— Œuvre municipale des secours aux soldats rennais prisonniers de guerre

1Ce fut dans sa séance du 18 juin 1915 que, sur ma proposition, le conseil municipal décida de créer l’Œuvre municipale des secours aux soldats rennais prisonniers de guerre, œuvre qui fut rattachée au Comité central de secours. Nous ne pouvions ignorer que des enfants de notre ville ou des citoyens domiciliés à Rennes étaient tombés par la force des choses aux mains de l’ennemi ; que, sur ce nombre, certains n’avaient plus de famille, que d’autres n’avaient pas de parents suffisamment aisés pour leur envoyer ce qui leur manquait dans l’exil. Les secours et adoucissements de toutes sortes que l’œuvre ainsi créée leur procure, seront pour eux un réconfort moral et physique qui les aidera certainement à supporter leur captivité et leur éloignement de la mère patrie.

2Nous avons décidé – sachant interpréter les sentiments très louables et nettement exprimés par notre démocratique population, par le corps enseignant et, surtout, par la jeunesse de nos écoles, heureuse de pouvoir s’associer dans cette circonstance à l’effort national - nous avons décidé, dis-je, que les premières sommes inscrites à l’Œuvre municipale de secours aux soldats rennais prisonniers de guerre seraient celles qui eussent servi, en temps normal, à l’achat des livres de prix. L’épargne née du renoncement des élèves de nos écoles a ainsi constitué les premiers fonds, que nous avons su compléter et entretenir. Mais nous avons fait en sorte que les enfants eussent la récompense morale de leurs efforts en organisant, au théâtre, une proclamation solennelle des récompenses. J’ai présidé cette cérémonie ; les parents des élèves y furent invités et c’est en leur présence que les lauréats vinrent s’entendre dire notre satisfaction, non seulement de leur discipline et de leur travail, mais encore du bon mouvement de leur cœur, en faveur de nos prisonniers de guerre.

3Il y eut quatre séances, et, chaque fois, le théâtre fut archi-comble. À cette généreuse enfance qui sera la France de demain, nous avons exprimé notre foi dans une victoire assurant une paix glorieuse acquise par les plus grands sacrifices, mais libérée des menaces de l’extérieur, pouvant marcher sans contrainte vers un idéal toujours plus noble et plus haut. Les enfants ont compris que nous ne voulions pas nous résoudre au silence morose qui fait croire à un pessimisme injustifié. Nous les avons conviés à une fête de confiance réfléchie, en affirmant nos raisons de croire à notre implacable volonté de vaincre. Je dois dire que le Comité central des secours de guerre, interprétant les sentiments ci-dessus exprimés, remplit dignement et avec dévouement le nouveau mandat de confiance dont nous l’avons investi.

— Trophées de guerre pris aux Allemands

4Des trophées de guerre, canons et divers engins, pris aux Allemands par nos vaillantes troupes, ayant été envoyés à l’arsenal de Rennes, je fis une démarche près de M. le général Vautier, commandant la 10^e région, afin d’obtenir l’autorisation d’exposer ces trophées. Cette exposition serait un sujet de grande curiosité pour la population, en même temps, elle permettrait, avec un petit droit d’entrée, de réaliser quelques centaines de francs de recette dont la totalité serait attribuée à l’Œuvre de l’orphelinat des armées (section d’Ille-et-Vilaine). C’est ainsi que le produit d’une exposition des engins qui ont semé la mort dans les rangs des pères, contribuerait à assurer l’avenir des fils. Il ne pouvait, il me semble, en être fait de meilleure utilisation. Cette exposition, parfaitement aménagée au palais des Musées, a duré quinze jours ; le succès en a été complet. Les huit mille deux cent dix entrées payantes à 0,25 F ont démontré qu’elle répondait bien au désir de notre patriotique population. Le produit de l’exposition, tous frais déduits, s’est élevé à 1925,20 F Cette somme fut aussitôt remise à l’Œuvre qui s’occupe en Ille-et-Vilaine de secourir les orphelins de la guerre et dont le président est le distingué doyen de la faculté des lettres, M. G. Dottin, conseiller municipal.

