Mangourit et Le Héraut de la Nation
Décembre 1788 - Juin I789
p. 93-96
Texte intégral
L’explosion de la presse en 1789
1Au moment où se réunissent les États de Bretagne, l’événement crée un besoin d’information auquel ne répondent pas vraiment les pamphlets, même périodiques, trop délibérément partisans et limités à un thème ou deux par brochure. L’opinion « patriote », à Paris et en province, se passionne pour ce qui va se passer à Rennes où la session des États de Bretagne apparaît comme un prologue à la convocation des États Généraux. Le Héraut de la Nation prétend répondre à cette attente en couplant les arguments polémiques avec une véritable information à l’échelle du royaume pour juger de l’impact national du problème qui est au centre des affrontements de Rennes et plus généralement du débat suscité par la convocation des États Généraux : que doit-il en être de la représentation du Tiers État face à celle des deux ordres privilégiés ? Il ne s’agit plus seulement, comme dans La Sentinelle du Peuple, de prévenir les machinations de la Noblesse bretonne, ni de relire les événements de 1787 et 1788 pour y montrer que le soi-disant dévouement à l’intérêt général du Parlement de Rennes et des nobles en général masquait, de fait, une mainmise despotique sur les ressources de la province, mais d’exalter également la solidarité des « patriotes » véritables dans toutes les provinces du royaume et la nécessaire communauté d’intérêt entre un roi paternel et l’ensemble de ses sujets dont le bonheur, la prospérité et l’amour qu’ils lui vouent sont la condition première de sa puissance et de sa gloire. Donc le Héraut ne se pose pas en observateur neutre d’une conjoncture politique passionnée et son propos est de renforcer la combativité du Tiers État en général par le compte rendu des affrontements rennais mais aussi par la recension de tous les élans solidaires, de tous les appuis et arguments qui viennent renforcer le Tiers breton dans son combat contre le despotisme aristocratique et le triomphe des Lumières philosophiques. Néanmoins on retrouve dans la notion même de Héraut la nécessité, comme pour la Sentinelle, d’un homme informé, capable de parler pour le Peuple et donc de saisir la nature et le poids des arguments nécessaire à un moment donné pour le triomphe de la cause. Tout comme la Sentinelle, le Héraut est à la fois dans et hors de la mêlée mais il a surtout une fonction de parole tribunicienne destinée à formuler la stratégie victorieuse et à conforter l’optimisme des militants. Ajoutons que le titre anticipe à sa manière, dès le mois de décembre, sur le discours de Sieyès du 10 juin suivant, imposant le nouveau nom de l’Assemblée des États Généraux : Assemblée Nationale. La Sentinelle protégeait le Peuple et s’inscrivait encore dans le schéma d’une société d’ordres, le Héraut parle au nom de la Nation tout entière et donc proclame la nature profonde de la nouvelle légitimité du pouvoir en train de s’imposer. Mais cette Nation que Von proclame ne saurait se dissocier de la Patrie, c’est-à-dire à la fois le territoire et les coutumes qui définissent les spécificités de la Nation, que la continuité dynastique incarne et que symbolise la personne même du roi. Constatons néanmoins l’absence, dans cette première dénomination, de tout référence littérale au monarque. Serait-ce déjà la preuve d’une disqualification de fait du monarque ? Plutôt le sentiment que la référence implicite va de soi pour tous les lecteurs et qu’il n’est donc pas nécessaire encore de l’affirmer.
2Les historiens de la presse ont souligné l’importance déterminante de l’année 1789 qui voit, en France, l’établissement de fait de la liberté de presse, liée à l’appel que fait Louis XVI à l’opinion publique en juillet 1788 pour l’aider dans sa volonté de faire le bonheur de ses peuples, mais aussi une véritable explosion quantitative d’une presse périodique qui prétend répondre au besoin d’information d’un nombre croissant de lecteurs qui n’acceptent plus ni censeurs ni encenseurs à privilège. Pour les spécialistes, le nombre des feuilles périodiques s’accroît de façon spectaculaire à partir de juin-juillet 1789, au moment même où Le Héraut cesse de paraître ! C’est dire que celui-ci fait véritablement figure de journal pionnier, à l’image de la précocité révolutionnaire de la conjoncture politique rennaise. Par la fréquence des numéros, 63 en un peu plus de six mois, soit environ 25 semaines, ce qui fait environ 2,5 numéros par semaine, on est en présence sinon d’un quotidien, du moins d’un bihebdomadaire dont la présentation n’a changé qu’une fois, à partir du numéro 35, mais dont le nombre de pages n’a pas varié du début à la fin de la parution. Le Héraut de la Nation apparaît ainsi comme le plus ancien et le plus copieux des premiers journaux patriotes, Brissot qui prétendait être le premier à avoir lancé un journal libre au début de la Révolution ne publia le premier numéro du Patriote Français qu’au début du mois de mai 1789 et les Lettres du Comte de Mirabeau à ses commettants datent également du premier mois des États Généraux. Fauteur du Héraut avait d’ailleurs conscience de son droit d’aînesse et contesta à Brissot son excessive prétention.
