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    Plan détaillé Texte intégral La Bienfaisance en Seine-Inférieure La première fête est consacrée au malheur ! Notes de bas de page Auteur

    Les politiques de la Terreur

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    L’application de la loi du 22 floréal an II

    Armelle Ponsot

    p. 331-346

    Entrées d’index

    Index géographique : France

    Texte intégral La Bienfaisance en Seine-Inférieure La réception de la loi du 22 floréal an IILes registres normands, témoignage du travail des districtsLa sélection des indigents : les demandes d’inscriptions La première fête est consacrée au malheur ! L’organisation de la fête dans le district de Brutus-VilliersLe long et patient travail des districtsLa connaissance des indigents, la confrontation avec les réalités quotidiennes de la détresse Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Le 22 floréal an II, à la tribune de la Convention nationale, Barère propose, au nom du Comité de salut public, l’établissement de secours pour l’ensemble des citoyens indigents. C’est l’aboutissement d’un travail social de grande ampleur dont les prémisses se situent avant la Révolution dans les divers travaux des philanthropes et des réformateurs sociaux du siècle des Lumières. Cependant, seule la conscience révolutionnaire mise à l’épreuve des faits a créé les conditions de ce qui a pris figure de « politique sociale » dont l’établissement de la Bienfaisance nationale marque l’issue. L’exigence sociale fut exprimée par Saint-Just, rapporteur des « décrets de ventôse » ; en effet, il rappelle avec vigueur aux législateurs : « Abolissez la mendicité qui déshonore un État libre […] les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent »1. Cette exhortation lyrique mais aussi politique est le prolongement naturel des impératifs moraux exposés par Robespierre dans son Rapport sur les principes de morale qui doivent guider la Révolution. Mais comme l’a montré Catherine Duprat, le rapport du 22 floréal « n’est pas que le dernier décret d’assistance des Montagnards […] il est aussi une loi en forme de charte sociale » qui permet l’avènement de la démocratie. Il est « exposé doctrinal de la législation sociale, projet politique et annonce d’une création d’institution ». C’est à la fois le résultat d’un travail intense en faveur des indigents, inauguré sous une forme moderne dans les exigences du Contrôleur général L’Averdy formulées dès 1764, puis la mise à profit des travaux du Comité d’éradication de la Mendicité de l’Assemblée constituante créé en janvier 1790, et enfin la synthèse de la considérable législation sociale de la République. La Bienfaisance nationale est une « priorité politique nationale ».

    2Les grandes idées philanthropiques sont devenues des principes consubstantiels à l’esprit de la République en lui assignant le devoir de prêter assistance à ceux que Dufourny de Villiers définissait comme le « quatrième ordre »2. La notion de dette publique dicte à l’État l’obligation de subvenir aux besoins de la partie souffrante de la Nation. Certes, le Gouvernement révolutionnaire entend, par cette politique sociale neuve, conserver un soutien populaire mais, pour la première fois, des hommes et des femmes désignés par une administration locale active, obtiennent des secours pour améliorer leur déplorable situation matérielle. Barère propose de répartir 7 480 000 livres pour secourir les humbles dans les 550 districts de la République. Les citoyens les plus pauvres seront honorés publiquement au cours d’une fête civique : la fête du malheur. Lutter contre la pauvreté, c’est renforcer la République, la consolider et la rendre bienveillante « au milieu des fureurs de la guerre » et des inquiétudes qui ne cessent de croître dans la population en raison des difficultés de l’approvisionnement en denrées de premières nécessités. La vente des biens des émigrés doit financer l’aide sociale. Barère rappelle que « la mendicité est incompatible avec le gouvernement populaire »3. C’est la manière dont cette loi est appliquée en province, notamment dans le département de la Seine-Inférieure, qui sera étudiée ici.

    3Cette loi comporte deux aspects : en premier lieu, elle marque la continuité de l’intérêt de l’État et des autorités constituées locales pour estomper les nuisances liées à la pauvreté et, en second lieu, elle dit la volonté de soulager par une intervention active de l’État la partie la plus indigente de la nation. Elle s’inscrit à la fois en continuité avec des politiques passées et marque une rupture fondamentale, car l’État s’engage à offrir deux fois par an des moyens de survie à ceux et celles qui ne sont plus en état de travailler mais qui méritent la considération de la Convention Nationale. À Rouen, comme dans toute la Seine-Inférieure, l’action sociale s’est intensifiée. Recherchons d’abord comment la modalité d’application et de transmission aux sept districts s’est effectuée à l’initiative du directoire du Département, à la fois modéré et radicalement républicain ; est-il donné suite aux consignes reçues de Paris et dans quelle mesure ? Est-ce une traduction fidèle des exigences nationales ? Les raisons de l’acceptation d’une diffusion rapide du décret de floréal an II furent-elles la marque d’une réponse aux craintes que les milieux populaires exerçaient sur les Montagnards ou plutôt une appropriation locale de mesures qui servaient les intérêts des marchands et des négociants locaux, dominants en Normandie ?

    4L’inscription sur le Livre de la Bienfaisance nationale est un acte révolutionnaire symbolique. Les archives départementales conservent de très nombreux documents qui sont autant de preuves de l’importante activité des autorités : il est possible de consulter encore 40 registres appelés à l’époque Livres de Bienfaisance nationale où figurent les noms de ceux et celles qui furent choisis pour être honorés et surtout secourus, après avoir été désignés par la sensibilité et les soins d’un ensemble de citoyens acquis à la bienfaisance. Ces livres possèdent un caractère sacralisé qu’il est important de souligner. Ils sont documents uniques non par le luxe de leur aspect, mais par l’émotion qui se dégage de l’archive quand on découvre le travail solennel et méticuleux qui fut consacré à cette tâche de recensement des humains tombés dans la misère. En amont, une liste des inscrits est déposée au Département puis dans le temple de la Raison du district, on tient pour important de montrer comment s’est effectuée la désignation des miséreux. Ce fut le résultat d’un effort concerté entre les municipalités, les officiers de santé, les curés et des autorités officielles en moins de dix mois.

