DEUXIÈME SECTION. Suite des Cahiers de la Noblesse de Melun et de Moret

1Saint-Jean Bouche-d’Or. VOILA une Brochure de cinq feuilles et demi d’impression, destinée à être analysée, mais non pulvérisée.

« De quoi s’agit-il ? d’une administration permanente, d’ôter au Ministre un pouvoir illimité, de consolider la dette Nationale. De cette triple révolution naissent l’égalité dans la répartition, la liberté individuelle, et la convocation périodique des Etats-Généraux ».

2Après avoir placé les Courtisans et les Ministres de ce régne dans un tableau dont les couleurs échauffent et dont la vérité glace assez généralement ; après avoir cité les Turgot et les Malesherbes, les Mirepoix et les d’Antragues, les Belille, les Ternai, les Duchaffaut, les Couedic et les Suffren, pour prouver que ce n’est pas au sein de la Cour qu’il faut chercher des Administrateurs éclairés, de grands Citoyens, et des Capitaines expérimentés, Saint-Jean r’ouvre sa bouche-d’or en faveur des Parlemens.

« Les dépositaires des Loix devraient inspirer, dit-il, un saint respect. Leurs sentences devraient être des oracles ; leurs opinions, des autorités ; leurs conseils, des règles ; leurs mœurs, des exemples. Ils devraient être inaccessibles à la sollicitation, toujours suspecte, comme à la recommandation importune. L’expérience, le travail, devrait avoir mûri leur raison, glacé leurs passions. Alors les Rois..., loin de repousser ces répétitions puériles de remontrances, d’arrêtés, de doléances, iraient au-devant de la lumière que leur présenterait le patriotisme ».
« A la place de ces Corps, que nous reste-t-il ? des Corps despotiques, ambitieux de paraître, avides d’une fonction qui leur est étrangère, vacillans dans leurs prétentions. Ils ne sont pas même d’accord sur leur existence. Tantôt le Parlement est un et réside dans un seul endroit ; tantôt il se multiplie en douze endroits : quelquefois il ne se peut départir du droit de vérification ; quelquefois il l’abdique comme une usurpation ancienne dont il rougit. Aujourd’hui il sollicite la liberté de la Presse ; demain il abandonne à son bourreau des feuilles innocentes qu’a distribuées le patriotisme. Il nourrit dans son sein une guerre intestine dont le foyer ne s’éteindra jamais. Pas une volonté, un projet, un arrêté qui ne soient combattus avec acharnement ; la victoire n’est décidée que par un bien petit nombre. Quelques Corps Parlementaires veulent et acceptent des administrations Provinciales, les autres les repoussent ou les oppriment. Ceux-ci enrégistrent l’Edit en faveur des non-Catholiques ; ceux-là le rejettent, ou l’anéantissent sous prétexte de le modifier ; ils refusent l’Impôt Territorial, et consentent un emprunt immense sans hypothèque.... Si M. Linguet calomnie, quel pays peut le soustraire à la vindicte publique ? » Mais s’il dit vrai, quel Corps peut garder dans son sein l’homme dénoncé à la Patrie et à la morale ?
« Qu’est-ce que le régime Parlementaire ? Une lutte vigoureuse contre l’autorité que la maladresse ministérielle fait quelquefois succomber, comme les fautes de la Magistrature rendent aussi quelquefois l’autorité triomphante. Celle-ci exile et compose ; celle-là résiste et bientôt cède.... Mais où est cette réforme de la Jurisprudence criminelle, tant promise et si négligée ? Cette activité dans les jugemens, si souvent recommandée et jamais obtenue ? Où est la suppression des abus naissans et des sollicitations dangereuses ?... On proscrit ces brûlures ridicules et indécentes, comme s’il y avait quelque rapport entre la main d’un bourreau et l’opinion ; comme si des Réquisitoires lus par la canaille, et un Livre brûlé devant la canaille pouvaient flétrir le génie et affaiblir son empire.... »
« Quand le Parlement, par sa constitution, ne devrait pas être éloigné des affaires publiques, il faudrait lui en ôter la discussion, parce que son esprit est entièrement contraire à celui qui doit présider aux affaires. Cette prodigalité de mots, cette indécision continuelle, cette nécessité de ménager les Partis opposés, font contracter à la pensée une habitude qui nuit trop à la franchise et à la fermeté de l’Administration publique.... »
« A Dieu ne plaise que nous veuillions enlever au Parlement le respect dû à ses soins laborieux, à son désintéressement, à son inflexibilité.... A Dieu ne plaise que nous veuillions lui refuser le don précieux de l’esprit. Ses remontrances sont des chef-d’œuvres d’éloquence ; il n’y a que ses arrêtés qu’on doive mettre au dessus. Que serait-ce d’un Parlement sans esprit ? ».

