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Aux origines idéologiques de la Révolution

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Roger Dupuy

Le Héraut de la Nation (No 41 à 63)

N° 57. Mont-Joye Saint-Denis. Le Héraut de la Nation sous les auspices de la patrie

Mangourit

Texte intégral

Etats-Généraux

PREMIÈRE SECTION. Suite des nouvelles du 16 Juin 1789

1NOUS aurons donc toujours à nous plaindre des infidélités du Journal de Paris. Confrère Mirabeau et nous, avons beau le surprendre en mauvaise marche, nous sommes obligés, à chaque instant, d’être les serre-files de M. l’Abbé Aubert.

N° 169, Journal de Paris, page 759

M. l’Evêque de Rennes, Président du Clergé des Etats de Bretagne ; M. le Marquis de Boisgelin, Président de la Noblesse, ont, au nom de leurs Ordres respectifs présenté une Requête à la Chambre, pour demander que leur Province fût représentée aux Etats-Généraux. On a nommé deux Rapporteurs pour examiner cette affaire, et en rendre compte à la Chambre.

2Cet extrait du Journal de Paris est un tissu de faussetés.

  1. M. l’Evêque de Rennes n’est point Président du Clergé de Bretagne ; les neuf Evêques, ainsi que les neuf Barons, sont aptes à la Présidence de leurs Ordres. La mission de M. l’Evêque de Rennes ne lui a point été donnée par les Etats, mais par le haut-Clergé assemblé à Saint-Brieuc, qui ne représentait pas la totalité du Clergé de Bretagne, puisque le Clergé inférieur était assemblé par Diocèses.

    • 1 Trois Membres de notre Club se sont présentés rue de Cléry, N° 96, chez M. Lebrun, pour y voir l’ex (...)
    • 2 Ces deux Pièces, très-curieuses, n’ont point été imprimées ; elles sont authentiques, quoiqu’elles (...)

    M. le Comte de Boisgelin (ar count Coatgelin), ce Gentilhomme qu’on a ridiculement sobriqueté Géant de la Roche-Bernard1, n’a pu agir au nom de l’Ordre de la Noblesse Bretonne, puisque, suivant la constitution des Etats de cette Province, depuis le Duc de Mercœur jusqu’à nos jours, il n’y a point d’Ordre de Noblesse, lorsque les trois Etats ne sont point assemblés. Or, à l’Assemblée de Saint-Brieuc, l’Ordre du Tiers n’a point été appellé, puisqu’il a nommé ses Députés aux Etats-Généraux par Sénéchaussées ; donc MM. Barreau de Girac2 et de Boisgelin n’ont pu présenter Requête à la Chambre de la Noblesse, au nom de leurs Ordres respectifs ; ils en ont été si éloignés, qu’ils n’ont eu recours qu’à cette Chambre. Ne se seraient-ils pas adressés à la Nation entière, s’ils avaient eu et pu avoir mission des Ordres du Clergé et de la Noblesse de Bretagne, constitués en Ordres par la présence de l’Ordre du Tiers ? La réclamation dont ils sont chargés, n’a été arrêtée que par la Chambre haute du Clergé qu’a présidée l’Evêque de Rennes en l’absence de l’Evêque de Saint-Brieuc, comme Doyen des Evêques, et par celle de la Noblesse, présidée par le Baron de la Roche-Bernard, non par droit de Baronnie, mais par ordre de S. M.

Notes

1 Trois Membres de notre Club se sont présentés rue de Cléry, N° 96, chez M. Lebrun, pour y voir l’exposition des Tableaux. Celui de M. le Comte de Boisgelin est d’une ressemblance frappante. Le clair-obscur de la tête lui donne le ton de la plus grande vérité ; il semble parler la langue primitive de M. le Brigant. Nous ignorons si M. le Comte est en pied à la Cour ; mais dans la galerie de M. Lebrun, il y est dans l’attitude la plus naturelle ; les jambes sont des modèles, et les draperies de la plus grande légèreté. Au bas on lit ce Quatrain :
Nain à la Cour, Géant dans sa Province ;
Noble à la Roche, et Bourgeois à Paris,
Le Cordon bleu le rapproche du Prince,
Et ses vertus lui donnent des amis.

