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    Plan détaillé Texte intégral Sources et méthodes Existe-t-il une Terreur politique ? Municipalités et déchristianisation La Terreur dans les domaines de l’économie : un topos ? Quelle chronologie et quelles limites chronologiques ? Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Les politiques de la Terreur

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    La période de la Terreur dans les villes et villages vosgiens

    Jean-Paul Rothiot

    p. 81-94

    Entrées d’index

    Index géographique : France

    Texte intégral Sources et méthodes Existe-t-il une Terreur politique ? Municipalités et déchristianisation La Terreur dans les domaines de l’économie : un topos ? L’acceptation de l’effort de guerreL’acceptation du contrôle de l’économie Quelle chronologie et quelles limites chronologiques ? Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1L’objet de mon projet est d’observer, puis d’analyser les comportements collectifs dans les villes et villages du département des Vosges durant le temps qui fut celui de la « Terreur mise à l’ordre du jour ».

    2J’ai voulu étudier cette période au travers des délibérations municipales dans 14 villes et villages vosgiens (dont un travaillé par un étudiant1), car je pense qu’elles peuvent refléter les réactions des administrateurs les plus proches des habitants. Elles témoignent de l’impact de la politique de la Convention et montrent comment cette politique est appliquée au niveau le plus élémentaire de la pyramide administrative, et donc étudier si cette politique est « terroriste » ou si elle entraîne des « comportements terroristes », selon l’acception la plus banale de cet énoncé.

    3Les délibérations municipales devraient permettre de voir en quoi les municipalités sont ou non un rouage de la Terreur : sont-elles de simples exécutantes des ordres venus de la Convention, des représentants en mission via les administrations de département ou de district ? Ou ces administrations sont-elles à l’initiative de pratiques terroristes ? Quels rapports entretiennent-elles avec les comités de surveillance et les sociétés populaires ? Ou au contraire sont-elles des freins, des obstacles à la politique impulsée par la Convention, s’opposent-elles à une politique terroriste pour mener une politique modérée ?

    4Quand on dépouille les archives municipales de 1793 et de l’an II, la première constatation est l’extraordinaire inflation des réunions et des décisions prises sous l’impulsion de la Convention et des administrations départementales ; ces délibérations touchent tous les aspects locaux d’une politique d’envergure nationale et nous amènent à nous interroger sur la nature de cette politique : est-elle « terroriste » ? Peut-on parler de « Terreur », partout, dans l’application locale de la politique de la Convention ?

    5J’aborderai successivement la question des sources, la méthode statistique utilisée pour rendre compte du phénomène et le poids global des délibérations ; puis les différents aspects de la Terreur, politique, religieux, économique et dans les domaines de l’effort de guerre, de l’assistance ; enfin j’essaierai de montrer une évolution chronologique au cours des années 1793-1794, qui m’amènera à m’interroger sur les limites chronologiques de l’épisode dit de la Terreur.

    Sources et méthodes

    6Mon étude a été menée sur 14 villes et villages du département des Vosges choisis en fonction des sources disponibles et d’une répartition géographique équilibrée :

    • Villages de la Plaine : Frenelle-la-Grande (235)2, Boulaincourt (63), Hagécourt (263), Méménil (158) ;
    • Villages de la Vôge : Nonville (365), Belmont-lès-Darney (164), Monthureux-le-Sec (77) ;
    • Bourgs et villages de la Montagne : Gérardmer (600), Le Valtin (84), Plainfaing (210), Ventron (380) ;
    • Villes : Mirecourt (848), Bruyères (452), Plombières (527).

    7Le nombre des réunions varie en fonction de la population et de la prise de conscience des autorités municipales, ainsi le nombre plus important de réunion de Nonville ou de Frenelle témoigne de l’engagement du conseil et notamment des secrétaires de mairie, qui sont aussi maîtres d’école engagés dans le soutien à la Révolution.

    Tableau 1 : Nombre annuel de réunions des conseils municipaux vosgiens

    Image

    8Les délibérations (il peut y avoir plusieurs délibérations par réunion) ont été enregistrées sur une base de données permettant de croiser le nombre de délibérations annuelles et mensuelles, avec les thèmes abordés dans l’ordre du jour et les types de réunion. Les thèmes ont été regroupés en catégories et en groupes permettant des comparaisons d’ensemble et mettant en évidence la Terreur et l’effort de guerre.

