Introduction

1Dès1 1996, un réseau européen, le réseau EMES2, est constitué en vue d’étudier et caractériser les dynamiques entrepreneuriales à finalité sociale en Europe. En effet, depuis le début des années 90, l’économie sociale y connaît une certaine effervescence (Defourny et Mertens, 2008). À partir du champ des possibles offerts par la société privée de capitaux, la coopérative et la logique associative, les débats portent notamment sur les statuts juridiques qui seraient les mieux adaptés aux nouvelles initiatives qu’on caractérise de tiers secteur, d’économie sociale et/ou d’économie solidaire (Laville et Cattani, 2006). Ainsi, durant une quinzaine d’années, la plupart des pays européens vont mettre au point les fondements juridiques de leur propre entreprise sociale, plus ou moins proches des cadres associatifs et coopératifs « traditionnels » (Defourny et Mertens, Ibid.). À la suite de la « coopérative sociale » inaugurée en Italie (1991), on peut mentionner la « société à finalité sociale belge » (1995), la « coopérative de solidarité sociale » (1997) et la « coopérative sociale d’intérêt limité » au Portugal (1999), la « coopérative d’initiative sociale » en Espagne (1999), l’entreprise sociale finlandaise (2004), la « common interest company » au Royaume-Uni (2005), la « coopérative sociale » en Pologne (2006) ou encore la nouvelle « entreprise sociale » italienne de 2006 (Defourny et Mertens, Ibid.). En France, ces travaux, qui impliquent acteurs et politiques (notamment en liaison avec le rapport Lipietz débuté en 1998), aboutissent à la naissance de la SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif), qu’on peut, dans un premier temps, définir comme une coopérative multisociétariale ayant pour vocation « la production ou la fourniture de biens ou de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale » (Art. 19 quinquies, loi de 2001).

2Dans ce contexte global, l’objet de cette contribution est de questionner la figure française de l’entreprise sociale que constitue la SCIC, en prenant l’exemple d’un secteur de production, la culture (Guibert, 2006). À la fin des années 90, de nombreux acteurs associatifs issus de ce secteur d’activité promeuvent « une initiative privée à d’autres fins que lucratives3 » et militent en faveur de la création d’une entreprise sociale. Quelle est la place de la culture au sein du récent statut SCIC ? Selon l’État des lieux de l’Inter Réseaux (2007), les SCIC sont investies dans un grand nombre d’activités (une quarantaine de codes NAF a été attribuée à ce jour), et, souvent, dans plusieurs activités en même temps (pluriactivité). Néanmoins, il est possible de distinguer trois grands groupes (« social », 52 % ; « environnement », 30 % ; « culture », 9 %, les 9 % restant constituant les autres domaines d’activité).

3En avril 2010, 168 SCIC sont en activité dont quinze dans le secteur des arts et de la culture. Pourtant si l’on considère le champ de la culture, on peut poser l’hypothèse que c’est plusieurs centaines de projet qui seraient susceptibles d’entrer dans le cadre défini par la SCIC au regard des 31 400 associations culturelles employeuses (Bouron, Colin, 2007). D’abord parce que les projets artistiques et culturels défendus peuvent correspondre au cadre de la SCIC (territorialité, mode de gouvernance, utilité sociale), ensuite parce 39 % des SCIC créées sont des transformations d’associations, comme le prévoit la loi, ce qui fait du statut associatif le plus grand pourvoyeur de SCIC.

4Notre propos s’articulera en deux parties. La première aura pour but de confronter la SCIC au concept d’entreprise sociale forgé par le réseau EMES. On pourra alors se focaliser sur la réalité de la SCIC aujourd’hui à partir de ses caractéristiques historiques et juridiques. Dans une deuxième partie illustrée par notre travail de terrain, nous poserons l’hypothèse que les SCIC culturelles existantes fondent deux visions différenciées de l’entreprise sociale-SCIC. On montrera que des divergences d’interprétation et d’appropriation du statut peuvent être expliquées par des raisons aussi bien contextuelles que liées à la motivation des acteurs.

Tableau 1. – Précisions sur les SCIC interviewées

	Acteurs rencontrés (profil et missions)	Intérêt social de la SCIC	Origine de la SCIC	Localisation	Nature du sociétariat en 2008
SCIC culturelles
SCIC A	Dirigeant-fondateur	Musiques actuelles	Transformation de SARL	Urbain	Privé uniquement
SCIC B	Un des co-dirigeants fondateurs1	Cinéma	Transformation d’association	Rural	Mixte Privé/public
SCIC C	Dirigeant-fondateur Salariée non fondatrice	Arts de la rue	Création ex-nihilo	Urbain	Privé uniquement
SCIC hors culture
SCIC 1	Gérante	Insertion par l’économique	Création ex-nihilo	Rural	Mixte Privé/public
SCIC 2	Les deux dirigeants fondateurs	Insertion par l’économique	Transformation de SARL	Urbain	Mixte Privé/public

1. La SCIC B n’a pas choisi statutairement la cogérance mais fonctionne de fait de manière collégiale.

La SCIC, synthèse dialectique de l’entreprise sociale ?

