1DISPERSER des Gentilshommes Bretons !… Autrefois, avant de disperser les fourmilières et leurs nombreuses garnisons, nos Prêtres faisaient des Processions autour des champs ; et après avoir prié les fourmies de se disperser, ils les exorcisaient. Depuis combien de temps les pontifes de la raison et de l’humanité font-ils le tour de vos châteaux et de nos landes, sans pouvoir rien disperser, sans pouvoir rien obtenir ?

2Disperser des Gentilshommes Bretons !… c’est impossible. Nos bons Agriculteurs ont beau mettre à prix les têtes de moineaux, parce que l’expérience a démontré que chacun de ces oiseaux, qui ne sont utiles à rien, consomment un boisseau de grain par an, et cependant quelques soins que l’on prenne pour les disperser, ou s’en défaire, ils pullulent comme des Gentilshommes.

3Nobles Bretons, en Angleterre, l’Ordre des loups est détruit, et les moutons paissent sans danger ; ils fournissent l’Europe de la laine la plus fine. Nous savons bien que l’Ordre des loups protesta contre la violation des loix constitutives de la Louveterie, qui leur accordaient le privilége de se jeter sur les troupeaux, et dans les crises de la grande faim, sur les Bergers même. Nous savons que les hommes qui les chassèrent furent traités par eux de tyrans ; les moutons récalcitrans, de mauvais citoyens ; et les loups civilisés et confondus dans la race des chiens fidèles, de loups déshonorés et traîtres à la Patrie. Nous savons que dans leur détresse, ils appelèrent vainement à leur secours les loups de l’Irlande et de l’Islande ; mais que Princes, Nobles, Citadins et Villageois réunis pour donner la chasse à ces bêtes féroces, les exterminèrent dans les trois Royaumes. Oh ! si jamais un souffle bienfaisant dispersait les semences de la stupidité, de la discorde et de la tyrannie Bretonne sur les rivages heureux que les Francklin et les Wasington ont rendus libres ! les forêts de l’Amérique, ses marais, ses reptiles, ses sauvages offriraient bientôt l’affreux tableau de la Bretagne enchaînée par sa pospolite.

4Les droits de la Noblesse Française être attaqués, parce que la Noblesse Bretonne n’entend point un Arrêt du Conseil qui, loin de la blesser, lui est on ne peut plus favorable ! Les Gentilshommes du Royaume être intéressés à ce que fait une turbe de Nobles Bretons ! Et, parce que ceux-ci ont l’esprit susceptible et la tête un peu dérangée, il faut que cette inquiétude fébrile, ces accès de démence passent magnétiquement dans le Corps du second Ordre de l’Etat ! Il dépendra du délire d’une douzaine d’enragés, de fous et de chevaliers errans sans propriétés, de se mettre à la tête d’une cohorte d’Ecuyers en haillons et de Paladins sans caractère ; de leur faire signer sans jugement qu’ils jugent félons et déloyaux Gentilshommes leurs compatriotes, leurs amis et leur parens, s’ils concourent jamais à délivrer la Bretagne de ses coutumes absurdes et barbares ! O honte ineffaçable ! ce sera à la faveur de signatures arrachées par la frénésie du moment, extorquées par l’ascendant imposteur de l’impudence sur l’homme crédule et timide, ou consenties par des moyens de corruption envers la pauvre Noblesse, d’autant plus méprisables, qu’il ne faut que la monnaie la plus vile pour les mettre à exécution ; ce sera, avec cette liste digne de celle des hôpitaux de Bedlam1, qu’une poignée d’ambitieux Cromwels formera le complot de soulever contre l’autorité légitime cet Ordre, dont la sûreté ne réside que dans la volonté du Prince qui la commande, et dans la reconnaissance des Peuples qui l’environnent !

5Ce n’est donc plus, Sire, par une correspondance sourde, par des couriers secrets, par des colloques ténébreux que vos ennemis, dans le silence du crime, complottent contre l’Etat avec les intrigans de quelques Provinces. Ils arment publiquement, avec la plus téméraire audace, une infernale machine qui doit mettre en cendres l’édifice de la Monarchie. Deux mille bras s’efforcent à la lancer contre les remparts de la prospérité publique ; ils appellent à leur aide la Noblesse de votre Royaume, ils déclarent déshonorés ceux qui se refuseront à propager l’incendie, ils les jugent traîtres à la Patrie !… A ces fureurs, Sire, reconnaissez-vous des Gentilshommes honorés des bontés, des graces et des faveurs de l’Etat ?