    5Puis, c’est la fête du malheur et son organisation que j’entends présenter. Plus que la simple reconnaissance du besoin de soutien social d’une partie des citoyens, il s’agit d’honorer l’agriculture en tant que symbole de l’activité nourricière en une période de pénuries et de troubles de subsistances. En effet, la lecture des registres de délibérations des districts de Seine-Inférieure insiste sur le caractère vital que revêt cette démarche qui valorise le travail de la terre, surtout en temps de guerre lorsque les armées ont des besoins considérables et requièrent un effort supplémentaire qu’il convient de faire accepter par toute la population. C’est le district de Rouen qui fournit le plus d’informations permettant de mesurer avec précision tous les enjeux de cette politique.

    La Bienfaisance en Seine-Inférieure

    La réception de la loi du 22 floréal an II

    6Aucun commentaire particulier n’accueille cette loi. Ce n’est, pour les magistrats, qu’une loi sociale de plus qu’ils doivent mettre en application avec autant de célérité que les textes précédents. Les autorités locales n’ont jamais failli à cette tâche qui consistait à renseigner l’État, interpeller les municipalités, recenser les pauvres, soutenir les demandes de financements des hospices et assurer les achats de subsistances. L’engagement social des Normands est indiscutable et procède de la volonté de soulager la misère et de résoudre, autant qu’il était possible, la question de la mendicité, sujet sensible, tant les craintes de débordements, de violences de toute nature obligent les autorités à prendre des positions politiques plus ou moins teintées de philanthropie afin de ne pas entraver l’activité économique de la province. Il faut aussi offrir aux négociants, hommes à talents et autres juristes, des opportunités pour exercer le pouvoir. La Bienfaisance fut aussi pour eux un prétexte pour affirmer leur hégémonie sociale. La municipalité de Rouen a toujours opté pour des stratégies laissant à penser que les problèmes sociaux dictaient son action. Le personnel municipal, les dirigeants, sont de la même sensibilité que les personnalités qui sont élues pour former le département de Seine-Inférieure. Ils travaillent ensemble depuis la fin de l’Ancien Régime, ils ont œuvré au sein de l’Assemblée provinciale. Après 1790, ni les dirigeants politiques ne changent, ni les dispositions politiques locales du pouvoir. Le département répond aux sollicitations de la loi avec une grande efficacité et l’activité sociale exposée dans le bilan des travaux effectués entre décembre 1791 et novembre 17924 en est la preuve : le langage convenu qui est alors tenu est le suivant : « La Religion, l’humanité, le maintien de la sûreté publique réclament impérieusement […] pour le soulagement des malheureux qui par leur infirmité, leur âge se trouvent dans l’impuissance de se procurer par eux mêmes des secours, des moyens de subsistances pour achever de consommer une vie souvent épuisée par leurs travaux et par les services que dans les temps de rigueur ils ont rendus à la patrie […] »5. Cette profession de foi n’est jamais remise en cause. Quels que soient les choix politiques nationaux, une stricte obéissance à la loi préside à la réalisation des travaux. Il en est de même en l’an II. Conformément au décret du 14 frimaire an II, le département connaît une moins lourde activité sociale6 ; on sait qu’elle incombe de plus en plus aux sept districts. Ce sont eux qui ont reçu la charge de la Bienfaisance nationale. Il n’y a pas d’enthousiasme, pas d’opposition non plus, même passive, pour organiser l’aide aux indigents des campagnes, cultivateurs et artisans de plus de 60 ans et à leurs veuves, aux femmes indigentes « chargées d’enfants » en attendant que la Convention nationale ne complète son œuvre et se charge de la misère urbaine. Le directoire du département cantonne ses attributions au strict contrôle financier. Le département doit se contenter de s’occuper de la formation et de l’envoi de l’état des populations7. Il n’est qu’un simple intermédiaire, tout en gardant le contrôle de la distribution semestrielle de cette prestation. Ici éclate une ambiguïté dans l’attribution des pouvoirs au lendemain de l’épreuve fédéraliste.

    Les registres normands, témoignage du travail des districts

    7Les Archives de Seine-Maritime conservent des livres qui devaient avoir été déposés avec solennité dans les temples de la Raison, donnant un caractère grave à cette loi unique. Ces livres sont simples, ornés d’un dessin allégorique montrant la chaleur et l’humanité de la République, bienveillante pour les êtres fragiles. Les indigents sont divisés en quatre classes : celle des cultivateurs âgés de plus de 60 ans, des vieillards et des infirmes, celle des artisans, vieillards et infirmes, celle des mères et veuves indigentes « chargées d’enfants » et la dernière regroupe les veuves des agriculteurs et artisans. Chaque classe possède son registre réglementaire, il est rempli par le secrétaire de district, sous le contrôle du président et de l’agent national, lors de la sélection des indigents parmi les individus qui demandent des secours. Il est impossible de savoir quels critères furent appliqués pour désigner les pauvres.

    8En tout état de cause, cinq districts sur sept laissent des archives : 815 hommes et femmes de la campagne sont aidés de façon certaine. La moyenne par district est environ 150 personnes ; il est alors plausible de croire que ce furent plus de 1 200 personnes qui reçurent une aide semestrielle d’un État qui reconnaît la dette que la nation a envers ces hommes et ces femmes affligées. Les auteurs de la loi avaient envisagé de pourvoir au soutien de 11 000 personnes par département de 100 000 habitants8. La Seine-Inférieure aurait en 1793, 626 593 citoyens9. Le nombre de personnes assistées serait donc six fois moins important. Aucune source n’expose les raisons de ce nombre particulièrement bas.

