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Quelques souvenirs

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Jean Janvier

Appendice aux Souvenirs

Texte intégral

1En vous contant, mes chers enfants, l’histoire de mon action administrative, j’ai cité les documents qui venaient à l’appui de ma conduite. Combien d’autres, j’aurais pu rassembler si je n’avais craint de donner à cette documentation une importance matérielle exagérée : j’ai donc cru devoir en raréfier le nombre. Mais voici sous ma main une poignée de notes que je trouve bon de vous laisser quand même, car leur ensemble vient encore témoigner de l’estime que mérita votre père, de la confiance qu’eurent en lui des penseurs et des administrateurs éminents.

1916- Une dédicace

2En m’adressant la brochure si affreusement éloquente, Leurs crimes - qu’il publiait en 1916 avec M. Simon, maire de Nancy, et M. G. Keller, maire de Lunéville - M. Mirman, préfet de la Meurthe-et-Moselle, y apposait cette dédicace à laquelle je fus très sensible : « À Monsieur Janvier, maire de Rennes, pour que de tout son coeur de Français, de toute son âme de patriote clairvoyant, il nous aide à faire connaître à toute la Bretagne, les abominables attentats commis par les Boches. En très cordial hommage. Mirman ». Cet espoir de M. Mirman ne fut pas déçu. Je fis venir douze mille exemplaires de la brochure et je la fis distribuer dans les écoles et dans les milieux où elle pouvait faire utilement la lumière.

15 juillet 1917 - Une carte d’Amérique

3Voici un petit bout de carton, avec une image verte de plantes et de fleurs, qui, venu de si loin, de la Calédonie d’Amérique, m’a profondément ému : « À l’instant je lis, dans le Times de Los Angeles, ce que votre bonne administration de la ville de Rennes a réalisé ; aussi je me fais un devoir sacré de vous faire parvenir mon admiration pour un homme comme vous. Votre tout respectueux, Louis Sainty, citoyen américain. Hollywood ». Et en marge : « vos administrés doivent être fiers de vous ». Que la terre est petite et combien il est vrai qu’il y a de braves gens partout !

3 janvier 1918 - Un billet des Armées (secteur postal 17)

4C’est de l’armée, cette fois, que m’arrive l’approbation et l’encouragement. Le billet est du payeur général Andrieuc, directeur régional des PTT à Rennes, mobilisé pour la guerre. « Vous faites le bien, beaucoup de bien par votre talent d’organisateur. Je me réjouis chaque fois que je vois votre nom dans la grande presse ou dans la presse de province. L’Est républicain, journal de Nancy, reprenant un mot de M. Jenouvrier à la tribune du Sénat, citait ces derniers temps Rennes, comme une des villes les mieux administrées. Je ne vous dis pas ceci pour flatterie, mais parce que je pense que, si fort qu’on soit, on a besoin de temps en temps d’entendre affirmer que son labeur est fructueux. Le vôtre l’est. Bien sincèrement, bien cordialement vôtre ».

8 mars et 7 décembre 1918 - Un industriel de Caen

5Lorsque je sens le besoin de me confirmer dans la conscience de mon devoir accompli visà-vis de la cité que j’ai l’honneur d’administrer, j’interroge les témoignages des hommes de caractère avec lesquels j’ai eu le plaisir de faire connaissance et qui m’ont apporté et continué l’aide réconfortante de leur estime. Or, aujourd’hui, j’ai devant moi la figure d’un grand industriel, M. J.-B. Fouquet, de Caen, dont la droiture constitue, à elle seule, un titre de noblesse, de cette noblesse morale qui, avec l’intelligence - égale chez lui - a seule droit de classer les citoyens dans une République vraiment digne de ce nom. Aujourd’hui, donc, mes enfants, j’ai interrogé cet homme dans ses lettres et voici ce qu’il m’a répondu. D’abord le 8 mars 1918 :

« Vous ne vous serez laissé surprendre par aucun des problèmes, par aucune des complications inhérentes aux événements extraordinaires que nous vivons et vous n’aurez laissé aucun de ceux-ci sans solution. Toutes ces graves questions du ravitaillement, des approvisionnements et de la limitation des prix, qui intéressent si particulièrement et qui sont si sensibles aux petites bourses et aux déshérités, se résolvent chez vous et par vous avec une aisance et une précision harmonieuse qui vous font le plus grand honneur. L'oeuvre belle et bonne que vous accomplissez dans votre grande ville, avec une éloquence et une maîtrise hors pair, me rendent plus pénibles encore les erreurs et les insuffisances que je constate ailleurs ».

