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Chapitre 2. L’entrée dans la vie active
p. 39-50
Texte intégral
— Retour à Rennes (1884) – Vie professionnelle
1Rentré à Rennes, je m’embauchai aussitôt à la construction des bâtiments de la Confection militaire1, au pont Saint-Martin. Au bout de quelques semaines, je me vis chargé de veiller sur les autres ouvriers, tout en faisant ma journée : j’étais chef de chantier. Quand les travaux de construction de la Confection militaire furent bien avancés, mon patron me fit chef d’un autre chantier (toujours en travaillant et en faisant ma journée) : celui de l’école normale d’institutrices, boulevard de la Duchesse Anne2. L’architecte du département M. Laloy3, qui dirigeait les travaux de l’école, me témoigna beaucoup d’intérêt et me répéta fréquemment que, quand je serais patron, il me confierait du travail.
2Entre temps, je fis connaissance de Mlle Chauvel, épicière, rue de Nemours, dont le père était cultivateur et adjoint au maire de Cesson, chef d’une famille des plus honorables. Quelques mois plus tard, nous étions d’accord, Mlle Chauvel et moi, pour que j’aille demander sa main à son père, ce dont il fut alors avisé. L’entrevue fut cordiale, concluante et, peu de semaines après, avait lieu le mariage. Aussitôt marié, je fus de plus en plus hanté par l’idée de travailler pour mon propre compte. Ce fut chose faite en 1886. Mon beau-père nous vint un peu en aide ; il nous prêta 3 000 francs. Je fis d’abord de tout petits travaux pour le compte de rares connaissances que nous avions. En même temps, je louai un terrain, entre la rue de Nantes et le boulevard de la Tour d’Auvergne ; j’y creusai moi-même un puits et, en guise de maçonnerie, plaçai des fûts vides de ciment pour retenir les terres. Une pompe d’occasion complétait mes moyens pour avoir de l’eau dans mon chantier, que j’avais clos avec de vieux bois de démolition. Ce fut également avec de vieux bois que j’élevai un hangar avec partie fermée. Dans cette besogne, je fus aidé par un camarade, ouvrier charpentier, qui venait le soir.
3J’achetai d’abord le plâtre, sac par sac, et les briques par cent, puis j’entrepris des travaux pour la construction d’édicules qui servent encore à leur première affectation, place de Bretagne et au bas de la rue Gurvand, côté gare. J’avais pris un manœuvre pour m’aider à faire les travaux de plâtrerie et ciment de ces deux chalets. Enfin, tout en travaillant ainsi, j’offrais mes services partout où se déplaçaient de la terre et des pierres ; après deux ans de patronat, j’occupais quelques ouvriers. Mes premières entreprises intéressantes furent la réfection des façades dans les rues du quartier que j’habitais alors : rue de Nemours, Poulain-Duparc, La Chalotais, Vasselot, Pré-Botté, Jules-Simon, etc. J’avais adopté un genre d’échafaudage rapide et léger ; aussi comme j’étais constamment avec mes ouvriers et malgré une petite réduction sur les prix courants, je réalisais de beaux bénéfices.
4En 1888, ayant cette belle occasion d’utiliser ce matériel, je me rendais adjudicataire des restaurations extérieures du palais de Justice4. Certains entrepreneurs, jaloux de voir un jeune patron se lancer dans des travaux de ce genre et de cette importance, m’avaient desservi, au point de vue professionnel, près de M. Laloy. Celui-ci me le rapporta en 1889, quand mes travaux extérieurs furent terminés, et ajouta que, malgré une surveillance des plus actives, il avait obtenu complète satisfaction. Il répondit d’ailleurs aux accusations fausses de collègues jaloux en me confiant, par traités de gré à gré, pour environ 80000 francs de travaux à l’intérieur du palais susdit, travaux qui, dès leur commencement, donnèrent à nouveau satisfaction entière. M. Laloy me confia alors les importants et délicats travaux de l’hôtel Fouqueron, rue des Fossés5.
5À ce moment, j’étais assuré du succès ; il n’y avait plus qu’à persévérer. C’est à ce moment du reste que je fis le remboursement des 3 000 francs à mon beau-père. Voulant alors me créer un chantier plus important que celui de la rue de Nantes, devenu insuffisant, je me mis à chercher des terrains. Le quartier de la « Californie6 » me convenait assez, par sa situation au centre de la ville et près de la gare. M. Julien Brossault, qui vendait ces terrains, me dit qu’il avait l’intention de construire et que, si je lui achetais du terrain, il pourrait m’attribuer des travaux de plâtrerie et ciment. Il en fut ainsi décidé, ce qui facilitait bien mes opérations. Je fis donc, en 1889, l’acquisition rue Dupont des Loges de 700 mètres de terrain sur lequel se trouve la maison que j’habite encore aujourd’hui. Avec les entrepreneurs de maçonnerie, de zinguerie, de menuiserie, etc., je fis la même opération qu’avec M. Brossault et je pus ainsi me construire cette petite maison près de mon chantier sans trop me gêner. Mes affaires se développant sans cesse, la santé aidant, terrain et maison furent rapidement et complètement à nous.