    9Comment ces gens sont-ils présentés dans le livre qui les honore ? Sur la page de droite l’identité du pauvre est déclinée. Il est déclaré qu’il « a droit à la Bienfaisance nationale pour telle somme payable par avance de six mois en six mois ». Sur la page de gauche apparaissent les noms des éventuels remplaçants en cas de décès. Seul le district de Rouen a laissé le témoignage d’une liste de personnes supplémentaires mais pour la seule classe des agriculteurs, 78 au total qui peuvent se substituer en cas de décès au titulaire en titre10. Quel est l’effort consenti par l’État pour cette subvention ?

    10Les sommes versées varient selon les catégories : le cultivateur reçoit 160 livres par an, soit l’équivalent de 80 jours de salaire d’un compagnon, l’artisan 120, les femmes 60. Si je prends l’exemple de Rouen, au premier semestre 147 personnes sont assistées recevant une somme globale de 8 180 livres. Par comparaison, le district de Rouen perçoit 41 252 livres 8 sols le 4 ventôse an III au titre de la loi du 13 pluviôse an II qui permet la distribution de 10 millions pour des secours provisoires. La Bienfaisance nationale requiert au total une somme versée de 13.5 millions pour la nation, ce qui représente, selon Catherine Duprat, une aide « modeste au regard des sommes versées pour les hôpitaux ou ateliers de charité »11, car elle précise aussi que 115 millions de secours furent votés entre prairial et ventôse an II12. C’est une aide de plus dans tout le dispositif d’assistance mis en place par la Convention montagnarde. Mais, pour la première fois, un projet « philanthropique » prend la forme concrète d’une institution. Sur la première page des registres de Bienfaisance, on peut lire : « La République honore la vieillesse et le malheur ». Ce ne sont plus des mots vains ; il existe désormais une traduction financière qui, quoique limitée, doit permettre de secourir les plus démunis de manière pérenne.

    La sélection des indigents : les demandes d’inscriptions

    11Les districts transmettent les consignes à chaque municipalité. Une chaîne complète de citoyens se met au service de la cause nationale. C’est à partir de méthodes héritées de l’administration d’Ancien Régime que les administrés travaillent à la sélection des plus pauvres. Le travail d’assistance, aussi incomplet fût-il et pour le moins justifié par des préoccupations plus politiques que sociales, sert de base au recensement. Il est habituel depuis l’Ancien Régime de faire des listes et de les soumettre aux mêmes censeurs, en l’occurrence les autorités municipales et les curés. Il est important que ces derniers attestent l’identité des demandeurs d’aide. Leur rôle n’a aucun caractère religieux, ils ne prennent la plume que dans le cadre de leur fonction de tuteur moral de la population. Aux cotés des personnes élues, les officiers de santé prennent, eux aussi, une part essentielle dans le processus de sauvegarde des indigents. Chaque district désigne trois « médecins » comme le prévoit la loi. Ils sont trop peu nombreux pour l’immense tâche à accomplir, il en aurait fallu cinq. Le comité des Secours publics n’autorise pas la présence de deux officiers de santé supplémentaires. Bien que le directoire ait exposé que pour « l’étendue du territoire du district de Rouen 5 officiers de santé par la loi du 22 floréal an II semblent nécessaires »13, le comité des Secours publics est inflexible : « La loi fixe à trois par district, nous ne pouvons vous autoriser à maintenir en fonction ceux que vous avez nommés »14. Mais il est important de noter que cet échange de lettres a lieu en floréal au III, au moment où se dessine la réaction sociale depuis frimaire. Le district a donc eu la possibilité pendant un an d’agir de façon extra-légale. Un an pendant lequel les demandes d’inscriptions ont été effectuées. C’est une longue approche des indigents, les méthodes de travail se précisent en donnant toute leur valeur aux efforts des bienfaiteurs et des philanthropes précédents qui ont inspiré le mouvement en suivant les conseils de Paris qui invitent « à stimuler le zèle des municipalités »15. Les sources concernant le district de Rouen sont les plus nombreuses et les plus complètes pour suivre le travail accompli. Chaque municipalité doit fournir pour les quatre classes de pauvres des nombreux renseignements ; d’abord sur l’identité et les origines à l’aide d’un certificat de naissance qui provient parfois de paroisses fort éloignées, ensuite l’ascendance sociale des parents, parrains et marraines sont requises, enfin les lieux d’habitation successifs ainsi que la durée de domiciliation et les activités rurales effectuées. Il ne faut pas oublier que, pour obtenir l’aide de la nation, il est impératif d’avoir eu une activité en rapport avec l’agriculture pendant un minimum de 20 ans. Les attestations des maires complètent parfois celles des curés qui reconnaissent l’existence dans un village de telle personne à secourir. Il est ainsi possible de suivre une part de la mobilité du monde rural dans la vallée de la Seine. Un certificat d’indigence est indispensable, source particulièrement significative car elle indique la grande connaissance que les officiers municipaux ont des personnes qu’ils proposent à l’inscription. Il faut aussi un certificat de résidence au moment de la demande avec un certificat d’activité (ou d’absence d’activité) délivré par les employeurs. L’enquête se termine par le témoignage des officiers de santé ; on remarque parfois que l’avis de deux spécialistes est requis. Ils visitent alors les indigents pour décrire leurs handicaps éventuels. Ils exposent aussi les soins procurés, les résultats des traitements proposés ; ce sont des auxiliaires indispensables dans l’établissement de cette politique de l’an II.

    12Il est impossible de savoir quels critères furent retenus pour choisir les 147 bénéficiaires du district de Rouen, malgré l’ardeur mise par cette administration à accomplir sa tâche. On peut simplement remarquer que l’âge est un critère fondamental. Le premier de la liste des cultivateurs est un habitant de Roumare, né en 1706, âgé donc de presque 90 ans, le dernier est le plus jeune né en 1733. Il n’en est pas de même pour les veuves, car aucun document ne fournit les éclaircissements voulus. Un an après le discours de Barère, les livres de la Bienfaisance nationale sont rédigés et il est possible de répondre à l’exigence de la Convention dans tout le département.

