Etats-Généraux

PREMIÈRE SECTION

1LE Roi l’a donc accomplie, cette réunion des Ordres de son Royaume et des Sages de ses Provinces ! Le temple du bonheur public est ouvert ; Louis XVI est au milieu de ses enfans.

2Bons Citoyens, qu’elle joie pénètre vos cœurs ! A quelle douces espérances ne vous livrez-vous pas ? Puissent les Représentans, choisis par votre sagesse et votre amour pour le meilleur des Rois, avoir toujours présente à leur pensée, l’importance, la noblesse et la sainteté de leur ministère ! Puissent-ils, unis comme quelques Assemblées de Bailliages, prévenir, par de généreux sacrifices, des desirs qu’une délicatesse estimable n’osait exprimer, et faire disparaître à jamais des modes oppresseurs, des prétentions inciviques et des formes inconstitutionnelles.

3Les personnes qui donnent une valeur aux costumes, trouveront dans la note de quoi les1 satisfaire. Néanmoins j’aime à voir le Tiers revêtu des habits consacrés aux sages, aux anciens, aux Magistrats de la Nation ; la Noblesse, couverte du chapeau d’Henri IV, de ce panache blanc, qui doit toujours se faire remarquer au chemin de l’honneur et de la victoire ; le Clergé, décoré de ces attributs qui l’offrent à nos sens ainsi qu’à notre esprit, comme des Ministres d’union entre les hommes.

Des Prêtres vertueux, pontifes de la paix,
Dispenseront toujours les célestes bienfaits

4Chez un grand Peuple, il faut des costumes et des décorations. On disait au Spartiate : « Ne quitte jamais ton bouclier, regarde ton ruban, s’écriait un vieux Grenadier à son Colonel qui fuyait : Tu n’as pas souillé tes vêtemens, dira avec transport, à la fin des Etats-Généraux, le Peuple de chaque District à celui qui aura défendu ses droits ».

5Le Roi, à raison de l’absence des Représentans de plusieurs Bailliages, avait remis l’ouverture des Etas-Généraux au 4 Mai. La présentation des Députés fut faite à S. M. le 2, à des heures différentes. Nous avons entendu plusieurs personnes se plaindre du peu de solemnité de cette présentation ; préoccupés peut-être de la majesté de l’objet, nous l’avons vue avec un respect religieux.

6Point de Noblesse Bretonne fondue avec celle de tout le Royaume !... La Provence du moins n’a-t-elle que quelques dissidens dans cet Ordre ; mais la Bretagne, qui contient 4000 mille Familles Nobles, n’a pas fourni un Gentilhomme à l’Assemblée de la Nation, elle qui, sous les pavillons et les étendarts Français, ne pourrait compter ses Guerriers. Les Nobles Bretons ont prétendu qu’il ne devaient nommer de Représentans aux Etats-Généraux que dans le sein des Etats ; que les assembler autrement, c’était porter atteinte à la Constitution ; malgré l’invitation paternelle de S. M., de déférer à ses desirs, et de sacrifier quelques-unes de leurs opinions, et de même de leurs droits, à l’amour de la paix et au bien général de l’Etat, malgré la liberté que S. M. leur avait laissée de faire valoir, en Parlement général, leurs titres et leurs prétentions, (V N° 38) cor eorum induratum est, ils ont refusé d’entrer dans le Temple des Dieux sauveurs avec la palme et l’olivier. Ils ont persisté dans leur serment. (V N° 9).

7N’accusons point le Corps entier de la Noblesse de Bretagne. Le refus de députer aux Etats-Généraux n’a point été l’effet de l’opinion générale ; il n’y a point eu de scrutin ; la liberté des gens sages, des véritables Citoyens a été gênée ; elle a été gênée par des veto plus bruyans que nombreux.

8Cependant, nous ne pouvons nous dissimuler combien l’absence de vingt-deux Gentilshommes Bretons est funeste. Les mal-intentionnés n’en ont été que plus actifs pour empêcher la Députation. Elle détruit absolument la balance des cinq cents, elle cause un embarras pour l’opinion par tête ; des Evêques de Basse-Bretagne ont opéré une diversion en faveur de la Noblesse Bretonne, en empêchant les Curés de leurs diocèses de députer. Ce vice seul de la Constitution Bretonne exige impérativement sa réforme.

9Qu’on nous pardonne cette digression : elle nous semble plus importante que toutes celles auxquelles on pourrait se livrer. Nous ne dirons qu’un mot de la Provence.

