1 En 1992, l’Association française d’histoire religieuse contemporaine consacrait sa journée annuelle au thème « Histoire et théologie ». L’ouvrage rassemblant les communications fut publié en 1994 sous la direction de Jean-Dominique Durand, en conservant le même titre (Beauchesne). Il comprenait cinq communications de Philippe Boutry, Ralph Gibson, Jacques Prévotat, Guy Bédouelle et Étienne Fouilloux. Ce texte servait d’introduction à la journée, avec celui de l’historien et théologien Pierre Vallin. Les conclusions de la journée avaient été tirées par François Laplanche (« Histoire et théologie : difficultés et chance d’un dialogue »). J’ai hésité à reprendre hors contexte un article qui mêle approche historiographique, réflexion personnelle et pédagogie afin de montrer aux historiens la difficile approche du matériau théologique. Pour aider les jeunes historiens du christianisme, j’avais mis en place, notamment avec François Laplanche, des stages d’initiation aux disciplines théologiques dans le cadre du GDR 1095, équipe CNRS que je dirigeais alors, puis de la chaire d’Histoire et sociologie du catholicisme contemporain, à la Section des Sciences religieuses de l’EPHE à laquelle je venais d’être nommé en 1993. Cet article a été retouché à la marge, sauf quelques notes indispensables à la compréhension de certaines allusions, pour lui conserver sa valeur de témoignage d’un historien qui, par ailleurs, faisait un retour définitif à l’histoire religieuse après avoir eu, dans la décennie précédente, autour de la Révolution française, d’autres centres d’intérêt personnel et collectif (démographie, iconographie et cartographie).
2 Langlois Claude, « Trente ans d’histoire religieuse », Archives de sciences sociales des religions, no 63/1, janviermars 1987, p. 85-114.
3 La « revue internationale de théologie » Concilium est créée en 1965 avec dix sections dont l’énumération (1. Dogme, 2. Liturgie, 3. Pastorale, 4. Œcuménisme, 5. Morale, 6. Problèmes frontières, 7. Histoire de l’Église, 8. Droit canonique, 9. Spiritualité, 10. Écriture sainte) montre la volonté de maintenir les secteurs classiques de la théologie (1, 2, 5, 7, 8, 9, 10), d’en privilégier certains (3) et d’en introduire aussi de nouveaux (4). La section « Histoire de l’Église » disparaît en 1973, la perspective historique étant en principe réintroduite dans chaque autre section.
4 Waché Brigitte, Mgr Louis Duchesne (1843-1922), Rome, École française de Rome, 1992, p. 525 et suiv.
5 La grande œuvre de Bremond est commencée avant la guerre ; les premiers volumes sont prêts en 1914. L’ouvrage en fait paraît chez Bloud et Gay de 1916 à 1933. Voir Goichot Émile, Henri Bremond, historien du sentiment religieux, Strasbourg, Ophrys, 1982.
6 Certeau Michel de, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975 ; La fable mystique, Paris, Gallimard, 1982.
7 « Il y a des secteurs que le catholique s’interdit d’explorer, celui de la Révélation. Car si les mythes des peuples archaïques sont une invention, une explication, une réplique (ou si l’on veut une hypothèse) de la tribu, du clan, les mystères chrétiens sont une dictée de Dieu à l’homme qui se borne à traduire en son langage. » (Préface à Boulard Fernand, Premiers itinéraires en sociologie religieuse, Paris, Éditions ouvrières, 1954, p. 7.)
8 De la plus classique Histoire de l’Église de Fliche et Martin, commencée en 1934, à la récente Histoire du christianisme dont les premiers volumes sont parus en 1990 en passant par la plus populaire Histoire de l’Église du Christ de Daniel-Rops (première parution en 1948).
9 Le retour de l’« Histoire de l’Église » au sein de la théologie s’effectue discrètement par divers cheminements : nouveaux manuels, histoire apologétique, etc. Sur le fond, Bedouelle Guy, Histoire de l’Église, science humaine ou théologique ?, Paris, Mentha, 1992. L’auteur conclut curieusement en suggérant que le dernier mot reste… à la poésie.
10 Le Goff Jacques et Nora Pierre (dir.), Faire de l’histoire, Paris, Gallimard, 1973.
11 Allusion à la polémique concernant les débuts du récit des origines dans les deux versions de Pierres vivantes, le « catéchisme » de l’Église de France (1980-1983).
12 Voir Vallin Pierre, Les chrétiens et leur histoire, Paris, Desclée, 1985, dans la collection de théologie dirigée par Joseph Doré.
13 À titre d’exemple, Charles Piétri, historien et chrétien, Paris, Beauchesne, 1993. L’ouvrage regroupe, avec une préface de Philippe Levillain, les articles écrits par Charles Pietri dans la revue Les Quatre fleuves où se sont rencontrés, de 1973 à 1988, un certain nombre de théologiens et surtout d’historiens du christianisme, notamment de l’Antiquité chrétienne.