    La première fête est consacrée au malheur16 !

    13Après un long travail des administrations, un soin particulièrement attentif est offert aux citoyens normands fragiles, après avoir permis qu’émerge une institution unique, d’une ampleur et d’une portée considérable. Il est possible d’en percevoir toute la dimension politique car elle consacre, d’une part, des années de réflexion critique, et d’autre part, la mise en application de moyens locaux plus ou moins efficaces, plus ou moins opportuns, plus ou moins intéressés. Elle est simultanément conçue pour aider les pauvres, mais aussi pour sauvegarder un ordre qui garantisse la croissance des couches sociales talentueuses, industrieuses et possédantes. Les indigents furent secondés ; les ordres politiques donnés traduisirent les aspirations profondes des républicains tout en marquant l’avènement d’une nouvelle conception de l’assistance républicaine.

    14C’est pourquoi en instaurant la « fête du malheur », en imposant à la population un moment de recueillement pour honorer le travail non seulement des inscrits sur le livre de la Bienfaisance nationale, mais aussi de tous ceux qui ont, leur vie durant, ployé sous une vie de labeur fastidieux. Cette fête doit être à la fois lyrique et émouvante, pathétique et humble. Image de la grandeur de la République, de la simplicité des mœurs et de la pertinence de la loi ! Pourtant, cette fête ne se contente pas de souligner la fragilité de la population rurale, elle dépasse cette intention pour rendre hommage à une préoccupation majeure qui prend toute sa dimension en étant simultanément associée à la reconnaissance du travail de la terre : la « fête du malheur » devient un double de la fête de l’agriculture. Les raisons sont sans doute faciles à comprendre : outre le caractère symbolique de la terre nourricière, le sujet d’inquiétude des autorités constituées depuis 1790, et, plus encore depuis le début de la guerre, ne cesse d’être la question du problème des subsistances. Les délibérations de districts, les travaux des municipalités, les missions des représentants de la nation visent à permettre l’approvisionnement de tous les citoyens, combattre les spéculations, contrôler les boulangeries et assurer l’achat de grains pour que les halles soient garnies en permanence. La subsistance des soldats, des Parisiens, des habitants des grandes villes et des campagnes est en jeu. C’est donc une vision plus large que celle de la souffrance des miséreux et de l’assistance que porte la fête, qui entend exprimer la gratitude de la nation envers les cultivateurs, la reconnaissance envers tous ceux qui travaillent à sauver la République en permettant l’approvisionnement, en un moment où, par la reconnaissance de l’immortalité de l’âme et l’établissement du culte de l’Être suprême, Robespierre veut contribuer à sacraliser l’action politique.

    L’organisation de la fête dans le district de Brutus-Villiers

    15Seul le registre des Secours publics du district de Brutus-Villiers – ci devant Montivilliers – expose le programme de la fête17. Après avoir réuni toutes les informations et confectionné solennellement les « livres de la Bienfaisance », tout en ayant obtenu la certitude que 8 460 livres seront versées, les membres du district le plus important par le nombre d’assistés18, au regard de la loi du 22 floréal, communiquent le programme retenu aux municipalités de la circonscription. C’est au cours de cette réjouissance imposée que les bénéficiaires peuvent alors recevoir, en présence du peuple, le paiement du premier semestre.

    16La fête doit être « simple et touchante ». La date choisie est le 20 floréal, soit un an après le vote de la loi. Toutes les municipalités sont priées de concourir à la réussite de ce moment particulier ; il est précisé que c’est dans le lieu de réunion des séances publiques que doit avoir lieu à midi l’offrande républicaine. Les instituteurs des écoles primaires sont chargés de participer au rassemblement en venant accompagnés de leurs élèves. L’ensemble forme un cortège qui se rend avec des outils aratoires dans le lieu déterminé pour rassembler les citoyens le décadi. Il n’est pourtant pas précisé ce que doivent faire les maires dont les communes ne comptent pas de « secourus ». Le texte de loi est lu dans le temple de la Raison : il faut honorer le travail, accueillir l’enfance et prêcher le respect de la vieillesse, guérir et soulager l’infirmité. Il est souligné que c’est une dette que la République paie à ceux dont les travaux ont fertilisé nos champs. Il n’y a ensuite aucune autre mention de la journée dédiée à l’agriculture. Le district de Rouen n’évoque pas les conditions dans lesquelles la vieillesse fut célébrée. La Société populaire de Rouen avait déjà permis sous le présidence de Louis Lézurier19 de rendre hommage aux vieillards par une cérémonie au cours de laquelle le message politique fut à nouveau précisé par le discours du jacobin Caudron : « Si la reconnaissance est un devoir de l’homme obligé, la Patrie peut encore moins s’en dispenser envers les vieillards qui ont dévoué leurs talents et leur faculté à la rendre heureuse et florissante, vous lui avez donné les moyens d’acquitter une dette qui va devenir pour vos administrateurs et nos descendants un germe d’émulation et d’encouragements […] ». La « fête du malheur et de l’agriculture » est à la fois don de l’État, humilité face à la souffrance, mais aussi reconnaissance du travail, encouragement, stimulation, enseignement. Cette fête s’inscrit dans un projet politique à long terme et est l’expression du commencement d’un regard neuf et différent posé par l’État sur les citoyens. Elle est à la fois un lien, une aide et un contrat de réciprocité, d’engagement entre les législateurs de la République et ceux qui la composent et la défendent. La Bienfaisance nationale n’est rien d’autre qu’un acte politique de grande envergure dans un système qui articule la démocratie politique et la politique sociale.