6Puis le 7 décembre de la même année :

« Dans l’oeuvre considérable que vous avez poursuivie et réalisée en votre belle et vivante ville de Rennes, depuis quelque dix ans, et, notamment, au cours des événements tragiques que nous venons de traverser, on ne sait en vérité ce qu’il faut, ce que l’on doit le plus retenir et admirer : des conceptions généreuses si parfaitement ordonnées et coordonnées ou des qualités de coeur et d’esprit qui les éclairent et animent ; du sens de réalisation averti et pratique, qui vous est si particulier, ou des hautes qualités d’administrateur, d’organisateur et de financier qui décèlent toutes les opérations et tractations de votre gestion municipale ».

7Alors, je me dis que, y eût-il une part trop large de bienveillance dans l’appréciation de mes amis, il me reste encore assez de droits à être content de ma tâche et fier de l’avoir accomplie.

6 septembre 1918 et 18 février 1919 - Ministère du Travail

  • 1 Loi du 30 septembre 1900 sur la semaine de soixante heures, déjà citée.

8Aux preuves d’estime de la haute administration d’État, se rattachent encore ces deux témoignages. Le 6 septembre 1918, je recevais de M. Picquenard, conseiller d’État, directeur au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, une lettre datée du 5 dans laquelle il me disait : « Je vous remercie beaucoup de nous tenir au courant des mesures qui sont prises sur votre proposition par le conseil municipal de Rennes et qui pourraient être données en modèles à toutes les villes de France. Mon ministre, à qui j’en ai fait part, me charge de vous adresser ses plus vives félicitations. Il a appris à vous apprécier depuis l’époque lointaine où vous défendiez la loi Millerand-Colliard1 ; il a toujours suivi de près votre carrière syndicale et administrative, et il sait ce que la République et la démocratie vous doivent déjà et peuvent attendre de vous dans l’avenir ». À la date du 18 février, M. Picquenard m’écrivait encore, à propos de notre création d’une caisse de chômage. « Je saisis cette occasion pour vous remercier des communications que vous voulez bien m’envoyer et qui nous permettent de suivre les multiples manifestations de votre activité patriotique et sociale. Nous y puisons des indications précieuses et des suggestions dont nous faisons notre profit » [...].

13 novembre 1919 - M. Desgrées du Loû, L'Ouest-Éclair

9Je me suis laissé dire, par ceux de mes collègues que j’appelle amicalement « les savants », que, lors de la grande époque révolutionnaire, Rennes montra, une fois de plus et tout à la fois, l’indépendance républicaine de son esprit et ce courage dans la tolérance dont le maire Leperdit fut l’incarnation même. Aussi ai-je goûté particulièrement cette dédicace mise par M. E. Desgrées du Loû, à la garde de sa brochure sur la politique d’après-guerre : « À Monsieur Jean Janvier, “républicain à la mode de Rennes”, administrateur vigilant et bienfaisant de la cité, en cordial hommage ». M. Desgrées du Loû est le directeur politique du journal LOuest-Éclair [...]. La ligne de conduite politique de LOuest-Éclair étant nettement différente de la mienne, ce témoignage ne saurait être taxé de partialité bienveillante à mon égard.

