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L'économie sociale entre informel et formel

 | 
Annie Dussuet
, 
Jean-Marc Lauzanas

Les services aux familles offerts par les associations : un modèle de service « entre » formel et informel ?

Annie Dussuet et Dominique Loiseau

Texte intégral

1Dans la période contemporaine de crise de l’emploi, le secteur des services est très largement désigné par les pouvoirs publics comme celui qui pourrait procurer des « gisements d’emploi ». Dans cette perspective, les services destinés à faciliter la vie quotidienne des familles apparaissent très prometteurs : d’une part, ils répondent à ce qui est présenté comme de « nouveaux besoins » nés de l’évolution des modes de vie, de la transformation des structures familiales, de l’augmentation de l’activité professionnelle des femmes et du vieillissement de la population ; d’autre part, parce qu’ils supposent une relation directe avec l’utilisateur du service, ils sont difficilement délocalisables et ouvrent la possibilité d’utiliser sur place une main-d’œuvre inemployée.

  • 1  Beaucoup d’entre elles peuvent se rattacher à la JOC/F (Jeunesse Ouvrière Chrét (...)

2Mais, contrairement à ce qui a parfois été énoncé, l’idée de fournir des services aux familles ne date pas des années récentes. Dès le XIXe siècle, on a vu fleurir en France de multiples initiatives destinées à soulager les difficultés rencontrées par les familles populaires au quotidien : salles d’allaitement dans les usines permettant d’éviter la séparation entre les mères ouvrières et leurs nourrissons (Rollet, 1988), crèches dès 1844 à Paris, « salles d’asile » destinées aux enfants un peu plus âgés (1837) et qui seront remplacées par les écoles maternelles dès 1881 (Luc, 1997), aide familiale à domicile des Petites Sœurs de l’Assomption (1865) qui soignent les malades et effectuent des travaux ménagers pour soulager les mères des milieux populaires. En fournissant un cadre juridique aux associations, la loi de 1901 a permis une mise en forme légale de ces initiatives multiples et le secteur associatif s’est ainsi souvent trouvé dans une position de pionnier dans ce domaine. Aujourd’hui encore, les associations, particulièrement celles qui se réclament d’un positionnement « familial », se situent en première ligne du dispositif de maintien à domicile des personnes âgées, malades ou handicapées ; elles sont aussi très présentes dans d’autres domaines, comme ceux de l’entretien du linge, ou bien encore la garde des jeunes enfants ou l’aide aux devoirs. Dans cette activité de services aux familles, il faut noter l’importance des associations de la mouvance catholique sociale. Toutes les associations qui œuvrent en direction des familles ne s’y ramènent pas, mais le poids de cet ensemble est tel, tant en nombre d’associations, qu’en termes de personnes ou de réseaux qu’il constitue manifestement une matrice importante d’action1.

3S’inscrivant dans une perspective d’« aide aux familles », toutes ces associations proposent des services répondant à des besoins ressentis par les femmes des quartiers, elles-mêmes militantes ou simples habitantes. Il peut s’agir d’entretien du linge (procurer un accès à des appareils ménagers : machines à laver, sèche-linge, machines à coudre), d’entretien du logement (fournir une aide au domicile pendant l’absence de la mère de famille), de présence éducative auprès des enfants à travers l’entraide scolaire, de garde des plus jeunes enfants pendant que leurs parents sont absorbés par leurs occupations professionnelles, ou encore d’accompagnement dans les gestes quotidiens de personnes âgées ou handicapées grâce à des interventions aux moments des repas ou du coucher, par exemple. Il faut souligner qu’aucun de ces services ne représente une innovation en soi puisque, antérieurement à l’action associative, ils étaient ordinairement réalisés sur un mode totalement informel, dans le cadre familial ou de la proximité de voisinage, par les femmes le plus souvent (Brousse, 1999 ; Renaut, 2000 ; Daniel, 2004). Mais, alors que ces services étaient ainsi rendus gratuitement, dans une logique de don supposant des liens interpersonnels, l’intervention des associations les transforme en des prestations reçues contre paiement, même minime, et effectuées par des étrangers au cercle familial… des étrangers ou plutôt des étrangères car, même lorsqu’ils sont d’origine associative, ces services sont toujours rendus par des femmes (plus de 98 % de femmes dans les services à domicile), souvent salariées, dans une relation que l’on peut ainsi qualifier de « marchande ».

  • 2  Nous utiliserons pour cela plusieurs enquêtes auprès des associations des agglomérati (...)

4C’est à cette opération d’« externalisation » du travail domestique qui est aussi dans le même temps « formalisation » d’un service que nous nous intéresserons ici2 en montrant tout ce que cette « mise en forme » suppose d’innovations. Nous chercherons à comprendre comment les organisations du secteur associatif ont construit les services qu’elles offrent, avec quelles ressources et dans quels objectifs. Nous essaierons de voir en quoi elles sont, ou non, les mieux placées pour réaliser cette externalisation et si les services produits deviennent alors des services « comme les autres » ou bien s’ils conservent, ou pas, des spécificités de leur origine associative. Nous montrerons que, en offrant des services aux familles, les associations procèdent à une création de services paradoxale, ce qui les amène à inventer un modèle de service spécifique, intermédiaire « entre formel et informel » (partie I), mais nous verrons aussi combien ce modèle est soumis à des tensions qui poussent les organisations vers l’institutionnalisation et la formalisation. Le maintien du modèle ne semble alors pouvoir être obtenu qu’à travers le parcours de véritables cycles de vie des services, faits d’oscillations entre formel et informel, au cours desquels certains meurent parfois tandis que d’autres renaissent (partie II).

Une création de services paradoxale

5Nous examinerons dans cette partie le moment particulier, et situé dans des contextes historiques différents, de la création des services. Très classiquement, ces services prétendent apporter une réponse à des besoins, mais de façon plus originale, ils prétendent aussi le faire en respectant des valeurs qui rentrent parfois en contradiction avec les principes mêmes de l’action qu’ils engagent. C’est justement dans cette situation paradoxale que les organisations associatives procèdent à des innovations.

Une réponse à des besoins des familles…

6La production de services par les associations est souvent présentée rétrospectivement par les actrices comme la simple, l’« évidente » réponse à un besoin que les militants se trouvaient particulièrement bien placés pour percevoir, étant eux-mêmes les premiers concernés car appartenant au milieu populaire dans lequel ils s’implantent. Mais cette réponse n’obéit pas uniquement à une logique économique.

À un problème économique, une réponse sociale

7Les services nés pendant ou immédiatement après la Deuxième guerre mondiale sont d’abord des réponses à une situation de pénurie, mais c’est aussi dans une logique d’entraide que les associations nées du Mouvement Populaire des Familles créent des services destinés à pallier les besoins les plus urgents des familles ouvrières. Les restrictions alimentaires dues aux problèmes d’approvisionnement, la crise du logement et la dimension importante des familles se conjuguent pour accroître les charges matérielles auxquelles doivent faire face ces familles et particulièrement, en leur sein, les mères. Mais, parallèlement, la déconfessionnalisation opérée par ces mouvements d’inspiration catholique les conduit à prendre conscience de la dimension politique du quotidien. Ils vont donc proposer des actions ancrées dans les besoins matériels quotidiens des familles ouvrières ou populaires adhérentes : groupements d’achats, prêts d’appareils ménagers, services d’aides familiales, mais sans perdre de vue l’objectif, comme le disent les militant(e)s, de « répondre aux problèmes que nous vivons nous-mêmes avec les familles ouvrières de nos quartiers populaires » (GRMF, 1991, p. 47).

Le service des machines à laver

8Au début des années 1950, très peu de familles sont équipées en machines à laver, particulièrement dans les milieux populaires et l’entretien du linge, avec les manipulations pénibles qu’il suppose apparaît comme une des plus lourdes tâches auxquelles ont à faire face les mères de famille. L’organisation de « centres de lavage » bien équipés, et/ou l’achat, par les associations, de machines prêtées successivement aux familles adhérentes ont donc suscité un réel engouement (Loiseau, 1996). Le plus souvent est créé un service décentralisé de petites machines à laver, posées sur un chariot à roulettes pour faciliter le déplacement et, dans chaque quartier, une militante organise le calendrier de prêt et l’encaissement de la quote-part demandée aux usagères afin d’éviter « l’assistanat ». L’objectif affirmé est de soulager les mères de famille, mais aussi de donner aux femmes « des responsabilités autres que laver les casseroles et le linge » (Loiseau, op. cit.). Les femmes sont donc les premières concernées, et un certain nombre passe progressivement d’une activité limitée au quartier à une action globale au sein de l’association. Ces services ont donc aussi permis l’émergence de militantes « de base », dont certaines vont ensuite élargir leur champ d’action, au sein des fédérations ou bien dans la politique locale par exemple. Aide concrète et source de recrutement, le service machines à laver représente aussi un outil éducatif, une promotion individuelle et collective dans et par l’action des familles populaires, ainsi que le souhaitent les militants des mouvements familiaux.

Les services d’aides familiales

  • 3  La volonté d’impliquer les trois composantes (soit les « stakeholders (...)

9Au-delà de l’urgence à procurer, au cas par cas, une aide indispensable pour suppléer des mères de famille temporairement indisponibles ou surchargées, l’objectif des services d’aide familiale est aussi de prouver par leur développement même leur caractère indispensable afin qu’ils soient financés par les Caisses d’Allocations Familiales. Au quotidien, les militantes associatives, bénévoles, groupent les demandes des familles, estiment leurs besoins, encaissent leur participation financière. Elles définissent et gèrent les tâches et le plan de travail des salariées, les Travailleuses Familiales. Mais elles sont aussi membres du conseil d’administration qui a une composition tripartite (2/3 de familles usagères et de responsables militantes, 1/3 de salariées). Familles aidées (de fait, des femmes) et salariées sont donc associées au fonctionnement, même si cela s’avère souvent difficile pour les familles très populaires, voire sous-prolétaires et place par ailleurs les Travailleuses Familiales dans une position parfois inconfortable de juges et parties3.

10On voit dans ces deux exemples que la réponse à une difficulté d’ordre matériel a été trouvée ici à travers un mode d’organisation du service qui met en jeu un projet politique de relative autonomie, d’éducation et de promotion du groupe social concerné.

Pénurie et rejet des modèles existants

11Dans les années 1970, puis 1980, dans de tout autres contextes, c’est pourtant aussi une certaine pénurie qui provoque l’engagement d’associations dans la production de services externalisés destinés aux enfants : accueil de la petite enfance d’abord, aide scolaire ensuite.

Petite enfance : crèches « sauvages » et parentales

  • 4  L’arrivée à la tête des structures de directeur(trice)s (...)

12Il existe pourtant depuis plus d’un siècle une offre d’accueil destinée à la petite enfance : de nombreuses municipalités et certaines entreprises proposent des crèches, avec du personnel à la qualification reconnue. Le fait nouveau est, à partir de la fin des années 1960, la montée de l’activité professionnelle des femmes, des mères tout particulièrement, et y compris des mères de très jeunes enfants. Le besoin de garde d’enfants ne concerne donc plus uniquement des mères ouvrières contraintes par la misère à une activité salariée, mais une population féminine beaucoup plus vaste, plus instruite, qui revendique une place dans la vie sociale indépendamment de son statut de mère, mais qui manifeste aussi des exigences quant à la qualité de l’accueil réservé à sa progéniture. Le nombre de places de crèche est très insuffisant pour permettre l’accueil des enfants de toutes ces mères actives. Une certaine pénurie est donc observée là aussi, qui justifierait une offre nouvelle de services de la part des entreprises et des collectivités publiques. Celle-ci tardant à se manifester dans les faits, des « crèches sauvages » sont créées ici et là en milieu urbain, par des groupes qui prennent parfois seulement ensuite la forme associative ; ailleurs, d’autres regroupements se constituent en association avant de proposer des services de « crèche parentale », mini-crèches ou haltes-garderies. Ces nouvelles structures conjuguent la présence dans le lieu même de garde, avec des proportions variables, de bénévoles, le plus souvent les mères, mais parfois aussi quelques pères, et de professionnels salariés, plus souvent issus de formations à consonance éducative que médicale4. Les associations familiales évoquées plus haut ne sont en général pas engagées directement dans la production de ces nouveaux services, mais on les retrouve souvent comme parties prenantes dans les nouvelles structures ad hoc qui se créent.

