N° IV. La Sentinelle du Peuple
p. 35-40
Texte intégral
Aux gens de toutes Professions, Sciences, Arts, Commerce et Métiers, composant le Tiers-État de la Province de Bretagne
1AMIS et CITOYENS, L’Ecrivain Gentilhomme1 dit que M. Cottin a fait une démarche illégale, en portant sa Requête au Roi ; qu’il devait la présenter aux Etats, seuls compétans en matière de Constitution. Il a raison, ce Gentilhomme : nous plaidons sur l’incompétence ; il faut prendre la Partie pour Juge ! – Mais, dit-il, vous avez le Tiers aux Etats. – Oui, et vous le tout. Nous dirons, Messieurs de la Noblesse, vous plaît-il nous donner des Représentons ? VETO : Vous plait-il corriger tant d’abus ?... VETO : plus rien à faire ! Et cependant nos Municipaux de Rennes et nos Avocats jurent par le Veto.
2Les Etats ont seuls droit de juger. Nous le savons bien ; mais vous, Nobles, vous entendez les Etats comme ils sont, et nous, comme ils doivent être ; c’est-à-dire où tout le Peuple Breton sera dûment représenté par un nombre suffisant de Députés qu’il aura librement choisis, et non des Etats composés de Députés partiaux et insuffisans, et de Nobles factieux entachés désormais de la honte publique de la vénalité2.
3Citoyens, j’ai de l’humeur aujourd’hui, et quand je vous aurai raconté les nouvelles, vous verrez si je n’ai pas raison.
4Néanmoins, pour procéder méthodiquement, j’ai voulu éclaircir ce que les Nobles entendent par leur droit de naissance d’assister aux Etats. J’ai donc été chez un Docteur en Médecine, et je lui ai demandé si, en naissant, les enfans nobles avaient quelque chose de particulier. Rien, m’a-t-il dit : comme tous les autres, ils sont de petits enfans bien pleureurs et bien faibles. – Et des Droits ? Il n’en ont qu’à la pitié. – Mais le droit de séance aux Etats ? Oh ! cela regarde l’autre faculté.
5J’ai donc été chez un Jurisconsulte, et je lui ai demandé si de tous temps tous les Nobles de Bretagne avaient eu droit d’assister aux Etats. Non, m’a-t-il dit. Nos Ducs, qui étaient de petits Despotes Féodaux, comme tous les Souverains de leurs temps, n’y appellaient que ceux qu’il leur plaisait d’appeller, ou qui étaient assez forts pour les y contraindre. Ce ne fut qu’à l’époque de la Ligue que le parti d’Henri IV, et celui de Mercœur, divisant la Bretagne, chacun d’eux tint en même temps des Etats, où, pour accroître ses forces, il admit quiconque se présenta. C’est ainsi que dans nos troubles derniers les Nobles de cent ans et plus ont admis à leurs Assemblées, et associé à leurs signatures, les Annoblis de nouvelle date, afin d’opposer plus de force aux attaques des deux Ministres. Mais, ai-je dit, comment définissez-vous donc le droit de séance ? – Je le définis un droit d’usage, de convention, de circonstances. – Et le droit de naissance ? – Il est le même que pour tous les autres Citoyens. Chacun a le droit d’assister aux Etats, c’est-à-dire, à l’Assemblée de la Nation dont il fait partie : Mais comme ce serait une cohue, l’on convient de nommer des Fondés de procuration, des Représentans ; et il serait déraisonnable qu’une Classe eût à cet égard des prérogatives.
6Or donc, je dis que puisque nous ne sommes plus au temps de la Ligue, puisque les circonstances ont changé, notre conduite doit changer aussi ; par conséquent retirant notre consentement, en supposant qu’il fût donné, nous abolissons le droit d’usage par notre droit de l’abroger ; et cette abrogation est légale, quoiqu’en dise le Gentilhomme, parce que la Loi est la convention faite par le Peuple ; il ne lui manque, que d’être mise en vigueur par le Roi ; et c’est pour cet effet que M. Cottin, en son nom et au nôtre, a recouru à son autorité.