5Dans cette partie nous présentons la conceptualisation et la théorisation de l’entreprise sociale du réseau EMES. L’objet est dans un premier temps de rapprocher l’idéal-type « entreprise sociale » proposé par le réseau EMES de la SCIC. Dans un second temps, nous soulignons, à travers la présentation de la genèse de la SCIC, le pouvoir d’attraction de ce nouveau statut à la fois pour les milieux associatifs dans le domaine culturel et pour le mouvement coopératif.

Le concept d’entreprise sociale

6Un des apports du réseau EMES est la définition de l’« idéal-type » entreprise sociale, qui permet de positionner les organisations au sein de la « galaxie » des entreprises sociales. Defourny (2005) précise bien à cet égard que l’approche conceptuelle proposée ne constitue pas un cadre normatif visant à distinguer les entreprises que l’on peut qualifier de sociales (celles qui rempliraient toutes les conditions) des autres ; mais bien plutôt un instrument méthodologique de compréhension des démarches et postures. La définition de l’entreprise sociale retenue repose sur neuf critères dont quatre à caractère économique et cinq à caractère social (voir tableau 2).

Tableau 2. – Définition de l’entreprise sociale du réseau EMES

Caractéristiques d’une entreprise sociale selon le réseau EMES (Émergence des Entreprises Sociales en Europe), réseau de recherche pluridisciplinaire – www.emes.net

4 critères qui soulignent la dimension économique

Une activité continue de production de biens et/ou de services

Un degré élevé d’autonomie

Un niveau significatif de prise de risque économique

Un niveau minimal d’emplois rémunérés

5 critères qui permettent d’identifier la dimension sociale

Un objectif explicite de service à la collectivité

Une initiative émanant d’un groupe de citoyens

Un pouvoir de décision non basé sur la détention du capital

Une dynamique participative impliquant différentes parties concernées par l’activité

Une limitation de la distribution des bénéfices

7L’entreprise sociale européenne est d’abord issue d’une initiative collective en vue de développer une finalité sociale. Cette vision européenne de « l’entrepreneuriat social » se distingue de sa conception nord américaine qui s’intéresse avant tout à l’individu (i.e. l’entrepreneur social) qui développe une activité marchande au service d’un but social, que sa finalité soit lucrative ou pas (Dewandre, 2009). On comprend de ce fait que les enjeux autour de l’entreprise sociale sont politiques et philosophiques, la place de l’économie de marché dans le rôle de l’entreprise et la conception du monde jouant un rôle important dans la définition de ce qu’on entend par social.

8Sur le plan théorique, le réseau EMES voit dans le concept d’entreprise sociale le vecteur d’une approche intégrée de l’économie sociale, économie fortement tiraillée entre deux sphères : d’un côté, la tradition coopérative (caractérisée par des entreprises proposant des éléments de démocratie interne constitutifs mais offrant toute leur production sur le marché), et de l’autre, le monde associatif (dont les activités apparaissent tendanciellement, selon EMES, peu reliées au monde marchand). La force d’attraction entre les deux pôles repose sur l’existence au sein de chacun d’organisations proches ayant les traits de l’idéal-type entreprise sociale. In fine, le choix d’un statut coopératif ou associatif dépend surtout des dispositifs juridiques offerts par les législations nationales (Defourny et Mertens, 2008). Dans de nombreux pays, les entreprises sociales ont la forme de coopératives ou d’associations mais elles peuvent également se développer dans le cadre d’autres statuts juridiques liés au tournant des années 90 (par exemple avec la « common interest company » au Royaume-Uni ou encore « l’entreprise sociale » italienne déjà évoquées). C’est à cette réalité multiple que renvoient les pointillés sur la figure 1.

Figure 1. – Les entreprises sociales, à la croisée des secteurs coopératifs et associatifs

Source : adapté de Defourny et Mertens (2008, p.12)

La SCIC, archétype de l’entreprise sociale

9Le modèle archétypal d’entreprise sociale en France est la SCIC. Cette entreprise peut se définir par ses spécificités que sont le « multisociétariat », « l’utilité sociale » et « l’ancrage territorial » (éléments propres qu’elle ne partage simultanément avec aucun autre statut juridique actuel) et ses emprunts (éléments partagés avec les coopératives et les associations). La SCIC, structure hybride, peut alors être considérée à la fois comme une société commerciale multipartenariale d’utilité sociale et comme une entreprise à but non lucratif soumise aux règles coopératives.

10Statutairement, la SCIC est une coopérative sous la forme de société commerciale (SARL ou SA) à capital variable5. Elle respecte, en tant que société commerciale, les critères économiques de l’entreprise sociale du réseau EMES. Et partage, en outre, des principes avec les coopératives de la loi 1947 : la règle décisionnelle « 1 personne = 1 voix » (même si le fonctionnement de la SCIC peut s’en distinguer par la possibilité qui lui est offerte de constituer des collèges pour les votes en assemblée générale) et l’obligation de détenir des réserves impartageables (dans une proportion supérieure aux SCOP). Ainsi, dans une SCIC tout comme dans l’idéal type entreprise sociale ce n’est pas la mise en termes de capital qui détermine le pouvoir mais le facteur humain, et la vocation de la SCIC n’est pas de faire des profits qui seraient distribués sous forme de dividendes aux associés en fonction de leur investissement, mais bien de remplir une fonction d’utilité sociale tout en ayant un statut commercial. Certaines SCIC, comme la SCIC A que nous avons étudiée, instituent même une non lucrativité statutaire.