  • 5  Les directrices d’établissement sont obligatoirement des infirmières (...)
  • 6  Par exemple, à la fin des années 1970, un « collectif petite (...)

13Il ne s’agit pas seulement de pallier un manque, mais aussi de proposer une alternative aux crèches existantes. À la différence de l’aide à domicile, un modèle « professionnel » de service externalisé préexiste dans le domaine de la petite enfance, mais celui-ci est regardé avec méfiance par nombre de parents (femmes et hommes) qui y voient une dérive hygiéniste : les enfants y sont traités comme des malades en puissance par du personnel formé sur le modèle hospitalier5 et surtout, les parents sont évincés de l’espace même de la crèche dont l’accès leur est interdit. La création de cet autre modèle de crèches vise aussi à « changer la vie » : la vie des enfants et celle des parents6.

L’entraide scolaire

14Quelques années plus tard, c’est au sein des associations familiales précitées que s’engagent des constats et une réflexion collective sur l’échec scolaire et les difficultés des familles populaires face à l’école.

  • 7  Par exemple, l’association s’engage à organiser au moins une (...)
  • 8  Selon les années, leur nombre varie de 12 à 20 par centre, en fonctio (...)

15Il s’agit là aussi d’une réponse à des besoins ressentis et à une insuffisance de l’offre de services. C’est par exemple à la suite d’un « besoin révélé par les parents en réunion de quartier » que la Confédération Syndicale du Cadre de Vie (CSCV) met en place en 1986 un premier groupe d’entraide scolaire dans un quartier puis un second groupe en 1989. L’appellation « entraide scolaire » est choisie pour marquer la différence avec les formules d’« aide aux devoirs » existantes, qu’elles soient l’œuvre de l’école elle-même, ou de cours privés payants, perçus d’une part comme inaccessibles aux familles populaires, d’autre part comme trop extérieures au milieu. La volonté d’apporter un soutien aux enfants en tant qu’association implantée sur le quartier s’accompagne de la conviction, comme pour toutes les activités de l’association Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV, issue de la CSCV), « que les personnes qui viennent ont leur pierre à apporter dans cette construction collective ». Une attention particulière est donc portée à l’accueil des familles : lors des inscriptions, après discussion avec une responsable de l’association et les bénévoles, les parents remplissent une fiche précisant les engagements de chacun, parents, enfants, bénévoles7. Les enfants, avec lesquels les bénévoles élaborent une charte de fonctionnement fixant des règles aux uns et aux autres, viennent deux fois une heure par semaine, dans un appartement HLM attribué à l’association par la mairie8.

16Les divers exemples de service examinés montrent que la réponse des associations n’est pas une simple offre de service visant uniquement à combler un manque ; il ne s’agit pas simplement de répondre à un besoin ressenti, mais aussi, à chaque fois, de créer une alternative à l’offre existante, perçue non seulement comme insuffisante mais aussi comme inadaptée.

…encadrée par des valeurs qui conduisent à des paradoxes

17Se traduisant par une externalisation de tâches habituellement effectuées sous forme de travail domestique gratuit, les services créés placent les organisations associatives devant des paradoxes. D’une part les organisations sont porteuses de valeurs issues pour l’essentiel du catholicisme social, qu’on peut analyser comme appartenant à la « cité domestique » au sens développé par Luc Boltanski et Laurent Thévenot (Boltanski, Thévenot, 1991), mais tempérées par des valeurs parfois contradictoires, en provenance de la « cité civique ». D’autre part, elles sont confrontées, lors de la production de services, aux impératifs de l’action qui leur imposent des références provenant essentiellement des mondes industriel et marchand.

Un familialisme ouvrier : une « cité domestique » tempérée par des valeurs civiques

18Au-delà de la défense de la famille, les valeurs portées par les associations catholiques-sociales sont constitutives d’une « cité domestique » du fait qu’elles mettent au premier plan les relations entre des personnes singulières. « Le monde domestique ne se déploie pas seulement dans le cercle des relations familiales, surtout dans la conception restreinte et détachée de toute référence à l’ordre politique qui est aujourd’hui admise dans notre société. Il apparaît chaque fois que la recherche de ce qui est juste met l’accent sur les relations personnelles entre les gens » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 206). Ce monde est caractérisé par des valeurs qui sous-tendent des principes d’action. Ainsi, les échanges y ont lieu entre des personnes singulières et ressortissent à l’ordre du don (Mauss, 1950). La position sociale de chacun est définie par des appartenances statutaires, de sexe et d’âge particulièrement. La place des femmes se définit en complémentarité avec celle des hommes, et elle est donc d’abord au foyer. Les mères sont les meilleures éducatrices de leurs propres enfants dans une relation qui est d’abord d’engendrement, la référence à la Nature permettant de justifier cette prééminence. La confiance ne peut être accordée qu’en fonction des liens tissés entre les personnes, le lieu par excellence de cette confiance étant justement la famille.

19Mais ces mêmes associations, parce qu’elles se réclament du mouvement ouvrier, sont aussi porteuses des valeurs de la « cité civique ». Or, dans ce monde, on ne rencontre plus des personnes, mais des citoyens abstraits, des individus définis par des droits et dont les relations sont médiatisées par le corps politique collectif auquel ils appartiennent. On voit combien ces valeurs s’opposent à celles du monde domestique, une des critiques les plus fortes concernant le « paternalisme » domestique puisque « le lien civique se définit précisément comme un affranchissement par rapport aux relations de dépendance personnelle » (Boltanski, Thévenot, 1991, p. 309).

20La gageure tenue par les associations de la mouvance catholique-sociale vient justement de la capacité qu’elles ont eue de réintroduire les « personnes » dans le monde civique, en réclamant une attention à « l’humain » dans le droit. Michel Chauvière considère ainsi que la pratique militante héritée de la JOC a permis, à travers des principes tels le fameux « voir, juger, agir », la « montée en généralité de situations vécues » conduisant à « traduire l’objet famille » dans un langage recevable par les institutions étatiques (Chauvière, 2003, p. 30). Les valeurs mêmes des associations de cette mouvance sont ainsi bâties sur des compromis.

De la charité chrétienne à la solidarité « démocratique »

  • 9  Les militantes peuvent être assimilées à des bénévoles car elles (...)

21La mise en place des services est le fruit de la conjonction de deux facteurs. D’une part, une tradition catholique de « services rendus », d’aide aux plus démunis, provenant de la pratique évangélique de la charité, fonctionne le plus souvent en extériorité au milieu concerné, les donateurs étant d’un milieu social plus élevé que celui des donataires. D’autre part, la perspective de promotion collective de la classe ouvrière portée par les associations concernées se traduit par le rejet de l’assistanat. La solidarité ne doit plus être seulement « philan-thropique », à sens unique, de haut en bas, mais « démocratique », en s’exerçant « entre eux, par eux, pour eux ». Dans cette perspective, s’impose la figure de la « militante » consciemment investie dans une action collective de promotion de son propre milieu social et qui s’oppose à celle de la simple « bénévole9 », qui ne fait « que » donner du temps. Or parler de bénévoles, de bénévolat, c’est « utiliser un vocabulaire chargé d’images », images positives de dévouement, d’altruisme, mais aussi négatives de « dames patronnesses », toujours soupçonnées de paternalisme (Prouteau, Wolff, 2003).

22Pourtant, pour assurer les services au quotidien, les associations font couramment appel à ceux et celles que les militantes appellent, avec une nuance de péjoration, « des bénévoles », et ce d’autant plus dans la période récente, marquée par des difficultés de renouvellement du recrutement militant. C’est le cas en particulier dans les services d’entraide scolaire. Les « militantes », en utilisant ce vocabulaire, marquent alors leur différence et leur identité, mais elles soulignent du même coup le paradoxe qu’il y a à parler d’« entraide » dans le même temps que ce sont des « bénévoles » qui agissent.

23Ce point est d’autant plus important qu’en adhérant et en construisant leur association sur la base de valeurs spécifiques, ces militantes se sont construites elles-mêmes, en rupture avec les pratiques de leur matrice chrétienne. Mais ce rejet du bénévolat est aussi le résultat de la mythification d’un supposé « âge d’or », où l’association aurait été homogène sur le plan de l’investissement militant.

De la famille au marché

24C’est pour permettre au cercle familial de se maintenir et de trouver, y compris dans les milieux populaires, les meilleures conditions matérielles à son développement que les organisations concernées sont amenées à produire des services. Mais les modalités pratiques de mise en œuvre les conduisent à des transgressions à l’égard de ces mêmes valeurs domestiques qu’elles se sont données pour mission de promouvoir.

  • 10  Qui a pour les militants le sens d’éviter l’assistanat, de permettre de (...)

25Ainsi par exemple, les services de machines à laver ne constituent qu’une externalisation très limitée puisque la lessive reste une tâche effectuée au domicile familial par chaque mère au foyer individuellement. L’externalisation est plus importante dans le cas des centres de lavage, où les ménagères doivent sortir de chez elles pour utiliser des machines entreposées dans un local collectif. Pourtant, dans les deux cas, l’organisation collective que supposent ces services impose à certaines femmes de sortir de leur espace domestique et de faire l’apprentissage des tâches de gestion, acquérant ainsi les bases d’une position sociale de « militante ». Si cette activité n’est pas envisagée au départ comme une alternative mais un complément à celle de « ménagère », elle fournit de fait à quelques femmes les ressources nécessaires à une activité professionnelle. Certaines les réinvestiront effectivement de cette manière, une fois les services disparus. De plus, la monétarisation10, certes symbolique, introduite par le paiement d’une adhésion augmentée d’une quote-part pour l’utilisation de la machine, contribue pour les usagères à « éteindre la dette », altère la logique du don en rendant possible un calcul économique et entrouvre la porte à une concurrence marchande.

26Ces paradoxes se retrouvent dans le cas de l’aide à domicile. Ici, la question du salaire s’est posée d’emblée car entre la militante (qui dans les deux cas assure bénévolement l’organisation du service) et la personne bénéficiaire s’intercale une tierce personne (et non plus une machine) qui fournit un travail. Il ne peut être question de l’accomplir gratuitement, on l’a vu, puisque les premières intervenantes sont des jeunes filles de famille ouvrière qui ne peuvent compter que sur la ressource apportée par ce salaire. Mais l’emploi de salariées introduisait simultanément deux problèmes : d’une part, l’entrée dans les familles d’une personne étrangère, réalisant une aide dans une posture qui n’était plus simplement celle du don, d’autre part, l’apparition d’un rapport de subordination entre des salariées et des militantes ouvrières. Les entretiens réalisés montrent ainsi que, dans certaines Associations Populaires Familiales (APF) locales, la position de « patron » face à des salariées n’a été endossée qu’avec beaucoup de réticences par certaines militantes qui restaient par ailleurs attachées à la proximité d’un service rendu sans intermédiaires.

La mise en question de la place des femmes

27L’offre de services destinés aux enfants est tout aussi paradoxale puisqu’elle remet de fait en question la place centrale de la mère de famille dans l’éducation des enfants.

  • 11  Sans doute faut-il aussi voir là l’application d’un principe de (...)