    17L’administration du département de Seine-Inférieure avait envisagé, elle aussi, d’organiser une fête et d’y inviter tous les bénéficiaires de la loi. Elle devait avoir lieu le 10 thermidor an III. Les administrateurs durent pourtant y renoncer : les problèmes locaux d’approvisionnement, la fragilité des indigents, le retournement politique de l’an III, le coût en subsistances ne permirent pas que le projet aboutisse. L’enthousiasme est évidemment tempéré par les circonstances politiques. La disette s’étend à la suite de la déréglementation, les mesures sociales sont devenues plus pragmatiques et répondent plus à des besoins urgents, en ne laissant aucune place à des considérations philanthropiques. Les listes d’indigents furent établies ; les districts ont rencontré bien des difficultés mais ces dernières ont été surmontées par la conscience d’administrateurs opiniâtres et déterminés à mettre en application la loi du 22 floréal au moins jusqu’au milieu de l’an III.

    Le long et patient travail des districts

    18La lecture des délibérations de district permet de constater que la bienfaisance dans le département de Seine-Inférieure ne revêt pas un caractère exceptionnel. C’est un chantier supplémentaire dans l’ensemble de tous ceux ouverts depuis 1790. C’est sans doute pour cela que les administrateurs ne prennent pas conscience du caractère neuf de cette institution et se contentent d’appliquer des consignes comme ils exécutent les autres qui leur incombent. Il n’y aucun propos ou intervention rapportés dans les registres de délibérations des districts qui permettraient de savoir comment les Normands ont vécu les transformations qui s’opéraient alors, ou bien leur enthousiasme fut masqué par une rigueur qui n’autorisait qu’une allégresse convenue au travers de l’habituel discours révolutionnaire. Il reste que le travail est toujours aussi considérable au sein des bureaux locaux du Secours public. On remarque cependant en l’an III20, pour le district de Rouen, une volonté évidente de réduire les activités d’entraide ; les membres du bureau des travaux publics ordinairement chargés des ateliers de charité sont priés de se réunir avec ceux des Secours publics. Paradoxe puisque les projets sont de plus en plus nombreux ! Le secours n’est pas seulement acte révolutionnaire et soutien populaire ; il est même, comme sous l’Ancien Régime, reprise de méthode ancienne de surveillance. L’aggravation des difficultés économiques en l’an III pousse les administrations à recourir à toutes les solutions possibles pour éviter des manifestations populaires. En messidor, le leitmotiv du district de Rouen est le suivant : « [il faut considérer] les difficultés qu’éprouve l’organisation générale des secours aux indigens [...] »21. Autre contradiction, le travail social demande de plus en plus de compétences. On observe cependant un essoufflement, une baisse de vigueur, un épuisement. Les membres du district sont à l’image de la municipalité et de la grande majorité des hommes qui ont des fonctions politiques depuis 1a fin du règne de Louis XV. Ils sont souvent impliqués dans l’action sociale depuis des décennies ; ce sont des hommes à talents multiples convaincus, sinon du bienfait d’interventions révolutionnaires, tout au moins de la nécessité de modifier l’organisation des pouvoirs à condition qu’ils y prennent une part prépondérante. Ils ont été administrateurs des hospices ou bien membres de sociétés locales diverses. C’est un personnel à la fois dévoué et attentif, intéressé au bien public, mais ne perdant jamais de vue sa propre promotion dans la nouvelle organisation sociale. Le district de Rouen est à l’image de tout le monde politique rouennais, manifestant une attitude ambiguë envers le peuple. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont engagés dans des actions politiques. Ils ont mis en place la Bienfaisance nationale et se sont heurtés plus à l’indifférence des municipalités rurales qu’à une franche opposition. Ils ont dû effectuer de constants rappels au devoir civique pour les soumettre au « despotisme de la loi ». Le Département attend d’eux, en réponse aux exigences de la Commission des Secours publics de la Convention nationale qu’ils déploient tout le zèle possible, ainsi « pour stimuler […] les municipalités de [leur ressort] et employer tous les moyens propres à faire cesser les lenteurs […] »22. Les délibérations des autres districts, tel celui de Gournay23, plus ruraux, sont moins étoffées. Les registres sont moins complets ; le secrétaire se contente de l’essentiel. Il relate les débats par des phrases laconiques, ne commente, ni ne justifie. C’est un travail qui semble être fastidieux ; les préoccupations du directoire sont différentes, la bienfaisance pèse peu, on s’embarrasse peu de discours qui peuvent apparaître superfétatoires quand les craintes des conséquences de la guerre sont aussi grandes. À Cany comme à Montivilliers, la protection de la population, les obligations de fournir du salpêtre, des armes, des métaux, des quantités de grains, de soutenir les familles des défenseurs de la patrie passent avant toute autre considération24. Cela n’empêche pas de mettre en application la loi sur la Bienfaisance nationale. Elle est simplement un élément parmi d’autres, ne requérant ni plus ni moins de mobilisation. Le travail est accompli, et les indigents aidés, honorés à la lettre de la loi.

    19Il a fallu un an pour que les livres de Bienfaisance nationale soient déposés et que les fonds puissent parvenir dans tous les villages grâce à une organisation comptable rigoureuse. Une correspondance intense et souvent comminatoire des agents nationaux envoyée aux communes en rend compte. Ils ont, à ce prix, obtenu des résultats : les « fêtes du malheur » ont lieu, l’agriculture est honorée. Ils ont permis également à chaque bénéficiaire de disposer de l’aide gratuite et constante des officiers de santé. Ces derniers sont tenus de visiter les indigents, de faire des rapports sur leur état de santé et de distribuer les médicaments gratuitement. La Convention a mis à la disposition des praticiens des boîtes de produits naturels propres à soulager les maladies. Trois officiers de santé sont nommés officiellement le 23 floréal an III : Adam, praticien à Rouen, Briffaut à Boscherville et Dumont à Montville. Leur zone d’intervention est délimitée et leur rétribution fixée. Ils sont mis au service de l’indigence et doivent régulièrement rendre des comptes précis de leurs interventions. Ainsi, Dumont, responsable pour le troisième arrondissement, ne se contente pas de suivre la santé des pauvres désignés par le livre de Bienfaisance, il expose l’état sanitaire de son aire de compétence : « Le 3 fructidor an III, il ne s’est trouvé pendant le mois de messidor dans l’étendue de l’arrondissement qu l’administration m’a confiée aucun malade parmi les citoyens inscrits sur le livre de Bienfaisance nationale. Malgré la mauvaise qualité des subsistances dont le peuple a vécu il ne se manifeste aucun symptôme d’épidémie. Quelques fièvres ardentes dues à une bile exhalée s’observent sporadiquement ce n’est que chez les personnes qui ont souffert de la privation de pain et qui en mangent avec voracité depuis la récolte de seigle que se manifestent des coliques, des diarrhées, indices de mauvaise digestion, sur vingt malades, il y en a deux à peine de la classe indigente. Dumont médecin »25. Non seulement la Bienfaisance entraîne un regard particulier sur des pauvres choisis et désignés par la communauté comme particulièrement vulnérables mais elle oblige à porter un regard global sur tous les défavorisés. L’État exerce parallèlement à son devoir de solidarité une constante surveillance sanitaire du territoire.