11Une des spécificités de la SCIC repose sur le multisociétariat qui permet de faire accéder au statut d’associé les différentes parties prenantes de la société, quel que soit leur rapport à l’activité (salarié, bénévole, usager, financeur) et leur nature (personnes physiques ou morales). Ainsi, les associés de la SCIC, comme ceux des autres coopératives, sont impliqués dans la vie de l’entreprise et les décisions de gestion. Mais le multisociétariat signifie que plusieurs parties prenantes sont simultanément impliquées. Au moins trois, dont deux obligatoires, les salariés et les usagers. Peuvent s’y ajouter les bénévoles, les collectivités territoriales ou divers groupements de personnes physiques ou morales. On y retrouve des profils aussi divers que les fondateurs (9 % des SCIC), les bénévoles (9 %), des sociétés privées (2 %), ou des comités d’entreprise6. 75 % d’entre elles ont fait le choix de pondérer – puisque le statut en donne la possibilité – les votes des diverses parties prenantes par collèges. Ainsi la SCIC se distingue du statut coopératif sur plusieurs points. D’abord l’homogénéité du groupe des membres n’est pas respectée puisque coexistent des sociétaires exerçant des fonctions différenciées.

12Ensuite les collectivités publiques peuvent entrer au capital de la SCIC (un tiers des SCIC a au moins une collectivité locale comme associé). Cette participation est limitée à une hauteur maximum de 20 %, ce qui la distingue de la société d’économie mixte. Malgré ces limites, la participation au capital des collectivités locales peut amener certaines suspicions quant à l’indépendance des structures en SCIC. La fonction simultanée de sociétaire et de subventionneur peut ainsi poser des problèmes, les structures publiques pouvant chercher à outrepasser leur pouvoir démocratique (comme en ont témoigné certaines SCIC lors de la 1^ère journée de l’Inter-Réseaux, 2008). Une partie des SCIC préfère donc, au moins dans un premier temps, cantonner les collectivités au rôle de subventionneurs partenaires, d’autres optant même pour une tenue à distance de la puissance publique, aussi bien comme sociétaire que comme subventionneur. Ce choix peut aussi s’expliquer par la crainte de ne plus être « éligibles » lors de réponses aux marchés publics. En effet (comme l’a indiqué un certain nombre de SCIC lors de la 2^e journée de l’Inter-Réseaux, 2009), les collectivités territoriales peuvent hésiter à accorder un marché à une entreprise à laquelle elles sont associées, pour ne pas risquer le conflit d’intérêts. Pour autant, fréquemment, la SCIC apparaît comme un possible outil partenarial de premier plan en termes de développement local (SCIC B par exemple). Mais dans d’autres cas, comme celui de la SCIC C, ce sont plutôt les collectivités locales qui préfèrent ne pas devenir sociétaires afin de garder une distance envers les structures qu’elles missionnent. On retrouve cela pour les structures parisiennes, les SCIC implantées en milieu rural travaillant plus souvent avec les collectivités territoriales.

13Enfin, les SCIC, comme les associations, ont la faculté de pouvoir faire appel à des bénévoles. Le réseau SCOP précise que les bénévoles sont cités dans la loi SCIC pour leur participation au sociétariat, pour ce qu’ils peuvent apporter à la gestion de la SCIC dans son double engagement économique et social, et non pas pour une participation à l’activité de la SCIC. La question du bénévolat comporte donc certaines ambiguïtés. Les multiples interprétations qu’en font les acteurs sur le terrain le confirment.

14La deuxième caractéristique des SCIC est que – contrairement aux autres coopératives pour lesquelles le législateur a cerné précisément le champ des activités possibles – elles n’ont pas à être spécialisées dans un champ d’activités précis. C’est l’utilité sociale qui en limite les contours. Ainsi, comme les associations7, les SCIC sont parties prenantes de l’économie sociale et solidaire non pas à travers le champ d’activités investi, mais par la façon dont elles l’appréhendent. Le décret du 21 février 2002 et l’arrêt du 30 novembre 1973 du Commissaire du Gouvernement M. Delmas-Marsalet, font respectivement reposer le caractère d’utilité sociale du projet de la SCIC sur sa contribution à « des besoins émergents ou non satisfaits, à l’insertion sociale et professionnelle, au développement de la cohésion sociale ainsi qu’à l’accessibilité des biens et services », et sur « les conditions dans lesquelles l’institution exerce son activité ». Si des textes de loi en précisent les contours, des débats existent toujours sur ce qu’il faut entendre derrière le concept d’utilité sociale (Gadrey, 2006) et une analyse très contextualisée et territorialisée de chaque situation pourrait être nécessaire en vue de cerner le caractère pluridimensionnel de l’utilité sociale d’un projet (Emin et Schieb-Bienfait, 2009). La SCIC doit par ailleurs présenter un caractère d’utilité sociale eu égard au territoire sur lequel elle souhaite s’implanter. C’est ainsi que le rapport au territoire, notamment rural, est souvent prégnant dans les projets culturels en SCIC. Par exemple, la SCIC B offre un accès au cinéma en milieu rural et, hors période estivale, sur le territoire côtier. Autre exemple, La SCIC Turbul’lance porteuse d’un festival en milieu rural, accompagne ainsi la mise en valeur de cet espace tout en participant à la volonté d’insertion des jeunes du pays (Est Républicain, 2009). Cet ancrage territorial facilite dans certains cas l’accompagnement du projet SCIC par les partenaires publics et l’élargissement du sociétariat à leurs institutions représentatives. Certaines SCIC résultent même d’initiatives émanant des collectivités locales ou territoriales (SCIC 1 impliquée dans l’insertion par l’économique). Toutefois si le territoire renvoie souvent au local (en termes géographiques), le concept peut aussi s’entendre, au sens large, en référence à la filière d’activité (Margado, 2002). Ainsi, la SCIC A définit son espace territorial comme celui du secteur des musiques actuelles. Pour reprendre les propos de groupe EMES sur l’entreprise sociale, les SCIC ont avant tout un objectif explicite de service à la communauté ou à un groupe spécifique, tout en encourageant le sens de la responsabilité sociale au niveau local.