28Dans les décennies 1960/70, la garde collective hors du domicile familial est difficilement acceptable pour toute une partie des membres des associations. L’idéal de la mère au foyer y est encore fort. Même quand les femmes sont professionnellement actives, le mode de garde envisagé est plutôt celui de l’assistante maternelle ou de la « crèche familiale ». Car les réticences par rapport aux crèches collectives sont aussi une forme d’opposition plus ou moins consciente à une prise en charge étatique : les institutions de la petite enfance sont également, depuis leur création au XIXe siècle, des instruments de contrôle des populations ouvrières qui ont toujours essayé de s’y soustraire en s’appuyant sur leurs ressources provenant de la solidarité familiale et activées par les femmes. On peut ainsi comprendre la création des crèches alternatives comme une résistance à l’emprise de l’État sur la vie quotidienne et les associations familiales rejoignent ainsi, dans un apparent paradoxe, les préoccupations des milieux contestant globalement l’organisation sociale, tels la plupart des adultes impliqués dans les « crèches sauvages » ; quelques-uns d’entre eux, souvent hors des réseaux syndicaux ou politiques des autres parents, se reconnaissent dans l’idéal libertaire ou, sans se référer à un système de pensée, ont été attirés par l’absence apparente de normes11.

29Ainsi, les services se construisent autour de la défense et de la promotion de la famille ouvrière, et les femmes au foyer y jouent un rôle fondamental, compte tenu à la fois de la relative absence des hommes dans l’espace domestique et, a contrario, de l’assignation prioritaire des femmes au privé. Les mouvements familiaux affirment souhaiter la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, mais cet objectif ne s’accompagne pas d’une réflexion sur la construction sociale des différences et des inégalités entre les sexes, et s’accommode fort bien, en théorie comme en pratique, de la thèse de la complémentarité. Malgré ou à cause de cela, il faut souligner la place et le rôle des femmes au sein de ces mouvements : cantonnées pour la plupart dans l’invisibilité par leur absence de participation au travail salarié dans les années d’après-guerre, elles n’en sont pas moins des actrices à part entière au sein des associations. Premières concernées par les difficultés quotidiennes, les ménagères s’impliquent dans de multiples actions, devenant ainsi, parfois, des militantes politiques à part entière.

30Dans les années d’après-guerre, une des intentions affichées était aussi que l’aide apportée par les services permette aux mères de dégager un peu de temps pour se former, s’éduquer, mais la réalisation de cet objectif est restée très embryonnaire. Il semble par exemple que les aides familiales elles-mêmes aient eu du mal à y adhérer, et cela engendrait une auto-culpabilisation des femmes concernées, comme, plus tard, pour le temps « libéré » par la prise en charge des enfants en halte-garderies. Néanmoins, quelques femmes aidées sont devenues de cette manière militantes de l’association.

31Il faut souligner ici que, si les services répondent à des besoins des familles, ces besoins restent parfois informulés avant l’offre associative. Il arrive ainsi que les militantes aient à convaincre les familles, et tout particulièrement les femmes, du bien-fondé des services offerts. Pour les machines à laver, il fallait vaincre les méfiances envers cette technique nouvelle, pour l’aide à domicile, les réticences envers l’introduction d’une personne étrangère dans la famille, les craintes aussi du jugement des voisines devant l’abandon de tâches domestiques dévolues aux mères de famille. Les militantes ont ainsi pu jouer un rôle classique d’avant-garde, avant d’obtenir une implication et une action collectives.

32Quoi qu’il en soit, ce sont souvent des femmes au foyer qui ont introduit des changements aboutissant à soulager les femmes des tâches du foyer. Paradoxe apparent : avec la « travailleuse familiale », elles mettent en place une profession de femmes. Une profession « de femmes », mais une vraie profession. Paradoxe seulement apparent, car ces femmes se sentent parties prenantes du monde ouvrier et de ses revendications, par leurs origines et par les métiers des époux ; leurs maris sont militants syndicaux, elles-mêmes se veulent « militantes » d’associations de promotion du milieu populaire. Femmes au foyer, elles n’appartiennent pourtant pas seulement au « monde domestique », mais réalisent à travers leur participation associative un compromis entre ce monde et le monde « civique ».

33Au total, et même si les associations rencontrées insistent toujours sur la cohérence de leurs principes, elles sont confrontées à des paradoxes provenant de l’interférence entre les différents mondes dont elles se réclament, ou entre ces mondes et ceux dans lesquelles l’organisation de la production des services les amène à pénétrer.

…donc une formalisation volontairement limitée qui constitue un modèle de service spécifique

34Les services créés par les associations en direction des familles reposent donc sur des compromis établis pour répondre à ces paradoxes entre mondes différents voire divergents. D’une manière générale, ces services tentent de concilier les valeurs des mondes domestique d’une part, industriel, marchand et civique d’autre part. On peut ainsi distinguer un modèle d’externalisation du travail domestique maternel dans lequel le service externalisé, produit au moins en partie par des salariées, ressortissant des mondes industriel et marchand, reste co-défini par les utilisateurs, porteurs des valeurs du monde domestique et qui collaborent à la gestion de la structure grâce à leur implication militante.

35Le service offert par les organisations reste donc en partie non-défini : on pourrait ainsi parler de formalisation incomplète si ce terme n’apparaissait comme péjoratif. Or cette incomplétude n’est pas un défaut, mais peut-être au contraire une qualité essentielle pour les utilisateurs-consommateurs qui gardent ainsi un certain pouvoir. Il s’agirait plutôt d’une « formalisation volontairement limitée » qui permet à la fois des compromis gérant les divers paradoxes que nous avons repérés et constitue aussi une innovation, un « type » de service nouveau, qui, parce qu’il n’est pas complètement formalisé, va devoir être « codéfini » par les producteurs et les utilisateurs.

36Ce modèle est repérable dans les divers services que nous avons analysés.

« L’aide à domicile »

  • 12  Il faut souligner d’une part, que ce modèle n’est qu’un idéal-type, qu’on (...)

37Par exemple, nos travaux antérieurs sur les organisations de services à domicile aux personnes âgées (Clergeau, Dussuet, Nogues, Prouteau, Schieb-Bienfait, Urbain, 2002) nous ont permis d’observer aujourd’hui l’existence de plusieurs types de services suivant les modalités présidant à leur définition. Ainsi, entre deux types qu’on peut désigner comme « domestique » et « professionnel » (Clergeau, Dussuet, 2004), et où la définition est opérée respectivement par la famille utilisatrice (la demande) ou par l’organisation prestataire (l’offre) qui en imposent les caractéristiques, on peut distinguer un type intermédiaire, celui de l’« aide à domicile », dans lequel la définition même du service est négociée par le truchement de l’organisation associative12.

  • 13  Rappelons l’existence dans les débuts de la formation des travailleuses (...)
  • 14 « La travailleuse familiale est dans une situation particulière qui la (...)

38Ce modèle est l’héritier du service délivré par les Travailleuses Familiales, certes professionnelles salariées extérieures aux familles dans lesquelles elles intervenaient, mais dont la professionnalité était construite sur la proximité entretenue avec le milieu ouvrier13. Avec les travailleuses familiales, les associations familiales ont ainsi, dans le même temps, inventé aussi un modèle de service, en équilibre entre deux anti-modèles, également rejetés par les militantes : celui, appartenant au monde domestique, de la « bonne », corvéable et soumise, mais aussi celui, dérivé du monde « professionnel », de « l’infirmière » ou de « l’assistante sociale », perçu comme instrument d’ingérence et de contrôle des classes bourgeoises (Duriez, Nizey, 2002, p. 184). Ces deux modèles apparaissaient également inacceptables pour les promoteurs d’une classe ouvrière revendiquant autonomie et dignité : la Travailleuse Familiale devait donc à la fois être une « professionnelle » à la compétence et à la dignité incontestables, mais aussi manifester sa parfaite intégration dans le milieu d’intervention. Les ouvrages de B. Bonamy (Bonamy, 1986 ; 1997 ; 2005), elle-même ancienne Travailleuse Familiale, revendiquant la spécificité de la pédagogie du « faire-avec14 » qui permet d’établir la confiance entre la famille et la Travailleuse Familiale, marquent bien la nécessité de cette proximité de professionnelles qui ne doivent pas apparaître comme « extérieures » sous peine d’être rejetées.

39Il s’agit donc là d’une modalité de service qui concilie les exigences des mondes domestiques et industriels grâce à la construction d’une professionnalité, celle de la Travailleuse Familiale, qui n’appartient pas pleinement au monde instrumenté et formalisé de l’industrie, mais prend en compte comme partie intégrante du travail des dimensions relationnelles peu formalisées. Cette part laissée à l’informel dans la professionnalité des Travailleuses Familiales a toutefois son revers, perceptible à travers le manque de considération à l’égard des Travailleuses Familiales, qui ont toujours peiné à se faire reconnaître comme « travailleuses sociales » à part entière.

La « crèche à participation parentale »

  • 15  Crèches « parentales » et « à participation parentale » sont parfois (...)

40Réalisant pourtant une externalisation et même une « collectivisation » de la garde des enfants, les crèches sauvages ou parentales permettent malgré tout aux parents de garder un certain contrôle sur le traitement réservé à leur progéniture, au prix toutefois de leur implication personnelle dans le fonctionnement de l’organisation. Là encore, la formalisation du service apparaît « volontairement limitée », même si l’on peut en observer toutes sortes de degrés sur un continuum qui va de l’informel total (la garde par une femme de la famille, une voisine ou une amie, généralement au coup par coup) à la crèche collective fonctionnant uniquement grâce à des personnels salariés, en passant par la crèche « sauvage », et la crèche parentale ou « à participation parentale15 ».

  • 16  Il s’agit là d’une rationalisation de l’organisation que l’on peut qualif (...)

41Ces crèches alternatives fonctionnent ainsi selon un double compromis : d’une part, des parents de la mouvance catholique-sociale ont souhaité préserver le modèle familial, en donnant une place aux parents dans la structure de garde, tout en offrant à leurs enfants les possibilités de socialisation d’une structure collective ; d’autre part, des parents partisans du collectif, mais que leurs tendances libertaires poussent à écarter le modèle de crèche hospitalière suspect de rigidité, ont souhaité introduire une zone d’informalité au sein du collectif. Cette volonté de préserver une part d’informel se lit par exemple dans l’absence de séparation des âges dans ces structures. Alors que dans les crèches collectives traditionnelles, les enfants sont le plus souvent répartis par âge en différentes « sections16 », dans les modes de garde alternatifs, ils se trouvent au contraire regroupés sans considération d’âge, avec l’idée que, dans une famille, frères et sœurs d’âge divers cohabitent sans problèmes particuliers. D’une manière générale, c’est le modèle « comme à la maison » qui est ainsi introduit dans la structure collective. Ce modèle, conjointement modèle de service et mode de travail est notamment renforcé par la présence dans la crèche même des non-professionnels que sont les parents.

  • 17  Selon l’évaluation réalisée dans le document de présentation de (...)

42Dans les crèches « à participation parentale » gérées par l’Association Petite Enfance, les parents interviennent aux côtés des professionnelles pour encadrer les activités des enfants, ils réalisent aussi des soins matériels aux enfants : change, repas. Cette « participation » parentale, fixée à 6 h à 8 h par mois, représente au total l’équivalent de 3 postes à temps plein17 pour les 4 structures de ce type. Mais au-delà de cet apport matériel, la participation des parents leur donne un certain contrôle sur la vie organisée à l’intérieur de la crèche. Grâce à leur expérience des difficultés rencontrées au quotidien, ils acquièrent une légitimité dans les décisions de gestion de l’équipement dont ils ne pourraient se prévaloir du simple fait de leur responsabilité parentale. Cela constitue aussi une déconstruction de la relation de client.

43Le travail bénévole réalisé ici par les usagers n’est pas un simple pis-aller destiné à permettre un bouclage budgétaire qui serait plus difficile à obtenir avec le recours aux seuls salariés : par la dimension informelle qu’il introduit dans le fonctionnement de la crèche, il structure un modèle de service (de garde d’enfants) original dans lequel les usagers gardent un certain contrôle sur le service qui leur est fourni.

