Version classiqueVersion mobile

Le développement solidaire des territoires

 | 
Emmanuel Bioteau
, 
Karine Féniès-Dupont

Innover socialement

Contributions de l’ESS aux transformations sociales dans les territoires : leviers ou freins ?

Valérie Billaudeau et Caroline Dewynter

Texte intégral

1Le contexte de crise porte sur le devant de la scène l’innovation, même si elle est mise à mal par les contraintes économiques. Malgré les baisses de financement dans les services de recherche et développement ou dans les aides à l’innovation, tous les acteurs (entrepreneurs, collectivités territoriales, politiques) fondent des espoirs pour trouver des solutions nouvelles permettant de développer l’activité ; ils espèrent que l’innovation apporte les idées qui pallieront à leurs problèmes. En ce sens, l’innovation est un concentré de paradoxes : différente d’une invention, elle porte cependant les nouveautés qui font écho aux besoins de la société.

Définir les transformations sociales en partant de l’innovation sociale. Une posture

2Depuis la fin du xixe siècle, l’innovation a surtout été développée par les industries dans le but d’une meilleure rentabilité. L’innovation a ainsi contribué à un meilleur être des salariés et de la société tout entière. L’exemple de la machine à laver le linge est une innovation technologique ayant eu une incidence sur le travail des femmes, en les soulageant d’une tâche ménagère contraignante. Le déploiement des innovations technologiques, souvent associées au progrès, a gommé les risques que toute innovation peut faire prendre. Ainsi, si les innovations permettent à la société des facilités de conditions de vie, elles ont également des effets pervers, voire néfastes. Pour reprendre l’exemple de la machine à laver, certes, la programmation électronique d’une lessive est une innovation mais rend l’outil plus fragile et difficilement réparable par les détenteurs de l’objet. Paradoxe à nouveau quand une innovation s’inscrit dans une optique d’obsolescence programmée nuisible à long terme et à l’échelle de la planète dans le but d’un développement commercial.

3Devant les impasses échafaudées par les entreprises les plus innovantes depuis plus d’un siècle, l’apparition du terme d’innovation sociale se profile comme une fenêtre ouverte oxygénante mais sa définition reste encore très floue. De quoi s’agit-il lorsque l’innovation sociale est abordée ? En quoi est-elle différente de l’innovation tout court ?

4L’innovation au sens historique du terme (Dandurand, 2005) a une finalité économique ; l’innovation est développée pour contribuer à la croissance (Schumpeter, 1990). Le manuel d’Oslo, référence internationale des activités d’innovation dans l’industrie, fait évoluer sa définition pour y introduire en 2005, la notion d’innovation non technologique (Richez-Battesti, 2009) :

« C’est la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation de travail ou les relations extérieures. »

5La notion d’innovation organisationnelle ouvre la voie à un autre type d’innovation purement technologique.

6Quelques années avant que le manuel d’Oslo n’ouvre cette piste, des chercheurs au CRISES (Centre de recherche sur les innovations sociales) au Canada travaillent et développent le concept d’innovation sociale comme « une intervention initiée par des acteurs sociaux, pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin, apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles1 ». Cette définition insiste sur une initiative provenant de la base, c’est-à-dire par les acteurs directement impliqués qui identifient un besoin auquel ils vont essayer de trouver des solutions en réponse. Cette approche aborde également la notion de transformation des relations sociales ou d’actions qui ne sont pourtant pas spécifiques, ainsi mentionnées, à l’innovation sociale dans la mesure où ces changements sont également présents avec tout type d’innovation.

7En France, l’AVISE (Agence de valorisation des initiatives socio-économiques) reprend la définition du CSESS (Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire) pour définir l’innovation sociale de la façon suivante :

« L’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations concernent aussi bien le produit ou service, que le mode d’organisation, de distribution, dans des domaines comme le vieillissement, la petite enfance, le logement, la santé, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, les discriminations… Elles passent par un processus en plusieurs démarches : émergence, expérimentation, diffusion, évaluation2. »

8Cette définition, issue de la réflexion d’acteurs de terrain de l’économie sociale et solidaire, insiste sur le caractère novateur de réponses à des besoins sur le marché et met en valeur la place des utilisateurs et des usagers pas seulement dans l’identification des problèmes mais également dans les réponses apportées. Par ailleurs, cela souligne l’étendue du champ d’action de l’innovation sociale en tant que processus, déjà identifié comme se rapprochant de l’innovation technologique.