7Qu’a demandé M. Cottin ? Que demandons-nous nous-mêmes, sinon que l’on nous assemble pour constater notre desir ? L’on dit que nous n’avons pas le droit d’articuler les Chefs portés en la Requête : eh bien ! Nous les retirons ; mais nous demandons qu’on nous assemble ; nous le demandons, nous qui ne sommes point la Populace de Quimper, quoique l’on veuille nous y confondre, mais qui sommes les Habitans et Officiers Municipaux des Villes de Nantes, St. Malo, Vitré, Rennes, Rhedon, Montfort, etc. et les Habitans des Campagnes, Propriétaires, Laboureurs, Artisans, Marchands, qui sommes le Peuple de Bretagne, nous demandons qu’on nous assemble ; nous disons plus : Nous le voulons ; parce que cette Volonté est notre Droit, attendu que nous sommes le Peuple, – le Peuple, dont la Volonté est essentiellement LÉGALE, parce que l’intérêt du Peuple est essentiellement L’INTÉREST Public.
8Mais cette Assemblée légale est précisément ce que les Nobles redoutent : Eh ! pourquoi la redoutent-ils ? Eux-mêmes ont l’imprudence de nous en dire la raison : c’est que, disent-ils page 4 de la Réponse, leurs intérêts ne sont pas les mêmes que les nôtres ; c’est-à-dire qu’il leur importe peu qu’un Ennemi étranger envahisse nos fortunes, pourvu qu’il respecte les leurs ; c’est-à-dire qu’il leur importe peu que les Ministres nous écrasent, pourvu qu’ils les ménagent ; c’est-à-dire qu’il leur importe peu que la Nation soit anéantie, pourvu qu’eux-mêmes subsistent ; c’est-à-dire que parmi nous il existe une Nation qui nous est étrangère ; une Nation qui a des intérêts différens ; que dis-je ? différens ! des intérêts contraires, opposés aux nôtres ; c’est-à-dire, en un mot, que dans notre sein nous nourrissons nos ennemis.
9Oui, nos ennemis, et des ennemis aussi cruels que les Anglais et les Autrichiens ; car que ferait de plus une horde étrangère, si elle pénétrait en Bretagne, que de lever sur nous des contributions, d’envahir nos biens, nos fortunes, de violer nos libertés et d’attenter à nos personnes ? et, n’est-ce pas-là ce que font journellement nos Gentilshommes ? N’est-ce pas eux qui épuisent le Trésor Public ; lèvent, sous le nom de pensions, de graces, bienfaits et gages, de vraies contributions hostiles ? Si les Ministres et le Roi redoublent le poids des Impôts, n’est-ce pas eux, qui, sous le nom de Courtisans, Officiers, Magistrats les devorent, et sont les vrais moteurs de l’exaction et du despotisme ? N’est-ce pas eux qui, par des exclusions de toute espéce, portent atteinte à nos droits, et enchaînent notre industrie ? N’est-ce pas eux qui, par l’effet de Loix qu’ils dictent, accumulent en leurs mains toutes les propriétés et nous réduisent à l’état de mercénaires ? N’est-ce pas eux enfin qui, dans ce moment, attentent aux restes de nos libertés, à la sureté de nos per sonnes, par leurs instigations auprès du Ministre, par leurs manœuvres corruptives, à Nantes et à Rennes, et par leurs violences récentes à Saint Brieuc.
10C’est un acte criant de despotisme que ce qui vient de se passer à Saint Brieuc. Sur les réclamations des Citoyens il y avait eu Assemblée de Ville. Le Juge Royal3 s’était chargé de porter le vœu du Tiers-Etat. Pendant qu’il remplissait ses fonctions, un Noble de la Commission des Etats l’a dénoncé aux Juges Seigneuriaux du lieu, qui, contre le texte formel des Ordonnances, sont descendus dans l’Assemblée, et l’ont troublée par leur présence, et par la rédaction d’un Procès-verbal. Sur ce, Plainte, Information et Sentence qui renvoie l’affaire à la Cour (du Parlement). Là un Avocat-Général-Noble a donné un réquisitoire à des Magistrats Nobles, d’où doivent résulter quatre décrets contre des Citoyens, dont le grand crime est d’avoir excité des réclamations justes.