2 Ces deux Pièces, très-curieuses, n’ont point été imprimées ; elles sont authentiques, quoiqu’elles ne ressemblent pas mal à une mistification. On voit que la réclamation de M. l’Evêque de Rennes était prématurée, puisqu’il n’a pu présenter celles de son Corps à M. Bailly.
Extrait de la Délibération des Communes de la Ville de Rennes, en date du 23 Mai 1789
« Un des Commissaires a dit : Depuis la clôture des Séances de MM. de l’Eglise et de la Noblesse, au mois de Février dernier, cette Ville et le Diocèse sont privés du premier Pasteur que la Providence leur a donné. L’Assemblée de MM. de l’Eglise et de la Noblesse à Saint-Brieuc au 16 Avril dernier, rendit un instant le Pasteur à son Troupeau ; mais cette Assemblée ayant arrêté de ne point nommer des Députés aux Etats-Généraux et de protester contre les Assemblées et Députations des Pasteurs du second Ordre et du Peuple, MM. de l’Eglise prièrent expressément notre Prélat qui les présidait, de se rendre à la Cour et de remettre à Mgr le Garde des Sceaux, à MM. les Présidens des Etats-Généraux, une expédition de leur déclaration et protestation ».
« Si les intentions de notre Prélat avaient été suivies dès l’ouverture des Etats de cette Province en Décembre dernier, les Membres du Clergé, qui assistaient à cette tenue, auraient renoncé à leurs privilèges pécuniaires, consenti à l’égalité proportionnelle des impôts ; et écouté la lecture des charges des Députés du Peuple. Son courage lui aurait fait braver tous les dangers ; en exhortant à la paix et à l’union, il eût déployé toutes les ressources de l’éloquence naturelle dont il est doué, pour empêcher que par des délibérations prises sur l’impôt par deux Ordres en l’absence du troisième, on eût porté atteinte à la véritable constitution de la Province et élevé un mur de séparation presqu’insurmontable entre les Ordres privilégiés et le Peuple ».
« La voix publique vous a également instruits, Messieurs, des efforts qu’il a fait à Saint-Brieuc, pour engager son Ordre à se conformer aux intentions bienfaisantes de Sa Majesté, et à nommer des Etats-Généraux ; mais il n’a pu réfuser de se rendre à la prière qui lui a été faite, et cet acte de complaisance de sa part est une nouvelle de l’intérêt qu’il prend à la chose publique et au retour de la paix ». « N’en doutons pas cependant, Messieurs, ce n’est qu’à regret qu’il s’est encore éloigné de son troupeau. Son attachement pour lui nous est un sûr garant de ce qu’il en coûte à son cœur, lorsque les circonstances exigent qu’il s’en sépare ; et soit qu’il nous édifie par son assiduité à résider dans son Diocèse, soit que des affaires temporelles l’appellent à regret au pied du trône, sa charité est toujours la même. Bien convaincu qu’il n’est que l’Econome des biens des divers bénéfices dont il est pourvu, absent ou présent, il les répand ou les fait répandre dans leur sein : mais son vœu le plus ardent est de se réunir au troupeau dont le gouvernement spirituel lui est confié, et ce vœu est suffisamment manifesté par la diligence dont il a usé pour exécuter la commission qu’il a été prié de remplir : il a remis à Mgr le Garde des Sceaux la déclaration arrêtée à Saint-Brieuc le 20 Avril dernier, et les papiers publics nous apprennent qu’il l’a adressée à la Chambre du Clergé aux Etats-Généraux, en lui écrivant une lettre qui ne respire sans doute que la justice, la paix et l’union ».