6Par ailleurs, la confiance que m’avait témoignée M. Laloy pour les travaux exécutés au palais de Justice et à l’hôtel Fouqueron, l’acquisition d’un terrain et la construction d’une maison d’habitation où j’avais eu soin d’exécuter des travaux en ciment et en plâtre de la plus grande difficulté, donnèrent aussitôt confiance absolue, non seulement aux propriétaires habitant Rennes, mais aussi à ceux de la campagne, auprès desquels des hommes de talent, notamment M. Jobbé-Duval7, peintre décorateur à Rennes, ne cessaient de vanter mes qualités professionnelles, mon assiduité au travail et la cordialité de mes relations. J’eus vite acquis de ce fait une forte clientèle ; les architectes de Rennes, sans exception, me confiaient des travaux autant que je pouvais en entreprendre. Pendant douze ou quinze ans, j’eus constamment de cinquante à soixante ouvriers, sans comptable, sans métreur, sans contremaîtres autres que des chefs de chantier faisant leur journée avec les camarades, comme j’avais pratiqué moi-même avant d’être patron.
7J’avais su m’attacher de bons ouvriers, d’abord en les payant au moins 0,50 F de l’heure au-dessus du prix de mes confrères. En peu de temps, j’avais ainsi formé des équipes sur lesquelles je pouvais compter. Comme en plus de ma belle clientèle en ville, j’avais de nombreux clients dans une assez vaste zone autour de Rennes, j’avais institué une « prime à la conduite ». Ainsi, après m’être mis d’accord avec mes ouvriers, au moment de leur départ pour un chantier de campagne, sur le prix de l’heure, sur l’allocation journalière pour indemnité de déplacement, sur le nombre de voyages payés pour venir voir leur famille, j’ajoutais : « si vous ne faites pas la noce et si vous ne m’attirez pas de reproches du client et de l’architecte, je vous donnerai, à la fin des travaux, une allocation supplémentaire de 0,50 F ou 0,25 F (suivant les cas) pour chaque journée que vous aurez passée dans ce chantier ». En faisant œuvre morale, je servais en même temps les intérêts de mes ouvriers et les miens.
8Vers 1900, je pus construire notre immeuble du quai Richemont, n° 6, et, en 1906, celui de la rue Hippolyte Lucas. Ma vie professionnelle prenait fin. Oui ! ma vie professionnelle se terminait en 1906, après quinze ans d’existence purement ouvrière, vingt années de patronat, soit environ trente-cinq ans de pratique industrielle. J’aurais pu certainement continuer plus longtemps, car j’avais l’estime et la confiance des architectes et des propriétaires qui avaient bien voulu me confier des travaux et avec lesquels d’ailleurs, j’ai conservé les meilleures relations, mais diverses préoccupations d’intérêt public, notamment celles de ma vie syndicale, m’avaient tout doucement fait perdre de vue les avantages purement personnels de ma profession.
— Action et organisation syndicales
9En effet, en mars 1898, mes collègues du bâtiment me désignaient pour présider le Syndicat des entrepreneurs de Rennes. C’était au moment de l’application de la loi sur les accidents du travail, lot qui mettait le risque professionnel à la charge du patron. D’autres réglementations sociales étaient en discussion au Parlement ; il fallait aviser, non pour essayer d’enrayer les lois d’amélioration et de protection du travail, mais pour veiller à ce que les intérêts patronaux fussent sauvegardés dans l’évolution et la transformation économiques du pays. J’ai souvent signalé le bien-fondé de ces lois, qui ne saurait d’ailleurs être discuté par aucun homme fidèle aux plus élémentaires principes de justice. De plus, dans tout le cours de mon action syndicale, j’ai toujours demandé à mes collègues patrons qu’ils fissent profiter les ouvriers des avantages résultant de notre Union ; j’ajoutais que c’était juste et loyal et que nous contribuerions ainsi à assurer la paix sociale dans une large mesure.
10Mes collègues de Rennes adoptèrent mes vues. C’est ainsi que, au lieu de combattre la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, nous combattions les compagnies d’assurances qui voulaient passer des contrats à des taux exagérés. C’est ainsi encore que, au lieu de combattre la loi du 30 mars 1900, limitant la journée du travail à dix heures, nous demandions au ministre du Commerce et de l’Industrie, M. Trouillot8, et obtenions des dérogations à cette loi, dérogations permettant de faire dans notre industrie du bâtiment et des travaux publics, pour suffire à des commandes urgentes ou à des travaux pressés, douze heures de travail par jour pendant quatre-vingt dix jours annuellement, en une ou plusieurs périodes. La lettre établissant cette demande, signée de moi et de mes collègues du bureau de la fédération du nord-ouest, fut lue par M. Trouillot à la tribune de la Chambre, en réponse à une interpellation de M. Lhopiteau, député d’Eure-et-Loir, et, par suite, insérée au Journal Officiel ; c’était vers le 20 novembre 1902. Cette loyale attitude me valut d’être assez souvent appelé devant les commissions parlementaires, notamment celle du Travail, que présidait M. F Dubief9 avant d’être ministre, et devant la commission de la Réforme judiciaire, présidée par M. Cruppi10 qui, à ce moment, n’avait pas encore été ministre. Ces résultats firent que mon influence ne tarda pas à être très grande, tant auprès des ouvriers que des patrons ; aussi étais-je fréquemment demandé et admis par les deux partis pour connaître et résoudre les différends survenus entre eux. J’en donnerai deux exemples.
111. Au cours de l’hiver 1899-190011, à la suite d’un fort ouragan, les toitures d’un très grand nombre de maisons se trouvèrent endommagées. Les ouvriers couvreurs, qui, depuis quelques années, demandaient une augmentation de leurs salaires, virent là une occasion d’obtenir satisfaction. La grève fut déclarée et dura plusieurs semaines. Des correspondances furent échangées entre patrons et ouvriers, sans résultat. Puis, après intervention de ma part, fut décidée une entrevue entre délégués des parties, dans une salle du présidial à l’hôtel de ville.