    Graphique 1 : Nombre moyen de délibérations par année pour les 14 communes vosgiennes

    Image

    9Sur près de 6 000 délibérations étudiées entre 1789 et 1816, les quatre grands groupes de délibérations se répartissent ainsi :

    Tableau 2 : Groupes de délibérations selon les périodes de la Révolution et de l’Empire

    Image

    10La comparaison de ces données fait ressortir l’originalité irréductible des années 1793-1794 : intensification des réunions des conseils communaux et multiplication des délibérations centrées sur la « politique de la Terreur » et l’effort de guerre, qui prennent une place qu’elles n’avaient pas avant, ni après ces deux années. Par contre, les activités locales ordinaires n’augmentent pas. Est-ce une forme de la Terreur que la multiplication des réunions, par l’obligation qui est faite aux conseils de se réunir et de délibérer pour mettre en application les décisions de la Convention et de ses comités, ou n’est-ce pas plutôt une forme de démocratisation de la vie municipale, par la participation de l’ensemble du conseil général de la commune, soit par les réunions, soit par l’activité des multiples commissaires qui sont choisis en son sein pour faire exécuter les ordres de la Convention, notamment les réquisitions ?

    11Cette méthode d’analyse exhaustive est nécessaire, car une approche partielle peut être très déformante ; ainsi André Kastener, historien érudit de Plombières, archiviste du département des Vosges au milieu du xxe siècle a relevé les délibérations municipales de sa ville, mais ces relevés sont très sélectifs : il privilégie la Terreur (contrôle politique et aspects religieux) mais délaisse complètement l’effort de guerre, les réquisitions et les questions agricoles, notamment le partage des communaux.

    Tableau 3 : Nombre de délibérations à Plombières, selon Kastener et selon mes relevés

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    12Cette distorsion ne peut que donner une image déformée de la période de la Terreur, partant de toute la Révolution, en privilégiant les aspects répressifs politique et religieux et négligeant tous les autres aspects, politique, économique et l’effort de guerre !

    Existe-t-il une Terreur politique ?

    13Les questions qui relèvent de la Terreur politique ont été réunies dans une catégorie appelée « contrôle politique », 479 délibérations sur 2 264 (21 %), mais ces délibérations sont-elles toutes des mesures de Terreur ?

    Tableau 4 : Nombre de délibérations concernant le « contrôle politique » en 1793-1794

    Image

    14Il s’agit en premier lieu de mesures contre les suspects (74 délibérations) : les municipalités ont dressé d’abord la liste des étrangers, puis des suspects au printemps 1793, en collaboration ou en opposition avec le comité de surveillance et l’administration de district. Ces décisions d’emprisonner sans jugement les modérés, les aristocrates et les « fanatiques » peuvent, à juste titre, être considérées comme des mesures terroristes. Mais ces mesures ne concernent que 17 délibérations, ne touchent que les villes (3 à Bruyères, 4 à Mirecourt, 8 à Plombières) et se marquent par une répugnance à prendre ces mesures (à Mirecourt, la municipalité dénonce violemment le comité de surveillance qu’elle accuse de s’immiscer dans des affaires dont il n’a pas la compétence). La destitution de cette municipalité est, en novembre 1793, du fait du représentant en mission Balthazar Faure, sur demande du comité de surveillance et du procureur de la ville, ancien lieutenant particulier du bailliage et ardent Montagnard, qui s’était constamment opposé, au cours de l’année 1793 à la majorité modérée de Mirecourt3.

    15Au même titre, les mesures qui accompagnent la constitution des listes et les destitutions, le désarmement et l’arrestation des suspects, sont évidemment des mesures attentatoires aux libertés reconnues en temps de paix et de fonctionnement normal des institutions représentatives. Le désarmement, ordonné en avril et mai 1793 dans les villes et villages sur ordre des autorités, semble assez formel, mais il signifie la perte de la qualité de citoyen pour les suspects désarmés. Cependant, au cours de l’année 1794, les municipalités enregistrent des demandes de radiation des listes de suspects, de restitution des armes et de réintégration dans la garde nationale, elles délibèrent sur ces demandes et souvent accèdent aux demandes. La Terreur semble bien modérée.

    16Le deuxième aspect concerne les prisons et leur gestion : 54 délibérations portent sur le fonctionnement des prisons et leur règlement, les transferts des prisonniers vers d’autres prisons ou vers l’hôpital, les évasions, la réponse aux demandes de soins, de secours ou de libération… Cet aspect concerne surtout Mirecourt, siège du tribunal départemental, où de nombreux suspects ont été arrêtés. On devrait trouver le même type de délibérations à Épinal ou à Remiremont. Il s’agit bien de Terreur pour les personnes emprisonnées.