6Lorsque des villes eurent le malheur d’oublier un instant ce qu’elles devaient à vos augustes Prédécesseurs, les Ministres de leur vengeance, environnés du trépas, s’avancèrent avec des fronts sévères et terribles, dépouillèrent les Cités de leurs priviléges les plus chers ; les échafauts furent dressés sur les places-publiques, la hache fut levée par la justice sur des têtes coupables, et le repentir le plus amer en suspendit le coup… Sire, imitez l’équité et la clémence des Rois de votre sang. Faites déclarer par votre Représentant aux Etats de Bretagne, que vous donnez vingt-quatre heures aux 968 Gentilshommes qui ont signé l’acte le plus injurieux à votre Personne, et le plus criminel contre la Patrie, pour se rétracter sans aucune restriction ; et que faute à eux d’y satisfaire, vos volontés leur seront connues le lendemain. Que de bons et braves Gentilshommes abjureront leur erreur ! Ah ! Sire, ils n’attendent que votre secours pour se tirer du précipice où le faux honneur les a plongés. Votre Majesté, certaine alors que sa Noblesse de Bretagne n’a cessé de lui être fidelle, ne fera point prononcer par ses Tribunaux la peine de félonie, justement encourue par des séditieux incorrigibles. Elle n’imitera la clémence d’aucun des Césars ; elle a la sienne. Mais en faisant grâce de la vie, elle leur ôtera des décorations, des honneurs, des places et des pensions qu’ils ont cessé de mériter2.

7Rennes, ce 15 Janvier. Plusieurs Corps de Métiers qui avancent des Contrats sur le Roi, ont arrêté de les lui renvoyer quittancés. Si le Gouvernement accepte la proposition de l’avance de sept millions par le Commerce de la ville de Nantes, il est sûr que les Villes de la Province ne tarderont pas à imiter cet exemple. Le plus pur et le plus admirable patriotisme anime le Tiers-Etat ; celui qui comme au passé s’aviserait de parler avec inconsidération du Roi et de ses Ministres, serait regardé comme un espion Aristocratique. Les Généraux des Paroisses de Rennes s’assemblent chaque jour malgré l’Arrêt du Parlement. Dans celle de Toussaint, le nombre des Délibérans montait à 6000, et dans les autres en proportion. L’opinion d’augmenter les charges des Députés aux Etats est la prépondérante. Les Ordres de l’Eglise et de la Noblesse continuent leurs Assemblées comme si la Nation était assemblée sans Peuple et sans Duc.

8Rennes, ce 17 Janvier Un de Messieurs, aux Chambres assemblées, a dit que l’Arrêt n’ayant point empêché les Généraux de s’assembler et de tromper le Peuple par leurs discours insidieux, (on sait que c’est une façon de parler guerrière), la Cour a arrêté de prendre sur ce récit les conclusions du Ministère public. Le fait est que les Marguilliers ayant eu ordre de se rendre au Palais, et l’Huissier n’ayant pas osé signifier cette injonction, aucun d’eux n’a voulu y déférer. Ils viennent d’être décrétés, au nombre de dix, d’ajournement personnel ; assurement le Parlement est bien heureux que les Cours Souveraines soient exemptes de la roturière obligation de motiver ces décrets ainsi que leurs jugemens ; si les Marguilliers en appellent au futur Grand Bailliage, il y aura convertissement de l’ajournement en décret de prise-de-corps et prompte et briève justice. On dit que tous ces Arrêts se rendent contre l’avis des anciens par les jeunes Magistrats, qui veulent rendre à la Noblesse ce qu’elle lui prêta au mois de Mai 1788.

9Les Huissiers chargé de notifier les mandats Parlementaires aux Marguilliers, vont les montrant de porte en porte. Les Généraux de Paroisses ont arrêté de se pourvoir au Conseil en cassation de toute la liasse depuis le 7 de ce mois, et continuent leurs Assemblées qui se tiennent dans les Eglises à cause de l’affluence des Habitans : en conséquence on a écrit à Versailles que tout était perdu.

10Depuis trois jours, les deux Tiers d’Etats ne s’accordent pas sur la rédaction d’un Mémoire dont l’objet est d’obtenir la permission de députer pour réclamer contre la suspension ; l’Eglise le trouve trop fort ; la Noblesse le trouve trop faible. Le Chevalier de Marniere sera donc obligé, si cette production destinée à la Cour ne réussit pas, de tenter un second effort vers la Ville ; la chûte est rude du factum à l’épître : enfin il vaut mieux écrire que penser.

11Rennes, ce 20 Janvier. La Salle des Etats est occupée nuit et jour par la Pospolite ; et comme les Gardes de nuit étaient trop fatiguantes pour les Carrossiers, ils payent 3 livres à leurs camarades les épées de fer pour être en faction à leur place. On ne saurait exprimer quelles idées fournit la vue des Campagnards en vestes de Berlinge, ronflant, jurant, sifflant, fumant la pipe, et gardés dans une grande Salle par trois Brigades de Maréchaussée.