12Les délégués patrons, MM. Bohuon, Briantais et Ménage, m’ayant demandé de les accompagner, je répondis que je ne pouvais le faire qu’autant que les délégués ouvriers seraient eux-mêmes accompagnés. Les patrons y consentirent et une lettre fut envoyée dans ce sens aux ouvriers. Ceux-ci choisirent le citoyen Ch. Bougot12, à ce moment trésorier de la Bourse du Travail. L’entrevue eut lieu ; ce fut mon premier contact avec le citoyen Bougot. Nous fûmes vite d’accord pour demander aux patrons et aux ouvriers s’ils voulaient bien se retirer et nous laisser le soin de solutionner leur différend, lorsque les uns et les autres auraient exposé leurs désirs ou présenté leurs observations. Après avoir contrôlé les prix d’heure sur les carnets de paie, que les patrons, à notre demande, avaient bien voulu apporter, il fut démontré que les salaires étaient seulement de 0,30 F de l’heure pour la majorité des ouvriers, de 0,35 F pour quelques-uns et de 0,40 F pour un très petit nombre.
13Nous considérâmes dès lors que pour cette profession, saisonnière entre toutes, c’est-à-dire où il y a des pertes de temps fréquentes par les pluies, où le vent peut occasionner des accidents très graves en cours de travail, où la chaleur même rend les toits brûlants et cause également de grands dangers pour ces travailleurs, il y avait lieu d’augmenter sensiblement les salaires, sans toutefois porter ces prix à 0,50 F de l’heure, ainsi que le demandaient les ouvriers mais à 0,45 F au minimum, les meilleurs ouvriers devant être payés au-dessus de ce prix suivant leurs aptitudes et après entente avec leur patron. Nous décidâmes aussi qu’aucune maison d’entreprise ne serait boycottée, qu’aucun ouvrier ne serait renvoyé pour faits de grève. Notre sentence fut acceptée, non seulement par les ouvriers – dont la situation se trouvait sérieusement améliorée – mais aussi par les patrons eux-mêmes, qui voulurent nous amener au café pour nous remercier, Ch. Bougot et moi, d’avoir fait l’entente et permis ainsi la reprise immédiate du travail. La corporation des patrons couvreurs voulut, à son tour, en assemblée générale, sur la proposition des trois patrons qui avaient été délégués, que des félicitations et des remerciements me fussent votés, avec inscription au procès-verbal. Ce vote eut lieu à l’unanimité.
142. Des grèves d’une très grande acuité s’étaient produites dans l’industrie du bâtiment, à Brest, à Morlaix et à Quimper. Patrons et ouvriers s’insultaient dans les rues ; des pierres avaient été lancées par ceux-ci contre les maisons habitées par ceux-là ; des commencements d’incendies, même, s’étaient manifestés dans ces maisons. Il y avait des arrestations. Je crus trouver là un devoir à remplir comme président de la Fédération des syndicats d’entrepreneurs. Après avoir correspondu avec les présidents des syndicats des villes ci-dessus indiquées, pour connaître approximativement la situation et le taux des salaires, je pris la résolution de demander aux présidents patronaux de convoquer tous les entrepreneurs du département à une grande réunion au chef-lieu, Quimper. M. Ch. Liot, président du syndicat de cette ville, m’avait informé que la salle où se tiendrait la réunion n’était pas excessivement grande et qu’elle se trouvait en bordure d’une place où pourraient stationner nombre de personnes.
15Cette situation me convenait à merveille, car je priai mes collègues de faire la convocation en annonçant que la réunion aurait lieu « toutes fenêtres ouvertes ». La presse du département, sans exception, avait annoncé la réunion et promis de s’y rendre. Arrivé à Quimper avec quelques heures d’avance, j’avais pu me renseigner sur le taux des salaires et apprendre des personnes les plus qualifiées que les journées de la très grande majorité des ouvriers variaient entre 2 francs et 3,50 F par jour. Quand j’arrivai à la réunion accompagné des présidents des syndicats patronaux et de quelques autres collègues du bâtiment, la salle était comble ; un grand nombre de citoyens s’étaient groupés à l’extérieur, près des fenêtres. Mes collègues m’informèrent alors que plus de la moitié des patrons du département avaient répondu à l’appel et que beaucoup d’ouvriers étaient là également, ainsi que diverses personnalités.
16Je répondis que cela ne me gênait nullement ; que, au contraire, puisque j’avais l’intention de traiter la question des rapports entre les hommes dans la société et plus spécialement entre patrons et ouvriers, et qu’étant donné les conditions du travail et les taux des salaires pour l’industrie du bâtiment dans le Finistère, mon argumentation porterait aussi sur les droits et les devoirs de chacun. Ma causerie dura plus d’une heure et demie ; après avoir senti les hésitations dans certaines parties de la salle, j’eus la satisfaction de m’entendre applaudir d’à peu près tout le monde. Comme j’avais demandé si quelqu’un désirait la parole, M. de Chabre, bâtonnier de l’ordre des avocats de Quimper, monta à la tribune ; il approuva mon exposé dans des termes que je n’ose reproduire, tellement ils furent aimables. Puis M. Bonduelle13, gros industriel de Concarneau, vint à son tour exprimer sa satisfaction d’avoir assisté à la réunion et engagea patrons et ouvriers à suivre mes conseils. Mes collègues me dirent que ces deux personnalités avaient des idées politiques très différentes. J’en éprouvai une grande satisfaction, car cela me permettait d’espérer un résultat plus certain. Toute la presse fut unanime à louer mes efforts et ma joie fut bien grande quand, à Rennes, quelques jours après, je reçus, des présidents, M. Salaün et M. Ch. Liot de Brest et de Quimper, deux dépêches me disant simplement ceci : « Grève terminée, travaux reprennent lundi, merci » [...].