    17Le troisième aspect est le contrôle des personnes, contrôle et ouverture du courrier lorsque celui-ci paraît suspect (quelques délibérations montrent des cas où la correspondance avec des étrangers ou des prêtres émigrés conduisent à l’arrestation du destinataire) ; délivrance ou contrôle de passeports pour les habitants qui veulent quitter la ville ou le village ou pour les étrangers de passage ; surtout délivrance du fameux « certificat de civisme » par un vote du conseil général de la commune, sur les 116 cas, peu de refus du certificat : est-ce le signe d’une adhésion massive à la politique montagnarde ou une attitude très modérée des autorités qui ne veulent pas réprimer ? Enfin les municipalités ont délivré des certificats de résidence (133 délibérations) surtout à Plombières où le conseil général enregistre avec un luxe de précautions les déclarations des logeurs et voisins sur la présence des baigneurs, des citadins qui viennent se faire oublier dans la ville d’eau.

    18Peut-on aussi qualifier de Terreur, les mesures prises contre les ci-devant seigneurs ? Trois délibérations attestent le « brûlement » de titres seigneuriaux, cinq évoquent le dépôt de croix de Saint-Louis ou de titres nobiliaires ou la pose de scellés sur les papiers de deux justices seigneuriales ; il y a bien mesures contre les ci-devant nobles, mais est-ce la Terreur ou la simple application de la législation anti-féodale mise en place depuis 1789 ?

    19La Terreur politique apparaît donc bien faible dans les communes vosgiennes étudiées et se limite aux trois villes (95 % des délibérations) ; il n’y a rien ou presque dans les campagnes que ce soit dans la Plaine ou dans la Montagne qui puisse l’illustrer. La Terreur ne concerne que la destitution de municipalités modérées, œuvre du représentant en mission Balthazar Faure et des comités de surveillance, elle ne concerne que Mirecourt et partiellement Bruyères. Les municipalités n’assurent que la surveillance quotidienne par la distribution des certificats de civisme ou de résidence, et la délivrance de passeports.

    Municipalités et déchristianisation

    20Une cinquantaine de délibérations concernent la politique ou les effets de la déchristianisation, elles permettent de jauger ses modalités d’application dans les Vosges. Les données partielles sur ces quinze communes rejoignent les résultats présentés par Michel Vovelle : un faible impact des politiques déchristianisatrices4. La déchristianisation démarre sous l’impact de l’arrêté des représentants en mission Milhaud et Guyardin du 17 brumaire an II. Après avoir repris une « grande vérité […] d’un des pères les plus illustres de l’Église », « que dans le temps qu’on se servait des calices en bois, les prêtres étaient d’or, et que lorsque les calices étaient d’or, les prêtres étaient de bois », l’arrêté ordonne que « l’exercice du culte est restreint dans les bâtiments particuliers qui lui sont destinés ; tout signe extérieur d’opinions religieuses disparaîtra des rues, des places et chemins publics ; les ornements scandaleux d’or et d’argent, qui ont trop longtemps insulté à la misère du peuple et déshonoré la simplicité de la véritable religion, seront enlevés de tous les temples et de tous les édifices […] et portés aux départements pour être ensuite déposés sur l’autel de la patrie ; les ministres des cultes qui, par l’acte sublime du mariage et par le concours de leurs lumières, briseront le bandeau de l’erreur, apprendront au peuple la sainte vérité, et tâcheront de réparer les maux affreux que l’hypocrisie de leurs prédécesseurs a vomis sur la surface de la terre »5.

    21Ce programme global de déchristianisation visible est mis en application par la destruction (modérée) des croix à Bruyères, par l’inventaire et la livraison des objets d’or et d’argent (Plombières, Frenelle, Gérardmer, Mirecourt, après le changement de municipalité), par la transformation plus ou moins réelle des églises en temples de la Raison. Le plus souvent, on trouve dans les délibérations que telle ou telle cérémonie aura lieu dans le « temple de la raison » sans qu’il y ait eu auparavant une délibération évoquant la transformation du bâtiment. Par contre, à Gérardmer une délibération annonce que l’église est transformée en temple de la Raison, des rideaux de toile blanche ont été tendus devant les arcades6 ; à Plombières, le conseil décide le 19 prairial an II que la ci-devant église devenue le « temple de la raison » ne pourra plus servir au culte catholique, mais uniquement à « la célébration des fêtes décadaires, à la reconnaissance de l’être suprême, à la publication des lois, aux assemblées primaires et toutes autres vouées à l’instruction et au Salut de la patrie »7.