Mangourit et le Club de Beaucaire
3Barthélémy Pocquet auteur, en 1885, d’un livre encore essentiel pour l’approche des événements qui nous préoccupent, Les origines de la Révolution en Bretagne, a accordé une place essentielle dans l’accentuation croissante des tensions, à Rennes, de décembre 1788 à janvier 1789, à l’accumulation des pamphlets que les deux camps publiaient, sous un anonymat le plus souvent rapidement défloré, pour discréditer l’adversaire dans le conflit que venait de susciter la composition et le fonctionnement des États de Bretagne, encore plus scandaleux que ceux des États Généraux. L’ironie mordante des attaques du Tiers exaspère les gentilshommes bretons dont beaucoup regrettent ouvertement le bon temps de Philippe le Bel, quand on pouvait sabrer la canaille pour lui apprendre à rester à sa place. Dans ce flot de libelles, outre La Sentinelle du Peuple, Barthélémy Pocquet fait une place toute particulière au Héraut de la Nation, publication anonyme, mais que des souvenirs familiaux et surtout une inscription manuscrite sur un exemplaire du journal, rapportée par Levot dans sa Biographie Bretonne et reprise par notre auteur, attribuerait à Michel-Ange Mangourit du Champ-Daguet, ancien Lieutenant criminel au Présidial de Rennes. Né à Rennes, en 1752, de petite Noblesse, il entreprend une carrière militaire avant d’opter pour le Présidial dont il devra démissionner, en 1788, à cause des pamphlets violents qu’il venait de publier (Le Tribun du Peuple, Les Gracches français) a-t-il prétendu ultérieurement, ou à cause d’une affaire de viol affirmait Mallet du Pan, le célèbre polémiste contre-révolutionnaire. Le fait est qu’à la veille de la session des États de Bretagne, Mangourit est à Paris et entreprend la publication du Héraut de la Nation, ce qui suppose qu’il bénéficie d’un réseau d’informateurs capable de lui permettre de restituer avec une précision suffisante les péripéties de la conjoncture politique rennaise. C’est ce réseau auquel il fait allusion en invoquant un prétendu Club dont Le Héraut serait l’organe officieux. En fait l’allusion au Club est un procédé qui permet de diluer en quelque sorte la responsabilité de l’auteur anonyme ou déclaré de la publication, tout en donnant aux informations diffusées et aux commentaires qui les accompagnent une caution collective, gage de compétence et d’orthodoxie patriote. Rappelons qu’en juillet 1789, Jean-Louis Carra attribue Les Annales patriotiques et littéraires dont il est l’auteur à une Société d’Écrivains patriotes, et que Marat lui-même adjoint comme sous-titre à son Ami du Peuple : « Journal politique libre et impartial, par une Société de Patriotes, Et rédigé par M. Marat... ».