« La mission de notre digne Prélat est donc remplie. Cependant, Messieurs, craignant d’un côté que ceux qui l’ont prié de s’en charger, ne lui reprochent de n’avoir pas resté à la suite de cette affaire ; enflammé d’un autre côté, par le desir de remplir ses fonctions au milieu de vous, il semble balancer entre la confiance qu’on lui a témoigné et des devoirs si chers à son cœur. Mais son parti sera bientôt pris, si vous vous portez à faire la moindre démarche. Le Pasteur s’empressera d’accourir à la voix de son Troupeau, et nous aurons le bonheur inestimable de le posséder au milieu de nous. Sa présence et son exemple inspireront la paix et la confiance. Convaincu que la Ville, siège de son Évêché, absolument dépourvue de commerce, ne peut subsister que par le nombre des consommateurs, et que sa présence la vivifie, ne doutez pas, Messieurs, de son empressement à seconder nos vœux. – Sur quoi délibérant, l’Assemblée a arrêté de nommer MM. Canon, du Coudray, Dovet, Aubré et le Cousturier vers les Commissaires de Correspondance avec les Députés aux Etats-Généraux, pour les engager à charger lesdits Députés de solliciter de Sa Majesté, pour Mgr l’Evêque de Rennes, la permission de se rendre dans son Diocèse, même d’écrire à cet effet à Mgr Laurent de Villedeuil, Ministre de la Province, pour le prier de solliciter pour le premier Pasteur et le Troupeau, des ordres dont le but sera de mettre M. l’Evêque à l’abri de tout reproche de la part des Membres de l’Ordre de l’Eglise, qui l’ont prié de se charger de la commission qu’il a remplie ; et en événement que cette demande ne fût pas accueillie, ainsi que l’Assemblée a le droit de l’attendre, elle a autorisé les mêmes Commissaires à demander l’entrée à la première Assemblée Municipale, à y donner lecture de la présente, et à demander acte du dépôt qu’ils feront d’un double d’icelle, en la priant d’écrire à Sa Majesté, pour la supplier de permettre, même enjoindre, si besoin est, à Mgr l’Evêque de Rennes, de résider dans son Diocèse ».
Lettre écrite à M. Laurent de Villedeuil par les Commissaires de Correspondance de la Sénéchaussée de Rennes, du 26 Mai 1789
« Monseigneur [...] Chargés par les Généraux de toutes les paroisses de Rennes de solliciter de la justice du Roi et de votre attachement aux règles, le retour de notre Evêque au sein de son Diocèse ; nous avons l’honneur de vous adresser leur délibération avec d’autant plus de confiance, qu’en vous portant un vœu si honorablement exprimé pour celui qui en est l’objet, nous ne faisons que réclamer l’exécution d’un précepte mille fois répété dans les saints Canons de l’Eglise, et dont une foule d’Ordonnances ont fait une des Loix les plus authentiques du Royaume. M. l’Evêque sentira combien une pareille réclamation est flatteuse pour lui. Nous ne doutons pas qu’elle ne s’accorde avec ses desirs. En effet, si depuis vingt années que la Providence nous l’a donné pour Pasteur, les affaires politiques ont absorbé presque tous ses instants ; si par des circonstances particulières, et contre lesquelles ne réclament pas moins sans doute ses sentimens que ses principes, il s’est presque toujours vu dans l’obligation de se partager entre la Cour et l’Assemblée de nos Etats, nous lui devons la justice de croire qu’il a été le premier à gémir de ses longues et trop fréquentes absences. Jamais ses Diocésains n’oublieront quelle preuve éclatante il a donné à la province de son véritable attachement aux grands principes de la résidence, lorsque retenu à Paris, en 1784, il écrivit aux Etats assemblés à Rennes pour faire réclamer sa présence et obtenir d’eux une démarche pareille à celle que nous faisons aujourd’hui sans aucune sollicitation de sa part ».
« Nous sommes bien persuadés, Monseigneur, que le motif de son dernier voyage a Versailles ne lui a pas été moins désagréable que le séjour qu’il fit a Paris pendant les Etats de 1784. Il a rempli la triste commission dont il était chargé auprès des Etats-Généraux. Nous ne pouvons lui donner une preuve plus satisfaisante de notre zèle, et à nos Concitoyens un témoignage plus convainquant de notre attachement au bien public, que de solliciter, au nom de la Commune de Rennes, et conformément à toutes les Loix civiles et canoniques, une permission expresse ou même des ordres positifs qui, rendant M. l’Evêque de Rennes à ses fonctions épiscopales, puissent enfin le mettre a même d’exercer, sans distraction, ses vertus apostoliques, et de combler de joie son troupeau. – Eloigné de son Diocèse, il ne peut se regarder que comme dans un lieu d’exil, et l’invitation de se rendre où son premier devoir l’appelle, sera pour lui, comme pour nous, le plus signalé des bienfaits. Nous sommes, etc. les Commissaires ** ».