19 décembre 1919 - Avant les sénatoriales

10Encore un qui, comme tant d’autres - et moi avec - se faisait illusion sur l’esprit de la majorité des électeurs sénatoriaux ! M. E Éon, conseiller général d’Ille-et-Vilaine et avocat général à la Cour de cassation, croyait pouvoir m’écrire, le 19 décembre 1919 : « À Rennes vous avez fait d’excellente besogne ; mais, le 11 janvier, nous vous obligerons à quitter la province pour apprécier le charme des jardins du Luxembourg ». Je ne regrette pas les jardins du Luxembourg : ceux de Rennes ne manquent pas de charme non plus ; mais ce que je regrette c’est ce que j’aurais pu faire de plus pour mon pays.

24 mars 1920 - Rennes à l’étranger

11Une des plus douces satisfactions pour un administrateur n’est-elle pas la reconnaissance, par des amis inconnus, de la qualité des efforts qu’il a produits pour atteindre un but d’intérêt public ? Cette satisfaction m’est venue de la grande et noble capitale tchèque, de Prague, dont le maire, M. Baxa, voulut bien me faire demander des documents sur mon administration et qui, après étude de ces documents reçus, m’écrivit ces lignes. « Je vous assure, Monsieur le maire, que cette collection est pour nous très précieuse et qu'elle servira utilement nos fonctionnaires à l’étude comparative des questions et des problèmes municipaux. Je vous prie, Monsieur le maire, de vous faire l’interprète de nos sincères remerciements auprès du conseil municipal de Rennes et de les agréer vousmême. Je me permets de vous adresser en même temps un livre consacré à la ville de Prague dont l’auteur est Henri Hantich. Je vous prie de l’accepter comme souvenir personnel de votre collègue de Prague ».

  • 2 C’est-à-dire depuis le 14e siècle.
  • 3 Traité du 10 mai 1871 sanctionnant la perte de l’Alsace et de la Lorraine.

12En m’adressant ce témoignage de sa précieuse estime, M. Baxa l’accompagna en effet d’un superbe livre d’art sur Prague, livre que je t’offre, mon cher Édouard, en souvenir, et de ma bonne tâche pour le bien de notre capitale bretonne, et des braves gens de Bohême que tu pus apprendre à connaître et à estimer lorsqu’ils faisaient leurs premières armes près de toi, dans les tranchées. Garde-le précieusement, puisqu’il vient d’un pays qui, depuis le roi Jean le bon2 m’a t-on dit, fut l’ami de la France et qui, en 1871, fut le seul à protester officiellement contre le traité de Francfort3

6 mai 1920 - Une lettre de l’Association des vétérans américains

« Plus d’un an a passé depuis que les soldats américains du314e régiment d’infanterie vous ont dit adieu pour la dernière fois ainsi qu’aux habitants de votre commune ; mais le souvenir de notre séjour parmi vous n’a pas disparu et restera pour toujours dans nos coeurs. Et c’est comme président de notre association de vie civile que je viens vous exprimer ce sentiment et vous demander de faire une chose qui permettrait que chaque commune dans laquelle nous avons passé, soit toujours avec nous. Au mois de septembre prochain - le second anniversaire du premier appui que les Américains ont donné à la France - tous les soldats de notre régiment se réuniront à Philadelphia. Je voudrais pouvoir, à ce moment, offrir à chacun un album contenant les photos des villes qui nous ont donné l’hospitalité dans la belle France. Voulez-vous, Monsieur le maire, me faire le grand plaisir de m’envoyer le plus tôt possible, une vue panoramique de votre commune, afin de compléter ma collection. J’espère avoir un jour le plaisir de retourner en France, vous revoir tous et vous remercier de vive voix. Je vous prie d’accepter, Monsieur le maire, pour vous et vos administrés, les meilleurs souhaits du314e régiment d’infanterie qui exprime ici son désir de voir (maintenant que cette horrible guerre a pris fin) la France garder son rang parmi les plus merveilleuses et les premières nations de l’Europe. Je vous demande, Monsieur le maire, de présenter à toute votre population les compliments d’un capitaine de l’armée américaine ». Raymond V Nicholson [...].

Notes

1 Loi du 30 septembre 1900 sur la semaine de soixante heures, déjà citée.

2 C’est-à-dire depuis le 14e siècle.

3 Traité du 10 mai 1871 sanctionnant la perte de l’Alsace et de la Lorraine.

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