17[...] Pour avoir une autorité plus grande, le syndicat de Rennes, à la suite de causeries faites par moi dans les principaux centres d’Ille-et-Vilaine, était rapidement étendu à tout le département ; de soixante membres, il passait à sept cents, en un an et demi. Les démarches faites dans nos chefs-lieux d’arrondissement me conduisirent vite à en accomplir d’autres en dehors du département. Ce fut d’abord à Laval, où la réunion obtint un grand succès. Les journaux rendant compte de ces groupements, je fus appelé dans toute la région et, en septembre 1902, une réunion de six cents patrons de vingt-deux départements du nord-ouest qui eut lieu à l’hôtel de ville d’Angers, décidait la création d’une fédération des syndicats patronaux du nord-ouest de la France. J’en fus nommé président, à l’unanimité ; la tâche augmentant sans cesse, chaque dimanche je créai ou je développai l’organisation de syndicats dans le nord-ouest de la France : Caen et Calvados, Tours et Indre-et-Loire, Blois et Loir-et-Cher, Poitiers et Vienne, Angoulême, Barbezieux et Charente, La Rochelle et Charente-Inférieure, Quimper, Brest, Morlaix et Finistère, Niort et Deux-Sèvres, Vannes, Lorient et Morbihan, Angers, Saumur et Maine-et-Loire, Saint-Brieuc, Dinan et Côtes-du-Nord, Granville et Manche, Nantes, Saint-Nazaire et Loire-Inférieure, Chartres et Eure-et-Loir, etc. Les comptes rendus de mes réunions d’Angoulême et de La Rochelle, insérés dans les journaux, firent qu’un mouvement se produisit dans le sud-ouest ; à la demande des syndicats de Bordeaux et de Toulouse, je me rendis à Bordeaux les 1er, 2 et 3 mai 1903, pour y présider à la constitution de la Fédération des syndicats patronaux du sud-ouest de la France. La cérémonie se termina par un grand banquet, au Parc bordelais.
18Au cours de mon allocution, je ne manquai pas de rappeler que, si, dans ma vie syndicale et patronale, je recommandais l’entente entre patrons et ouvriers, je le faisais en m’appuyant sur des faits, tels que celui-ci.
« Travaillant dans votre belle ville de Bordeaux en 1877, au moment du passage du maréchal de Mac-Mahon, président de la République, je demandai à mon patron la permission d’une demi-journée, qu’il m’accorda, pour voir l’arrivée du chef de l’État aux Quinconces et assister aux fêtes. À la paie, il me rendit néanmoins ma quinzaine complète ; comme je lui en faisais la remarque, il me répondit que, quand un ouvrier demandait une permission dans des circonstances pareilles et qu’il ne faisait jamais la noce, le patron avait le devoir de ne pas opérer de retenue. Ce patron est à cette table, il s’appelle M. Loreux. Je me suis souvent inspiré de ce souvenir dans ma vie patronale et m’en suis toujours bien trouvé ».
19Une fédération du sud-est venait de se créer à Villefranche-sur-Saône. Une fédération du nord-est se créait à Épinal et nous arrivions à l’organisation qui était le but de ma propagande : la création d’une « Fédération nationale du bâtiment et des travaux publics ». Entre temps j’avais créé à Rennes des réunions annuelles d’ouvriers et de patrons, appelées « fêtes du Travail ». Des récompenses étaient décernées aux ouvriers ayant le plus grand nombre d’années de service dans la même maison et un banquet avait lieu, où les ouvriers récompensés prenaient place à côté de leurs patrons. Ces fêtes furent vite en faveur dans le monde du travail. De chaleureuses félicitations me parvinrent de divers côtés. Plusieurs villes suivirent l’exemple donné par Rennes et l’Ille-et-Vilaine. Ces réunions cordiales qui permettaient des invitations de syndicat à syndicat, apportèrent en effet de grandes améliorations dans les relations entre les patrons et les ouvriers.
20La fédération du nord-ouest compta vite vingt-deux départements, soixante-cinq syndicats et six mille entrepreneurs syndiqués. La région partait de Fécamp, descendait vers le sud, en laissant Paris, jusqu’à Barbezieux. C’est dans ces conditions d’organisation syndicale qu’eut lieu le congrès national de Lyon, en novembre 1904. Après des discussions assez longues, notamment avec des collègues parisiens, le congrès adoptait mon projet de constitution d’une Fédération nationale comprenant quatre fédérations régionales, nord-ouest, sud-ouest, nord-est et sud-est, plus une fédération centrale de Paris et banlieue. Mon action, comme président fédéral, s’étendait alors à toute la France. Je dus me rendre à Saint-Étienne pour organiser pratiquement les syndicats de la Loire ; à Marseille, le syndicat des Bouches-du-Rhône ; à Lille, pour provoquer la formation de nouveaux syndicats et grouper ceux existant dans le département du Nord ; à Troyes, pour créer le syndicat de l’Aube ; à Amiens, celui de la Somme, etc. Mon action personnelle provoqua ainsi la création de plus de cent cinquante syndicats, celle des fédérations régionales et, enfin, de la Fédération nationale.