** Il serait à désirer que toutes les villes de France formassent des réclamations semblables, pour mettre à l’aise leurs premiers Pasteurs, et dégarnir, sur-tout dans ce moment, Versailles et Paris, qui abondent en Ecclésiastiques, tandis que les provinces sont livrées à l’inactivité, faute de posséder ces Messieurs.
Extraits des Mémoires d’Anne de Gonzague, Princesse Palatine, à Paris, chez Prault, Quai des Augustins, 1789
Page 110. « Pendant quelque temps, il y eut une guerre entre la Cour et les Cours, toute en formalités de justice. Rien n’est plus fastidieux à raconter, et vous y prendriez peu d’intérêt. Ces grands corps suivaient aveuglément les impulsions de quelques esprits remuans. Sans avoir de plan, et sans juger de l’endroit où ils voulaient aboutir, ils s’agitaient par un besoin de mouvement : et le sentiment de la mal-aisance des peuples, fortifié d’un faux zèle de la part des Chefs qui les dirigeaient, excitait leur opposition à l’autorité. Ce fut le bonheur de la France (minorité de Louis XIV) que personne en ce temps ne se trouvât doué d’un caractère et d’un génie propre à servir une grande ambition. Les projets n’avaient rien de fixe ; des qualités brillantes, le courage, l’esprit, éclataient dans quelques personnes. Mais l’intérêt personnel dirigeait seul tous ceux qui attisaient le feu de faction, ils n’étaient dominés par aucun systême ; les esprits étaient agités, les ames n’étaient point enflammées, et les révolutions des Etats ne sont jamais produites que par le fanatisme religieux ou l’entêtement des opinions politiques. Il y avait des gens habiles dans l’intrigue, et pas un Chef de parti ».
Page 117. « Madame de Chevreuse voyait à tel point l’amour et la galanterie dans toutes les affaires, comme le premier ressort, qu’elle me disait un jour, en voyant le Général des Capucins : “je parie que s’il nous racontait sa vie, on trouverait que l’amour et les femmes, de près ou de loin, ont contribué à son élévation’’ ».
Page 158. « Les hommes se conduisent dans les temps de trouble, comme l’on fait dans une incendie ; les uns s’empressent de porter du secours, les autres vont par curiosité voir ce qui se passe, et finissent enfin par profiter de la confusion pour voler et piller ».
Ibid. « Tel qui déclamait avec véhémence contre Mazarin, aurait fait des vers à sa louange pour mille écus de pension, un autre pour un Gouvernement, et ainsi jusqu’au premier et au plus acharné des frondeurs »...
Page 159. « Refuser tout et à tous, dit M. de Senne-terre consulté par la Reine. Aucun Prince ne prétend à se faire Roi, à démembrer la France, à se faire une autre religion. Les grands intérêts qui changent la face des Etats, n’animent point les esprits : il ne s’agit que de Gouvememens, de pensions et de tabourets.... Un nouvel ordre de choses peut être établi avec autorité et suivi avec fermeté. Les esprits préparés à un changement se soumettront, sur-tout si l’on engage le Roi à parler, et qu’on persuade qu’il a parlé lui-même, et qu’il soutienne son discours par des actes d’autorité. Que le Roi rassemble douze mille hommes aux environs de Paris, et qu’alors, de lui-même, sans déférer à aucune proposition, et par un sentiment de justice tempéré d’indulgence, il rende une Déclaration portant une amnistie générale pour tous ceux qui rentreront dans le devoir à une époque fixée, et menace de la rigueur des Loix les personnes de tout rang qui s’exposeront à l’encourir ; qu’il défende enfin aux Compagnies de se mêler des affaires de l’Etat ; je