5En organisant cette exposition, nous avons également songé aux militaires qui, au prix des plus grands sacrifices, se sont emparés des trophées et aux familles dont les ressources pouvaient ne pas permettre les dépenses d’entrée. C’est pourquoi nous avons annoncé, par la voie de la presse, que les militaires de tous grades auraient l’entrée gratuite pendant toute la durée de l’exposition et que, pendant les trois derniers jours, l’entrée serait gratuite pour tout le monde. De cette façon, les militaires présents à Rennes et toute la population, sans exception, ont pu visiter les divers engins exposés. D’autre part, grâce à cette initiative, nous avons pu réaliser une somme importante destinée à secourir les enfants dont les pères ont donné leur vie pour la Patrie.

— Œuvre de ravitaillement gratuit en gare de Rennes - Subvention municipale

6Pendant les treize mois et demi que j’ai passés, du 2 août 1914, premier jour de mobilisation au milieu de septembre 1915, à la gare de Rennes, en qualité de commissaire militaire, j’ai pu me rendre compte combien l’œuvre du ravitaillement que j’avais du reste sous ma surveillance, est intéressante, et c’est d’ailleurs parce que j’en avais compris toute l’utilité que j’avais fait apporter, par les services de voirie de la ville, un aménagement complet de tables, bancs, etc. L’importante gare de Rennes est traversée, jour et nuit, par un nombre considérable de nos soldats : blessés, évacués du front, convalescents qui y retournent, permissionnaires qui viennent un instant se retremper auprès des êtres chers avant de reprendre leur place dans la bataille. Rien ne peut être plus utile à tous ces braves, fatigués d’un long voyage et souvent obligés de stationner plusieurs heures en gare pour attendre les correspondances, qu’un repas sain, un réconfortant hygiénique ; c’est ce qui fut compris par tous ceux qui, dès les premiers jours de la guerre, ont fondé l’Œuvre du ravitaillement gratuit, dans le but de secourir l’affreuse misère des émigrés belges et du nord, nord-est de la France. Par les soins de l’Œuvre, outre les émigrés, des centaines de militaires sont ravitaillés journellement et à toute heure, sans avoir à débourser un centime ; cette organisation est exclusivement alimentée par les dons de généreux souscripteurs parmi lesquels la ville de Rennes s’honore de figurer. Telles sont les raisons qui m’ont fait demander au conseil municipal de bien vouloir voter en faveur de l’Œuvre du ravitaillement gratuit une somme de 1 000 francs, à prendre sur les disponibilités dues à une ferme et sage gestion. Mes collègues voulurent s’associer à ma proposition par un vote unanime.

— Comité rennais d’assistance aux mutilés de la guerre des Armées de terre et de mer

7Si, dès le premier jour de la guerre, en août 1914, nous avons pris l’ensemble de mesures qu’exigeait la situation, notamment en ouvrant des crédits très importants, en jetant les bases de l’organisation pour le fonctionnement immédiat et régulier des divers services et comités de secours, nous n’avons rien négligé, au cours des événements, pour venir en aide aux victimes de la guerre. C’est ainsi que, outre les mesures indiquées plus haut, et qui furent prises dès l’ouverture des hostilités comme dans toutes les circonstances utiles depuis, le conseil municipal, sur ma demande, a voté des souscriptions en faveur de l’Œuvre pour les paysans des régions dévastées, pour celle des orphelins de la guerre, pour le Souvenir de la France à ses marins, pour le Ravitaillement gratuit (installé en gare de Rennes), pour le Comité d’assistance aux mutilés de la guerre, etc.

8Notre ville ayant été au nombre de celles appelées à prendre soin des mutilés, nous avons eu, parmi les premiers, le douloureux spectacle de voir un nombre très élevé de militaires amputés, ce qui nous a aussitôt fait songer à créer un Comité rennais d’assistance aux mutilés des Armées de terre et de mer. Ce Comité a été constitué pour venir en aide aux militaires invalides de la guerre actuelle et habitant (avant sa déclaration) le département d’Ille-et-Vilaine, soit en assurant leur rééducation professionnelle, soit en facilitant leur placement dans les emplois compatibles avec leurs infirmités et leurs aptitudes, soit enfin en les guidant et en les aidant, le cas échéant, dans l’acquisition d’appareils appropriés à leurs besoins.

