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L'économie sociale entre informel et formel

 | 
Annie Dussuet
, 
Jean-Marc Lauzanas

Formalisation, innovations et paradoxes dans les associations sportives

Jean-Marc Lauzanas et Gildas Loirand

Texte intégral

1Dans le panorama complexe des associations, le sport pourrait jouer le rôle d’un point d’ancrage pour une analyse portant sur l’innovation et la formalisation. En effet, le nombre des membres d’une collectivité nationale amenés à pratiquer comme celui des structures d’accueil font du club sportif un objet commun, observable par le plus grand nombre, un élément traditionnel, historiquement bien établi et visible du paysage socio-économique, inscrit dans un cadre légal. Pourtant la nature de l’association sportive peut être discutée et sa trajectoire n’est pas un long fleuve tranquille. Les formes récentes des avatars peuvent laisser dubitatifs sur la nature et l’organisation de l’association sportive qui, parfois, pourrait apparaître comme une provocation, un objet subversif dans le paysage associatif. Que penser en effet des rapports ambigus entre association et section professionnelle au sein des Groupements Sportifs de football professionnel ? Comment interpréter au regard de la relation au marché, de la formalisation et de l’innovation, cette difficile délimitation des frontières entre chacune des composantes ? Si l’association sportive ne peut être ramenée à ces figures somme toute marginales, il n’en reste pas moins que, par mimétisme ou contrainte, nombreuses sont les associations qui s’interrogent sur la façon optimale de s’organiser, sur les nouvelles pratiques à adopter ou proposer et sur les situations paradoxales qui peuvent en découler. Afin d’apporter des éléments de réponse à cette interrogation, le présent chapitre expose le cadre légal et les acteurs qui contribuent à le façonner. Il explicite les aspects de la formalisation, de l’innovation et des paradoxes dans neuf clubs choisis pour la variété de leurs caractères (clubs omnisports ou uni sport, associations orientées vers le loisir ou la compétition, association au sein d’un Groupement Sportif professionnel, clubs récents ou anciens).

Objectifs et Méthodologie retenue pour l’observation des associations sportives

Objectifs

2Conformément au postulat classique en sciences sociales selon lequel toute « prise de position » est en relation avec une « position » occupée dans le monde social, des discussions croisées avec les représentants d’associations sportives ont permis de dégager, dans un premier temps, trois grandes catégories d’associations sportives. Elles s’avèrent, selon nous, caractéristiques de l’état actuel de développement, de structuration et de différenciation du « mouvement sportif » associatif national. Schématiquement, la première catégorie regroupe les clubs qui, insistant sur la performance sportive, se sont progressivement polarisés sur une quête prioritaire de résultats en compétition (« associations sportives compétitives »). La seconde catégorie identifiée rassemble les associations sportives qui revendiquent plus franchement une mission sociale et éducative (« associations sportives socio-éducatives »). La troisième, pour sa part, implique les associations qui, ces dernières années et pour des raisons diverses, se sont engagées dans la commercialisation de services de type sportifs en direction de particuliers ou de collectifs préconstitués en dehors du monde du sport (« associations sportives marchandes »).

3Certes, cette première catégorisation analytique directement issue des observations réalisées lors des échanges évoqués n’implique pas, loin de là, que chaque club sportif « appartiendrait » ou « devrait appartenir » nécessairement à l’un ou l’autre de ces types d’association. En réalité, comme on le verra dans l’exposition des différents « cas » sélectionnés comme terrains d’étude, chaque association se rapproche toujours plus ou moins, selon ses caractéristiques précisément identifiées, de l’une ou l’autre des catégories engagées sans forcément se situer, dans les faits, totalement à distance des éléments caractéristiques des autres catégories. On rechercherait en effet vainement, dans l’univers sportif associatif, un club qui serait « purement » compétitif ou « purement » socio-éducatif ou encore « purement » marchand. Comme on le verra par exemple dans le cas de la Jeune France de Cholet, grosse association multisports centenaire, il n’est pas impossible de tenir ensemble un système de valeurs fondé sur l’engagement, la gratuité, le bénévolat et l’abnégation et un modèle de développement qui passe par une formalisation marchande de certaines des activités du club. De même, comme dans le cas de la Saint Médard de Doulon, il n’est pas impensable de jouer sérieusement le jeu de la compétition sportive, certes à un « petit niveau », et de poursuivre avant tout des buts socio-éducatifs en lien avec l’ancrage territorial du club, tels que sociabilité de quartier, animation de la jeunesse ou encore solidarité locale.

4Aussi, loin de s’évertuer à classer de manière rigide, l’enjeu de cette étude sur les capacités d’innovation des associations sportives est donc plutôt de chercher à comprendre comment, et au terme de quels modes particuliers de formalisation, telle ou telle association en est venue à se structurer en association plutôt compétitive, en association plutôt socio-éducative ou en association plutôt marchande. En outre, les tensions entre les différentes logiques par lesquelles s’organisent et se formalisent les activités des associations sportives conduiront inévitablement à souligner les paradoxes qui se dessinent lorsque, à partir d’une histoire relativement commune (voir infra), de nouvelles valeurs et de nouveaux principes d’action en viennent à bousculer la relative stabilité de valeurs et de finalités associatives et sportives qu’auront connue les clubs de sport à compter des années 1920-1930. Là se situe le second enjeu majeur de ce travail.

5Du coup, en remontant du particulier au général, ce chapitre aura aussi pour intention de montrer que, depuis une vingtaine d’années, les associations sportives sont affectées par le renforcement d’un double processus de spécialisation et de différenciation. Ce renforcement est particulièrement bien révélé par les innovations que les dirigeants du sport associatif ont générées, comme par les modes de formalisation des activités associatives qui en auront été la cause ou la conséquence. En l’occurrence, il apparaît qu’à partir d’un socle relativement commun de développement historique, fondé sur l’amateurisme et le bénévolat dans une logique « d’œuvre sociale », les associations sportives se sont différenciées en se spécialisant soit dans la production de performances sportives, soit dans l’animation sociosportive, soit dans la « vente » de services proposés à de véritables « clients ». Au-delà de la mise en évidence de ce double processus de spécialisation/différenciation, on cherchera également à souligner les paradoxes singuliers à l’univers sportif associatif que génèrent les nouvelles orientations caractéristiques du développement récent des clubs sportifs.

Méthodologie et associations observées

  • 1  Le Ministère des sports reconnaît comme fédérations sportives : les fédératio (...)

6Comme l’avaient clairement montré les échanges initiaux avec divers dirigeants sportifs, la variété et la singularité des associations, même ramenées à l’acception administrative énoncée par le Ministère des sports1, nous semblaient s’opposer à l’énoncé d’un modèle structuré, s’appuyant sur des régularités statistiques, capable de rendre théoriquement compte du passage de l’informel au formel. Dans ces conditions, il convenait de renoncer à une analyse fondée sur la fréquence visant à confirmer des hypothèses générales. De plus, un tel renoncement se justifiait d’autant mieux que les faits étudiés – les modes de formalisation – se seront assez vite révélés comme davantage singuliers que réitérables ou encore davantage empiriques que logiques. Aussi, c’est résolument un mode d’analyse procédant par exposition de « cas » qui a été ici privilégié, cas constitués par neuf clubs sportifs présentés ci-après, situés dans la région nantaise ou l’Ouest de la France, et observés sur près d’un an et demi, comme le montre le tableau n° 1.

  • 2  À cette liste, il convient d’ajouter trois clubs de football et deux clubs de (...)

Tableau n° 1 : Les associations observées (et les sources d’enrichissement en italique2)

Nom

Abréviation

Objet

1

Jeune France de Cholet

JF Cholet

Multisports

2

Nantes Atlantique Canoë-kayak

NACK

Canoë-kayak

3

Racing Club d’Orvault

RCO

Football

4

Amicale Don Bosco, Nantes

Don Bosco

Multisports

5

FCNA association, Nantes

FCNA

Football

6

Association d’Entente Populaire Saint Médard de Doulon

AEP Doulon

Multisports

7

Nantes Natation en relation avec l’École Nantaise de Natation

NN

Natation

8

Réseau d’Associations entre 5 clubs de foot de la Sarthe
avec le MUC 72

RA

Multisports

9

ALPCM basket (club suivi depuis plus de 10 ans)

ALPCM

Basket

10

Comité Régional Olympique Sportif des Pays de la Loire

CROS

Organisation du sport

11

C’WEST Nantes

C’WEST

Sports de rue

12

ZEBRA3, Nantes

ZEBRA3

Multisports

13

Club Sportif Sablon Gazonfier, Le Mans

CSSG

Football

14

Nantes Étudiant Club (affilié à l’UNCU), Nantes

NEC

Multisports

  • 3  Sur le « monde industriel », voir L. BOLTANSKI, L. Thévenot, (...)
  • 4  Sur le « monde civique », voir ibid., p. 231-241.
  • 5  Sur le « monde marchand », voir ibid., p. 241-252.

7En l’espèce et pour observer ces clubs dans leur rapport à la formalisation et à l’innovation, il nous a semblé nécessaire de puiser dans le registre de la théorie des « économies de la grandeur » et de la « justification » (L. Boltanski et L. Thévenot, 1991). Plus précisément, la notion de logique « industrielle » nous a semblé constituer un concept, tant descriptif qu’explicatif, particulièrement bien adapté à la qualification des innovations et des modes de formalisation dans le cas d’associations sportives à vocation prioritairement « compétitive3 ». En effet, et comme on le verra, ce qui importe dans ce type d’association, tant pour les dirigeants que pour les sportifs pratiquants, c’est en premier lieu la « performance », le « résultat », la « mesure », le « progrès », la « méthode », la « sélection », la « compétence technique » etc., les activités des associations concernées se voyant prioritairement formalisées en relation avec une volonté dirigeante d’obtenir des résultats de plus en plus élevés en compétition. De même, la notion de logique « civique » fournissait pour sa part un instrument de pensée capable de qualifier adéquatement les modes de formalisation d’activités orientées vers l’animation « sociosportive4 ». Ici, ce qui importe est bien moins la « victoire pour la victoire » que « l’intérêt général », la formation du « citoyen », le « collectif », le « service public », la « jeunesse », la place du club dans la « cité », la « co-présence », la « solidarité », etc. Les dirigeants sportifs impliqués dans une perspective socio-éducative ayant plutôt à cœur de « s’occuper des autres » (« moi, ce que j’aime par-dessus tout, c’est de m’occuper des autres » pourra dire l’un d’entre eux) que de spécialiser l’activité de leur club dans la « compétition pour la compétition ». Last but not least, les conceptualisations liées à la « cité marchande », pour leur part, se sont aussi révélées particulièrement fécondes pour exprimer tout ce qui se joue lorsque, dans une association sportive, la formalisation progressive des buts affirmés, des activités, des compétences, des modes de gestion et du management des hommes en viennent à organiser le développement de services économiquement « rentables », capables de « rapporter », susceptibles d’accroître les « richesses » du club, soit, dit autrement, le développement de services ayant explicitement un « prix » dans un univers pourtant initialement fondé sur la gratuité et le bénévolat5.

8Il n’est pas exclu que le sport dépasse les dimensions de la justification notées à l’instant voire qu’il puisse constituer à lui seul une cité particulière. Cependant, Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991) ont montré que le sport « ne pourrait se déployer dans une cité qu’à la condition de lever les restrictions imposées, dans son exercice, sur les situations et les personnes impliquées. On se rapprocherait alors des ébauches, souvent remises en chantier mais jamais abouties, d’une cité hygiénique ». Quelle représentation pourrait-on alors construire pour le sport amateur et les associations qui lui donnent vie ? Au vu de la synthèse de Livian et Herreros (1994) présentée en introduction de cet ouvrage et conformément aux travaux de Boltanski et Thévenot (1991), le sport amateur originel, nous semble être lié à plusieurs mondes. Sa proximité avec le monde de « l’inspiration » est importante car il est indissociable de la mise en œuvre du corps, de l’aléa, de la soudaineté, de la spontanéité, de l’exception non reproductible du geste sportif, de la passion revendiquée tant par les joueurs que par les dirigeants, du rôle de l’intuition dans la perception de l’environnement et de ses changements, du risque physique. Il apparaît également, comme nous l’avons souligné, une proximité forte et ancienne avec le monde « civique », par la référence à la socialisation, la formation, l’action collective, le respect des règles, par le rôle des instances politiques du sport (Ministère, fédération, ligue), par le soutien financier apporté par les collectivités locales, par l’existence de hiérarchies dirigeantes et de multiples gratifications honorifiques. La logique industrielle déjà évoquée s’est renforcée, par la présence d’un enjeu qui suppose la recherche constante de performance, par la mesure, la taxométrie très fine allant jusqu’au millième de seconde ou encore par le développement de tests de détection des meilleurs et l’invention sans cesse continuée de méthodes d’entraînement de plus en plus scientifiques. Des compromis durables et solides, sont également tissés avec le monde « domestique », autour du projet éducatif, de la référence à la famille, de l’exemplarité, par la notion de « fair-play » ou comportement honorable, par la préférence accordée au contrat « d’homme à homme » plutôt qu’au contrat formel.