    La connaissance des indigents, la confrontation avec les réalités quotidiennes de la détresse

    20La loi sur la bienfaisance offre des sources uniques sur le monde de l’indigence. Mais pas sur les pauvres cultivateurs, artisans femmes et veuves chargées d’enfants. On sait peu de choses : seulement quelques renseignements épars, rien de très précis. Dans cette exploration de la misère du monde rural, la richesse documentaire se trouve dans les très nombreuses pièces qui accompagnent les demandes d’inscriptions. Ces dossiers, particulièrement riches pour le district de Rouen, transmettent l’histoire de ces gens qui n’ont pas la parole et auxquels Marie Didier dédie son roman Dans la nuit de Bicêtre26. Indirectement, cette parole ils ont pu la faire prendre en considération en l’an II. Les officiers de santé soulagent parfois quelques souffrances physiques. La rédaction de ces demandes d’assistance médicale a demandé des heures d’écoute et une connaissance sans égal des gens concernés. Pour chaque pauvre, nous pouvons connaître, outre la nature de son infirmité, l’époque où elle a commencé et sa cause, le temps d’exercice du métier dans l’agriculture et le genre de tâches qu’il a rempli, les déplacements et les différentes communes où il a exercé et le temps passé dans chaque lieu. Il est indiqué l’état de ses ressources (ou plutôt l’absence d’icelles). Les familles sont décrites, leur pauvreté et leur éventuelle capacité à subvenir aux besoins des parents indigents ; le district examine les ressources des individus capables de subvenir à la nourriture de parents dépendants. Il y a une recherche très méticuleuse de la quantité de secours à prodiguer tout en évitant les cumuls d’aides. Pour arriver à parfaire la rédaction des actes décisifs pour l’octroi de prestations, il faut la collaboration de tous les responsables des communautés rurales : le curé, les municipalités en interrogeant aussi les personnes qui embauchaient. Il est alors possible d’apprendre que Jean Auzous, de la commune de Montigny dans le canton de Canteleu, travaille la terre depuis 60 ans et qu’il est âgé de 72 ans. Son unique moyen de survie est la mendicité, car il est paralysé et n’a aucune famille qui puisse lui apporter des secours. Jean-Baptiste Lézurier, jardinier depuis 34 ans, âgé en l’an III de 66 ans, est proposé, lui aussi, pour recevoir la bienfaisance nationale. Le certificat de baptême de Jean Hurard, aussi jardinier, est lui aussi très complet ; il a été baptisé dans la paroisse de Saint Jean du Cardonnay le 24 janvier 1715, né de légitime mariage entre Jean Hurard et Marie Morel. Il travaille la terre depuis 40 ans et se trouve dans le plus grand dénuement27. Alors, il est souvent mentionné par le représentant de la nation que celui qui usurpe les secours qui ne sont dus qu’à la véritable indigence est traître à la nature et à la patrie. Mais la démarche consistant à solliciter de l’aide n’est pas encore familière : la municipalité de Canteleu déplore dans un premier temps par une lettre envoyée aux administrateurs du district révolutionnaire de Rouen reçue le 1er frimaire an III, qu’elle a fait proclamer le décret du 22 floréal, mais qu’il lui est impossible d’y répondre car personne ne s’est présenté pour se faire inscrire. Peu de temps après, elle réitère son appel et peut présenter quatre cultivateurs et trois artisans, mais aucune femme. Les édiles sont conscients du caractère incomplet de leur démarche, mais se contentent de rappeler l’existence de cette loi dans des conditions non précisées. Doit-on conclure que les pauvres sont invisibles, que les membres de la municipalité ne s’adressent pas au curé qui, lui, ne peut manquer de nommer des indigents, qu’ils oublient les nombreux documents qu’ils furent contraints de remplir pour la distribution de secours divers ou que les responsables politiques sont réticents à répondre aux sollicitations de l’État ? Est ce une opposition politique ou un manque de sérieux et de volonté ? Une obstruction ou une incompétence ? Rien ne permet de tirer des conclusions si l’on s’en tient aux seules sources de la Bienfaisance nationale.

    21Les femmes sont discrètes et se présentent peu devant les autorités Pour être aidées, elles doivent, lorsqu’elles sont inscrites dans la catégories des mères chargées d’enfants, en avoir au moins deux au dessous de 10 ans et allaiter un troisième, elles doivent vivre et être reconnues comme domiciliées à la campagne. Ainsi Marie Louise Tellier, âgée de 39 ans, veuve de Claude Cottard, demeurant à Montigny, sans ressource et sans aide de sa famille, figure sur la liste des femmes veuves ou chargées d’enfants. Elle en élève trois : deux garçons de 9 et 6 ans et une fille de 6 ans. De vieilles femmes sont aussi incluses dans la liste comme Marguerite Lesieutre, veuve âgée de 76 ans, grabataire, ayant à sa charge des grandes filles aussi pauvres qu’elle et respectivement âgées de 48, 46 et 44 ans28.