demande à Votre Majesté si quelqu’un osera entreprendre contre l’autorité après une Déclaration... qu’on saura émanée du Souverain. Je suppose qu’entrainé par l’exemple du passé, il se trouve quelqu’un d’assez hardi pour exciter des troubles ; il faut alors ne pas se borner à le faire arrêter, mais lui faire faire son procès par le Parlement suivant les Loix de l’Etat. Voilà, dit-il, Madame, les moyens tous simples de vous dégager de tout embarras, de rétablir l’ordre et la paix.... Le Roi sera maître, s’il le veut, et si les anciens acteurs se cachent derrière la toile, et ne laissent paraître que le Roi ; quelques phrases, ses gestes, ses regards, feront plus que toutes les négociations... des Ministres. Vous conviendrez que je n’ai pas tort de n’être pas alarmé des troubles auxquels il est si facile de remédier par des voies justes et légitimes. Il se peut, j’en conviens, que deux ou trois personnes ayent le sort du Maréchal de Montmorency : c’est un malheur, mais il est préférable aux troubles qui règnent, à l’anarchie, à la guerre civile, enfin aux conquêtes sur la France, que nos troubles intérieurs peuvent faciliter aux Etrangers ».
Page 223. « Ce grand Corps habitué depuis long-temps à être l’intermédiaire entre la Nation et le Roi ; le Parlement qui... s’est mêlé de toutes les affaires, qui a été le centre de toutes les intrigues, le principe de tous les mouvemens, ne craint rien davantage que de voir les Etats assemblés. Son éclat s’obscurcirait devant les véritables Représentans de la Nation, et son pouvoir serait anéanti, si réunis à des termes fixes et peu éloignés, ils rentraient dans leurs droits primitifs. Enfin, les Magistrats qui, depuis le temps des troubles, sont rapprochés, par leur influence dans les affaires publiques, des Princes et des plus Grands du Royaume, se verraient avec peine séparés de la Noblesse dans l’Assemblée des Etats ».
Page 224. « L’exemple du passé nous apprend qu’on n’a jamais retiré aucun fruit de ces Assemblées si respectables en elles-mêmes. En effet, la Cour, lorsqu’elle voit son autorité menacée dans quelque partie, ne manque pas de semer la division parmi les Ordres, et fait ainsi avorter les plus utiles projets. Le Clergé est particulièrement attaché à l’autorité monarchique, à laquelle il prête et dont il reçoit un grand appui. Les Grands tremblent au mot de réforme ; enchaînés par des bienfaits, séduits par des promesses, intimidés par la crainte, ils sont les instrumens de la Cour et du Ministère. Le Tiers Etat, sur qui pèsent tous les impôts, qui est à la fois humilié et opprimé ; le Tiers-Etat seul, flatté de pouvoir sortir de son obscurité et séduit par l’espérance d’un meilleur sort, a de tous temps désiré l’Assemblée des Etats-Généraux ; il s’abandonne à l’impulsion de son intérêt qui se trouve d’accord avec la justice. Il s’élève avec force contre l’impôt auquel les Grands trouvent moyen de se soustraire et dont la pesanteur l’accable ; il dénonce des abus, il demande des réformes, et les vérités qu’il expose sans ménagement, sont souffertes avec patience, parce qu’on espère qu’elles n’auront aucun effet. Pressée de s’en débarrasser, la Cour promet, réforme quelques abus, et retranche des pensions. Mais les subsides une fois accordés, les abus reparaissent, et les gens sans crédit restent seuls victimes de la rigueur des retranchemens.... On commence à entrevoir que l’extension du pouvoir est une usurpation ; que les prérogatives et les priviléges des diverses classes sont des violations du droit commun. Je fais peu de cas du droit public fondé sur l’Histoire moderne ; il n’est pas de barbarie et d’absurdité que de nombreux exemples ne puissent, en quelque sorte, consacrer ; cependant on y touverait aussi des choses favorables à la liberté. On verrait, dans les premiers temps, un Prince plutôt Commandant militaire que Monarque ; des Chefs indépendans assis à ses côtés ; ensuite des Rois propriétaires de grands domaines, et plutôt grands Suzerains que Souverains puissans ; les Grands ensuite abaissés de règne en règne, et la Royauté s’élevant sur leurs débris ; enfin des impôts croissans en raison du pouvoir souverain, et le pouvoir en raison de l’impôt ».