11Qu’on fait de plus les Duumvirs Ministres, quand, dans les Chambres Assemblées, ils firent descendre des Porteurs d’Ordres tyranniques ? qu’ont fait de plus les Agens du Despotisme, quand, forçant l’Hôtel de Cuillé, ils ont troublé le Sinode des Magistrats ? et cependant cette Assemblée était nocturne et clandestine ; elle n’avait pas les formalités prescrites... Et aujourd’hui, que par un concours solennel le Peuple se porte à des Assemblées licites ; aujourd’hui qu’il vit sous les Loix que son courage a conservées, ces mêmes Gentilhommes de robe et d’épée, si fiers ennemis des tyrans se revêtent de la tyrannie ! Ils se substituent aux Ministres ! Ils agissent dans leur esprit, raisonnent par leurs argumens, et parlent jusqu’à leur langage ! Car c’est un tableau de comparaison à la fois curieux et indignant que celui de leurs défenses contre le Roi, et de leurs défenses contre le Peuple. Il se trouve qu’ils disaient alors tout ce que nous disons aujourd’hui ; et qu’ils nous répondent aujourd’hui tout ce qu’on leur répondait alors. Ils réclamaient la liberté des hommes, les droits des Citoyens, le rétablissement et l’observation des Loix qui fondent la prospérité de l’Etat sur le bien-être de chacun de ses Membres ; et c’est ce que nous réclamons. Ils attaquaient des empiétemens d’autorité sur les dépositaires légitimes, des usurpations de pouvoir destructives de la Société, des infractions de Loix expresses ou tacites, mais évidentes, parce qu’elles sont naturelles ; ils protestaient contre des usages déjà invétérés, par la raison que les abus ne se confirment point par l’usage, et que la Justice, la liberté sont des Loix antérieures et imprescriptibles ; et voilà ce que maintenant ils défendent !
12Que si le Roi les eût pris pour Ministres, soutenant sa Cause des mêmes argumens qu’ils emploient pour la leur, ils eussent dit qu’ayant reçu de ses ancêtres un pouvoir arbitraire, ce pouvoir était devenu son patrimoine, et que l’on ne pouvait le restreindre dans ses limites, sans violer la propriété ; qu’ayant, depuis plus deux siècles, fait usage des Lettres de Cachet, l’habitude les avait consacrées : et ils eussent cité en leur faveur les Arrêts de tous les Parlemens qui, en 1703, les ont sanctionnées par leurs enrégistremens ; ils eussent légitimé le prétendu droit d’imposer, par tous les actes approbatifs dont sont remplis les Registres des Cours ; ils eussent soutenu à la Nation que les Magistrats étaient ses vrais Députés, etc. etc. etc. Et, n’est-ce pas ainsi qu’ils raisonnent, quand ils défendent leurs abusives immunités d’impôts, leurs usurpations de prérogatives ; quand ils nous disent que nos Etats actuels sont les Représentans de cette Province ; quand ils affirment qu’il y a entre les Trois Ordres parité d’influence, balance d’autorité. En vain leur montre-t-on au doigt que les faits seuls démentent leurs assertions ; qu’il n’y a point d’égalité, parce qu’il y a deux Ordres contre un ; parce que, dans l’Ordre du Tiers, les Représentans ne sont point avoués, parce que le choix des Députés n’a été ni complet ni libre ; parce que, ces Députés la plupart gangrénés de l’esprit noble, sont déjà les ennemis du Peuple. Ils ne démordent de rien et nient jusqu’à l’évidence, avec le front des Brienne et des Lamoignon.
13Et c’est à de semblables Juges que nous devons porter nos plaintes ! C’est devant un tel Tribunal que doit se plaider notre Cause !