10Le Députation de la Noblesse dissidente de cette Province n’a pu être admise ni à la présentation du 2 Mai, ni à la procession du 4. Comment le père du Peuple recevrait-il des Sujets qui ne veulent point contribuer aux charges publiques ? Le refus qu’ils ont reçu est digne de la bonté du Roi ; mais la modération aura bientôt un terme dans sa justice. Tous les bons Citoyens desirent qu’on les renvoye jouir des applaudissemens de leur Province.

11Ils desirent qu’on rappelle à leurs Diocèses ceux qui, ayant des fonctions publiques, ou l’autorité que donne un caractère sacré et des mœurs pures, peuvent dans ces circonstances inspirer aux Peuples de douces consolations, et de justes espérances.

12Ils sont convaincus que les Etats-Généraux doivent ne rien recevoir des objets extérieurs ; qu’ils doivent se consacrer entièrement à la contemplation du bonheur public, et ne communiquer qu’avec le génie protecteur de l’Empire : qu’il est donc nécessaire d’écarter de leurs regards tous ceux qui pourraient, à des hommes qui doivent être forts, faire sentir que la fragilité est le partage de l’humanité.

13Versailles, 4 Mai. – La Nation assemblée à Notredame, a reçu dans son sein l’objet de toutes ses affections ; le Ciel a reçu les applaudissemens des Français ; les coeurs les ont sentis. Bon Roi ! que de larmes de joie et de tendresse ont coulé. On n’entrera désormais dans ce Temple qu’avec un respect patriotique, et nos enfans diront, en versant des pleurs : ici Louis remit sa personne à nos pères... Louis régna, il fut aimé.

14Cet auguste Assemblée, qui vaut bien celle des Champs de Mars, s’est rendue à SaintLouis. – M. l’Evêque de Nanci, après l’Evangile, a fait un Discours :

La Religion est la force des Etats. – La Religion est la source unique et intarissable de leur prospérité

155 Mai. – A huit heures l’appel des Baillages a commencé. Cette forme est ennuyeuse, comme toutes les formes ; mais si elle garantit, n’est-elle pas nécessaire ? A midi moins un quart, le Roi est entré suivi de ses Fidèles ; la Reine s’est placée sur un fauteuil à ses côtés, et les applaudissemens ont été très vifs.

Extrait du Discours du Roi

16Messieurs,

« Ce jour que mon cœur attendait depuis long-temps est enfin arrivé, et je me vois entouré des Représentans de la Nation à laquelle je me fais gloire de commander... ».
« La dette de l’Etat, déjà immense à mon avénement au Trône, s’est encore accrue sous mon règne : une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été la cause... ».
« Une inquiétude générale, un desir exagéré d’innovations se sont emparés des esprits, et finiraient par égarer totalement les opinions, si on ne se hâtait de les fixer par une réunion d’avis sages et modérés ».
« C’est dans cette confiance, Messieurs, que je vous ai rassemblés... mon espérance ne sera point trompée ».
« J’ai déjà ordonné dans les dépenses des retranchemens considérables ; vous me présenterez encore à cet égard des idées que je recevrai avec empressement... Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances ; et quand vous l’aurez examinée, je suis assuré d’avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre permanent, et affermir le crédit public ».
« Les esprits sont dans l’agitation ; mais une Assemblée des Représentans de la Nation, n’écoutera sans doute que les conseil de la sagesse et de la prudence. Vous aurez jugé vous-mêmes, MM., qu’on s’en est écarté dans plusieurs occasions récentes ; mais l’esprit dominant de vos Délibérations répondra aux véritables sentimens d’une Nation généreuse, et dont l’amour pour ses Rois a toujours fait le caractère distinctif ; j’éloignerai tout autre souvenir ».
« Je connais l’autorité et la puissance d’un Roi juste, au milieu d’un Peuple fidèle et attaché, de tout temps, aux principes de la Monarchie ; ils ont fait l’honneur et l’éclat de la France : je dois en être le soutien ; et je le serai constamment ».
« Mais tout ce qu’on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu’on peut demander à un Souverain, le premier ami de ses Peuples, vous pouvez, vous devez l’espérer de mes sentimens ».

17Après le Discours de M. le Garde-des-Sceaux, celui de M. Necker a duré environ trois heures ; un Secrétaire l’a soulagé dans son récit.

18Ce Discours est louange et critiqué ; on n’en sera point étonné. On attend avec impatience sa publicité, les uns pour en flagorner l’Auteur, les autres pour le juger avec droiture, et beaucoup, beaucoup pour le dépecer, le contourner et le sophistiquer.