9Pour être plus précis encore, la CRESS PACA structure sa conception de l’innovation sociale en cinq points : c’est d’abord : une finalité avec une réponse aux besoins sociaux et environnementaux ; ensuite des usages et processus par pratiques sociales et/ou organisationnelles, voire des mouvements sociaux. La dimension collective est fondamentale avec un modèle de gouvernance multi-parties prenantes et des réseaux. La coordination comme médiation permet de faire bouger (traduction) les représentations et donc d’innover. L’ancrage territorial est une caractéristique forte de l’innovation sociale.

10L’innovation sociale se caractérise par une finalité d’utilité sociale (à l’inverse d’une innovation technologique dont la finalité est principalement économique) qui peut être portée par des structures classiques comme par des structures de l’économie sociale et solidaire. Mais l’innovation sociale s’identifie également par un processus participatif. Son envergure est donc large et donne lieu à plusieurs approches. Un état des lieux des différentes approches de l’innovation sociale permet ici une première réponse avant de révéler la perception d’un échantillon d’acteurs de terrain. Enfin, nous proposons des exemples d’innovations sociales (ou identifiées comme telles) en Pays de la Loire pour illustrer cette notion mais aussi pour pointer ses difficultés et les besoins sur un territoire donné.

De quelle(s) innovation(s) sociale(s) parle-t-on ? Enjeux de transformation sociale

Aborder l’innovation sociale par sa finalité

11L’Institut Jean-Baptiste Godin (Guyon et Besançon, 2013) propose une synthèse des différentes approches dans le schéma suivant (figure 1). Cette conception aborde l’innovation sociale à travers deux aspects : son caractère de nouveauté et sa finalité sociale. Elle a été développée à travers les transformations des politiques publiques et l’entrepreneuriat social.

12Dans le premier cas, l’innovation sociale va venir pallier une défaillance, un manquement de l’action publique. Le secteur privé et la société civile sont encouragés et valorisés à travers les initiatives mises en place. Relais de l’État, ils corrigent, voire remplacent, les manquements de l’action publique. Les gouvernements, administrations nationales ou organisations supranationales vont particulièrement s’inscrire dans cette approche de l’innovation sociale. Aujourd’hui, il s’agit d’un moyen pour faire face aux nouvelles problématiques économiques et sociales émergentes : réduction des budgets, méthodes et processus issus du secteur privé, être réactif face à la demande et aux besoins des usagers. Ce positionnement s’inscrit dans une perspective de compétitivité et d’attractivité des territoires. Si l’engagement de la société civile se fait sous forme collective (rassemblant les usagers, des habitants, etc.), alors l’initiative est le plus souvent représentée et analysée à travers l’entrepreneuriat social.

Figure 1. – L’innovation sociale par sa finalité (d’après l’Institut J.-B. Godin)

Figure 1. – L’innovation sociale par sa           finalité (d’après l’Institut J.-B. Godin)

13D’origine anglo-saxonne, ce dernier apparaît dans les années 1980 au sein des cercles du patronat et des grandes écoles de gestion et se scinde en deux écoles : l’entrepreneuriat porté par un entrepreneur dans lequel l’accent est mis sur l’individu et sur la finalité de son action (la réponse à un besoin ou un problème social), ainsi que sur l’échelle de ses impacts. La deuxième école appréhende les recettes marchandes comme moteur de l’innovation. Elle souligne les moyens financiers nécessaires pour produire l’innovation sociale, entendue comme une réponse à un besoin social et met en avant la fonction entrepreneuriale, en insistant sur les motivations philanthropiques et les opportunités de marché. C’est donc une activité rentable, marchande qui financera l’innovation sociale.

14La modernisation des politiques publiques et l’entrepreneuriat social se révèlent complémentaires : ils fonctionnent comme une réponse à des besoins sociaux face auxquels l’action publique se révèle relativement inefficace. Cette réponse est portée par des entrepreneurs sociaux, financée soit d’une manière classique pour les activités rentables, soit à partir de financements privés philanthropiques et d’aides d’État pour les projets ne pouvant se financer par les seules activités marchandes.