9Des compromis plus problématiques semblent, non pas émerger (puisque l’histoire nous montre qu’ils sont à l’œuvre depuis longtemps), mais s’étendre et s’institutionnaliser, surtout depuis une vingtaine d’années. C’est le cas avec le monde de « l’opinion », par la mise en œuvre du vedettariat, de la recherche d’une audience et du jugement des observateurs, de noms, marques, symboles, messages, créés entretenus et présentés à l’opinion. C’est également le cas avec le monde « marchand » autour de la concurrence financière, de la création de richesse évaluée à partir de critères uniquement économiques, de l’appropriation des organisations par quelques détenteurs financiers et du développement de services marchands. Ce dernier compromis ne concerne cependant que quelques activités susceptibles de faire l’objet d’une pratique occasionnelle sur le mode du loisir, du tourisme ou de la découverte (le canoë-kayak, le parapente) ou encore des sports pratiqués à des niveaux de jeu bien spécifiés et conçus comme des spectacles sportifs professionnels (football). Dans ce dernier cas, les organisations concernées ne devraient logiquement pas entrer dans le cadre des associations que nous nous proposons d’observer. Pourtant, un effet de contagion ou de mimétisme ou encore d’isomorphisme lié à la dépendance face aux ressources semble pousser les associations à rechercher des compromis avec d’autres mondes à l’image de ce que pratiquent les clubs engagés dans la professionnalisation. Ces compromis pourraient avoir un effet sur la formalisation (introduction de méthodes de gestion, de procédures, de communication, etc.) comme sur l’innovation (lancement de nouvelles activités, recours à des contrats de travail nouvellement créés). Cependant, ils pourraient être plus ou moins naturels aux associations, plus ou moins compatibles avec leurs valeurs et leurs membres et donc plus ou moins supportables, et constituer parfois des sources de paradoxes et de tensions comme le montre l’histoire des associations sportives.

Évolution des associations sportives : une histoire relativement commune

10Prendre pour objet les innovations et les modes de formalisation propres aux associations sportives oblige à un détour par l’histoire de la structuration du « mouvement sportif » associatif français. Penser et observer le passage de l’informel au formel c’est en effet s’attacher à analyser le produit provisoire d’une histoire qui a vu les clubs sportifs se structurer originellement sur le modèle de l’œuvre sociale d’initiative privée puis obtenir, vers les années 1960, une délégation de service public pour l’organisation et la promotion du sport. C’est précisément cette proximité initiale avec le monde de l’économie sociale et solidaire fondée sur des principes à la fois « domestiques » et « civiques » que tendent à modifier, voire à remettre en cause, les innovations les plus récentes et surtout celles issues des clubs qui se sont transformés dans leurs buts à mesure que se formalisaient des modes d’actions longtemps restés proches d’une « économie domestique » et en cela souvent peu formalisés (une gestion « en bon père de famille »).

Structuration « domestique » originelle du mouvement sportif

11Une fois sortie du cercle restreint de l’aristocratie oisive et d’une nouvelle bourgeoisie entreprenante qui l’avaient « importée » d’Angleterre vers la fin du XIXe siècle, la pratique sportive, en France, s’est vue explicitement pensée et proposée, dès le début du XXe siècle, mais surtout à compter des années 1920, comme une forme d’éducation physique concurrente de celle, à base de gymnastique collective, dispensée par l’Instruction publique sur l’initiative de l’État et sous sa contrainte. C’est là ce qui justifie pour une part, et en particulier dans l’Ouest de la France, le rôle majeur joué par les patronages catholiques dans la popularisation des activités sportives, ceux-ci ayant rapidement pris la mesure des avantages que présentait le statut « loi 1901 » pour poursuivre par d’autres moyens une forme d’éducation de la jeunesse du pays qu’avait confisquée aux congrégations la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. De ce point de vue, on peut comprendre que nombreux sont encore les clubs sportifs à se penser, par la voix de leurs dirigeants, comme inscrivant leurs activités dans le prolongement de l’éducation transmise par les familles tout en se montrant particulièrement soucieux de leur « indépendance » vis-à-vis des pouvoirs publics.

  • 6  Voir en particulier P. ARNAUD, J. CAMY (1986), La naissan (...)
  • 7  Ainsi, G. Hebert, officier de marine qui fut l’initiateur d’une méthode (...)

12De fait, et toute l’histoire du mouvement sportif associatif l’atteste6, le sport a initialement été considéré et construit par ses promoteurs comme une alternative « privée » à l’éducation physique « publique » directement contrôlée par l’État dans le cadre du système scolaire ou de la conscription. Par le développement du sport, il s’agissait, parfois explicitement, tant dans les clubs « chics » et bourgeois que dans les groupements catholiques ou patronaux, de disputer à l’État le monopole que celui-ci était en train de se constituer, à l’issue du premier conflit mondial, en matière de « gouvernement des corps ». Par la mise en œuvre d’exercices gymnastes à dominante collective propres à symboliser et à faire incorporer l’unité de la nation, la solidarité citoyenne, il s’agissait en effet, pour l’État et les agents de l’éducation physique nationale, de favoriser la formation du citoyen en tant qu’« être collectif » davantage que la formation de l’individu « individuellement » accompli. En cela, la gymnastique scolaire et ses prolongements hors de l’école, contrairement au sport et à la philosophie individualiste qui le soutient, se sont régulièrement caractérisés par un refus de célébrer l’exploit et la valeur individuelle, la recherche de victoire sur l’autre comme technique éducative7. Dans ces conditions historiques de concurrence public/privé pour la définition du bon « gouvernement des corps », l’extension du sport associatif amateur s’est essentiellement réalisée en France dans une perspective de type « domestique », le plus souvent sur l’initiative de patronages catholiques ou patronaux qui détenaient plus que tout autre collectif, du moins avant les années 1960, les ressources et les moyens nécessaires à la construction des lieux de la pratique et de son spectacle. Comme en témoignent régulièrement les « buts » initiaux des associations impliquées dans le développement du sport, la perspective de leurs dirigeants-notables était le plus souvent l’éducation et le bonheur du peuple ainsi que le renforcement des identifications communautaires locales. Le tout, sous la forme de petites « sociétés » envisagées sur le mode de la famille et soumises à la bienveillance paternaliste et autoritaire, des présidents de clubs. En 1905, la Jeune France de Cholet, patronage d’obédience catholique se donnait ainsi pour but « de développer par l’emploi rationnel de la gymnastique et des sports athlétiques les forces physiques et morales de la jeunesse ouvrière […] ». Pour sa part, en tant qu’association de même type, l’Association d’Éducation Populaire Saint Médard de Doulon (Nantes) entendait, y compris par le sport, « relever par tous les moyens en son pouvoir le niveau intellectuel et moral des classes populaires ». Il convenait en effet, par la pratique de « joies saines » telles que les sports, de détourner les catégories populaires « de la tentation du syndicat et du cabaret » comme on le trouvait parfois explicitement exprimé.

13De tels buts, majoritairement focalisés sur l’éducation de la jeunesse dans une perspective plus « domestique » et privée que « civique » et publique, ont largement contribué à façonner un mode particulier de structuration des associations sportives. C’est de ce mode de structuration dont ont, à des degrés divers, hérité les clubs sportifs d’aujourd’hui et qui reposait largement sur le bénévolat et la gratuité comme dans la famille, unité domestique par excellence, dans laquelle les relations entre membres ne sauraient faire l’objet d’un commerce.

Une mission de service public : l’entrée dans le monde « civique »

14À compter des années 1930, qui marquent le point de départ d’un professionnalisme sportif dans le football, le mouvement sportif associatif national s’est trouvé confronté à un mouvement général et continu de spécialisation compétitive impliquant une rupture progressive avec les principes moraux et éducatifs censés structurer le jeu sportif. Comme l’observe M. Amar (1987), sous la IVe République, la compétition tend à s’autonomiser fortement dans ses propres buts relativement aux buts d’éducation et de moralisation de la jeunesse qui avaient motivé initialement la création de la plupart des associations sportives. Les années 1950 voient ainsi s’intensifier hors du sport professionnel la recherche de la victoire pour la victoire, certes de manière variable selon les lieux et les clubs. Du coup, à mesure que le sport s’inscrit dans une perspective « industrielle » de production de performance, les responsables de l’éducation physique scolaire comme de nombreux instituteurs commencent à signaler les « dangers » du sport sur la santé et la morale de la jeunesse ou encore l’« exploitation commerciale éhontée » de celle-ci quand, attirés par les primes en tous genres, de jeunes sportifs de talent tendent à « se vendre » aux clubs les plus offrants qui les sollicitent en vue d’atteindre des niveaux sportifs de plus en plus élevés.

  • 8  On peut d’ailleurs signaler que sur les 51 fédérations sportives existantes, (...)

15C’est précisément cette spécialisation sportive compétitive en voie de renforcement très net au début des années 1960 qui va justifier une intervention autoritaire de la puissance publique sur le mouvement sportif associatif dès les débuts de la Ve République. Face aux « dangers » que fait alors peser le sport, aux yeux des responsables de l’État, notamment de l’Éducation nationale, sur la jeunesse du pays il va s’agir de moraliser « civiquement » des pratiques qui heurtent les conceptions proprement publiques de la santé et de l’éducation. Dès 1962, M. Herzog, alors Haut commissaire à la jeunesse et aux sports animé par la conviction selon laquelle « le sport total conduit à une impasse », va notamment imposer aux fédérations sportives des statuts types « définis en Conseil d’État » et destinés à garantir que leurs buts réels, et non pas seulement proclamés, seront avant tout éducatifs8. L’intervention autoritaire de l’État, rendue possible par une ordonnance de 1945 qui, suite aux actes de Vichy donnait une autorité supérieure à l’État en matière de sport, va s’attacher à transformer la doxa éducative héritée des divers clubs de patronages en une orthodoxie juridiquement définie tendant à dénier au sport toute autonomie fondée sur la quête prioritaire, voire exclusive, de victoire sportive. Et ceci au profit d’une mission éducative relevant désormais du service public. En témoigne particulièrement bien la toute première loi française sur le sport qui, le 6 août 1963, va réglementer et formaliser la « profession d’éducateur sportif » en imposant en particulier l’obligation de détenir un diplôme d’État à tout encadrant sportif exerçant contre rémunération. De même, publié en 1965, l’Essai de doctrine du sport, commandé et préfacé par M. Herzog, manifeste bien que, du point de vue de l’État, intervenir dans le domaine « privé » du sport revient à imposer à ses organisations dirigeantes et à ses associations une véritable mission publique d’éducation davantage qu’à soutenir la compétition comme fin en soi. Pour autant, si les dirigeants sportifs des années 2000 ne manquent jamais d’insister sur la « nature éducative du sport » et sur sa « mission de service public » au profit de « l’intégration sociale », il convient d’apercevoir que leurs homologues des années 1960 entendaient franchement résister à toute idée « d’étatisation de la jeunesse ». Ainsi, l’abbé H. Laudrin, député du Morbihan, ancien directeur du plus gros patronage de Lorient, ancien président de la fédération des patronages catholiques et acteur central de la « sportivisation » de ces mêmes patronages dès les années 1930, cherchera à s’opposer très vivement aux intentions de M. Herzog et aux ambitions de contrôle du sport affichées par les enseignants d’éducation physique fonctionnaires. Bien que membre du groupe parlementaire gaulliste, l’abbé Laudrin, au nom de l’ensemble des dirigeants du sport français, n’hésitait d’ailleurs pas à affirmer que le sport des années 1960 n’avait plus rien d’éducatif et que pour cette raison même l’État n’avait aucun motif valable pour tenter d’imposer son autorité tout comme son point de vue éducatif et « civique ».

  • 9    La loi du 6 juillet 2000 dispose ainsi que : « Les activités physiques et (...)

16Construit initialement par l’univers associatif dans une perspective éducative et « domestique », affirmant par la suite des modes de réalisation de type « industriel » en se finalisant de plus en plus sur la compétition pour elle-même, le sport associatif amateur s’est aussi vu encoder sur un mode profondément « civique » au terme d’un véritable coup de force de l’État. De nos jours, la reconnaissance du sport par les instances publiques a pour principe l’affirmation selon laquelle le sport constitue en premier lieu une technique « d’éducation » et « d’intégration » pour reprendre les termes exacts de la loi qui le définit explicitement comme relevant de « l’intérêt général9 ». C’est d’ailleurs là ce qui justifie en priorité la gratuité relative des services d’encadrement tout autant que l’allocation de subventions publiques, notamment locales. Par destination, les associations sportives, marquées par un compromis historique entre justifications d’ordre domestique (d’origine « privée ») et civique (d’origine « publique »), constituent des organisations supplétives de l’action publique locale. On peut alors déjà avancer qu’une telle perspective éducative, consacrée et légitimée, constitue en elle-même une sorte d’obstacle symbolique au développement d’innovations portées à inscrire l’activité des clubs dans une problématique de création de richesse. À tout le moins, on peut légitimement considérer que l’encodage éducatif du sport français a contribué à freiner les initiatives « marchandes » en matière sportive tout autant que l’affirmation plus « industrielle » selon laquelle la victoire sportive puisse être à elle-même sa propre fin, c’est-à-dire fondamentalement affranchie, comme dans le sport professionnel nord-américain, de toute justification de nature « civique » et/ou « domestique ».

  • 10  Par l’ordonnance du 28 août 1945, le sport est reconnu comme un élément (...)
  • 11  Réalisée auprès de 250 dirigeants de clubs associatifs nantais, il apparaît (...)
  • 12  La loi du 16 juillet 1984 (dite loi « Avice » ; Décret d’application N° 86-40 (...)