12La Noblesse emploie deux Gens de l’Office de son Baron, pour faire signer au bas-Peuple une protestation contre les Arrêtés des Municipalités ; ils payent chaque signature de vingt à trente sols, selon la condition des signans. Il y a apparence que les Nobles usent du même manège dans les autres Villes de la Province.

13La Municipalité de Rennes s’assembla hier. Il y fut décidé d’une voix unanime, de persister dans les charges données à ses Députés. On arrêta d’écrire à S. M. pour la convaincre qu’il n’est ni dans l’esprit de la Commune, ni dans le cœur d’aucun de ses Membres, de s’opposer à la levée des secours dont a besoin le Gouvernement ; que la seule nécessité, le plus impérieux des devoirs, lui avait dicté la défense de délibérer sur les impôts jusqu’à qu’on eût fait droit sur les justes réclamations du Tiers-Etat ; que la conduite des deux Ordres privilégiés prouvait de plus en plus que celle du non privilégié avait été prudente et sage. Que Sa Majesté s’étant, par son Arrêt du Conseil du 3 Janvier, réservé de faire droit entre les Ordres, la Commune de Rennes sollicitait cette faveur avec confiance et respect.

14Les Etudians en Droit demandèrent l’entrée de l’Assemblée, et l’ayant obtenue, ils donnèrent lecture d’une Délibération et d’un Arrêté dont la sagesse serait croire que Minerve abandonne la vieillesse. Ils donnèrent lecture, en forme juridique, de l’adhésion de la Jeunesse de Nantes, de Saint-Malo et de l’Orient, aux Arrêtés du Tiers pris aux Etats, à la ville de Rennes et aux Ecoles de Droit, et le dépôt de ces Pièces au Greffe, fut unanimement accordé d’après leur réquisition.

15Les Généraux des Paroisses entrèrent ensuite ; et après avoir demandé et obtenu lecture, acte et dépôt de leurs Arrêtés, ils prièrent les Officiers Municipaux de joindre deux Députés à ceux qu’ils avaient nommés pour placer sur l’autel de la bienfaisance royale, les doléances, la soumission et l’amour des enfans de Louis. M. Trehu, Maire, et l’Orateur pugilant du Chevalier de Marniere, M. Gandon, Procureur-Syndic, partiront cette nuit pour Versailles avec les Députés des Paroisses.

16La conduite de M. Drouin, second Député de Rennes aux Etats, fut blâmée complètement. Il fut proposé de le rendre entièrement aux fonctions de Procureur du Roi du Présidial de Rennes, qu’il remplit avec modération, douceur, simplicité, et à la grande satisfaction de ses inférieurs, du Public et de sa famille. La nomination d’un second Député de Rennes fut d’autant plus goûtée, que l’on sentit le danger de laisser le petit Magistrat voter en l’absence du Maire3. Inutilement un de ses confrères faisait amende honorable pour lui, en promettant qu’il se comporterait à l’avenir en homme de bien… Son remplacement ne fut suspendu que sur la promesse du Maire, d’être de retour le 3 Février, pour la rentrée des Etats.

17Au reste, on est persuadé que les Municipalités de la Province vont régler leur marche sur celle de Rennes. L’Eglise profite de l’intervalle pour renouer les sources de l’union : on distingue sur-tout parmi ses plus ardens Missionnaires du second Ordre, les Abbés de Kergourio et Flageolet ; ces Abbés et les sieurs Vignon et le Hart, Sémi-Prébendés, courent dès la pointe du jour, ab ortu solis usque ad occasum.

18Rennes, ce 20 Janvier. Le Mémoire de la Noblesse est imprimé ; elle en a fait tirer douze mille exemplaires. Les Présidens des deux Ordres allèrent Samedi prier M. le Commandant de l’envoyer au Roi par un Courier ; il répondit qu’il ne pouvait prendre cet engagement. L’on a agité si on l’enverrait par une députation ; et la négative ayant passé à la pluralité de 13 voix seulement, on l’envoie à Versailles par le Chevalier de Boisgueneuc, dont le plus grand plaisir est de voyager. On lui a donné des lettres de créance pour M. de Sequeville, introducteur des Ambassadeurs, et sa présentation sera pour le moins aussi curieuse que celle des Typo-Saïb.

19Les Gardes nocturnes continuent dans la Salle, et nous n’en parlerons plus, à moins que la veille des armes ne produise quelque facétie plaisante. L’Ordre des Nobles est extrêmement embarrassé de la résistance populaire ; il emploie tous les efforts de la séduction pour gagner ce qu’il appelle le bas Tiers. Maubreuil de Nantes est un de ses Orateurs les plus zélés : il a fait ce matin un long discours pour demander que les Commissaires intermédiaires s’expliquassent verbo Casernement. On ne voit dans les comptes aucun emploi des sommes affectées à cette partie, les gens qui payent en argent cette imposition, n’en étant pas moins obligés, à tous les passages ou résidences des Troupes, de loger ou de fournir les lits et ustensiles des Casernes. S’il existe des malversations, le Tiers-Etat a donc raison de solliciter des Casernes. Pourquoi donc refuser de l’entendre ?