15Cette présentation de la coopérative SCIC la conforme à la définition de l’entreprise sociale retenue par le réseau EMES. Elle se distingue du statut coopératif traditionnel par sa vocation d’utilité sociale et le multipartenariat, tout en empruntant au statut associatif sa gestion désintéressée ainsi que sa capacité d’appel aux bénévoles.

À l’origine de la SCIC, des mouvements associatif et coopératif convergents

16À travers le cas du monde de la culture, on peut lire les débats antérieurs à la genèse du statut SCIC en France à partir de l’idée de « force d’attraction réciproque » des sphères associatives et coopératives constitutives des diverses entreprises sociales européennes. Au tournant des années 2000, les associations culturelles à la recherche d’un nouveau statut « d’entreprise à vocation sociale » rejoignent (mais aussi se confrontent au) le monde coopératif qui cherche à se renouveler, notamment par un ancrage plus social.

17La problématique d’un « tiers secteur », ou encore d’une « économie sociale et solidaire » émerge au sein du secteur culturel au cours des années 90. Elle concerne des entreprises à la fois étrangères aux structures publiques parties prenantes de la politique culturelle initiée par Malraux (centres culturels et musées notamment) et aux « industries culturelles ». L’affirmation de ces nouvelles entreprises s’explique par le développement des aides publiques d’État, et plus largement des collectivités territoriales en direction du domaine culturel, ce dernier étant entendu dans un sens plus généraliste qu’auparavant. Dans son ouvrage, V. Dubois (1999) souligne ainsi les deux paramètres nouveaux de la politique culturelle sous le premier ministère de Jack Lang : d’abord un élargissement des activités qui relèvent de la culture, ensuite une professionnalisation accrue du secteur. Avec Jack Lang, il est courant de dire en effet qu’on passe d’une conception « esthétique » de la Culture à une acception plus large, « anthropologique », de la culture, suivant des arguments qui vont notamment dans le sens des travaux développés par Michel de Certeau8 (Poirrier, 2000). Ce développement du périmètre d’action du ministère est contemporain d’une professionnalisation croissante des activités culturelles, notamment par le détachement d’emplois publics et la création d’emplois soutenus par l’État ou les collectivités territoriales (Bureau, 2001).

18Apparaît donc un ensemble de structures professionnelles qui se développent dans des domaines « émergents » à compter de la seconde partie des années 80 (musiques amplifiées, arts de la rue, arts de la piste, compagnies de théâtre, multimédia et problématique des logiciels libres…). Elles sont souvent précaires économiquement (car elles dépendent en partie de subventions accordées conjoncturellement) et justifient ces aides par une posture « d’intérêt général ». Les structures concernées sont quasi systématiquement des associations. Elles œuvrent par exemple dans la diffusion de spectacles avec de petites jauges (« petits lieux ») ou le développement de projets et l’accompagnement d’artistes. Elles cherchent à exercer leurs activités en équilibrant leur budget pour l’année en cours. Elles développent de ce fait une diversification des sources de financement – autofinancement marchand lié à l’activité, subvention, bénévolat (Laville, 1997). Par leur statut très majoritairement associatif, tout comme par leurs vocations et le positionnement éthique dont elles se font l’écho, elles ne cherchent pas à faire de profit et revendiquent une logique d’utilité sociale (Guibert, 2007).

19À la fin des années 90, alors que le nombre de structures impliquées croit depuis une quinzaine d’années, cette orientation « tiers secteur » de la culture va « prendre du poids » car les acteurs commencent à engager une démarche collective par le biais de réseaux et de fédérations (Guibert, 2006). Il en va ainsi de la création de l’Ufisc en 1998. Cette initiative collective veut souligner la particularité des associations culturelles vis-à-vis des sociétés commerciales. En réaction à la révision des règles fiscales applicables au secteur associatif suite à l’instruction du 15 septembre 1998, les associations culturelles revendiquent en effet la spécificité économique de leur posture. L’Ufisc dénonce alors l’ambiguïté de l’administration fiscale qui n’opère pas de distinction entre ce qui est « commercial » et ce qui est « lucratif », et, en assimilant les deux notions se met dans l’incapacité de statuer sur le sort d’organismes qui accomplissent de façon professionnelle des actes commerciaux sans poursuivre pour autant un objet lucratif9.