17En définitive, le principe de l’intervention de l’État, affirmé à partir de 194510, fait sentir son influence aujourd’hui, tant au niveau des clubs sportifs amateurs ou professionnels que des fédérations. Le système d’organisation du sport en France repose sur la délégation d’une mission de service public aux fédérations et constitue une particularité puisqu’en « Allemagne, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, aux États-Unis, le sport bénéficie d’une autonomie administrative et réglementaire totale, dans le cadre d’un système libéral où la notion de délégation ne saurait avoir cours » (Hourcade, 1995). Il en découle que le cadre général de la pratique sportive est l’association. À Nantes, l’étude de l’agence TMO d’octobre 2004 montre que le sport associatif représente 80 000 pratiquants, 60 000 licenciés et 600 bénévoles11. Mais si une association participe habituellement à des manifestations sportives payantes procurant des recettes ou versant des salaires excédant un montant fixé en Conseil d’État, elle constitue, pour cette activité, une société commerciale12.

18La présentation de ce parcours historique, la mise en évidence des contraintes administratives, juridiques, fiscales, sociales, financières et religieuses, laissent présager un fonctionnement complexe des associations sportives. Pour Bayle (1999), les associations sportives doivent une « double allégeance à l’intérêt général, d’une part, et à leurs intérêts propres, d’autre part, […] source de complexité dans la définition de leur(s) logique(s) d’intervention ». D’un point de vue managérial, le triple registre économique, social et symbolique qu’il y a lieu de mobiliser pour leur étude est source de conflit et d’ambiguïté. L’association est porteuse de tensions internes dessinant un « quadrilatère coopératif » où l’influence du dirigeant (élu) est réduite par les sociétaires (adhérents), les administrateurs et les salariés (Desroche, 1977). L’association sportive s’oppose également à l’influence managériale, qui promeut des modes de pensée en désaccord avec le principe associatif. Du caractère associatif elle hérite le principe de la « transmission » et du partage des valeurs collectives et du sport elle hérite la compétition et la reconnaissance individuelle portée par une éthique. Construite autour du règlement, de la stabilité, et centrée sur elle-même, il semble, selon E. Bayle (1999) que l’association peine à gérer la rationalisation, la complexité, la flexibilité et la formalisation. L’intensité et les aspects de cette dernière pourront être très divers et méritent d’être explicités.

Les aspects de la formalisation

19L’introduction de cet ouvrage a montré que la question de la formalisation pouvait être abordée dans une perspective liée à l’économie et à la gestion. La formalisation y apparaît comme une réponse technique au service d’une finalité. Dans une perspective liée à la sociologie et aux sciences politiques, elle serait également une réponse sociale liée aux jeux de pouvoir. D’un point de vue opérationnel, la formalisation qui permet l’évaluation, la stabilisation, la normalisation des comportements, la distribution des responsabilités, peut s’incarner sous divers aspects. Nous observerons ainsi la formalisation structurelle, la formalisation technique sportive, puis nous constaterons que les modes de gestion peuvent se formaliser mais aussi se « déformaliser », avant de prendre en compte une formalisation de la production de valeurs et de la captation de ressources.

Formalisation structurelle

20La question de la structure, dont les caractéristiques ont été présentées dans le chapitre introductif du présent ouvrage, peut prendre deux aspects essentiels pour les associations sportives. Il convient d’observer tout d’abord la structure juridique dont on pourrait penser, en première analyse, qu’elle ne mérite pas une étude spécifique, postulant que toutes les associations sont sous statut 1901. Or on constate que sous l’effet des regroupements des associations et surtout du glissement vers le sport professionnel d’autres statuts ont été adoptés par les clubs sportifs, impliquant toujours une dimension associative. La seconde dimension structurelle concerne l’organisation des responsabilités.

Structure juridique, fusions et scissions

  • 13  Société Anonyme Sportive Professionnelle.

21L’adoption de structures juridiques spécifiques peut apparaître comme un premier marqueur de la formalisation. D’une part, toutes les structures ne sont pas équivalentes en matière de contraintes vis-à-vis des instances légales, des propriétaires et des tiers, et les incitations à la formalisation ne sont pas identiques. Les contraintes pesant sur une association 1901 ou une SASP13 ne sont pas égales. D’autre part, toutes n’offrent pas la même reconnaissance par le marché ou par l’économie sociale ; certaines y sont plus ou moins légitimes en ce sens qu’elles présentent plus ou moins les formes pour paraître crédibles dans l’un ou l’autre des milieux. L’association 1901 a ainsi été écartée des structures susceptibles de gérer le sport professionnel. Enfin, regrouper des associations c’est leur donner une autre forme organisationnelle voire juridique.

22Une première illustration de la formalisation structurelle peut être mise en évidence par l’association FCNA, qui résulte de la fusion de 5 associations en 1943 et dotée, aujourd’hui, d’un fort niveau de formalisation. Organigramme, définition de fonctions, procédures liées à la billetterie, au marchandisage, aux achats sont formalisés et transcrits par écrit sous forme de manuels. Les acteurs sont spécialisés. Les comptes annuels sont tenus par un expert et des ratios comptables et financiers sont édités. Un budget est établi.

23Cette formalisation est la résultante des relations entretenues entre l’association et une section professionnelle dont la forme juridique a changé (dans le giron de l’association, puis SAOS et aujourd’hui SASP). Ainsi, un calcul des coûts a été exploité lorsque l’association avait la responsabilité du centre de formation. Cette approche permettait, au sein de la convention qui liait l’association et la section professionnelle, de valoriser le prix des transferts des joueurs cédés par le centre à l’équipe professionnelle. De même un système de reporting, et de notes de synthèse trimestrielles a été actif pendant la période de tension entre la section professionnelle et la mairie qui s’exprimait largement par la voie de l’association. Plus récemment l’apparition de nouveaux propriétaires de la SASP, soucieux d’être libres d’agir au sein de la section professionnelle, a conduit à une refonte du statut de l’association. Il en résulte une nouvelle formalisation des mécanismes de décision et de contrôle. Il semble que cette période d’imbrication, marquée par des alternances de complémentarité, de tension, de soutien et d’opposition ait eu pour effet une montée en maturité formelle de l’association. La récente simplification de l’organisation au sein du Groupement Sportif a eu pour effet d’alléger la formalisation au sein de l’association sans pour autant en effacer toutes les traces.

  • 14  Le club a ainsi pour objet, sans plus de précision : « le canoë-kayak de (...)

24Le Nantes Atlantique Canoë-kayak, qui résulte également d’une fusion de clubs, constitue un second exemple de formalisation structurelle. La création même du NACK, en 1998, doit être vue comme une première modalité de formalisation de l’activité canoë-kayak sur le territoire de la ville de Nantes. Cette association n’a pas en effet, pour fondement la volonté d’individus atomisés de mettre en commun leurs moyens pour organiser une pratique qui les passionne. Tout au contraire, elle est le pur produit des intentions contenues dans un « plan canoë-kayak » dont l’ambition est explicitement de « formaliser les bases d’un partenariat tripartites entre le club, la fédération et la municipalité ». Le NACK n’a donc pas la maîtrise totale de ses buts qui sont formalisés en amont et qu’il reçoit, depuis la fusion initiale, de la convention qui le lie à la ville de Nantes et à la fédération14. Pour les responsables salariés du club, qui ont manifestement l’entière maîtrise de la politique de développement des activités (« Le président ? Il n’est pas présent, pas assez présent… C’est-à-dire que nous, on le voit au mieux une, deux fois par mois »), il s’agit ni plus ni moins de mettre en forme et en pratique, de formaliser en actes, donc, des directives contenues dans un plan en échange de subventions de la ville qui s’élevaient en 2005 à 56 592 € (soit 25 % du budget total). On peut d’ailleurs observer que le recours au salariat, en l’absence presque totale de pratiques bénévoles au sein du NACK, constitue en lui-même une modalité centrale de formalisation de l’activité canoë-kayak nantaise.

Structuration des responsabilités

25Un second niveau de formalisation, conformément aux perspectives théoriques développées en introduction réside dans la façon d’articuler les responsabilités. Pour la Jeune France de Cholet ce niveau de formalisation, qui passe par la convocation assumée et réfléchie de compétences techniques spécialisées et rémunérées est à l’origine d’une série de formalisations et d’innovations. En premier lieu, et parce que « les éducateurs salariés, qui sont d’un point de vue technique les plus compétents, sans aucun doute, […] ne maîtrisent pas forcément les valeurs de l’association », il a été nécessaire de « clarifier » les responsabilités de chacun pour éviter que ne se creusent les écarts constatés entre dirigeants et salariés à l’occasion de la scission qui a affecté la section judo en 2002. Il a donc « fallu réinventer un mode de relation au sein de l’association ». Dans le cadre de ce projet, ont été constituées dans chaque section des « commissions management ».

26Ce souci de clarification des responsabilités est également visible au Orvault Racing Club (ORC). La forme structurelle se trouve précisée et renforcée avec un schéma des responsabilités mieux affirmé, la standardisation est accrue avec l’énoncé de règles et procédures, le recours à l’écrit est manifeste, le système de contrôle, à des fins de normalisation du comportement, est renforcé. Cependant, le système de planification ne semble pas être notablement renforcé. Cette formalisation naît d’une tension entre un monde de référence du club tourné vers le domestique et le civique et des adhérents (enfants et leurs parents) qui ne reprennent plus à leur compte les grandeurs domestiques et civiques et se comportent comme des « consommateurs ». Par conséquent, il faut introduire des outils régulateurs de nature industrielle dont la mission est de rappeler à l’ordre les utilisateurs.

27Pour l’association Don Bosco, pour laquelle tant bénévoles que salariés sont indispensables, puisque « on ne peut pas gérer qu’avec des bénévoles » comme le souligne le dirigeant, il s’agit de bien délimiter le domaine des uns et des autres. Cela oblige à fixer les règles du jeu pour que « les gens qui touchent un peu de sous et ceux qui n’ont rien, puissent travailler ensemble ». Lors de sa prise de fonction le dirigeant (expert comptable) a introduit une charte, inspirée de la pratique des entreprises, dont l’un des objectifs était de clarifier ce point.

28Emblématique de la formalisation au sens strict, c’est-à-dire du recours à l’écrit, le règlement intérieur traitant des pratiques et des responsabilités des membres des clubs, se généralise. Ainsi, l’ORC est nettement engagé dans une phase de formalisation. Le club a été amené à mettre en place un règlement intérieur et à écrire les conditions pour mener les actions (prêt d’équipement, accès aux locaux, etc.). Il y a encore quelques années, il était possible « d’aller vers les gens de manière informelle. Aujourd’hui le club doit trouver les moyens de faire comprendre aux parents que le club n’est pas une garderie ». Cette démarche a dû être appliquée aux enfants mais aussi aux parents pour le transport et la récupération des enfants aux heures dites. Une fiche a été établie par entraîneur, par parent accompagnateur et par niveau de catégorie. Les documents ont été inspirés par les textes diffusés par la ligue et par ce que fait le Football Club de Nantes Atlantique (FCNA). Des réunions par catégories d’âge avec les parents ont été instaurées (3 par an). Les parents y participent peu et une réelle démission de leur part est constatée tandis que les moins impliqués sont ceux qui critiquent le plus. Les règles de fonctionnement sont rappelées de manière écrite lors de la signature de la licence. Le club a également formalisé les multiples étapes de conciliation pour gérer les écarts de comportement.

Formalisation technique sportive

29Dans le cadre des associations sportives il ne peut être exclu que la tension vers la performance de haut niveau soit une incitation à la formalisation, à la professionnalisation et au salariat. De même, les modes de gestion semblent pouvoir être impactés par la recherche de la performance avec, parfois, l’apparition de temps forts de formalisation et d’assouplissements liés aux priorités et aux situations des clubs.

Formalisation et performance sportive

30La recherche de la performance, systématisée et formalisée, entraîne de nouvelles fonctions sportives et administratives (entraîneurs spécialisés, spécialistes financiers, agents de joueurs etc.). En effet, les orientations compétitives du sport associatif semblent contenir en elles-mêmes et par elles-mêmes un potentiel d’ouverture sur une « marchandisation » des services, antérieurement proposés sur le mode de la gratuité, sous réserve que des acteurs le découvrent et s’en saisissent. La recherche de victoire (standardisation par les résultats) entraîne la nécessité de salarier des cadres techniques diplômés (standardisation par les normes et par la formation), puis celle de collecter des ressources financières par des prestations d’encadrement, d’initiation, de découverte des sports. Ce mécanisme est bien entendu visible pour les associations qui opèrent au plus haut niveau de la compétition jusqu’à avoir été contraintes d’adopter le statut de groupement sportif pour héberger la section professionnelle (cas du FCNA). Il est également visible dans des clubs multisports beaucoup plus petits mais dont une section a atteint un niveau d’excellent (cas de l’AEP Doulon avec la section tennis ou le NACK).

Formalisation, professionnalisation et salariat

31La professionnalisation entraîne le recours à des salariés et des problèmes de cohérence juridique comme des situations paradoxales. Le paradoxe de la légitimité de gouvernance en est l’illustration : comment un bénévole peut-il diriger un salarié ? Il en découle une construction de chaîne de subordination juridique qui s’avère problématique (CROS) avec des problèmes entre élus (bénévoles) et subordonnés (salariés). Dans les petites associations, les dirigeants abandonnent leurs prérogatives et responsabilités aux salariés et les salariés remettent en cause les dirigeants. Pour autant, ce phénomène ne peut être tenu comme général puisque de nombreuses associations observées montrent, au contraire, une bonne entente au sein du club entre élus et salariés (ORC, AEP Doulon, Don Bosco, CSSG).

32Au niveau de l’organisation locale du sport, on note un brouillage des hiérarchies internes, dû à une multiplication des couches de textes et aux problèmes de compréhension de la formalisation administrative. En définitive, les associations repèrent difficilement « qui est légitime en matière de législation, qui gère avec la régionalisation ? [CROS] ».