14O ! si le sort m’eût fait la faveur de me placer aux premiers rangs du Peuple ; si la plus humble des Villes qui députent m’eût chargé du soin de sa défense ; honoré d’un si saint emploi, j’eusse porté à le remplir des sentimens qui m’en auraient rendu capable ; siégeant dans la Salle des Etats le dernier parmi mes Confrères, ni la solemnité du Spectacle, ni la multitude des Gentilshommes, ni l’ostentation de leurs dignités, ni le son pompeux de leurs titres, ni la comparaison de notre petit nombre ne m’en auraient pu imposer. Contemplant d’un œil calme ce grand appareil, j’aurais attendu en silence, qu’arrivât mon rang de parler ; et quand après quelques débats nos Députés partiaux ou intimidés auraient lâchement rendu les armes, moi prononçant mon opposition, je me serais enfin levé. Sans doute un murmure éclatant eût accueilli ma résistance ; mais paisible dans le tumulte, en mon maintien ferme et décent, modeste sans abaissement, assuré, mais sans arrogance, j’eusse laissé un libre cours à la clameur de l’intérêt blessé, et lorsque la rumeur populaire se serait enfin épuisée ; alors, le cœur plein de la grandeur de mon ministère, fort du cri de ma conscience, gage de succès, je serais descendu dans l’Arène pour y lutter seul contre tous. Que dis-je, seul ! tandis que les yeux du vulgaire m’auraient vu faible et isolé ; mon imagination plus vraie réalisant à mes regards la Nation entière que j’aurais eu l’honneur de représenter m’eût environné tout-à-coup d’une multitude innombrable ; j’eusse embrassé, dans mon esprit, toute l’étendue de la Bretagne ; j’eusse compté ses Bourgs, ses Hameaux, ses Ports, ses Arsenaux, ses Villes ; j’eusse assemblé leurs Habitans de tous les âges et de tous les sexes ; j’eusse convoqué les Laboureurs, les Artisans, les Matelots, les Négocians, les Corps de Métiers, les Familles, Hommes, Vieillards, Femmes, Enfans, et j’aurais fait descendre toute cette multitude au milieu de la Salle du Théâtre4 : alors aggrandissant mon Ame de ce spectacle, j’aurais accumulé dans mon sein les volontés, les intérêts, les opinions, le courage de tant de milliers de Citoyens ; et ayant pour force de raisonnement, la vérité, la justice ; pour éloquence, un sentiment profond d’indignation et de pitié ; pour talent, l’enthousiasme du bien public ; j’eusse fait tonner sur l’Assemblée des Nobles la voix de deux millions d’hommes, et j’aurais écrasé de la puissance de tout un Peuple cette petite troupe de rebelles.
15Citoyens, j’étais dans l’agitation de ces sentimens, lorsque mon Ami est rentré chez moi. Plein de mon sujet, voiez, lui ai-je dit, l’indignité de ces Nobles de robe et d’épée ! et lui racontant ce qu’ils ont fait à Saint Brieuc, à Quimper5, à Nantes, à Rennes, etc. Croiriez-vous, ai-je ajouté, que nombre d’entr’eux ont le front de dire que s’ils eussent deviné cela, ils eussent laissé faire les Ministres ? Mon Ami, m’a-t-il dit, appaisez-vous, vous êtes trop ému ; sans doute ceux qui tiennent ces propos sont des Gens mal-honnêtes. Mais ces gens-là raisonnent juste : car les Ministres tenaient leur jeu ; le mal est que les deux Fripons n’ont point voulu de partages. Que faire à cela ? Tout l’Ordre à-la-fois ne peut pas être Ministre. – Et ces Parlemens, ai-je repris, qui prétendent que nous sommes des ingrats, comme s’ils n’avaient pas dû cette expiation à tant de fautes ; comme si leur bienfait n’était pas leur devoir, et leur intérêt propre ? – Mon ami, vous avez raison ; il y a moins d’ingrats qu’on ne pense ; mais les bienfaiteurs sont des usuriers qui prêtent cent pour avoir mille. Aussi un Philosophe6 a dit, l’histoire des bienfaiteurs est un chapitre à ajouter à l’histoire des tyrans.