Page 232. « Le lit de la liberté se trouve tout fait en Angleterre.... Il n’en est pas de même en France, où les Parlemens... sont devenus sédentaires. Ils ont été divisés ; leurs Membres ont été nommés par le Roi, et bornés à rendre la Justice ».
Page 232. « Le Gouvernement Français semble ne pouvoir changer que deux manières. Lune consisterait de diviser la France en plusieurs Etats gouvernés par des Princes, pour former un corps semblable à l’Empire Germanique : le moment de cette révolution est passé ; c’est à l’avénement d’Henri IV sur le Trône qu’elle pouvait avoir lieu. L’autre changement serait plus conforme aux principes d’un bon Gouvernement ; il consisterait à balancer les pouvoirs de la Nation et du Souverain ; c’est à un tel Gouvernement qu’on pourrait appliquer le passage de Tacite : Non dominationem et servos, sed rectorem et cives. Certes, la Monarchie, quoi qu’on en puisse dire, ne perdrait rien à un tel établissement, et je demanderais à ceux qui le blâmeraient, si un Roi ne doit pas être content de la puissance de Charlemagne ; ce Monarque, si redouté au-dehors, si respecté au dedans, n’avait pas le pouvoir d’imposer arbitrairement et de porter atteinte à la liberté ; il ne s’en croyait pas moins grand, parce qu’il ne pouvait ni opprimer ni dépouiller ses Sujets. Si les Rois y réfléchissaient attentivement, ils verraient que ce pouvoir dont ils s’exagèrent l’avantage, ne leur procure aucune jouissance réelle. Celui-là serait le plus sage des Rois, qui chercherait à y mettre des bornes ; et il travaillerait en même temps pour la félicité générale, pour son bonheur et sa santé. J’ai pensé quelquefois que si j’étais Ministre et Favori du Roi, je lui dirais : l’abus du pouvoir, l’excès des dépenses oppriment vos Peuples et les ruinent. Retirez-vous quelque satisfaction personnelle de tant de millions dépensés qui font murmurer le Peuple ? Les actes d’autorité qui font gémir dans les prisons une foule de Citoyens, ont-ils été ordonnés par vous pour servir vos vengeances personnelles ? – Il conviendrait facilement qu’il n’a aucune affection pour ceux qu’il enrichit aux dépens de ses Peuples, et qu’il n’a aucune haine contre ceux qu’il opprime.... Ce ne sont pas les desirs d’un Roi qui sont difficiles à remplir, mais ceux des Courtisans qui l’entourent ; il éprouve le besoin de vivre au milieu d’hommes satisfaits, et la faiblesse qui porte à desirer de ne voir que des visages rians a fait de tout temps verser des larmes à des millions d’hommes. Je lui dirais encore : les dépenses d’un Souverain sont à considérer sous deux aspects ; elles sont privées ou publiques. Qu’il n’y ait aucun homme sur la terre qui puisse vous être comparé pour la richesse, pour la puissance de satisfaire ses goûts ; mais les objets publics, que vous importe d’en étendre arbitrairement les dépenses ? Reposez-vous sur la Nation du soin de les concerter avec vous ; car c’est pour elles qu’elles sont faites ».
Page 238. « L’excès de l’impôt, dit le Coadjuteur, pourra un jour amener une révolution ; mais il n’est pas à présumer qu’elle puisse être durable. L’équilibre ancien était fondé sur les services fournis en nature, ce qui demandait un concours de volontés. Le rachat des services, remplacés par de l’argent, a changé tous les rapports ; et de ce nouvel ordre de choses, est résulté la faculté d’asservir et de corrompre. Les Grands, habitués au joug et dédommagés de leur grandeur réelle par les bienfaits de la Cour, seront contraires à toute idée de liberté. Elle diminuerait une autorité qui sert à les enrichir. Le