    22L’abandon des fonctions sacerdotales demandé par les représentants s’opère immédiatement dans les villages de Nonville et de Belmont dont les habitants somment le vicaire « d’abjurer ses fonctions et que le temple ci devant paroissial sera désormais érigé temple de la raison […] et sommation sera faite audit Noël de célébrer chaque jour de décade les fêtes nationales, que toutes autres seront supprimées »8. Ailleurs, la démission se fait plus laborieusement : à Boulaincourt, le conseil général de la commune et les habitants délibèrent le 2 nivôse an II (22 décembre 1793) pour demander au « pasteur » de continuer ses fonctions, mais, le 20 pluviôse (8 février 1794), celui-ci « renonce à exercer aucune fonction du ministère »9.

    23Des municipalités tentent de maintenir le culte catholique en s’appuyant sur la Constitution et les décrets de la Convention qui réaffirment la liberté de culte : à Bruyères, la municipalité s’appuie sur une pétition de la Société populaire signée de 99 personnes et fait délibérer l’assemblée de la commune le 2 nivôse an II (dimanche 22 décembre 1793) sur trois questions :

    « 1ère question : La commune de Bruyères conservera-t-elle le culte catholique ? 2ème question : La commune de Bruyères conservera-t-elle son curé actuel ? 3ème question : Fera-t-on une adresse à la Convention nationale pour l’instruire des résolutions que l’assemblée aura prises et la remercier du décret qu’elle a porté qui défend de troubler l’exercice d’aucun culte ? Toutes les questions ont été accueillies et résolues à l’unanimité par l’affirmative, à l’exception de deux citoyens »10.

    24À Gérardmer, le conseil affirme directement : « Considérant que la Sublime Constitution, que le Peuple souverain a acceptée avec enthousiasme, garantit à chaque citoyen le libre exercice de son culte, que ce même droit est consacré par les Droits de l’Homme, et tout récemment encore par un décret solennel de la Convention nationale », la municipalité demande que le culte catholique s’exerce « comme ci-devant », c’est-à-dire sans changement (13 nivôse – 2 janvier 1794) « voulant autant que possible assurer le calme des esprits et seconder le vœu bien prononcé de tous les citoyens de la commune »11. Elle dénonce même les fanatiques, « des malveillants qui s’agitent en tous sens pour persuader [le] peuple, que nos augustes Représentants cherchent à anéantir la Religion ».

    25Mais ces démarches sont vaines et dans les deux communes de Bruyères et de Gérardmer la déprêtrisation s’effectue et les curés démissionnent : début janvier 1794, le curé Sébille abandonne toutes ses fonctions, expliquant qu’il « voyait la défaveur jetée sur les prêtres par l’opinion publique »12, il remet, le 11 germinal (31 mars 1794), ses lettres de prêtrise et celle de sa nomination comme curé de Bruyères13. Le 7 messidor an II, Jean-Georges Colin « cesse ses fonctions, provisoirement » et affirme qu’en « toute occasion, il s’empresserait de donner des preuves de son attachement à la patrie et en particulier à ses concitoyens de Gérardmer ». Les deux autres vicaires démissionnent aussi, se proposant de rester dans la commune et affirmant leur patriotisme et leur soumission aux lois14.

    26Le culte de l’Être suprême, plus significatif du souci de déchristianisation mais simultanément d’effort de ralliement des croyants à l’idée républicaine, est mentionné dans plusieurs registres municipaux, sous la forme de la fête qui est célébrée en prairial en même temps ou peu après celle de Paris. La municipalité de Bruyères décrit ainsi la fête le 20 prairial an II : rassemblement sur la place de la Liberté, roulement de tambours et coups de canon, cortège vers le « temple dédié à l’Éternel et à la Raison », célébration de la fête avec discours, puis « le président de l’administration adresse à l’Être suprême les vœux des Français et de ses concitoyens contenus dans une prière qu’il prononce à haute voix, de manière à être entendue et répétée par l’assemblée ; il [est] ensuite chanté des hymnes en l’honneur de l’Être suprême, de la nature, de la Liberté, de la raison, de l’amour de la patrie, de la reconnaissance due à ses défenseurs et de la haine que tout républicain doit porter au fanatisme et aux tyrans ». La fête se termine par des danses et des « promenades civiques »15.