20Cette lutte, au départ fiscale, aboutira ensuite à un positionnement plus général des structures impliquées autour de l’idée « d’une initiative privée à d’autres fins que lucratives10 ». L’Ufisc, qui regroupe au début des années 2000 onze fédérations (représentant 1500 structures) ne se reconnaît en effet ni dans la logique libérale d’une industrie oligopolistique qui confond culture et produit de consommation courante, ni dans le gigantisme de « cathédrales culturelles » trop axées sur la subvention et éloignées de la préoccupation des publics de proximité. Elle concerne des petites structures, qui se revendiquent « artisanales »11. Par ailleurs, les structures culturelles représentées au sein de l’Ufisc ont intégré de nombreux salariés issus du programme « Nouveaux Services – Emploi Jeune », dispositif qui mentionne à la fois l’importance de l’innovation et de l’utilité sociale et revendique le fait de créer de nouvelles activités dans les associations (Bureau et Schmidt, 2004).

21Alors qu’est créé un secrétariat d’État à l’économie solidaire, les préoccupations défendues par les structures culturelles investies dans l’économie solidaire rencontrent donc celles dont se fait l’écho en France le rapport Lipietz (2000). Il en va ainsi de l’opportunité de créer un nouveau statut d’entreprise sociale qui pourrait privilégier la prise d’initiative tout en soulignant la vocation sociale des structures.

22Parallèlement, au début des années 2000, une démarche collective d’innovation (DCI) – à laquelle participent de nombreux réseaux – expérimente les contours d’une nouvelle entreprise sociale. Elle n’est pas pilotée par le mouvement associatif, même si la réflexion reste ouverte aux associations, mais par la confédération générale des SCOP (CGScop)12, elle aussi intéressée par le nouveau statut dans une perspective d’ouverture participative à une diversité de parties prenantes (pour sortir des coopératives de producteurs ou de consommateurs). Certains acteurs impliqués dans les SCIC que nous avons interrogés n’hésitent pas à rappeler de manière critique que la CG SCOP a promu la SCIC (inspirée des coopératives sociales italiennes) avant tout pour des raisons politiques. Elle se serait en effet donnée pour but de construire un statut lui permettant de « raccrocher les wagons » de l’économie sociale et solidaire suite à des demandes provenant du terrain et aux débats concernant la notion émergente d’« entreprise sociale ». Ce point de vue est conforté par certains porteurs de SCIC qui pointent à ce niveau le fait que, à part le principe de gouvernance interne (un Homme égale une voix), les SCOP n’ont pas grand-chose à voir avec l’économie sociale et solidaire, notamment parce que leurs champs d’activités sont prédéfinis par décret et non pas justifiés par eux-mêmes en fonction d’argumentaires légitimant leur dimension d’utilité sociale. Cette vision est aussi développée par les acteurs culturels investis dans l’économie solidaire. Par exemple,

« À l’époque les SCOP avaient un réel problème pour ne pas apparaître comme des entreprises classiques installées sur le marché, avec un petit plus de participation salariale, mais une philosophie, une éthique un peu en panne. En interne, certaines SCOP voulaient retrouver ce lien aux territoires, aux populations, à la place des salariés… d’où l’idée des SCIC, bon c’est un peu schématique mais il y a vraiment de ça… » (entretien CNAR culture).

23La DIES (Délégation Interministérielle à l’Économie Sociale) porte le projet de loi et consulte les réseaux et initiatives participant à la DCI. Résultant de ces démarches, le texte de loi qui concerne les SCIC est publié le 17 juillet 2001. Le décret complétant cette loi parait le 21 février 2002 et la première SCIC est agréée le même jour13. Depuis la mise en place du statut, la SCIC est présentée comme une déclinaison de la SCOP qui intégrerait le multisociétariat. La documentation et l’information sur les SCIC sont gérées par la CGScop. C’est elle qui, en 2000, fut à l’origine du site internet www.resoscope.org/scic (devenu ensuite www.scic.coop) et du bulletin de liaison InfoScic14. Par ailleurs, lorsqu’ils souhaitent mettre en place une SCIC, les porteurs de projet peuvent bénéficier d’un accompagnement de sa part. Et cette institution a dirigé le programme de mise en place de la SCIC. Toutefois, 39 % des SCIC créées sont des transformations d’associations ce qui fait du statut associatif le plus grand pourvoyeur de SCIC15.

24Le déroulement historique de l’avènement de la SCIC permet d’illustrer la force intégrative que constitue théoriquement l’entreprise sociale. Il n’en demeure pas moins que les « tensions » entre ces deux pôles persistent.

Les SCIC culturelles : des profils hétérogènes qui font néanmoins appel à deux logiques constitutives

25Nos investigations nous ont amenés à distinguer deux logiques constitutives de la SCIC, que nous nommons « associatives » et « coopératives », et qui s’avèrent être en cohérence avec la genèse du statut SCIC. Ainsi, les arguments convoqués pour justifier le choix de la SCIC par nos enquêtés sont hétérogènes ; ils font cependant apparaître deux grands profils, lesquels s’opposent à la fois sur leur approche de la gouvernance, sur leurs rapports au monde marchand ainsi qu’au bénévolat. Si les acteurs de SCIC « associatives » et « coopératives » œuvrent bien au sein d’un même cadre législatif, leur vision de la SCIC et par là même leurs motifs d’action, leurs choix statutaires ainsi que leur fonctionnement peuvent être différents.