21En juin 1905, le syndicat d’Ille-et-Vilaine organisait une grande fête du Travail, à l’occasion d’un congrès d’entrepreneurs. M. Dubief, ministre du Commerce, voulut bien venir présider cette fête à laquelle se rendirent plus de cinq cents patrons en dehors de ceux d’Ille-et-Vilaine, soit plus de mille patrons en tout. De toutes façons, ce congrès fut le plus important de ceux qui ont eu lieu. Presque tous les départements français y avaient des représentants, venus des villes les plus grosses, Paris, Marseille, Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux, Dijon, Saint-Étienne, Amiens, Troyes, La Rochelle, Angoulême, Caen, Valence, Brest, Saint-Brieuc, Poitiers, Saint-Nazaire, Tours, Vannes, Blois, Niort, Nantes, Angers, Le Mans, Chartres, Lorient, Nancy, Épinal, etc. Il s’était en effet répandu, dans tous les syndicats du bâtiment en France, que M. Dubief, ministre, en venant présider notre fête du Travail, devait me remettre la croix de chevalier de la Légion d’honneur, comme couronnement de l’œuvre sociale dont venait d’être dotée la nation. Ce fut pour moi une grande joie de voir les entrepreneurs des plus grandes villes de France assister en nombre à ce triomphe d’une idée de justice et de fraternité [...].
— Fin de ma vie syndicale
22[...] Je continuai mon action syndicale en 1906 et la terminai en novembre de la même année, à Amiens. Ce fut une des plus belles réunions auxquelles j’assistai : plus de mille entrepreneurs de la région avaient répondu à l’appel du comité d’organisation et de son distingué président, M. Patte, gros entrepreneur à Amiens. À la suite des séances et du banquet de clôture, il me fut remis un autre joli bronze14 — Le Semeur — que je plaçai dans mon cabinet de travail. Entre temps, j’avais reçu, en 1903, du syndicat d’Ille-et-Vilaine, un troisième bronze — Le Génie du Travail — et, en 1905, la fédération m’en offrit un quatrième – L’Immortalité – d’une réelle valeur artistique. Sa valeur morale augmentait du fait que la somme réalisée provenait d’une souscription entre les syndicats. Ayant cessé l’entreprise fin 1905, je ne pouvais plus légalement m’occuper de questions professionnelles ; aussi me fis-je remplacer à la tête de nos organisations. Je laissais la Fédération nationale avec vingt-cinq mille membres, la fédération du nord-ouest avec six mille cinq cents, le syndicat d’Ille-et-Vilaine avec six cent trente-cinq. Simple observation : la situation financière de tous ces groupements était excellente.
— Ma vie militaire comme officier
23Rentré du régiment en 1884, je fis ma première « période d’instruction » en 1886. Mon capitaine, voyant que j’avais été proposé pour adjudant dès mon service dans l’armée active, m’engagea à subir l’examen d’officier de réserve ; je m’y préparai pendant cette période de vingt-huit jours et passai l’examen avec succès. Depuis ce moment, je n’ai pas manqué à une seule convocation et j’ai suivi avec assiduité les cours des écoles d’instruction organisés dans les régiments actifs. Doué d’une grande force physique, d’une bonne voix et ayant l’esprit militaire, je m’assurai facilement dans la réserve, comme pendant mes cinq années de service dans l’active, la sympathie et la confiance de mes chefs. Aussi passai-je lieutenant juste à la limite de quatre ans, après ma nomination de sous-lieutenant. Désirant être capitaine d’assez bonne heure, je suivis des cours d’équitation et me préparai à l’examen pour l’obtention du brevet d’aptitude à ce grade, examen que l’on pouvait subir quand on atteignait six ans de stage comme lieutenant. J’eus la chance de réussir dans de bonnes conditions et je fus nommé capitaine. Je continuais à faire mes périodes sans me préoccuper d’aucun autre grade quand, en 1911, un mot aimable que le général Lyautey15, commandant le 10e corps à Rennes, m’envoyait de Paris, m’informait que j’étais nommé chef de bataillon. Quelques jours après j’en recevais l’avis officiel, du ministère de la Guerre.
24Depuis que je suis maire de Rennes, les généraux commandant le 10e corps m’ont toujours demandé si mes occupations me permettaient d’accomplir les périodes (il y en eut trois) pour lesquelles j’allais être convoqué. Ayant toujours pu faire face à mes obligations militaires comme aux autres, j’ai chaque fois répondu affirmativement. C’est par décret du 3 juin 1914 que je fus nommé commissaire militaire à la gare de Rennes, fonction que j’occupais pour la gare de Saint-Brieuc, et les 15, 16 et 17 juin 1914, j’accomplissais une période avec des officiers de l’état-major de l’Armée (4e bureau) dans la gare de Rennes. Je ne croyais pas avoir à y revenir si tôt. Dès le 1er août, au moment de la mobilisation, je dus prendre possession de mon poste, sans délai. Cinq officiers, capitaines et lieutenants m’étaient adjoints, ainsi que trois sergents-secrétaires et six soldats plantons, plus un poste de police commandé par un officier.
25Là nous avons assuré la concentration des troupes et veillé à toutes les prescriptions militaires, pendant la mobilisation proprement dite, sans le moindre incident. Nous avons eu à y recevoir de nombreux militaires blessés qui furent répartis dans les hôpitaux de Rennes et de la 10e région. Nous avons aussi reçu des milliers d’émigrés belges, ainsi que de la région du nord de la France et de Paris. Ces émigrés étaient à répartir pour une grande partie dans le département. Puis est arrivée la période des isolés, des détachements –rejoignant, les uns les dépôts de leur corps, les autres le front – des ravitaillements, des convois de munitions, etc. Un rapport détaillé des opérations de chaque jour fut adressé tous les matins au général commandant la 10e région. Le tout a été observé et exécuté par un service permanent, de jour et de nuit.