19D’après les diverses impressions qu’il causait à la lecture, je me disais : c’est comme la boîte de Pandore ; ceux-ci trouvent tous les biens, et ceux-là tous les maux. Décidément il a été assez universellement applaudi, et généralement goûté.

SECONDE SECTION. Suite des Doléances de la Noblesse de Melun

20Deuxième division. Qu’a l’égard des Arrêts de surséance et des Lettres d’Etat, il soit avisé à la réforme des abus dont ces Actes sont susceptibles.

21Le Roi seul peut accorder des Lettres d’Etat ; maintenant ce pouvoir est partagé entre lui et les Cours de Justice, tant elles ont empiété sur les droits de la Couronne ! Il y a certainement de grands abus, mais il serait à désirer que le Roi et les Cours n’accordassent plus de surséances aux Commerçans, que d’après un parere de la Chambre de Commerce de leur domicile. On cherche les moyens de prévenir les banqueroutes (Voyez page 19 des Doléances) : en voilà certainement un bon ; nous en offrons un second : il consiste à faire déclarer ces délits, cas Royaux, d’ordonner à tous les Procureurs du Roi d’en faire la poursuite d’office, de porter contre les Banqueroutiers une peine invariable et infamante, et d’accorder de grandes distinctions aux Commerçants vierges, et sur-tout aux familles de négoce, intactes depuis cent ans. Nous donnerons incessamment l’extrait d’un Ouvrage sur le Commerce qui a paru cette année, et qui a été malheureusement étouffé sous le poids des brochures qui ont foisonné cette année. Voyez Réforme dans l’Ordre Social et dans le Commerce, et le Catalogue des Ouvrage relatifs aux Etats-Généraux, qui ont paru depuis Juillet 1788.

(La suite à un autre N°).

BOURGOGNE

22Le 18 Janvier, le Tiers-Etat de Dijon arrêta une Requête au Roi, à laquelle il fut adhéré par toutes les Corporations et Communautés de cette Ville, par l’Ordre des Avocats d’Autun, les Notaires de Pont-Ailier, le Présidial de Semur en Auxois, le Clergé et le Tiers-Etat de la Ville de Saint-Jean de Losne, et le Tiers-Etat des Villes de Cuisery, Saulieu, Paray, Mont-Cénis, Charolles, Auxonne, Mont-Saint-Vincent, Saint-Jean de Losne-Verdun, Châlons-sur-Saône, Avallon, Montbart, Saint-Bris, Nolai et Montréal.