SCIC et logique « associative »

26On pourrait résumer la logique constitutive des SCIC associatives par la citation d’un des « cogérants » de la SCIC B, qui nous confiait que les trois salariés fondateurs de l’association étaient en quête d’un statut « ayant les avantages de l’association sans ses désavantages ». Ainsi, la SCIC permet d’avoir recours au bénévolat, sans être freinée par le manque de légitimité sur le marché et la gouvernance interne dont peut souffrir l’association. Elle amène aussi les associations à réfléchir à l’utilité sociale développée (notamment en termes d’ancrage territorial et de type d’activité).

La SCIC, un statut qui « fait plus sérieux »

27Une association employeuse générant un volume d’activité économique conséquent peut se sentir à l’étroit dans un statut associatif qui, tout en le rendant possible, n’a pas forcément été créé à cette fin. C’est ainsi qu’ayant débuté une activité sous forme associative, certains acteurs perçoivent à un moment donné des limites à ce statut juridique au regard de leur projet, du « bien commun » qu’elles se donnent pour but de défendre ou de promouvoir. Elles cherchent alors des solutions leur permettant d’asseoir leur activité sans obligatoirement transformer radicalement les modes de fonctionnement qui étaient les leurs. Pour ces entreprises, la SCIC parait intéressante car elle permet de conserver le bénévolat (comme dans l’association), tout en générant la création d’une société de droit privé, ce qui les rend plus crédibles sur le marché. Un des intérêts de la SCIC est ainsi, en revêtant les atours de la société commerciale, « de faire plus sérieux vis-à-vis des interlocuteurs » comme nous l’a notamment dit la SCIC B.

28Toutefois, et conformément à la logique associative, pour les porteurs de projet de ce type, la SCIC n’est pas perçue comme une société commerciale, même si elle développe des activités commerciales. Ainsi, en termes de représentations, le fait de créer une SCIC n’amène pas systématiquement les acteurs du monde associatif à réduire la distance qui les sépare idéologiquement du monde marchand16. Ceci peut avoir des incidences sur le fonctionnement des associations ayant opéré un passage en SCIC. A titre d’exemple, on pourrait interpréter les problèmes rencontrés par la SCIC E (ayant abouti à une fermeture en 2007) à partir de cette lecture17. Cette SCIC de distribution de produits culturels (« coopérative de diffusion de textes, sons, images ») était issue d’une transformation d’association en SCIC. Or l’activité générait un besoin en fonds de roulement qui s’est rapidement avéré trop important par rapport au fonds de roulement étant donné le capital social engagé par les fondateurs au démarrage de la SARL-SCIC. Mus par des principes opposés à l’économie capitaliste, ils proposèrent un business model qui dépendait avant tout des subventions. Or, selon l’Inter-Réseaux SCIC (2008), « Le passage d’une association à une coopérative n’est pas qu’un simple changement de statut, c’est aussi un changement de culture ». Par ailleurs, et au-delà de ces éventuels problèmes internes et indépendamment d’eux, la SCIC E n’a pas résisté à la baisse conjoncturelle des subventions. On peut expliquer cette baisse par la méconnaissance du statut qu’en avaient les collectivités. Elles refusèrent ainsi de maintenir des aides envers ce qu’elles considéraient n’être dorénavant qu’une société commerciale. On peut aussi y voir, au delà d’une supposée inadaptation « culturelle » des associés fondateurs, un effet pervers du changement de statut lié à la perception décalée que peuvent en avoir les acteurs environnants. Comme le rappelle F. Pecoud (2003 : 641), la nature « hybride » des SCIC est perçue de manière très différente selon les interlocuteurs. Elle relate le cas de la SCIC Atkeli dont la demande de subvention fut traitée par le « bureau des associations » de la ville de Paris qui ne tint pas compte des paramètres spécifiquement liés à sa dimension de société. A l’inverse le conseil régional d’Ile de France considéra la demande comme celle d’une entreprise standard, minimisant sa dimension d’économie solidaire.

Gouvernance : remédier aux limites associatives

29Chez les SCIC issues d’associations, l’intérêt de la SCIC en matière de gouvernance provient de l’implication possible des salariés dans les décisions, et plus largement, de l’implication des diverses parties investies. À titre d’exemple, l’association à l’origine de la SCIC B rencontrait de graves problèmes d’orientations liés à la déconnexion et aux conflits entre l’équipe salariée fondatrice de la SCIC et un Conseil d’Administration (CA) peu investi dans la structure (« un bureau fantôme qui n’était intéressé que par les bénéfices qu’ils pouvaient récolter de la structure, comme être invité au festival de Cannes mais qui ne se souciait pas de nos emplois » selon les termes utilisés). Pour cette SCIC, la nouvelle structure juridique adoptée permet ex post un réel pouvoir de décision en concertation, où la motivation des gérants est reconnue. Pour un autre gérant d’une SCIC issue d’une association, le cadre gestionnaire associatif était devenu trop lourd pour les administrateurs associatifs, compte tenu de la dépendance accrue aux collectivités locales pour trouver des financements. En conséquence, les réunions du CA étaient polluées par les affaires économiques et les discussions sur les tarifs de journées, et on ne parlait plus suffisamment du projet politique associatif (Inter-Réseaux, 2009). Le partenariat avec les collectivités est alors considéré comme un atout indéniable du statut SCIC. Par rapport à l’association, la SCIC peut ainsi prolonger et concrétiser une volonté d’ancrage de l’activité au sein d’un territoire. C’est une des pistes de travail des fédérations de spectacle vivant Fédurok (Fédération des lieux de musiques amplifiées/actuelles) et FSJ (Fédération des scènes de jazz) au sein du chantier qu’elles ont ouvert sur la question des lieux de vie musicaux en milieu rural18. Grâce au multisociétariat, les SCIC culturelles peuvent permettre de mettre en œuvre de manière plus officielle des chantiers lancés par des structures associatives. C’est ce qu’évoque L. Gardin (2006) lorsqu’il parle, pour les SCIC, de la notion de réciprocité multilatérale19.