Aborder l’innovation sociale comme processus

15Cette deuxième conception se positionne davantage sur la nature collective des processus et des produits de l’innovation sociale. Cette conception a été principalement développée en Europe par le réseau européen EMES (Émergence des entreprises sociales en Europe) et au Québec.

16En Europe, l’entreprise sociale est rapidement associée à l’économie sociale et solidaire et vient renouveler cette tradition séculaire sur le continent. L’esprit entrepreneurial de cette approche est caractérisé par une double dimension collective et démocratique, absente dans l’approche anglo-saxonne plus individualiste et philanthropique. Le réseau EMES a établi un « idéal-type » de l’entreprise sociale composée de trois catégories d’indicateurs : économique, sociale et sur la structure de gouvernance.

17Une dernière approche appelée « institutionnaliste » insiste sur la dimension collective du processus d’innovation sociale et met en exergue le processus collectif ascendant qui prend forme sur les territoires à partir de la participation d’acteurs multiples, créant ainsi les conditions d’« un système d’innovation localisé, au sens d’organisation des coopérations entre acteurs sur un territoire donné » (Richez-Battesti et al., 2012) ou encore d’un « développement territorialement intégré » (Hillier et al., 2004). Dans cette perspective :

« L’innovation sociale est une intervention initiée par des acteurs sociaux pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin, apporter une solution ou profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations culturelles. » (Bouchard, 2011.)

18Cette définition met en avant la volonté de transformation sociétale, d’aspiration au changement, qui peut être au fondement de l’action portée par des « acteurs sociaux », et qui prend de ce fait une tournure politique plus forte que dans les approches précédentes.

19Dans l’approche institutionnaliste et de l’entreprise sociale, le principe de nouveauté est dépassé par celui du changement avec une discontinuité des pratiques habituellement mises en place. C’est davantage l’idée de rupture avec l’existant qui est utilisée (la nouveauté étant relative au contexte et à l’environnement).

20Par ailleurs, le principe de finalité sociale, répondant à un besoin statique du territoire, est remplacé par le processus ascendant et démocratique, par lequel les différents acteurs vont co-construire la réponse à leurs besoins. Le moyen est mis en exergue plus que le résultat pour une transformation sociale. Sa portée va au-delà de la simple amélioration de l’efficacité d’une organisation, de l’augmentation de l’attractivité d’un territoire, de la limitation des externalités négatives ou de l’augmentation de la soutenabilité du développement économique ; l’innovation sociale dans le sens de transformation sociale mise sur sa capacité à promouvoir d’autres formes de coordination et de coopération que les relations marchandes, voire à participer à un processus de ré-encastrement de l’économie dans un projet politique et démocratique. Ainsi, par exemple :

« Les associations situées en territoire rural proposant un service de portage de repas à domicile auprès de personnes âgées de la localité sont innovantes socialement dans la mesure où leur activité ne se résume pas au seul portage du repas. Leur spécificité réside dans l’idée d’en faire un support afin de mieux comprendre les besoins des personnes âgées.
L’objectif se déplace ainsi du portage de repas à tous ce que ce service peut procurer au quotidien, en termes de lien social pour des personnes isolées et en termes de sécurité pour la famille éloignée. Si le portage est interrompu pour des raisons d’hospitalisation, les visites peuvent se poursuivre à l’hôpital. L’impact et le changement d’usage se positionnent, portés par une structure démocratique, à l’opposé d’une logique de bien qui, dans le cas présent, aurait conduit la structure à maximiser le nombre de repas portés et à minimiser le temps passé sur place. » (Guyon et Besançon, 2013.)

Des dynamiques d’innovation sociale en région Retour sur l’amorce d’un réseau d’expertise en Pays de la Loire

21Devant la prise de conscience de l’importance de l’innovation sociale, les régions, notamment les Pays de la Loire, essayent de l’identifier. Une équipe d’experts en réseaux sociaux, la coopérative WISSE, à la demande du conseil régional, a réalisé un travail de recensement des initiatives innovantes. Les résultats ont été publiés sur Social Planet en 2013 via le petit traité de l’innovation sociale mettant en lumière 100 initiatives en Pays de la Loire. À partir du travail de cartographie des initiatives innovantes initié par Social Planet, nous avons sélectionné un échantillon de structures afin de recueillir leur témoignage sur les freins et leviers à l’innovation ; en essayant qu’il soit représentatif des dynamiques existantes, à la fois du point de vue territorial mais également du point de vue économique avec la prise en compte des secteurs d’activités.