    22Mais il y a plus : l’exemple de Canteleu permet de comprendre quelle partie du corps médical jouit de la confiance populaire. Plus que les médecins réputés, parfois méprisants pour le monde populaire tel le célèbre Le Pecq de la Clôture, médecin de grand talent, mais n’acceptant guère d’être incommodé par les remugles de la misère. La municipalité de Rouen présente au district les hommes et les femmes qui ont gagné la confiance populaire dans un domaine où l'approximation et l’empirisme prévalent. C’est un médecin de Maromme, le citoyen Dieule, chirurgien et accoucheur de 50 ans, qui est désigné comme le plus apte à comprendre les tourments, à soigner les plaies, à combattre les infirmités, à déceler les maux de toute nature. Il est préféré à ceux du canton : les autres accoucheuses ou officiers de santé sont présentés comme incapables de réunir des appréciations positives sur leur pratique et rejetés comme personnes ne bénéficiant pas de la confiance générale. Cette période est aussi un moment décisif dans l’attention prêtée à l’hygiène, on reconnaît les résultats et l’influence de Marie Ducoudray pratiquant l’enseignement de la maïeutique et soutenue par les autorités rouennaises. La recherche des pauvres à inscrire sur le livre de la Bienfaisance nationale ouvre des abîmes insondables. C’est un moment de prise de conscience de l’existence des autres, de leur condition de travail, de leur besoin de survivre. La Bienfaisance permet d’éviter provisoirement l’accentuation de la misère. Les cas de malheur sont nombreux, la descente aux enfers s’accomplit inexorablement mais pour la première fois, grâce à la mise en place de l’assistance républicaine, un tournant s’amorce qui permet d’espérer des améliorations dans les conditions de vie, sous la responsabilité de l’État. Tout au moins de les envisager. Mais nous sommes bientôt en l’an III. La catastrophe économique cumulant ses effets avec l’abandon de toute volonté d’assistance sociale, ruine l’espérance de l’an II. La loi se voulait pérenne, elle ne dure que deux ans et est abrogée le 7 frimaire an V (27 novembre 1796).

    23Le département de Rouen a participé pendant deux ans à l’œuvre de la Bienfaisance nationale. C’est l’aboutissement d’une volonté politique mise en actes en l’an II, en accomplissement d’une pensée « jacobine » diffusée et traduite sur l’ensemble du territoire national. Née des efforts des Montagnards, la Bienfaisance nationale s’évanouit par manque de soutien. Elle survit pendant encore un an car elle est portée, relayée par les administrateurs locaux et parce qu’elle répond à des besoins bien spécifiques, l’aide à la vieillesse et aux femmes sans secours, sans travail, sans ressource. C’est au cœur des villages de campagne, parmi les plus sinistres masures du pays de Caux, là où des hommes et des femmes s’adonnent à des travaux de tissage du lin en attendant de participer aux moissons et autres travaux saisonniers que la Bienfaisance nationale touche le plus d’individus, incapables de venir et de savoir qu’une aide, aussi minime soit-elle, peut être obtenue en ville. La Bienfaisance nationale permet ainsi de faire sortir de l’ombre toute une partie de la population qui, par son éloignement social et économique, ne pouvait prétendre à rien. Certains percevront une aide, d’autres trouveront ici une reconnaissance politique inattendue. Le peuple des campagnes n’était plus une masse informe, mais des personnes nominativement répertoriées et leur état de pauvreté dénoncé, puis combattu. Aucune autre cause n’a mobilisé autant de services, d’hommes et de démarches vers les pauvres. Le district de Rouen a été particulièrement zélé, celui de Brutus-Villiers, a accompli sa tâche, les autres furent plus routiniers, mais tous contribuèrent à la réalisation des exigences de l’État. Ils ont tous par cette chaîne de soutien permis à plus de 1 200 personnes d’obtenir une aide soit la distribution de 42 126 livres29 : la Bienfaisance est plus qu’une première prestation sociale, c’est un acte révolutionnaire qui doit toute sa grandeur aux hommes de l’an II.

    24Catherine Duprat exposait que l’Amour du peuple était la pierre de touche de la politique jacobine de l’an II et faisait référence au Montagnard Billaud-Varenne pour qui : « la société est un échange journalier de secours réciproques »30. La Bienfaisance nationale en Seine-Inférieure est l’illustration de cette pensée tournée vers le peuple vertueux mais souffrant que Robespierre invoquait.

    Notes de bas de page

    1 Saint-Just, Rapport au nom du Comité de salut public et du Comité de sûreté générale sur les personnes incarcérées, 8 ventôse an II - 26 février 1794, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard-folio Histoire, 2004. p. 657-671.

    2 Dufourny de Villiers, dans Démocratie et pauvreté. Du quatrième ordre au quart monde, Éditions Quart monde/ Albin Michel, 1991, p. 141-154.

    3 Barère, Rapport sur les moyens d’extirper la mendicité dans les campagnes et sur les secours que doit accorder la République aux citoyens indigents, 22 floréal an II - 11 mai 1794 (Archives Parlementaires, tome XC, p. 246-259).

    4 A.D. Seine-Maritime (ci-dessous ADSM), L 162.

    5 Ibid.

    6 Ibid., L 163.

    7 Ibid., L 2620.

    8 Soit 400 agriculteurs, 200 artisans et 500 femmes.

    9 ADSM, L 327, Estimation datée de l’an VI : 626 593 habitants dont 299 584 hommes et 327 009 femmes en 1793.

    10 Ibid., L 2618, 1er prairial an III.

    11 Catherine Duprat, Pour l’amour de l’humanité, le temps des philanthropes, Paris, Éditions du CTHS, 1995, p. 349.

    12 Id.

    13 ADSM, L 2620, 25 floréal an III.

    14 Ibid.

    15 Ibid.

    16 Barère, Rapport sur les moyens d’extirper la mendicité (…), op. cit., p. 259.

    17 ADSM, L 2101, Registre pour servir à la correspondance du bureau de Secours publics du district de Montivilliers, 12 floréal an III.