16Tout ceci me rappelle celle de cet Italien qui pendant qu’il fut Cardinal fit si bien la guerre au Pape qu’il le dépouilla de presque toutes ses prérogatives ; et qui, ensuite devenu Pape, la fit si bien aux Cardinaux qu’il les remit en esclavage.
17Mon ami, voilà l’Histoire universelle, nous avons tous la manie du pouvoir ; à bien, à mal, nous voulons tous être Despotes. Dans l’Etat, chaque individu, chaque corps s’efforce d’attirer à soi la puissance ; or, comme elle réside dans le Peuple, chacun l’appelle à son secours, et crie : Messieurs, je veux le bien public. Si dans le choc des factions, l’une l’emporte, adieu la liberté de tous. Que peut-il arriver de mieux ? Que toutes restent en équilibre : aussi comme le dit fort sensément l’Auteur des Réflexions sur la prochaine tenue des Etats-Généraux, « C’est un grand bonheur pour la France que dans la lutte du Roi et des Parlements, aucun des deux partis n’ait remporté de victoire complette ».
18Tenez, vous voyez ce que nous sommes en Dauphiné : eh bien ! il a été un moment où nous avons chancelé. Heureusement le Tiers, chez nous était éclairé ; il nous a remontré notre injustice, et comme nous étions éclairés aussi, nous l’avons sentie, et nous nous sommes exécutés de bonne grace. Votre malheur à vous est de n’avoir pas été plus voisins des Cantons suisses, et des imprimeries de Genève : mais cela viendra. Puis prenant en main la Reponse d’un Gentilhomme Breton, est-ce là ce qui vous a mis en colère ? Sans doute repris-je ! Un écrivain sourd et aveugle ! qui de tout ce qu’on lui a répondu ne voit et n’entend rien, qui nouveau Lamoignon et Brienne vous soutient la legalité de ses Etats, la parité de puissance entre les Ordres, qui nous dit que nous régissons l’impôt, parce que nous avons en petite partie la faculté de l’égailler, qui va jusqu’à dire dans sa lettre que notre condition est la même que celle de la Noblesse ! – Eh bien ! proposez lui de troquer. Puisque mille Députés et 42 sont égaux, faites ensemble un échange.
19Ensuite arrivant au calcul où l’on prouve qu’un Gentilhomme de 160 mille livres de rentes paie 17400 livres au Roi. Comment, dit-il, voilà des calculs ! Oui, repris-je, des calculs pour prouver qu’un homme qui a par an 132 mille livres net, est quitte envers la Société. N’est-ce pas un abus énorme qu’un individu engloutisse ainsi le travail de trois cents familles ! Que douze ou quinze cents Citoyens se fatiguent toute l’année pour le repos d’un seul homme ! – Eh ! mais voudriez-vous la communauté des biens ? – Non certainement, car il serait injuste, quand les travaux sont inégaux que les jouissances fussent égales. Voudriez-vous de nouveaux partages ? – Je ne veux point d’absurdités ; les Nobles nous en prêtent en vain pour nous ridiculiser ; nous ne sommes point déraisonnables ; nous ne voulons point renverser l’ordre naturel et social : nous voulons, au contraire, le rétablir, quand ils l’ont troublé. Et n’est-ce pas le troubler que d’avoir introduit, par exemple, la loi du droit d’aînesse, qui, pour un seul individu, déshérite toute une Famille ? Pour accumuler ces 150 mille liv. dans la main de l’homme cité, combien n’a-t-il pas fallu ruiner de cadets depuis quatre siècles ? Voilà d’où viennent ces fortunes énormes qui corrompent la Société ; et voilà les loix qu’il faut proscrire pour rétablir non une égalité chimérique, mais un équilibre de justice du droit à la propriété.
20Vous avez de l’humeur, me dit mon ami ! Eh ! comment n’en aurais-je pas avec tant de sujet d’en avoir ? Comment voulez-vous, par exemple, que je voye de sang froid l’affaire de Saint Brieuc ?