3Depuis la page 23 jusqu’à la page 28 on trouve le tableau du Clergé ; nous ne dirons pas que ce sujet soit neuf, mais sa composition est vigoureuse. Nous avons vingt descentes de Croix, cent Madelaines, deux cents fuites en Egypte. Mais il en est du même genre qui ont un mérite particulier, ne serait-ce que celui des draperies ou de la couleur. Le quatrième pendant de cette galerie, c’est le tableau du Tiers-Etat, ou plutôt, d’après l’Auteur Saint-Jean, de la Nation.

« De toutes les absurdités qui affligent l’espèce noble, c’est d’avoir oublié que les vrais Directeurs des Finances, les vrais conservateurs du crédit public, les Agens du Commerce, les soutiens des Arts, les Agriculteurs, etc., sont tirés de ce Corps immense. Le dépôt de l’instruction n’est-il pas dans le Tiers-Etat ».
« Mais il est à craindre que nous ne voulions donner des ailes au temps.... Une portion de Citoyens est capable d’embrasser le systême complet de la révolution, et la multitude, n’en saisissant la nécessité, s’y refusera, ou ne s’y prêtera que faiblement.... L’esprit humain, en masse, ne chemine que lentement.... On travaille depuis trop peu de temps ».

4Cet extrait est suffisant pour inspirer le desir de faire connaissance avec Saint-Jean Bouche-d’Or.

QUESTIONS A PRODUIRE AUX ETATS-GÉNÉRAUX. Extrait des réflexions d’un Curé

1. Le Clergé Noble a-t-il des droits exclusifs dans l’Eglise ? – Et le Prêtre non-Noble d’extraction, vertueux, blanchi dans le Saint ministère, serait-il digne de parvenir aux fonctions de l’Episcopat ?

2. La qualité de Seigneurs convient-elle à des Moines qui ont fait vœu de pauvreté ?

3. Le droit des Evêques, sous le titre de déport, est-il équitable ? Les graces expectatives, connues sous le nom d’Induit, ne sont-elles pas abusives ?

4. Les jeunes Clercs qui composent les Chapitres Séculiers, ont-ils gagné ces paisibles retraites par leurs travaux Apostoliques ? Les anciens Curés et Vicaires qui ont vieilli dans les pénibles fonctions du Sacerdoce, les ont ils méritées ?

5. Doit-on souffrir qu’il y ait des Religieux mendians ?

6. Ne devrait-on pas incorporer les petites Communautés aux grandes, et réunir à des Paroisses voisines les Cures composées de moins de vingt feux ?

7. Les Curés non-décimateurs, et les Vicaires peuvent-ils vivre décemment et secourir les pauvres avec un revenu de 750 liv., et de 350 liv. ?

5Toulouse, 22 Avril. Les instructions du Clergé consistent en trois articles.

1. A connaître le défécit, fonder une Constitution avant la consolidation de la dette.

2. A renoncer à toute exemption pécuniaire et à ne consentir à l’opinion par tête que dans les cas provisoires, et après le consentement séparé de chacun des trois Ordres.

3. A subordonner toutes leurs Déclarations et renonciations à la décision de la Chambre du Clergé de France, qui sera aux Etats-Généraux.

6La Noblesse forme deux partis, celui d’Epée et celui de Robe ; le plus uni et le plus influent est le dernier. Les Officiers du Parlement ont deux et trois voix par l’accumulation des procurations dont ils sont porteurs. Le 4 et le 5, la Noblesse et les Privilégiés du Tiers ont renoncé aux exemptions pécuniaires.

7Le Tiers-Etat est en proie aux factions alimentées par les sieurs Duroux, Jame et la Fage, Avocats. Le premier s’est éclipsé de l’Assemblée, d’après le refus qu’on a fait d’entendre une protestation qu’il se proposait d’ajouter aux tracasseries chicanières qu’il ne cessait de susciter : il n’a pu la faire notifier juridiquement, son Huissier ayant été repoussé par la garde de la porte ; il ne lui a même pas été possible de rentrer dans l’Assemblée, ayant prêtée sa contremarque. Furieux, il s’est ressouvenu qu’il était Capitoul, et a signé un ordre, en cette qualité, à trente fusiliers du Guet de lui prêter main-forte ; mais le Capitoulat assemblé en a défendu l’exécution.

8L’Assemblée ne s’est point réduite ; elle a été formée de 93 Electeurs, dont 347 de la Ville et Diocèse de Toulouse ; on a procedé au scrutin à quelques Elections. Le sieur Duroux et ses partisans sont parvenus à faire assembler un Conseil politique, que M. le Premier Président a présidé. MM. de Saint-Félix et de Carbon étaient Commissaires, et M. de la Tresne, que depuis trois séances on propose au Tiers pour Député, faisait fonctions de Gens-du-Roi. On a répandu un imprimé pour persuader au Tiers que son intérêt était celui de la haute Magistrature. Il y est rapporté, comme exemple, que M. d’Epresménil venait d’être nommé à Paris, et M. de Semon-ville à Meaux.