Appuis sur un échantillon d’initiatives innovantes en Pays de la Loire

22Cette enquête a permis de mettre en avant et de valoriser des initiatives encore méconnues au sein du territoire. La présentation de cinq structures étudiées donne un aperçu des secteurs d’activités très variés qui s’inscrivent dans les approches théoriques de l’innovation sociale présentées plus haut. En effet, l’innovation sociale, par sa finalité, se scinde en deux grandes catégories que nous pouvons illustrer par des exemples issus des Pays de la Loire. L’entrepreneuriat social, qui fait écho à l’approche anglo-saxonne, est développé à travers la société à responsabilité limité GreenRaid et la coopérative d’artisans GMB.

23En effet, GreenRaid est portée par un entrepreneur individuel avec une finalité sociale (L’école de l’innovation sociale). C’est une plateforme numérique qui recense les lieux alternatifs et écologiques de Nantes et son agglomération. Le but est de collecter les informations (coordonnées et descriptif des activités) afin de les rendre accessibles pour ceux qui souhaitent trouver un espace de détente en centre-ville (les Zzz-espace de détente), un lieu pour réparer son vélo, une friperie, un restaurant bio, etc. GreenRaid a su répondre à l’appel à projet lancé par Nantes Métropole lorsqu’elle a été élue « Capitale verte 2013 ». À ce titre, et en plus d’une subvention, GreenRaid a pu bénéficier d’un label « Nantes 2013, Capitale verte de l’Europe ». La structure a par ailleurs bénéficié d’une aide au démarrage pour lancer son activité ce qui reflète une volonté politique forte de la part de Nantes Métropole de financer des projets en faveur de la protection de l’environnement et au service de l’intérêt collectif.

24De son côté, GMB est une coopérative d’artisans des métiers du bois dont l’objet est de favoriser le développement et la compétitivité des entreprises adhérentes. La structure est basée à Chemillé-Melay et regroupe 230 entreprises d’artisans en 2014 situées principalement dans le Maine-et-Loire et accueille une dizaine de nouveaux arrivants par an. Cette coopérative s’articule autour d’une activité économique marchande : la filière du bois, ce qui correspond à l’école des recettes marchandes. Les membres de la coopérative sont des artisans entrepreneurs aux activités lucratives se regroupant afin de dégager des finalités sociales : la mutualisation, GMB, en tant que groupement d’artisans permet de mutualiser les achats afin de réduire les coûts par des économies d’échelle ainsi que d’augmenter la capacité de stockage et donc d’être plus réactif. Ce regroupement offre aux adhérents la possibilité de bénéficier d’un local d’exposition de leurs matériaux, véritable vitrine pour la commercialisation de leurs produits, et produit des supports de communication valorisant les artisans. La coopérative permet de créer un réseau d’entreprises d’une même filière professionnelle, de créer un collectif pour se rencontrer et partager les expériences de chacun.

25Le territoire des Pays de la Loire héberge aussi des structures qui se sont construites sur les modèles européen et canadien. JooSport, par exemple, est une plateforme sociale dédiée au sport dont le but est de promouvoir et faciliter l’accès au sport ainsi que de développer l’organisation de projets, la découverte de nouveaux sports et le partage de l’information événementielle sportive localisée. JooSport relève du courant de l’entreprise sociale (école européenne EMES) ; formée en société par actions simplifiée (SAS), JooSport s’est construite avec une équipe complémentaire (développeurs, designer, etc.) pour un projet d’entrepreneuriat collectif et participatif. Les usagers sont acteurs de la plateforme et créent du lien ; en effet, ce sont les joueurs eux-mêmes qui se mettent en relation pour constituer des équipes, des tournois, etc., à proximité de leurs lieux de vie.

