Pratiques de management dans les associations agréées services à la personne : des leviers de qualité de l’emploi et de performance ?
p. 135-155
Texte intégral
1Nous appuyant sur différentes études menées en France et en Europe sur les services à la personne, nous partons du constat que la mondialisation, à travers la diffusion de normes globalisées qu’elle facilite, participe à la normalisation des processus de production de ces services (Petrella et Richez-Battesti, 2011). Les services à la personne (SAP), qui regroupent un ensemble très divers d’activités économiques réalisées auprès des particuliers à leur domicile (voir les deux premiers chapitres), sont notamment touchés par la diffusion des principes globalisés du « New Public Management ». Ce modèle préconise, à l’instar des méthodes de gestion du secteur privé et afin d’améliorer l’efficacité et l’efficience des organisations publiques, le développement d’une rationalité instrumentale, d’une culture de la mesure et du résultat chiffré au sein des organisations publiques (Palpacuer et al., 2010). Ces nouveaux modes de gestion se répandent aujourd’hui dans les SAP et influencent notamment le recours à des outils formalisés de gestion des ressources humaines.
2Dans cette perspective, nous proposons d’analyser quelles sont les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) mises en place aujourd’hui dans les SAP et en quoi leur diffusion améliore la performance des organisations dans ce champ. Nous appuyons notre réflexion sur différents travaux théoriques et empiriques qui mettent en évidence qu’il existe une relation positive entre l’introduction de pratiques de gestion des ressources humaines et la performance des organisations (cf. infra).
3Partant de ce constat, nous ciblons notre analyse sur le rôle que peuvent jouer les pratiques de gestion sur la performance de l’organisation à travers leur impact sur l’amélioration des compétences des salariés ainsi que sur leur motivation et leur satisfaction au travail, deux dimensions importantes de la qualité de l’emploi selon les indicateurs de Laeken de la Commission européenne. En effet, la satisfaction au travail dépend à la fois des caractéristiques de l’emploi, incluant l’organisation du travail et la sécurité de l’emploi, et des caractéristiques individuelles, telles que l’âge, le sexe, la situation maritale ou les motivations personnelles. La façon dont les organisations gèrent leurs ressources humaines influence dès lors leur performance, la qualité de leur production, la motivation des salariés ou encore leur turnover (Wright et Haggerty, 2005 ; Arcand et al., 2002 ; Huselid et al., 1997 ; Huselid, 1995). Le rôle des pratiques de management dans la satisfaction au travail a également été mis en évidence dans la recherche sur la qualité de l’emploi dans l’économie sociale et solidaire, sur laquelle nous basons cet article (Maisonnasse et al., 2010).
4Afin de répondre à ces questions, notre chapitre est structuré comme suit. La première partie porte sur l’analyse de l’importance croissante accordée à la notion de performance dans le champ des services à la personne, et en particulier les liens qu’il peut y avoir entre performance et développement de pratiques de gestion des ressources humaines dans ces activités. Nous décrivons tout d’abord en quoi le contexte institutionnel, imprégné par la diffusion de normes managériales inspirées du nouveau management public, contribue au recours croissant à des pratiques de gestion afin d’améliorer la performance des organisations. Ensuite, à partir d’une revue de la littérature, nous proposons une grille d’analyse de l’impact des pratiques de GRH sur la performance des organisations dans ce champ d’activité. La deuxième partie présente les principaux résultats de notre analyse, à partir des données recueillies dans le cadre d’une étude qualitative menée par le LEST en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) sur la qualité de l’emploi dans les services à la personne relevant du champ de l’économie sociale et solidaire1. Notre échantillon restreint ne nous permet pas de tester l’hypothèse d’une relation positive entre pratiques de GRH et performance, mais apporte des éléments de réponse originaux sur la diffusion de pratiques de GRH dans ce secteur comme levier de qualité d’emploi, dimension qui est de plus en plus prise en compte aujourd’hui dans la mesure de la performance d’une organisation.
Vers une normalisation des pratiques de GRH pour améliorer la performance ?
5Comme développé précédemment dans cet ouvrage, les SAP représentent un secteur intéressant à étudier du fait des évolutions profondes de l’environnement institutionnel qui modifient les modes de gestion adoptés dans ce secteur et encouragent la recherche de la performance. Après une brève présentation de cet environnement pour lequel nous faisons l’hypothèse qu’il joue un rôle de normalisation des pratiques, nous proposons une grille d’analyse des pratiques de gestion des ressources humaines et de leur contribution à la performance des organisations.
Un contexte institutionnel promouvant la performance, facteur de normalisation
6Le courant néo-institutionnaliste nous permet de mettre en exergue le rôle joué par l’environnement institutionnel sur les organisations, du fait qu’il pénètre « l’organisation en créant les prismes à travers lesquels les acteurs perçoivent le monde et les catégories mêmes de structure, d’action et de pensée » (DiMaggio et Powell, 1997). Pour Meyer et Rowan (1977), l’environnement institutionnel correspond aux « positions, politiques, programmes et procédures de l’organisation moderne qui sont des manifestations de règles institutionnelles puissantes, qui fonctionnent comme des mythes hautement rationalisés ». Cet environnement va exercer différents types de pressions qui vont baliser l’évolution des organisations et homogénéiser les pratiques (Powell et DiMaggio, 1991).
7La mondialisation de l’économie a permis de véhiculer à l’échelle d’abord anglo-saxonne, puis mondiale, la doctrine du libre-échange généralisé à travers le décloisonnement des marchés et la financiarisation de l’économie privilégiant la création de profit à court terme comme meilleur moyen d’améliorer le bien-être mondial. Les grandes entreprises mondialisées, relayées par les institutions internationales ainsi que par les États, participent ainsi à l’élaboration et à la diffusion de normes qui encadrent les « systèmes de pilotage transnationaux » et qui visent en priorité la performance financière (Palpacuer et al., 2010). Élaborées dans le secteur privé, ces nouvelles normes sont aujourd’hui largement diffusées dans le secteur public, au sein de ce qui est communément appelé et reconnu internationalement comme le « nouveau management public » (NMP). Apparu dans les années 1980 au Royaume-Uni puis aux États-Unis et aujourd’hui diffusé tout autour de la planète, le NMP a été caractérisé par Hood (1991, repris par Naro, 2010). Nous retenons ici les composantes du NMP qui nous paraissent cruciales dans la compréhension des évolutions actuelles dans les SAP, à savoir la recherche de l’efficience et la maîtrise des dépenses publiques, le recours croissant à des logiques de contractualisation, la définition d’indicateurs de performance et de standards d’évaluation et le recours à des pratiques de management empruntées au secteur privé.