9Une réunion de notables de la ville de Rennes eut lieu à l’hôtel de ville ; après que j’eus exposé les services attendus d’un comité absolument décidé à faire œuvre utile et pratique, c’est-à-dire à mettre les mutilés en mesure de trouver un emploi à leur convenance et pouvant leur procurer une rémunération immédiate, sans entraîner de charges publiques (charges qui sont déjà et vont devenir très lourdes), l’assemblée décida la création d’un comité, sur les bases que j’avais indiquées. Des statuts furent rédigés et approuvés en assemblée générale. Un bureau fut nommé et composé comme suit : président : J. Janvier, maire de Rennes ; vice-présidents : Bitouzé, notaire honoraire, directeur de l’école de Notariat ; Ch. Oberthür, président de la chambre de commerce ; secrétaire général : Léon Berthaut, homme de lettres, président de la Société d’instruction populaire ; secrétaire : P Fablet, chef du 1er bureau de la mairie ; trésorier : J. Guillet, président du tribunal de commerce ; trésorier adjoint : Morice, vice-président de l’Union du commerce et de l’industrie. Les formalités légales furent accomplies et l’expérience a démontré que les conceptions adoptées en assemblée générale donneraient les meilleurs résultats ; en effet, plusieurs mutilés de la guerre ont déjà été placés avantageusement, l’administration municipale a voulu donner l’exemple en prenant dans ses services un certain nombre de nos glorieux combattants qui ont si vaillamment fait leur devoir envers la Patrie.

Lettre au directeur du service de santé de la 10^e région

10Notre œuvre va voir son action s’élargir par la création d’établissements militaires sanitaires où seront groupés les mutilés de la région, en vue de leur rééducation professionnelle. Voici dans ma lettre du 28 avril 1916, adressée à M. Waysse, médecin-inspecteur, directeur du service de santé de la 10e région, l’exposé fait des moyens pratiques de réaliser ces créations.