14 Cette présence concomitante de théologiens « historiens » et d’historiens du religieux appartenant à deux générations différentes mériterait sans aucun doute une particulière attention. Quelques approches au cas par cas, notamment des médiévistes, en direction du père Chenu.
15 C’est en 1822 qu’Auguste Comte, énonçant sa fameuse loi des trois états, écrit : « Par la nature même de l’esprit humain, chaque branche de nos connaissances est nécessairement assujettie dans sa démarche à passer successivement par trois états théoriques : l’état théologique ou fictif ; l’état métaphysique ou abstrait, l’état scientifique ou positif. » (« Opuscule fondamental », d’après Système de politique positive, t. IV, appendice général, 4e éd., Paris, Crès, 1912, p. 77). Comte, alors dans la mouvance de Saint-Simon, élabore sa doctrine propre tout en traduisant le sentiment de toute une génération de penseurs qui partent de l’identique constat de la mort présumée du catholicisme pour s’approprier, à des fins de transformation sociale immédiate, une potentialité religieuse devenue disponible.
16 Boudon Jacques-Olivier, L’épiscopat français de l’époque concordataire. Origines, formation, désignation, thèse de doctorat, Paris 4, 1991 (L’épiscopat français à l’époque concordataire [1802-1905]. Origines, formation, nomination, Paris, éditions du Cerf, 1996).
17 Comme en témoignent les travaux connus de Bernard Plongeron (théologie politique à l’époque des secondes Lumières), Claude Bressolette (Mgr Maret), Xavier de Montclos (Mgr Lavigerie), Jacques Gadille (les évêques du début de la IIIe République) et, pour le XXe siècle, diverses enquêtes, plus récentes, menées autour de l’Action française et de la Seconde Guerre mondiale.
18 Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Paris/Tournai, Casterman, 1962.
19 Deux moments différents : la synthèse de John T. Noonan (Contraception et mariage, édition anglaise, 1966 ; trad. française, Paris, éditions du Cerf, 1969) et la thèse de Jean Guerber (Le ralliement du clergé français à la morale liguorienne, soutenue en 1965 à l’université grégorienne, publiée en 1973), bien qu’adoptant des perspectives différentes, sont contemporaines. C’est par contre le centenaire (1991) de Rerum novarum qui a occasionné nombre de colloques dont les Actes sont en cours de parution.
20 En fait il faut sans doute distinguer deux questions différentes : l’articulation théorie-pratique : par exemple, s’agissant de la théologie de Liguori : comment s’opère sa vulgarisation ? De quelle manière son adoption modifie-t-elle les pratiques des confesseurs ou des fidèles ? Les colloques sur Rerum novarum ont été pour une large part consacrés à répondre à des questions similaires. L’existence d’une temporalité théologique spécifique : peut-on par exemple identifier avec pertinence une conjoncture courte ? (Langlois Claude, « La difficile conjoncture liguorienne de 1832 », in Doré Joseph et Theobald Christoph [dir.], Penser la foi. Mélanges offerts à Joseph Moingt, Paris, éditions du Cerf/Assas éditions, 1993, p. 645-661.) (Voir infra, p. 173-184.) Peut-on surtout repérer des ruptures importantes dans le champ de la pensée théologique, indépendamment des grandes crises liées à des condamnations romaines ?
21 Au premier chef, Lourdes, Histoire authentique des apparitions, Paris, Lethielleux, 6 vol., 1961-1964. Puis aussi Pontmain, la Rue du Bac. La critique ne portait pas sur le travail d’érudition, de première main, qui servait de soubassement à ce récit, mais sur la production d’une histoire très factuelle qui postulait la réalité de l’apparition et ne rendait pas compte des conditions de la production du phénomène apparitionnel.
22 Paris, Nouvelles Éditions latines, 1952. Sur la couverture figure le titre de l’ouvrage en français, mais la vraie page de titre porte Maria Ecclesia Sacerdotium. Essai sur le développement d’une idée religieuse. L’avertissement liminaire précise que ce livre « se place sur un terrain strictement historique. L’étude théologique fera l’objet d’un deuxième volume » (p. 7). Toutefois, malgré cette dissociation mise en avant, l’intention affichée reste très normative : « Cette étude n’a pas été entreprise pour justifier le titre de vierge-prêtre, mais pour tirer au clair un problème inquiétant abandonné aux excès de la passion. Qu’on ne cherche pas ici un plaidoyer, mais un effort objectif pour discerner les équivoques et les dangers d’un thème ambigu où beaucoup se sont fourvoyés. » Dans l’esprit de Laurentin, il ne pouvait s’agir d’examiner un discours théologique comme d’autres mais une « idée religieuse » qui se fourvoyait puisque, au terme de son développement, Rome l’avait discrètement condamnée.
23 Court traité de théologie mariale, Paris, Lethielleux, 1959. Au moment où la mariologie triomphe sous Pie XII (cf. Manoir Hubert du, Maria, Études sur la Vierge Marie, Paris, Beauchesne, 7 vol., 1947-1964) avec la définition de l’Assomption (1950), René Laurentin fait figure de théologien à la fois conservateur, dans la mesure où il défend le domaine menacé de la théologie mariale, et novateur, dans la mesure où il pressent la nécessité de rénover cette théologie, notamment à partir d’études scripturaires plus sérieuses.