21Que voulez-vous que deviennent les Décrétés de Saint Brieuc ? Quelle ressource ont-ils ? – Une ressource bien simple ; la formule légale de la cédule évocatoire, qui déclinant le Parlement comme Noble et Partie, portera l’appel à un Parlement Roturier. – Et s’il n’y en a point ? – Il faudra en faire un ; et ceci vous est un bon avis de l’importance de réformer le vôtre.
22Amis et Citoyens ! depuis quelque temps, considérant combien de choses j’entends chaque jour de ce Dauphinois, j’ai pris le parti d’en tenir note et d’en dresser un petit recueil dont je veux faire une espèce de Symbole à l’usage des bons Citoyens ; je ne vous en dirai aujourd’hui que deux ou trois articles qui m’ont paru très-importans.
23Il dit, qu’il n’en coûte pas plus de bâtir à neuf que de rebâtir du vieux, et l’on est beaucoup mieux logé ; et il ajoute, qu’il a toujours vu se repentir ceux qui, par économie réparaient les baraques.
24Il dit, que si nous ne rasons pas de fond en comble notre gothique Constitution, nous aurons toujours une tournure gothique ; et il ajoute, que nous devrions aussi rebâtir Rennes, comme il était avant l’incendie.
25Il dit, que les enfans qui regardent trop le fossé avant de sauter, prennent la peur, et y tombent ; et il ajoute, que si les 42 n’avancent pas rondement, ils feront la culbute.
26Il dit, qu’au lancer d’un Vaisseau, tant que l’on tient la cheville, on est maître de la machine ; mais qu’une fois partie, il est trop tard de s’aviser ; et il ajoute, que si les 42 accordent le premier sou, il n’y a pas de raison pour eux de refuser cent millions.
27Il dit, que pour prendre les oiseaux, il faut porter le filet tout fait ; et il ajoute, que les 42 doivent porter le leur dans leur poche, avec ces mots : Rien ou Signez.
28Il dit, qu’on n’a jamais fait tant de choses avec si peu de mots ; et il ajoute, que NON est devenu l’art de gouverner.
29Il dit, que quand les bons Généraux ont de mauvaises Troupes, ils mettent du monde à la queue pour sabrer ceux qui fuient ; et il ajoute, que pendant la Bataille des Etats les Communes doivent se tenir derrière, afin que si les 42 reculent, elles les cassent sur la place : et sur ce que je lui ai demandé, ce qu’on ferait des Gens cassés ; il m’a répondu : Il n’y aura qu’à en faire des Nobles de Bretagne.
30Il dit que la Bataille des Trente, pourtant si célèbre, ne fut qu’un combat de coqs pour le plaisir de la compagnie ; et il ajoute, que celle des 42, s’il ont du courage, sera comme celle des Suisses, qui secouèrent le joug des Allemands, vingt fois plus forts qu’eux.
31La Suite, quand ces Messieurs auront un peu calmé leur colère et leurs perquisitions
Notes de bas de page
1 Voyez la réponse d’un Gentilhomme Breton à un Commerçant de Nantes, etc.
2 C’est un fait notoire, que depuis vingt ans, les suffrages des Gentilshommes s’achètent, dans les occasions, le prix modique de 12 et de 6 livres par jour, et qu’ils sont casernes aux frais des Aspirans aux places. La voix publique cite un emploi éminent déjà deux fois obtenu par le prestige de quelques Louis qui courent pendant la nuit de porte en porte.
3 On dit cet homme par ailleurs taré pour sa conduite dans l’Affaire des Bailliages ; et il est fâcheux ici qu’une bonne Cause se trouve en de mauvaises mains. C’est sans doute le motif de l’animosité du Parlement. Il faut le dire et le répéter, les haines des Corps sont plus terribles que celles des Rois.
4 Nom de la Salle des Etats.
5 Oui à Quimper ; car encore que l’adhésion aux Bailliages Ministériels fut une grave erreur, elle ne méritait cependant pas la persécution rétroactive du Parlement : et quand tout un canton reste armé contre ce Tribunal avec tant d’opiniâtreté, n’est-il pas à présumer qu’il a de bonnes raisons de s’en plaindre ?...
6 Feu M. Thomas.
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