    27La déchristianisation s’opère donc en douceur, sans manifestation anti-cléricale, sans pression manifeste des autorités départementales ou municipales, avec retard, comme si les autorités voulaient résister à cette vague de déchristianisation, pour ne pas heurter ces populations catholiques attachées à la religion mais aussi fermement patriotes et dévouées à la République.

    La Terreur dans les domaines de l’économie : un topos ?

    28La politique économique de la Convention montagnarde mise en place empiriquement pour répondre aux demandes des sans-culottes, pour lutter contre l’inflation et la dévalorisation de l’assignat, mais aussi pour faire face à l’effort de guerre16, se répercute de façon majeure dans les municipalités qui doivent la mettre en application.

    L’acceptation de l’effort de guerre

    29L’effort de guerre est l’aspect majeur des délibérations de l’an II : 677 délibérations concernent les réquisitions de grains (blé, orge, seigle, sarrasin), les réquisitions de fourrages (avoine, foin et paille), les réquisitions des moyens de transport (voitures et animaux de traits), quelques autres réquisitions de produits agricoles (fruits, beurre, fromages, chanvre, animaux pour la boucherie). Les réquisitions portent aussi sur des biens issus de l’artisanat ou de l’industrie : cuirs, harnais et chaussures, métaux et armes, salpêtre à récolter dans les caves et cendres, chaux, charbons de bois, toiles et linges. Enfin quelques délibérations portent sur la réquisition de main d’œuvre pour moissonner dans la Meurthe, battre les grains dans la plaine, travailler aux fortifications de Neuf-Brisach… même si parfois des réticences s’expriment : « Nous ne pouvons pas envoyer de main d’œuvre, nous sommes dans nos petites moissons, vingt-trois envoyés dans la Meurthe ne sont pas revenus, les manœuvres n’ont jamais touché une faucille, les manœuvres sont allés défendre la patrie, c’est la récolte des pommes de terre, seules ressources des manœuvres pour se sustenter eux et leur famille »17.

    30S’y ajoutent de nombreuses délibérations pour appeler à verser les grains ou fourrages sans retard, pour contrôler les réserves, perquisitionner dans les granges et greniers pour vérifier les déclarations de récoltes : cette inquisition, ces visites répétées et les pressions qui les accompagnent peuvent-elles être qualifiées de Terreur ? Ou simplement de pressions comme en témoigne cette délibération de Belmont : « Perquisitions chez la veuve Petit qui cache des grains, agissant avec notre patriotisme ordinaire et voulant vaincre l’égoïste et l’indifférent »18. Les délibérations utilisent de temps en temps la menace de « mesures révolutionnaires » ou évoquent l’arrivée prochaine de « l’armée révolutionnaire » qui prendra tout. Dans quelques cas, les districts menacent de l’envoi de garnisaires pour obliger les villageois à verser leurs grains.

    31Les municipalités jouent un rôle fondamental dans le processus classique des réquisitions demandées par les représentants en mission, les généraux des armées ou les comités de la Convention ; elles sont transmises au département qui répartit entre les districts, qui à leur tour répartissent entre les cantons et les communes proportionnellement aux possibilités agricoles ou industrielles ; enfin les conseils généraux des communes sollicitent les citoyens en fonction de leurs récoltes et de leur activité : les manœuvres sont plutôt requis pour les transports ou les travaux hors du village, ou sont incités à s’engager dans les armées. À tous les niveaux, l’argumentation patriotique, la nécessité d’un effort en faveur des armées et des défenseurs de la patrie, prime sur la contrainte et les menaces. De nombreuses délibérations reprennent ces thèmes pour convaincre de verser malgré les problèmes alimentaires. Face à cette pression et ces exigences, même argumentées, les délibérations municipales ne mentionnent pas de refus ou de résistances, tout au plus manifestent-elles des lenteurs et des argumentations pour expliquer que la ville ou le village est dépourvu de grains de fourrages ou de moyens de transport. À plusieurs reprises, les conseils engagent des dépenses pour répondre aux demandes que les productions locales ne peuvent satisfaire, ainsi le conseil de Plombières achète-t-il du foin aux villages voisins et en Haute-Saône.