L’entraide scolaire

44Dès la création du service, l’association porte un certain nombre d’exigences en ce qui concerne le fonctionnement, afin de faciliter la réalisation de ses objectifs, et d’obtenir, par la démonstration de sa fiabilité, une reconnaissance sur le quartier et par la municipalité. En effet, il faut accroître le cercle de parents usagers, rassurer les équipes enseignantes à la fois sur la compétence et sur le fait que l’entraide scolaire se met en place dans le respect du rôle de chacun et non dans le dénigrement. Il faut également apparaître crédible auprès de la mairie, de laquelle l’association obtient la mise à disposition d’un appartement dans les quartiers concernés, et une petite subvention pour l’équipement matériel et pédagogique ; la mise en place de formations financées par la municipalité est aussi une preuve de reconnaissance.

45Du côté de l’association, les exigences portent sur la constitution d’équipes stables et soudées de bénévoles formés, la rédaction de « chartes de l’accompagnement scolaire » qui cadrent les objectifs et les actions par rapport aux enfants, aux familles, à l’école, précisent les engagements de chacun, diffusés aux familles lors de l’inscription.

46L’association a une volonté de rigueur, élabore des dossiers de demande de financement y compris, lorsqu’ils sont créés, dans le cadre des « contrats de ville », insiste sur la nécessaire formation des bénévoles ; mais cela ne signifie pas s’avancer sur la voie de la professionnalisation au sens métier rémunéré.

47Les bénévoles, qui ont tous un entretien préalable avec une responsable de l’association, sont d’âge et de situation (ex) professionnelle variés, les (ex) enseignants y sont peu nombreux, et ces bénévoles sont très majoritairement des femmes. L’association étant très féminisée et les mères, nous l’avons indiqué, beaucoup plus présentes que les pères, ce service est donc, comme l’ensemble des services aux personnes de ce chapitre, « une affaire de femmes ».

48Cette formalisation relative s’inscrit dans le cadre délimité par les valeurs de l’association. Appliquées au service entraide scolaire, elles signifient que même s’il y a un cahier de présence des enfants, contrairement « à d’autres endroits où on vire les enfants, on convoque, [nous] c’est pas du tout ça ; on n’est pas des professionnels, pas des enseignants, pas des parents, on essaie d’être un lien » et de faire en sorte que les parents se (ré)approprient leur rôle. D’ailleurs, selon les responsables, « c’est dans l’accueil aux familles que la démarche n’est pas la même [entre bénévoles et militantes] » ; les militantes, dit l’une d’elles, « ne jugent pas les enfants, ne viennent pas “pour aider ces pauvres gosses” ». Cette dimension est présente, mais s’inscrit dans le travail global de l’association visant à assurer une promotion collective du milieu concerné par sa propre prise en charge.

49Les formes de service développées par les associations autour des enfants se rapprochent ainsi du modèle de l’aide à domicile en ce sens que la formalisation y apparaît volontairement limitée et qu’elles combinent une part de travail ou de gestion bénévole dans des services définis par et pour un public de militants-utilisateurs et l’appel à des professionnelles salariées. Dans cette perspective, l’informel n’est pas le désordre, mais une pratique et une organisation liées à un objectif et à un positionnement de transformation sociale. Le recours à l’informel peut donc être plus logique et plus efficace que la formalisation, en tout cas plus conforme aux aspirations mobilisatrices.

50La position paradoxale dans laquelle se sont trouvées les organisations en porte-à-faux entre leurs valeurs humanistes (cité domestique) et les principes d’action issus des instruments utilisés les ont conduites à trouver une manière nouvelle de réaliser un compromis : les parents de la crèche parentale ne sont pas des professionnels de l’enfance, mais ils sont porteurs de compétences du fait de leur expérience domestique. Celle-ci est reconnue et validée par le fait même de leur participation à la production du service de garde, et ils introduisent du même coup des valeurs appartenant au monde domestique dans un espace professionnel. Les travailleuses familiales, professionnelles du travail familial, sont acceptées dans l’espace domestique parce qu’issues du milieu populaire dans lequel elles interviennent, elles sont à même de réaliser la partie invisible du travail et de prendre en compte ses dimensions relationnelles.

51Plus généralement, ceci peut être analysé comme une caractéristique du modèle de service produit par les associations en direction des familles : bâti sur un compromis entre les valeurs de la « cité domestique » et celles des « cités industrielle » et « marchande », il conserve une part informelle qui ne doit pas être vue comme un manque, mais bien comme un élément essentiel permettant aux utilisateurs de garder un certain contrôle.

Un modèle de service soumis à des tensions : marché, institutionnalisation et pressions à la formalisation

52L’environnement de la production des services se transforme… Dans les années 1970, le changement des modes de vie, avec l’accès généralisé au confort domestique, y compris dans les milieux populaires, puis, dans les années 1980, la montée de l’activité professionnelle des femmes, sur lesquelles reposaient largement les pratiques associatives au niveau des quartiers, la crise de l’emploi qui affecte tout particulièrement ces mêmes quartiers, la reconnaissance par les pouvoirs publics et l’institutionnalisation progressive des associations porteuses des services modifient à la fois les motivations et les conditions de production des services, déstabilisant le modèle inventé par les associations, en accentuant la pression à la formalisation par la professionnalisation des actrices et l’institutionnalisation des services.

53Mais cette déstabilisation ne signifie pas disparition du modèle, car, si certains services meurent, d’autres renaissent, au prix parfois d’un retour à un stade plus informel, comme si ce jeu entre formel et informel était la condition de l’apparition d’innovations rendues nécessaires par les paradoxes suscités par le nouvel environnement.

Les pressions à la formalisation

54D’une manière générale, les changements de modes de vie des familles tendent à accentuer d’une part l’esprit « consommateur » d’une demande de services de plus en plus diversifiés et, d’autre part, la professionnalisation de l’offre, dès lors nettement distincte.

Une demande « de consommation » de services distincte de l’offre

  • 18  Plus de 80 % des ménages ouvriers possèdent une machine à laver en 1975, (...)

55Les années 1970 voient en particulier progresser l’équipement des ménages, celui-ci atteignant des niveaux de saturation pour certains biens. C’est le cas pour la machine à laver, qui paraissait inaccessible jusque-là, individuellement, aux milieux populaires18. Les services de prêt de machines créés par les associations vont donc s’éteindre progressivement durant la décennie 1960, au rythme des achats individuels et de la création des laveries commerciales.

56Au contraire, la demande d’aide familiale ne va cesser de croître, mais elle change aussi de nature. La montée de l’activité professionnelle des femmes et la double journée de travail qu’elle entraîne auraient pu inciter une demande d’aide à domicile et une montée en charge de l’activité des Travailleuses Familiales, a priori toutes désignées pour suppléer à l’absence de leur foyer de ces nouvelles salariées. Paradoxalement, ce n’est pas ce qui s’est produit. L’amélioration de l’équipement domestique, et la diminution de la taille des familles, ont plutôt eu l’effet inverse en rendant au travail domestique gratuit son invisibilité. La demande d’aide adressée aux Travailleuses Familiales s’est donc progressivement modifiée, émanant de plus en plus directement des services sociaux chargés de l’Aide Sociale à l’Enfance, pour un travail ne consistant plus seulement en tâches ménagères, mais, de façon croissante, en remèdes apportés à des difficultés économiques et sociales.

57Par ailleurs, émerge peu à peu une demande provenant de la population vieillissante, exposée au risque de dépendance, et pour laquelle des modes de financement collectifs se mettent en place progressivement (Clergeau, Dussuet, Nogues, Prouteau, Schieb-Bienfait, Urbain, 2002).

58Enfin, la demande de services domestiques par des ménages double-actifs à revenus élevés, mais mal à l’aise dans les obligations d’employeur que suppose l’emploi direct de salarié est encouragée par diverses politiques publiques à partir de la fin des années 1980.

59Le besoin de services aux familles n’est donc plus seulement le fait de milieux populaires à faibles revenus. La demande est solvable, ou solvabilisée par les organismes de protection sociale ou par des réductions d’impôts ; de ce fait, elle se détache de l’offre, les demandeurs n’étant plus contraints à se porter en même temps producteurs, elle devient aussi plus exigeante, du fait même de cette monétarisation.

60Face à ces nouvelles caractéristiques de la demande de services, l’offre des organisations associatives est contrainte à une formalisation plus importante. Cela signifie d’abord la professionnalisation de l’offre tant au niveau de la gestion des organisations qu’à celui des intervenantes de terrain, prestataires du service. C’est aussi la normalisation des fonctionnements qui est rendue nécessaire par les partenariats établis avec les pouvoirs publics avec l’établissement de règlements écrits et de procédures. C’est encore l’obligation de répondre à toutes les demandes dans un secteur géographique.

La professionnalisation des militantes gestionnaires et l’affaiblissement du projet politique

  • 19  Notons que, si ce mouvement est général, il subsiste des cadres bénévoles (...)

61La formalisation passe d’abord par la professionnalisation des militantes gestionnaires, rendue obligatoire par la complexification et l’accroissement de leurs responsabilités : dans la plupart des organisations19, ce sont désormais des salariés qui remplacent les bénévoles dans les fonctions d’encadrement.

62Les services d’aide familiale se sont institutionnalisés en s’autonomisant par rapport aux mouvements familiaux et les petites associations sont devenues de grosses structures. Les associations gestionnaires des services, antennes locales de la Fédération Nationale des Associations d’Aide Familiale Populaire (FNAAFP) et de la Fédération Nationale d’Aide Familiale à Domicile (FNAFAD), nées des associations « syndicales », au caractère plus militant, que sont la CSF et la CSCV, s’en distinguent de plus en plus nettement. Cette autonomisation se traduit aussi par la mise au premier plan des impératifs de gestion au détriment de la place des familles et des salariées. Parallèlement à la reconnaissance institutionnelle, le profil militant s’est estompé au bénéfice du profil gestionnaire. Et dans les années 1970, la départementalisation rend plus difficile la participation des usagères et des salariées, le conseil d’administration s’éloignant géographiquement et fonctionnellement des groupes locaux.

63Les « familles usagères » sont plutôt d’ex-familles usagères et le désir de faire participer les familles au Conseil d’Administration est de moins en moins affirmé. La caractéristique originelle, à savoir la prise en charge du service par les militantes sur le quartier, a disparu. Ce sont des coordonnatrices salariées qui assurent ces fonctions, coiffées par un(e) directeur(trice) également salarié(e). Seules quelques militantes, après une formation interne, sont devenues coordonnatrices. Reconnaissance de l’activité exercée à titre gratuit, cette intégration dans le monde du travail salarié s’opère parfois au détriment du militantisme associatif, par manque de temps ou préférence pour une activité syndicale dans le cadre professionnel. Très vite, la plupart des coordonnatrices ont été recrutées à l’extérieur, sur diplômes. La disparition du support militant va donc de pair avec la reconnaissance, par la rémunération, du travail effectué. Elle s’accompagne aussi d’une modification du service, la relation des familles avec l’association s’apparentant alors davantage à une aide sociale classique.

64Par ailleurs, les « foyers-modèles » où envoyer les salariées en formation se sont progressivement raréfiés, obligeant à l’autonomisation de centres de formation spécifiques, mais entraînant surtout une formalisation de la formation, de moins en moins effectuée dans un cadre domestique, et de plus en plus dans des structures institutionnelles (stages en maisons de retraite, institution hospitalière ou éducative par exemple).

65La relation des Travailleuses Familiales aux Conseils d’Administration des associations a également évolué. Dans l’une des associations locales de la CSF, par exemple, les candidatures manquent, tandis que, à la FNAFAD, les Travailleuses Familiales, à partir de 1970, ont décidé de ne plus prendre part à la gestion. Ainsi, elles rompent le consensus originel, et les militantes des Conseils d’administration se retrouvent face à leurs fonctions d’employeurs, même si la création de postes salariés pour la direction et la coordination permet de faire écran. La vie associative militante cherche alors à se réadapter par l’investissement dans diverses commissions, ou l’animation locale visant à rencontrer les familles usagères. Tentatives souvent ingrates, difficiles à concrétiser, qui ne remplacent pas l’encadrement bénévole et le maillage militant des quartiers. Même si le rôle des bénévoles est toujours invoqué, la référence aux « valeurs associatives » n’est-elle pas une survivance amoindrie du militantisme originel ?

