christian Bougeard, « Les Français et la politique des années 1950 au milieu des années 1970 en Bretagne », dans Bulletin de l'IHTP, n° 79, 1er semestre 2002, p. 178-220.
7 Marie-Aude Jacq, Le mouvement Poujade dans le Finistère de 1955 à 1971, UBO, maîtrise, 1997, 99 p.
8 Pierre Dathanat, L'unr et les gaullistes dans le Finistère de 1953 à 1969, UBO, maîtrise, 2001, p. 43-47.
9 Outre l'atlas de Normandie déjà cité, à partir de 1958, deux atlas recensent et cartographient les résultats électoraux : Thierry Bonenfant et Jean-François Guezou, Atlas électoral du Grand-Ouest depuis 1958, Rennes, éd. Ouest-France Université, 1982, 235 p., et surtout Michel Nicolas et Jean Pihan, Les Bretons et la politique. 30 ans de scrutins en Bretagne, 1958-1988, Rennes, PUR, 1988, 253 p.
10 C'est-à-dire dans le Léon, terre du conservatisme clérical, « terre de prêtres ».
11 Arnaud Le Breton, L'évolution du communisme rural dans le sud-ouest des Côtes-du-Nord, 1958-1983, (cantons de Callac, Gouarec, Maël-Carhaix, Rostrenen, et Saint-Nicolas du Pelem), UBO, maîtrise, 1998, p. 67.
12 Du moins pour les élections car ensuite ils critiquèrent la politique algérienne du général de Gaulle, puis sa politique intérieure.
13 Née en 1908, résistante, elle était maire de Pont-de-Buis depuis 1945 et conseillère générale du Faou depuis 1995. Elle fut écartée en raison de la présence de Jean Crouan, pilier du CNIP, gaulliste ; l'UNR n'avait pas voulu lui déclarer la guerre ni sans doute y envoyer une femme, cf. Pierre Dathanat, op. cit., p. 54.
14 Il fut battu dès le premier tour par le maire et conseiller général de Lisieux, Robert Bisson, UNR.
15 Cf. Christian Bougeard, René Pleven. Un Français libre en politique, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 1994, p. 334-335.
16 Cf. Arnaud Le Breton, op. cit., p. 69.
17 Douze sièges comme les Indépendants mais 33 % des voix contre 22 à 23 % aux Indépendants.
18 En janvier 1961 : 82,2 % en Bretagne et 87,6 % en Basse-Normandie (72,7 % en France). Lors du référendum d'avril 1962, 94,5 % de oui en Bretagne, 92,4 % en Basse-Normandie et 90,8 % en France.
19 Mais le suppléant de Raymond Marcellin vota la motion de censure... ; il est vrai que ce dernier avait été exclu des Indépendants car il avait accepté de remplacer au gouvernement le MRP Joseph Fontanet en mai 1962.
20 En France seulement 96 élus soit 20 % des circonscriptions.
21 Leur âge, leur profession ne les distinguait guère de leurs prédécesseurs.
22 François Blancho, maire de Saint-Nazaire de 1925 à 1941 et depuis 1945.
23 Tanguy Prigent, PSU, ancien ministre de l'Agriculture du GPRF présidé par de Gaulle, député en 1936, vote non en juillet 1940, réélu député de 1945 à 1958, échoue en 1958.
24 Robert Manceau, cheminot, résistant, était conseiller municipal, conseiller général et député de 1945 à 1958, puis de nouveau en 1962. La Sarthe était le seul département de l'Ouest à avoir un député communiste.
25 Au total sept députés dont trois devenus Républicains indépendants.
26 Cf. Bernard Bruneteau, Les paysans dans l'État. Le gaullisme et le syndicalisme agricole sous la Ve République, L'Harmattan, 1994, 282 p. et Nathalie Duclos, Les violences paysannes sous la Ve République, Economica, 1998, 281 p.
27 La première depuis 1939.
28 Telle Marie-Madeleine Dienesch, députée de Loudéac ; MRP, ralliée au gaullisme, cela lui valut un poste de secrétaire d'État.
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Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008