33De manière générale, les emplois aidés, ainsi que la Convention Collective des Métiers du Sport ont un effet structurant comme le remarquent le NEC, le CROS, l’ORC et ZEBRA3. Ces emplois participent à la professionnalisation du sport associatif. Les hauts niveaux de technicité requis entraînent l’adoption du salariat accompagnée par les mesures d’aide à l’emploi (SIVP, Emplois jeunes, CES). Or, ces emplois consomment une part importante du budget des clubs et nombreux sont ceux qui ne peuvent s’attacher leurs compétences que dans une modeste mesure ou en les partageant avec d’autres organisations. Une forte pression existe pour que ces postes soient maintenant financés sur des ressources propres du club, d’où l’invention par les salariés d’une nouvelle offre, innovante et solvable, pour maintenir leur poste. Comme le montre le cas du NACK :

« Il fallait que mon emploi soit pérennisé et mon ambition était de faire un maximum de fric pour être payé plus… Non, je rigole, on ne nous demande pas de faire du chiffre d’affaires… Mais c’est vrai que nous, les salariés on est pas là pour s’amuser… Ce qu’on a créé, c’est vrai que c’est vivrier ; ça a été monté dans un but vivrier, c’est clair ! C’est une prestation touristique encadrée qui est rentable maintenant, c’est le but du jeu, on l’a créée pour ça afin de payer les postes, c’est le premier truc, hein… […] Je me suis vite rendu compte que prendre un BE pour encadrer des gamins sur six heures d’animation dans la journée ça va rapporter trois fois 60 euros, alors qu’il pourrait faire beaucoup plus en quatre heures la nuit avec un autre public… Et ça permet l’embauche d’une autre personne. »

34Les emplois sont formalisés administrativement (statut juridique des emplois aidés) et du point de vue des compétences (programmes de formation). Ils sont également formalisateurs en participant à la professionnalisation du sport associatif. Mais ils ne sont maintenus que s’ils démontrent leur capacité à créer de la richesse pour l’association. Même dans ce cas l’accès à cette ressource que constituent les emplois aidés est compromis par la perception que les dirigeants ont du cadre légal. Ils ont généralement une méconnaissance du code du travail pour les emplois autres que les emplois sportifs qui, eux, sont plutôt bien connus des associations. C’est le cas pour les emplois administratifs commerciaux. Des associations seraient prêtes à embaucher des salariés pour démarcher les entreprises et à les rémunérer au pourcentage mais elles s’interrogent sur la légalité du procédé et sur le cadre administratif à retenir. Le recours au salariat est donc ressenti comme nécessaire mais reste problématique compte tenu des ressources et de la complexité légale. Cette tendance est également contrariée par le manque de moyens que déplorent généralement les associations. L’entrée dans cet enchaînement reste problématique. D’autres associations ont franchi le pas telle la Jeune France qui a adopté le « principe d’une rémunération sur objectifs négociés entre le président de la section, le salarié et moi-même [directeur général]. Et ça, c’est maintenant un travail permanent avec les commissions management qui marche très bien ». Du coup, les représentants des adhérents, les élus du conseil d’administration et des sections sont devenus des « managers-contrôleurs », selon l’expression consacrée, dont le rôle majeur va consister « à faire partager aux éducateurs [salariés] les valeurs de la Jeune France ». Ceci au nom du principe selon lequel « c’est bien au travers de ces valeurs que leurs compétences techniques doivent s’exprimer ».

35Quel que soit le niveau de formalisation des associations observées, le bénévolat est considéré comme fondamental. Il fait vivre l’organisation avant même le recours aux salariés. Sur les cas observés nous n’avons pas constaté d’éviction du bénévolat corrélée à l’engagement de salariés. La pierre d’angle de la permanence du bénévolat semble résider dans la capacité des dirigeants à lier plusieurs mondes ensemble : le modèle industriel (orienté vers la performance), le monde domestique (porteur de convivialité) et le monde civique (privilégiant les missions publiques).

Formalisation et « déformalisation » comme cycle de vie des modes de gestion

36D’un point de vue comptable et administratif, un premier courant de formalisation est incontestablement dû au législateur qui a imposé, via les experts, des règles comptables incarnées par le suivi des engagements, des flux financiers ou l’établissement de comptes annuels en conformité avec un plan comptable adapté aux associations. Par conséquent, tous les clubs observés tiennent leurs comptes pour justifier de leur action, voire des budgets plus ou moins élaborés. Plus rares sont ceux qui calculent des coûts (FCNA, Don Bosco). Les traitements comptables et financiers sont donc formalisés dans un mouvement d’isomorphisme coercitif et normatif.

37Toujours sur le plan comptable, on note l’influence des collectivités territoriales sur les modes de gestion, surtout lorsqu’elles financent le développement des associations. Par exemple dans le cas de Don bosco, à l’occasion d’un projet de construction d’une nouvelle salle subventionnée, la ville de Nantes a demandé la nomination d’un commissaire aux comptes ce qui « nous a amenés à formaliser encore plus la comptabilité… il y a là une innovation et une accélération de la formalisation, des procédures, des méthodes comptables… Il existait déjà des comptes, en tant qu’expert-comptable (et le trésorier est également expert comptable) on avait déjà quelque chose qui se tenait, mais ça nous a amenés à mettre en place des règles beaucoup plus strictes vis-à-vis des sections… chaque section faisait sa comptabilité un peu différemment – certaines en recettes dépenses, certaines en engagement… la demande de la mairie accélère les choses [Président] ». Par conséquent, l’association a embauché un comptable et des coûts sont calculés par la section tennis pour optimiser l’occupation de la salle et les cotisations.

38Sur le plan social, les associations ont à composer avec une frange de leurs pratiquants qui s’oppose aux règlements mis en place ou bien s’exclue du club, comme le montrent bien C’West et l’ORC. Il en découle une situation paradoxale et problématique. Si les associations sont engagées dans un courant relativement nouveau pour elles de formalisation des conditions d’accès aux lieux de pratique, ou d’encadrement, elles notent dans le même temps que cette démarche va à l’encontre de leur mission. Une conséquence est la prise de conscience qu’une part de la mission sociale du club n’est pas remplie puisqu’une partie des jeunes s’exclut d’elle-même. Une solution apportée est la réintroduction de l’informel comme mode de gestion de l’association. Il s’applique à certains individus, pour certaines pratiques, dans certains lieux et reste minoritaire au sein de l’association. Une des difficultés est alors de faire vivre ensemble deux cadres de référence : le formel et l’informel avec ponctuellement des zones de recoupement (entre individus, à des moments, pour des pratiques et en des lieux précis). Les questions posées par cette séparation sont multiples. Comment expliquer les différences de traitement des uns et des autres ? Comment situer les aspirations d’une minorité face aux pratiques de la majorité au sein d’une organisation démocratique ? Jusqu’où l’informel peut-il être réintroduit sans compromettre l’organisation ? En définitive l’informel ne doit-il pas devenir la règle pour coller aux objectifs centraux de l’association ?

39La réintroduction d’une certaine dose d’informel pourrait également indiquer un cycle de vie entre formel et informel. Il y aurait des temps forts de formalisation destinés à rappeler leurs obligations aux adhérents ou à donner les signes d’une légitimité aux partenaires. Il y aurait également des temps plus faibles, au cours desquels le retour à « l’informalité » apparaîtrait comme un atout pour entrer en conformité avec les finalités réelles de l’association ce qui, dans un premier temps, pourrait constituer un paradoxe, le paradoxe de l’informel structurant. En fait, cette oscillation pourrait apparaître comme une respiration naturelle de la forme associative.

40Certaines associations écartent tout contrat formalisé avec leurs adhérents et leurs partenaires arguant qu’il vaut mieux des « contrats moraux et une tape dans la main qui ont encore une valeur » (AEP Doulon). Elles adoptent la relation informelle comme moyen de capter des compétences détenues par les adhérents, les bénévoles et des ressources dans les réseaux qu’elles se construisent (entreprises, collectivités locales) « On parle aux adhérents, on va vers eux et leurs parents. Vous faites quoi ? On est très à l’écoute de ça. En plus en parlant cela permet de récupérer des compétences de bénévoles. Il faut rester en tête-à-tête. Je suis persuadé que c’est comme ça qu’on y arrivera » (AEP Doulon). La formalisation reste réduite sur plan du recours à l’écrit et sur celui de la standardisation des règles et procédures, à l’exception de celles qui portent sur la gestion des équipements sportifs. D’une manière générale et pour les dirigeants, le club associatif ne devrait pas être le lieu où la rigueur formelle, incarnée dans des documents, procédures ou instruments sophistiqués, devrait s’imposer. C’est la rigueur morale qui prime et elle est essentielle pour la marche de l’organisation. Le schéma des responsabilités est généralement clairement établi mais laisse place à la souplesse dans les relations et le glissement entre fonctions n’est pas exclu. La formalisation ne serait qu’un recours ultime.

41Cependant ces remarques valent surtout pour les associations multisports, ancrées dans un tissu urbain en développement, souvent dirigées par des présidents au charisme fort leur permettant de faire passer leur volonté autrement que par l’écrit ou la structure formelle (AEP Doulon, Don Bosco). Dans d’autres cas, la formalisation doit apparaître rapidement pour stabiliser l’organisation. Il est donc difficile d’en déduire un modèle de gestion universel. L’informel comme mode de gestion ne peut pas être érigé en règle générale de fonctionnement. Au contraire, la majorité des associations considèrent la formalisation comme une nécessité. Elles notent que les relations avec les adhérents et les partenaires ont changé. Maintenant, il est nécessaire de mettre en place des règlements intérieurs et d’écrire les conditions pour mener les actions tant à l’adresse des enfants que pour les parents (ORC, FCNA). Le recours à l’écrit se généralise comme à l’ORC qui s’inspire du FCNA et des recommandations de la ligue. En signant la licence et grâce aux rappels écrits des règles de fonctionnement portant sur l’éthique et la qualité du comportement, l’ORC compte bien que les parents et les joueurs intègrent les modalités pratiques du fonctionnement d’un club.

42Ce recours à des « modèles » extérieurs montre bien les effets d’un isomorphisme d’une triple nature DiMaggio et Powell (1983) : un isomorphisme coercitif, provenant des fédérations et destiné à agir en sécurité, un isomorphisme mimétique, prenant les grands clubs comme modèles, un isomorphisme normatif puisque les documents et procédures sont souvent le fait des « emplois jeunes ou équivalents », (BE 2), auxquels les clubs ont recours.

43Par conséquent, la formalisation apparaît comme un mal nécessaire quitte à tenter de réintroduire des espaces d’informel pour des acteurs ou activités bien spécifiés. Pour certaines associations comme C’West, la formalisation est également un moyen d’obtenir une reconnaissance symbolique, de montrer les signes de la légitimité technique et financière. Des règles, des normes, des états comptables, une hiérarchie, etc. peuvent être adoptées à cette fin.

Formalisation de la production de valeurs et de la captation de ressources

44Dans l’association, les valeurs des membres et des dirigeants constituent un point d’ancrage important. Cependant, du fait de la professionnalisation ou, au contraire, de pratiques hors des fédérations, des valeurs nouvelles peuvent y trouver un lieu d’incarnation et en retour influer sur le degré de formalisation de l’association. Elles contribuent parfois à des pratiques nouvelles pour la recherche de ressources financières, auprès d’interlocuteurs nouveaux.

Formalisation de la production de valeurs

45Le positionnement, en finalité comme en valeur, de chaque association sportive tend à déterminer des choix d’organisation plus ou moins adaptés aux buts recherchés et/ou affirmés. Il en résulte une convergence rationalité/formalisation, une adaptation organisationnelle aux missions revendiquées par l’association. Par exemple rechercher des victoires sportives de plus en plus élevées engage l’association à rémunérer un technicien compétent comme à recruter des sportifs selon leur seule valeur athlétique. Il en résulte une spécialisation de l’activité (produire des résultats sportifs négociables avec des collectivités ou des entreprises) et une formalisation différenciées, les deux termes, spécialisation et formalisation entretenant une relation en boucle.

46De même, revendiquer des valeurs humanistes et solidaires peut conduire une association centenaire à formaliser une sorte de charte des valeurs censées s’imposer à tout nouvel entrant. Ailleurs, la volonté ou la nécessité de pérenniser un emploi d’animateur sociosportif créé grâce aux aides publiques va déboucher sur l’invention de services marchands destinés à un public élargi. Constater le non-renouvellement de cet emploi pourrait signifier la perte de la compétence fonctionnelle. En quelque sorte, on peut montrer qu’une formalisation initiale impose très souvent une cascade de formalisations induites, non imaginées au départ, en accord avec la notion de technologie invisible de Michel Berry (1993).

  • 15  Document confidentiel produit par la société de conseil, rubrique « Les (...)