Clergé est également intéressé a la maintenir ; il la regarde comme l’Egide qui défend ses privilèges et ses propriétés. Il est particulièrement intéressé à écarter toute idée qui tendrait à procurer un état de liberté ; il lui est bien plus facile de dominer des individus jouets de toutes les faiblesses, que d’influer sur de grandes assemblées. Le Clergé est soumis à Rome, comme l’étaient les anciens Romains, pour régner comme eux, par-tout ailleurs ; il sent que ses biens peuvent un jour être une ressource pour l’Etat et doit toujours craindre qu’on ne suive l’exemple donné par Henri VIII ; une telle révolution serait bien plus facile à opérer par un grand Corps qui commencerait peut-être par se séparer de la Cour de Rome, nommer un Patriarche, et rétablir les élections ».
« Le Peuple seul, donc pourra tenter un jour, pour secouer le fardeau, de l’impôt, d’élever une barrière contre le pouvoir absolu ; mais séparé de la Noblesse et du Clergé, que peut-il résulter de ses efforts ? des troubles passagers, qui conduiraient peut-être à travers des flots de sang, à une Aristocratie bourgeoise de peu de durée et qui finiraient par faire recourir le Peuple même à l’autorité qui prendrait de nouvelles forces. L’union seule de tous les Ordres, pourrait amener une révolution favorable à tous ; et les choses n’étant point préparées en France, elle ne pourrait s’opérer par une commotion subite qui briserait à la fois tous les ressorts ; trop de gens seraient intéressés à maintenir l’ancien état, sans avoir eu le temps d’appercevoir les avantages qu’ils pourraient retirer d’un autre ordre de choses. Le Peuple sans guide, sans but assuré, ne peut que boulverser et la toute puissance de la multitude ne peut avoir de bases solides ».
Page 243. « Nous sommes si peu faits pour la liberté, que lorsque le Parlement à fortement insisté pour la suppression des Lettres-de-cachet, elles ont trouvé des partisans qui ont soutenu que l’usage pouvait en être salutaire et n’était pas entièrement à proscrire ».
Page 256. « On parlait un jour chez la Reine de la fin tragique du Roi d’Angleterre et M. de Senneterre raconta quelques circonstances qui pouvaient avoir amené cette sanglante catastrophe : l’abandon qu’il a fait du Comte de Strafford, dis-je à la Reine, a montré toute sa faiblesse, et après l’avoir forcé à sacrifier l’homme qui avait toute sa confiance, ses ennemis ont sentit qu’ils pouvaient tout oser. [...] Je m’apperçus que la Reine devint rêveuse ; que madame de Navailles, confidente du Cardinal, me regardait attentivement et applaudissait avec un de transport à ce que disais. Vous avez raison, me dit la Reine, et c’est une leçon pour les Rois, de ne pas abandonner leurs Ministres ».
Page 309. « Il n’y a qu’un moyen de faire sortir de Vincennes le Cardinal de Rets, dis-je à un de ses Confidents, il n’y en a qu’un de facile, de prompt ; mais il exige la plus grande célérité pour l’exécution. Sa liberté est entre les mains des Prêtres : la conduite courageuse du Chapitre et des Curés, peut seule briser promptement les chaînes de leur Archevêque.... Qu’on ferme les Eglises, que tout secours spirituel soit réfusé pendant trois jours, et le Cardinal de Rets est en liberté le quatrième. La Cour tremblera : le Public se soulèvera, lorsque les enfans seront privés du Baptême, lorsque les mourans demanderont en-vain les Sacremens. Le Peuple, animé par le Coadjuteur, a fait sortir Broussel de prison. Excité par tout le Clergé, consterné d’être sans Prêtres et sans Autels, le Peuple fera les plus grands efforts pour rétablir la communication interrompue avec le Ciel. Un grain de Religion mis dans les affaires générales est mille fois plus à craindre que toutes les intrigues des Frondeurs.... ».
Ces Mémoires ont passé à la censure et se vendent publiquement.
(Suite au No prochain)

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