« Dans nos Etats, Sire, il n’existe de réprésentation, ni vraie, ni complette pour aucun des trois Ordres, pour celui du Tiers sur-tout ».
« Clergé ; elle n’est pas vraie : sa Chambre, composée d’Evêques, d’Abbés, de Doyens, de Prieurs qui y entrent, en vertu de leurs bénéfices et de quelques Députés des Collégiales et des principaux Ordres Religieux, n’a aucune mission des Corps Ecclésiastiques, dont ils se disent les Représentans ».
« Elle n’est pas complette, puisque les Chapelains, les Désservans des Paroisses, les autres Bénéficiers et quantité de Maisons Religieuses d’hommes et de femmes, ne paraissent aux Etats ni individuellement, ni par Députés ».
« Noblesse : elle n’est pas vraie. Sa Chambre est composée, exclusivement, de ceux qui possèdent un Fief et qui ont cent ans de noblesse ».
« Elle n’est pas complette. Tous ces hommes respectables dont votre auguste Prédécesseur et vous-même, Sire, avez récompensé les services, élevés au-dessus de l’Ordre du Tiers, rejetés par l’Ordre de la Noblesse, ne sont comptés pour rien, et semblent ainsi dégradés du titre de Citoyens, par la récompense même qui devait les honorer ».
« Tiers-Etat. Elle n’est pas vraie ; les Maires et Echevins d’environ quatre cens Villes nommés par les Elus des Etats, au préjudice de l’élection des Communes simulent l’Ordre du Tiers, comme s’ils étaient revêtus d’une mission légitime ».
« Elle n’est pas complette. Les Chefs des Municipalités sont dans la dépendance immédiate et servile des Elus ; les villes n’ont plus de Représentons, et les campagnes n’en ont jamais eu ».
« Deux Chambres, digne image de l’aristocratie féodale, formant décret contre la troisième, les Ordres privilégiés se sont, par ce vice constitutionnel, qu’ils ont toujours regardé comme leur première prérogative, soustraits à toutes les charges ».
« La Commission Intermédiaire est composée d’un Elu du Clergé, d’un Elu de la Noblesse, de deux Maires, de l’Elu du Roi, député du Bureau des Finances, de deux Membres de la Chambre des Comptes, et de quelques Officiers des Etats, qui n’ont que voix consultative ».
« Les deux Maires créés ou révocables par les Elus, n’ont ensemble qu’une voix qui se trouve anéantie, soit par leur disparité d’opinion, soit par l’intérêt qu’ils ont, étant souvent nobles ou privilégiés, d’étendre les prérogatives des trois premiers Ordres, soit par les voix toujours réunies des Elus du Clergé et de la Noblesse ».
« Le Député du Bureau des Finances, et ceux de la Chambre des Comptes ne sont-ils pas en communauté d’intérêt avec le Clergé et la Noblesse ? D’ailleurs l’Elu du Roi a été écarté ».
« Il suffit aux Elus des premiers Ordres, pour former partage, de gagner un Maire ou l’un des Députés de la Chambre des Comptes, qui n’ont entr’eux qu’une seule voix. Alors les Elus des deux premiers Ordres sont les arbitres absolus, puisque celui du Clergé, et à son défaut celui de la Noblesse, a la prépondérance ».
« Les Etats qui ne s’assemblent que tous les trois ans, durent quinze jours plutôt consacrés à des fêtes ruineuses qu’à des travaux utiles. La Commission, en statuant dans l’intermédiaire, par provision, a statué définitivement, puisque son ouvrage est toujours ratifié par les Etats ».
« De-là l’injustice criante de la répartition des vingtièmes et de la capitation, les seuls impôts partagés par la Nation, et de l’immensité d’impositions perçues sous la fausse dénomination de taille, dont sont exempts ceux qui l’imposent ».
« De-là la passation sans examen des comptes des Elus, par la charge des comptes, tandis que cette Cour, jadis, n’allouait que les dépenses justement ordonnées ».
« De-là la sujétion des remarques des Alcades, institués pour surveiller l’Administration des Elus, à la censure du Commissaire de Votre Majesté, qui trompé, sans doute, par des ennemis de notre bonheur, a forcé les Alcades de renfermer dans les ténèbres des remarques qui auraient pu opérer la révolution la plus salutaire au Peuple de cette Province ».
« Le Clergé ne contribue point aux impositions. La Noblesse ne paye que 31,000 livres de la capitation réglée à 500,000 livres2 – Le Tiers supporte seul les autres impositions Royales, montant à près de 1,500,000 livres. – Il supporte seul les gages des Maréchaussées, ceux des Maîtres de Poste et courier, la corvée en argent, les appointemens des Gouverneurs, Commandant, Intendant et leurs Secrétaires, leurs logemens, tous les frais de bureau, tous ceux relatifs aux pons et chaussées, à la suppression de la mendicité, au haras. Il paye seul la taxe pour le rachat des droits de Courtiers-Jaugeurs, Inspecteurs aux boissons et boucheries, et de ceux mis sur les huiles et savons. Il paye seul la totalité des frais du long voyage que les Elus font à Paris, pour la présentation des Cahiers de la Province. Il paye (chose incroyable) les sommes ordonnées par la Noblesse et le Clergé, pour être répandues à titre d’aumônes et de secours. Il paye (chose honteuse) la rétribution des journées des deux premiers Ordres, déjà stipendiés par Votre Majesté. Enfin, il paierait encore le tapis, les bougies, le papier du bureau particulier de la chambre de la Noblesse, les gages de son Capitaine de la Porte, et les journées des Commissaires vérificateurs des titres des Gentilshommes, si aux Etats derniers la Noblesse n’avait pas daigné tenir quitte de ces modiques objets l’Ordre du Tiers ».

(La suite à un autre N°).

BROCHURES

23Lettre de la Noblesse Provençale au Roi. Cu-ri-eu-se ! bente arrêtée ! Sandis ! je n’ose en dire le motive ; hâtez-vous de la prendre.

24Réforme du Clergé à proposer aux Etats-Généraux, par l’Abbé Brottier. Qui voudra des idées vraies sans appareil, des principes sans pédanterie, un plan simple et facile, sans luxe de burin, se fournira de cet opuscule. Le neveu de l’Abbé Brottier prétend, dans le Journal de Paris et dans les Petites Affiches, que son oncle n’en est pas l’Auteur. Quel qu’il soit, on voit qu’il joignait, à des mœurs douces et irréprochables, un zèle ardent pour la réforme des abus.