9Le 9. – le Juge Mage, dont la nomination était très-redoutée, l’emporta sur une totalité de 833 une majorité de 545. Le sieur Duroux et sa faction se proposèrent de protester contre l’élection du Tiers-Etat, et sur-tout contre celle du Juge Mage. Celui-ci évita cette scène en partant pour Paris, où il prêtera serment entre les mains de M. le Garde-des-Sceaux. La protestation eut lieu par la bouche d’un Officier au sel Marin, nommé Pescaire.

10Bretagne, 14 Avril. Plus de la moitié des Gentilshommes, les uns retenus par le prestige du serment, les autres par un esprit de paix mal entendu, ne vont point à Saint-Brieuc. L’Assemblée sera néanmoins nombreuse ; le Tiers sera demandé fort inutilement. On dit qu’il est arrêté de députer aux Etats-Généraux les douze embastillés ; MM. de Boisgelin, de Calonne et autres grands, et plus grands personnages.

1116. – C’est aujourd’hui que l’Eglise et la Noblesse arrivent sur le terrein. On se propose, si l’avis de nommer aux Etats-Généraux passe, d’élire M. de Calonne, afin de le mettre en opposition à M. Necker : cette inconséquence ne peut jamais appartenir à quelqu’individu que ce soit, mais elle tient à la Constitution de tous les Corps. On assure que le parti très-nombreux en faveur de M. de Calonne n’a pas évoqué l’ombre de M. de la Chalotais, pour le consulter sur ce choix ; mais qu’on a mis l’ex-Ministre en règle contre ce qu’on pourrait lui opposer, propriétés, etc.... Comme Citoyens, nous regrettons la mésintelligence qui régne entre M. Necker et M. de Calonne ; leur réunion pourrait être comptée au nombre des évènemens héroïques qui illustrent des Particuliers, et des accidens heureux qui coopèrent à la prospérité des Empires. M. l’Evêque de Rennes, MM. de Boisgelin et de Guer sont absolument et entièrement d’avis que l’on députe aux Etats-Généraux. Les Curés du Diocèse de Treguier sont en contradiction ouverte avec leur Evêque ; on prétend que ceux de Léon, dans la main du leur, s’abstiendront de députer au Parlement National.

1225 Avril. – Les Gentilshommes étaient à Saint-Brieuc plus de 800, armés jusqu’aux dents. Le 19 ils ont été séparés, et le 20 l’Eglise s’est retirée. Le Clergé évangélique a reçu ordre de nommer, avec ses Députés, ceux qui avaient été départis au Clergé politique, c’est-à-dire, 22.

Extrait de la Délibération des Ordres de l’Eglise et de la Noblesse de Bretagne assemblés par ordre du Roi à Saint-Brieuc, du 17 Avril 1789

« Les Membres de l’Eglise et de la Noblesse... animés du desir de soulager le Peuple, déclarent dès ce moment la volonté formelle de consentir à la tenue prochaine des Etats de Bretagne, constitutionnellement assemblés, une égale répartition des Impositions qui seront consenties dans lesdits Etats ; lesquelles Impositions seront assises sur tous les Membres des trois Ordres, proportionnellement à leurs facultés, de quelque nature qu’elles soient ; et pour ce qui concerne ladite égalité de répartition, l’Ordre de l’Eglise se conformera à celle que consentira le Clergé de France ».

13Qu’entend-t-on par ce mot constitutionnellement ? Et le consentement du Clergé Breton sera-t-il l’effet du consentement de l’Ordre de l’Eglise aux Etats-Généraux, ou de l’Assemblée quinquennialle du Clergé de France ?

Extrait des désaveu, déclaration et protestation de la Chambre Ecclésiastique à Saint-Brieuc, le 20 Avril

« Considérant que ses Députés ne peuvent être nommés légalement que dans les Etats de Bretagne, déclare ne pouvoir procéder à cette nomination dans la présente Assemblée ; désavoue formellement tous ceux qui seraient nommés ailleurs ; proteste contre les dispositions du Réglement du 16 Mars dernier, qui opère dans le Clergé une division sans exemple » (ou plutôt qui marque celle qui a été faite par le Clergé politique), « aussi funeste à la Religion qu’au bien de la Province ».