26Par ailleurs, la pluralité d’acteurs, le fonctionnement démocratique et ascendant, ainsi que les finalités et répercussions sociales sur le territoire positionnent la brasserie associative de Montflours (BAM) dans l’approche institutionnaliste développée par le CRISES. En effet, la BAM est une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Elle privilégie les filières courtes bio de production et de distribution dans le but de structurer une production commerciale en développant une filière biologique locale et en proposant un espace d’éducation populaire où chacun peut brasser sa propre bière. La BAM s’est d’abord construite sur le modèle associatif. Elle a bénéficié d’un soutien fort de la part des collectivités publiques ainsi que des différentes parties prenantes engagées : artisans, professionnels de la filière agricole, passionnés, animateurs du territoire. Une partie du projet est lucrative : activité marchande autour de la bière et une autre, éducative. L’innovation réside dans cette forme d’organisation et dans le processus de production et de distribution de la brasserie avec un ancrage territorial fort et le choix des circuits courts ainsi qu’un engagement dans la filière du bio. L’activité de la brasserie n’est donc pas en rupture avec le territoire mais participe à la transformation des usages de consommation et de production par la mise en lien d’acteurs divers et la mise en place de dispositifs de sensibilisation auprès du grand public.

27Une autre structure, SIEL Bleu, s’inscrit dans l’approche institutionnaliste du fait de son modèle économique pluriel. « L’association SIEL Bleu a été fondée en 1997 à Strasbourg dans le but de faire reculer la dépendance et de maintenir les liens sociaux à l’aide de l’activité physique3. » Son objectif est l’amélioration du bien-être à travers le sport pour des personnes malades, handicapées ou les personnes âgées. Le groupe associatif est composé de deux associations : un EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et d’une association procurant des cours d’activité physique pour les personnes âgées. Il est aussi constitué d’une entreprise qui exerce des activités marchandes de prévention auprès d’entreprises ou de collectivités. Les dividendes de l’entreprise SIEL Bleu au travail sont reversés aux associations du groupe afin de baisser le coût final du bénéficiaire. L’association SIEL Bleu exerce donc des activités non lucratives à finalité sociale : création de lien social et amélioration du bien-être à travers une activité physique sur un quartier. L’association vient également transformer les usages dans le monde de la santé et du traitement de la douleur avec non plus des médicaments ou séances médicalisées personnalisées, mais plutôt des séances collectives centrées sur le bien-être social et moral.

28Cet échantillon illustre l’approche anglo-saxonne de l’entrepreneuriat social avec une déclinaison de l’école de l’innovation sociale représentée par GreenRaid ainsi que de l’école des recettes marchandes avec GMB. L’approche européenne du réseau EMES est illustrée avec l’association SIEL Bleu et l’approche institutionnaliste avec la brasserie associative de Montflours. Seule l’approche de modernisation des politiques publiques semble moins représentée dans cet échantillon car les structures ciblées par Social Planet s’inscrivent plutôt dans une démarche d’entrepreneuriat social.

Principaux enseignements de l’enquête conduite en Pays de la Loire (2014)

29Le retour d’expérience des structures, à ne pas généraliser vu le nombre limité de réponses à cette heure (dix structures sondées), montre que les principaux leviers se révèlent être des opportunités de marché qui correspondent souvent au contexte socio-économique. C’est d’abord le constat d’un manque ou d’un besoin issus de bénéficiaires pour lesquels la structure a été mise en place. Par ailleurs, l’évolution des usages et le changement des mentalités conduisent à des pratiques nouvelles auxquelles les innovations sociales vont répondre. Elles peuvent être de nouvelles façons de consommer, de se soigner, d’échanger ou même de se rencontrer. La dimension financière, via les subventions et les aides à la création d’entreprises, est également déterminante lors de la création d’un projet. Notamment pour ce qui est du financement d’un emploi. Les freins, eux, sont paradoxalement plus difficiles à identifier par les structures sondées. Il faudrait sûrement s’intéresser à des structures qui n’ont pas pu aller au bout de leur projet pour davantage appréhender les difficultés rencontrées.

30Le rapport aux collectivités locales ou aux réseaux locaux est primordial et constitue souvent le principal frein à la mise en place d’un projet. Les représentations sont aussi un facteur de difficulté. Toute innovation comprend un risque qu’il est difficile d’assumer pour un financeur du fait des changements de représentations que cela implique. Enfin, l’ancrage territorial est une priorité à part entière dans chacune de ces innovations : au cœur des principes de l’économie sociale et solidaire, la notion de proximité et de retour au développement économique local fait écho auprès des porteurs de projets et des bénéficiaires.