8Dans ce mouvement de diffusion du NMP, la France ne fait pas exception, comme en témoigne la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui concerne l’ensemble des financements publics et dont l’un des objectifs est « la recherche des résultats et de la performance2 ». En insistant sur l’adoption d’une culture de résultats plus que de moyens, ce mouvement a entraîné l’élaboration d’une batterie d’indicateurs de mesure de la performance et une modification des critères de financement dans un souci d’efficacité, d’efficience et de transparence dans la gestion publique. Ces évolutions contribuent à faire émerger une rhétorique de la performance qui, bien que fortement diffusée au niveau mondial, est assez récente dans le secteur social et médico-social (début des années 2000). Dans ce secteur, toute une série d’indicateurs et de tableaux de bord sont aujourd’hui exigés par les pouvoirs publics afin de mesurer la performance des organisations.
9Alors que les SAP se sont historiquement mis en place dans une logique d’aide aux familles et aux usagers, ils se développent plus récemment dans un contexte institutionnel traversé par de profonds changements dans la structuration de l’offre et de la demande (voir les deux premiers chapitres). On assiste en effet à une mise en concurrence croissante des prestataires, à des modes de financement plus ciblés sur la demande, ainsi qu’à la montée en puissance des formes de régulation privée de la qualité, tels les labels, les normes ou les référentiels qualité (voir le chapitre de Francesca Petrella et Nadine Richez-Battesti). Dans un tel contexte, la rhétorique de la performance semble avoir également pénétré le champ des services à la personne.
10S’intéresser à la question de la performance dans les services à la personne suppose toutefois de prendre en compte les spécificités de ce secteur. Ces services ont en effet des caractéristiques qui rendent l’évaluation de leur performance difficile (voir le chapitre de Francesca Petrella et Nadine Richez-Battesti). Ce sont, pour la plupart, des services relationnels, marqués par l’incertitude de la relation de service et par la nécessité d’un ajustement mutuel entre les deux parties (voir les chapitres de Francesca Petrella et Nadine Richez-Battesti, Djamel Messaoudi et Emmanuelle Puissant). Dans un tel contexte, la gestion des ressources humaines s’avère être une dimension importante de la performance de l’organisation dans la mesure où la relation de service est au cœur de la détermination de la qualité du service. Les compétences des salariés ainsi que leur motivation et leur satisfaction au travail peuvent ainsi être des leviers de performance.
11Comment ces évolutions prônant la performance ont-elles un impact sur le champ des SAP ? L’analyse qui suit propose des éléments de réponse à cette question.
Des pratiques de GRH pour améliorer la performance ? Une proposition de grille d’analyse
12Les évolutions décrites ci-dessus au niveau mondial conduisent à adopter des normes de qualité qui ont un caractère plus universel que technique et qui portent sur la totalité du système de management (voir le chapitre de Francesca Petrella et Nadine Richez-Battesti). Il en résulte un intérêt accru porté à la diffusion de « bonnes pratiques » de gestion au sein d’une grande partie des organisations, dans la plupart des champs d’activité, afin d’améliorer leur performance.
13Dans cette partie nous souhaitons, à partir d’une revue de la littérature, identifier comment les pratiques de gestion des ressources humaines contribuent à améliorer la performance des organisations.
14Même si la relation entre les pratiques de gestion des ressources et la performance globale de l’organisation reste peu étudiée, la littérature en sciences de gestion suggère l’existence d’une relation positive entre l’introduction de pratiques de gestion des ressources humaines et la performance de l’organisation3. Ces travaux ont permis d’identifier les pratiques de GRH qui semblent avoir un impact important sur la performance des organisations.
15Afin de mesurer cette performance, un intérêt croissant est donné aujourd’hui à l’identification de mesures de performance non financière de l’entreprise, conduisant à l’élaboration de systèmes d’évaluation multidimensionnelle (voir entre autres Bergeron, 2002 ; Kaplan et Norton, 1996). Notons toutefois que la question de la performance est délicate dans la mesure où la performance est une construction sociale dont l’évaluation varie fortement selon les parties prenantes concernées (Morin et al., 1996 ; Brown, 2005).
16De nombreux travaux se basent sur le tableau de bord prospectif de Kaplan et Norton (1996), qui mesure quatre dimensions de la performance : la dimension financière, qui s’intéresse à la satisfaction des actionnaires ; la dimension client, qui s’interroge sur les indicateurs de satisfaction des clients ; l’organisation interne de l’entreprise, qui porte sur ce en quoi l’entreprise est forte ; et la capacité d’apprentissage et d’innovation de l’entreprise (Kaplan et Norton, 1996). Bergeron (2002) s’appuie sur un autre modèle, celui de Morin et al. (1996), dans son analyse du lien entre la gestion stratégique de l’organisation et la mesure de la performance. Le modèle de Morin et al. (1996) comprend, lui aussi, quatre dimensions composées chacune de plusieurs critères : la pérennité de l’organisation, les valeurs des ressources humaines, l’efficience économique et la légitimité de l’organisation auprès des groupes externes, comme présenté dans le tableau 1 ci-dessous.
17Ce modèle a l’avantage d’insister sur le fait que l’organisation est un système ouvert, qui doit « rendre des comptes » à une pluralité de parties prenantes, non seulement internes, i. e. ses ressources humaines, mais aussi externes, tels les clients, les bailleurs de fonds, les régulateurs et la communauté élargie. Ce faisant, ce modèle intègre la nécessité de prendre en compte l’existence d’une pluralité de parties prenantes qui poursuivent des intérêts légitimes par rapport à l’organisation concernée (Donaldson et Preston, 1995 ; Freeman, 1984).
Tableau 1. – Dimensions et critères d’indicateurs de performance
Pérennité de l’organisation |
Efficience économique |
Qualité du produit – service Rentabilité financière Compétitivité |
Économie des ressources Productivité |
Valeurs des ressources humaines |
Légitimité de l’organisation auprès des groupes externes |
Mobilisation des employés Climat de travail Rendement des employés Développement des employés |
Satisfaction des bailleurs de fonds Satisfaction de la clientèle Satisfaction des organismes régulateurs Satisfaction de la communauté |
Source : Morin et al., 1996, p. 62.
18Au sein de cette littérature, nous abordons la performance sous le prisme de la qualité de l’emploi à partir de trois axes : la théorie des ressources stratégiques, la théorie de l’agence et la théorie de la motivation. La relation positive, entre la performance et les pratiques de management, peut s’expliquer à partir de ces différents cadres théoriques. Nous reprenons ici certains arguments proposés par Chrétien et al. (2005) et Hiltrop (1996) qui nous paraissent les plus pertinents au regard de notre problématique.