Le bénévole, un acteur à part entière

30Les « associatifs » soulignent également l’importance du bénévolat. Ce dernier est nécessaire pour la pérennité du projet SCIC, d’abord parce qu’il fournit de la main d’œuvre essentielle, ensuite parce qu’il est partie prenante de l’utilité sociale proposée par la structure.

31La SCIC B précise :

« Si on était passé d’association à SARL, on n’aurait pas eu droit aux bénévoles. […] On serait une SARL classique… Mais du coup, on aurait arrêté l’activité depuis longtemps ! Dans la SARL classique, la caissière doit être payée, l’ouvreur, la personne aux tickets doivent être payés, l’opérateur doit être payé, la femme de ménage doit être payée… Ce qui fait que si on cumule le tout, ce n’est pas la peine. Sur une place de cinéma, on ne gagne que 10 % de bénéfice ».

32Au-delà même, il y a la revendication, pour la structure, de faire découvrir des métiers qualifiés aux bénévoles impliqués, notamment les jeunes ou les personnes en difficulté d’emploi. C’est le cas d’ouvreurs ou de projectionnistes de la SCIC B qui, d’abord bénévoles, ont ensuite pu bénéficier de contrats de travail au sein de la structure. La SCIC Turbul’lance précise, dans le même sens, que son festival « Jardin du Michel », qui emploie 700 bénévoles, est « une occasion unique [pour les jeunes] de découvrir le monde du travail, certains métiers particulièrement attractifs pour ces générations, de rencontrer des professionnels et de partager leur savoir-faire » (L’Est Républicain, 2009). Ainsi, dans le cadre de la SCIC, le bénévolat est tout aussi décisif qu’il l’était dans l’association pour des raisons de viabilité économique comme d’utilité sociale. Le projet permet en effet de tisser du lien social en impliquant des bénévoles mais peut aussi, dans une optique plus stratégique, amener à valoriser l’empowerment des personnes grâce à l’expérience bénévole en termes de compétences, d’horizon et d’inscription dans des réseaux sociaux.

SCIC et logique « coopérative »

33Ceux que nous avons qualifiés de « coopératifs » se retrouvent dans le principe des coopératives « loi 1947 » et voient dans le multisociétariat constitutif des SCIC le prolongement d’un idéal politique coopératif développé à l’ensemble des parties prenantes. Par ailleurs, ils sont souvent critiques à l’égard du bénévolat. Ils revendiquent un « principe marchand » au service d’une utilité sociale.

Un « principe marchand » au service d’une utilité sociale

34Les porteurs de ce type de projet assument le caractère commercial de leur activité, voire revendiquent un « principe marchand » (SCIC A) aux fins de satisfaire leur utilité sociale. Au cours des entretiens commandités par l’Inter-Réseaux en vue de la préparation de sa 2^e journée dédiée aux SCIC (2009), tel gérant explique que « l’intérêt de la SCIC, c’est de s’inscrire dans l’économie de marché, d’être une entreprise commerciale et de prendre en compte l’intérêt territorial » ; tel autre regrette que la dimension économique de son entreprise n’ait pas été perçue en soi et qu’on ait d’abord souligné son intérêt social ; tel autre encore déclare « La question « S’agit-il d’une dimension économique ou d’une dimension sociale » me sort par les pores. Et ceux qui disent qu’il y a le marchand et le non marchand m’emmerdent. Il y a les dépenses et les recettes. Point barre. Cela n’empêche pas d’être attentif au sens ». Certains acteurs de SCIC considèrent que le développement économique de la structure est un impératif majeur, et que ce n’est qu’à la condition d’atteindre la viabilité économique que l’objet social pourra être promu.

Gouvernance : un retour à l’idéal coopératif ?

35À propos des coopératives, le fondateur de la SCIC C déclare :

« Je suis dans les coopératives depuis longtemps, ça vient de mes parents […] Je suis pour ce principe, et notamment le principe fondamental « 1 Homme = 1 voix… » ça parait la chose la plus juste si on ne veut pas que le pouvoir de décision soit confisqué par ceux qui ont le plus de capital ».

36Et, le même, à propos du multisociétariat en SCIC :

« D’une certaine façon ça remet plein de choses fondamentales en cause dans la gestion de l’entreprise, dans le mode de structuration de l’entreprise. Ça veut dire pouvoir asseoir à la même table et avec le même pouvoir la puissance publique, l’usager et le salarié, dans la philosophie du projet c’est… c’est complètement révolutionnaire ! ».