47À la formalisation dans le domaine du management s’est associée plus récemment une formalisation élargie du système de valeur. Elle concerne des adhérents qui, sans doute en relation avec l’extension du recours à des professionnels salariés de l’encadrement semblaient, pour les dirigeants de la Jeune France de Cholet, « se comporter de plus en plus en consommateurs » ou encore à « ne pas chercher à s’engager dans une responsabilité bénévole ».Ce besoin de formaliser explicitement les valeurs constitutives de la JFCholet aura été ressenti à un tel point comme nécessaire, voire « indispensable » que le conseil d’administration ira jusqu’à s’adjoindre, en 2000, les services particulièrement coûteux d’une entreprise de conseil avec pour objectif de produire une sorte de charte des valeurs de l’association, destinée à tous. Le titre de la commande adressée à la société de conseil sollicitée était d’ailleurs explicite : « Appui à la formalisation et à la contamination des Valeurs de la JFCholet ». Il s’agissait, en formalisant le système de valeur « maison » dans un document générique, d’éviter tout « risque d’écart entre les sections, voire d’une dichotomie des comportements des bénévoles et des salariés face aux jeunes et aux familles, du fait de valeurs et de conceptions de l’activité omnisports différentes, voire d’une dérive au sein de certaines sections » et également de prévenir tout « risque de déstabilisation de la JFCholet par désaffection des bénévoles “de souche”, perturbation du partenariat entre salariés et bénévoles15 ». Ce projet a abouti en 2001 avec la production d’un document abondamment diffusé et intitulé « Les valeurs et les principes d’action de l’association JFCholet omnisports ». Celui-ci définit notamment la structure comme « une entreprise à capital humain » dont l’objet (en gras dans le texte original) « consiste à créer du lien social, de la convivialité, du relationnel positif entre tous ses acteurs [et dont] l’objectif est le profit pour la collectivité en apportant un service public aux habitants ».

48Ailleurs, le développement administratif, des règles et des normes conduit au cloisonnement des pratiquants et au problème du lien social. Des pratiquants potentiels ne se reconnaissant pas dans les organisations formalisées se sentent exclus, abandonnent toutes pratiques ou créent de l’informel et/ou s’auto-organisent (C’West, ORC). Il en résulte un abandon de certaines fonctions sociales assurées précédemment par l’association et la sortie du giron des fédérations des activités les plus rentables. Au sein des associations qui développent une tendance formalisatrice forte, l’introduction de réunions et animations visant à en adoucir les aspects contraignants est à noter (Amicale Don Bosco). Elles ont pour effet de réintroduire les dimensions de convivialité, plaisir des acteurs et lien social.

49Si la formalisation et l’innovation reconstruisent le lien social, elles peuvent également modifier les valeurs de l’association ou du moins altérer leur expression. Par exemple, la formalisation par isomorphisme coercitif provenant des fédérations et des collectivités territoriales est un moyen de mise sous contrôle des associations. Être amené à montrer les signes d’une conformation sociale et d’une compatibilité organisationnelle n’est pas neutre, marque durablement le mode de fonctionnement et influe sur les actions et les valeurs.

50À l’AEP Doulon, chaque section tient son budget et est bénéficiaire des subventions qu’elle collecte auprès des OMS, par exemple, tandis que le rôle de la direction et de la structure omnisports est la conservation et le développement du patrimoine. Ces rôles respectifs sont remplis en accord avec une éthique de la gestion affirmée :

« On a une gestion très rigoureuse, je me fais respecter, c’est une philosophie, une culture depuis très longtemps. Je ne peux pas supporter qu’on jette l’argent par les fenêtres, un sou c’est un sou qui sert au patrimoine, à la pelouse, aux emplois jeunes. On a des règles, financières ou sportives, et c’est pareil pour tout le monde. Tout le monde sait comment on fonctionne, tous sont informés de la même façon et traités de la même manière et quand il y a des gens qui ont tendance à l’oublier il faut le leur rappeler [Président]. »

51En revanche, et peut-être un peu grâce à cela, une souplesse est de mise pour un aménagement des tarifs pour les familles nombreuses.

Formalisation de la collecte, parfois innovante, de ressources

  • 16  Le tout premier salarié du club est titulaire d’un Brevet d’État de (...)

52Un bon exemple de la formalisation, par ailleurs innovante, est donné par le NACK. Recruté en 199816 le premier salarié s’est attaché, conformément aux cadres imposés par la fédération, à constituer une « école de pagaies » et une « école de sport », à « développer l’accueil de scolaires et de handicapés » et même à « inventer de toutes pièces » une activité nocturne « découverte touristique de la rivière, où on peut voir des cygnes, et même des tortues de Californie échappées d’aquariums ». Cette activité consiste, sur la période estivale, à proposer à des individus non-membres de l’association, et contre paiement d’un droit (60 €), des visites encadrées et guidées de la ville de Nantes, de nuit, en empruntant en canoë la voie fluviale. Parti de « rien de rien », le NACK, est aujourd’hui devenu, à la satisfaction de ses deux salariés permanents « une grosse machine » même si le plus ancien d’entre eux reconnaît « qu’il y a moins de plaisir qu’au début, car le plaisir que j’avais ici était lié à cette évolution… Chaque fois que je mettais un projet en place… boum, ça partait, et puis c’était super agréable. » À Don Bosco, des coûts sont calculés par la section tennis pour optimiser l’occupation de la salle et optimiser les cotisations.

53Plus traditionnellement pour l’AEP Doulon, l’activité du foyer (buvette) est très rigoureusement encouragée, développée et formalisée. C’est la condition nécessaire pour conserver la structure de financement par tiers : subventions, licences et ressources propres du foyer, « sponsoring ». Par conséquent, le foyer est ouvert tous les week-ends de l’année scolaire, chacune des sections tenant alternativement la buvette avec des recettes pour son propre compte. Les « équipes de buvette » sont constituées par les parents bénévoles tandis que les achats sont centralisés et effectués par un responsable au niveau de la direction omnisports. « C’est la tradition, c’est comme ça. »

Formalisation des relations avec les sponsors et les collectivités territoriales

54Une vision extérieure de la relation avec les sponsors donne à penser qu’il y aurait là, et à l’instigation de ces derniers, une source importante de formalisation comme d’introduction d’outils et comportements nouveaux. À y regarder plus près, il apparaît que cette incitation n’est pas systématique.

55D’une part, on observe bien que la relation avec les sponsors imprime une formalisation et un changement dans les pratiques. C’est le cas à l’association Don Bosco pour laquelle, à l’occasion d’un projet de construction d’une nouvelle salle subventionnée par la mairie, la ville de Nantes a demandé la nomination d’un commissaire aux comptes. Cela « nous a amenés à formaliser encore plus la comptabilité… il y a là une innovation et une accélération de la formalisation, des procédures, des méthodes comptables… Il existait déjà des comptes, en tant qu’expert-comptable (et le trésorier est également expert comptable) on avait déjà quelque chose qui se tenait, mais ça nous a amenés à mettre en place des règles beaucoup plus strictes vis-à-vis des sections… chaque section faisait sa comptabilité un peu différemment – certaines en recettes dépenses, certaines en engagement… la demande de la mairie accélère les choses ». Par conséquent, l’association a embauché un comptable.

56D’autre part, on remarque d’autres types de relations et d’interaction avec les sponsors comme dans le cas de l’AEP Doulon, les relations avec les sponsors n’ont pas uniquement pour objet de récupérer de l’argent mais d’établir une vraie relation de proximité et de fidélité. Les contrats ne sont pas formalisés mais prennent plutôt la forme de « contrats moraux qui pour moi ont encore une valeur [Président] ». Ces contrats informels portent, par exemple sur la mise à disposition gratuite d’un local du club pour une entreprise qui veut organiser un arbre de noël, d’un terrain mis à disposition gratuitement pour un tournoi interentreprises en contrepartie d’un soutien durable des entreprises.

57En définitive, que nous enseignent ces développements visant à décrire d’une part l’évolution historique et juridique des associations sportives, et d’autre part des états et trajectoires de formalisation ?

58En premier lieu, qu’un long glissement s’opère depuis des valeurs « domestiques », marquées par la morale, la famille, les relations personnelles, vers des valeurs plus civiques orientées vers le collectif et la loi. Il en résulte que le législateur contribue largement à la formalisation des associations. Il apparaît également que si le parti pris du sport de compétition est adopté par l’association, il constitue un accélérateur de la formalisation, via le salariat, destinée à l’acquisition durable des compétences sportives et administratives et des ressources financières. Si toutes les associations ne font pas ce choix et ne sont donc pas également « contraintes » à la formalisation, il n’en demeure pas moins que rares sont celles qui s’en dispensent. Cependant, si la tendance générale à la formalisation semble confirmée on constate des temps forts et des temps faibles. Parfois même des associations sportives peuvent renoncer à toute ou partie de leur formalisation afin de mieux entrer en cohérence avec leur projet associatif ou au contraire donner la priorité aux activités sur le marché, quitte à ne laisser qu’un rôle marginal à l’association. Ces mouvements de recentrage associatif ou d’inscription dans le marché ne peuvent s’opérer sans le recours à des innovations.

Des trajectoires innovantes, indissociables de la formalisation

59L’association sportive, à l’image de toute association, recourt largement au bénévolat. Cependant le salariat y tient une place grandissante induisant de nouvelles relations de travail. Bien souvent cette activité salariée est mise en œuvre dans le cadre d’activités à buts lucratifs, représentant des innovations pour des associations qui se heurtent à des contraintes financières et juridiques et qui s’engagent dans des relations nouvelles avec différents acteurs.

Innovation dans la relation de travail

60La relation de travail touche d’abord à la nature du contrat juridique. On note que le recours au salariat et aux contrats aidés est un mouvement, relativement récent, qui est devenu indispensable car il permet d’introduire des activités innovantes et de les stabiliser. Si parfois des associations font appel à des prestataires externes, les bénévoles sont toujours indispensables. Des innovations managériales sont introduites pour les fidéliser ou pour leur permettre d’exprimer leurs capacités à introduire des innovations à moindre coût dans l’organisation.

  • 17  Le tout premier « directeur laïc », recruté en 1966, fut en effet un temps (...)

61À la JF de Cholet, le recrutement d’un directeur général salarié non issu de l’association et rémunéré sur les fonds propres du groupement17, a eu pour effet d’induire un processus d’innovation. Ce directeur déclare que la charge qui pesait sur lui au moment de son recrutement l’engageait explicitement à « poursuivre le travail et à faire fructifier un héritage de quatre-vingt-dix années dans une association, qui avait déjà 3 000 membres, et qui était très présente depuis longtemps dans les familles choletaises ». Selon ses mots, et face à « la force des habitudes », à « l’évolution des attentes et des mentalités dans la population », aux « modifications de l’environnement », il lui fallait néanmoins, pour faire fructifier cet héritage, « réaliser un gros travail d’adaptation et de mutation », en un mot, « innover, trouver des solutions à une période où la solidité financière était en plus très problématique ». Ce travail a été entrepris notamment par l’extension du recours massif à des travailleurs rémunérés et/ou salariés à un moment où « le bénévolat ne pouvait plus suffire pour maintenir un haut niveau de prestation technique, surtout pour encadrer des gamins ». De fait, la Jeune France ira jusqu’à utiliser en 2000, et ce fut là son maximum en la matière, les services d’une soixantaine de salariés (permanents et non permanents) sur l’ensemble de l’année (32 en moyenne mensuelle) pour un équivalent de 19 emplois à temps plein, la masse salariale totale s’élevant alors à 526 881 €.

62Il en est de même à l’ORC, le club ayant également innové à son échelle en recourant à un Emploi Jeune, dont le financement public a été arrêté au bout de 5 ans comme le prévoyait la loi. Pendant ce temps le club a participé à la formalisation du secteur sportif en formant ce salarié au Brevet d’État ATEP (500 heures de formation). Sa présence a permis, entre autre, une innovation interne suggérée par le Président : l’édition d’un journal de communication interne et externe. La fin du contrat mit fin au journal.

63Pour l’AEP Doulon, les deux problèmes essentiels sont énoncés par le dirigeant. Le premier porte sur l’entretien des locaux et le second concerne la pérennisation des « emplois jeunes, indispensables. On peut plus faire sans eux pour la gestion sportive et des équipements ». Les dirigeants de l’association ne leur demandent pas autre chose, comme la recherche de partenaires « il existe des associations qui prennent des emplois jeunes pour la recherche de partenaires mais je ne suis pas d’accord ». Dans le même temps l’AEP Doulon a fait appel à un cabinet de conseil pour « organiser la vie associative en accord avec la pérennisation de l’emploi ». L’effort a porté sur la recherche de ressources nouvelles et donc la mise en place de manifestations au-delà des tournois, formule déjà ancienne.

64À Don Bosco, des innovations visant à reconnaître le bénévolat ont été mises en place sous forme de soirées : formations à l’œnologie, à la communication, au « positivisme »… « pour dire aux bénévoles vous existez, on vous aime bien ». Cette nécessité d’innover pour motiver les bénévoles découle de la multiplication des contraintes juridiques, comptables, financières, ou liées aux assurances. Elles « poussent à la structuration, multiplient le travail et on atteint les limites du bénévolat ce qui pousse au salariat… parce que ça suffit ! quoi ! Le bénévole ne se fait plus plaisir [Président] ». En revanche, le dirigeant n’est pas favorable à la reconnaissance financière ou à l’attribution de points de retraite ou aux allégements fiscaux pour les déplacements qui « constitueraient plutôt des sources d’ambiguïté et de complexité. Personne n’est venu demander ça… et chez nous, le bénévole paye sa cotisation ». Sont également mises en œuvre des commissions de réflexion avec des gens hors des centres de décision (simples adhérents ou extérieurs au club). Le club ne demande pas aux emplois jeunes de créer les conditions financières de maintien de leur emploi, ce qui infirme une éventualité envisagée.

65À l’AEP Doulon, l’innovation réside surtout dans des procédés destinés à faciliter les relations de travail : lettres internes, internet pour entretenir la cohésion au-delà de l’aire géographique naturelle du club, équipement en machines à laver et prise en charge du nettoyage des maillots à la fois pour « préserver le patrimoine et faciliter la vie des adhérents [Président] ». L’association a besoin de salariés et de bénévoles (on ne peut pas gérer qu’avec des bénévoles) mais il s’agit de bien délimiter le domaine des uns et des autres. Cela oblige à « fixer les règles du jeu pour que les gens qui touchent un peu de sous et ceux qui n’ont rien puissent travailler ensemble [Président] ».