19Un premier ensemble d’explications peut être trouvé dans la théorie des ressources stratégiques – Resource-Based View – (Wernerfelt, 1984 ; Barney, 1991 ; Pfeffer, 1994). Cette approche, en mettant l’accent sur le rôle des ressources internes à l’entreprise dans la constitution d’un avantage compétitif, considère les ressources humaines comme des ressources stratégiques pour l’entreprise. Celle-ci doit être en capacité de les « capter », de les organiser et de les développer afin d’améliorer son avantage concurrentiel. Certains auteurs soulignent ainsi que l’entreprise, pour bénéficier d’un avantage concurrentiel, ne doit pas uniquement avoir un bon produit, être innovante, etc., mais doit avoir la capacité organisationnelle de gérer ses ressources. La théorie des ressources s’est donc rapprochée de l’analyse stratégique de la gestion des ressources humaines (Wright et al., 2001 ; Delery et Doty, 1996 ; Ulrich et Lake, 1990). Dans cette perspective, l’introduction de pratiques de gestion des ressources humaines, en améliorant les compétences des salariés de l’entreprise et l’organisation du travail, contribue à procurer à l’entreprise un avantage concurrentiel. Ce sont donc non seulement les compétences individuelles du personnel, mais aussi les compétences collectives de l’organisation qui constituent des actifs importants pour l’entreprise et contribuent à sa valeur (Prahalad et Hamel, 1990).
20La théorie de l’agence peut également être sollicitée dans la mesure où l’introduction de pratiques de gestion peut être considérée comme une manière de réduire les risques associés à une relation d’agence. Celle-ci concerne, en effet, les différents types de relations dans lesquelles un individu (le principal) délègue une partie de son autorité à un autre individu (l’agent) qui doit agir au nom du principal et poursuivre les intérêts fixés par le principal. Une telle délégation engendre des coûts de contrôle dès lors que les intérêts de l’agent divergent de ceux du principal (Fama et Jensen, 1983). La théorie de l’agence préconise l’introduction de mécanismes de contrôle de l’agent, mesures qui s’avèrent coûteuses pour le principal. Ainsi, les pratiques de GRH peuvent limiter les risques de comportements opportunistes des agents en rapprochant les intérêts des différentes parties prenantes.
21Un troisième ensemble de théories permettant d’identifier une relation positive entre pratiques de gestion des ressources humaines et performance de l’organisation est à rechercher dans les approches psychologiques de la gestion des ressources humaines. Ces approches soulignent l’influence que peuvent avoir la motivation et la satisfaction des salariés au travail sur leur comportement et, par là, sur la performance de l’organisation (voir notamment Huselid et al., 1997). Plusieurs facteurs peuvent influencer la motivation et la satisfaction au travail : le niveau de rémunération bien sûr, et les différents systèmes incitatifs qui peuvent y être associés, mais aussi l’accès à la formation, la participation aux décisions, la gestion des carrières, l’existence de dynamiques collectives ou d’espace d’échanges et de discussion, des pratiques de communication ainsi que de développement des liens sociaux au sein de l’entreprise, notamment à travers l’organisation d’événements conviviaux (Fabi et al., 1999 ; Hiltrop, 1996).
22L’ensemble de ces arguments permet de soutenir que l’introduction de pratiques de GRH peut améliorer la performance de l’organisation. Cette relation positive n’a toutefois été que peu observée par des travaux empiriques. La plupart d’entre eux ont identifié plusieurs « bonnes pratiques » qui étaient fortement corrélées à des indicateurs de performance, donnant lieu à plusieurs critiques, notamment en ce qui concerne les liens de causalité de relations observées entre les variables (Baret et al., 2008). Une recension de ces travaux est proposée par Baret et al. (2008), Chrétien et al. (2005) ainsi que par Hiltrop (1996). Ces études valident l’existence d’une telle relation positive, même si elles se différencient à partir des pratiques de GRH étudiées, des mesures de la performance utilisées et des champs étudiés (grandes entreprises ou PME). Quelques travaux ont en effet porté sur des PME, notamment dans le secteur des services, qui se caractérisent par des modes de GRH spécifiques (Chrétien et al., 2005). Dans notre recherche sur la qualité de l’emploi citée ci-dessus, nous avons également mis en évidence une relation positive entre l’adoption d’un ensemble de « bonnes pratiques » de gestion et de meilleures performances en matière de qualité de l’emploi dans des organisations du secteur des services (Melnik et al., 2010). Notons enfin que Ichniowski et al. (1997) ont montré que l’introduction d’un ensemble de pratiques de gestion avait plus d’impact sur la productivité de l’entreprise que l’introduction de pratiques isolées, dans la mesure où les pratiques étaient complémentaires et interagissaient.
23Dans cette perspective, il nous semble intéressant d’analyser quelles sont les pratiques de GRH adoptées par les associations agréées services à la personne et de voir, à partir des données dont nous disposons, si leur présence a un impact sur la performance de l’organisation. À ce titre, nous proposons une grille d’analyse des pratiques de GRH qui peuvent être des leviers de performance pour l’organisation à travers leur impact sur la qualité de l’emploi. Nous avons ainsi regroupé les variables disponibles en deux groupes.
24Un premier groupe de variables reprend les pratiques de gestion qui permettent de développer les compétences et de planifier les carrières dans les organisations, afin d’améliorer les ressources humaines de l’organisation, les organiser au mieux et les développer dans le but d’améliorer l’avantage concurrentiel de l’organisation, comme le préconise la théorie des ressources stratégiques. Ce groupe rassemble les actions de formation, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), la validation des acquis de l’expérience, l’existence de procédures de recrutement, la description de fiches de poste et la formation des bénévoles du conseil d’administration. Plusieurs études4 montrent en effet le rôle stratégique du CA dans la performance de l’organisation. Pour Brown (2005), les membres du CA doivent posséder plusieurs compétences pour améliorer la performance de l’organisation. La formation des bénévoles du CA peut donc contribuer à l’amélioration des ressources stratégiques de l’organisation.
25Un deuxième ensemble de pratiques de gestion concerne la motivation et la satisfaction des salariés, qui, selon la théorie de l’agence et l’approche psychologique des ressources humaines, mettent en évidence l’importance d’encourager la motivation et la satisfaction des salariés au travail. Plusieurs variables peuvent rentrer dans ce groupe que nous décrivons rapidement :
l’organisation d’événements extraprofessionnels qui permettent de développer la « culture d’entreprise » et la cohésion sociale au sein de l’organisation ;
l’entretien individuel annuel d’évaluation qui contribue à clarifier les attentes des salariés et, notamment, de définir les plans de formation adéquats ;
les échanges collectifs qui favorisent la création d’un collectif de travail et de développer un sentiment d’appartenance à un groupe ; les réunions d’équipe permettent également un espace d’expression des salariés et de diffusion de l’information qui peut améliorer leur motivation et leur satisfaction au travail ;
les systèmes de primes individuelles et collectives et autres formes d’intéressement, qui réduisent les risques d’opportunisme ;
la participation des salariés aux décisions (présence dans le CA, par exemple).