    18 En l’absence de renseignements pour Caudebec-Yvetot et Dieppe, le district de Montivilliers est le plus important, comptant 187 indigents. Montivilliers se situe à 15 km du Havre-Marat ; la querelle économique entre Rouen et le Havre avait favorisé en 1790 le choix de Montivilliers comme chef-lieu de district en lésant la commune maritime.

    19 ADSM, L 5703, correspondance de la Société populaire de Rouen. Seuls le nom du président et les propos tenus permettent de dater cette lettre incomplète, car détériorée.

    20 Ibid., L 2306, 29 messidor an III.

    21 Ibid.

    22 Ibid., L 2620, 25 floréal an III.

    23 Ibid.

    24 Ibid., L 1543-1550, Cany ; L 2259-2206, Neufchatel ; L 1811-1818, Gournay.

    25 Ibid., L 2620, 3 fructidor an III.

    26 Marie Didier, Dans la nuit de Bicêtre, Paris, Gallimard coll. Les uns et les autres, 2006. Il s’agit d’un roman dont le héros est Jean Baptiste Pussin, interné puis surveillant à Bicêtre et à la Salpetrière pendant la fin du xviiie siècle. L’auteur précise qu’elle ne fait pas œuvre d’historienne.

    27 ADSM, L 2623, Secours publics, correspondance.

    28 Ibid.

    29 Ibid., L 2620, 10 prairial an III.

    30 Cité par Catherine Duprat, Pour l’amour (…), op. cit. ; Convention Nationale, séance du 2 messidor an II-20 juin 1794 (Archives parlementaires, tome LXXXIX, p. 99).

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    1 Saint-Just, Rapport au nom du Comité de salut public et du Comité de sûreté générale sur les personnes incarcérées, 8 ventôse an II - 26 février 1794, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard-folio Histoire, 2004. p. 657-671.

    2 Dufourny de Villiers, dans Démocratie et pauvreté. Du quatrième ordre au quart monde, Éditions Quart monde/ Albin Michel, 1991, p. 141-154.

    3 Barère, Rapport sur les moyens d’extirper la mendicité dans les campagnes et sur les secours que doit accorder la République aux citoyens indigents, 22 floréal an II - 11 mai 1794 (Archives Parlementaires, tome XC, p. 246-259).

    4 A.D. Seine-Maritime (ci-dessous ADSM), L 162.

    5 Ibid.

    6 Ibid., L 163.

    7 Ibid., L 2620.

    8 Soit 400 agriculteurs, 200 artisans et 500 femmes.

    9 ADSM, L 327, Estimation datée de l’an VI : 626 593 habitants dont 299 584 hommes et 327 009 femmes en 1793.

    10 Ibid., L 2618, 1er prairial an III.

    11 Catherine Duprat, Pour l’amour de l’humanité, le temps des philanthropes, Paris, Éditions du CTHS, 1995, p. 349.

    12 Id.

    13 ADSM, L 2620, 25 floréal an III.

    14 Ibid.

    15 Ibid.

    16 Barère, Rapport sur les moyens d’extirper la mendicité (…), op. cit., p. 259.

    17 ADSM, L 2101, Registre pour servir à la correspondance du bureau de Secours publics du district de Montivilliers, 12 floréal an III.

    18 En l’absence de renseignements pour Caudebec-Yvetot et Dieppe, le district de Montivilliers est le plus important, comptant 187 indigents. Montivilliers se situe à 15 km du Havre-Marat ; la querelle économique entre Rouen et le Havre avait favorisé en 1790 le choix de Montivilliers comme chef-lieu de district en lésant la commune maritime.

    19 ADSM, L 5703, correspondance de la Société populaire de Rouen. Seuls le nom du président et les propos tenus permettent de dater cette lettre incomplète, car détériorée.

    20 Ibid., L 2306, 29 messidor an III.

    21 Ibid.

    22 Ibid., L 2620, 25 floréal an III.

    23 Ibid.

    24 Ibid., L 1543-1550, Cany ; L 2259-2206, Neufchatel ; L 1811-1818, Gournay.

    25 Ibid., L 2620, 3 fructidor an III.

    26 Marie Didier, Dans la nuit de Bicêtre, Paris, Gallimard coll. Les uns et les autres, 2006. Il s’agit d’un roman dont le héros est Jean Baptiste Pussin, interné puis surveillant à Bicêtre et à la Salpetrière pendant la fin du xviiie siècle. L’auteur précise qu’elle ne fait pas œuvre d’historienne.

    27 ADSM, L 2623, Secours publics, correspondance.

    28 Ibid.

    29 Ibid., L 2620, 10 prairial an III.

    30 Cité par Catherine Duprat, Pour l’amour (…), op. cit. ; Convention Nationale, séance du 2 messidor an II-20 juin 1794 (Archives parlementaires, tome LXXXIX, p. 99).

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    Ponsot, A. (2008). L’application de la loi du 22 floréal an II. In M. Biard (éd.), Les politiques de la Terreur. Rennes: Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.4484
    Ponsot, Armelle. « L’application de la loi du 22 floréal an II ». In Les politiques de la Terreur, édité par Michel Biard. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2008. doi:10.4000/books.pur.4484.
    Ponsot, Armelle. « L’application de la loi du 22 floréal an II ». Les politiques de la Terreur, édité par Michel Biard, Presses universitaires de Rennes, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pur.4484.

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    Biard, M. (éd.). (2008). Les politiques de la Terreur. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Société des études robespierristes. https://doi.org/10.4000/books.pur.4434
    Biard, Michel, éd. Les politiques de la Terreur. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Société des études robespierristes, 2008. doi:10.4000/books.pur.4434.
    Biard, Michel, éditeur. Les politiques de la Terreur. Presses universitaires de Rennes, Société des études robespierristes, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pur.4434.
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