Suite de l’Arrêt du Parlement de Bretagne du 7 Janvier

1REVENONS à la seconde disposition de l’Arrêt du Parlement de Bretagne, des 7 et 8 Janvier.

« Il défend à tous Citoyens de former autres assemblées que celles autorisées par les Ordonnances, Arrêts et Règlemens, sous le nom de Corporations, Corps, Communes et tous autres ; d’attenter à la liberté des suffrages des Municipalités, et aux Municipalités d’admettre à leurs Délibérations aucuns Citoyens autres que ceux qui ont droit ».

2Le Parlement qui convient que les Municipalités de la Province ne représentent le Peuple ni complètement, ni librement : ordonne cependant qu’il le soit par ces Municipalités, esclaves ou incomplettes. Pourquoi ? Parce que ces Conseils de ville peu nombreux, composés d’Ecclésiastiques, de Nobles, d’Officiers, de Seigneurs ou de gens faciles à corrompre, sont effectivement plus à la disposition de la triple alliance. L’on était depuis long-temps convaincu de la confédération de la Magistrature Bretonne avec les deux premiers Ordres ; mais cet Arrêt vaut la signature du pacte. Heureuse la Province soumise à trois Corps fédératifs aussi puissans !

3Le Parlement, par l’organe de son dénonciateur, s’emporte avec aigreur contre les députations des Communes en Cour ; il voudrait rompre la communication qu’un bon Roi permet entre lui et son Peuple, et se la réserver comme au passé pour lui seul et ses Confédérés. Il dit que les Députés des Communes à Versailles y portent des vœux désavoués par les réclamations de ceux dont ils se disent les Représentans, tandis que les six Echevins de Nantes ont été forcés de reconnaître devant tous les Citoyens assemblés, qu’ils abjuraient leurs protestations, tandis que malgré les intrigues de la Noblesse, Montcontour et la Roche-bernard ont brisé leurs liens, tandis que cinq Villes ont désavoué leurs infidèles Procurateurs, tandis que toutes les contrées de la Bretagne, ses bourgs et ses hameaux élèvent un cri unanime vers le Souverain, tandis que ses landes, ses déserts et ses plages appellent un Libérateur. Il se plaint, avec amertume, d’Assemblées illicites tenues sous les yeux de la Cour, sous ceux de la Nation réunie, par des Particuliers sans mission, dictans des Loix à ceux dont ils usurpent les pouvoirs, les tenant dans l’esclavage, quoique criant à la liberté, etc. Eh ! bon Dieu, notre Club était à Rennes quand, malgré les défenses du Roi, le Parlement s’assembla illicitement à l’Hôtel de Cuillé. Nous étions à Rennes quand ses Magistrats excitaient la Populace à jeter des pierres contre les Commissaires du Roi, quand l’Intendant en fut atteint, quand l’un de Messieurs encourageait une multitude trompée, séduite, en délire, à égorger des Soldats dont les fusils étaient désarmés. Nous étions à Vannes, quand le Parlement s’assembla illicitement et burlesquement au Pargo. Nous y étions, quand la Noblesse s’assembla dans cette Ville illicitement et scandaleusement. Et nous ne croyons pas que l’Assemblée Parlementaire où a été créé l’Arrêt dont nous parlons, ait été bien licite, puisque c’est le 6, chez M. le Premier Président, que la Cour, en déshabillé, l’a fait ; puisqu’il n’a été daté du lendemain au Palais, que pour le vernir d’un air de Cour.

4Le Parlement, toujours par la bouche son Battologue, s’élance vers le pathétique, et meurt au sein de l’apostrophe.

« Honnêtes et dignes Citoyens, que l’esprit d’intrigue et de cabale tentera vainement de séduire ! dans vos embarras, dans vos infortunes, dans ces combats fréquens contre le fisc, à qui recourez-vous ? N’est-ce pas dans le sein de votre Seigneur que vous allez les déposer ? Ah ! si vos voix pouvaient se faire entendre, comme elles vengeraient vos Protecteurs de ces téméraires imputations ! Comme vous publieriez que si vous trouvez dans le Tiers-Etat des preuves d’attachement et de sensibilité, c’est sur-tout la Noblesse et vos Pasteurs qui excitent votre confiance et la justifient !… »

5Ah ! sans doute, nous l’avouons, nous le publions avec attendrissement : nous avons toujours trouvé secours, pitié, consolation dans ces vénérables Ministres Evangéliques, qui, ne s’éloignant jamais du troupeau, conservent dans leurs temples la flamme pure de la morale, et le feu de la charité dans leurs cœurs. Nous respectons ces la Garaye1 sensibles, pour qui les vagissemens de l’enfance, les gémissemens de la misère, les soupirs du vieillard ne sont point insupportables, et dans l’ame desquels les cris de la douleur raniment sans cesse la sensibilité et la vertu. Ce sont de tels protecteurs que nous honorons… Mais, hélas ! que de cavernes creusées par la crainte de la tyrannie auprès de quelques autels élevés à la reconnaissance !