26Quant aux variables dépendantes permettant d’estimer la performance de l’organisation, nous en avons identifié quelques-unes, même si nous manquons d’indicateurs précis quant à la performance financière ainsi qu’en matière de qualité du service effectivement fourni. Nous inspirant du modèle de Morin et al. (1996), nous proposons de les réunir en trois groupes : les variables concernant la performance économique (pérennité de l’entreprise et efficience), les variables concernant la performance sociale (valeur des ressources humaines) et les variables concernant la performance externe (légitimité de l’organisation vis-à-vis des parties prenantes externes de l’organisation).
27L’ensemble des variables dont nous disposons sont reprises dans le tableau ci-dessous.
Tableau 2. – Variables préconisées pour l’analyse
Variables indépendantes |
Variables dépendantes concernant la performance de l’organisation |
1) Concernant les ressources stratégiques Actions de formation des salariés Actions de gestion des emplois et des compétences Actions de validation des acquis de l’expérience Élaboration de procédures de recrutement Définition de fiches de poste Actions de formation des bénévoles du CA |
Performance économique : Évolution des effectifs salariés Évolution du volume d’activité Évolution des salaires Degré de diversification des ressources (marchandes, non marchandes, volontaires Performance sociale : Taux d’absentéisme Taux d’arrêts maladie et accidents du travail Taux de rotation du personnel Climat social (jours de grèves, plaintes aux prud’hommes) Performance externe : Démarche qualité Autorisation/agrément Adhésion à une convention collective Nombre de bénévoles et difficultés à les recruter |
2) Concernant la motivation et la satisfaction des salariés Organisation d’événements Entretien annuel individuel d’évaluation Échanges collectifs Systèmes de primes individuelles et collectives Participation des salariés au CA |
Les pratiques de gestion dans les SAP en région PACA : quelles spécificités ?
28À partir de cette grille d’analyse, nous avons identifié quelles étaient les pratiques de gestion adoptées par les organismes agréés services à la personne sur la base des données recueillies dans le cadre de la recherche menée par une équipe du LEST sur la qualité de l’emploi dans l’économie sociale et solidaire. L’objectif est d’explorer en quoi ces pratiques de gestion peuvent participer à l’amélioration de la qualité de l’emploi dans ce champ d’activité, à travers leur impact sur l’amélioration des compétences des salariés ainsi que sur leur motivation et leur satisfaction au travail, deux dimensions qui sont considérées par les auteurs précités comme fortement corrélées à la performance de l’organisation5.
Une étude qualitative sur la qualité de l’emploi : méthodologie
29Nous appuyons nos propos sur des données recueillies initialement afin d’appréhender la qualité de l’emploi dans le secteur des SAP. Nous avons conçu un questionnaire à partir des indicateurs de Laeken sur la qualité de l’emploi. Ce questionnaire permet d’appréhender l’organisation dans sa globalité afin d’analyser les conditions d’emploi.
30Ce questionnaire porte sur cinq dimensions :
les caractéristiques générales de la structure (statut, type d’activité, localisation, composition du CA et gouvernance, types de financement) ;
les caractéristiques des effectifs salariés et bénévoles ;
l’organisation du travail et les conditions de travail ;
les modalités de gestion des ressources humaines : gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (dont les actions de formation), santé et prévention des risques professionnels ;
les relations professionnelles (rôle des conventions collectives et accords de branche, formes du dialogue social…).
31Ce questionnaire a été soumis à vingt-sept organisations relevant du champ de l’économie sociale et solidaire. Toutes interviennent en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le questionnaire a été rempli par l’enquêteur, lors d’un entretien avec le directeur de la structure ou avec le responsable des ressources humaines. Les entretiens ont duré entre cinquante minutes et trois heures, avec une majorité d’entretiens d’une durée d’environ une heure et vingt minutes. Nous avons, en complément, mené des entretiens avec le pôle Services à la personne labellisé PRIDES6, qui est une structure de coopération des entreprises agréées SAP, afin d’avoir une vision d’ensemble du secteur d’activité.
32Concernant les caractéristiques de notre échantillon, parmi ces 27 organismes agréés services à la personne (OASP), vingt-cinq ont un statut associatif, une est en coopérative et une est une association intermédiaire (dénommées ci-après OASP ou associations). La répartition géographique par département est la suivante : dix-neuf OASP des Bouches-du-Rhône, trois des Alpes-Maritimes, trois du Vaucluse, une des Alpes de Haute-Provence et une des Hautes-Alpes. Dix-huit structures sont situées en milieu urbain, six en milieu périurbain et trois en milieu rural. La taille des OASP rencontrés, en termes de salariés au 31 décembre 2009, varie de trois salariés à cinq cent treize. La structure la plus jeune a été créée en 2008 et la plus ancienne en 1961. Il s’avère également que la grande majorité des structures rencontrées, dix-neuf OASP, ont une activité principale relevant de l’action sociale sans hébergement, à savoir l’aide aux familles ou aux personnes âgées dépendantes.
Principaux résultats : une large diffusion de pratiques de GRH
33Dans ce paragraphe, nous présentons les principaux résultats de notre étude sur les pratiques de gestion utilisées dans les OASP que nous avons rencontrés, soit 26 associations et une coopérative.
34Nous proposons de regrouper ces résultats selon la grille d’analyse que nous avons construite : les pratiques visant à améliorer les ressources stratégiques, celles pouvant influencer la motivation des salariés et leur satisfaction au travail et enfin, les données dont nous disposons pour estimer la performance de l’organisation (même si nous n’avons que peu de données concernant la performance économique, notre matériau empirique étant destiné à estimer la qualité de l’emploi dans ces organisations et non leur performance globale).
35Notre échantillon fait apparaître deux caractéristiques principales : un effort assez répandu en matière de formation et un recours important à des stratégies collectives de GRH.