« Vous avez bien voulu m’entretenir, à l’hôtel de ville, de la très intéressante question des mutilés de la guerre et me donner connaissance des récentes instructions de M. le sous-secrétaire d’État du service de Santé. De mon côté, je vous ai exposé qu’à la suite d’une réunion de notables de notre ville, fut récemment créé un Comité rennais d’assistance aux mutilés de la guerre des Armées de terre et de mer, Comité dont le fonctionnement donne déjà de bons résultats, sans entraîner à des dépenses importantes. Ce Comité, que j’ai l’honneur de présider, est très en faveur près des personnes susceptibles d’occuper des mutilés, puisqu’actuellement nous avons beaucoup plus d’offres d’emplois que de demandes [...].
[...] Les mutilés sont placés selon leurs aptitudes et leurs préférences. Dès le premier jour de leur entrée en fonctions, ils gagnent un salaire qui parfois n’est pas très élevé, surtout pour ceux qui désirent apprendre complètement un métier ; mais ce salaire, ajouté à la pension que leur sert l’État, leur assure l’existence. Du reste, le Comité insiste vivement pour que les personnes et les administrations qui prennent à leur service des mutilés de la guerre, s’engagent moralement à augmenter leur salaire au fur et à mesure des progrès qu’ils font et des services qu’ils rendent.
Déjà, l’administration municipale a ainsi adopté un certain nombre de mutilés réformés ; actuellement, ils sont payés 100 francs par mois, mais, après la guerre, le conseil municipal prendra certainement une délibération leur assurant avec un juste avancement, la stabilité des emplois qui leur sont réservés. D’importants établissements de notre ville ont agi de même, notamment la Banque de Bretagne qui a été, avec l’administration municipale, une des premières organisations recevant des mutilés. De son côté, M. le préfet d’Ille-et-Vilaine a bien voulu me faire savoir qu’il favorisait, dans la plus large mesure possible, l’entrée des mutilés dans ses services. Enfin, MM. Oberthür, brossiers, Berthelot frères, fabricants de chaussures, des bourreliers, des vanniers, etc., ont promis leur concours effectif.
Voilà, dans ses grandes lignes, Monsieur le directeur, le fonctionnement de l’œuvre du Comité rennais d’assistance aux mutilés des Armées de terre et de mer, légalement constitué.
Si j’ai bien compris l’organisation prévue par M. Justin Godard, notre œuvre, déjà florissante, va voir augmenter son utilité par la création des établissements militaires dont vous avez bien voulu m’entretenir. Dans ces établissements, seront groupés les mutilés de la région (à Rennes, ceux de l’Ille-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord, de la Manche et de la Mayenne). Une fois guéris de leurs blessures, ces militaires seront groupés dans des hôpitaux spéciaux affectés à la région, où est situé leur domicile et où ils attendront la liquidation des pensions auxquelles leur donnent droit les infirmités contractées au service de la Patrie. Pendant ce temps, qui pourra être assez long, parfois, chez les mutilés soumis au traitement que nécessite encore leur état, pour rétablir le fonctionnement des muscles ou celui des articulations, le gouvernement a très judicieusement pensé qu’il serait fort utile de profiter du séjour de ces mutilés dans les hôpitaux spéciaux pour procéder à la rééducation professionnelle de ceux que leurs infirmités empêcheraient de continuer la profession qu’ils exerçaient avant la guerre, et que dans ce but, il y avait lieu de prévoir l’organisation d’ateliers dans les hôpitaux mêmes.
Ainsi que je le dis plus haut, l’organisation de cette nouvelle formation sanitaire va donc élargir le rôle du Comité rennais, et mes collègues et collaborateurs, consultés à ce sujet dans notre réunion d’hier, ont apprécié très favorablement l’œuvre que vous allez créer. Nous ferons tout notre possible pour qu’à leur sortie de l’hôpital, les mutilés puissent trouver, dans les conditions qui leur conviendront le mieux, des emplois immédiatement rétribués. Nous avons la conviction très nette, mes amis et moi, qu’en procédant ainsi, nous contribuerons, dans une large mesure, à renforcer la paix sociale, car nous aiderons tous ces braves gens à conserver leur indépendance par le travail. De leur côté, ils contribueront à la production nationale, source de prospérité pour le pays.
Aussi le Comité rennais d’assistance aux mutilés de la guerre, se permet-il d’attirer l’attention de l’autorité militaire sur l’utilité qu’il y aurait à créer, dans les chefs-lieux de département et autres centres importants, des comités analogues au nôtre. En somme, Monsieur le directeur, si, en raison des fortes dépenses qu’entraînent certaines écoles de rééducation professionnelle, je ne crois pas aux résultats qui devraient y correspondre, j’ai, au contraire, la plus grande foi dans la réussite des ateliers créés par les services de l’Armée dans les hôpitaux militaires spécialisés pour le traitement et la rééducation professionnelle des mutilés jusqu’au moment de leur réforme, surtout quand ces hôpitaux seront placés dans des centres comme Rennes, les nombreux établissements d’enseignement et les divers établissements industriels pouvant fournir des professeurs ainsi que du matériel, de l’outillage, etc., soit dans les ateliers mêmes, soit dans l’hôpital qui sera désigné. Cette réussite sera d’autant plus facile qu’un comité, fonctionnant sur les bases de celui de Rennes, ne demandera qu’à seconder l’effort de l’autorité militaire, dans les conditions exposées ci-dessus ».

11Diverses entrevues avec le directeur du service de santé ont eu lieu après cette lettre. J’ai indiqué à M. Waysse un certain nombre d’industriels, brossiers, relieurs, vanniers, fabricants de lainages, bourreliers, etc., dont les connaissances professionnelles et le dévouement patriotique ne pouvaient faire doute. Chaque fois, je fus largement remercié de ma collaboration, qui se continuera avec la même cordialité.