20Dans la ville de Guingamp, le Public s’est ameuté et a demandé hautement la destitution de son Maire. (M. de Kgreénormand est un des 16 Protestans) : la Municipalité vient de s’assembler à ce sujet.

21La Municipalité de Fougeres, mécontente de M. le Mercier son Maire, lui a déclaré ne le plus reconnaître en cette qualité, et lut a retiré ses pouvoirs avec défense de paraître aux Etats. Elle a nommé trois Maires alternatifs, et donné procuration à M. Geraudais de la représenter aux Etats prochains, en lui associant deux agrégés. Le Peuple a fait un auto-dafé de son ex-Maire ; expliquons-nous : c’est de son effigie.

22La Communauté de la ville du Croisic, a aussi révoqué son Maire M. David de Drésigué ; on plaint ce bon Israélite d’avoir été méchant Chrétien4 trop facilement. Aussi-tôt la révocation, le Peuple a détaché le Panonceau qui annonce la porte de l’Hôtel du Maire, et l’a remplacé par un paquet de Verges.

23Les Assemblées des Paroisses de Campagne vont leur train. Laillé et Vern se sont distingués en dépit de leurs Seigneurs, les Marquis de Montluc et de Caradeuc ; l’influence de ce dernier comme Procureur-Général du Parlement, a même été nulle.

24La Paroisse du Rheu ayant pris une Délibération dont la base porte sur les griefs communs, M. Freslon de la Frelonniere, Seigneur de cette Paroisse, envoya chercher les Trésoriers et le Registre dont il se permit de déchirer les feuillets. Les Trésoriers sont aujourd’hui à Rennes pour consulter sur cette violence. Malheur aux Abeilles dont la ruche n’est pas fermée aux Frêlons !

25Rennes, ce 22 Janvier. Les Trésoriers des Paroisses de la ville de Rennes, présentèrent hier à MM. les Commandant et Intendant leurs Délibérations, et en ont été parfaitement bien reçus.

26Le Parlement de Rennes fit assigner hier matin les Bedeaux des Paroisses et plusieurs autres particuliers, pour déposer dans l’affaire qu’ils poursuivent contre les Marguilliers relativement aux Assemblées des Généraux. Les Bedeaux se sont présentés en robe longue et en fraise, devant les toges et les rabats ; et après avoir pris séance avec les Huissiers leurs Confrères, les Podestats ne les ont entendus en déposition, mais ils les ont interrogés sur le fait de savoir « s’ils ont été avertir les Trésoriers de la Ville de ne pas se rendre au Palais ? Qui leur avait donné cet ordre ? Si les Assemblées de Paroisses ont été tumultueuses ? Si on n’avait point cherché à contraindre les opinions par la force ? Si les suffrages avaient été libres ? Si les Registres des Délibérations n’avaient point été transportés ? Si l’on n’avait point opiné dans des Maisons particulières comme au Pargo près Vannes, etc. ». Les interrogés se sont tous réunis pour dire que « tout s’était passé sans tumulte et sans obsession ; que les opinions et les signatures avaient été libres, etc. ». On nous mande que quelques-uns des interrogés se sont permis du persifflage dans leur réponse, ce qui est mal. Pendant le temps qu’a duré cette torture morale, les Salles et les Galeries du Palais étaient occupées par plus de cinq cens jeunes-gens, ce qui est bien.

27Les Jurisconsultes Bretons ne sachant quel nom donner à cette nouvelle forme de procéder du Parlement de Bretagne, vont écrire au Tribunal des Inquisiteurs d’Etat à Venise. S’ils ne la connaissent pas, la gloire de l’invention restera toute entière aux Pères Conscripts Bretons ; car suivant les rêves de Louis XIV, l’information doit précéder le décret, et l’on a décrété sans plainte et sans information. A merveilles…

28M. le Président de la Houssaye, Chef de la Députation du Parlement à Versailles, afin de décider plus promptement la marche de 4 Régimens pour mettre le Tiers-Etat Breton dans la Conciergerie du Palais ; dit au Roi dans sa harangue : « peut-être, Sire, qu’au moment où je suis devant votre Majesté on s’égorge dans les rues de Rennes ». On assure que le Roi regarda le Président en riant et en accompagnant ce sourire d’un signe de tête négatif. Le Président ne put, dit-on, garder son sérieux, et ses Confrères lui en veulent de n’avoir pas été maître de ses lèvres. La Noblesse sait assez mauvais gré au Roi d’être si bien instruit.