Des pratiques de gestion en vue d’améliorer les ressources stratégiques de l’organisation : un effort en matière de formation
36Tout d’abord, notre étude qualitative a mis en évidence un réel effort de professionnalisation au sein des OASP. En 2009, un plan de formation a été mis en place dans vingt-trois OASP. Pour seize OASP, le montant des dépenses de formation fut supérieur à 2,1 % de la masse salariale. Ce taux de 2,1 % est défini par l’accord du 16 décembre 2004 relatif à la formation tout au long de la vie et à la politique de professionnalisation et concerne les organismes non lucratifs ayant pour activité principale l’aide à domicile. Concernant l’évolution des dépenses de formation, il s’avère que treize OASP ont vu ce pourcentage augmenter entre 2007 et 2009, et huit ont stabilisé ce ratio. Concernant les dépenses de formation et leur évolution, nous pouvons distinguer plusieurs cas :
les cas extrêmes : les organisations qui investissent faiblement le champ de la formation et les organisations qui ont été en difficultés financières, pour lesquelles les dépenses de formation ont été prises en charge par des organismes publics pour pallier le licenciement des salariés. Ce cas concerne deux OASP de notre échantillon comme une structure de taille restreinte, qui a eu des dépenses de formation à hauteur de 21 % de la masse salariale. La formation a été considérée comme une alternative au licenciement ;
les organisations faisant un effort particulier de formation afin d’améliorer qualitativement leurs ressources humaines ;
les organisations ayant fourni un effort de formation les années précédentes et qui maintenant stabilisent leur budget.
Des formations professionnalisantes
37Les formations suivies par les salariés des OASP rencontrés sont dans la majorité des formations non qualifiantes, comme les formations « geste et posture » où le salarié apprend les positions les plus adéquates dans l’exercice de ses tâches professionnelles, ou encore sur l’intervention auprès de personnes porteuses de pathologies particulières comme Alzheimer. Les personnes rencontrées justifient le recours plus important aux formations professionnalisantes par trois facteurs principaux :
elles sont, en général, moins longues et donc le salarié est absent moins longtemps ;
elles sont, en général, moins coûteuses ;
elles n’impliquent pas de revalorisation salariale.
38Les formations qualifiantes semblent alors impliquer un coût financier plus important pour la structure. Du côté des salariés, les formations qualifiantes entraînent, en fonction de la convention collective, une revalorisation salariale, une meilleure reconnaissance de leurs capacités dans une recherche d’emploi. Néanmoins, vingt-deux OASP ont déjà mis en place au moins une fois entre 2007 et 2009 une démarche de validation des acquis de l’expérience qui a entraîné une valorisation salariale.
Des stratégies de formation différentes
39Notre échantillon nous permet de distinguer trois types d’attitude face à la question des formations. Ces types ne sont pas exclusifs mais ils permettent de mettre l’accent sur des positions fortes quant à la stratégie de formation suivie. Les types sont :
la qualification comme argument concurrentiel : les organisations investissant fortement dans les formations qualifiantes afin d’avoir un nombre conséquent de personnel diplômé pour envoyer un signal aux partenaires et usagers rendant compte de leur professionnalisme ;
une professionnalisation modérée : les organisations privilégiant les formations professionnalisantes afin de maîtriser leur masse salariale tout en formant les salariés sur des problématiques propres à leur activité ;
l’absence de stratégie : les organisations qui investissent peu le champ de la formation.
40Nous avons également pu constater que les structures qui sont les plus actives dans le champ de la formation sont celles qui sont le plus en contact avec des partenaires extérieurs comme des fédérations. Nous remarquons également qu’un nombre non négligeable des OASP rencontrés a recours au « système D », pour reprendre l’expression d’une personne rencontrée. Le « système D » fait référence aux structures qui utilisent leur réseau professionnel et personnel pour accéder à des formations à moindre coût. Par exemple, trois structures nous ont signalé avoir déjà fait appel à des médecins pour organiser des réunions d’informations à destination de leurs salariés sur une thématique particulière comme la maladie d’Alzheimer.
Des actions de GPEC fortement répandues
41Notre échantillon fait également ressortir que seize organisations ont mis en place une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Ce nombre important peut s’expliquer en partie par l’accompagnement que le pôle Services à la personne, labellisé PRIDES par la région PACA, propose dans la mise en place de cette politique. Cette démarche de GPEC s’appuie sur des outils de gestion en place dans l’organisation. Selon les personnes rencontrées, les principaux leviers d’action pour mettre en œuvre une telle politique sont, par ordre de priorité : les actions de formation, les entretiens individuels d’évaluation, les démarches d’évaluation des risques professionnels et l’élaboration de référentiels de compétences (fiches de poste…). La démarche de GPEC accompagnée par le pôle Services à la personne repose sur l’alternance de temps de travail collectifs et individuels. Les temps collectifs sont consacrés à l’échange sur les pratiques et les problématiques des OASP participantes, tandis que les temps individuels permettent à la structure d’élaborer son propre plan.
Des actions de formation des bénévoles du CA
42Seulement huit OASP de notre échantillon offrent des formations à leurs bénévoles membres du conseil d’administration (aucune des organisations rencontrées n’avait des bénévoles pour des tâches autres que la gouvernance). Dans deux des organisations, les demandes de formation sont à l’initiative du bénévole lui-même. Dans les six autres organisations, l’initiative de la formation relève d’une proposition faite aux bénévoles par les membres du CA, du bureau ou de l’équipe dirigeante. Dans ce cas, la direction politique et opérationnelle de l’organisation propose aux bénévoles des types de formation. Néanmoins, si l’origine de la demande de formation est différente, dans les huit OASP, les formations suivies par les bénévoles concernent dans l’ensemble le domaine de la comptabilité et dans une moindre mesure celui de la législation relative au champ d’activité.
Des pratiques de gestion visant à améliorer la motivation et la satisfaction au travail des salariés : une insistance sur des stratégies collectives
43L’entretien individuel d’évaluation est relativement diffusé au sein de notre échantillon avec vingt-deux OASP qui le pratiquent. Sur ces vingt-deux, dix-neuf l’utilisent pour l’ensemble des salariés et trois seulement pour une catégorie de salariés, ceux ayant un contrat à durée indéterminée ou ayant au moins un an d’ancienneté dans la structure. Quatre organismes, parmi les plus petits de notre échantillon, n’organisent pas d’entretien annuel d’évaluation. Ils considèrent que l’échange avec le salarié est récurrent et ne voient pas la nécessité d’officialiser ce type de rencontre. Les évaluations périodiques portent principalement sur l’adéquation entre les attentes du salarié et celles de la direction sur l’organisation du travail. La formation du salarié est également concernée dans vingt organisations. Deux personnes rencontrées déclarent que l’évaluation a un impact sur la promotion du salarié mais dans la catégorie du personnel administratif, et les deux organisations sont de taille importante. À noter que seul un OASP fait un lien direct entre l’évaluation périodique et la rémunération des salariés.
44Quant à l’octroi de primes, neuf organisations (soit un tiers des organisations étudiées) ont attribué des primes individuelles, six ont opté pour des primes collectives. Deux structures ont distribué à la fois des primes individuelles et des primes collectives. De cette étude de terrain, deux stratégies d’allocation de primes ont pu être identifiées. Certaines structures octroient des primes dans une logique d’incitation et d’amélioration des performances des salariés, alors que d’autres ont recours à des primes individuelles afin de valoriser les salariés qui travaillent bien, qui s’investissent le plus, dans une logique de récompense du travail réalisé.