66Mais pour les militantes de ces associations, le bénévolat associatif a souvent constitué une voie d’accès à l’activité professionnelle, leur permettant de participer à la montée générale de l’activité féminine salariée. Pour certaines d’entre elles, les services développés vont être un test de leur capacité à s’intégrer dans la sphère publique, leur fournissant un marche-pied vers une activité professionnelle. D’abord reléguées au foyer par l’idéologie de la complémentarité, certaines de ces femmes vont devenir, par le biais du bénévolat, gestionnaires de fait de services à l’organisation de plus en plus complexe. Leur compétence déjà établie en fera une main-d’œuvre de choix pour les organismes parapublics de l’État-Providence qui se développent dans la même période, mais elle contribuera aussi à accentuer le décalage existant au sein même des associations entre elles et les « simples adhérentes ».

Des Travailleuses Familiales aux Techniciens d’Intervention Sociale et Familiale

67Parallèlement, la profession même de Travailleuse Familiale s’est transformée. Les changements dans les caractéristiques des familles aidées ont progressivement poussé ces salariées à devenir des « travailleurs sociaux ». Alors qu’elles étaient chargées, dans les années 1950, d’aider des familles où la mère était indisponible temporairement, le plus souvent pour cause de maladie ou de grossesse, leur travail auprès d’une famille est aujourd’hui conçu comme une « intervention sociale » lorsque les difficultés, souvent économiques, sont analysées par les institutions comme le signe d’une inadaptation sociale. Leur intervention est déclenchée, non par l’association elle-même, mais par la décision de prise en charge de financeurs qui représentent l’État (DISS), les collectivités locales (ASE) ou des caisses de Sécurité Sociale (CAF, MSA). Leur aide se manifeste donc auprès d’un public qui est conçu comme « extérieur », désigné comme en « difficulté » par les institutions. Les salariées réalisent de plus en plus un « travail social » à vocation « éducative » : il ne s’agit pas « seulement » d’effectuer des tâches ménagères, mais d’utiliser ces tâches comme un outil éducatif (Bonamy, 1997) visant à une meilleure intégration sociale. C’est la prédominance de ce rôle éducatif (Duriez, 1996) qui a permis aux travailleuses familiales d’obtenir en 1999 la reconnaissance d’un statut de « travailleur social » à travers une nouvelle dénomination, celle de « technicien d’intervention sociale et familiale » qui marque bien la relation d’extériorité entretenue par ces professionnelles nouvelle manière avec les familles bénéficiaires de leurs services.

68Certaines disent d’ailleurs leurs difficultés à assumer ce rôle auxquelles elles n’ont pas toujours été préparées. Un des problèmes majeurs provient de l’obligation qui leur est désormais faite de produire des « écrits professionnels », c’est-à-dire de réaliser une objectivation de leur travail, qui comprenait jusque-là, on l’a souligné, une certaine part d’informel. À travers la reconnaissance comme « travailleur social », c’est donc aussi une transformation de leur travail qui s’opère, en gommant les aspects les plus informels attachés à l’aide qui était aussi « entraide », pour en faire un travail « éducatif ». Cette transformation est le prix à payer pour obtenir des pouvoirs publics le maintien du caractère « professionnel » de leur activité.

  • 20  Il faut remarquer que ce changement d’appellation se fait au masculin, (...)

69Pourtant, la professionnalisation des Travailleuses Familiales n’était pas récente, elles avaient obtenu dès 1949, on l’a dit, que l’accès à ce poste soit conditionné par une formation et un diplôme. Mais cette reconnaissance d’une professionnalité dans la sphère domestique n’a pas duré : acceptable tant que le modèle de la mère au foyer était dominant, elle s’est effritée avec le retour à l’invisibilité des tâches domestiques accompagnant le modèle du cumul travail domestique/travail professionnel aujourd’hui prépondérant pour les femmes. Malgré leur positionnement familialiste, les associations concernées n’ont pas résisté à ce changement et ce n’est donc qu’en acceptant une modification du sens du travail accompli par les Travailleuses Familiales, en validant leur transformation en « Technicien d’Intervention Sociale et Familiale20 » qu’elles ont pu préserver leur caractère « professionnel » et les conditions d’emploi qui l’accompagnent.

Le rapprochement avec l’État et les pouvoirs publics

70On peut voir dans cet exemple l’influence « formalisante » des relations entretenues avec les institutions publiques. La professionnalisation des acteurs est inséparable des relations que les associations entretiennent avec l’État, et plus généralement, les pouvoirs publics, qu’ils soient locaux, régionaux, nationaux ou organismes de protection sociale. La nécessité d’obtenir des financements pour assurer des services auprès de bénéficiaires non solvables a incité les associations à se rapprocher de ces institutions, mais cela les a aussi obligées à adopter des modes de fonctionnement plus « formels », en respectant notamment les règles concernant les qualifications du personnel employé.

71L’exemple des crèches est ici probant. La législation concernant l’accueil en collectivité de la petite enfance est particulièrement pointilleuse : elle réglemente les taux d’encadrement des enfants, mais prévoit aussi les qualifications de ce personnel, obligeant ainsi jusqu’aux années 1970 à employer des infirmières puéricultrices pour assurer la direction de ces établissements. Le passage à un statut « formel » des crèches alternatives a ainsi pu les conduire à une certaine banalisation de leur projet initial en les obligeant à l’emploi d’un certain type de personnel, plus « médical » qu’éducatif. Mais il faut remarquer que l’expérience de ces crèches a aussi obligé les pouvoirs publics à aménager la législation en prévoyant des règles plus souples pour les crèches accueillant un moins grand nombre d’enfants. Cela a aussi permis l’arrivée dans ces postes de professionnels de l’éducation comme les « éducateurs de jeunes enfants ».

72De plus, la nouvelle « culture crèche », introduite par les ruptures opérées par les crèches sauvages et parentales des années 1970, s’est diffusée, certes de manière inégale, dans les structures plus officielles, y compris municipales. Ici et là on retrouve une volonté d’impliquer l’ensemble du personnel en limitant le plus possible la spécialisation (par exemple en introduisant un mixage des âges) et en fonctionnant selon un projet pédagogique, des réunions de concertation du personnel, même si elles ne sont souvent que trimestrielles et pas toujours sur le temps de travail, jusque-là caractéristiques des fonctionnements associatifs. Par contre, les relations avec les parents s’y limitent souvent encore aux contacts à l’arrivée et au départ des enfants, et les Conseils de crèche, dont les parents sont parties prenantes, peinent à fonctionner ou tardent à se mettre en place. La différence avec les crèches associatives contemporaines est nette sur ce plan, bien que certaines notent aussi un affaiblissement de l’implication des parents avec la pérennisation de la structure.

73D’une manière générale, la dissociation entre une demande plus solvable, mais sans doute aussi de ce fait plus indifférente aux conditions de production des services consommés, et une offre de plus en plus professionnalisée, par les impératifs de formalisation qu’elle impose, met en péril le modèle de service développé par les associations familiales qui supposait une rencontre favorisant l’interpénétration entre les logiques des producteurs et celles des utilisateurs, contribuait à une co-construction du service et permettait du même coup de laisser subsister de la souplesse et une certaine informalité.

74Le projet politique originel est alors indéniablement modifié, mais de façon très variable selon les services. Les réponses aux diverses pressions à la formalisation s’avèrent alors très différentes.

Vie et mort des services : un cycle de vie entre formel et informel

75La volonté de maintenir le service est parfois la plus forte, quitte à le transformer ; parfois au contraire, la crainte d’une trop grande altération des valeurs fondatrices de ces services conduit à cesser la production. D’une manière générale, les associations font preuve d’une souplesse d’adaptation au contexte, préservant ainsi une plus grande marge de manœuvre vis-à-vis de l’institutionnalisation : certains services s’éteignent, mais réapparaissent parfois transformés, d’autres perdurent dans des oscillations entre formel et informel qui font émerger des innovations tant au niveau du service lui-même, que dans les modalités de mobilisation des ressources destinées à sa production.

Des services qui disparaissent :

76Certains services disparaissent sous l’influence, conjuguée ou pas, de plusieurs facteurs : disparition du besoin, moindre implication militante, concurrence du marché ou d’un organisme public, volonté de préserver certaines valeurs originelles.

77C’est le cas des crèches « sauvages », de l’entraide scolaire…

L’entraide scolaire

78Par exemple, parfois, à côté de l’entraide scolaire associative se met en place une entraide scolaire en lien avec la municipalité, si bien que l’association choisit, après environ 10 ans, de cesser d’intervenir sur ce quartier, en fonction d’une double analyse des militantes. Elles considèrent que l’association a fait son travail en révélant un besoin, et en amenant ainsi les pouvoirs publics (la mairie via les Maisons de Quartiers et le programme DSQ) à le prendre en charge : « on a peut-être fait notre boulot principal de révéler les besoins et si on n’a pas les moyens de tenir ça en tant que CLCV, ça n’a plus de sens » (entretien). Elles mettent également en avant la difficulté de faire fonctionner ce service selon l’éthique et les modalités d’intervention de l’association : impliquer les parents, intégrer le service dans une vision globale de la société et de sa transformation, fonctionner en harmonie avec le milieu populaire des familles. Tout cela suppose l’appel à une main-d’œuvre bénévole (militante ?) ; et cet appel suscite, dans l’un des quartiers, de forts décalages entre militantes et une partie des bénévoles qui viennent, dit une militante, « pour agir quelque part, sans connaître le positionnement de l’association et le contexte d’un milieu populaire » (entretien).

79Car la CSCV a changé, il y a moins de militant(e)s, et il devient difficile de tout assumer. En même temps, pour les bénévoles et certain(e)s militant(e)s, il devient malaisé d’intégrer l’action quotidienne et spécifique dans une perspective plus large d’action globale de l’association. La CSCV devient d’ailleurs en 1998 la CLCV, abandonnant le « syndical » qui, encore au milieu de la décennie 1980, constituait l’un de ses axes majeurs. Deux modèles de fonctionnement associatif coexistent plus ou moins bien, parfois nettement définis et revendiqués par des personnes différentes, parfois mêlés dans une même personne. Manifestation, selon des formes renouvelées, des deux tendances à l’œuvre tout au long de l’histoire de l’association, travaillée et tentée à la fois par la logique de service et par la logique d’autogestion.

80Par ailleurs, il y a idéalisation et mythification d’un « âge d’or » ; pourtant, l’association n’a jamais été homogène : y ont toujours coexisté des militantes ayant clairement une vision globale (rassemblées, en plus de l’association de quartier, au sein du Mouvement de Libération Ouvrière ou du Mouvement de Libération du Peuple, concrétisant une sorte de hiérarchie militante qui, si elle ne donne pas de droits sur les autres, manifeste l’existence d’une forme d’« avant-garde » dans la prise de conscience), des militantes de quartier (par exemple les responsables de machines à laver) et des adhérentes, dont les responsables déplorent souvent le faible investissement : peu de participation aux assemblées générales, aux réunions, départ fréquent de l’association quand le problème personnel est réglé, ce qui montre le manque d’implication d’une partie des adhérents au-delà du service proposé. Même durant les décennies de son essor, l’association n’est donc pas homogène, et les griefs actuels de militantes envers les bénévoles traduisent plutôt une nouvelle modalité de l’hétérogénéité qu’une rupture avec un plus ou moins supposé âge d’or.

81Par contre, peut-être faudrait-il entendre là une diminution du nombre des « vraies » militantes, ce qui, en renversant le rapport numérique entre les plus investies et les autres, renvoie à l’affaiblissement de la force militante de l’association. Cela constitue certes une faiblesse, mais permet aussi un renouvellement de sa stratégie, par le développement du côté « groupe de pression ». Développer, car le souci de révéler un besoin et de faciliter sa prise en charge extérieurement à l’organisation existe aussi, par exemple, dans le cas de l’aide à domicile, alors que pour les machines à laver, la mise en place d’un service autogéré est la préoccupation dominante.