Extrait de semblable protestation de la part de la Chambre de Noblesse, formée à Saint-Brieuc, en date du 19 Avril

« Le Roi, comme protecteur de l’ordre public, devait employer sa puissance à le maintenir, en forçant l’Ordre du Tiers à nommer ses Députés au sein des Etats. Serait-il possible qu’on eût représenté, d’une manière défavorable aux yeux du Roi, le serment solemnel renouvellé par tous les Gentilshommes Bretons, de demeurer irrévocablement liés à la Constitution ?... Il ne cessera jamais, ce serment, d’être le garant des droits de la Nation, de sa liberté, de son bonheur. Est-il donc différent de celui de nos Rois à la Couronne, lorsqu’ils jurent... la conservation des Loix fondamentales de la Monarchie1 ? »

14Les Etats de Bretagne, toujours jaloux de se réunir aux Français, s’empresseront, dans leur prochaine Assise, de prendre en considération les objets qui ont fixé l’attention des Etats-Généraux.

15L’O... de la N…, dans la circonstance actuelle, proteste contre tout ce qui préjudicie au droit des Etats de Bretagne, de députer aux Etats-Généraux, désavoue toute élection faite hors du sein des Etats de Bretagne, et ordonne l’impression de sa protestation, au nombre de dix mille exemplaires2.

16Si la Députation aux Etats-Généraux avait été agitée au Scrutin, elle eût passé : mais la Salle de la Noblesse était garnie, de distance en distance, de grouppes où l’on affectait de dire très haut : ce serait une infamie de députer ; il n’y a que des gens sans honneur qui puissent être d’avis de députer. Avec un peu d’énergie et moins de parentage, on fût venu facilement à bout d’argumenter par les contraires. Nous sommes fâchés que le haut Clergé Breton n’ait pas été assemblé dans les Villes Diocésaines, et la Noblesse par Sénéchaussées.

172 Mai. On a voulu sémoncer le Lieutenant de Police de Rennes, sur ce qu’il avait laissé passé à l’impression, sans consulter MM. du Parlement, Seigneurs de Fiefs, l’avis donné aux Bretons qui auraient à faire connaître des abus féodaux aux Etats-Généraux, d’en envoyer une notice au Bureau de Correspondance établi à Rennes. Le Magistrat s’est fort bien expédié ; et la fermeté qu’il a employé lui fait honneur.

18Plusieurs gens de notre Province triomphent malignement de l’émeute arrivée à Paris les 27 et 28, à trois mois de distance plus un jour, de celle des 26 et 27 Janvier à Rennes. Puisse-t-elle n’avoir pas les mêmes causes et les mêmes moteurs !

19On prétend que le Parlement vient de rapporter l’Arrêt rendu à sa dernière rentrée, en faveur des Récipiendaires Avocats, par lequel il les exemptait du droit de Chapelle, qui est de 24 livres. Il vient aussi, dit-on, de supprimer le droit de Bougies des Fermes, et celui du Sucre des Récipiendaires-Juges. Peu-à-peu les usages barbares et ridicules disparaissent, lorsque les Sages de la Nation donnent l’exemple.

(La suite à un autre N^o).

NOUVEAUTÉS

20Cahier de la déclaration des droits du Peuple, et Contrat de constitution de l’Etat pour les Députés aux Etats-Généraux, attribué faussement à M. Carra.

21Cette Brochure de 19 pages, est écrite dans les principes de l’Orateur aux Etats-Généraux, et part, peut-être, de la même main. « Il propose de faire enregistrer la Charte, telle qu’il l’a rêvée, dans le Greffe des Parlemens, sur un Livre couvert de velours bleu, parsemé de fleurs-de-lys d’argent, qui aura pour titre, Code National, 1789, époque de la régénération de la France (palette en l’air, vitrage en plomb, consilio manuque, Figaro), et pour emblême, au bas du titre, un Coq doré qui se réveille au lever d’une belle aurore, rompt les barreaux de sa cage, et chante sa liberté, avec cette inscription : liber et felix ».

Décoration superbe, invention magnifique !

« Il veut que le Contrat de constitution soit signé du Roi, des Princes du Sang, des grands Officiers de la Couronne, de tous les Membres des Etats-Généraux, et des cent treize Notaires de Paris ».

22Cette marche fera l’effet le plus majestueux. Quel théâtre pourrait nous en donner une idée ? Premier Acte.

« Ce Contrat fera partie du serment des Rois à leur avénement au Trône, et sera lu aux Prônes tous les premiers Dimanches du mois, dans chaque Paroisse des Villes et des Campagnes ».Second Acte.
Troisième et dernier Acte. « Il sera élevé une Pyramide (renversée sans doute) dans Paris et dans toutes les Capitales de Province, où ce Contrat sera gravé sur le marbre, et l’original enfermé dans une boîte d’or, puis dans un coffre de plomb, sera déposé à dix pieds en terre, sous le Maître Autel de la Cathédrale de Paris ».

23La pièce finit par un enterrement.