45Au-delà de l’entretien individuel d’évaluation et de l’octroi de primes, notre étude fait apparaître un rôle important des démarches collectives internes dans la mise en place d’outils de management améliorant la motivation et la satisfaction au travail. Nous identifions deux types de pratiques managériales promouvant le collectif de travail : l’organisation de temps d’échanges collectifs et l’organisation d’événements extraprofessionnels. Onze OASP de notre échantillon organisent au moins une fois par mois des échanges collectifs et quatorze plus occasionnellement. Ces échanges collectifs ont, selon leur fréquence et la structure, des objectifs différents : certaines réunions concernent l’articulation des interventions auprès d’un usager, d’autres réunions permettent l’échange de pratiques, d’autres encore sont relatives au fonctionnement de l’organisation. Malgré ces différences, ces réunions peuvent contribuer à faciliter l’appartenance à un groupe de travail dans un secteur où les situations de travail impliquent un isolement des salariés. Ces résultats s’inscrivent tout à fait dans l’analyse développée dans les chapitres d’Emmanuelle Puissant et Annie Dussuet dans cet ouvrage.
46Douze OASP organisent, au moins une fois tous les deux ans, des événements extraprofessionnels. Ces événements sont variés, allant de l’organisation d’un repas en commun à la participation à des manifestations nationales de type Téléthon. En revanche, en ce qui concerne la participation des salariés au conseil d’administration, nous n’avons pas de données suffisamment précises.
47D’une façon générale, toutes pratiques de GRH confondues, notre analyse nous a permis de distinguer trois groupes au sein de notre échantillon : un groupe qui développe peu de pratiques de gestion des ressources humaines, un groupe qui en développe plusieurs et un troisième groupe qui ne développe aucune des pratiques de gestion repérées mais qui, en revanche, est entré dans une démarche qualité. Une analyse plus approfondie de variables de contrôle telles que la taille de l’organisation et la date de création de la structure dans la diffusion des pratiques de GRH mériterait d’être menée. Il semblerait que la taille influence le recours aux pratiques de gestion aux extrêmes : les plus petites organisations ont peu ou pas de pratiques formalisées alors que les très grandes développent un ensemble plus large de pratiques de GRH. Quant à la date de création, elle semble influencer également l’adoption de pratiques de GRH. Ce sont en général les organisations les plus récentes qui développent des pratiques de GRH.
48Il y aurait donc un effet cumulatif de recours aux pratiques de gestion. Ce résultat peut être rapproché des conclusions de Ichniowski et al. (1997), qui montrent que l’introduction d’un ensemble de pratiques de gestion a un impact plus important sur la performance de l’organisation que l’introduction de pratiques isolées. Leur étude indique que les différentes pratiques de gestion sont fortement corrélées, elles apparaissent donc comme complémentaires et semblent interagir. L’analyse menée sur les pratiques de management, dans le cadre de la recherche sur la qualité de l’emploi sur laquelle nous nous appuyons dans ce chapitre, obtient des résultats similaires. Il s’agit bien d’un ensemble de pratiques de gestion qui influence la qualité de l’emploi au sein des organisations (Melnik et al., 2010).
Des indicateurs de performance de l’organisation à consolider
49Comme mentionné ci-dessus, l’étude qualitative sur laquelle nous appuyons notre analyse donne peu d’éléments sur les différentes dimensions de la performance de l’organisation.
Performance économique
50Nos données nous permettent juste de mettre en évidence des dynamiques globales de croissance de l’activité, mais aussi des tensions importantes en termes de mouvement de la main-d’œuvre et de recrutement.
51Entre 2007 et 2009, les OASP rencontrés ont, dans l’ensemble, connu le développement de leur activité. Dix-huit responsables déclarent avoir eu, sur cette période, un volume d’activité fortement croissant ou croissant, six déclarent avoir eu un volume d’activité stable et quatre déclarent avoir eu volume d’activité décroissant ou fortement décroissant. Au sujet de la situation économique en 2009, seize responsables déclarent être très satisfaits ou plutôt satisfaits, tandis que douze se déclarent plutôt insatisfaits ou très insatisfaits.
52Concernant la variation de l’activité, seize structures déclarent connaître des variations saisonnières. Selon les responsables de structure, ces variations sont dues, d’une part, aux périodes de vacances scolaires, notamment estivales, durant lesquelles les usagers quittent leur domicile ou sont pris en charge par leur famille ; d’autre part, certaines structures travaillant avec des personnes vulnérables ont remarqué des périodes de l’année où la mortalité était plus élevée.
53En termes d’évolution des besoins de main-d’œuvre, dix-huit OASP considèrent qu’il est plutôt difficile ou très difficile de les prévoir d’une année sur l’autre. Tandis que huit considèrent qu’il est plutôt facile ou très facile de prévoir cette évolution. D’une manière générale, les premiers considèrent que l’activité connaît des variations aléatoires qui contraignent la capacité de prévision. Les seconds, en revanche, considèrent que, malgré ces variations, les besoins de main-d’œuvre ne fluctuent pas de manière aléatoire. Dans les premiers, nous retrouvons une majorité de petites structures tandis que dans les secondes il y a une majorité de grosses structures.
Performance sociale
54Quant à la performance sociale, nous avons eu des difficultés à recueillir des données fiables et comparables. Plus particulièrement, il s’avère que toutes les organisations rencontrées n’ont pas d’indicateurs en place afin d’évaluer leur taux d’absentéisme, leur taux d’arrêts maladie, d’accidents du travail, ou encore leur taux de rotation du personnel. De plus, celles qui ont ce genre d’indicateurs, n’ont pas toutes le même mode de calcul.
55Concernant la rotation du personnel nous voyons cependant, qu’il y a de forts mouvements d’arrivée et de départ au sein des OASP. Tous les OASP rencontrés n’ont pu nous renseigner de manière quantitative sur les mouvements de leur main-d’œuvre. Que l’entreprise soit en situation de stabilité de sa masse salariale ou alors dans une période de croissance, il y a un nombre important de salariés qui entrent et quittent l’organisation. Cette caractéristique a des causes à la fois structurelles, relevant du secteur, et conjoncturelles. En phase d’expansion, le nombre d’entrées est très important, supérieur à celui des salariés restant dans l’entreprise, et inversement en phase de réduction de l’activité. Le climat social de l’OASP joue également un rôle important. Par exemple, une structure composée de 242 salariés et qui a connu, entre 2008 et 2009, une forte crise de management, a compté 322 arrivées et 230 départs entre 2007 et 2009.