82Depuis trente ans, ce contexte très évolutif entraîne à la fois une rotation relativement rapide et une coexistence de différents modèles. Les crèches complètement autogérées et informelles peuvent être contemporaines de structures beaucoup plus « normées », tout comme des « crèches sauvages » et des crèches d’entreprise. Par contre, les crèches d’entreprise, davantage formalisées, se pérennisent davantage que les crèches informelles. Celles reposant uniquement ou quasi uniquement sur l’investissement parental résistent moins bien que celles associant parents et salariées (contraintes fortes, contexte devenu idéologiquement moins porteur).

Des services qui renaissent :

83À l’opposé, des services que l’on avait pu croire disparus renaissent, parfois sous une autre forme, avec d’autres motivations, mais en manifestant ce mixage de formel et d’informel qui nous apparaît caractéristique des services proposés par les associations familiales.

Du service des machines à laver au lien social par l’entretien du linge

  • 21  Qui sont les héritières des associations familiales évoquées (...)

84La fin des années 1980 voit renaître dans les quartiers des services autour de l’entretien du linge. Ils sont créés par des associations21, proposant, comme dans les années 1950, la mise à disposition d’appareils ménagers. Mais, s’il s’agit toujours de répondre aux besoins les plus criants d’une population démunie, si les mêmes associations en sont les protagonistes, les modalités de production du service sont toutes autres : les utilisatrices se distinguent le plus souvent très nettement des gestionnaires, une logique d’aide et non plus d’entraide est en jeu, même si l’accent des discours est toujours mis sur la nécessité de la réciprocité. Il en va ainsi pour ces multiples lieux installés dans les différents quartiers d’Angers pour offrir des machines à laver, à sécher, du matériel de repassage et des machines à coudre.

85À l’origine de ces services, toujours des militantes associatives, particulièrement bien placées pour le repérage des besoins puisque présentes en continu sur les quartiers où elles résident ; c’est grâce à ce travail informel d’écoute qu’elles perçoivent les besoins : « le problème dans les quartiers, c’est qu’il y a des choses qui sont pas nommées dans des lieux où ça peut être saisi, c’est-à-dire… les gens parlent beaucoup entre eux, dans les cages d’escalier, en allant prendre le café chez la voisine, à la sortie de l’école enfin y a plein de lieux où il se dit des choses fort intéressantes, mais si il y a pas un lieu où c’est repris où c’est écouté, où ça va être petit à petit porté et où ça va pouvoir se construire, eh ! bien y a un tas de déperdition » (entretien). Les militantes associatives vont, elles, écouter et construire, par exemple, ce lieu convivial autour du linge, utilisant pour cela un bas d’immeuble prêté par la société HLM.

86Le processus de création du service ne s’origine donc plus dans un besoin ressenti par les militantes elles-mêmes, mais dans le constat qu’elles opèrent des difficultés économiques de leur voisinage : « y a des gens qui ont leur machine à laver en panne et qui n’ont pas les moyens de la remplacer », et des besoins spécifiques des habitants côtoyés dans le quartier : « On savait qu’y avait un problème d’humidité qui était en partie dû à du linge qu’on mettait à sécher dans les chambres par exemple. » Ce lieu d’entretien du linge répond donc, comme dans les années 1950, à un besoin existant, mais qui ne s’exprime pas sur le marché, faute d’une demande solvable. Pourtant, même si les prix qui y sont pratiqués sont très inférieurs à ceux du marché, l’objectif principal n’en est pas tant matériel que social : fournir un lieu de rencontre à des femmes n’ayant guère d’autres occasions de tisser des liens. Le choix est donc cette fois plutôt de provoquer une sortie des femmes hors de leur cadre domestique grâce au regroupement de machines à laver et à sécher, de tables de repassage et de machines à coudre dans des locaux collectifs, l’objectif étant de créer du lien social : « créer un lieu convivial qui soit en même temps un endroit utilisé pour des raisons économiques, mais surtout un lieu de rencontres » (entretien), « un lieu où on pourra parler, un lieu où on pourra s’informer, connaître nos droits, où on pourra trouver quelque chose à pas trop cher parce que, comme ça, finir les fins de mois sera plus facile […] ça s’est fait de manière vraiment naturelle, à partir du vécu des femmes » (entretien). L’utilisation des diverses machines fournit un prétexte à ces rencontres entre femmes, femmes françaises ou femmes maghrébines, à travers des échanges de conseils et de savoir-faire, qui ne soient pas des transmissions à sens unique.

87Offrir du lien social ne constitue pas une nouveauté pour les associations observées. Dans les années 1950 aussi, on l’a dit, l’objectif des services de machines à laver était autant politique qu’économique : au-delà du service rendu, réaliser une mise en mouvement de la classe ouvrière. Le « lien social » faisait partie de cet objectif de promotion collective du monde ouvrier : les pratiques des associations y tendaient en faisant prendre en charge le plus possible les services par les personnes concernées elles-mêmes, dans une certaine forme d’autogestion (Dussuet, Loiseau, 2003). Mais si cet objectif était inscrit dans le fonctionnement général des services et dans celui de l’association, il n’était pas aussi ouvertement formulé.

  • 22  « On leur a dit qu’ici c’était un lieu commun, un lieu public, et que (...)

88La différence réside aujourd’hui dans la position des militantes quant à l’utilisation des services : elles sont rarement elles-mêmes demandeuses. Il faut souligner que même si dans les cas observés, l’utilisation des machines se fait en « self service », elle est néanmoins « encadrée » par des bénévoles comme celle-ci qui « arrive ici à 1 h et demie-2 h moins le quart au plus tard, pour ouvrir les portes […] repart avec la personne en contrat CES qu’on a décidé de ne pas laisser seule, parce que c’est aussi un accompagnement et donc [elle] repart à 18 h-18 h 30 ». Si le service ne lui était pas destiné a priori, cette bénévole y passe donc tous ses après-midi (elle travaille à mi-temps par ailleurs), et finalement utilise elle aussi les machines pour son propre linge. Les militantes ne se situent donc pas totalement en extériorité car elles paient en quelque sorte de leur personne dans le fonctionnement quotidien des services, jouant un rôle irremplaçable d’encadrement et de régulation. Mais leur positionnement les amène, sans doute plus qu’autrefois, à formuler pour les structures des règles de fonctionnement appartenant à l’espace public : par exemple, la nécessité de l’usage de la langue française qui a dû être énoncée face à des femmes maghrébines grandes utilisatrices de l’espace « couture » et qui tendaient à y recréer un « espace privé22 ».

89Malgré ces règles, la formalisation du fonctionnement de cette structure reste limitée. Une large place est volontairement réservée à des activités conviviales, autour du café et de pâtisseries, rompant ainsi avec la monétarisation du service pour réintroduire une logique du don : l’animateur précise que le café est offert à tous ceux qui utilisent le service et qu’à la question : « si on paye pas, qu’est-ce qu’on fait ? », il est répondu : « vous pouvez apporter un paquet de café, ou mieux, faire un gâteau : il y en a toujours ici, le risque c’est de prendre des kilos ! Mais c’est ça la convivialité… ». Par ailleurs, si l’association utilise du travail salarié (1 animateur à ¾ temps, et 2 CES), elle a comme objectif la réduction progressive de ce temps afin de redonner une place prépondérante au travail bénévole dans la gestion au quotidien de la structure.

90Enfin, il faut souligner les résistances opposées aux pressions des financeurs pour opérer un contrôle sur les populations utilisatrices du service. Si la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) a été associée dès l’origine à la réflexion sur cette création de service, dans la tradition de la Confédération Nationale des Associations Populaires Familiales (CNAPF), la participation d’organismes institutionnels extérieurs ne va pas sans poser certains problèmes. Il s’agit de se distancier des logiques institutionnelles d’assistance, « ici, c’est interdit aux travailleurs sociaux », proclame-t-on, « c’est ouvert à tous, la CSCV tient à éviter l’étiquetage, ce n’est pas un lieu pour les pauvres ». Encourant ainsi le risque de voir disparaître un financeur, l’association a même repoussé une demande du Conseil Général qui souhaitait limiter l’accès du service aux seuls bénéficiaires d’allocations telles que le RMI (Revenu Minimum d’Insertion) ou l’API (Allocation Parent Isolé) et évaluer les résultats en matière d’insertion. De même, la présidente explique-t-elle à plusieurs reprises que « à la CSCV, on n’assiste pas », et cette position paraît représentative de la prégnance de ce principe fondamental du mouvement familial rappelé plus haut « entre eux, par eux, pour eux » et du rejet de l’inégalité induite par une « solidarité philanthropique » gouvernée par les institutions étatiques. Les militantes rencontrées insistent sur leur volonté de rendre la parole et le pouvoir « aux gens eux-mêmes ».

91Le modèle de service ainsi développé n’apparaît donc pas radicalement différent du modèle intermédiaire de « formalisation volontairement limitée » décrit plus haut, puisque sa construction donne toujours une large place à l’informel, reposant sur l’engagement bénévole et sur l’expérience intime des militantes attentives aux difficultés quotidiennes en même temps que sur un principe d’autonomie qui oblige les utilisateurs à s’impliquer dans la production du service délivré.

Des services qui perdurent en évoluant par vagues successives d’innovation

92Dans d’autres cas observés, le modèle a subi des transformations qui sont autant de réactions aux pressions déstabilisatrices de l’environnement. L’équilibre entre formel et informel est rompu, obligeant les associations à trouver d’autres modalités de mixage.

Les difficultés du modèle de « l’Aide à domicile »

93Le vieillissement de la population a entraîné une forte augmentation de la demande d’aide à domicile. Mais pour y répondre, les pouvoirs publics ont avancé des solutions en terme de « proximité », considérant que le service à réaliser ne correspondait pas à un réel « travail », à effectuer par des professionnels, mais plutôt à une activité assimilable à de l’entraide de voisinage. Les Travailleuses Familiales ont alors été jugées trop qualifiées et surtout trop « onéreuses » par les organismes financeurs et les associations se sont trouvées devant un double problème : d’une part, utiliser les Travailleuses Familiales en leur trouvant des domaines d’intervention à la hauteur de leur qualification et d’autre part, organiser les services délivrés par cette nouvelle catégorie de salariées affectées à l’aide à des populations non marginalisées socialement.

  • 23  L’idéologie de ces réseaux, animés par des Travailleuses Familiales s (...)
  • 24  8 320 travailleuses familiales en 1983, 6 600 en 1999, 6 900 en 2003, (...)

94On a vu comment la qualification des Travailleuses Familiales a été pérennisée grâce à une formalisation accrue à travers l’affirmation du caractère social de leur métier, leurs activités ménagères n’étant plus que le support d’une intervention à visée éducative. Parallèlement, se sont aussi développées leurs interventions hors du domicile et des actions plus ponctuelles, avec l’objectif de constituer ou de consolider le lien social, par exemple par l’animation d’ateliers de quartier, ou celle d’écoles de consommateurs ou encore des « réseaux d’échange de savoir23 ». Pour survivre, la profession s’est donc transformée en s’éloignant de ses spécificités liées à l’informalité domestique. Mais, malgré cela, le nombre24 des Travailleuses Familiales est en érosion dans le même temps que leur part dans les interventions à domicile décroît.

95Tout cela met en évidence le fait que les salariées de l’autre catégorie, successivement dénommées Aides ménagères, Aides à Domicile et aujourd’hui Auxiliaires de Vie Sociale qui ont été chargées de ces tâches auprès des personnes âgées sont, elles, cantonnées au travail ménager. Du moins en apparence, car tous les acteurs s’accordent pour dire que leur engagement réel dépasse ce domaine. Mais, malgré les revendications des fédérations d’associations employeuses, le plus souvent issues elles aussi des mouvements familiaux, la professionnalisation de ces salariées reste incomplète tant les associations se trouvent prises entre des logiques domestiques d’informalité qui poussent à une flexibilité débouchant sur la précarisation de l’emploi et des logiques professionnelles imposant la présence d’un prescripteur légitime (Clergeau, Dussuet, 2004) et la mise en œuvre d’un ciblage des situations concernées.