4Ainsi, à plusieurs reprises dans Le Héraut (n° 23, n° 35, n° 38), il est fait état d’un Club de Beaucaire et dans le n° 35, Le Héraut est cité dans le titre du texte reproduit et qui se termine par le cri de guerre choisi par le Héraut « Mont-joie-Saint-Denis ! » (cf. le n° 23). C’est dire que Mangourit se considérait comme le Héraut de son roi tout autant que celui de la Nation, c’est aussi une sorte de signature qui trahit l’auteur véritable et unique de ces textes, hypothèse confirmée par une indéniable parenté de forme et de fond. Enfin dans la note manuscrite qui accompagne son exemplaire personnel, Mangourit ne fait nullement allusion à une rédaction collective ! Au contraire, l’auteur affirme sa paternité et revendique une sorte de droit d’aînesse pour ce qui est de la presse révolutionnaire tout en concédant que sa feuille avait le soutien du ministère :
« Je suis l’auteur, le seul rédacteur du Héraut de la Nation, précurseur de tous les journaux. Il sera utile à l’historien de la Révolution française, qui en cherchera les premiers mouvements dans le duché de Bretagne, ses ordres et leurs intérêts divers qui, depuis 1787, n’ont pas changé. Les ministres du roi, le cardinal de Brienne, protégeaient cet ouvrage, imprimé à Paris, et son auteur. Point d’ordres privilégiés. Plus de Parlements. La Nation et le Roi. Tel fut le thème du Héraut de la Nation. Signé Mangourit. »
5L’essentiel est dit, en particulier l’antériorité patriotique sur la plupart des autres journaux apparus plutôt en avril 1789, le gros de l’effectif surgissant en fait au mois de juillet suivant. Que Mangourit ait pu bénéficier de ses amitiés maçonniques, tissées quelques dix années durant dans les loges rennaises, cela paraît probable. Il se targue même d’un informateur au Parlement qui lui dévoile toutes les manœuvres que fomentent les magistrats rennais, mais aussi les divisions qui parfois les opposent entre eux. Mais pas de trace effectives d’un Club sinon celui, virtuel, né du consensus des patriotes bretons. Bien mieux ! Mangourit, après l’ouverture des États Généraux, ne parle jamais du fameux Club breton pourtant créé, à Versailles, la veille même de l’ouverture des États. Sans doute parce qu’il estime les positions de ses membres trop radicales dans la mesure où la coloration politique du Héraut est des plus nettes : plébéienne certes, et même férocement anti-nobiliaire, mais profondément royaliste. Mangourit semble croire à une sorte de monarchie populaire et donc profondément bourgeoise qu’il estime dans la logique d’un absolutisme devenu éclairé, donc philosophique et raisonné, conscient de ses intérêts véritables. Et il croit que cette politique est celle de Necker et que le roi la partage.
6Dès 1790, Mangourit allait devenir un jacobin prononcé, sans doute désorienté et déçu par les hésitations de Louis XVI aboutissant à tout tenter pour sauver la prééminence sociale de la Noblesse. C’est peut-être ainsi qu’il faut comprendre l’arrêt brutal de son journal au numéro 63, au lendemain d’une séance royale qui prouvait que le monarque ne jouait plus vraiment la carte du Tiers État mais s’efforçait désormais de préserver les intérêts fondamentaux de sa Noblesse.
7De 1790 à 1792, on trouve Mangourit aux États-Unis, Consul de France à Charlestown, préoccupé de sauvegarder les intérêts français en Louisiane mais suffisamment habile pour susciter la sympathie des citoyens de cette ville à son égard au point qu’ils pétitionnent pour le conserver au moment de son rappel à Paris. En 1795, il est président de la République dans le Valais où on l’accuse de soutenir l’agitation démocratique contre les autorités cantonales. En 1798, on le retrouve à Naples où le roi exige son départ, puis à Ancône où il s’efforce de soulever les Grecs de l’empire ottoman lors de la conquête de l’Égypte et de ses prolongements vers la Syrie. Napoléon ne l’utilise pas et Mangourit fait à titre privé un voyage en Allemagne, sur lequel il écrira plus tard, et s’occupe surtout de linguistique, d’antiquités et de spéculation maçonniques. Il participe ainsi à la fondation de la Société philotechnique à Paris et surtout, avec Cambry, à celle de l’Académie celtique devenue, sous la Restauration, Société Royale des Antiquaires de France.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un ingénieur de la Marine au temps des Lumières
Les carnets de Pierre Toufaire (1777-1794)
Pierre Toufaire Jacques Charpy (éd.)
2011
Paul Cocho, Mes carnets de guerre et de prisonnier, 1914-1919
Paul Cocho Françoise Gatel et Michel Doumenc (éd.)
2010
Souvenirs et observations de l’abbé François Duine
François Duine Bernard Heudré et André Dufief (éd.)
2009
Rennes sous la iiie République
Cahiers d'Edmond Vadot, secrétaire général de la ville de 1885 à 1909
Patrick Harismendy (dir.)
2008
Mémoires d'un notable manceau au siècle des Lumières
Jean-Baptiste-Henri-Michel Leprince d'Ardenay Benoît Hubert (éd.)
2008
En mission à Terre-Neuve
Les dépêches de Charles Riballier des Isles (1885-1903)
Charles Riballier des Isles Ronald Rompkey (éd.)
2007
Rennes : les francs-maçons du Grand Orient de France
1748-1998 : 250 ans dans la ville
Daniel Kerjan
2005
Le Journal de Stanislas Dupont de La Motte
Inspecteur au collège de La Flèche (1771-1776)
Stanislas Dupont de La Motte Didier Boisson (éd.)
2005