56Les OASP rencontrés sont ainsi perpétuellement dans des phases de recrutement. À ce sujet, vingt et une organisations ont déjà rencontré, entre 2007 et 2009, des difficultés pour embaucher, à la fois des catégories de personnel qualifié et des personnes à bas niveau de qualification. Dans le même temps, vingt-trois organisations ont déjà rencontré le problème de déficit de compétences. Les personnes rencontrées attribuent dans l’ensemble les difficultés de recrutement à la fois à la quantité et la qualité de la main-d’œuvre disponible. Certaines personnes rencontrées justifient aussi ces difficultés par une mauvaise gestion en interne du processus de recrutement.
57Concernant le climat social, les indicateurs que nous avions définis pour l’appréhender (nombre de jours de grève et de plaintes aux prud’hommes) s’avèrent ne pas être les plus à même de rendre compte du climat social réel. La grille d’analyse d’Hirschman (1970) nous permet d’éclairer cette particularité. Cette grille identifie trois comportements possibles pour les salariés dans l’organisation : la loyauté, la discussion, le départ. Pour les organisations rencontrées, il semblerait que les attitudes adoptées soient la loyauté et le départ. Ceci se traduit par une absence ou une faible propension à la revendication. D’une manière générale, soit les salariés acceptent, au moins formellement, les décisions de la direction, soit ils démissionnent.
Performance externe
58En termes de performance externe, notre échantillon met en exergue que la plupart des organisations rencontrées déploient des actions afin d’améliorer leur légitimité vis-à-vis de leurs parties prenantes externes. En plus de l’autorisation ou de l’agrément obligatoire dans ce champ d’activité (voir le chapitre de Fraisse et Gardin), une forte majorité des organisations adopte une démarche qualité et adhère à une convention collective.
59Au sein de notre échantillon, vingt-quatre des vingt-sept OASP rencontrés ont mis en place une démarche qualité. Dans la majorité des cas, vingt, la démarche a été voulue par les structures elles-mêmes. Dans trois autres cas, elle a été imposée ou fortement encouragée par une fédération, dans un cas, elle a été mise en place car imposée par la législation. Il est à noter que :
« Pour les organismes certifiés, l’agrément qualité, nécessaire pour intervenir auprès des personnes fragiles, est renouvelé automatiquement dès lors que le champ de la certification couvre l’intégralité de l’activité faisant l’objet de l’agrément et que le référentiel est élaboré et validé conformément à l’article R. 115-87. »
60La démarche qualité Afnor, avec la certification NF service, est la plus répandue avec seize OASP l’ayant mise en place. Les autres démarches sont soit spécifiques à la structure, dans cinq cas, ou à la fédération dans trois cas. Il s’avère que le choix pour une démarche qualité réside dans la volonté d’avoir des outils afin de faciliter la gestion de la structure.
61Parmi les OASP rencontrés, vingt-trois ont une convention collective qui régit leur activité. Nous trouvons au sein de notre échantillon cinq conventions collectives différentes. Trois organisations ont leur activité régie par plusieurs conventions collectives en fonction des activités qu’elles effectuent. Cependant, une convention collective est plus présente, la CC 3217 du 11 mai 1983 relative aux organismes d’aide ou de maintien à domicile, qui a été signée par 21 OASP différents. Une convention collective est le fruit d’une démarche collective qui définit, en partie, le cadre de travail. Elle peut être considérée comme un outil de gestion, car elle institue des pratiques auxquelles les organisations signataires doivent se plier. Lors de nos entretiens, plusieurs personnes ont souligné le rôle structurant de la convention collective dans l’organisation du travail, deux personnes rencontrées allant jusqu’à parler de la « bible pour gérer les salariés ». Dans le secteur des SAP, les fédérations jouent un rôle important dans la diffusion des conventions collectives.
62Ces différents éléments font ressortir l’importance du « réseau » de l’organisation, au sens des relations que l’organisation entretient avec d’autres organisations, sur le développement de pratiques de gestion. Ainsi, des réseaux sectoriels, les fédérations en l’occurrence, jouent un rôle important sur les dynamiques professionnelles avec la diffusion des conventions collectives et de l’accompagnement proposé dans l’adoption de démarches qualité (voir le chapitre de Petrella et Richez-Battesti). De même, des réseaux territoriaux, dans notre cas le pôle Services à la personne, contribuent à diffuser des pratiques de gestion, comme les démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans le cas étudié.
Conclusion : Vers une amélioration de la performance à travers les pratiques de GRH ?
63L’environnement institutionnel du champ des SAP contribue à diffuser de nouvelles normes de performance. L’influence du « nouveau management public » tend à redéfinir la nature de l’évaluation de la performance au sein des organisations en mettant l’accent notamment sur l’efficience et la maîtrise des dépenses publiques, le recours à des logiques de contractualisation, la définition d’indicateurs de performance et de standards d’évaluation et le recours à des pratiques de management empruntées au secteur privé. Ceci a pour impact notamment de diffuser des pratiques de gestion traditionnellement utilisées dans des secteurs privés et industriels. Ainsi, à travers notre terrain, nous avons pu constater une large diffusion d’un ensemble de pratiques de gestion des ressources humaines. Les organisations recourent dans l’ensemble aux mêmes types de pratiques semblant confirmer l’hypothèse d’un processus de normalisation par les outils de gestion des ressources humaines. Nonobstant, il apparaît que les organisations mettent en place des stratégies différentes pour accéder à certaines pratiques en saisissant des opportunités venant de l’environnement. Ce critère s’illustre par la capacité de certaines organisations de notre échantillon à aller chercher en externe des moyens pour gérer leurs ressources humaines, comme dans le cas de la mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, avec l’aide d’organisations intermédiaires comme le pôle Services à la personne.
64Le développement important de pratiques de gestion au sein des organisations étudiées montre qu’une majorité d’organisations adopte des pratiques de gestion qui améliorent les compétences individuelles et collectives de l’organisation ainsi que la motivation et la satisfaction au travail de salariés. La « valeur » des ressources humaines est donc prise en compte dans ces organisations, même si la qualité des emplois dans ce secteur reste faible en ce qui concerne les indicateurs objectifs (bas salaires, faibles niveaux de qualification, temps partiels élevés, etc.). Néanmoins, l’adoption de pratiques de gestion peut contribuer à améliorer l’avantage concurrentiel de ces organisations, même si l’amélioration des compétences des salariés peut conduire à une augmentation du coût salarial qui risque de mettre à mal l’équilibre financier de la structure dans l’environnement concurrentiel et institutionnel actuel (lorsqu’une tarification est imposée aux structures par les conseils généraux par exemple).