6Magistrats, si vous félicitez le Peuple d’avoir eu recours à vos égaux dans ses anxiétés, pourquoi traitez-vous de traître à la Patrie ce même Peuple las de demander commisération et justice à ses oppresseurs dénaturés, parce que, succombant sous le poids de sa charge, et prêt à exhaler le dernier souffle, il emploie son dernier effort pour déposer sa vie fugitive dans le sein d’un père qui ne fut votre protecteur qu’en vous croyant les images de sa bienfaisance ? Si vous ne trouvez pas condamnable le recours de quelques vassaux envers leurs Seigneurs particuliers dans des temps de calamités locales et passagères, pourquoi voulez-vous étouffer les plaintes de vingt-deux millions d’infortunés adressées au Seigneur Suzerain de l’Empire Français, à une époque qui, par le feu des factions et la sourde activité des cabales, peut produire le fléau le plus désastreux, l’avilissement du nom Français et l’opprobre des races futures ?

7Votre dessein serait-il, Magistrats Souverains, de vous liguer avec deux Ordres puissans, de corrompre quelques Représentans du Tiers-Etat, de faire passer à des Etats ainsi constitués tout ce que la rage de dominer et le caprice de ne rien payer pourraient vous suggérer de sinistre ; de consacrer une conjuration aussi terrible par des Arrêts scellés du nom de Louis, de foudroyer par des sentences de mort ou de déshonorer par des notes d’infâmie ceux qui auraient la noble audace de vous résister, de vous réserver à vous seuls le droit qu’a tout Français de recourir à son Souverain, du droit que le Breton tient de la terre qui l’a produit, du sol qui le nourrit, de l’air même qu’il respire, d’en appeler à la justice du Roi, dans tous les cas d’oppression et de jugement inique,2 de vous emparer, exclusivement à la vraie Nation, des avenues du Trône pour arriver avec le temps à son dernier degré ; et là, de dire au Monarque vertueux, que l’amour du Peuple ne se lassera jamais d’y voir assis : Roi, ce sont des séditieux ; et aux Nations : Citoyens, sans nous, vous seriez immolés.

8Non, Magistrats, tel n’a pu être votre dessein, vos intentions sont pures, et vous ne desirez au fond de vos cœurs que la paix et la tranquillité publique.

9Trompés par des ambitieux et des médians, vous vous êtes laissé entraîner au-delà de votre compétence3 sans prévoir les suites de votre enthousiasme. Vous en gémissez sans doute, et c’est l’attente de vos regrets qui excite l’ardeur que nous employons à vous excuser.

10Rennes, 10 Janvier. Malgré l’Arrêt du Parlement qui défend aux Corporations de s’assembler, elles s’assemblèrent hier au soir avec les Généraux de Paroisses. Elles nommèrent trente Députés pour se rendre à Versailles, à l’effet de solliciter la justice de Sa Majesté. Le Prévôt du Droit a été nommé par ses camarades. Plusieurs sont déjà partis. Cet Arrêt a mécontenté tout le monde. La Noblesse même, qui devrait être enchantée du service essentiel que le Parlement lui rend, dit hautement que le Sénatus-Consulte est irrégulier, déraisonnable, et que la Cour n’avait aucun droit de le rendre. C’est que la Noblesse sait et sent bien quelle veut partager avec les deux premiers Ordres le gâteau des Rois, et qu’ayant la puissance ordonnative et exécutive en main, elle peut leur ôter dans la suite, et quand la révolution méditée sera un peu avancée, le caput mortuum de l’opinion par des Arrêts bien rouges. D’un autre côté la Jeunesse et le Peuple sont furieux ; on a trouvé ce matin affiché à tous les carrefours, aux portes des Cafés et des Conseillers du Parlement, et notamment au poitrail du cheval de bronze, l’Arrêt du Peuple qui suit, imprimé en gros caractères.

Arrêt du Conseil d’Etat du Peuple, qui casse et annulle l’Arrêt du Parlement de Bretagne des 7 et 8 janvier 1789