  • 25  Les mesures de dégrèvement fiscal, d’allégement de charges sociales (...)

96Le lieu privé du domicile dans lequel interviennent ces salariées introduit, en effet, un doute sur le « cadre » de leur travail, au sens donné à ce terme par Erving Goffman (Goffman, 1991) et sur les règles qui y sont applicables : s’agit-il d’une aide informelle assimilable à celle apportée par la fille, la belle-fille ou l’épouse, on est alors dans la logique du don qui exclut toute comptabilité, en particulier celle du temps passé ; ou bien s’agit-il d’une prestation marchande effectuée par une professionnelle en contrepartie d’une rémunération, ce qui implique au contraire l’application de règles formelles strictes concernant le temps et les modalités de production du service. Le modèle de « l’aide à domicile », inauguré par les Travailleuses Familiales, que nous avons décrit plus haut instaurait un « entre-deux » laissant subsister un certain informel permettant l’expression des singularités des familles utilisatrices tout en obligeant au respect des règles du droit du travail. Mais ce modèle supposait la reconnaissance du caractère « professionnel » de l’intervention garanti par l’association employeuse (Clergeau, Dussuet, 2005). Les politiques publiques destinées à développer les emplois dits « familiaux » ont déstabilisé ce modèle en réintroduisant de l’informel dans les relations d’emploi25 et en déniant la légitimité de l’intermédiation des associations.

  • 26  Au sein desquelles il faut signaler la forte croissance des services (...)

97Le développement des services d’aide à domicile s’est ainsi traduit par la montée d’un emploi féminin très précaire, y compris dans les associations26, plaçant le secteur associatif dans une position inconfortable de mauvais employeur et faisant planer le doute sur ses capacités à développer des services préservant à la fois la qualité du service rendu et la qualité de l’emploi des prestataires.

98Malgré ces difficultés, il faut souligner l’existence, dans certaines associations, d’un modèle du service à domicile aux personnes âgées qui renouvelle celui de l’aide à domicile grâce à l’intermédiation active de la structure associative. Celle-ci, en organisant le travail des salariées de manière à préserver l’application de règles (sur le travail du week-end, sur l’étendue de la journée de travail, sur la nature des tâches à effectuer ou pas…), en permettant l’émergence d’un collectif de travail à travers l’organisation de réunions de service ou de groupes de paroles, en favorisant la formation continue qualifiante, évite la dérive du service vers l’informalité du type domestique, avec les conséquences en termes de précarité qu’il implique (Clergeau, Dussuet, 2004). Le maintien d’un niveau de formalisation minimum apparaît ainsi dans ce secteur comme un enjeu considérable.

La garde d’enfants

99Du côté de la garde d’enfants, des besoins croissants et nouveaux apparaissent, liés en particulier à la précarisation de l’emploi (Ruault, Daniel, 2003). La demande d’amplitude horaire est différente de celle des années 1970, puisque liée à l’individualisation (horaires décalés) et à la flexibilité des horaires de travail (travail du week-end, horaires variables) ; de plus, les changements dans la composition des familles (augmentation du nombre des monoparentales ou recomposées) les rendent plus sensibles aux contraintes de temps. Face à cette situation, les institutions établies, qu’elles soient à gestion municipale, d’entreprise, ou associative apparaissent souvent trop rigides pour répondre à une demande d’horaires atypiques ou irréguliers, voire imprévisibles. La pénurie de places en haltes-garderies suscite par exemple une forme de retour aux problématiques des années 1970, avec la nécessité opposée par les institutions de justifier le fait d’y laisser l’enfant pour des « raisons raisonnables ». Outre la culpabilisation, la généralisation de la contractualisation entraîne de nombreux refus de demandes de garde occasionnelles et non programmées, obligeant les parents à se tourner vers l’aide informelle (Daniel, 2004) et à échafauder des « arrangements de garde » individualisés, plus ou moins stables (Campéon, Le Bihan, Martin, Gardin, 2005), combinant les recours à des institutions et à divers acteurs informels (famille, amis) plus ou moins faciles à mobiliser dans l’urgence.

100Face à ces nouvelles formes de demandes, les associations ont généralement été plus réactives que les collectivités locales ou les entreprises pour proposer des solutions. On assiste ainsi dans les années récentes à une floraison de nouveaux services associatifs, telles ces crèches « à horaires atypiques », bien éloignés des traditionnels « horaires de bureau », ou même ouvertes 24 h/24, ces formules de gardes à domicile, parfois partagées entre plusieurs familles, ou encore, en milieu rural, des regroupements d’enfants dans des lieux tournants. Mais surtout, les associations apparaissent comme un acteur majeur de la coordination des différents modes existants de prise en charge de la petite enfance, et c’est sans doute dans cette approche globale permise par la mise en réseau de partenaires variés aux compétences différentes que réside l’innovation engagée.

101Ainsi, à Angers, la création d’une crèche destinée aux enfants de saisonnières agricoles n’est une nouveauté que parce qu’elle prend en compte les difficultés propres à cette catégorie de travailleuses dont les besoins de garde, atypiques, avec des horaires étendus, mais limités à la saison des cueillettes ne peuvent trouver réponse dans les structures classiques. C’est en mixant des ressources professionnelles et bénévoles que l’Association Petite enfance a pu créer un service qui prend en charge les enfants dès le départ pour les vergers de leur mère grâce à l’intervention de retraités bénévoles et motorisés pour le transport. Ceux-ci convoient ensuite les enfants vers la crèche où ils sont accueillis par des professionnelles salariées « classiques ». Ou bien encore, cette structure à horaires atypiques gérée par la même association qui marie l’accueil collectif de la crèche classique avec le recours à des assistantes maternelles recevant les enfants à leur domicile, salariées par l’association, afin de mieux étaler les plages de fonctionnement, combinant ainsi les avantages liés à la garde collective dans une institution établie (socialisation des enfants, activités adaptées à leur développement) et ceux d’un accueil plus individualisé et sans doute moins formalisé (flexibilité horaire), sans faire peser sur les salariées assistantes maternelles tout le poids de ce retour à l’informalité.

102L’analyse des divers types de montage de service révèle la grande plasticité des réactions associatives qui n’hésitent pas à bousculer des règles établies, à transgresser des frontières entre professions et institutions dont les travaux de L. Fraisse et B. Eme montrent le cloisonnement (Eme, Fraisse, 2005) pour proposer des services mieux adaptés aux besoins des familles. Cette hybridation des formes de travail, d’emploi, et plus généralement de ressources utilisées semble caractéristique des services développés par les associations.

  • 27  L’ouverture de crèches d’entreprise à des enfants extérieurs (soit pr (...)

103Il faut toutefois signaler que, si ces transgressions présentent des aspects positifs, elles peuvent aussi apparaître lourdes de menaces. Ainsi, face à la pénurie actuelle de places, le décloisonnement des modes d’accueil, fortement incité par les CAF, a eu pour résultat l’amélioration des normes d’encadrement en haltes-garderies, la possibilité de contacts entre enfants des haltes-garderies et enfants des crèches, mais il comporte aussi des éléments négatifs. Le souci de rentabilisation27 entraîne une augmentation du rythme de travail, une baisse de la spontanéité dans les relations avec les parents (badges-temps des parents, présence des enfants calculée quasi à la demi-heure), une diminution de l’attention à l’intégration de l’enfant (rotation plus rapide, comblements des « creux » qui pouvaient exister). D’une manière plus générale, on peut penser que les éléments d’informalité introduits par les transgressions de frontière, entre les professions notamment, sont aussi porteurs de risques de déqualification et de flexibilisation pour les salariées, ainsi que le montre par exemple Anne Eydoux (Eydoux, 2005).

104Comme dans l’exemple du linge, ces modèles actuels de développement des services apparaissent au premier abord fort différents de celui des crèches associatives des années antérieures. La plupart du temps en effet, ce ne sont pas les salariées concernées par les horaires atypiques qui se regroupent pour résoudre collectivement le problème auquel elles sont confrontées, mais des associations préexistantes qui décident d’offrir ces nouveaux services pour répondre aux besoins de familles démunies et peu engagées dans le militantisme associatif. Il ne s’agit donc pas d’une informalité qui proviendrait d’une « autoproduction » du service par les utilisateurs. Mais, tout comme dans « l’aide à domicile », on peut souligner que le service n’est pas entièrement défini par des offreurs « professionnels ». Une place est donc laissée à l’expression des besoins singuliers des utilisateurs. Le modèle spécifique des services associatifs « entre formel et informel », retrouve sans doute ainsi une nouvelle vigueur.

Conclusion : Spécificité des services associatifs Services hybrides et expertise dans l’innovation

105Dans tous les services évoqués, il y a au départ rencontre entre des besoins, qui ne se manifestent pas dans les mêmes périodes mais présentent des caractéristiques communes (défaillance du marché, contestation idéologique de forme et intensité variables d’un modèle de service et/ou de société) et des personnes et/ou des structures « en résistance » ou en recherche de promotion. Cette rencontre entraîne la création d’un modèle spécifique de services, caractérisé par une logique d’entraide et de solidarité démocratique, l’absence de distinction nette entre offre et demande, une formalisation volontairement limitée, un fonctionnement lié au modèle familial.

106Ces services connaissent un cycle de vie (certains s’arrêtant en cours de cycle), selon un emboîtement d’innovations naissant de paradoxes réels (conflits de valeurs, de pratiques) ou apparents, de pressions à la formalisation mais aussi de la force d’un informel récurrent. Les services qui parcourent le cycle complet représentent, en « concentré », les trois phases décrites par Jean-Louis Laville sur une période historique plus longue (Le Monde, 25/10/05) :

« À la première moitié du XIXe siècle apparaît un mouvement solidaire, qui essaie d’organiser des secours, pose des revendications sociales et, dans certains cas, réalise des productions en commun selon un principe d’égalité entre les membres […] puis ce projet s’estompe un peu mais laisse des marques avec la reconnaissance des statuts des associations, coopératives et mutuelles dans la seconde moitié du XIXe siècle. Parallèlement, le développement de l’État social et de l’économie de marché permet difficilement à l’ESS de garder son identité. Aujourd’hui, c’est la troisième phase. Face aux dérégulations et à la financiarisation de l’économie, de nouvelles initiatives apparaissent telles que le commerce équitable, l’épargne solidaire, etc., et permettent de renouer avec le projet pionnier. »

107Les innovations sont ici liées aux valeurs originelles de cette mouvance associative : la proximité au terrain, la capacité à exprimer les besoins réels des habitants d’un quartier, la volonté, par exemple dans l’élaboration d’un projet, de fonctionner au rythme des habitants, des usagers, toutes différences fondamentales avec les organismes gestionnaires de l’État-Providence. Compétences spécifiques qui font leur richesse, mais dont les associations ne perçoivent pas toujours l’existence et la force potentielle.

108La résurgence d’un modèle « bricolé » avec en particulier hybridation des ressources bénévoles et salariées, permet de « répondre » à des besoins plus éclatés. Les nouvelles modalités de garde d’enfants en sont un exemple, dont nous avons souligné également les effets secondaires posant problème (pression sur l’organisation et son fonctionnement, position des salariées).

109Il faut aussi noter au passage la manière dont certaines associations, fortes de leur expérience passée, en arrivent à proposer à des nouvelles venues une expertise à la création de services dans ce domaine, comme si cette manière d’externaliser du travail informel, en jouant avec des règles issues de mondes différents, constituait en elle-même un modèle transmissible.