65En outre, notre analyse fait ressortir un effet cumulatif des pratiques de GRH. Cet effet cumulatif se traduit par le fait que les organisations développant un outil semblent être amenées à en développer d’autres ou par le fait que les organisations mettent en place, d’entrée de jeu, un ensemble de pratiques de gestion. Ceci peut s’expliquer en partie par la complémentarité des pratiques et par la volonté des managers à mettre en place, ou non, un système de management formalisé par des outils (Ichniowski et al., 1997).
66Par ailleurs, notre étude a fait apparaître un rôle important des démarches collectives dans la mise en place d’outils de management. Ces démarches collectives se situent à deux niveaux : en interne et en externe. Le niveau interne concerne des pratiques managériales reposant sur les collectifs de travail, en particulier l’organisation de temps d’échange entre les différents salariés de la structure, comme les réunions d’équipe. Le niveau externe concerne les relations que l’OASP entretient avec d’autres organisations, en particulier des organisations intermédiaires telles que les fédérations et le pôle Services à la personne, lui proposant un accompagnement au développement d’outils de gestion.
67Nos résultats soulignent également les efforts de légitimation fournis par les organisations vis-à-vis de leurs parties prenantes externes. Ces efforts sont en partie encouragés par les pouvoirs publics en matière d’autorisation et d’agrément, mais témoignent également d’une volonté des associations dans ce champ d’activité de faire valoir la qualité du service fourni, via les démarches qualité, et d’améliorer des conditions de travail, notamment à travers l’adhésion à des conventions collectives (pour une discussion de ces outils, voir notamment le le chapitre de Petrella et Richez-Battesti dans cet ouvrage).
68La diffusion des pratiques de GRH au sein de notre échantillon montre que les associations qui ont été étudiées sont sur le chemin de la professionnalisation à la fois des salariés et des organisations employeuses. Ce double processus de professionnalisation peut concourir à l’amélioration de la performance des organisations dans ce secteur, grâce à son impact sur l’amélioration des compétences des salariés, ainsi que sur leur motivation et leur satisfaction au travail, qui sont des ressources stratégiques pour l’organisation, en particulier dans ce champ-là, de par l’importance de la dimension relationnelle dans la qualité du service.
69Nous attirons toutefois l’attention du lecteur sur les limites de notre terrain. Celui-ci, utilisé de manière illustrative de nos propos, présente plusieurs failles. La taille de notre échantillon est restreinte. Les organisations rencontrées sont, semble-t-il au regard de la littérature sur les organisations du secteur des SAP, relativement homogènes, car elles font partie des organisations qui semblent s’engager sur la voie de la professionnalisation. Il s’avère que notre échantillon est quasi exclusivement composé d’associations, ce qui peut expliquer leur homogénéité. Les données ont été recueillies dans le cadre d’une autre étude, ce qui fait que certaines données importantes nous ont manqué, en particulier pour mesurer la performance des organisations et pour tester l’existence de corrélations positives entre pratiques de GRH et performance. Notre analyse a toutefois permis d’identifier les variables à partir desquelles nous pourrions avancer sur ces questions en mobilisant une base de données plus large dans le secteur sanitaire et social.
70Enfin, il nous semble intéressant de prolonger l’analyse du lien entre pratiques de GRH et performance de l’organisation dans les associations de ce secteur à partir du rôle joué par le conseil d’administration dans la performance de l’organisation. Comme brièvement mentionné dans ce chapitre, plusieurs travaux soulignent l’importance des caractéristiques du conseil d’administration (taille du CA, diversité des administrateurs et de leurs professions, etc.) dans la performance de l’organisation. Pour Brown (2005), le CA est, en effet, le garant de la finalité sociale de l’organisation, il doit s’assurer que l’organisation poursuit sa mission. Il doit, en quelque sorte, mettre en place, selon la théorie de l’agence, un système de monitoring et de contrôle des agents de l’organisation afin que la mission sociale soit respectée. Le CA a, ensuite, un rôle de mobilisation de ressources stratégiques pour l’organisation. La composition du CA, sa diversité, les compétences de ses membres, leur appartenance à d’autres organisations et à différents réseaux sociaux sont autant de dimensions susceptibles d’augmenter la capacité du CA à diversifier et à mobiliser des ressources stratégiques pour l’organisation. Brown (2005) souligne, enfin, la nécessité que le CA soit capable de construire une dynamique de groupe positive qui permette au CA de prendre des décisions collectives importantes pour l’organisation et de gérer les éventuels conflits. Nous avons tenté, à partir des données dont nous disposions sur les caractéristiques du CA, de voir s’il y avait un lien entre celles-ci et le type de pratiques de GRH, mais notre échantillon est trop restreint pour pouvoir en tirer des conclusions fiables. C’est incontestablement une piste qui méritera d’être approfondie ultérieurement.
Notes de bas de page
1 Cette étude qualitative a été menée par le LEST-CNRS dans le cadre de la recherche ESSQUAL sur la qualité de l’emploi dans l’économie sociale et solidaire réalisée en 2008-2010 et financée par la région PACA et la Caisse des dépôts et consignations. Pour plus d’informations, voir Maisonnasse, Melnik, Petrella et Richez-Battesti (2010).
2 Site internet du ministère du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État. Sur la page internet : [http://www.performance-publique.gouv.fr/la-performance-de-laction-publique/lessentiel/questce-que-la-lolf.html].
3 Plusieurs travaux sont souvent cités : voir notamment Wright et Haggerty, 2005 ; Arcand et al. (2002) ; Delery et Doty, 1996 ; Huselid, 1995 ; Pfeffer, 1994 ; Ulrich et Lake, 1990 ; Hendry et Pettigrew, 1990. Pour une revue de littérature, voir Baret et al. (2008), Chrétien et al. (2005) et Hiltrop (1996).
4 Sur ce sujet, voir notamment Gasley et al., 2010 ; Brown, 2005 ; Cornforth, 2001 ; Green et Griesinger, 1996.
5 À titre exploratoire, nous avons réalisé une analyse factorielle des correspondances multiples afin d’identifier les liens possibles entre les pratiques de GRH que nous avions repérées sur le terrain et les indicateurs de performance dont nous disposions. Les résultats obtenus confirment notre analyse descriptive. Une telle analyse devrait toutefois être menée sur un échantillon plus large d’organisations.
6 Pôle régional d’innovation et de développement économique solidaire.
7 Circulaire ANSP/DGEFP/DGAS n° 1-2007 du l5 mai 2007.
Auteurs
-
Francesca Petrella
Économiste, maître de conférences, LEST-CNRS, Aix-Marseille université
-
Julien Maisonnasse
Doctorant en gestion, LEST-CNRS, Aix-Marseille université
-
Nadine Richez-Battesti
Économiste, maître de conférences, LEST-CNRS, Aix-Marseille université
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