    32Cependant, ces arguments peuvent être des moyens dilatoires qui apparaissent très bien dans le cas de Mirecourt avec le contraste entre l’attitude de la municipalité modérée qui traîne pour exécuter les ordres et la montagnarde qui met beaucoup plus d’énergie.

    33Enfin, ces délibérations sont prises dans tous les types de commune, plaine, montagne ou ville, c’est bien l’aspect majeur de l’activité municipale. Mais, en 1793 et en l’an II, aucune révolte, aucun refus n’est à signaler et partant aucune répression.

    L’acceptation du contrôle de l’économie

    34Le contrôle de l’économie apparaît bien comme lié aux circonstances de la guerre et de la mobilisation patriotique, et les municipalités, même les plus modérées et les plus attachées à la liberté économique (le cas de Mirecourt est flagrant) l’acceptent de fait et ont une part d’initiative dans cette économie dirigée.

    35Pour assurer le ravitaillement des villes, leurs conseils s’attachent, surtout du printemps à l’automne 1793, à rechercher des grains pour garnir les marchés et distribuer des grains aux pauvres, pour éviter des émeutes. Est-ce le retour des anciennes procédures des polices des marchés ? Non, car on se trouve bientôt dans un contexte nouveau, défini par la Convention : le Maximum des prix et les réquisitions pour les villes et pour l’armée. D’abord les communes envoient des commissaires dans les villages proches, les cantons, puis les districts et les départements voisins, pour acheter des grains auprès des paysans ; c’est très vite un échec ; les communes demandent alors aux districts de réquisitionner les grains dans les villages voisins pour obliger les cultivateurs à les livrer sur les marchés et elles protestent ensuite contre la faiblesse des résultats qu’elles expliquent par le poids des réquisitions pour l’armée et le refus des paysans à vendre à prix fixé : « depuis le maximum » les cultivateurs n’amènent plus leurs grains sur le marché19.

    36Les municipalités, sur l’ordre du département, contrôlent aussi la validité des assignats, traquent la fausse monnaie, veillent à ce que les assignats ne soient pas refusés comme moyen de paiement et surveillent le respect du Maximum ; à cette époque très peu de délibérations notent ces refus ou violation du Maximum des prix. L’emploi du mot « Terreur » pour qualifier ces pratiques est évidemment synonyme de circonstancielle.

    37Enfin, les municipalités, sous l’impulsion de la Convention, dressent la liste des indigents et des parents de défenseurs de la patrie nécessiteux et assurent la distribution trimestrielle des secours en argent provenant du receveur du district.

    38Peut-on rapporter cette politique économique à une expression de la Terreur ? Serait alors Terreur tout ce qui ne relève pas du libéralisme économique, or dans les villes étudiées et les gros bourgs, comme à la Convention, la bourgeoisie, même moyenne renonce aux principes du libéralisme économique en acceptant les mesures de contrôle économique pour maintenir l’ordre, se prémunir des insurrections populaires et faire face aux besoins de l’armée pour défendre la patrie.

    Quelle chronologie et quelles limites chronologiques ?

    39Les résultats qui viennent d’être présentés portent sur la totalité des deux années 1793-1794. Il aurait été possible, techniquement, de se limiter aux bornes établies par le colloque, printemps 1793 – été 1794, mais j’ai préféré prendre l’ensemble des deux années pour mieux lire l’évolution sur un temps un peu plus long et tester la pertinence des limites chronologiques proposées.

    40Le graphique établi mois par mois, de janvier 1792 à décembre 1795 fait apparaître quatre périodes de janvier 1793 à décembre 1794 :

    41De janvier à avril-mai 1793, le nombre des délibérations croît de mois en mois, poursuivant la tendance de l’année 1792. Les conseils se réunissent plus souvent pour traiter l’urgence créée par la guerre, effectuer la levée des hommes, mais aussi et surtout pour régler un premier affrontement politique entre municipalités modérées et comités de surveillance : c’est le moment de mise en œuvre de la politique dite de la « Terreur ».

    Graphique 2 : Nombre et thèmes des délibération par mois, janvier 1792-décembre 1795

    Image

    42La deuxième phase, de juin à décembre 1793, est une phase de moindre activité municipale : les municipalités modérées, restées en place et contestées à l’automne, doivent faire face aux problèmes alimentaires et aux premières réquisitions, mais l’essentiel des activités et des affrontements politiques, semble se dérouler en dehors des instances municipales et s’établir dans la société civile elle-même.