37Bien que la fondatrice de la SCIC A ne connaisse pas le principe coopératif depuis longtemps, puisqu’elle l’a découvert en 2002 (ce qui l’a amenée peu de temps après à transformer la SARL quelle dirigeait en SCIC), elle défend le même point de vue :

« Lorsqu’on a découvert le statut SCIC, on est parti à fond car cela faisait sens. On était déjà dedans : logique, multisociétariat, esprit, pratiques20. Si j’avais connu les SCOP auparavant, j’en aurais monté une, plutôt qu’une simple SARL. Je suis dans une logique de sens ». Et, avec le multisociétariat, « la SCIC est le caillou dans la godasse d’une certaine dérive corporatiste de ce que sont les coopératives aujourd’hui. Elle en retrouve en quelque sorte l’utopie fondatrice ». Pour la directrice de la SCIC A, « ce qui empêche le statut SCIC d’émerger – autant de la part de l’institution que de l’associatif ou du business – c’est qu’ils se rendent tous compte que le statut est exigent dans l’intelligence du partage du pouvoir, peut-être que cela leur demanderait trop d’efforts ».

38C’est sur la constitution du multisociétariat que se posent les difficultés des SCIC véritablement créées ex nihilo. Comment réunir les associés nécessaires au respect des conditions administratives et à l’esprit du multisociétariat ? Des réseaux déjà solides sont indispensables, ce qui rend plus faciles les transformations de structures existantes ou les création ex nihilo « portées » par des structures existantes. Faudrait-il dans le cas de créations nouvelles imaginer, dans un premier temps, la création d’une association ou d’une coopérative loi 1947 avec pour objectif de la transformer en SCIC une fois les réseaux consolidés, comme le suggère un associé de la SCIC C ? Les fondateurs de la SCIC C, créée ex nihilo, ont constitué le premier cercle de sociétaires avec les gens qu’ils connaissaient auxquels les premières structures programmées sont venues se greffer. Convaincue de sa démarche d’intérêt collectif – portée par l’utopie d’un changement des rapports entre les structures de diffusion de spectacle vivant et les artistes parfois limités à une transaction commerciale – la SCIC C incitait fortement lors de sa première année d’existence les artistes et les compagnies qu’elle programmait à intégrer les collèges qui les représentaient. Cette « forte incitation » aboutit à ce que certains artistes ou compagnies devenus membres sans vraiment le vouloir développent une rancœur envers ce qu’ils avaient perçu comme un chantage à la programmation. Ils adoptèrent alors une démarche d’opposition à la co-construction lors des assemblées générales. On peut déduire de ces faits qu’une sensibilisation des parties prenantes ne doit pas se transformer en quasi-obligation, sous peine de « retour de bâton ».

39On doit mentionner également une autre difficulté, classique de la démocratie participative. La construction en commun demande du temps et de la logistique. Comme en témoigne la SCIC C, il est déjà difficile de faire circuler la parole et de construire le projet lors des assemblées générales. Mais à cela, s’ajoute au quotidien la complexité de l’animation des collèges. « Cela demande du temps que l’on n’a pas ». Pour la SCIC A, la gageure réside dans la capacité à réunir l’ensemble des sociétaires dans le même espace-temps de l’assemblée générale, et ce alors même que les interactions informelles sont riches et nombreuses.

Un rapport critique au bénévolat

40Les SCIC « coopératives » se retrouvent aussi dans un rapport critique au bénévolat. Il officialiserait des différences de traitements entre personnes impliquées dans l’entreprise et pourrait même aller de pair avec une logique d’exploitation. Pour la directrice de la SCIC A, « j’ai horreur du bénévolat, c’est utiliser ceux qui ont le cœur et l’âme… c’est dangereux. On utilise de la main d’œuvre sans contrepartie. Je préfère rémunérer en bonne et due forme ». Et selon la SCIC C :

« Nous ne sommes pas pour… On limite au maximum le bénévolat, on est très méfiant […] Si c’est pour trouver un équilibre économique, utiliser des bénévoles parce qu’on n’a pas la possibilité d’utiliser des salariés, ça pose un vrai problème […]. Si quelqu’un est intéressé par ce qu’on fait, on signera plutôt une convention de stage, avec un objectif très clair qu’on aura fixé en concertation avec la personne. »

41Censée être un statut rassembleur, porteur d’utopie, la SCIC apparaît donc pour les structures culturelles qui en ont adopté la forme comme un compromis imparfait entre diverses conceptions de l’organisation collective.

Conclusion

42Avec cette contribution, nous avons questionné, à travers l’exemple de la société coopérative d’intérêt collectif, la figure de l’entreprise sociale portée par le réseau EMES. En prenant pour terrain d’analyse le domaine culturel, on a voulu montrer de quelle manière l’entreprise sociale-SCIC permettait de réaliser un compromis entre les mondes associatif et coopératif. Alors que la constitution du statut fut marquée par une confrontation de points de vue hétérogènes, parfois convergents, et parfois divergents, les structures existantes demeurent dans la pratique, en termes de logiques d’actions et d’argumentaires des acteurs, soit à dominante associative, soit à dominante coopérative. Nous posons ainsi l’hypothèse de l’existence de deux logiques constitutives qui fondent deux visions de l’entreprise sociale-SCIC. De nouveaux entretiens, consolidant l’étape exploratoire de ce travail, devraient nous permettre de tester les tendances formulées avec cette hypothèse. Ils pourraient notamment permettre de sonder les points de vue portés par les différentes parties prenantes.