11Le Peuple, réuni sur la place du Palais, n’a pu voir sans indignation l’Arrêt du Parlement qui défend de s’assembler. L’ordre public n’a pas été troublé. Il n’y a pas eu la moindre apparence de sédition. On s’attendait au contraire à voir suivre l’exemple qu’a donné le Parlement de Paris dans son Arrêté du 5 Décembre, où il réclame l’égale répartition des impôts. Comment des Ministres de la Justice, dont le principal caractère est l’impartialité, ont-ils pu être égarés par l’esprit de corps, au point de vouloir interdire au Peuple le moyen de concerter des demandes que l’équité la plus rigoureuse ne saurait désavouer ? Comment n’ont-ils pas vu, sans recourir au Titre 24 de l’Ordonnance Civile, que les simples notions du bon sens suffisent pour apprendre qu’on ne peut être juge et partie ? Qu’un Parlement tout Noble ne pouvait en conséquence s’immiscer dans une affaire de Nobles, qui font l’odieux serment, en face de la Nation, de ne pas contribuer également aux charges publiques ! Il donne ainsi la plus grande preuve du fondement des réclamations constantes et générales, par lesquelles on se plaint de voir la balance et le glaive de Thémis entre les mains exclusives d’un Ordre privilégié qui a la faiblesse de s’en servir, en sa propre faveur contre la foule de Citoyens dont il devrait être le père. N’a-t-il pas vu ce Parlement tout Noble qu’il donne par-là l’exemple le plus dangereux du pouvoir arbitraire, et qu’il en fait sentir les coups les plus affreux après s’être élevé si vivement contre de pareils abus ? Il veut donc faire regretter à tout un Peuple le zèle et le courage avec lequel il a refusé des juges étrangers pour le maintenir sur un siège où il croyait le replacer pour la défense de ses droits imprescriptibles ! il n’aurait pa dû oublier que, sans cet enthousiasme populaire, qu’il excitait alors, non-seulement tous autres moyens étaient bien insuffisans, mais même que sa perte était jurée. Le danger imminent de la chose publique autorise les Assemblées ! la partialité la plus injuste est le seul motif qui les lui fait défendre aujourd’hui. Il a profité plus d’une fois de cet avantage sous la sauve-garde du Peuple. Il s’est bien assemblé quand il ne formait plus Corps ! il n’a point eu égard aux coups d’une autorité supérieure qui le séparait. Après avoir montré lui-même que des Loix injustes ne pouvaient l’enchaîner, peut-il espérer que son Arrêt fera quelque effet ?

Par toutes ces considérations, le Peuple, en vertu de l’autorité que donne toujours la justice et la raison, casse et annulle ledit Arrêt ; fait défenses à tous ses Députés d’y avoir égard, sous les peines de blâme, flétrissure et autres plus grandes s’il y échoit : Ordonne que le présent Arrêt sera, à la diligence du Peuple, imprimé et affiché où besoin sera.
Fait à Rennes, le 9 Janvier 1789. Signé, Sans Peur, Greffier.

12Il a été aussi affiché sur le venteau droit de la porte du Palais de Justice de Rennes : A l’hôtel de l’ingratitude ; et sur le gauche : On vous pardonne encore celui-ci, mais n’y revenez pas.

13Le Peuple, assemblé en grand nombre, a lacéré et brûlé l’Arrêt du Parlement des 7 et 8 ; sa fureur silencieuse n’en était que plus imposante. D’un autre côté le Parlement opinait secrètement pour découvrir l’Auteur de l’Arrêt du Conseil d’Etat du Peuple, afin de l’envoûter sommairement. Un descendant d’un honnête Greffier de Guimgamp a conjuré la Cour d’envoyer une députation vers le Roi, pour le menacer d’abandonner l’administration de… la justice. Il faudrait les prendre au mot ! Mais à raison des mauvais chemins, de l’expédition des affaires particulières que Messieurs ont tant à cœur, et de la députation robinique déjà sur le lieu, on s’est radouci, et la pâte, pour de véhémentes remontrances, est déjà sous le rouleau du faiseur. Elles seront envoyées par un courier particulier, qui aura bien de la peine à mettre de la célérité, si elles sont aussi massives qu’à l’ordinaire. On s’attend qu’il va paraître un Arrêt fulminant contre celui du Peuple ; le Club n’en croit rien. En ce cas, il est à craindre que le Peuple, décidé à se faire justice, ne se livre à de condamnables extrémités. Le Parlement a saisi l’heure du dîner des Citoyens pour faire enlever les affiches de l’Arrêt du Conseil d’Etat du Peuple, et pour faire faire la fouille chez les Imprimeurs et Libraires. La partie paraît plus engagée que jamais de tous les côtés. La Jeunesse s’est emparée de la Tribune, et nomme tous les jours deux cents de ses membres pour y passer la nuit. Ces deux cents sont aussi bien armés dans leurs poches que ceux de la salle. Ils s’y font servir à dîner et à souper, et les deux Ordres ayant feint ce matin d’aller aux Chambres, afin de faire vuider et fermer la Tribune, les Jeunes Gens ont répondu très-décidemment à la Maréchaussée qu’ils ne sortiraient pas ; il a fallu les croire. MM. Frogerais, Député de Quimperlé, et Drouin, second Député de Rennes, furent injuriés hier matin en sortant de la salle des Etats, par des Bourgeois, qui les menacèrent ; ils furent hués par la populace, et poursuivis à coups de balles de neige ; ces Messieurs sont des seize protestans du Tiers. M. Drouin a eu la figure très-maltraitée par ses parens, qui lui disaient furieux : « Voilà pour t’apprendre à déshonorer ta famille. » Il est généralement exécré.