    43La troisième phase, de janvier à juillet-août 1794, est caractérisée par une intense activité municipale liée à la permanence effective des sessions municipales, à l’effet du décret du 14 frimaire sur l’organisation du gouvernement révolutionnaire, qui renforce les conseils généraux des communes contre les comités de surveillance, et à l’effort de guerre, notamment les multiples réquisitions : c’est le moment de la mobilisation politique maximale.

    44Enfin, la quatrième phase, à partir d’août 1794, se traduit par une baisse rapide des activités municipales, mais les formes et l’activité de l’effort de guerre se poursuivent au moins jusqu’en décembre. Cette baisse s’accentue en 1795 et revient au niveau antérieur à la Terreur, à la mesure même des succès politiques et militaires enregistrés à partir du printemps 1794.

    Conclusion

    45Malgré la richesse des registres de délibérations qui montrent l’impact local de la politique montagnarde, l’aspect terroriste apparaît peu et le terme de Terreur n’est jamais utilisé. La faiblesse de ces données m’amène à douter de la pertinence de ces sources municipales. Les registres municipaux peuvent-ils être une source fiable pour étudier la période de la Terreur ? Ils montrent une réalité différente de celle décrite par maints ouvrages, que ce soit ceux des érudits du xixe siècle ou des historiens hostiles à la Révolution. À moins que mes résultats représentent une spécificité vosgienne de patriotisme et d’adhésion à la politique de la République.

    46Pourtant ces registres permettent de fonder une argumentation qui témoigne de la politisation et de la républicanisation des villes et villages vosgiens : globalement, les municipalités adhèrent avec modération à cette politique, elles développent une rhétorique propre à convaincre les citoyens de la nécessité de l’effort de guerre et on ne note aucune trace de résistance, tout au plus quelques lenteurs qui seront plus fortes en l’an III et l’an IV. L’adhésion à la politique de défense de la patrie explique-t-elle l’acceptation du régime, l’absence de résistances et donc l’établissement d’une politique de Terreur modérée, limitée ! On ne trouve pas plus de conflits entre villes et campagnes, ni entre municipalités et comités de surveillance qui sont devenus après frimaire des organes de mise en application de la politique montagnarde. Ces conclusions sont-elles valables dans les autres communes du département et plus loin dans le reste de la Lorraine notamment20. Une enquête nationale serait assurément souhaitable.

    47Ces délibérations municipales montrent ainsi le rôle majeur tenu par le conseil général de la commune, relais efficace entre le district et les habitants, relais de la politique montagnarde, sans qu’il y ait à proprement parler de Terreur dans les villes et villages vosgiens étudiés.

    Notes de bas de page

    1 Brice Humbertclaude, Ventron, un village vosgien pendant la Révolution, mémoire de maîtrise, Université Nancy 2, 2004.

    2 J’ai noté entre parenthèses le nombre des réunions de 1789 à 1816.

    3 Jean-Paul Rothiot, « Jean-Baptiste Salle et l’affaire des cloches », dans Jean-Paul Rothiot et Robert Loiseau (dir.), Figures de la Révolution et de l’Empire, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1992, p. 131-162.

    4 Michel Vovelle, La Révolution contre l’Église, de la raison à l’Être suprême, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988.

    5 André Philippe, Les représentants du peuple en mission et le département des Vosges, 1792-1797, Épinal, 1931, p.119-120.

    6 AC Gérardmer, Registre des délibérations municipales IV, 17 germinal an II.

    7 AC Plombières, délibération du 19 prairial an II.

    8 ADV, Edpt 49/1D1, registre des délibérations de Belmont-lès-Darney, 14 pluviôse an II.

    9 Ibid., Edpt 68/1D1, registre des délibérations de Boulaincourt, 2 nivôse et 20 pluviôse an II.

    10 Ibid., Edpt 80/D11, registre des délibérations municipales, 2 nivôse an II.

    11 AC Gérardmer, Registre des délibérations municipales, 13 nivôse an II.

    12 ADV, Edpt 80 / D14, registre des délibérations municipales de Bruyères, 9 thermidor an II.

    13 Ibid., Edpt 80 / D14, registre des délibérations municipales de Bruyères, 11 germinal an II.

    14 AC Gérardmer, Registre des délibérations municipales, 7 et 13 messidor an II.

    15 ADV, Edpt 80 / D15, registre des délibérations municipales de Bruyères, 18 prairial an II.

    16 François Hincker, La Révolution française et l’économie, décollage ou catastrophe ? Paris, Nathan, 1989 ; Gérard Beaur, « L’histoire économique de la Révolution n’est pas terminée », dans Martine Lapied et Christine Peyrard (dir.), La Révolution française au carrefour des recherches, Publications de l’Université de Provence, 2003.