La Patrie
26Mon goût pour la vie militaire indiquerait suffisamment combien je suis attaché à la grande idée de Patrie. Néanmoins, je veux vous rappeler que, depuis mon retour du régiment, en 1884, je me suis sans cesse occupé de tout ce qui contribuait soit à développer les sentiments patriotiques, soit à préparer la défense de la Patrie, en faisant partie de la société qui forme en Ille-et-Vilaine un groupe du « Souvenir français », en m’associant à quelques autres patriotes pour fonder la société de tir « Duguesclin », en collaborant à l’œuvre des autres sociétés diverses pour arriver à grouper, en 1908, toutes les sociétés d’anciens militaires, sous la dénomination d’Union patriotique des Sociétés d’anciens militaires de la ville de Rennes, dont je suis le président. Chaque année, en juin, l’Union patriotique se groupe place de la mairie et l’on y trouve réunis les anciens combattants de 1870-1871, les médaillés militaires, les vétérans, la Solidarité militaire, les anciens du 41e de ligne (« L’Isly16 »), les anciens enfants de troupe, les anciens sapeurs et pontonniers, les anciens artilleurs, les anciens cavaliers, les anciens gendarmes, les anciens marins, etc. On voit alors les mille membres de l’Union marcher en colonne par quatre –avec musique militaire, drapeaux, généraux, colonels et diverses personnalités civiles en tête – pour se rendre au Champ de Mars devant le monument élevé à la mémoire des soldats morts pour la France. Chaque fois, j’y prends la parole au nom des sociétés ; le général en chef et un parlementaire discourent également. De là, le cortège se rend au pavillon des Lices, où a lieu un banquet de mille couverts, parfois plus. M. le préfet préside et prononce un discours ; après que j’ai adressé quelques paroles de remerciements, nous nous donnons rendez-vous à l’année suivante.
27Il est indiscutable que ces imposantes manifestations ont grandement contribué à maintenir intacts les sentiments patriotiques de nos populations ; j’en suis fort heureux, aujourd’hui que la France a fait appel à tous ses enfants. La paix revenue, nous avons encore de grands devoirs à remplir ; nous ferons tout notre possible pour être à la hauteur de la tâche qui nous incombe. Comme maire j’ai encore réalisé tout le possible pour donner à la grande fête internationale de tir en 1913 et à la 40e fête fédérale de l’Union des sociétés de gymnastique de France en 1914, aux réceptions des quinze officiers russes et des autres délégations anglaise, italienne, belge, etc., tout l’éclat patriotique dont il était possible de les environner.
— Mon passage au tribunal de commerce de 1898 à 1906
28Ma nomination, en mars 1898, à la tête du syndicat des entrepreneurs, avait encore attiré sur moi l’attention publique. L’importance croissante de mon entreprise ayant contribué à me mettre en vue, le tribunal de commerce, qui se trouvait avoir une vacance, par suite de la mort de M. Pierre Hogrel, ancien entrepreneur, vint dans la personne de son président, M. Paul Picard, me demander si je voulais bien poser ma candidature et m’assurer que le tribunal tout entier la soutiendrait s’il devait y avoir des compétitions. Aucune autre candidature ne fut posée et je me vis élu en de très bonnes conditions. Au tribunal, je trouvai la plus grande cordialité de tous mes collègues. Assez vite, je me mis au courant des nombreuses questions à résoudre : comme juge-commissaire de liquidation judiciaire ou de faillite, j’appris à m’instruire dans la jurisprudence, car le bon sens naturel et le jugement personnel ne suffisent pas toujours pour régler les différends soumis à notre examen. J’ai siégé de 1898 à 1906, dont deux ans comme juge doyen, président de section (chambre du mercredi).
29Ces charges m’ont obligé à beaucoup travailler, car j’avais déjà pas mal à faire au point de vue professionnel et syndical. Mais j’aurais tort de m’en plaindre, car, si je me suis donné de la peine au tribunal de commerce, j’y ai aussi beaucoup appris et ma fonction de juge, par la variété des procès et des plaidoiries que j’ai eus à connaître, est peut-être celle qui m’a le mieux préparé à mes fonctions de maire. Ayant été juge consulaire, pendant le nombre d’années prévu par la loi, et, par suite, n’étant plus rééligible, je quittai le tribunal de commerce de Rennes, en 1906. À ce moment, en séance solennelle du tribunal, je fus l’objet de la part de l’honorable et distingué M. A. Mamelle, président, d’un témoignage d’estime dont voici exactement les termes :
« Monsieur Janvier, j’ai gardé pour vous mes dernières paroles comme à l’heure de le voir se détacher du lieu où il a vécu longtemps, on réserve la dernière poignée de main à l’ami qui va le quitter ; avant de nous séparer, permettez-moi, mon cher collègue, de vous féliciter en quelques mots de votre belle carrière, toute d’activité, d’intelligence et de probité. Tout jeune, vous avez commencé par donner à la Patrie ce qu’elle demande aux meilleurs de ses enfants ; vous l’avez servie en digne cœur et en noble patriote ; vous avez pris part, comme jeune soldat, à l’extension de ses colonies ; la médaille coloniale fut la récompense de vos premiers efforts ; vous vous êtes mis ensuite, sans relâche, à chercher dans le travail, la situation qui convient à un homme libre. Le succès a couronné vos travaux. Vous avez aimé le travail, mais vous l’avez aimé plus encore pour lui-même que pour les avantages qu’il procure ; vous avez pris en main les intérêts de la classe si méritante de l’entrepreneur et de l’ouvrier ; vous avez su grouper en syndicats tous ces intéressants travailleurs pour la sauvegarde et la protection de leurs intérêts communs, travail gigantesque dont l’honneur vous revient en entier. Le cumul de vos occupations commerciales, syndicales, administratives, ne vous a pas empêché de consacrer une part de votre activité à l’armée, dont vous êtes toujours l’un des plus dignes officiers, et à ce tribunal que vous avez servi depuis plus de sept années comme juge et président de section.