Conclusion

31Même si l’innovation sociale demeure une notion très vague, elle est pressentie comme importante et à soutenir. Au même titre que d’autres institutions comme la Fondation du Crédit Coopératif, qui depuis plus de 20 ans alloue une prime à des projets innovants, la région des Pays de la Loire s’attache à soutenir l’innovation sociale à travers notamment sa Stratégie régionale d’innovation pour une spécialisation intelligente en Pays de la Loire (2014-2020). À un niveau d’échelle plus fin, un fonds de dotation créé récemment à Angers, sélectionne des projets à financer à travers le prisme de l’innovation sociale. Dans tous les cas, le débat sur les contours de l’innovation sociale reste entier tant qu’une posture n’est pas prise par ceux qui s’y intéressent. Dès lors, il ne s’agit pas d’un simple a priori positif comme le souligne Yves Bonny (2011) mais d’un véritable choix que les collectivités publiques, notamment, peuvent réaliser. En effet, l’innovation sociale ne peut se développer sans soutien qu’il soit institutionnel ou financier. Les entreprises privées ont compris que le mode de gouvernance démocratique était un facteur favorable à l’émergence de l’innovation.

32L’innovation sociale peut donc apporter des pratiques à l’innovation technologique, tout comme l’innovation technologique peut aider à structurer les organisations qui créent de l’innovation sociale. Un projet de recherche nommé ISTESS (Innovation sociale et technologique dans l’économie sociale et solidaire), croisant les deux approches, est financé par la région des Pays de la Loire au titre de ses « Expertises au profit des territoires » afin de développer toutes les chances d’innovation dans l’ESS en région. Les points de convergence et de différenciation de l’innovation sociale et technologique offrent des perspectives d’optimisation des savoir-faire des deux pratiques et proposent une lecture plus précise des périmètres de chacune. L’enjeu est de proposer une démarche pour faciliter l’innovation qu’elle soit sociale et/ou technologique en faveur des projets sur un territoire qui se veut dynamique.

Regard d’acteur sur l’innovation sociale : CEAS72

33Le centre d’étude et d’action sociale de la Sarthe (CEAS72) a initié depuis 2011 un travail de réflexion sur le concept d’innovation sociale afin de mieux appréhender sa définition et d’envisager le développement d’actions favorisant son émergence et son développement en Sarthe. Faisant le constat d’une méconnaissance des concepts par les acteurs, le CEAS72 a souhaité faire un travail d’approfondissement et de repérage de projets locaux. Avec l’aide de Thomas Decaen, étudiant à l’université du Maine et stagiaire au CEAS72 en 2014, le CEAS72 s’est approprié une définition partagée et a analysé une vingtaine de projets innovants en Sarthe.

34La définition retenue s’articule autour de 4 critères complémentaires :

  • la réponse à un besoin social nouveau, peu ou mal couvert. Il s’agit d’un besoin exprimé par un collectif d’individus (formalisé ou non) et reconnu par un tiers (une institution, une organisation ou une communauté). Il peut s’agir de besoins fondamentaux (se loger, s’habiller, se nourrir, se soigner, se déplacer, travailler…) et/ou de besoins complémentaires (accéder à une pratique culturelle, préserver l’environnement…) ;

  • une logique participative : l’innovation sociale implique les différentes parties prenantes (particulièrement les bénéficiaires) dans la définition du projet, l’organisation et/ou la prise de décision. Le projet instaure une nouvelle forme de coordination et de coopération ;

  • une cohérence territoriale par un projet localisé et territorialement intégré. Le territoire est le premier écosystème de l’innovation sociale. Le projet peut être une transposition, mais pas une duplication, elle s’adapte aux besoins spécifiques de son territoire ;

  • une prise de risque : la mise en œuvre du projet présente des risques, il existe des verrous et des incertitudes à la réalisation du projet. L’innovation est nettement distincte des autres solutions disponibles. Elle s’appuie sur l’expérimentation, la possibilité d’échouer. Elle requiert une appropriation par les parties prenantes et l’évaluation.