66Si des associations optent pour un recours à des compétences externes (des consultants pour le cas de l’AEP Doulon) d’autres, comme Don Bosco, ont des positions plus mesurées, considérant que les ressources et les compétences peuvent être trouvées essentiellement en interne. « Il faut toujours compter sur soi », et si l’ouverture à l’extérieur n’est pas exclue, voire même souhaitable, il appartient aux adhérents de décider s’ils doivent aller à l’extérieur pour s’inspirer.

67Les relations de travail peuvent aussi s’apprécier en observant les liens entre les associations elles-mêmes. Certaines associations qui ne se connaissent pas, peuvent être amenées à innover en se regroupant par nécessité et/ou commodité, généralement pour organiser leur défense ou organiser des périodes communes de formation des animateurs et responsables débutants ou des sessions de motivation (ORC). Occasionnellement, le club organise une réunion de ses responsables débutants à Saint-Jean-de-Monts. Ce type de réunion, a été étendu aux autres clubs de football d’Orvault, et représente une innovation dans la forme et le fonctionnement structurel des associations ainsi mises, ponctuellement, en réseau. En 2001, le dirigeant a participé aux réunions de l’association des présidents de clubs de football amateurs (structure régionale), dite « le lien » à Sautron. Cette organisation a pour mission de constituer une force de proposition s’adressant au District et à la Ligue. La réunion de Sautron a conduit à la création d’une assurance pour le responsable dirigeant, avec la MDS.

68Il n’est pas exclu que ces associations qui se réunissent et partagent leurs compétences présentent différentes identités, valeurs et conditions d’action. C’est à la construction de groupements d’intérêt et de moyens que l’on assiste et à la naissance d’un réseau. Pour le (NEC-UNCU), il en découle deux questions : faut-il internaliser ou au contraire confier au groupement un certain nombre d’activités sportives ou de management et comment faire vivre ensemble des valeurs qui peuvent ne pas être strictement identiques ? De même, les relations de travail concernent les dirigeants d’associations qui peuvent être conduits à fonder des structures de représentation afin de mieux accéder à l’information administrative (ORC).

Innovation dans le développement de nouveaux secteurs d’activité, souvent à vocation lucrative

69La volonté ou la nécessité de développer de nouvelles activités lucratives est illustrée par de nombreux exemples. À la JF Cholet, association de grande taille, l’innovation principale réside manifestement dans le développement explicite d’un « secteur lucratif » à partir de 1998. D’ailleurs, le document « Les valeurs et principes d’action » signale clairement que l’association n’entend pas « être totalement subventionnée » et dispose que « certaines activités peuvent s’exercer dans un contexte lucratif en vue d’assurer la pérennité de l’ensemble » même s’il ne s’agit en aucune manière, au nom des valeurs proclamées, de « développer le profit à tout prix ». Selon le directeur général, les activités lucratives qui ont été instituées (fitness-musculation et danse) « s’inscrivent toujours dans les principes des valeurs de la Jeune France, mais elles ont aussi pour objectif d’être des sources de profit et de participer pour partie au financement des activités à destination des jeunes et de la compétition. [Comme elles s’adressent surtout aux adultes], c’est une solidarité entre générations, une forme de renvoi d’ascenseur. On a une génération qui consacre moins de temps au bénévolat, mais c’est compensé par une participation sous la forme d’une cotisation contributive plus élevée que dans les autres activités ».

70En fait, soumise à des coûts de fonctionnement de plus en plus élevés, notamment en raison d’une forte élévation de la masse salariale en dix ans, la Jeune France a été contrainte d’innover en se donnant les moyens d’assurer sa stabilité financière par la vente de services sportifs de type marchands destinés à des particuliers et soumis à la TVA. Alors que les sections du « secteur non lucratif » étaient déficitaires de 12 352 € en 2004 (pour un budget total de 292 950 €), le « secteur lucratif », pour un budget total de 55 400 €, affichait pour sa part un excédent de 23 838 €. Comme l’ont exprimé de concert les deux cadres dirigeants salariés interrogés, « on peut être satisfait, oh oui, ça a été et c’est toujours un franc succès, même si c’était pas gagné au départ ». En l’espèce, sans renoncer aux principes fondateurs de l’association, sans quitter la perspective socio-éducative orientée vers la jeunesse locale, les dirigeants de la Jeune France sont parvenus à admettre eux-mêmes et à faire admettre aux « plus traditionnels » d’entre eux qu’il n’y avait pas d’incompatibilité fondamentale entre activités commerciales rentables et « esprit » associatif, entre salariat et bénévolat, entre prestations payantes d’un côté et gratuité relative de l’autre. S’est ainsi progressivement réalisé au sein de la Jeune France un compromis entre les grandeurs domestiques/civiques liées à l’histoire de l’association et les grandeurs caractéristiques du monde marchand où ce qui importe est pourtant moins l’éducation et l’intérêt général que le prix et le profit économique. Portée par des dirigeants « professionnels » devant rendre des comptes à une administration bénévole élue, c’est sans aucun doute la promotion de l’idée d’une « solidarité redistributive » qui a rendu possible la création de services marchands dans un univers qui leur était a priori relativement hostile. Du reste, dans le cas de la Jeune France, on retiendra que le « marché » est ici au service du « non marchand », au service de la « mission de service public » local d’encadrement sportif de la jeunesse, mais en aucun cas au service du développement de la compétition dans une dynamique purement industrielle.

  • 18  Mobiliser des permanents salariés pour faire pratiquer le canoë-kayak à des (...)

71Dans le cas du NACK, il est clair que la production d’activités, à l’initiative exclusive des permanents salariés, s’est inscrite dans la perspective marchande de la prestation de service. Peu encombré par les traditions associatives, porté à faire valoir économiquement ses qualifications professionnelles de niveau supérieur, l’une des premières réalisations, symbolique, du premier salarié de l’association aura consisté à faire admettre à ses divers interlocuteurs (dirigeants ou adhérents) la nécessité « d’augmenter les cotisations et les prix » en « faisant prendre conscience aux gens des services qu’ils ont. Parce qu’au début, quand ils adhèrent à une association, ils pensent que ça ne vaut rien ! Nous, on est tous les deux BE avec des bacs plus 3 en plus ». Dans le droit fil d’une telle conviction, toutes les activités du NACK se sont effectivement formalisées dans une perspective marchande, même si la « passion » pour l’activité tend néanmoins à s’insinuer au cœur des relations « commerciales ». L’association se présente en 2005 comme une entreprise associative de prestations de services sportifs s’adressant à divers publics, ses 220 adhérents ordinaires ne pouvant suffire à la bonne marche économique de la structure et encore moins aux paiements des salaires et charges (54 226 € en 2005 18). La ville de Nantes cédera même les activités canoë-kayak de la base nautique municipale au NACK dans le but explicite « d’augmenter son volume de ressources propres ». Ce sont là autant de ressources qui pourront, conformément aux intentions de la fédération impliquée dans le « Plan canoë-kayak », être mises utilement au profit du développement ultérieur de la pratique compétitive. De fait, et face à la faiblesse des subventions publiques affectées au poste « compétition », en raison de la faiblesse initiale du niveau sportif du club, les bénéfices « commerciaux » réalisés vont rapidement être engagés pour la rémunération, à compter de septembre 2000, d’un second moniteur diplômé d’État. Alors que le premier salarié avait, comme il le dit lui-même « un profil agent de développement », le second, lui aussi sous convention emploi-jeune, est explicitement recruté pour assumer le développement du « canoë-kayak de compétition et de haut niveau » : « quand je suis arrivé au club, le but… euh, c’était un petit peu pour ça que j’étais embauché, c’était plus sur la compétition, quoi ! C’est pouvoir amener des compétiteurs au plus haut niveau, c’est-à-dire les championnats de France, voire au delà, donc pour ceux qui peuvent y prétendre. Mon but ici c’est effectivement de développer au maximum le côté compétition ». L’ambition affichée est ici d’augmenter significativement le niveau de performance de manière à recevoir un volume plus élevé de subventions qui soient spécifiquement dédiées à la compétition car « faut voir que la reconnaissance extérieure et les soutiens financiers extérieurs se font aussi surtout sur la compétition… Les critères de subventionnement, et les critères de reconnaissance, maintenant c’est vrai que c’est la compétition. On peut le regretter et dire hélas ! Mais moi c’est mon métier, je suis surtout un entraîneur. Je suis payé pour développer la compétition, même si je fais aussi de l’animation avec G. ».

72Dans ces conditions, le NACK semble avoir réalisé un compromis entre les grandeurs propres au monde marchand et celles caractéristiques du monde industriel : les profits dégagés par les activités lucratives sont explicitement, pour une part au moins, destinés à être réinvestis dans la production de sportifs performants. De sportifs dont on attend d’ailleurs des victoires suffisamment élevées pour qu’elles puissent à leur tour conduire à l’obtention de subventions locales et fédérales spécifiquement dédiées à la compétition. Du point de vue de l’innovation, tout se passe comme si l’on en était, dans ce club, à un premier niveau de formalisation marchande, celui-ci consistant à vendre des prestations de services sportifs à des individus ou des collectifs, et que se profilait synchroniquement un second niveau de formalisation tout aussi marchande sur le fond mais consistant, cette fois, à vendre des résultats ou des promesses de résultats sportifs aux collectivités territoriales portées à les financer dans le cadre de leurs politiques d’image.

73Un peu en marge des associations observées, l’association FCNA constitue historiquement un vecteur d’innovation très important qu’il faut apprécier sur une échelle temporelle élargie. C’est bien par les résultats qu’elle obtient en compétition, par la place qu’elle tient au cœur des flux financiers et médiatiques, qu’elle se trouve confrontée à la question de sa forme juridique à mesure que les textes applicables au football évoluent. L’association contribue à créer le football professionnel et les « marchés » qui vont avec. Si les résultats sportifs avaient été de mauvaise qualité, la question de la structure et de la formalisation, se serait posée en des termes différents. Dans le même temps, à l’image de la majorité des clubs de L1, le FCNA a contribué à faire évoluer les formes juridiques des clubs. En effet, les sollicitations exercées par les dirigeants auprès du ministère n’ont pas été sans effet dans le glissement du statut d’association à celui de SASP, pour les sections professionnelles. Les dirigeants du FCNA ont participé à cette évolution sans toutefois y prendre une part majeure. Ceci n’a pas été sans créer des tensions au sein du groupement sportif entre l’association et la section professionnelle. Après une phase ambiguë au cours de laquelle l’association gérait l’activité amateur et l’activité professionnelle, elle s’est vue ramenée à la seule activité amateur. Les problèmes de formalisation et le paradoxe qui voyait une association gérer une activité devenue lucrative s’en sont trouvés réduits. De fait, l’association a été l’objet d’une innovation de structure tant juridique que managériale qui lui a été suggérée par la section sportive et imposée par la mairie. Nous sommes donc essentiellement dans le cadre d’une innovation d’adaptation et réactive. Au regard d’autres clubs de même niveau de jeu, l’association a d’ailleurs plutôt tendance à différer le moment de l’apparition de cette innovation. Puis l’association a constitué un frein à l’innovation portée par la section professionnelle. Au début des années quatre-vingt-dix, elle s’est opposée à la création de deux filiales au sein de la SAOS destinées à gérer les produits dérivés et l’organisation de manifestations para sportives, au motif qu’un mécanisme d’intéressement proposé venait en contravention avec l’objet social et les principes énoncés par l’association. Nous sommes ici dans un cas particulier qui ne pourrait trouver un équivalent dans les associations observées par ailleurs puisque la situation présuppose une interdépendance entre deux structures composantes d’une même organisation. Cependant à y regarder de plus près, il n’est pas exclu que des situations comparables puissent être observées au sein de clubs omnisports dans lesquels les organes de direction centrale pourraient s’opposer à des décisions des sections sportives en arguant de justification éthiques ou financières.

74A contrario de ce mouvement qui voit les associations s’orienter vers les activités lucratives il est possible d’observer des associations dont le projet est de développer des activités dont l’utilité est le lien social, non marchand. C’est le cas de Don Bosco pour lequel des réflexions sur l’introduction de nouvelles activités loisir sont en cours par exemple : activité cartes à jouer au sein de gymnastique volontaire (compte tenu de la moyenne d’âge semblerait-il) ou taï-chi-chuan. Des discussions ont eu lieu avec un club de hockey sur gazon et l’amicale a été contactée par une association de billard déjà ancienne qui cherche des locaux. De manière générale, le club voudrait ouvrir de nouvelles sections « pour être un peu plus facteur de lien social… l’association peut être un excellent moyen de faire que les gens se rencontrent ».

Innovation sous contrainte financière, juridique et temporelle

75Innover ne va pas sans contraintes. Si la volonté d’innover existe, elle se heurte souvent au manque de moyens nécessaires au développement des idées et à la mise en œuvre concrète. Cette contrainte financière se double d’une contrainte informationnelle d’ordre juridique. Toute innovation est confrontée à la légalité de son existence. Par conséquent, la connaissance des textes qui s’appliquent est capitale et trop souvent déficiente dans les associations sportives. Autant les textes relatifs aux pratiques sportives et à l’organisation du sport sont connus, autant les textes liés à la gestion (droit des contrats, règles comptables et fiscales, droit du travail, etc.) sont plus difficilement appréhendés par les dirigeants. Innover mobilise du temps dont les acteurs manquent souvent. Cependant innover peut également être le moyen de lever l’ensemble des contraintes qui viennent d’être citées surtout la première, de nature financière. C’est pour limiter la dépendance par les ressources que les associations peuvent s’engager dans un processus d’innovation.