110L’observation des différentes formes de services développées par les associations familiales amène à s’interroger sur l’existence d’un cycle de vie des services développés par les associations qui tendent à externaliser du travail domestique. Le passage ainsi réalisé d’activités informelles à des activités formelles se traduit par une certaine institutionnalisation en même temps qu’une relative professionnalisation des acteurs. Mais cette formalisation, qui permet d’adapter les services offerts au contexte social, peut constituer aussi, paradoxalement, un obstacle pour l’accès de populations plus démunies. Cette relative exclusion suscite alors la création d’autres services, plus accessibles parce que moins formalisés justement, de la part de certaines des associations originelles ou encore d’autres organisations qui ont pris le relais. Le modèle de création de service resterait alors au fond le même, consistant en mixage de ressources a priori incompatibles (du travail de gestion bénévole pour encadrer du travail d’intervention salarié par exemple), grâce à des compromis effectués sur les règles en vigueur dans des mondes opposés.

111Les femmes occupent une place essentielle dans ces formes de service tant par leur bénévolat que par leur activité salariée. Militantes et responsables d’association, et conduites par là même à une apparition sur la scène publique, elles éprouvent leur capacité à agir, aussi terre à terre que soit cette action. Salariées engagées dans la production des services, elles se voient définir une place entre mondes domestique et professionnel. Les enjeux sont multiples, pour les femmes, des modalités du développement de ces services. Une offre marchande de services aux familles permet assurément aux plus privilégiées d’accéder plus facilement à l’espace public, qu’il soit professionnel ou politique. Les soulager partiellement des contraintes domestiques réduit leur handicap dans cet espace public qui reste conjugué au masculin. Toutefois la salarisation de tâches domestiques exclusivement au féminin et sur un mode précaire ne permet aux femmes les plus démunies que l’accès à un segment dégradé du marché du travail tandis qu’elle laisse globalement inchangée l’assignation aux femmes du « domestique », perpétuant une division sexuelle du travail fondatrice d’inégalités entre les hommes et les femmes. La question de la professionnalisation des services et, parallèlement, de la qualité des emplois offerts par les organisations associatives apparaît ainsi centrale, en ce qu’elle conditionne l’accès des femmes à la sphère publique.

Notes

1  Beaucoup d’entre elles peuvent se rattacher à la JOC/F (Jeunesse Ouvrière Chrétienne/Féminine), soit par leurs militant(e)s, soit que l’organisation soit elle-même née de la JOC ou d’une association apparentée. Même si la référence chrétienne a cessé d’être le principe organisationnel, elle perdure implicitement et les principes « jocistes » se retrouvent dans la pratique associative.

2  Nous utiliserons pour cela plusieurs enquêtes auprès des associations des agglomérations de Nantes, Angers et Saint-Nazaire, mais aussi des résultats de travaux antérieurs. À partir de ces matériaux, nous avons réalisé des analyses monographiques, portant sur l’histoire des organisations concernées et des services développés. Nous avons également analysé les parcours des actrices concernées à partir des entretiens biographiques effectués.

3  La volonté d’impliquer les trois composantes (soit les « stakeholders », les parties prenantes) dans les décisions et la gestion produit parfois des heurts. Les Travailleuses Familiales sont encouragées à se syndiquer, car les militantes à l’origine de la profession s’inscrivent dans le monde et le mouvement ouvriers. Cette syndicalisation entraîne par ailleurs des conflits entre salariées et militantes gestionnaires, mais aussi entre militantes de générations différentes, les plus jeunes souvent plus sensibles aux revendications des salariées, et les plus âgées aux besoins des familles. Conflits vécus douloureusement, notamment par les militantes, écartelées entre action et gestion. Par exemple, des militantes ont été critiquées par des salariées (qu’elles avaient incitées à se syndiquer) qui réclamaient de meilleures conditions de travail et de salaire : « Pour elles, on était des militantes ouvrières, on aurait dû leur accorder leurs revendications. Or, on était aussi gestionnaires » (Entretiens avec d’anciennes responsables APAF). La vivacité des échanges permet néanmoins de réfléchir sur les contradictions inhérentes au système établi et au dépassement des rapports salariaux dominants.

4  L’arrivée à la tête des structures de directeur(trice)s « éducateur(trice)s de jeunes enfants » plutôt que puéricultrices, comme c’était la règle dans les crèches créées par les entreprises ou les collectivités locales, est présentée par un responsable associatif à la fois comme un choix idéologique, « privilégier l’éducatif », et comme une mesure d’économie permettant de boucler le budget d’une structure née en 1983 (Entretien).

5  Les directrices d’établissement sont obligatoirement des infirmières spécialisées en puériculture ; la santé des enfants est régulièrement contrôlée par un médecin qui autorise ou non leur admission.

6  Par exemple, à la fin des années 1970, un « collectif petite enfance » demande une grande amplitude des horaires d’ouverture pour permettre le « droit au loisir » : aller au cinéma pour les jeunes parents.

7  Par exemple, l’association s’engage à organiser au moins une rencontre-bilan dans l’année, en plus des échanges informels et de trois goûters festifs. Les parents versent une participation financière.

8  Selon les années, leur nombre varie de 12 à 20 par centre, en fonction des inscriptions mais aussi d’un maximum fixé par l’équipe et lié au nombre de bénévoles, donc aux possibilités d’encadrement. Le principe est que chaque bénévole ne prend en charge que quelques enfants voire, lorsque c’est possible, un seul pendant l’une des séances.

9  Les militantes peuvent être assimilées à des bénévoles car elles donnent leur temps, leur énergie, mais elles s’en distinguent par la vision globale et la volonté de transformation des rapports sociaux dont elles sont porteuses. L’opposition entre bénévolat et militantisme n’est toutefois pas aussi simple que le laissent supposer les militantes rencontrées. Elles ne la font reposer que sur un élément : considérer ou pas l’activité comme intégrée dans une vision plus globale, un objectif plus général de transformation. Or, lorsqu’à la fin des années 1970, une partie d’entre elles choisit « d’aller au travail », les militantes l’expliquent en mettant en avant la reconnaissance, par le salaire, du travail effectué, contrairement à ce qui se passe dans l’activité militante. Militantisme que, à cause de cela, certaines qualifient alors de bénévolat…

10  Qui a pour les militants le sens d’éviter l’assistanat, de permettre de participer à la vie de l’association.

11  Sans doute faut-il aussi voir là l’application d’un principe de « subsidiarité ».

12  Il faut souligner d’une part, que ce modèle n’est qu’un idéal-type, qu’on ne le trouve donc que rarement à l’état « pur », d’autre part, que toutes les associations du secteur n’en sont pas porteuses.

13  Rappelons l’existence dans les débuts de la formation des travailleuses familiales de « foyers-écoles », foyers « modèles » de militantes ouvrières dans lesquels les tâches ménagères pouvaient être apprises et expérimentées.

14 « La travailleuse familiale est dans une situation particulière qui la situe à la charnière de l’activité professionnelle et de la vie familiale. Son activité inclut la dualité : accomplir un ensemble de tâches ménagères précises, et exercer une fonction dite de relation, qui déborde le cadre strict des tâches à effectuer […] la travailleuse familiale et la mère de famille sont en quelque sorte en situation d’infraction par rapport au modèle théorique d’une salariée et d’une mère au foyer. La mère dévoile sa vie privée à une étrangère, à une femme qui est au travail et non en famille ; elle lui expose les termes de sa relation avec son mari, ses enfants, son entourage. Et cet échange n’est possible que parce que la travailleuse familiale est elle-même en infraction avec le modèle professionnel strict d’une salariée. À cet instant de la relation, la travailleuse familiale met en œuvre d’autres aspects d’elle-même que sa compétence à réaliser les tâches de la maison. Elle investit personnellement un rôle familial. ». B. Bonamy (1997), Les défis de la travailleuse familiale : entre travail social et services de proximité, Ramonville Saint-Agne, Erès, p. 116.

15  Crèches « parentales » et « à participation parentale » sont parfois distinguées pour faire apparaître la spécificité d’organisations qui, si elles font une place aux parents, réservent pourtant une place fondamentale aux professionnelles de la petite enfance.

16  Il s’agit là d’une rationalisation de l’organisation que l’on peut qualifier d’instrumentale puisque les nourrissons, les enfants qui marchent, ceux qui commencent à s’exprimer oralement ne demandent pas les mêmes soins et n’effectuent pas les mêmes activités. Il peut être considéré comme plus commode pour le travail des professionnelles, de regrouper les enfants nécessitant de leur part les mêmes gestes.

17  Selon l’évaluation réalisée dans le document de présentation de l’association.

18  Plus de 80 % des ménages ouvriers possèdent une machine à laver en 1975, ils n’étaient que 8,5 % en 1954.

19  Notons que, si ce mouvement est général, il subsiste des cadres bénévoles gestionnaires des services dans certaines organisations comme l’ADMR, ou quelques crèches parentales. Pour autant, la redéfinition de la répartition des tâches est souvent à l’ordre du jour…

20  Il faut remarquer que ce changement d’appellation se fait au masculin, comme s’il était impossible aujourd’hui de reconnaître une profession « de femme » comme une « vraie » profession.

21  Qui sont les héritières des associations familiales évoquées ci-dessus.

22  « On leur a dit qu’ici c’était un lieu commun, un lieu public, et que tout le monde devait pouvoir parler avec tout le monde, et ça on peut comprendre que quand elles sont 3-4, qu’elles aient envie de parler leur langue, c’est normal, c’est l’endroit où elles se retrouvent, elles ont envie de parler leur langue, mais à partir du moment où il y a une femme européenne avec elles, on leur demande de parler français, il est logique que tout le monde puisse s’entendre et comprendre ce qui se dit. Bon, c’est pas facile à le dire, mais… bon, moi, je le dis. » (Entretien).

23  L’idéologie de ces réseaux, animés par des Travailleuses Familiales sur leur temps de travail mais dans un cadre collectif, alors que leur action habituelle se fait uniquement au foyer des personnes aidées, met au cœur la recherche d’une réciprocité que les TISF ont quelque peu perdue dans leurs interventions auprès des familles. Il s’agit en effet, selon C. Hébert-Suffrin de permettre des apprentissages par transmissions réciproques, entre des personnes de toute origine sociale et de tout niveau scolaire. Chacun, quel que soit son parcours, est perçu comme riche de savoirs multiples accumulés. Dès lors, les relations verticales du type « maître-élève » sont exclues ou du moins envisagées comme toujours réversibles. Il ne nous paraît pas anecdotique que cette démarche soit promue justement par une association héritière du mouvement familial.

24  8 320 travailleuses familiales en 1983, 6 600 en 1999, 6 900 en 2003, soit environ 3 % seulement des 220 000 intervenants de l’aide à domicile. S. Bressé (2004), « Le personnel des services d’aide à domicile en 1999 », Études et Résultats ; C. Chabanier (2005), « Les statistiques de l’aide au foyer en 2003 », Recherches et Prévisions, n° 79.

25  Les mesures de dégrèvement fiscal, d’allégement de charges sociales et de simplification des formalités administratives, avec le chèque emploi service par exemple, ont eu pour conséquence de favoriser l’emploi en « gré à gré », entre particuliers, et donc les arrangements informels au détriment des contrats écrits.

26  Au sein desquelles il faut signaler la forte croissance des services mandataires dans les années 1990.

27  L’ouverture de crèches d’entreprise à des enfants extérieurs (soit prévue dès la création soit introduite longtemps après) correspond elle aussi à une plus grande souplesse pour pallier la pénurie de places, mais accroît le rythme de travail du personnel.

Auteurs

Sociologue, maître de conférences à l’Université de Nantes, membre du laboratoire « Genre Travail et Mobilités » (UMR 7183), ses recherches portent sur l’articulation entre espace domestique et espace privé, les emplois féminins dans les services et le travail salarié et bénévole dans les associations ; elle a dirigé récemment des travaux sur les services à domicile et publié Travaux de femmes – Enquêtes sur les services à domicile , Paris, L’Harmattan, 2005, 220 p.
Historienne et sociologue, a pour domaines de recherche : les femmes, le travail, le militantisme et le genre dans la France du XXe siècle. Elle a récemment publié avec G. Dermenjian, « La maternité sociale et le Mouvement Populaire des Familles durant les Trente Glorieuses », Clio, n° 21, 2005.

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