Tous ici s’accordent à louer en vous cette amabilité charmante qui répond au désir d’être utile et agréable à tous ceux qui vous fréquentent et qui est la manifestation de vos sentiments. Mais ne nous avez-vous pas montré bien d’autres qualités non moins précieuses ? L’entreprise, vous le savez, donne lieu à de nombreux procès ; combien n’avons-nous pas été heureux de recourir à votre expérience commerciale et industrielle pour trouver, dans les différends qui nous étaient soumis, la solution sage, équitable, pratique, respectée par tous. Les justiciables n’ont jamais eu qu’à se louer de votre bienveillante justice, toujours empreinte de bonté. Vous avez été un charmant collègue et un excellent juge ; vous pouvez, dans votre retraite, emporter la certitude d’avoir rendu de bons services et de laisser ici des traces ineffaçables de vos vertus consulaires. M. le ministre du Commerce, en venant présider la récente et grandiose fête du Travail, organisée par vos soins, dans laquelle vous avez su réunir tous les syndicats fédérés, nous a fait le plus grand honneur en vous décernant la croix de la Légion d’honneur. Nous avons tous applaudi à cette distinction, distinction méritée, qui honore en même temps tous vos collègues. Je tiens à exprimer à M. le ministre du Commerce la reconnaissance du tribunal en vous renouvelant nos plus sincères félicitations. Nos vœux vous accompagnent, mon cher collègue, et, avec eux, les sentiments d’affection les plus sincères ; soyez en assuré ».
30J’aime à rappeler que je suis fier d’avoir appartenu au tribunal de commerce de Rennes.
Notes de bas de page
1 Le bâtiment de la Confection militaire, situé boulevard de Chézy, près du pont Saint-Martin, était une fabrique d’uniformes et fournitures diverses pour l’armée.
2 Première œuvre publique de l’architecte Jean-Marie Laloy, l’école normale d’institutrices est construite, de 1882 à 1886 (en application de la loi d’août 1879 sur la formation des instituteurs), sur un plan classique en U et un programme rappelant le lycée Buffon à Paris.
3 Né à Fougères en 1851, Jean-Marie Laloy est le porte-parole du « combat laïque » (H. Guéné, F. Loyer). Connu pour son engagement républicain et même franc-maçon, il manifeste une activité prodigieuse puisqu’il construit quatre-vingt quinze écoles, vingt-cinq gendarmeries, quarante-trois autres bâtiments publics et (seulement, si l’on ose dire...) vingt-cinq édifices privés (dont six hôtels particuliers et trois châteaux). Après une scolarité à l’école des Beaux-Arts de Paris, il s’installe en 1878 à Rennes où il obtient le chantier de restauration du Parlement de Bretagne avant d’être nommé architecte du département (1er janvier 1884) : c’est la période où il rencontre Janvier (on peut d’ailleurs penser qu’une certaine communauté de vues rapproche déjà les deux hommes). Peu avant (1881), il a entamé une carrière politique en se faisant élire conseiller municipal sur la liste de Le Bastard. À Fougères, il donne notamment son théâtre. À Rennes, il laisse (entre autres) la prison Jacques Cartier (commencée en 1896) et, surtout, l’ambitieuse école d’agriculture (1892-1896). Il meurt en 1927.
4 La restauration de l’ancien Parlement de Bretagne, devenu au 19e siècle palais de Justice de Rennes, fut un travail de très longue haleine. L’architecte Jean-Marie Laloy consolide d’abord le bâti : réfection des charpentes et des planchers, reprise des maçonneries des façades (c’est à ce gros œuvre que collabore Janvier). Il restitue ensuite les décors extérieurs (crêtes de plomb doré de la façade, gargouilles, souches des cheminées) et conçoit, pour finir, les aménagements intérieurs (dont les derniers éléments sont mis en place de 1894 à 1917), dans le goût « Troisième République ».
5 Cet hôtel particulier, au 9 rue des Fossés, fait partie d’une inspiration plus sobre (bossages au seul rez-de-chaussée) que les autres constructions similaires de Laloy, un peu plus tardives (notamment l’hôtel Le Chapelier, 16 rue de Viarmes, 1896-1898).
6 Quartier de la rue Duhamel, entre l’actuelle avenue Janvier et le moulin de Saint-Hélier, c’est-à-dire en bordure de la Vilaine, avant que celle-ci n’arrive aux quais. Ces terrains, autrefois inondés la plupart du temps, furent mis hors d’eau pour être urbanisés. Ils furent alors nommés la « Californie », par allusion aux opérations spéculatives qu’on en espérait.
7 Les Jobbé-Duval sont une famille de peintres décorateurs, actifs à Rennes depuis le milieu du 19e siècle. Ils sont connus par Félix-Armand-Marie (1821-1889), auteur des plafonds du palais de Justice, et, surtout, l’architecte Frédéric Jobbé-Duval (1846-1929), élève des Beaux-Arts de Paris et opposé, par ses convictions politiques conservatrices, à Laloy. Gendre de l’imprimeur Oberthür et beau-frère d’Emmanuel Le Ray (le futur architecte du maire Janvier...), Frédéric Jobbé-Duval a laissé une série d’hôtels particuliers aux arrangements très aboutis.