35L’innovation sociale se définit ainsi tant par sa finalité que par le processus qu’elle met en œuvre. Ancrée sur le territoire, elle crée une rupture avec l’existant. Elle peut prendre une pluralité de formes. Trois types de porteurs de projet socialement innovants peuvent être distingués :

  • les initiatives citoyennes : le projet est porté par un collectif de personnes en réponse à une problématique sociale identifiée. Le besoin est exprimé par les membres de ce collectif ou par des personnes extérieures. Le projet n’a pas vocation à créer d’emplois dans un premier temps ;

  • l’entrepreneuriat social : le projet s’inscrit dans un modèle économique viable à moyen terme. Il est générateur d’emplois et de création de richesses économiques. Il peut être porté par une structure de l’ESS, une entreprise sociale ou un entrepreneur individuel. La structure peut préexister au projet ou être créée pour le projet ;

  • les politiques publiques : face à une problématique sociale nouvelle, la collectivité ou l’administration publique initie de nouvelles réponses et fait évoluer ses modalités d’intervention en associant les acteurs locaux. L’innovation sociale a pour objectif de répondre plus efficacement aux besoins du territoire.

36Le repérage et l’analyse des 20 projets repérés conduisent à porter plusieurs constats sur l’innovation sociale en Sarthe :

  • l’innovation sociale contribue à apporter des réponses à des grands enjeux sociaux et environnementaux sur les territoires (vieillissement, accès à l’alimentation, lien social, prévention des déchets, insertion socioprofessionnelle…) ;

  • les projets sont difficiles à repérer du fait de leur isolement et d’une méconnaissance de la définition et des concepts de l’innovation sociale tant par les porteurs de projet eux-mêmes que par les partenaires ou institutions ;

  • de nombreuses initiatives émergent mais ne peuvent aboutir faute d’accompagnement méthodologique, d’accès aux financements ou de mobilisation de moyens humains adaptés ;

  • la notion de « besoin social » reste difficile à appréhender faute de définition précise. Leur repérage, leur partage et leur appropriation par les parties prenantes constituent pourtant les conditions nécessaires à l’émergence de projet ;

  • les projets d’innovation sociale amènent à construire de nouveaux rapports entre acteurs sur les territoires : entre professionnels et bénéficiaires, entre salariés et bénévoles, entre acteurs et pouvoirs publics… Le développement de l’innovation sociale vient notamment donner un rôle nouveau aux collectivités et institutions : celui d’impulseur, d’intermédiaire, de facilitateur en favorisant l’émergence d’écosystème ;

  • l’innovation sociale vient susciter de modèles économiques s’appuyant sur l’hybridation des ressources ou le développement de nouveaux circuits économiques ;

  • les projets socialement innovants impliquent la mise en place d’un écosystème favorable : mobilisation des parties prenantes, appropriation des problématiques et des processus, repérage d’un porteur de projet, mobilisation des dispositifs adaptés d’accompagnement et de financement…

37Au regard de ces constats, le CEAS72 a identifié des leviers qui permettraient de favoriser le développement de l’innovation sociale en Sarthe :

  • faciliter le repérage et l’appropriation des besoins sociaux émergents sur les territoires ;

  • développer une fonction d’Observatoire de l’innovation sociale : repérage, valorisation, mise en réseau des projets ;

  • informer et sensibiliser les acteurs sur la notion d’innovation sociale (collectivités, institutions, acteurs de l’accompagnement…) ;

  • apporter un accompagnement méthodologique aux porteurs de projet, incluant la coopération et l’évaluation ;

  • développer et faciliter l’accès aux financements.

38Bertrand Langevin,
CEAS72

Table des illustrations

Titre Figure 1. – L’innovation sociale par sa finalité (d’après l’Institut J.-B. Godin)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/44405/img-1.jpeg
Fichier image/jpeg, 65k

Auteurs

Maître de conférences en information et communication à l’université d’Angers. Elle développe ses champs de recherche sur l’économie sociale et solidaire au sein du laboratoire Espaces et sociétés (ESO – UMR CNRS 6590). Entre 2014 et 2015, elle pilote un programme de recherche financé par la région Pays de la Loire intitulé : Innovation sociale et technologique dans l’économie sociale et solidaire. Elle est aussi membre fondateur et vice-présidente de l’Inter réseau de l’économie sociale et solidaire en Anjou et secrétaire d’Angers Mécénat, Fonds de dotation territorial.
Diplômée du master professionnel chargé de développement entreprises et territoires durables de l’université d’Angers (économie et géographie). Elle est actuellement ingénieure d’étude sur le programme de recherche ISTESS (Innovation sociale et technologique dans l’économie sociale et solidaire) financé par la région Pays de la Loire et piloté par le laboratoire ESO (UMR CNRS 6590) de l’université d’Angers.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search