76Par exemple, l’ORC souhaite innover mais il constate que ses possibilités sont bridées par les faibles ressources financières. Le budget de 130 000 € donne peu d’aisance financière. Les faibles ressources économiques rejaillissent sur le niveau de compétition. Monter en division supérieure serait plus consommateur de ressources… qui manquent d’où un dilemme commun à de nombreuses associations.

77En premier lieu, une réflexion a été engagée sur l’innovation dans la collecte des ressources financières. À l’instar de la majorité des clubs, l’essentiel provient des activités du foyer (buvette, loto, brocante, soirées) et d’une subvention de la mairie (15 000 €).

78Une première innovation a porté sur la création d’une boutique d’équipement sportif dans le local du club. Deux commerciaux en avaient la responsabilité mais les résultats n’ont pas été probants. Le club s’appuie maintenant sur deux élèves en techniques de vente au lycée Saint Félix. Le recours à des élèves dans un cadre légal et formalisé constitue certainement une innovation importante. Une réflexion a porté sur le recrutement de commerciaux, payés au pourcentage, afin de démarcher des grandes entreprises « intéressement pour un commercial à recruter, à hauteur de 20 % des sommes collectées ». Il y a ici recherche d’un compromis avec des pratiques marchandes qui pose problème au club. Le problème est essentiellement technique, le dirigeant mentionnant « qu’il manque d’information sur la faisabilité juridique, qu’il ne sait qui contacter ni si cela se fait ailleurs ». Le problème pourrait également être éthique : faut-il ou non s’engager sur cette voie du compromis domestique/marchand ou civique/marchand. Il semble que cette question ne fasse pas débat tant la faiblesse des ressources semblent imposer une solution de ce genre.

79L’innovation réside également dans l’utilisation que le club fait de pratiques courantes dans le secteur pour satisfaire à son éthique. Par exemple, s’il forme des entraîneurs et des arbitres, à l’image de nombreux clubs, c’est pour lutter contre le coût croissant des entraîneurs, non pas au niveau du club seulement mais à un niveau plus macroéconomique en estimant « qu’il faut inonder le marché de Brevets d’État pour faire baisser les prix ».

80Puisque les moyens financiers sont réduits, compte tenu des niveaux de salaires et de charges et que l’introduction de nouvelles méthodes plus proches des pratiques marchandes pose des problèmes de concrétisation, le recours au salariat est, pour l’ORC, impossible. Il y a donc une réelle difficulté à capter des moyens humains. Par conséquent, le club suggère des innovations telles que « la possibilité d’acquérir des points de retraite pour les bénévoles engagés dans la vie du club ».

81En définitive, on constate qu’à l’ORC, la formalisation et l’innovation reposent sur la volonté de renforcer les caractéristiques civiques et domestiques du club. Les nouvelles formes de contrat de type marchand envisagées pour le club semblent l’être pour servir le collectif (financer de nouveaux encadrants, s’équiper en matériel, donner de l’aisance dans l’accompagnement des jeunes et leurs déplacements). À la pression d’une logique marchande qui conduit au renchérissement du coût des animateurs, le club oppose une logique conçue comme un antidote à la fois civique et d’inspiration marchande : former pour « inonder le marché » et faire baisser le prix.

82Le fait que le temps et la charge de travail permettent rarement de prendre du recul pour innover est illustré par l’AEP Doulon :

« C’est plein pot nos occupations, il faut de l’espace et du temps pour créer des activités nouvelles et on ne les a pas. Nos installations sont prises tout le temps et nos animateurs ne chôment pas. » « On prend pas le temps de se poser, par exemple de s’entretenir avec les salariés. C’est vrai que les salaires sont médiocres mais il faut reconnaître que c’est la pratique du secteur. Mais on ne veut pas mettre les finances en péril, on a la casquette employeur, des fois [Président]. »

Innovation suscitée et portée par différents acteurs

83L’innovation relève généralement de l’équipe dirigeante avec, semble-t-il un rôle moteur du dirigeant pour la réflexion sur les formes du contrat de travail, sur les modalités susceptibles d’encourager le bénévolat (ORC, AEP Doulon, Don Bosco). À l’AEP Doulon c’est la direction qui dote chaque section d’un ordinateur, acquiert deux machines à laver pour le nettoyage de tous les maillots de l’association de telle sorte que cette forme du patrimoine soit maintenue en bon état et disponible au bon moment. C’est également la direction qui fait appel à un cabinet de consultants pour développer les ressources financières, pour « organiser la vie associative en accord avec la pérennisation de l’emploi ». Deux voies ont été explorées : développer le nombre et la qualité des partenariats, augmenter les cotisations. Ce dernier point pose problème car la mission du club est l’éducation populaire au service des familles qui viennent de plus en plus nombreuses, surtout avec le développement de lotissements alentours. Plusieurs enfants s’inscrivent souvent à des activités diverses ce qui est commode pour les familles qui n’ont pas à courir la ville pour permettre la réalisation des pratiques (avantage de la formule multisport). En revanche, les coûts des licences deviennent importants pour les foyers et malgré les aménagements pratiqués par le club (étalement, réduction) l’augmentation des prix est délicate. Dans ce cadre d’action très civique et alors que l’équipe dirigeante n’exploite pas la totalité du potentiel d’innovation que représentent les emplois aidés, en les cantonnant volontairement aux activités sportives, le recours à des consultants, acteurs du monde marchand, peut paraître paradoxal. Il traduit en fait un compromis, indicateur d’une maturité de l’association.

84Au FCNA l’action des Présidents successifs et du Secrétaire général contribue à l’innovation et à la formalisation. Celle-ci irrigue l’association à partir des instruments mis en place dans la section professionnelle « C’est la SAOS qui satisfait au besoin d’information de l’association, lorsque la mairie observe, comme il se doit, l’association [Président de la section professionnelle]. »

85Les dirigeants innovent également en créant les conditions d’une mise en réseau des adhérents, des bénévoles et des tiers. De même, ils participent à des réseaux établis, vecteurs d’innovations pour maîtriser un point délicat du gouvernement des associations qui inquiète les dirigeants : leur responsabilité jugée trop importante (cf. Étude TMO, 2004). Mais la formalisation comme l’innovation pourraient être plus importantes si l’équipe dirigeante pouvait être éclairée sur les conditions juridiques et techniques de contrats de travail d’un nouveau type (marchand) au sein de l’association (ORC, AEP Doulon).

86L’innovation est aussi le fait de bénévoles qui, de leur propre chef, apportent leurs compétences au club (informatique, internet, capacités rédactionnelles) (Don Bosco, AEP Doulon, ORC). Le geste d’une contribution volontaire aux compétences semble naturel dans le club et se trouve facilité par les valeurs de convivialité, le souci de cohésion et par la permanence de l’institution qui caractérisent le club.

87Une autre source de formalisation réside dans l’action de la mairie. C’est la ville de Nantes qui renforce les outils permettant de rendre compte « La mairie de Nantes doit être avec la CCI, à l’initiative du système d’information mais sans gérance. Elle doit également aider à reconstruire dans un cadre normatif » (contrôleur de gestion de la ville de Nantes). « Le principal apport de la mairie est d’obliger les instances de direction de l’association et de la SAOS à agir ensemble et de façon cohérente » (Directeur financier).

88L’évolution de la loi et, plus spécifiquement pour le football au plus haut niveau, l’action de la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG) peuvent peser sur la formalisation. Les textes changent, autorisant, encourageant, exigeant ou invalidant de nouvelles configurations juridiques et instrumentales. La séparation entre association et section professionnelle avec l’adoption du statut de SASP se double de la rédaction de conventions qui adoptent un haut degré de formalisation.

89Indirectement, la formalisation, naît également du comportement des adhérents et des parents qu’il faut rappeler à l’ordre. Le bénévolat s’étiole, les comportements manquent de dimensions civiques (prééminence des collectifs, respect des formes légales, adhésion) et domestiques (responsabilité, bienveillance, préséance, devoir, éducation, exemplarité). C’est en réaction et à contrecœur que l’équipe dirigeante se voit obligée de formaliser l’action (ORC).

Synthèse et conclusion

Les associations sportives et l’informel : contrainte paradoxale ou moyen acceptable ?

90Héritant d’une structuration initiale sur le mode de l’œuvre sociale (patronages laïc ou catholique), les clubs sportifs sont restés marqués durant une longue période (jusqu’aux années 1980 environ) par une faible formalisation de leurs activités et de leurs actions. Encadrement bénévole, direction bénévole, subventions locales et faible rationalisation technique ont ainsi caractérisé de manière longtemps stable la plus grande part des clubs sportifs. Souvent pensées par leurs dirigeants sur le mode de la famille, les associations ont été dirigées par des valeurs inscrites dans une perspective « domestique » (cf. « la grande famille du football »). Plus récemment, des pratiques sportives nouvelles, volontairement inscrites en rupture avec le cadre normalisateur des fédérations par de jeunes pratiquants aspirant à l’indépendance, ont eu un double effet.

91Tout d’abord, un renforcement paradoxal de l’informel comme mode d’organisation, et une auto-organisation des jeunes pratiquants. Ce phénomène est connu au travers du « sport de rue » a priori hors du champ de notre étude car non inscrit dans le mouvement associatif organisé. Pourtant, il ne peut être totalement exclu dans la mesure où certaines activités qui le composent comme le roller, le skateboard ou le Hip-Hop réintègrent (ou sont récupérées par) le cadre associatif (des fédérations sportives ou non). C’est lors de ces glissements des activités auto-organisées vers le cadre associatif que l’informel et le formel entrent en débat et que s’articulent tensions, compromis et innovations dans une situation que l’on pourrait qualifier de paradoxe de l’informel structurant. Le schéma causal n’est d’ailleurs pas universel : la tension (rejet des règles de l’association) peut créer l’innovation (nouvelle pratique) puis le compromis (retour vers un cadre associatif aux conditions adoucies et aménagées). Mais également l’innovation (volonté d’introduire une nouvelle pratique ou de consommer différemment le sport) peut être à l’origine de tensions, susceptibles d’être régulées ou non par un compromis.

92Ensuite, peut apparaître une remise en cause de la perspective « domestique » surclassée par une perspective plus liée au monde de « l’inspiration ». Or, ce monde peu instrumenté n’est que peu compatible avec la formalisation et peut expliquer des tensions internes et paradoxales au sein d’associations ayant pour objet de réunir des populations diverses autour d’un projet social commun. Si la solution apportée est, comme nous l’avons vu, une réintroduction paradoxale même si elle est modérée, de l’informel comme mode de gestion de l’association, une des difficultés est de faire vivre ensemble deux cadres de référence : le formel et l’informel. Si certaines associations écartent tout contrat formalisé leur préférant des « contrats moraux » plutôt que des listes d’obligations respectives, il est difficile d’en déduire un modèle de gestion universel. Au contraire, la majorité des associations considèrent la formalisation comme une nécessité. Elles notent qu’il n’est plus possible d’aller vers les gens de manière informelle mais qu’il est maintenant nécessaire de mettre en place des règlements intérieurs et d’écrire les conditions pour mener les actions tant à l’adresse des enfants que des parents. Le recours à l’écrit se généralise. Par conséquent, la formalisation apparaît comme un mal nécessaire quitte à tenter de réintroduire des espaces plus informels pour des acteurs ou activités bien spécifiés.

93On assiste également à la construction d’un système de valeur par la formalisation et l’innovation. L’innovation et une formalisation modulée selon les types de pratiquants paraissent nécessaires à la construction d’un nouveau lien social, puisque le développement administratif des règles conduit à l’exclusion de certains pratiquants qui ne se reconnaissant pas dans le cadre jugé trop rigoureux des fédérations et s’auto-organisent. Il en résulte un abandon de certaines fonctions sociales assurées précédemment par l’association. Dans le même temps, au sein d’associations qui développent une tendance formalisatrice forte, les pratiques ayant pour objectif de réintroduire les dimensions de convivialité, de plaisir des acteurs et de lien social sont susceptibles de réapparaître.

La variété des prescripteurs de la formalisation et de l’innovation engendre des paradoxes

94Les « normalisateurs » de la formalisation que nous avons croisés en observant les associations sont divers. Les dirigeants jouent un rôle important, portés par leurs valeurs et leurs modèles de référence (indirectement les clubs phares), voire leurs formations et leurs métiers. On note également l’influence des nouveaux salariés, tels ces éducateurs sportifs brevetés d’État orientés vers des missions administratives, ou encore celle du législateur et de ses relais (fédérations, ligues, DNCG) qui ouvrent des perspectives avec de nouvelles constructions juridiques sur lesquelles peuvent s’appuyer les associations (Emplois jeunes, groupement sportif, etc.). Enfin, les propriétaires, dans le cas d’associations bien spécifiques telles que le FCNA jouent un rôle fondamental dès lors que la loi leur en offre la possibilité et que le rapport de forces au sein de l’association est en leur faveur.