8 Georges Trouillot (1851-1916), député du Jura de 1889 à 1906, commença sa carrière ministérielle aux Colonies (28juin-26 oct. 1898, puis 24 juillet 1909-2 nov. 1910). Il fit voter en 1904 la loi abolissant les bureaux de placement payants ou portant les frais de recrutement à la charge des employeurs. Il entra dans les cabinets Combes (7 juin 1902-18 janvier 1905), puis Rouvier (12 nov. 1905-9 mars 1906) avec le portefeuille du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes. Il soutint, en nov. 1905, le texte présenté sur la loi des retraites ouvrières. Il fut renversé avec le ministère Rouvier, peu après avoir été élu au Sénat (janvier 1906) où il siégea jusqu’à son décès en 1916.
9 Fernand Dubief (1850-1916), médecin aliéniste, maire de Prisse (1889), fut élu député radical-socialiste de Saône-et-Loire en 1893. Il devint secrétaire de la Chambre (1898-1900), puis ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et Télégraphes dans le cabinet Rouvier (janv.-nov. 1905). Il céda alors ce portefeuille pour prendre celui de l’Intérieur, dans le même cabinet (nov. 1905-mars 1906). Battu aux élections législatives de 1910, il fut réélu en avril 1914. Il présida la Société d’agriculture de Mâcon et siégea au Conseil supérieur du travail.
10 Jean Cruppi (1855-1933), avocat puis substitut du procureur de la République de la Seine, fut, à l’âge de trente ans, avocat général à la cour de cassation. Il fut élu député de Toulouse en 1898, siégeant au groupe de la gauche radicale dont il devint président en 1907. Il fut plusieurs fois ministre avant-guerre, notamment du Commerce et de l’Industrie dans le premier cabinet Clemenceau (janv. 1908-juillet 1909). Ministre des Affaires étrangères (mars-juin 1911), il ordonna l’expédition de Fez qui aboutit au protectorat de la France sur le Maroc. Il fut enfin ministre de la Justice dans le cabinet Caillaux (juin 1911-janv. 1912). Il soutint la politique anticléricale de Combes et combattit les mesures du ministère Briand, lors de la grande grève des cheminots qui précéda la guerre. Il fut sénateur de la Haute-Garonne de 1920 à 1924. Il fut en outre l’auteur de travaux sur la réforme de l’organisation judiciaire, ainsi que le suggèrent les convocations qu’il adressa, à ce titre, à Janvier.
11 Les années 1899 et 1900 sont marquées par un net renouveau revendicatif en Bretagne, en particulier par une série de conflits du bâtiment, disséminés dans presque tous les départements. Les causes en sont la retenue pour les accidents du travail (consécutive à la loi du 9 avril 1898) mise par les employeurs à la charge des ouvriers ; l’augmentation des salaires (très disparates, puisqu’allant du simple au double) et la réduction de la journée de travail. En même temps que Rennes, des villes comme Nantes, Fougères, Auray, Pontivy, Quimper et Dinan sont touchées par des grèves, faisant suite à la tempête de février 1900. Le plus dur, le conflit de Rennes dure vingt-cinq jours. L’intervention du secrétaire du syndicat des menuisiers, Charles Bougot, suggère le déclin, dans la ville, de l’influence compagnonnique. Les mouvements se poursuivent ensuite pendant une partie de l’année : les tailleurs de pierre et terrassiers de Brest mènent une longue bataille du 24 février au 14 mars 1900. De mai à juillet, l’effervescence gagne toutes les professions du bâtiment, notamment encore à Rennes où l’on évoque la possibilité d’une grève générale. L’atmosphère dans laquelle opère Janvier est donc particulièrement tendue.
12 Ancien élève de l’école pratique d’industrie de Rennes, Charles Bougot (1872-1945) était ouvrier menuisier. Il fut une personnalité marquante du mouvement ouvrier rennais. Trésorier de la Bourse du Travail lors du lock-out de 1906 à Fougères, il mit en place l’accueil dans des familles rennaises des enfants des ouvriers mis au chômage. Il fut aussi l’un des organisateurs de la Fédération socialiste autonome de Bretagne et l’artisan en 1908 de l’alliance des socialistes avec les républicains de gauche et les radicaux socialistes, alliance qui conduisit Janvier à la mairie. Il fut ensuite un membre influent de la SFIO. Conseiller municipal de 1908 à 1940, il fut adjoint du maire socialiste Carie Bahon en 1929, chargé des travaux publics, puis en 1935, de François Château. Exclu du conseil municipal par le régime de Vichy en 1940, il mourut en 1945.
13 La présence à cette réunion d’un industriel de la conserverie a évidemment un sens : les secteurs liés à la transformation du poisson (ferblantiers-boîtiers notamment) sont en proie à d’importants soubresauts liés à l’introduction des machines pour la fabrication des boîtes. Ces conflits de la pêche et de la conserve sont très virulents depuis 1896. En 1901 et 1902, les grèves redoublent d’intensité (quatre-vingt-huit jours aux usines Ramell de Douarnenez et Concarneau), certaines d’entre elles aboutissant même au saccage des locaux de travail.
14 Janvier en a reçu un premier – La Victoire – offert par les ouvriers du bâtiment, à l’occasion de la remise de la Légion d’honneur.
15 Promu général en 1906 à l’occasion de son appel en Algérie (à la tête de la division d’Oran), Lyautey occupa ensuite ce commandement à Rennes à la veille de devenir résident général de la République française au Maroc, après les événements de Fès (1912).
16 Nom d’une rivière du Maroc oriental, qui vit la victoire du général Bugeaud sur les troupes du sultan Abd al-Râhman, le 14 août 1844.
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