Extrait de l’Arrêt de la Cour du Parlement de Bretagne du 10 Janvier 1789

14Ce jour, Chambres assemblées, un de Messieurs a déposé sur le Bureau un Imprimé, portant pour titre : Arrêt du Conseil d’Etat du Peuple, et a dit…

15Messieurs,

Je viens à regret vous dénoncer un Placard affiché, la nuit dernière, dans toutes les rues de cette ville.
Si je vous défère ce Placard criminel, c’est moins pour vous engager à venger votre autorité, que pour éclairer le Peuple, au nom duquel on se porte à des excès que sans doute il désavoue…
Nous le disons avec confiance : que les troubles cessent, que les Loix soient respectées, que les principes de la Constitution ne soient point altéres… et nous ne doutons point que toutes celles qui sont vraiment utiles aux peuples ne soient accordées…
Peut-on penser encore que ce soit ce Peuple qui nous a comblé des témoignages de son attachement, que nous avons toujours vu chérir la Magistrature, aimer la Constitution, réclamer dans l’enceinte de ses murs l’Assemblée des Représentons de la Nation ; que ce soit ce Peuple doux et tranquille qui forme en ce moment le vœu de la destruction des Etats et de celle du Parlement ? Aurait-il si promptement oublié que c’est à l’existence de ces Corps, à leur présence dans cette ville, qu’il a toujours attaché son bonheur, son aisance et sa tranquillité ?
N’en doutons point, Messieurs, tous ces actes de la violence la plus caractérisée, sont l’ouvrage de cette réunion d’hommes, ou intéressés à ensevelir dans une commotion générale la mémoire de leurs torts particuliers ; ou portés, par la fougue de leur caractère, à exciter dans l’Etat une révolution funeste ; ou, comme nous le disions ces jours derniers, honnêtes, mais séduits : et c’est ceux-là sur-tout qu’il importe d’éclairer et de ramener à leur honnêteté naturelle.
Mais, dit-on, l’ordre public n’a point été troublé… Eh ! qu’appeler trouble, si tout ce qui se passe depuis plusieurs mois, n’annonce pas, non-seulement le trouble, mais même le renversement de l’ordre public ?…
Je dépose sur le Bureau le Placard que je viens de dénoncer, et je demande qu’il en soit délibéré.

La Cour, Chambres assemblées, ordonne que le Placard intitulé : Arrêt du Conseil d’Etat du Peuple, etc. ensemble le récit d’un de Messieurs, seront communiqués au Procureur-Général du Roi, pour, sur ses Conclusions, statuer ce qu’il sera vu appartenir.
Cedit jour, le Procureur-Général du Roi entré en la Cour, a mis sur le Bureau l’Arrêt de ce même jour, et le Placard y référé ; ledit Procureur-Général retiré, ses Conclusions vues ; oui le rapport de Maître Euzenou de Kersalaun,4 Conseiller, Doyen de la Cour, et sur ce délibéré :
La Cour ordonne qu’il sera informé par-devant Maître Euzenou, Conseiller, Doyen, Rapporteur, de l’impression, affiche et distribution dudit Placard imprimé ; pour, ladite information rapportée à la Cour, et communiquée au Procureur-Général du Roi, être sur ses Conclusions statué ce qui sera vu appartenir : Ordonne que le présent Arrêt sera imprimé et affiché par-tout où besoin sera, et que ledit Placard demeurera déposé au Greffe, pour servir de mémoire.
Signé Buret.

16Lorsque Messieurs sortaient de rendre cet Arrêt, le Peuple doux et bienfaisant, qui dans toutes les occasions, et l’été dernier sur-tout, les combla des témoignages de son attachement, criait, pour en combler la mesure, Bailliages, Bailliages. On les a plus maltraités que les Commissaires du Roi, lorsque ceux-là, en Mai quatre-vingt-huit, échauffaient les têtes contre ceux-ci.

17On a remarqué dans cet Arrêt bienfaisant avec quelle bonté, avec quelle condescendance les Pères-Conscripts Bretons répondent à ce Placard séditieux, intitulé l’Arrêt du Conseil d’Etat du Peuple ; comme ils discutent mot-à-mot ses phrases, comme ils argumentent sur ses écarts, comme ils exposent leurs vrais sentimens. On admire sur-tout la modération de cette Cour, aux trois quarts composée de Jeunes Gens sortant des légions Françaises, modération qui n’est pas toujours la vertu des Mandarins Gaulois.

(La suite au N^o prochain).