95Des « freins » à la formalisation et à l’innovation existent également. Autant certains dirigeants peuvent avoir un rôle moteur en matière de formalisation, autant d’autres peuvent la freiner par le fait que leurs « valeurs » déqualifient les instruments formels d’organisation dans l’environnement associatif. En revanche, l’action des dirigeants dans le processus d’innovation est confirmée. D’autres freins proviennent du législateur (fédérations, ligues, DNCG) et de la loi qui tarde à offrir de nouveaux cadres juridiques d’action, s’opposent à leur ouverture ou ne les rendent pas suffisamment explicites aux yeux des dirigeants. Enfin, si le développement et la formalisation de nouveaux services contribuent incontestablement à faire entrer une partie des associations sportives dans le monde marchand, il reste que ce processus ne se déroule pas sans freins et se trouve contraint par des « résistances » notamment liées à l’histoire spécifique du sport national. Là encore, les cas étudiés montrent qu’il existe des phénomènes divers qui tendent à s’opposer objectivement à la « mise en marché » des services sportifs associatifs. En effet, associée tant à la spécialisation athlétique qu’à la vente de services d’encadrement, l’extension du salariat dans les clubs sportifs a contribué à organiser une invalidation et une disqualification tant pratique que symbolique de l’engagement bénévole. Or, le risque est grand, à brève échéance, de voir s’affaiblir le nombre de bénévoles prêts à rendre un service gratuit au profit des clubs et de leurs adhérents alors même que l’organisation du sport national, du club de village ou de quartier jusqu’au sommet des hiérarchies fédérales repose sur l’existence du bénévolat. Et du coup, on assiste à une sorte de « résistance » bénévole qui s’objective, soit par l’« exit » soit encore, lorsqu’une prise de conscience a lieu, par des stratégies de fidélisation des bénévoles (charte des valeurs, création ou réintroduction de lieux et de pratiques de convivialité) qui se développent à mesure que l’activité des clubs tend à se formaliser de manière marchande et/ou industrielle.

96Les choix méthodologiques avaient conduit à retenir le cadre de la justification comme la perspective principale pour observer les associations sportives. En définitive, que peut-on avancer en matière de positionnement des dirigeants au regard des mondes de Boltanski et Thévenot ? Les déroulements précédents, relatifs soit à la formalisation soit à l’innovation, nous ont déjà permis d’avancer quelques indications. Nous avons observé que le dirigeant de l’AEP Doulon conçoit son rôle comme étant celui du maintien voire du développement du patrimoine et de la mise en cohérence des sections. Cette mission relève d’une logique domestique et civique. Le recours à la formalisation réduite sur le plan des modes de gestion montre que la logique industrielle n’est qu’accessoire. Le caractère civique est renforcé par la volonté de traiter tous les adhérents de manière identique, au regard du respect des règlements intérieurs, tout en permettant des aménagements tarifaires sur la base des ressources des familles. Cette conception de l’action est souvent observée chez les dirigeants. Dans d’autres cas, le mode dominant de fonctionnement du club est nettement industriel, sous l’impulsion des dirigeants experts comptables (Don Bosco). Cependant, les valeurs domestiques qui les animent sont clairement visibles et affichées (se rendre utiles, créer les conditions pour se sentir bien, s’investir pour des gens dévoués et qui en valent la peine, croire que la valeur essentielle réside dans la personne, etc.). Le compromis industriel-domestique tient bien. La formalisation peut être implantée et porter ses fruits parce que la perspective industrielle se double d’une dimension domestique qui permet son acceptation. Il y a règles, contrôles, chartes, comptes, mesures, etc. mais également, reconnaissance, droit à la parole, activités communes motivantes et c’est la « couture » des deux volets qui permet un développement du club dans un cadre juridique associatif finalement adapté à un projet évolutif. Au cœur de ces associations, le compromis domestique-civique-industriel est alors bien vivant.

97D’autres organisations, qui regroupent un volet associatif et un volet aujourd’hui lucratif, sont plus complexes quoique plus rares. Au FCNA, les acteurs de l’association revendiquent des missions sociales en accord avec les mondes civique et domestique. Les acteurs de la section professionnelle, s’ils ne sont pas en totale rupture avec ces dimensions, privilégient néanmoins des grandeurs liées au monde marchand et au monde industriel (concurrence, valeur monétaire, opportunisme, richesse, méthode scientifique, mesure, test, maîtrise, investissement). Dès lors, se pose la question du compromis à établir lorsque des sollicitations, périphériques au groupement sportif, le tirent dans des sens opposés : Pour l’association, retour vers les intérêts de la collectivité nantaise, respect des textes de loi, et à l’opposé, pour la section professionnelle, création d’activités marchandes, intérêts plus personnels, concurrence entre les clubs aux effets potentiellement dangereux qui, en cas d’échec, peuvent se retourner contre les intérêts de la mairie. La réponse à ce dilemme paradoxal semble avoir été trouvée par les instances du football qui séparent section professionnelle (SASP) et association en innovant et en donnant à la convention le rôle de faire tenir ensemble les deux composantes au sein du Groupement Sportif.

98En définitive le monde associatif sportif paraît marqué par des tensions dont il résulte une grande plasticité qui semble pouvoir être étendue à l’ensemble du modèle associatif. Cette plasticité est à la fois le produit et la source d’équilibres construits entre des logiques d’actions concurrentes, propres aux divers mondes qui s’y croisent. Elle traduit des états de compromis qui trouvent périodiquement une traduction dans les textes de loi. Le législateur assure une certaine permanence des structures et des pratiques et, parfois, concède à des acteurs habituels dans le monde associatif ou dont la présence est nouvelle, des cadres d’action renouvelés qui permettent, pour les premiers, de continuer à œuvrer pour le bien commun et, pour les seconds, une mise en marché d’activités initialement nées du fait associatif. Dans ce mouvement, il pourrait être tentant de concevoir le passage des associations de l’informel au formel comme une sorte d’entrée trop longtemps différée dans le marché. Il y aurait comme un adoubement par le marché, un retour à une normalité rationnelle et enfin sérieuse. Cette vision est réductrice et tendancieuse. La formalisation reste un outil au service de finalités diverses bien qu’en aucun cas il ne soit neutre et sans effet sur ces mêmes finalités.

Notes

1  Le Ministère des sports reconnaît comme fédérations sportives : les fédérations olympiques, les fédérations unisport non olympiques, les fédérations affinitaires et multisports, les fédérations scolaires et universitaires. Par ailleurs, ces fédérations peuvent être soit seulement « agréées », soit « délégataires de la puissance publique » en matière d’organisation du sport. Dans ce dernier cas, les fédérations concernées sont habilitées à délivrer des titres de « champion » (de France, régional et départemental) dans les disciplines qu’elles organisent et contrôlent de manière monopolistique. Toutes les associations prises pour objet d’étude dans ce chapitre relèvent de l’une ou l’autre des catégories administratives mises en œuvre par le ministère, que ce soit « entièrement », comme dans le cas de Nantes Canoë-kayak, ou seulement en raison de l’existence d’une « section » affiliée à une fédération sportive nationale. C’est par exemple le cas de l’association à vocation socioculturelle C’West, envisagée ici comme une association sportive, en raison de l’existence en son sein d’une section « futsal » (contraction de football en salle) affiliée à la Fédération Française de Football.

2  À cette liste, il convient d’ajouter trois clubs de football et deux clubs de tennis étudiés par Romain Goureau dans le cadre de son mémoire de Master. Appliquant les mêmes grilles d’intelligibilité que celles ici mises en œuvre, son travail tend à confirmer la validité des modèles d’analyse proposés. Voir R. GOUREAU, G. LOIRAND (dir.) (2005), Analyse des transformations et du devenir de cinq associations sportives compétitives fédérées de la région des Pays de la Loire, Mémoire de Master 1, UFR STAPS, Université de Nantes, 156 p.

3  Sur le « monde industriel », voir L. BOLTANSKI, L. Thévenot, op. cit., p. 252-262.

4  Sur le « monde civique », voir ibid., p. 231-241.

5  Sur le « monde marchand », voir ibid., p. 241-252.

6  Voir en particulier P. ARNAUD, J. CAMY (1986), La naissance du mouvement sportif associatif en France. Sociabilités et formes de pratiques sportives, Lyon, PUL.

7  Ainsi, G. Hebert, officier de marine qui fut l’initiateur d’une méthode d’éducation physique à l’œuvre dans les programmes scolaires jusque dans les années 1960, n’hésitera pas à écrire à propos des sports, dans une lettre adressée en 1911 à ce promoteur historique du sport comme technique d’éducation que fut P. De Coubertin : « leur influence est entièrement nulle en ce qui concerne l’éducation physique dans la famille, à l’école et dans l’armée. » De tels propos constituaient à l’évidence une réaction aux discours récurrents de P. De Coubertin qui, n’ayant de cesse de réaffirmer que « le sport est la discipline des forts ou de ceux qui veulent le devenir », laissait implicitement entendre aux promoteurs publics de la gymnastique d’État que celle-ci était, par différence, la discipline des faibles ou de ceux qui veulent le rester. Du reste, il importe d’indiquer, tant les institutions « oublient », que ce n’est qu’en 1967, malgré quelques initiatives en ce sens en 1959 puis 1962, que le sport a finalement été intégré dans les programmes scolaires comme un mode légitime d’éducation physique.

8  On peut d’ailleurs signaler que sur les 51 fédérations sportives existantes, la moitié déposera un recours devant le Conseil d’État au motif d’abus de pouvoir. Elles seront déboutées et la décision du Conseil d’État qui leur donne tort confirmera de manière jurisprudentielle la validité des ordonnances de 1945 qui accordaient, en matière sportive, un pouvoir d’organisation et de délégation de puissance publique.

9    La loi du 6 juillet 2000 dispose ainsi que : « Les activités physiques et sportives constituent un élément important de l’éducation, de la culture, de l’intégration et de la vie sociale. Leur promotion et leur développement sont d’intérêt général. »

10  Par l’ordonnance du 28 août 1945, le sport est reconnu comme un élément capital du redressement de la nation. Par la « délégation de pouvoir », l’État décide que certaines activités qui relevaient jusqu’alors du mouvement sportif (organisation des compétitions, sélection des athlètes, etc.) doivent désormais être autorisées par lui, pour ensuite déléguer ce pouvoir aux fédérations (E. Bayle, 1999).

11  Réalisée auprès de 250 dirigeants de clubs associatifs nantais, il apparaît que les valeurs mises en avant sont : la convivialité, l’éducation, la mixité, le partage. La compétition ne vient qu’en 7e position. La très grande majorité des dirigeants souligne le coût important de l’excellence sportive (préparation au geste technique, encadrement, gestion des aspects juridiques, assurance). Les principales difficultés sont : l’individualisme des pratiquants et des parents, l’excès de responsabilités des dirigeants, et la difficulté à trouver des compétences.

12  La loi du 16 juillet 1984 (dite loi « Avice » ; Décret d’application N° 86-407 du 11 mars 1986) a tout d’abord précisé que tout club employant des joueurs professionnels, dont le budget est supérieur à 2,5 millions de francs (recettes et salaires hors charges sociales et fiscales), ne peut conserver le statut 1901. Puis les seuils de 1,2 millions d’euros pour les recettes des manifestations payantes et de 800 000 euros pour les rémunérations versées ont été fixés par décret du 17 juin 1999.

13  Société Anonyme Sportive Professionnelle.

14  Le club a ainsi pour objet, sans plus de précision : « le canoë-kayak de loisir, le sport adapté : le handikayak, le canoë-kayak de compétition et de haut niveau, le canoë-kayak scolaire et universitaire, les manifestations et les promotions des activités ».

15  Document confidentiel produit par la société de conseil, rubrique « Les enjeux de la démarche entreprise ».

16  Le tout premier salarié du club est titulaire d’un Brevet d’État de canoë-kayak, d’un diplôme de technicien en biologie marine et d’une licence en sciences et techniques des activités physiques et sportives, option « management du sport ». Il a signé une convention emploi-jeune en 1998.

17  Le tout premier « directeur laïc », recruté en 1966, fut en effet un temps rémunéré par l’entreprise du président de l’association jusqu’à ce que celle-ci cesse son activité.

18  Mobiliser des permanents salariés pour faire pratiquer le canoë-kayak à des scolaires, à des jeunes inscrits dans divers centres de loisirs de la ville, à des handicapés, organiser des sessions « découvertes » ou « initiation » pour des particuliers et des touristes, louer des bateaux, constituent autant de sources importantes de revenus pour le club (l’ensemble des activités de services aura ainsi rapporté 50 850 € en 2004, contre 7 830 € pour l’ensemble des contributions des adhérents ordinaires).

Auteurs

Maître de conférences en gestion à l’Université de Nantes (IAE) et membre du CRGNA (Centre de Recherche en Gestion Nantes Atlantique), il observe les processus d’instrumentation de gestion dans les organisations. L’environnement des clubs sportifs est privilégié, qu’ils relèvent du cadre associatif ou qu’ils soient professionnels. Il a publié récemment « De l’association à la Société Anonyme : Le club de football FC Nantes Atlantique », Entreprises et Histoire , Gérer les frontières? n° 39, Éditions ESKA, septembre 2005, p. 23-44.
Sociologue, maître de conférences à l’UFR STAPS de l’Université de Nantes depuis 1997, est membre du Centre Nantais de Sociologie (CENS – EA 3260) où il anime le groupe thématique « Corps et sports ». Spécialiste des relations entre sport et État en France. Ses travaux se sont aussi intéressés aux transformations en cours dans l’univers sportif associatif. Ses dernières recherches portent plus spécialement sur le bénévolat et sur l’extension problématique du salariat dans les clubs sportifs polarisés sur la compétition. Il a notamment publié « Les paradoxes de la « professionnalisation » des associations sportives », in L. Prouteau (dir.), Les associations entre bénévolat et logique d’entreprise, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 85-103.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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