    17 ADV, Edpt 356 / 1D3, registre de délibérations de Plainfaing, 9 et 13 thermidor an II.

    18 Ibid., 49 / 1D1, registre de délibérations de Belmont-lès-Darney, 19 germinal an II.

    19 Jean-Paul Rothiot, « Les représentants en mission face au dilemme de ravitailler les armées ou la population civile (l’exemple des Vosges en 1793) », AHRF, 2007, n°1, p. 47-66.

    20 Des travaux d’étudiants en master sont en cours sur les municipalités lorraines, Cireysur-Vesouze, Longwy et Gorze.

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    1 Brice Humbertclaude, Ventron, un village vosgien pendant la Révolution, mémoire de maîtrise, Université Nancy 2, 2004.

    2 J’ai noté entre parenthèses le nombre des réunions de 1789 à 1816.

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    4 Michel Vovelle, La Révolution contre l’Église, de la raison à l’Être suprême, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988.

    5 André Philippe, Les représentants du peuple en mission et le département des Vosges, 1792-1797, Épinal, 1931, p.119-120.

    6 AC Gérardmer, Registre des délibérations municipales IV, 17 germinal an II.

    7 AC Plombières, délibération du 19 prairial an II.

    8 ADV, Edpt 49/1D1, registre des délibérations de Belmont-lès-Darney, 14 pluviôse an II.

    9 Ibid., Edpt 68/1D1, registre des délibérations de Boulaincourt, 2 nivôse et 20 pluviôse an II.

    10 Ibid., Edpt 80/D11, registre des délibérations municipales, 2 nivôse an II.

    11 AC Gérardmer, Registre des délibérations municipales, 13 nivôse an II.

    12 ADV, Edpt 80 / D14, registre des délibérations municipales de Bruyères, 9 thermidor an II.

    13 Ibid., Edpt 80 / D14, registre des délibérations municipales de Bruyères, 11 germinal an II.

    14 AC Gérardmer, Registre des délibérations municipales, 7 et 13 messidor an II.

    15 ADV, Edpt 80 / D15, registre des délibérations municipales de Bruyères, 18 prairial an II.

    16 François Hincker, La Révolution française et l’économie, décollage ou catastrophe ? Paris, Nathan, 1989 ; Gérard Beaur, « L’histoire économique de la Révolution n’est pas terminée », dans Martine Lapied et Christine Peyrard (dir.), La Révolution française au carrefour des recherches, Publications de l’Université de Provence, 2003.

    17 ADV, Edpt 356 / 1D3, registre de délibérations de Plainfaing, 9 et 13 thermidor an II.

    18 Ibid., 49 / 1D1, registre de délibérations de Belmont-lès-Darney, 19 germinal an II.

    19 Jean-Paul Rothiot, « Les représentants en mission face au dilemme de ravitailler les armées ou la population civile (l’exemple des Vosges en 1793) », AHRF, 2007, n°1, p. 47-66.

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    Les politiques de la Terreur

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    Rothiot, J.-P. (2008). La période de la Terreur dans les villes et villages vosgiens. In M. Biard (éd.), Les politiques de la Terreur. Rennes: Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.4449
    Rothiot, Jean-Paul. « La période de la Terreur dans les villes et villages vosgiens ». In Les politiques de la Terreur, édité par Michel Biard. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2008. doi:10.4000/books.pur.4449.
    Rothiot, Jean-Paul. « La période de la Terreur dans les villes et villages vosgiens ». Les politiques de la Terreur, édité par Michel Biard, Presses universitaires de Rennes, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pur.4449.

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    Biard, M. (éd.). (2008). Les politiques de la Terreur. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Société des études robespierristes. https://doi.org/10.4000/books.pur.4434
    Biard, Michel, éd. Les politiques de la Terreur. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Société des études robespierristes, 2008. doi:10.4000/books.pur.4434.
    Biard, Michel, éditeur. Les politiques de la Terreur. Presses universitaires de Rennes, Société des études robespierristes, 2008, https://doi.org/10.4000/books.pur.4434.
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