24 Travaux en cours autour du concile de Vatican II dont Étienne Fouilloux donnait dans le même recueil un exemple précis (« Les théologiens romains à la veille de Vatican II »).
25 Langlois Claude et Laplanche François (dir.), L’« Encyclopédie théologique » de Migne (1844-1873) entre apologétique et vulgarisation, Paris, éditions du Cerf/Sciences en situation, 1992.
26 La réédition d’ouvrages des siècles précédents se retrouve particulièrement dans la première des trois séries de l’Encyclopédie théologique.
27 C’est la définition que donne par exemple le Dictionnaire de culture religieuse et catéchétique du chanoine Louis-Emmanuel Marcel, Besançon, 1938.
28 On veut ici souligner les deux principales tensions qui traversent le champ théologique. La première a trait au statut du théologien dans le catholicisme : a-t-il pour fonction première d’expliciter l’enseignement du magistère ou d’exprimer de manière cohérente les aspirations de la communauté croyante ? La seconde concerne l’autonomie personnelle du théologien : comment concilier l’expression d’une pensée théologique originale, singulière, historiquement située, avec l’obligation de la référer à une tradition largement normalisatrice ?
29 Dictionnaire de théologie catholique, article « Théologie », fort classique, du Père Congar. Voir notamment toute la partie historique et aussi les modes de classement plus ou moins raisonnés des différentes branches de la théologie (col. 493-495).
30 Dans le catholicisme, la qualité de théologien se définit par une compétence intellectuelle (sanctionnée par un diplôme canonique) et par un enseignement dans une faculté de théologie ou un séminaire. Le problème le plus fréquemment posé est le statut du théologien en conflit avec l’autorité ecclésiastique (évêques ou supérieurs d’ordres) qui est aussi en France son seul employeur, depuis la suppression des facultés de théologie d’État (qui ne subsistent qu’en Alsace-Moselle). Comment la situation peut-elle à l’avenir évoluer ? Verra-t-on notamment arriver sur le « marché » des théologiens ayant une compétence intellectuelle reconnue sans devenir enseignants dans une institution ecclésiale ?
31 Voir diverses recherches connues de Dominique Julia.
32 Hocedez Edgar. L’ouvrage en trois volumes est publié à Bruxelles, chez DDB, 1947-1953.
33 On fait évidemment ici référence à la théologie telle qu’elle fonctionne au moins jusqu’au milieu du XXe siècle. Mais qui prétendrait que ce modèle est devenu caduc ?
34 Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident (XVIe-XVIIIe siècle) qui ouvre cette série date de 1983 (Paris, Fayard). On accordera une particulière attention au petit livre du même auteur, L’aveu et le pardon. Les difficultés de la confession, XIIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1990, qui constitue une remarquable introduction à l’histoire de la théologie morale à travers l’étude de ses concepts spécifiques.
35 Ory Pascal et Sirinelli Jean-François, Les intellectuels en France de l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 2e édition, 1992. Sur l’émergence de cette nouvelle histoire, Sirinelli Jean-François, « Le hasard ou la nécessité ? Une histoire en chantier : l’histoire des intellectuels », Vingtième siècle. Revue d’histoire, janvier-mars 1986, p. 97-108.
36 Benda Julien, La trahison des clercs, Paris, Grasset, 1927 ; Le Goff Jacques, Les intellectuels au Moyen Âge, Paris, éditions du Seuil, 1957. Ce dernier aurait plutôt tendance à voir les philosophes comme les nouveaux intellectuels du Moyen Âge, mais les grandes figures auxquelles il se réfère sont aussi d’éminents théologiens comme Thomas d’Aquin ou Bonaventure.
37 Il est utile de s’interroger sur le rôle des théologiens dans le catholicisme à la lumière d’études portant sur le fonctionnement des intellectuels dans d’autres contextes idéologiques. Voir par exemple les deux volumes de Verdes-Leroux Jeannine, Au service du parti et Le réveil des somnambules, Paris, Fayard, 1983 et 1987, qui étudient à larges traits le rapport entre « le parti communiste, les intellectuels et la culture » de 1944 à 1985.
38 Ory Pascal et Sirinelli Jean-François, Les intellectuels en France…, op. cit., p. 5 et suiv., « Le baptême [sic] de l’intellectuel ».
39 Je partage entièrement les conclusions d’Étienne Fouilloux, prenant acte des changements des XIXe et XXe siècles : « Ces évolutions justifient donc bel et bien le projet d’une histoire de la foi et des croyances, d’une histoire des théologies et des spiritualités. » (Au cœur du XXe siècle religieux, Paris, Les Éditions ouvrières, 1993, p. 20.) On ne peut que renvoyer au dense et riche (« Itinéraire d’une recherche », p. 7-21) qui sert d’introduction à l’ouvrage cité.
